IV. UNE « MISE SOUS TENSION » DE LA FISCALITÉ LOCALE

Le niveau de la fiscalité directe locale résulte naturellement des décisions des collectivités territoriales quant au taux de ces impôts, qu'elles fixent librement dans le cadre défini par la loi. Cette fiscalité trouve néanmoins sa place dans le présent bilan , de par son importance - les prélèvements obligatoires affectés aux administrations publiques locales représentant 6,1 % du PIB en 2015 -, mais aussi parce que - de façon inédite, au moins dans leur ampleur - ses évolutions au cours des cinq dernières années s'expliquent en grande partie par des décisions prises par l'État et par le choix du Gouvernement de mettre véritablement sous tension la fiscalité locale . Malgré ce report sur les collectivités, celles-ci ont su manier le levier fiscal avec une certaine parcimonie .

A. UN EFFORT FINANCIER DE 66 MILLIARDS D'EUROS DEMANDÉ AUX COLLECTIVITÉS ENTRE 2012 ET 2016

L'État a pesé sur les budgets locaux - et donc par ricochet sur la fiscalité locale - en diminuant drastiquement ses concours financiers aux collectivités territoriales, en leur imposant de nouvelles dépenses et en ne compensant pas suffisamment les compétences transférées, ainsi que, pour certaines d'entre elles, en leur faisant financer une hausse de la péréquation destinée à pallier les effets de sa politique pour certains territoires.

1. Une baisse cumulée des concours financiers de l'État de 17 milliards d'euros entre 2012 et 2016

Le quinquennat qui s'achève aura été marqué, pour les collectivités territoriales, par une diminution considérable et inédite par son ampleur des concours financiers que l'État leur verse , qui représentaient en 2012 près d'un quart de leurs recettes totales.

Dès le second semestre 2012, la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 prévoyait une stabilisation de ces concours en 2013, suivie d'une diminution de 750 millions d'euros en 2014 puis en 2015. Deux mois plus tard, en février 2013, ces montants étaient doublés. À la fin de la même année, la nouvelle loi de programmation des finances publiques prévoyait une diminution des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales de 11 milliards d'euros, étalée sur les années 2015 à 2017. Ainsi, en 2017, ces concours devaient diminuer de 12,5 milliards d'euros par rapport à leur niveau de 2013 .

Conformément aux souhaits du comité des finances locales (CFL), la baisse a été répartie entre échelons de collectivités en fonction de leurs recettes totales, puis, au sein de chaque échelon, en fonction d'autre clefs de répartition, non « péréquées », à l'exception de la répartition départementale. Le tableau ci-dessous retrace la baisse, baptisée « contribution au redressement des finances publiques » (CRFP), supportée par chaque échelon de collectivités.

À la suite de l'annonce du Président de la République en juin dernier d'une division par deux de l'effort demandé aux communes et aux intercommunalités en 2017, concrétisée dans le projet de loi de finances, la baisse atteindra finalement 11,5 milliards d'euros par rapport à 2012 .

Si l'on cumule l'ensemble des baisses intervenues jusqu'à présent, les collectivités territoriales ont, au total, perdu 17 milliards d'euros de dotations entre 2012 et 2016 - montant qui pourrait s'élever à 28,5 milliards d'euros en 2017 en vertu du projet de loi de finances pour cette année.

Tableau n° 27 : Répartition par échelon de collectivités territoriales
de la contribution au redressement des finances publiques (CRFP)

(en millions d'euros)

2014

2015

2016

2017

Total

Communes

588

1 450

1 450

725

4 213

EPCI

252

621

621

311

1 805

Départements

476

1 148

1 148

1 148

3 920

Régions

184

451

451

451

1 537

Total

1 500

3 670

3 670

2 635

11 475

Total cumulé

1 500

6 670

17 010

28 485

-

Source : commission des finances du Sénat

Ce montant doit cependant être corrigé des hausses qu'ont pu connaître par ailleurs d'autres dotations de l'État, comme par exemple la mise en place de la dotation de soutien à l'investissement des communes et de leurs groupements en 2016 (800 millions d'euros). L'évolution de « l'enveloppe normée des concours financiers de l'État », qui est celle à laquelle s'applique la norme d'évolution fixée par la loi de programmation des finances publiques, retrace plus fidèlement l'effort demandé aux collectivités territoriales au cours du quinquennat qui s'achève.

Tableau n° 28 : Évolution de l'enveloppe normée des concours financiers de l'État

(en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Montant

48 828

48 825

47 291

43 803

41 117

39 121

dont baisse de la DGF depuis 2012

-

-

- 1 500

- 5 170

- 8 840

- 11 475

Évolution des concours financiers par rapport à 2012

-

- 3

- 1 537

- 5 025

- 7 711

- 9 707

-

- 0,0 %

- 3,1 %

- 10,3 %

- 15,8 %

- 19,9 %

Montant cumulé

-

- 3

- 1 540

- 6 565

- 14 276

- 23 983

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Observatoire des finances locales et des annexes au projet de loi de finances pour 2017)

Comme le montre le tableau ci-dessus, cette enveloppe est, en 2016, en baisse de 7,7 milliards d'euros (- 15,8 %) par rapport à son niveau de 2012, ce qui, en cumulé, constitue un effort de 14,3 milliards d'euros .

2. Des dépenses considérables imposées aux collectivités territoriales

Au-delà de l'évolution des recettes locales, l'État agit aussi sur les dépenses des collectivités territoriales, que ce soit en imposant des normes nouvelles et coûteuses ou en transférant des compétences, sans les compenser de façon suffisante.

a) Le coût des normes imposées par l'État : 16 milliards d'euros en cumulé

Les normes adoptées par l'État, qu'elles aient un caractère législatif ou, plus fréquemment, réglementaire, impliquent souvent des dépenses supplémentaires pour les collectivités territoriales. On peut citer, pour reprendre les exemples les plus marquants du quinquennat, la réforme des rythmes scolaires qui a conduit les communes à mettre en place des activités périscolaires pour un coût d'environ un milliard d'euros, la revalorisation des agents de catégorie C de la fonction publique territoriale (420 millions d'euros) ou encore plusieurs hausses du revenu de solidarité active (RSA). Imposées par l'État mais financées par les collectivités territoriales, ces décisions impliquent des coûts considérables pour ces dernières, qui n'entraînent pas nécessairement de compensation de la part du premier .

Le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) est consulté préalablement à l'adoption des mesures réglementaires dont le coût pèse sur les collectivités territoriales. La compilation de ses rapports d'activité permet de calculer le coût net imposé par l'État aux collectivités, c'est-à-dire en tenant compte des charges nouvelles, mais aussi des économies permises et des recettes nouvelles, comme par exemple le fonds d'amorçage de la réforme des rythmes scolaires. Le tableau ci-dessous retrace ce coût sur le quinquennat. Les données 2016 correspondent aux informations disponibles à ce stade ; le coût considérable résulte notamment de l'obligation de travaux d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire (plus de 4 milliards d'euros). Le coût net qui y figure est sans doute sous-évalué, car comme le notait en 2015 la Cour des comptes, « la plupart des coûts bruts [...] sont minimaux, tandis que les gains sont évalués à leur niveau maximal » 63 ( * ) .

Tableau n° 29 : Coût net des charges imposées par l'État
aux collectivités territoriales

(en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

2016

Coût brut en année pleine

1 580

1 853

1 411

556

6 244

Économies en année pleine

250

182

633

620

790

Recettes nouvelles en année pleine

139

469

205

912

-

Coût net en année pleine

1 191

1 202

573

- 976

5 455

Coût annuel cumulé depuis 2012

1 191

2 393

2 966

1 990

7 445

Coût total cumulé depuis 2012

1 191

3 584

6 551

8 541

15 986

Note de lecture : les chiffres 2016 sont provisoires.

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données du Conseil national d'évaluation des normes)

Ainsi, entre 2012 et 2016, l'État a imposé en moyenne aux collectivités territoriales 1,5 milliard d'euros de dépenses nouvelles chaque année. En cumulé sur le quinquennat, ces normes ont représenté 16 milliards d'euros de dépenses supplémentaires obligatoires .

b) Le financement des allocations individuelles de solidarité : 32,7 milliards d'euros en cumulé à la charge des départements entre 2012 et 2016

Le financement des allocations individuelles de solidarité (AIS) que sont le revenu de solidarité active (RSA), l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH) constituent des dépenses contraintes particulières. Leur financement par les départements résulte d'un transfert de compétence qui, à ce titre, est compensé par l'État, mais au niveau des dépenses qu'il y consacrait au moment du transfert. Or, depuis lors, l'écart s'est accru entre les dépenses réalisées et les ressources transférées , malgré les moyens supplémentaires que l'État a parfois concédés. La situation économique ayant été particulièrement délicate au cours du quinquennat qui s'achève, cet écart n'a fait que s'empirer.

Le tableau ci-dessous retrace le reste à charge supporté par les départements, c'est-à-dire la différence entre les dépenses engagées au titre de cette politique de solidarité nationale et les ressources transférées par l'État.

Tableau n° 30 : Reste à charge supporté par les départements
au titre des allocations individuelles de solidarité

(en millions d'euros)

2013

2014

2015

2016

Dépenses

15 743

16 740

17 475

17 685

Reste à charge

7 107

8 469

8 355

8 455

Reste à charge cumulé

7 107

15 576

23 930

32 702

Note de lecture : les dépenses de RSA de 2015 correspondent à l'estimation du PLF 2016. Pour 2016, le montant des dépenses correspond à celui de l'année précédente auquel est appliquée l'hypothèse d'évolution prévue par le projet de loi de finances ; le reste à charge correspond à celui résultant d'un taux de couverture inchangé.

Source : commission des finances du Sénat

Entre 2013 et 2016, ce reste à charge s'est élevé à 8,1 milliards d'euros en moyenne chaque année , soit 12,5 % des dépenses de fonctionnement des départements. En cumulé, ces derniers ont dû dépenser 32,7 milliards d'euros du fait de la compensation insuffisante par l'État du transfert de ces allocations.

3. La hausse de la péréquation : 2,6 milliards d'euros supplémentaires à financer pour certaines collectivités

Afin, notamment, de pallier les effets des baisses de dotations qu'il imposait aux administrations publiques locales d'une part, l'État a décidé d'autre part de développer la péréquation, verticale - financée par l'État - ou horizontale - financée par les collectivités territoriales. Cette distinction n'a cependant aujourd'hui plus de sens, dans la mesure où les dotations de péréquation verticale sont comprises dans l'enveloppe normée des concours financiers de l'État. En d'autres termes, toute augmentation de ces dotations est nécessairement financée par les collectivités territoriales elles-mêmes.

Pour ces dernières, le coût est par définition neutre, puisqu'il s'agit de prélever certaines d'entre elles pour financer les reversements à d'autres. Néanmoins, ces différents dispositifs ont participé à cette mise sous tension des collectivités territoriales , certaines se voyant confrontées à une baisse des concours de l'État, à une hausse de leurs dépenses contraintes et à une hausse des prélèvements au titre de la péréquation.

Tableau n° 31 : Évolution entre 2012 et 2016 des dispositifs de péréquation

(en millions d'euros)

2012

2016

Évolution

Dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU)

1 371

1 911

+ 540

Dotation de solidarité rurale (DSR)

891

1 242

+ 351

Dotation nationale de péréquation (DNP)

764

794

+ 30

Dotation de péréquation urbaine (DPU)

616

640

+ 24

Dotation de fonctionnement minimale (DFM)

777

823

+ 46

Dotation de péréquation des régions

183

193

+ 10

Sous-total péréquation verticale

4 602

5 603

+ 1 001

Fonds national de péréquation des ressources communales et intercommunales (FPIC)

150

290

+ 80

Fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France (FSRIF)

210

1 000

+ 850

Fonds péréquation des droits de mutation à titre onéreux

580

573

- 7

Fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée perçue par les départements

-

83

+ 83

Fonds de solidarité des départements de la région d'Île-de-France (FSDRIF)

-

60

+ 60

Fonds de solidarité des départements

-

537

+ 537

Fonds de péréquation des régions

-

60

+ 60

Sous-total péréquation horizontale

940

2 603

+ 1 663

TOTAL PÉRÉQUATION

5 542

8 206

+ 2 664

Source : commission des finances du Sénat

Au total, certaines collectivités territoriales ont dû faire un effort supplémentaire de 2,7 milliards d'euros pour financer les reversements à d'autres collectivités.


* 63 Cour des comptes, Les finances publiques locales , Paris, La Documentation française, 2015, p. 96.

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