D. UN FORT ALOURDISSEMENT DE LA CHARGE FISCALE DES MÉNAGES

En somme, si les ménages ont supporté une large part de l'accroissement du taux de prélèvements obligatoires observé depuis le début du quinquennat, ils n'ont bénéficié que de manière extrêmement limitée de la baisse de celui-ci, engagée en 2015. En effet, force est de constater que le quinquennat qui s'achève a été marqué par un fort alourdissement de la charge fiscale des ménages , concomitant à un transfert de la fiscalité vers ces derniers. Par ailleurs, cette évolution s'est accompagnée d'une concentration accrue de l'impôt , en particulier de l'impôt sur le revenu, et d' une dégradation de l'équité fiscale horizontale en défaveur des actifs et des familles .

1. Un transfert de la fiscalité vers les ménages

À partir de la méthode explicitée ci-après, votre rapporteur général s'est attaché à examiner l'évolution, durant la décennie passée, de la charge fiscale des ménages et des entreprises . À cet égard, il apparaît que la période 2011-2014 a été marquée par une forte augmentation du taux de prélèvements obligatoires , qui est passé de 42,6 % à 44,8 % du PIB, de même que par une hausse significative de la charge fiscale des ménages , qui a atteint 16 % du PIB en 2014 - soit une hausse de 1,5 point par rapport à 2011.

Ainsi que le fait apparaître le graphique ci-après, en dépit d'une légère baisse, le taux de prélèvements obligatoires serait encore supérieur en 2016 de 1,9 point de PIB à son niveau de 2011 . Ce différentiel est, en grande partie, imputable aux impositions directes pesant sur les ménages qui représenteraient encore 16,0 % du PIB en 2016, contre 14,5 % en 2011 - soit un écart de + 1,5 point de PIB -, et ce alors qu'entre ces deux années, la charge fiscale des entreprises a reculé de 1,1 point de PIB.

Graphique n° 7 : Évolution de la charge fiscale des ménages et des entreprises ainsi que du taux de prélèvements obligatoires (2005-2016)

(en % du PIB)

* (p) : prévision

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee)

Ceci indique, d'une part, que les ménages ont eu à supporter l'essentiel des efforts de redressement des comptes publics et d'autre part, que la décélération de la pression fiscale ne profite pas véritablement aux ménages - les mesures en faveur d'une baisse sur l'impôt sur le revenu ne compensant pas les hausses de prélèvements intervenues depuis 2012 , comme cela a déjà été souligné, et ce d'autant que les ménages supportent par ailleurs des augmentations de la fiscalité indirecte (voir supra ).

Cette analyse est confortée par le fort accroissement de la part dans les prélèvements obligatoires totaux des impositions directes acquittées par les ménages , qui atteindrait 35,8 % en 2015 contre 34 % en 2011, alors que la part de la charge fiscale des entreprises dans les prélèvements obligatoires reculerait de 41,9 % à 37,6 % entre ces deux années . Ainsi, la période récente a été clairement marquée par un transfert de la charge fiscale des entreprises vers les ménages - la différence entre la part dans les prélèvements de la charge fiscale des entreprises et celle des ménages étant passée de 7,9 points à 1,8 point entre 2011 et 2016 .

Graphique n° 8 : Part de la charge fiscale des ménages et des entreprises
dans les prélèvements obligatoires

(en %)

* (p) : prévision

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee)

Il n'est aucunement question, ici, de regretter la réduction des prélèvements sur les entreprises , celle-ci étant tout à fait indispensable dans un contexte de dégradation des taux de marges et de perte de compétitivité de ces dernières ; en effet, cette analyse montre avant tout les limites d'un ajustement budgétaire reposant essentiellement sur des hausses de la fiscalité - qui, dans un environnement concurrentiel, doit nécessairement porter à titre principal sur les ménages et les taxations indirectes. C'est pourquoi il eût été préférable que la stratégie budgétaire repose dès le début de la présente législature sur une baisse de la dépense publique, qui aurait permis d'accompagner tout à la fois le redressement des comptes publics et une diminution de la charge fiscale des ménages et des entreprises - s'inscrivant dans la logique qui commençait à se dessiner en 2010-2011.

La mesure de la charge fiscale des ménages et des entreprises

La mesure de la charge fiscale des ménages utilisée a été établie à partir des données de l'Insee 32 ( * ) ; celle-ci comprend les impositions portant sur le revenu des ménages , comme l'impôt sur le revenu, la contribution sociale généralisée (CSG) ou encore la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), les autres impôts courants , soit essentiellement la taxe d'habitation, la taxe foncière et l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), les impôts en capital , qui intègrent notamment les droits payés sur les successions et les donations, ainsi que les cotisations sociales effectives reçues par les administrations publiques , à l'exclusion de celles versées à des régimes privés.

La charge fiscale des entreprises, quant à elle, tient compte des impôts sur le revenu versés par les sociétés non financières (SNF) ainsi que par les entreprises financières , soit essentiellement l'impôt sur les sociétés (IS), des impôts sur la production , comprenant la taxe sur les salaires, les versements transports, la C3S, ou encore la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), des impôts en capital , de même que des cotisations sociales effectives versées aux administrations publiques .

Il convient de souligner que la mesure de la charge fiscale des ménages et des entreprises ne tient pas compte des taxes indirectes, comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), ou encore la contribution au service public de l'électricité (CSPE) . En effet, ces dernières ne sont pas acquittées uniquement par les ménages , comme le supposent différentes études - à l'instar d'un travail réalisé par l'OFCE en 2015 33 ( * ) -, mais également, dans une certaine mesure, par les entreprises ; à cet égard, les sociétés peuvent avoir à supporter des rémanences de TVA 34 ( * ) , estimées à 31,2 milliards d'euros en 2006 par le Conseil des prélèvements obligatoires 35 ( * ) , et sont assujetties à la CSPE pour leur consommation d'électricité. Si les taxes indirectes contribuent significativement au poids des prélèvements obligatoires, les données issues de la comptabilité nationale disponibles ne permettent pas de distinguer celles supportées respectivement par les ménages et les entreprises ; c'est la raison pour laquelle la mesure de la charge fiscale retenue ne les intègre pas.

2. Une concentration accrue de l'impôt sur les classes moyennes et aisées

Si le « choc » fiscal intervenu au début de la présente législature a touché des contribuables dans leur ensemble, nombre de mesures ayant concerné de manière quasi indifférenciée les ménages aisés et plus modestes, les récentes baisses de l'impôt sur le revenu ont contribué à accroître la concentration de l'impôt sur les classes moyennes et aisées .

Cette tendance est clairement mise en évidence par l'évolution de la part des contribuables effectivement imposés à l'impôt sur le revenu . Comme le fait apparaître le tableau ci-après, après avoir progressé au début du quinquennat - notamment du fait de mesures comme la suppression de l'exonération des heures supplémentaires (voir supra ) -, la part des contribuables imposés à l'impôt sur le revenu a significativement reculé, pour s'élever à 43,8 % du total des contribuables en 2016 contre 50 % en 2012 , soit une baisse de 6,2 points au cours du quinquennat.

Tableau n° 9 : Part des contribuables imposés à l'impôt sur le revenu

Contribuables imposés

Contribuables non imposés

Nombre
(en millions)

Pourcentage

Nombre

Pourcentage

2012

18,2

50,0 %

18,2

50,0 %

2013

19,1

52,0 %

17,6

48,0 %

2014

17,8

47,9 %

19,3

52,1 %

2015

17,0

45,5 %

20,2

54,0 %

2016 (p)

16,1

43,8 %

20,7

56,2 %

(p) : prévisions

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données transmises par la direction générale des finances publiques)

Aussi une part toujours plus importante de l'impôt sur le revenu est-elle acquittée par les déciles supérieurs de revenus . Au titre des revenus de l'année 2015, il apparaît que 90 % de l'impôt sur le revenu est payé par 30 % des contribuables, soit ceux dont le revenu imposable excède 28 659 euros (voir tableau ci-après). Par suite, la concentration ne concerne pas uniquement les ménages « aisés », mais aussi les classes moyennes .

Tableau n° 10 : Répartition de l'impôt sur le revenu par déciles de revenus
(revenus 2015*)

Borne inférieure du revenu imposable

Borne supérieure du revenu imposable

Nombre de foyers fiscaux

Nombre de foyers fiscaux imposés*

Revenu imposable

Impôt sur le revenu hors PFO

Md€

%

Md€

%

0

3 221

3 684 743

21 362

2,1

0,2%

-0,02

0,0%

3 221

8 740

3 682 484

34 627

23,1

2,5%

-0,04

-0,1%

8 740

12 405

3 683 156

15 762

39,2

4,2%

-0,08

-0,1%

12 405

15 615

3 684 430

665 371

52,1

5,5%

-0,02

0,0%

15 615

18 694

3 683 481

1 939 122

63

6,7%

1

1,5%

18 694

22 858

3 682 904

2 115 028

75,8

8,0%

2,4

3,5%

22 858

28 659

3 683 406

2 029 581

94,8

10,1%

3,2

4,7%

28 659

36 650

3 683 236

2 575 624

119,3

12,7%

5,1

7,4%

36 650

51 063

3 683 318

3 203 423

158,1

16,8%

9,9

14,4%

51 063

3 683 389

3 537 353

314,8

33,4%

47,2

68,8%

Total

36 834 547

16 137 253

942,3

100%

68,64

100%

* 3 e émission

Source : direction générale des finances publiques

De manière plus générale, la politique menée par le Gouvernement en matière fiscale et sociale au cours du quinquennat a pesé aussi bien sur les ménages aisés que sur les classes moyennes . À en croire l'étude de la direction générale du Trésor figurant dans le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2017, si les mesures adoptées au cours du quinquennat ont permis une amélioration de 4,7 % du niveau de vie des ménages du premier décile, cette amélioration est ramenée à 0,8 % à partir du deuxième décile et, surtout, le niveau de vie en ressort dégradé pour l'ensemble des ménages au-delà du sixième décile, c'est-à-dire à partir de 25 230 euros de revenus annuels par adulte.

3. Une dégradation de l'équité fiscale horizontale en défaveur des actifs et des familles

Si le Gouvernement voit dans « la hausse des transferts à destination des ménages modestes et la plus grande contribution des ménages aisés » un accroissement de la « redistributivité du système fiscalo-social français » 36 ( * ) , il n'en demeure pas moins que les mesures adoptées depuis 2012 ont largement contribué à dégrader l'équité fiscale horizontale en traitant différemment des ménages ayant des revenus comparables .

Ainsi, les simulations réalisées par la direction générale du Trésor sur des « ménages ordinaires » montrent, tout d'abord, que la politique gouvernementale a favorisé les célibataires plutôt que les familles . En effet, alors que les célibataires ont vu leur niveau de vie progresser de 0,1 point relativement à l'ensemble de la population, les familles avec enfants ont vu le leur reculer de 0,3 point, en lien, notamment, avec les mesures relatives au quotient familial et aux allocations familiales.

Ensuite, les mesures en matière fiscale et sociale adoptées à l'initiative du Gouvernement ont favorisé les inactifs plutôt que les actifs . Si les inactifs ont bénéficié d'une hausse relative de leur niveau de vie à hauteur de 0,5 point, les actifs ont, eux, constaté une baisse de niveau de vie de 0,3 point également.

Tableau n° 11 : Effets des mesures du quinquennat sur le niveau de vie des ménages par catégorie, en écart à la moyenne de l'ensemble de la population

(en points)

Par configuration familiale

Personne seule

0,1

Couple sans enfant

0,2

Ménages avec enfant(s)

- 0,3

dont famille monoparentale

1,8

Par âge de la personne de référence

Moins de 25 ans

1,0

25 à 29 ans

0,3

30 à 39 ans

- 0,2

40 à 49 ans

- 0,3

50 à 64 ans

- 0,1

65 ans et plus

0,3

Par statut sur le marché du travail de la personne de référence

Actifs de 18 ans et plus

- 0,3

Inactifs de 18 ans et plus

0,5

dont retraités

0,4

Champ : France métropolitaine, ménages ordinaires dont le revenu est positif ou nul et dont la personne de référence n'est pas étudiante.

Note de lecture : le niveau de vie des ménages dont la personne de référence est âgée de moins de 25 ans a augmenté de 1 point de plus que celui de l'ensemble de la population sous l'effet des réformes évaluées. En effet, le niveau de vie agrégé de ceux-ci a augmenté de 0,4 point alors que celui de l'ensemble de la population a reculé de 0,6 point.

Source : direction générale du Trésor

Par ailleurs, comme le relève l'étude de la direction générale du Trésor, il a été procédé à des transferts intergénérationnels . À cet égard, elle note que le « niveau de vie agrégé des jeunes de moins de 25 ans a [...] augmenté de 0,4 % contre une baisse de 0,6 % en moyenne sur l'ensemble de la population, soit un point de plus » - du fait, notamment, de mesures spécifiquement dédiées, comme l'ouverture de la prime d'activité aux personnes de moins de 25 ans ; par ailleurs, « les ménages dont la personne de référence est âgée de 30 à 55 ans ont davantage contribué que l'ensemble de la population . Enfin, les ménages dont la personne de référence est âgée de plus de 65 ans ont été moins touchés de 0,4 point que les autres par les mesures considérées » - ce qui implique, toutefois, une dégradation du niveau de vie de 0,2 point pour les retraités .

Au total, si l'ensemble des catégories de ménages ont vu leur niveau de vie reculer au cours du quinquennat - à l'exception des jeunes de moins de 25 ans non-étudiants appartenant à un ménage indépendant -, et ce à hauteur de 0,6 point, à en croire l'étude de la direction générale du Trésor, les mesures fiscalo-sociales adoptées par le Gouvernement ont clairement davantage pesé sur les actifs et les familles .


* 32 La mesure de la charge fiscale des ménages et des entreprises est strictement comptable et ne tient pas compte des éventuels effets de l'incidence fiscale, soit des possibles reports de la fiscalité des contribuables « théoriques » vers d'autres acteurs.

* 33 M. Plane et R. Sampognaro, « Baisse de la fiscalité sur les entreprises mais hausse de celle des ménages », Le Blog de l'OFCE, 22 octobre 2015.

* 34 Les consommations ou investissements de certains opérateurs sont grevés d'une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui ne peut être déduite - s'incorporant, par conséquent, définitivement dans le coût de l'opération. Ce phénomène, appelé rémanence de TVA, résulte des règles prévues par la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, dite directive « TVA », qui trouve à s'appliquer dans les États membres de l'Union européenne. Ainsi, certaines opérations d'agents économiques, bien que dans le champ d'application de la TVA, bénéficient d'une exonération et n'ouvrent donc pas droit à déduction ; il s'agit en particulier des activités bancaires et d'assurance. En outre, des exclusions spécifiques du droit à déduction peuvent être prévues, comme pour les dépenses de carburant ou de logement supportées par les entreprises au titre de leurs salariés ou dirigeants.

* 35 Conseil des prélèvements obligatoires, Les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée , octobre 2009.

* 36 Rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2017, p. 176.

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