COMPTE-RENDU DE L'AUDITION DE M. MARC GUILLAUME, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU GOUVERNEMENT LE 10 MAI 2016

Le mardi 10 mai 2016, M. Claude Bérit-Débat, vice-président du Sénat, Président de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et des études, a procédé à l'audition de M. Marc Guillaume, Secrétaire général du Gouvernement (audition à laquelle il avait convié les présidentes et présidents des sept commissions permanentes).

La réunion est ouverte à 17 h 05.

M. Claude Bérit-Débat , président de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et des études . - Permettez-moi, tout d'abord, de vous remercier pour votre présence à cette audition qui est désormais un rendez-vous annuel auquel nous sommes attachés. J'ai plusieurs fois dit l'importance que j'accorde à une parution ponctuelle des textes d'application des lois - les décrets, les arrêtés, sans oublier les rapports demandés par le Parlement - et je constate avec plaisir que le Secrétariat général du Gouvernement partage ce point de vue. En outre, l'application des lois fait désormais l'objet d'une communication mensuelle en Conseil des ministres, présentée par le ministre chargé des relations avec le Parlement. Depuis, la formule s'est même enrichie d'un bilan semestriel, présenté en janvier 2016.

Le Sénat a toujours été très vigilant sur la bonne application des lois, à commencer par la publication en temps et en heure des textes réglementaires prévus par le législateur. Au fil des années, nous avons expérimenté différentes formules, mais chacun sait que c'est un suivi de tous les instants, incombant au premier chef aux commissions permanentes : chaque commission effectue ainsi, tout au long de la session, le contrôle de l'application des lois qui la concernent. C'est pourquoi j'ai convié leurs Présidentes et Présidents à se joindre à nous aujourd'hui. Malheureusement, la plupart sont retenus en séance ou par leur commission. Je remercie également M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général du projet de loi de financement de la sécurité sociale, d'avoir pu se libérer pour assister à cette audition.

Avant de vous céder la parole, Monsieur le Secrétaire général, je rappellerai que si le contrôle de la publication des textes d'application est une technique bien rôdée, il soulève souvent quelques problèmes nouveaux, que vos services et les nôtres s'efforcent de résoudre en étroite concertation. Cette année, par exemple, s'est posée la question du contrôle des décrets et arrêtés d'application de la loi « Macron », compliqué par ses 308 articles, par la dispersion des sujets traités et par le fait que le projet de loi avait été renvoyé à une commission spéciale, disparue une fois le texte définitif adopté. Du coup, nous avons réparti le contrôle de l'application de ces multiples articles entre toutes les commissions permanentes intéressées, selon leur domaine de compétences : c'est un choix de procédure différent de celui de l'Assemblée nationale, qui a préféré créer à cet effet une mission commune d'information.

D'autres lois peuvent soulever des difficultés un peu comparables, par exemple la loi d'août 2015 sur la transition énergétique, dont la mise en oeuvre nécessite 180 mesures d'application - à ce jour, seulement 54 ont été prises - ou sans doute la future loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, encore en cours d'examen.

Je vous invite à nous faire part des statistiques de l'année et de votre point de vue sur l'état et les perspectives de l'application des lois. Après quoi, nous vous poserons des questions.

M. Marc Guillaume, Secrétaire général du Gouvernement . - Merci de me donner l'occasion de faire le point sur l'application des lois, sujet cher au Sénat et au Gouvernement.

À la suite de nos échanges de l'an passé, nous avons poursuivi notre effort pour améliorer l'application des lois. Depuis notre dernière rencontre, nous avons augmenté de six points notre taux général : l'année dernière, 65 % de lois promulguées depuis le début de la législature étaient entrées en vigueur. Nous en sommes aujourd'hui à 81 %. Bien que nous n'utilisions pas exactement les mêmes repères chronologiques que les vôtres, le taux d'application des lois se montait à 59 % en début d'année 2015 et à 87 % en fin d'année. L'effort a donc été colossal. Demain, le secrétariat d'État chargé des relations avec le Parlement présentera le nouveau taux qui s'élève à 83 % alors que depuis le début de l'année sont entrées dans les statistiques les 392 mesures règlementaires d'application que suscitent les lois de l'été dernier, notamment la loi pour la croissance et l'activité et la loi de transition énergétique. Restent encore 14 mesures à prendre pour des lois de 2013.

Notre situation est donc radicalement différente de celle que nous connaissions il y a un peu plus d'un an. En juin 2015, par exemple, nous avons publié 82 décrets alors que la moyenne mensuelle habituelle s'élève à une quarantaine.

En revanche, je reconnais que notre taux est moins élevé pour le dépôt des rapports, car nous avons donné la priorité aux textes d'application. La loi de 2011 prévoit une clause de caducité cinq ans après le vote de la loi. Ne pourrait-on revenir sur ce système de dépôt annuel de rapports pendant cinq ans alors que les parlementaires semblent souhaiter qu'un point soit fait sur une question précise ? Il serait peut-être opportun de prévoir un premier rapport puis un second, un ou deux ans plus tard. Je laisse cette question à votre sagacité.

Pour ce qui est des circulaires, nous avons également poursuivi nos efforts. En 2012, nous avions publié 1 874 circulaires dans l'année, dont 574 du ministère de la défense. En nombre annuel net, nous avions donc publié 1 300 circulaires. L'an passé, nous avons publié 1 192 circulaires dont 438 du ministère de la défense, soit un total net de 754 circulaires. Nous avons donc diminué par presque deux le nombre de circulaires en quatre ans en imposant une règle : seuls les ministres signent afin d'éviter que, par capillarité, des circulaires soient adressées aux préfets par les administrations centrales. Nous contrôlons aussi les circulaires, qui ne deviennent applicables que si elles passent par notre circuit et sont publiées sur notre site « circulaires.gouv.fr ». Certes, le flux reste important, mais n'oublions pas que le Gouvernement compte 37 membres, sans même inclure le ministre de la défense. Ça ne fait donc pas beaucoup de circulaires, rapportées au nombre des politiques publiques qu'elles encadrent.

Le délai de six mois pour élaborer un décret est assez bref. Bien que nous préparions la rédaction des décrets au cours du processus législatif, une loi votée compte en moyenne quatre fois plus d'articles que lors de son dépôt. L'anticipation se révèle donc assez compliquée. En outre, certaines lois ont besoin de nombreuses mesures réglementaires. Ainsi en est-il de la loi de transition énergétique avec 162 mesures règlementaires, ou encore de la loi pour la croissance et l'activité avec plus de 120 mesures. À la suite de la publication des lois début août 2015, nous avions 392 mesures réglementaires d'application supplémentaires à prendre. L'administration a besoin de deux mois pour préparer les textes, puis viennent les consultations avec les partenaires sociaux et les acteurs économiques. Ensuite, les consultations obligatoires interviennent : nombre de commissions doivent ainsi être consultées sur les textes de leur ressort. Ainsi en est-il de la Commission consultative d'évaluation des normes présidée par Alain Lambert. Enfin, le Conseil d'État intervient : aujourd'hui, il doit examiner un peu plus de 200 projets de décrets.

Nos priorités actuelles portent sur trois lois : la loi Sapin II, la loi sur le travail et la loi égalité citoyenneté. Chacune de ces lois nécessite entre cinq et dix rapporteurs en Conseil d'État. Les assemblées générales du jeudi y consacrent beaucoup de temps. A ces trois lois se sont ajoutées celles sur la prolongation de l'état d'urgence et sur la ratification des accords de la COP21. Ces derniers mois, de nombreuses sections ont ainsi doublé leur nombre de séances. En raison de ces diverses étapes, les six mois pour publication nous laissent peu de temps.

J'en viens aux commissions consultatives : en 2012, il existait 680 commissions. Dans le projet de loi de finances pour 2016, nous sommes passés à 504, après en avoir supprimé environ 250 et créé une cinquantaine. Nous pourrons peut-être en supprimer encore quelques-unes mais l'essentiel de l'effort a été fait. Quoi qu'il en soit, nous nous en tenons à la règle de ne pas créer une commission sans en avoir supprimé une.

En conclusion, notre objectif est de finir l'année au taux de 87 % d'application des lois de la législature, comme l'an passé. Pour les ordonnances, nous faisons un peu mieux que pour les lois.

M. Claude Bérit-Débat , président . - Les présidents de nos commissions estiment que certaines circulaires détournent l'esprit de la loi en se livrant à des distorsions ou à des interprétations.

M. Marc Guillaume . - Cette année, aucune circulaire n'a été annulée au contentieux, alors qu'elles sont bien souvent attaquées lorsque les intéressés estiment qu'elles enfreignent la loi. En outre, nous avons diminué le nombre de circulaires, ce qui réduit d'autant les risques de dérapage.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général de la commission des affaires sociales . - La loi relative au dialogue social et à l'emploi n'est pas totalement applicable : le 31 mars, 52 % des mesures attendues avaient été publiées. Certes, les organisations syndicales doivent être consultées mais cette loi avait été largement précédée de dialogues et de négociations. Vous estimez difficile d'anticiper sur la loi mais nous connaissions tous quelles seraient les grandes orientations de ce texte. Un travail en amont aurait été possible.

Ingénieur de formation, je sais que tout est dans la préparation et l'anticipation. Mes collègues s'étonnent du temps qu'il faut pour que paraissent ces décrets d'application alors qu'ils étaient attendus depuis longtemps et que le Gouvernement a eu recours à la procédure accélérée pour faire voter la loi. Quel paradoxe !

M. Claude Bérit-Débat , président . - Une fois votées, le nombre d'articles des lois est multiplié par quatre, avez-vous dit, ce qui rend impossible la préparation des décrets en amont. Certes, nous avons une part de responsabilité, mais le Gouvernement aussi, en déposant souvent à la dernière minute des amendements portant articles additionnels.

M. Marc Guillaume . - Méfions-nous des idées fausses : ce sont les parlementaires qui votent la loi. Ne reprochez pas au Gouvernement de faire des lois touffues alors qu'elles sont de la seule responsabilité du Parlement.

Vous avez évoqué la loi relative au dialogue social et à l'emploi ; le 31 mars, six mois après sa promulgation, son taux d'application était certes de 54 % mais il faut remettre cela en perspective : un mois plus tard ce taux était passé à 77 %. En outre, on nous reprocherait, à juste raison, que les projets de décrets ne soient pas soumis à concertation.

La séquence que j'ai présentée tout à l'heure pour la préparation des décrets fait apparaître des délais très contraints : cinq à six semaines pour que le ministère compétent rédige un projet de décret, deux semaines pour le travail interministériel, une semaine pour les arbitrages, soit deux mois. Ensuite, le texte est soumis à la concertation externe, soit un mois. Viennent après les organismes consultatifs obligatoires, soit encore au moins un mois. Enfin, le Conseil d'État est saisi, qui examine une cinquantaine de décrets par mois. Aujourd'hui, il a plus de 200 décrets en stock. Aux alentours des six mois après la promulgation des lois, nous notons un saut quantitatif. Ainsi, pour la loi de transition énergétique, nous n'en sommes qu'à 39 % d'application. Mais avec les décrets en cours d'examen au Conseil d'État, nous atteignons 78 %.

Il y a sans doute une coresponsabilité sur le volume des textes mais c'est la responsabilité du Gouvernement de publier rapidement les décrets d'application, sinon les gens n'y comprennent plus rien, surtout que beaucoup pensent qu'une mesure est déjà en vigueur dès que la presse en publie l'annonce ! Sans compter que beaucoup de lois comportent des articles à entrée en vigueur différée.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Quand l'Assemblée nationale vote une mesure en première lecture, les médias s'en emparent comme si elle était déjà en application.

M. Marc Guillaume . - Il faut faire passer l'idée que les lois sont globalement bien appliquées. Il y a peut -être quelques lois qui posent difficulté, mais dire que les lois sont insuffisamment appliquées est une idée fausse.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Nous avons rencontré les rapporteurs de la section sociale du Conseil d'État et ils nous ont semblé très mobilisés.

M. Marc Guillaume . - C'est vrai, ils font un travail exceptionnel, alors qu'ils doivent faire face à une masse considérable de textes non seulement avec les décrets, mais aussi avec les ordonnances.

Nous poursuivrons l'effort. Nous avons d'ailleurs changé de méthodes de travail avec des tableaux de bord et des réunions tous les quinze jours dans les ministères.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - C'est ce qui se fait dans les entreprises.

M. Marc Guillaume . - Tous les mois, en conseil des ministres, les ministres trouvent devant eux un document retraçant l'application des lois tandis que le ministre chargé des relations avec le Parlement égrène le taux d'application des lois pour chacun des membres du Gouvernement... Croyez-moi, c'est une procédure motivante !

En faisant ce travail, nous avons le sentiment de répondre à notre mission.

M. Claude Bérit-Débat , président . - Y a-t-il une différence technique entre les taux d'application des ordonnances et ceux d'application des lois que vous présentez ? Que recouvre exactement ce second taux ?

M. Marc Guillaume . - D'un côté, nous comptons les mesures d'application de la loi au sens décret et, de l'autre, les ordonnances qui doivent être prises en application des lois d'habilitation. Nous faisons ensuite des statistiques communes. Le délai pour prendre les ordonnances étant fixé par chaque loi d'habilitation, il n'y aurait pas de sens de présenter des chiffres au bout d'un délai uniforme de six mois. Nous présentons les chiffres à l'issue du délai fixé pour chaque ordonnance. Il y a un mois, nous avons refusé de mettre en oeuvre une habilitation car le ministère compétent nous a transmis son projet seulement quinze jours avant la clôture du délai : nous ne disposions plus d'assez de temps. Enfin, n'oublions pas les décrets d'application prévus par certaines ordonnances.

Le ministre chargé des relations avec le Parlement nous demande de traiter les propositions de loi avec la même attention que les projets de loi. Au 31 décembre 2015, le taux d'application des propositions de loi était de 83 % alors qu'il se montait à 87 % pour les projets de loi. Les taux sont donc très proches.

M. Claude Bérit-Débat , président . - Vous êtes passé plus rapidement sur les statistiques relatives aux rapports. Au Sénat, nous faisons des efforts pour ne pas en demander trop et certains de nos collègues nous critiquent lorsque nous repoussons leurs amendements en ce sens.

M. Marc Guillaume . - Il est vrai que les chiffres sont moins bons : sur les 95 rapports attendus, nous en avons déposé 46, soit 48 % et deux points de plus que l'année dernière.

M. Claude Bérit-Débat , président . - Quels sont les rapports publiés le plus rapidement ? Sont-ce ceux dont la création a été proposée par les ministres qui, souvent, promettent un rapport en échange du retrait d'un amendement ?

M. Marc Guillaume . - Je ne puis vous répondre.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - La proposition de loi de Mme Dini du 6 décembre 2013 autorisant l'expérimentation des maisons de naissance donnait deux ans pour lancer l'expérimentation. A quinze jours près, elle ne pouvait l'être puisque il a fallu attendre le 30 juillet 2015 pour que soit publiée la liste des neuf maisons expérimentales. Il manquait des décrets pour sécuriser le cadre juridique et financier. Nous avons eu l'impression que le Gouvernement ne souhaitait pas de cette expérimentation.

M. Marc Guillaume . - Pendant de nombreux mois, la Haute autorité de santé n'a pas été convaincue par cette proposition de loi.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Mais ce n'est pas à elle de juger.

M. Marc Guillaume . - Nous avons tout fait pour que ces décrets sortent à temps.

Nous allons poursuivre nos efforts pour une meilleure application des lois.

M. Claude Bérit-Débat , président . - Pour ce qui nous concerne, il appartient à chaque commission de contrôler l'application des lois dont elle a la responsabilité. Je me réjouis des progrès accomplis.

En revanche, je m'inquiète de l'absence de réponse à certaines des questions écrites que posent nos collègues. Certains ministres ne répondent pas, si bien que des sénateurs n'ont d'autre recours que de poser des questions orales le mardi matin pour obtenir des réponses à leurs questions écrites, mais, par contrecoup, trouver un créneau devient difficile ; la file d'attente atteint désormais trois ou quatre mois.

M. Marc Guillaume . - Le ministre chargé des relations avec le Parlement aborde ce problème tous les mois, en même temps qu'il parle de l'application des lois. Notre objectif est d'arriver à répondre à toutes les questions écrites avant l'été. Au cours du mois qui vient de s'écouler, il a été répondu à un quart des questions en souffrance.

Mais en arrière-plan, n'oublions pas que les effectifs de l'administration centrale - soit 77 000 personnes sur un total de 1,8 million d'agents - ont diminué de 10 % durant les dix dernières années.

M. Claude Bérit-Débat , président . - Merci d'avoir porté à notre connaissance tous ces éléments.

La réunion est levée à 17 h 45.

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