Rapport d'information n° 193 (2015-2016) de MM. Hervé MAUREY et Patrick CHAIZE , fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, déposé le 25 novembre 2015

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N° 193

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 novembre 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) par le groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire (2), sur la couverture numérique des territoires : veiller au respect des engagements pour éviter de nouvelles désillusions ,

Par MM. Hervé MAUREY et Patrick CHAIZE,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Hervé Maurey , président ; MM. Guillaume Arnell, Pierre Camani, Gérard Cornu, Ronan Dantec, Mme Évelyne Didier, M. Jean-Jacques Filleul, Mme Odette Herviaux, MM. Louis Nègre, Rémy Pointereau, Charles Revet , vice-présidents ; Mme Natacha Bouchart, MM. Jean-François Longeot, Gérard Miquel , secrétaires ; MM. Claude Bérit-Débat, Jérôme Bignon, Mme Annick Billon, M. Jean Bizet, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Patrick Chaize, Jacques Cornano, Michel Fontaine, Alain Fouché, Benoît Huré, Mme Chantal Jouanno, MM. Jean-Claude Leroy, Philippe Madrelle, Didier Mandelli, Jean-François Mayet, Pierre Médevielle, Louis-Jean de Nicolaÿ, Cyril Pellevat, Hervé Poher, David Rachline, Michel Raison, Jean-Yves Roux, Mme Nelly Tocqueville, MM. Michel Vaspart, Paul Vergès.

(2) Ce groupe de travail est composé de : M. Hervé Maurey , président ; MM. Pierre Camani, Patrick Chaize , vice-présidents ; M. Jérôme Bignon, Mmes Annick Billon, Natacha Bouchart, Évelyne Didier, MM. Jean-François Longeot, Louis-Jean de Nicolaÿ, Rémy Pointereau, Jean-Yves Roux.

SYNTHÈSE

« Envol du très haut débit », « explosion des investissements », « décollage des réseaux d'initiative publique », autant de métaphores entendues ou lues au gré des auditions, des colloques et des communications officielles. Lors de la seconde conférence du très haut débit, organisée en juillet 2015, la secrétaire d'État chargée du numérique s'était félicitée que « tous les intérêts convergent » en matière de déploiements. La couverture numérique de la France en 2015 offre pourtant un tableau loin d'être aussi flatteur . Il y a au contraire tout lieu de considérer que l'évolution observée n'est pas de nature à répondre réellement aux inquiétudes de ses territoires.

Dans la continuité de la précédente majorité, le Gouvernement s'est engagé dans une feuille de route pour le numérique au début de l'année 2013, promettant une couverture totale de la population en très haut débit d'ici 2022. Plus de deux ans après le lancement de cette stratégie numérique, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a décidé de mettre en place en son sein un groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire , afin d'établir une première évaluation de la mise en oeuvre de ces engagements, de formuler des propositions en amont du futur projet de loi sur le numérique, et de faire un point sur la couverture de nos territoires par les réseaux de communications électroniques fixes et mobiles.

En matière de réseaux fixes à très haut débit, les déploiements progressent globalement , grâce à la mobilisation des différentes parties prenantes. Cet état des lieux est plus contrasté si l'on observe la répartition géographique et technologique de la couverture en très haut débit de la population, estimée à 44,3 % de logements et locaux éligibles au deuxième trimestre de l'année 2015. En termes de technologies, cette progression s'appuie principalement sur une rénovation du réseau de cuivre et du réseau de câble , dont la capacité en débit n'est pas de même nature que la fibre optique : environ 30 Mbit/s en flux descendant, alors que la fibre offre un débit symétrique dépassant 100 Mbit/s. Le développement de la fibre optique de bout en bout, « frontière technologique » du numérique, représente encore une fraction limitée de la couverture en très haut débit. L'appétence des utilisateurs pour une migration vers des offres de services très haut débit reste également à confirmer. Au total, seuls 12,5 % des logements et locaux sont effectivement raccordés et abonnés au très haut débit en France.

Plus encore que l'enjeu technologique, la répartition territoriale du très haut débit fixe laisse présager de nouvelles inégalités territoriales . L'absence de garanties sur la complétude des réseaux en zone très dense, la faiblesse du conventionnement pour les engagements des opérateurs privés en zone intermédiaire, et les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales pour viser une couverture totale de la zone d'initiative publique fragilisent significativement les objectifs nationaux du Gouvernement, et la répartition territoriale des progrès enregistrés.

Quelle part de la zone d'initiative privée sera effectivement couverte par les opérateurs ? Quelle est l'ampleur des efforts qui resteront à accomplir dans la zone d'initiative publique en 2020 ? Quels seront les financements mis à disposition des collectivités territoriales ? Quel sera le coût réel du déploiement intégral du très haut débit ? Autant d'interrogations pour lesquelles le groupe de travail n'a pu obtenir, dans le meilleur des cas, que des réponses partielles.

Comme trop souvent en matière d'aménagement du territoire, force est de constater que les informations sur le détail géographique des réseaux et des déploiements restent parcellaires, épargnant ainsi aux responsables nationaux de s'interroger plus avant sur l'impact territorial de leur planification. Ce déficit de connaissance et de transparence sur la réalité des déploiements donne le sentiment qu'en matière de très haut débit, l'État navigue parfois à vue. Pourtant, selon l'adage bien connu, gouverner impose de prévoir. A fortiori lorsque l'enjeu en présence est de déployer une infrastructure aussi essentielle pour notre pays, son développement économique et ses territoires.

Dans le même temps, certains secteurs restent confrontés à une couverture défaillante en matière de haut débit de qualité . À ce jour, plus d'un Français sur dix ne dispose pas d'un accès à un débit supérieur à 3 Mbit/s, niveau jugé indispensable à une utilisation « de base » des applications numériques et déjà sur le point d'être dépassé par les besoins des nouveaux usages (8 Mbit/s sont nécessaires au minimum pour accéder au triple play avec la télévision en haute définition). L'absence de stratégie spécifique pour mettre un terme à cette exclusion numérique aboutit à une progression très limitée de la couverture en haut débit. Il s'agit pourtant d'un objectif de cohésion, visé par la feuille de route du Gouvernement de 2013, et qui doit être atteint rapidement afin de permettre à tous nos concitoyens de suivre l'évolution des usages dans des conditions acceptables.

La couverture mobile demeure également très lacunaire , malgré les interpellations récurrentes de notre assemblée sur les fragilités du cadre imposé aux déploiements privés. Certains territoires sont dépourvus de réseau 2G et donc de tout accès à la téléphonie mobile, un nombre plus élevé encore n'a pas été couvert par les opérateurs en internet mobile 3G malgré leurs engagements, tandis que la progression globale du très haut débit par la 4G exclut encore à ce jour près de 70 % du territoire national. Cet état des lieux, déjà peu satisfaisant, se double d'une connaissance encore limitée de la disponibilité réelle des réseaux et de la qualité de service constatée par les utilisateurs dans leurs tentatives quotidiennes pour les utiliser. Les récents engagements du Gouvernement en matière de couverture mobile devront aller au-delà des effets d'annonce , pour se concrétiser par une progression rapide dans nos territoires. Des éléments d'inquiétude apparaissent déjà en la matière.

Il est en effet inacceptable que certains Français situés en zone rurale ou de montagne n'aient accès qu'aux services minimaux de communications électroniques, par le fixe et le mobile, voire à aucun réseau, alors que les habitants des grandes villes se voient offrir des services toujours plus performants . En matière de réseau fixe, le rapport entre les accès varie de 1 à 100, certains utilisateurs disposant d'un débit supérieur à 100 Mbit/s, tandis que d'autres sont confrontés à un débit inférieur à 1 Mbit/s. Quant au mobile, le décalage est encore plus flagrant, si l'on compare l'absence de tout accès à la téléphonie mobile 2G dans certains territoires, avec la disponibilité d'offres « 4G+ » et bientôt 5G dans les grandes villes. Ce décalage est d'autant plus inacceptable que la plus-value apportée par les dernières technologies est bien plus importante dans les territoires ruraux que dans les zones urbaines déjà bien dotées, compte tenu de la rupture avec les débits actuellement disponibles. Une telle évolution des déploiements, en reproduisant sans cesse un schéma descendant, réserve aux territoires les plus fragiles un accès tardif, voire inexistant, alors même qu'ils en ont le plus besoin.

À cet égard, vos rapporteurs attirent l'attention du Gouvernement et de l'ensemble des parties prenantes sur les nombreuses déceptions et désillusions qui émaillent déjà l'histoire du déploiement des réseaux de communications électroniques dans notre pays . En s'appuyant sur des effets d'annonce et des échéances souvent définies de façon approximative et inconséquente, les gouvernements successifs créent un mécontentement croissant dans nos territoires compte tenu du décalage entre ces promesses et leur mise en oeuvre. Si certaines difficultés en matière de déploiement sont intervenues postérieurement à la planification gouvernementale, d'autres problèmes sont connus depuis de nombreuses années. À cause de l'inertie des gouvernements successifs , vos rapporteurs regrettent que de nombreux dangers identifiés par des travaux sénatoriaux depuis plusieurs années se soient effectivement réalisés, que certaines situations n'aient que très peu évolué et que plusieurs solutions de bon sens proposées par le Parlement n'aient pas été adoptées. Comment ne pas déplorer à cet égard que la proposition de loi visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, adoptée par le Sénat en février 2012, ait été rejetée par l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement en novembre de la même année ? L'aménagement numérique du territoire en aura été la principale victime.

Face à ce constat, il s'agit d'intervenir rapidement afin d'accélérer la résorption des fractures existantes et de prévenir l'apparition de nouvelles inégalités numériques .

Les auditions organisées par le groupe de travail ne révèlent pas un climat aussi consensuel que le prétend le Gouvernement. Si le déploiement des réseaux relève fondamentalement de l'initiative privée dans un marché ouvert à la concurrence, vos rapporteurs regrettent que les opérateurs d'envergure nationale, présents à la fois sur le marché de gros et sur le marché de détail, aient une emprise considérable sur des millions de citoyens en attente du très haut débit, ainsi que sur des milliers de collectivités territoriales dont l'avenir en termes de couverture ou de commercialisation est suspendu à la stratégie de ces opérateurs. Sur tous les sujets numériques, les collectivités territoriales semblent « otages » des opérateurs privés. La disproportion dans ce rapport de force intime à l'État d'être plus présent, afin d'assurer la contribution des opérateurs à une infrastructure d'intérêt général.

L'objectif de l'action publique et des programmes de déploiement est de doter notre pays d'une infrastructure de pointe à temps, sur l'ensemble du territoire national. Selon plusieurs grands axes, le présent rapport, sans bouleverser le cadre des projets de déploiement, formule des propositions concrètes pour garder la France de nouveaux écueils en matière de couverture numérique, qui seraient particulièrement dommageables au développement de nos territoires. Il vise à assurer le respect des engagements pris, pour éviter de nouvelles désillusions.

PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DU GROUPE DE TRAVAIL

1. Associer systématiquement le Parlement aux choix structurants de la couverture numérique des territoires et créer un établissement public dédié au pilotage du très haut débit , doté de moyens renforcés et d'une gouvernance partagée entre État, collectivités territoriales et opérateurs.

I. Assurer le respect des engagements des opérateurs privés pour le déploiement du très haut débit fixe.

2. Demander dès le début de l'année 2016 aux opérateurs privés s'ils confirment leurs engagements de déploiements, et dans l'affirmative mettre en place une contractualisation claire et précise (calendrier de déploiement contraignant, montant annuel des investissements...), assortie de sanctions financières prises par le régulateur en cas d'inexécution. En l'absence de contractualisation, permettre aux collectivités de déployer un réseau d'initiative publique avec le soutien financier de l'État dans les zones concernées .

3. Veiller au respect du principe de complétude dans la zone moins dense et renforcer le suivi de l'État et du régulateur sur la progression et l'homogénéité des déploiements dans l'ensemble de la zone préemptée par les opérateurs.

II. Renforcer le soutien aux déploiements menés par les collectivités territoriales et leurs délégataires.

4. Pérenniser et renforcer le subventionnement de l'État par la mise en place d'un fonds alimenté par une contribution de solidarité numérique , assise sur les abonnements haut débit et très haut débit, pour assurer une véritable péréquation entre zones urbaines et zones rurales.

5. Permettre de fédérer les réseaux d'initiative publique lors de leur commercialisation , en prévoyant par voie législative la possibilité de créer un syndicat de syndicats, afin de rééquilibrer le rapport de force entre collectivités territoriales et opérateurs privés.

6. Garantir aux collectivités territoriales la possibilité d'adapter la commercialisation et la tarification aux spécificités des réseaux d'initiative publique afin d'améliorer l'attractivité des réseaux.

7. Faire en sorte que les opérateurs utilisent les réseaux déployés par les collectivités territoriales dès lors qu'ils auront obtenu une certification de leur qualité technique, délivrée par un organisme neutre.

III. Rendre l'environnement technologique et technique plus favorable au déploiement de la fibre optique.

8 . Réaffirmer l'objectif du FttH par un encadrement du recours à la montée en débit sur cuivre, en vérifiant systématiquement sa compatibilité avec un déploiement ultérieur de la fibre optique, sauf impossibilité technique ou économique dûment justifiée par la situation locale.

9 . Sécuriser les opérations de montée en débit sur cuivre , par un ajustement du cadre juridique, économique et technique de cette technologie : mise en conformité avec le droit européen, récupération de la taxe sur la valeur ajoutée, régulation de l'offre PRM d'Orange.

10 . Faciliter l'accès des collectivités territoriales aux infrastructures d'accueil existantes et réglementer sa tarification , renforcer les servitudes d'utilité publique au bénéfice de la fibre et simplifier la procédure de raccordement des immeubles, pour accélérer le déploiement .

11 . Mettre en place un dispositif de basculement volontariste du cuivre vers la fibre optique : expérience d'extinction en zone d'initiative publique, calendrier de basculement défini dans les SDTAN, critère de complétude adapté à l'obtention du statut de zone fibrée en territoire rural, mesure tarifaire sur le cuivre, aide financière à l'achèvement des plaques, labellisation de la zone.

IV. Désenclaver rapidement tous les territoires privés d'accès au haut débit.

12 . Définir un droit au haut débit de qualité pour assurer un accès supérieur à 3 Mbit/s à l'ensemble de la population d'ici 2017 en prévoyant des incitations financières spécifiques et en développant les technologies complémentaires : nouvelles capacités satellitaires, subventionnement d'une composante hertzienne terrestre, élargissement de la bande de fréquences 3,5 GHz, commercialisation de la 4G à usage fixe.

13 . Accélérer le raccordement des sites stratégiques pour les territoires par un subventionnement accru , afin de diffuser rapidement les progrès du numérique là où ils sont le plus nécessaires (santé, éducation, administration, attractivité économique...)

V. Assurer réellement la couverture mobile des territoires.

14 . Modifier les critères et les méthodes de mesure de la couverture pour disposer d'un recensement conforme à la réalité des réseaux dans les territoires ruraux.

15. Viser une couverture intégrale de la population en 4G en 2022 pour disposer d'une technologie très haut débit en l'absence de réseau fixe à très haut débit dans les territoires isolés.

16 . Assurer l'efficacité réelle des annonces du Gouvernement en termes de couverture mobile : identification exhaustive des sites, clef de répartition des aides aux collectivités, obligations précises des opérateurs sur les infrastructures mises à disposition, calendrier local de déploiement, contrôles et sanctions par le régulateur, association des élus locaux au suivi.

17. Développer une approche intégrée des réseaux fixes et mobiles pour prévenir le risque d'isolés multi-technologies, et soutenir le développement du très haut débit mobile à usage fixe pour surmonter l'absence d'accès filaire de qualité et faciliter l'extinction du réseau de cuivre.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'utilisation du numérique irrigue désormais l'ensemble de notre vie individuelle et collective. Cette évolution n'a vocation qu'à croître dans les prochaines années, par des applications toujours plus innovantes pour les particuliers, les entreprises et les services publics. Les effets du développement du numérique sur l'ensemble des politiques publiques sont également considérables, en modifiant à la fois les besoins de la société et les réponses à apporter, qu'il s'agisse de l'accès à la santé et à la culture, de la réinvention de notre modèle d'enseignement, ou encore du renouvellement des relations entre administrations et citoyens.

Bénéficier de l'ensemble des avantages apportés par les technologies numériques suppose toutefois de disposer d'un accès de qualité aux réseaux. Si les usages sont la raison d'être des infrastructures, ces dernières constituent le support indispensable aux applications numériques d'aujourd'hui et de demain. De même qu'il n'y a pas de mobilité sans réseaux de transport, il ne saurait y avoir de transition numérique réussie sans réseaux de communications électroniques de dernière génération.

Les technologies numériques créent des opportunités de développement pour les territoires mais peuvent également être à l'origine de nouvelles disparités . Le développement inégal du numérique entre les territoires, en termes d'infrastructures ou d'usages, n'est guère nouveau : la fracture numérique est une préoccupation ancienne pour les élus locaux. Le Sénat s'est intéressé à ce sujet de longue date, et l'a constamment combattu dans ses travaux.

Compte tenu de l'importance de la mutation numérique pour nos territoires, votre commission a donc décidé de se saisir de ce sujet, en créant en son sein un groupe de travail le 4 mars 2015. L'aménagement numérique du territoire est en effet pris dans un paradoxe : il s'agit à la fois d'un domaine particulièrement technique et complexe, encore trop souvent négligé, et d'une question essentielle pour l'avenir de notre pays.

L'aménagement numérique du territoire doit garantir que le numérique est un outil au service de l'égalité des territoires et non la source de nouvelles fractures, qu'il s'agisse de réseaux fixes ou mobiles. Le numérique peut être un formidable outil d'aménagement du territoire en réduisant les inégalités territoriales résultant de l'absence d'infrastructures et de services . La couverture numérique n'est toutefois qu'un élément de la révolution numérique dans son ensemble, qui constitue une rupture technologique majeure dont l'ampleur reste difficile à appréhender.

Dans la continuité des projets de la précédente majorité, le Gouvernement s'est engagé, au début de l'année 2013, dans une stratégie numérique visant une couverture totale de la population en réseau fixe à très haut débit dans un délai de dix ans. À cette ambition relative aux réseaux fixes de nouvelle génération, s'ajoutent les promesses d'un accès pour tous au haut débit à court terme, et d'un achèvement rapide de la couverture mobile par les réseaux de différentes générations.

Au-delà des effets d'annonce, qui rythment l'histoire des réseaux de communications électroniques dans notre pays, il s'agit de vérifier l'adéquation des moyens mobilisés et la mise en oeuvre de ces engagements, pour permettre aux territoires de s'engager pleinement dans la transition numérique. En effet, la défaillance de la planification gouvernementale aurait pour effet d'accroître les fragilités des territoires, particulièrement en zone rurale et en zone de montagne, au risque d'engendrer une nouvelle désertification, mettant en péril leur avenir.

À l'orée de l'année 2016, le présent rapport propose un bilan d'étape sur la couverture numérique, à l'aune des objectifs visés dans la feuille de route du Gouvernement sur le numérique, près de trois ans après son lancement. Malgré le manque d'informations sur la répartition territoriale des déploiements - problème récurrent en matière d'aménagement du territoire - un certain nombre de difficultés, et de fragilités potentielles ont été identifiées. Plusieurs incertitudes et interrogations soulevées par ce rapport peuvent être liées à des transitions ou des processus en cours, qui restent à confirmer ou à infirmer, et dont l'ampleur exacte est délicate à établir à ce jour. Mais d'autres problèmes se développent ou se maintiennent, depuis déjà plusieurs années, malgré les nombreuses mises en garde du Parlement.

Si le lancement d'un chantier majeur pour le XXI ème siècle, et coûteux en ressources financières, nécessite une mobilisation sans équivoque de l'ensemble des parties prenantes, vos rapporteurs ont opté dans le présent rapport pour une approche pragmatique, afin d'examiner la réalité de la couverture numérique dans les territoires. Sans remettre en question l'enthousiasme qui saisit les acteurs mobilisés, proposer un bilan d'étape impose de regarder la réalité de l'aménagement numérique du territoire sans oeillères.

Infléchir et accélérer la trajectoire de la couverture numérique sans bouleverser l'environnement des projets de déploiement , tel est l'esprit du présent rapport, afin de mettre enfin un terme à l'enclavement de nos territoires, et de permettre à chacun de bénéficier des progrès apportés par le numérique.

I. LA COUVERTURE NUMÉRIQUE DE NOS TERRITOIRES : UN IMPÉRATIF D'INTÉRÊT GÉNÉRAL AU XXIE SIÈCLE

Le déploiement homogène des réseaux de communications électroniques dans les territoires est l'objectif premier de l'aménagement numérique du territoire, afin de permettre l'accès aux technologies numériques partout en France et à un tarif accessible . L'importance considérable que prend la révolution numérique dans la vie collective et individuelle nécessite en effet la mise en place d'infrastructures dans l'ensemble du pays pour garantir que chacun puisse bénéficier de tous les services et usages numériques, aujourd'hui et demain. Dans la société de l'information et de la communication, l'ensemble des particuliers, entreprises et services publics doit ainsi pouvoir se connecter facilement aux réseaux de communications électroniques, de n'importe quel point du territoire.

A. LES ENJEUX D'UN AMÉNAGEMENT NUMÉRIQUE DU TERRITOIRE RÉUSSI

Alors que votre co-rapporteur mentionnait en 2010 les opportunités des réseaux de nouvelle génération 1 ( * ) , l'enjeu, à l'orée de l'année 2016, est de permettre à la France et à l'ensemble de ses territoires d'être à l'avant-garde du progrès technologique. Dans une étude opportunément nommée « Pourquoi la fibre optique tout de suite ? », la Caisse des dépôts soulignait en décembre 2013 les nombreux enjeux nationaux et locaux d'un déploiement rapide des réseaux en fibre optique. Pour ne pas décrocher, ni voir certains territoires péricliter, notre pays doit se doter à temps d'une infrastructure de nouvelle génération pérenne et répartie sur l'ensemble du territoire . Sans un effort accru pour l'aménagement numérique du territoire, les bénéfices de la révolution numérique resteront sous-exploités et inégalement répartis.

1. Un levier de transformation économique pour le pays et ses territoires

L'apport macroéconomique des technologies numériques est déjà visible , bien qu'il demeure impossible d'appréhender toute l'étendue de cette « troisième révolution industrielle ». En 2011, la contribution totale de l'économie numérique à la croissance française était évaluée à 0,21 point soit 26 % de la croissance constatée 2 ( * ) . La filière du numérique est une filière à forte valeur ajoutée et créatrice de nombreux emplois. Le cabinet McKinsey évaluait l'importance de la filière à 3,2 % du PIB en 2009, soit 60 milliards d'euros, et à 5,5 % du PIB en 2015. Près d'1,15 millions d'emplois ont par ailleurs été créés en lien avec le développement du numérique. Le chantier du très haut débit* 3 ( * ) constitue en lui-même un facteur de croissance nationale et locale , comme le soulignait votre co-rapporteur dès 2010. Selon l'étude réalisée en 2014 par le cabinet Arthur D. Little pour la Fédération française des telecoms 4 ( * ) , 1 euro investi dans le très haut débit génère 6 euros de PIB, et près de 100 milliards d'euros de PIB cumulés seraient créés entre 2013 et 2022 par les investissements des opérateurs dans les réseaux. Par ailleurs, la même étude souligne que le taux de croissance de l'écosystème numérique est deux fois supérieur à celui de l'activité économique dans son ensemble.

COMPARAISON ENTRE LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET LA CROISSANCE DE L'ÉCOSYSTÈME NUMÉRIQUE

Source : Arthur D. Little, 2014

Les réseaux de communications électroniques constituent des infrastructures stratégiques pour le pays, à l'instar des réseaux de transport, de distribution d'eau et d'énergie, ou encore de traitement des déchets. Tout comme le déploiement de l'électricité hier a révolutionné les modes de vie et l'économie en proposant de nouveaux produits et en optimisant le système de production , la mise en place d'un réseau très haut débit doit permettre demain d'améliorer l'attractivité de la France et de ses territoires, afin d'en faire une destination toujours privilégiée pour les investissements . L'attractivité économique et résidentielle de notre pays repose en grande partie sur la qualité de ses infrastructures et de ses services publics. Il est donc essentiel de préserver et de développer ces atouts par une politique d'aménagement numérique du territoire. Des infrastructures de communications électroniques de dernière génération sont un facteur essentiel pour l'amélioration de la croissance potentielle française.

PROPORTION DE FOYERS RACCORDABLES EN 2014
DANS LES PRINCIPAUX PAYS EUROPÉENS

Source : IDATE, sur la base des technologies FttX (FttH, FttB, FttLA)

Malgré les efforts menés depuis 2010, la France reste dans une position intermédiaire au sein de l'Union européenne en matière d'accès au très haut débit . Une étude de la Commission européenne publiée en février 2015 souligne ainsi que seuls 43 % des foyers français sont raccordables au très haut débit fixe et 12 % des foyers sont effectivement abonnés à une offre très haut débit, contre une moyenne européenne respectivement de 68 % et de 24 %. Si les effets de la planification gouvernementale en faveur du FttH ne sont pas encore pleinement visibles ( II.A ), il est impératif de permettre à la France de disposer d'infrastructures à la mesure de sa position , sixième économie mondiale en termes de PIB nominal. Doter notre pays d'un réseau de nouvelle génération est une condition sine qua non pour permettre à l'économie française de se maintenir à la « frontière technologique » . L'accès au très haut débit apparaît comme l'élément indispensable d'un écosystème favorable à l'innovation. En améliorant la réactivité des entreprises, en réduisant leurs coûts de production et en leur ouvrant de nouveaux marchés, le numérique contribue fortement à la compétitivité des entreprises. Le rapport annuel du plan France très haut débit estime ainsi à 40 % l'augmentation potentielle du résultat opérationnel d'une entreprise qui réussit sa mutation numérique.

Au niveau local, la mise en place d'infrastructures très haut débit est un levier de développement économique pour les territoires . Une étude menée conjointement par la Caisse des dépôts et l'IDATE en novembre 2013 souligne que les territoires dotés de réseaux d'initiative publique* (RIP) ont mieux résisté à la crise économique 5 ( * ) . L'existence d'un RIP, particulièrement lorsqu'il permet le raccordement des zones d'activités, crée un environnement favorable au développement de la filière numérique : le poids économique de la filière dans le tissu économique local est de 5,8 % contre 3,9 % en l'absence de RIP. Par ailleurs, la mise en place de clusters, comme des pôles de compétitivité dédiés à l'économie numérique, est facilitée par l'existence d'un tel réseau .

Ces déploiements permettent également de préserver l'emploi, à la fois dans le cadre de l'industrie des RIP ( I.D ) mais également en créant un environnement propice aux entreprises innovantes, et en améliorant l'activité de l'ensemble des entreprises existantes grâce à des externalités positives. La mise en place d'un RIP a ainsi permis de réduire de 0,5 % le taux de chômage au niveau local, par rapport aux territoires non dotés . La neutralisation de la distance, permise par le numérique, est donc une chance pour le tissu économique des territoires ruraux, riche en petites et moyennes entreprises (PME). A contrario , aucune entreprise ne s'installe ou ne reste durablement dans une zone non couverte. La qualité des communications électroniques est depuis déjà plusieurs années l'un des critères essentiels du choix d'implantation des entreprises.

Dans une économie fortement « tertiarisée », le très haut débit doit également permettre de développer le télétravail. Il s'agit d'une opportunité à saisir pour améliorer l'attractivité résidentielle des territoires ruraux, en surmontant l'isolement par rapport aux grands centres urbains et en s'émancipant des contraintes existantes en matière de transports et de déplacements physiques. Le lancement en 2016 par la Direction générale de l'administration et de la fonction publique, la Direction générale du travail et le Commissariat général à l'égalité des territoires d'un plan national pour le développement du télétravail, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé, doit soutenir cette dynamique, particulièrement dans les territoires où une telle organisation du travail peut contribuer à vaincre l'isolement. Par ailleurs, l'accès au très haut débit devient un élément essentiel au tourisme, y compris dans les territoires les plus ruraux et dans les zones de montagne, compte tenu des exigences croissantes des utilisateurs en matière de connexion internet.

Le numérique est également un outil mobilisé au service du développement durable. En atténuant l'importance de la géographie et en permettant un échange à distance quasi-immédiat, les communications électroniques ont vocation à se substituer à certains déplacements. Le télétravail, la visioconférence, le cloud computing sont autant de services qui réduisent l'importance d'une proximité physique et les conséquences d'une desserte incomplète en transports terrestres. Avec le développement de villes et de réseaux intelligents ( smart cities et smart grids ) les réseaux de communications électroniques permettront également une gestion plus fine et en temps réel des flux, et donc une consommation plus équilibrée des ressources. Comme le souligne Jérémy Rifkin dans ses travaux sur la troisième révolution industrielle, les technologies de l'information et de la communication offrent des possibilités considérables pour réduire notre empreinte écologique 6 ( * ) . Le rapport du Climate group « Smart 2020 » évoque un facteur 5 quant à l'effet de levier de l'économie numérique sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Le développement des nouveaux réseaux de communications électroniques doit ainsi permettre de soutenir une croissance nouvelle et durable , aussi bien au niveau macroéconomique que dans chaque territoire.

2. Un outil de renouvellement des services publics

L'administration électronique ou e- administration correspond à la transformation des administrations par les technologiques numériques, à la fois dans leur fonctionnement interne et pour leurs relations avec les citoyens. L'objectif est d'améliorer les services existants et de proposer des dispositifs innovants afin d'accompagner les évolutions de la société civile.

De nombreux sites et plateformes internet ont été mis en place par les administrations et les institutions en vue d'améliorer l'information du citoyen sur l'action publique ( performance-publique.budget.gouv.fr ; vie-publique.fr ; legifrance.fr ; sites du Sénat et de l'Assemblée nationale ; gouvernement.fr ). Le numérique est ainsi un instrument au service d'une vie démocratique renouvelée et plus interactive. Des consultations publiques sont désormais organisées sur internet pour faciliter la participation des personnes intéressées, en particulier sur les sujets environnementaux.

Les collectivités territoriales ont également généralisé la mise en place de sites internet, afin d'améliorer l'information et la consultation des habitants sur la vie locale. Les évolutions les plus récentes de l' e -administration portent sur la diffusion des données publiques ou open data. Condition d'une meilleure transparence de l'action publique et d'une vraie démocratie participative, l' open data vise à améliorer l'accès des citoyens aux données récoltées et utilisées par les administrations.

Le numérique permet aux administrations de proposer aux utilisateurs, particuliers comme entreprises, des procédures rapides et simplifiées , quels que soient l'heure et le lieu. Il est ainsi possible, sur internet, de procéder aux déclarations fiscales et au paiement de l'impôt ( impots.gouv.fr ), de suivre le remboursement des dépenses de santé prises en charge par la sécurité sociale ( ameli.fr ) ou encore de demander un extrait de casier judiciaire ( cjn.justice.gouv.fr ). Sans légitimer la disparition de points d'accueil physique pour les services publics, ces services en ligne permettent de compenser la moindre présence des administrations dans certains territoires ruraux. Vos rapporteurs soulignent toutefois l'importance de mettre à disposition des « télécentres », et de développer des maisons de services publics, pour maintenir un contact humain entre citoyens et administrations, et d' accompagner les publics fragiles et éloignés des nouvelles technologies . Afin de permettre l'accès de chacun aux services publics en ligne, le développement de l'e- administration suppose une meilleure prise en compte des enjeux d'accessibilité des services numériques pour les usagers souffrant de handicaps, notamment dans la conception des sites internet des administrations et des collectivités territoriales.

Les technologies numériques sont également mobilisées pour accompagner une évolution des pratiques éducatives . Le développement de l' e -éducation repose sur un recours au numérique pour enrichir et dynamiser l'enseignement scolaire : exercices et corrections, cours en ligne, accès à la connaissance. Le volet pédagogique de l'école numérique s'appuie sur un volet équipement. Dès 2009, le Gouvernement a mis en place un plan « écoles numériques rurales », visant à soutenir l'équipement de 6 700 écoles situées dans les territoires ruraux. Toutefois, l'acquisition de matériel moderne (parc informatique, tablettes tactiles, tableaux digitales...) suppose au préalable l'accès des établissements scolaires à un débit* de qualité . En 2013, l'Inspection générale de l'éducation nationale estimait que la France était en retard en termes de connexions internet pour les établissements scolaires. En matière de très haut débit, seulement 10 % des écoles primaires et 25 % des lycées professionnels étaient raccordés, contre respectivement 55 % et 70 % en Norvège. Les collèges et lycées étaient également moins bien raccordés que la moyenne des autres pays européens. Le rapport recommandait ainsi de développer les infrastructures à disposition des établissements scolaires 7 ( * ) . Dans le cadre du plan France très haut débit, un appel à projet « écoles connectées » a été lancé, afin de soutenir le raccordement des établissements aujourd'hui dépourvus d'un haut débit* de qualité. Comme le souligne un récent rapport de l'OCDE sur l'équipement et les compétences numériques des élèves, le simple ajout d'une « dose de numérique » dans les programmes ne suffit toutefois pas à assurer la contribution de ces technologies à un meilleur modèle d'éducation nationale 8 ( * ) . L'organisation suggère d'intégrer plus efficacement le numérique dans l'école, en privilégiant une approche qualitative et non pas seulement quantitative par simple ajout d'équipements et d'heures dédiées au numérique.

Pour être réussie, la transition numérique doit s'accompagner d'une appréhension plus fine de l'impact de ces technologies sur les besoins des citoyens et sur les réponses à apporter par les différentes politiques publiques.

3. Des infrastructures nouvelles pour accompagner l'évolution des usages numériques

Les technologies numériques prennent une place considérable dans la vie quotidienne des particuliers et des entreprises . Dans les territoires peu denses, l'accès à internet, qu'il soit fixe ou mobile, permet de surmonter l'offre plus réduite de services. Qu'il s'agisse d'information par les sites de presse en ligne, de l'utilisation des réseaux sociaux, de la recherche d'emplois ou d'un logement, ou encore de la réservation de billets, internet est devenu un vecteur privilégié d'intégration sociale. Le numérique permet également de disposer d'une offre culturelle particulièrement étendue, et précieuse dans les territoires ruraux. Les utilisateurs peuvent désormais consulter des e - books , télécharger des albums de musique, visionner en streaming des films et des séries plus rapidement, et jouer à des jeux en ligne. Ces technologies permettent également de développer le commerce en proposant au consommateur une offre de produits bien plus diversifiée et à des prix plus compétitifs. En 2015, le commerce en ligne s'élève à 56,3 milliards d'euros, soit une augmentation de 13 % par rapport à 2013 9 ( * ) .

Bénéficier de l'ensemble des usages offerts par les technologies numériques suppose de disposer d'un service de communications électroniques suffisant, à la fois en terme de couverture et de qualité. Un accès confortable au numérique nécessite donc la mise à disposition d'infrastructures de communications électroniques adaptées .

Source : CEREMA

Le déploiement d'infrastructures très haut débit vient ainsi accompagner les nouvelles applications du numérique, sans cesse plus consommatrices de données . La transmission de photos en haute résolution, le développement de la télévision à la demande ( VOD), la visioconférence, le cloud computing , les jeux en ligne ou encore les objets connectés demandent des débits croissants pour être utilisés dans des conditions satisfaisantes.

Source : CEREMA

Le débit nécessaire pour bénéficier d'un accès confortable aux applications numérique augmente donc constamment . Il y a quelques années, un débit descendant compris entre 512 Kbit/s et 1 Mbit/s était suffisant. Il est fort probable que le haut débit aujourd'hui qualifié « de qualité », défini entre 3 et 4 Mbit/s soit déjà dépassé par les applications actuelles. La navigation internet nécessite à elle seule un débit important pour permettre l'accès aux différents sites, compte tenu de la multiplication de données à recevoir et à transmettre : images, sons, animations flash , incrustations de vidéos... À l'horizon 2024, un accès confortable à internet devrait nécessiter un débit descendant de 100 Mbit/s. Par ailleurs, les envois de fichiers (débit montant) se développent avec le travail à distance et le cloud computing, aux côtés des téléchargements (débit descendant). La France, et l'Europe, restent en retard par rapport à d'autres pays développés. Au Japon et en Corée du Sud, les infrastructures permettent déjà d'offrir des services « ultra haut débit » dépassant 1 Gbit/s.

Les infrastructures et les usages sont dans une relation d'interdépendance . Si le développement initial des premières rend possible les seconds, c'est le développement des applications et surtout leur diffusion progressive chez les utilisateurs qui crée une appétence pour de meilleurs débits, et donc une demande de services de meilleure qualité. Cette nouvelle demande améliore la rentabilité des investissements dans les infrastructures et permet d'accélérer leur déploiement. Une fois l'évolution lancée, le déploiement des infrastructures et le développement des usages interagissent et se renforcent réciproquement sur la durée. Toutefois, l'ampleur de cette dynamique, sa répartition dans le temps et les capacités financières des acteurs du déploiement conditionnent grandement le rythme de réalisation des infrastructures.

4. Le très haut débit : opportunité de résorption des fractures territoriales ou  accentuation des inégalités existantes ?

Cette évocation des principaux enjeux du numérique doit permettre de rappeler l'impérieuse nécessité d'un déploiement réussi des réseaux de communications électroniques, condition sine qua non pour que tous les territoires, et donc tous les citoyens, puissent bénéficier du plein potentiel offert par le numérique. Vos rapporteurs sont convaincus que le déploiement des infrastructures, guidé par une politique d'aménagement du territoire ambitieuse et réussie, peut contribuer durablement à une résorption des fractures territoriales . En ce sens, l'accès au numérique apparaît comme un instrument particulièrement puissant au service de l'égalité des territoires. En abolissant les distances, la fibre optique est une chance considérable pour favoriser l'intégration de tous les territoires, urbains comme ruraux.

Toutefois, l'expérience de nombreux élus locaux en matière de numérique révèle déjà les conséquences de la fragmentation des infrastructures ou de leur absence dans les territoires ruraux . Le thème de la « fracture numérique » n'est guère nouveau. Les défaillances persistantes constatées en matière d'accès fixe au haut débit ( II.D ) ou de couverture en téléphonie mobile ( III.A ) témoignent des difficultés résultant d'un déploiement lacunaire des infrastructures de communications électroniques dans les territoires moins denses. S'il est essentiel que le déploiement en cours du très haut débit n'aboutisse pas aux mêmes écueils, la résolution de la fracture en matière de haut débit fixe et de téléphonie mobile pour les différentes générations de réseaux est une problématique de court terme qui reste à traiter.

La contribution potentielle du numérique à la préservation d'une politique de santé publique de qualité dans tous les territoires , témoigne des opportunités offertes par ces technologies pour l'aménagement de nos territoires. Le maintien des services de santé est une préoccupation particulièrement forte de nos concitoyens dans les territoires ruraux. Le vieillissement démographique, concomitant à une répartition géographique des professionnels toujours plus critique, engendre un problème croissant d'accès aux soins. Comme le soulignait votre co-rapporteur dans une étude de 2013 consacré à ce sujet, le développement de l' e -santé est une des solutions à mobiliser pour lutter contre la désertification médicale dans les territoires ruraux 10 ( * ) . La mise en place de dispositifs de télé-consultation, de télé-expertise, de télé-surveillance et de télé-assistance doit permettre de garantir l'accès aux soins dans les zones peu denses, particulièrement pour les personnes les plus vulnérables et les moins mobiles.

Le numérique représente donc une capacité de rattrapage à exploiter. À défaut, le déploiement des réseaux très haut débit serait une occasion manquée et même une faute devant l'intérêt général. En cas d'échec, le déploiement du très haut débit serait en effet une source supplémentaire d'inégalités territoriales. En ce sens, la responsabilité de l'assemblée à laquelle la Constitution confie « la représentation des collectivités territoriales de la République » est de ne pas se satisfaire de grands engagements et d'évolutions nationales, mais d'analyser leur réalité et leur répartition dans les territoires.

Si votre commission examine la question du numérique sous le prisme de l'aménagement du territoire, conformément à ses compétences, les réseaux ne constituent qu'une des facettes de la révolution numérique. En effet, les infrastructures ne prennent tout leur sens qu'à travers les usages qu'elles rendent possibles . La principale fonction des infrastructures est de « permettre » une utilisation, et leur risque majeur, en cas d'absence ou d'incomplétude est de l'« empêcher ». Les réseaux sont le support des services, usages et contenus numériques. Sans les infrastructures, l'accès au numérique est impossible.

La réalisation des infrastructures et la mise à disposition des citoyens d'un accès satisfaisant au numérique ne garantissent toutefois pas l'utilisation de ce potentiel. L'accompagnement des usages est un volet essentiel à développer , comme l'ont récemment souligné les travaux du Conseil national du numérique sur l'inclusion numérique 11 ( * ) . Les acteurs publics, État et collectivités territoriales, ont un rôle important à jouer afin de stimuler les usages, et de permettre effectivement l'accès de tous au numérique. Lorsqu'il ne s'agit pas d'un choix, la distance à l'égard des nouvelles technologies constitue un facteur d'exclusion considérable dans notre société actuelle. Que l'on s'en félicite ou qu'on le déplore, l'utilisation du numérique conditionne fortement l'intégration sociale des individus . Tout en créant les infrastructures physiques nécessaires à l'accès au numérique, il est essentiel de donner les outils aux citoyens, particulièrement les plus éloignés du numérique, pour s'en saisir.

B. LE CADRE JURIDIQUE DU TRÈS HAUT DÉBIT : À LA RECHERCHE D'UN DROIT STABLE ET EQUILIBRÉ

Le déploiement des réseaux de communications électroniques est structuré par un droit spécifique, composé de normes européennes, législatives et réglementaires. La recherche d'un équilibre, entre le libre établissement des réseaux par l'initiative privée et une intervention publique complémentaire et non distorsive , est au coeur des règles applicables aux infrastructures, afin de tendre vers un déploiement optimal.

Vos rapporteurs notent cependant que le caractère structurant du droit européen ne saurait justifier l'ensemble des décisions prises par l'État pour définir le modèle de déploiement du très haut débit. À plusieurs reprises, des choix plus contraignants pour l'action publique ont été retenus en France, limitant d'autant les possibilités d'intervention pour suppléer l'absence d'offre privée. Le cadre européen n'est pas aussi déterministe que le prétendent les gouvernements successifs pour justifier leurs décisions .

À cet égard, le droit européen n'impose pas un modèle unique de déploiement du réseau en fibre optique . Plusieurs stratégies alternatives au modèle retenu en France étaient disponibles : opérateur unique regroupant les ressources des opérateurs privés, opérateur unique financé par des fonds publics, partenariats public-privé, concessions sur le modèle autoroutier, déploiements décentralisés intégrant tout à la fois des zones rentables et non rentables en s'appuyant sur le régime du SIEG... Vos rapporteurs regrettent à cet égard que le modèle mis en oeuvre dans notre pays jusqu'à aujourd'hui offre une situation privilégiée aux opérateurs privés tout en fragilisant structurellement les réseaux déployés par les collectivités territoriales, au détriment d'une véritable politique d'aménagement numérique du territoire.

1. Un cadre européen privilégiant l'initiative privée et la concurrence

Le déploiement des réseaux fixes et mobiles, et les normes législatives et réglementaires adoptées afin de les encadrer, doivent respecter le droit européen de la concurrence et les règles spécifiques relatives au déploiement des réseaux de communications électroniques. Dans le cadre du marché intérieur, le secteur des communications électroniques a été pleinement libéralisé, et fait désormais l'objet d'une réglementation sectorielle.

Comme le soulignaient nos collègues Yves Rome et Pierre Hérisson en 2013 à l'occasion du contrôle de l'application des lois 12 ( * ) , le cadre européen privilégie systématiquement la concurrence par les infrastructures, en limitant l'intervention publique aux seuls cas avérés où l'insuffisance de l'offre privée ne permet pas un déploiement à moyen terme. Ces orientations fondamentales de la réglementation européenne structurent le droit national applicable aux communications électroniques.

Le principe de liberté d'établissement des réseaux, corollaire de la liberté d'entreprendre, prévaut depuis la directive 2002/77/CE de la Commission du 16 septembre 2002 relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques, sans qu'aucun opérateur ne puisse conserver ou acquérir des droits de tirage exclusifs pour l'exploitation de certains réseaux. En l'absence d'un actif public à valoriser selon les priorités des politiques publiques, comme les fréquences hertziennes, le principe de liberté d'établissement des réseaux limite la capacité d'action des pouvoirs publics sur les opérateurs de réseaux fixes , notamment la possibilité d'exiger des opérateurs privés des déploiements dans les zones où ils ne souhaitent pas déployer. En matière de très haut débit, l'incitation prévaut ainsi sur la coercition. La directive 2009/140/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 modifiant la directive de 2002, permet toutefois d' imposer un partage des infrastructures , lorsque le doublonnement des réseaux serait « économiquement inefficace ou physiquement irréalisable ».

La réglementation générale des aides d'État s'applique également au secteur des communications électroniques. Le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dispose ainsi : « Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions » (art. 107). Le TFUE prévoit toutefois certaines situations dans lesquelles les aides publiques sont compatibles avec les principes du marché intérieur, que la Commission européenne apprécie au cas par cas lorsque les aides ou les régimes d'aide lui sont notifiés. Le régime des services d'intérêt économique général (SIEG) permet également de soustraire les aides apportées pour la prestation de tels services aux règles de droit commun.

Un encadrement spécifique des réseaux très haut débit a été mis en place par la Commission européenne avec l'adoption des lignes directrices communautaires 2009/C 235/04 pour l'application des règles relatives aux aides d'État dans le cadre du déploiement rapide des réseaux de communication à haut débit. Tout en réaffirmant le principe d'une priorité donnée aux mécanismes de marché et à l'initiative privée, le texte reconnaît la nécessité d'un financement public afin d'atteindre les objectifs communs en matière d'accès de la population au haut débit et au très haut débit.

Pour les réseaux très haut débit, ou réseaux d'accès de nouvelle génération 13 ( * ) , la Commission européenne distingue trois types de zones :

- les zones blanches , qui ne font l'objet d'aucune offre privée suffisante compte tenu de leur faible densité de population, et dont la couverture justifie une intervention publique ;

- les zones grises , dont la situation intermédiaire conduit à privilégier une mutualisation des infrastructures entre opérateurs privés, et pour lesquelles la nécessité d'une intervention publique doit être dûment justifiée ;

- les zones noires , dont la couverture est assurée dans le cadre d'une concurrence par les infrastructures entre opérateurs privés, du fait de leur forte densité.

Afin de déterminer la probabilité d'une carence de l'offre privée et le besoin éventuel d'une intervention publique, la Commission européenne retient un horizon temporel de trois ans . Dans le cas où aucun investissement privé n'est prévu dans ce délai pour engager des déploiements, le manque d'initiative privée peut être constaté au profit d'une intervention publique. Si les zones noires haut débit sont présumées être des zones noires NGA, les États ont la faculté de démontrer le manque d'offre privée pour le déploiement du très haut débit afin de prévoir une intervention publique. En cas d'aide publique, les lignes directrices européennes imposent de proposer un accès de gros aux infrastructures passives du réseau aidé, ainsi qu'un dégroupage total afin d'assurer une concurrence effective par les services.

Compte tenu de la difficulté de distinguer avec certitude les zones réservées à l'initiative privée des zones d'initiative publique , l'Autorité de la concurrence a été saisie en 2011 par votre commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire au sujet des projets « intégrés ». Il s'agissait d'interroger l'Autorité sur la compatibilité avec le cadre européen des projets de réseaux élaborés par les collectivités territoriales à la fois sur la zone non rentable et sur une partie de la zone intermédiaire, afin d'équilibrer le modèle économique des réseaux publics et de surmonter l'incertitude relative à certains engagements privés. Dans sa réponse, l'Autorité a indiqué que de tels projets ne semblaient pas compatibles avec les normes européennes, compte tenu des intentions d'investissement des opérateurs, sauf à s'inscrire dans le cadre d'un SIEG lorsqu'ils intègrent une partie de la zone grise.

LES SERVICES D'INTÉRÊT ÉCONOMIQUE GÉNÉRAL (SIEG)

Le régime des services d'intérêt économique général (SIEG) permet à des interventions publiques de ne pas être soumises à la qualification d'aides d'État. Les SIEG correspondent à des activités économiques remplissant des missions d'intérêt général qui ne seraient pas exécutées (ou qui seraient exécutées à des conditions différentes en termes de qualité, de sécurité, d'accessibilité, d'égalité de traitement ou d'accès universel) par le marché en l'absence d'une intervention de l'État. Une obligation de service public est imposée au prestataire, sur la base d'un critère d'intérêt général, garantissant la fourniture du service à des conditions lui permettant de remplir sa mission. Le SIEG peut être fourni directement par une collectivité territoriale en régie, mais aussi par d'autres personnes, publiques ou privées, mandatées à cet effet.

La notion de SIEG est mentionnée aux articles 14 et 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Afin d'être effectivement soumises au régime du SIEG, les compensations versées par une personne publique doivent respecter les conditions fixées par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment l'arrêt Altmark du 24 juillet 2003, et précisées par une série de textes européens adoptés en 2011, appelés « paquet Almunia ». Les quatre principes de la compensation publique versée dans le cadre d'un SIEG sont les suivants :

- le bénéficiaire de la compensation doit exécuter des obligations de service public clairement définies ;

- la compensation doit être établie préalablement et selon des critères objectifs et transparents pour prévenir toute surcompensation des coûts engendrés par les obligations de service public ;

- la compensation doit se limiter à couvrir les coûts nécessaires à l'exécution des obligations de service public ;

- la compensation doit être déterminée sur la base des coûts qu'une entreprise moyenne et bien gérée encourrait .

L a notion de SIEG peut être mise en oeuvre dans le secteur des communications électroniques . Afin de déterminer si un service peut faire l'objet d'un SIEG, l'appréciation de la Commission se limite à vérifier que l'État membre n'a pas commis d'erreur manifeste. Les lignes directrices de l'Union européenne 2013 /C 25/01 pour l'application des règles relatives aux aides d'État dans le cadre du déploiement rapide des réseaux de communication à haut débit ont précisé l'application du régime des SIEG aux réseaux de nouvelle génération, en prévoyant notamment que les aides apportées doivent garantir que les infrastructures passives sont neutres et librement accessibles à tout opérateur de services.

Dans sa réponse à la demande d'avis du Sénat formulée en 2011, l'Autorité de la concurrence note la possibilité pour des projets intégrés , c'est-à-dire déployés tout à la fois sur la zone blanche et sur une partie de la zone grise, d'être compatibles avec le cadre européen en prenant la forme d'un SIEG. En l'absence de SIEG, l'Autorité soulignait la difficulté d'identifier ex ante la carence de l'offre privée en matière d'infrastructures très haut débit, pour permettre à l'intervention publique d'être compatible avec le régime des aides d'Etat. Selon vos rapporteurs, l'absence de déploiements privés, prolongée jusqu'au début de l'année 2016, pourrait toutefois permettre de constater une véritable carence de l'offre privée, à l'aune des projets déclarés lors de l'AMII de 2011 , et d'autoriser l'extension de l'intervention publique aux zones concernées.

Source : Secrétariat général des affaires européennes

Cette méthode d'évaluation des intentions privées et des besoins en matière d'intervention publique élaborée par la Commission européenne encadre les programmes nationaux de déploiement du très haut débit. Le modèle mis en place en France depuis 2011 reproduit ainsi la division territoriale en plusieurs zones afin de répartir la responsabilité des déploiements entre opérateurs privés et collectivités territoriales ( I.C ).

Le cadre des réseaux très haut débit a été ajusté en 2013 par l'adoption des lignes directrices de l'Union européenne 2013/C 25/01 pour l'application des règles relatives aux aides d'État dans le cadre du déploiement rapide des réseaux de communication à haut débit. Ces règles précisent que les aides mises en oeuvre dans le cadre d'un SIEG doivent permettre la mise en place d'infrastructures passives, neutres et librement accessibles. La possibilité d'une intervention publique dans une zone noire est également ouverte, à condition qu'elle permette un saut technologique notable par rapport aux infrastructures déployées par les opérateurs privés. De façon plus significative, les lignes directrices de 2013 encadrent davantage les conditions d'évaluation de l'offre privée afin de prévenir le risque d'une préemption de certains territoires par de simples déclarations d'intentions d'investir, non suivies d'effets dans les années qui suivent. Cette préconisation vise à faciliter le constat d'une défaillance du marché, pour déclencher une intervention publique .

LIGNES DIRECTRICES DE L'UNION EUROPÉENNE 2013/C 25/01 POUR L'APPLICATION DES RÈGLES RELATIVES AUX AIDES D'ÉTAT DANS LE CADRE DU DÉPLOIEMENT RAPIDE DES RÉSEAUX DE COMMUNICATION À HAUT DÉBIT

« (65) Le risque existe qu'une simple « manifestation d'intérêt » par un investisseur privé puisse retarder la fourniture de services à haut débit dans la zone visée si, par la suite, aucun investissement n'est réalisé alors que l'intervention publique est bloquée. L'autorité chargée de l'octroi de l'aide pourrait donc exiger, avant de différer l'intervention publique, que l'investisseur privé prenne certains engagements . Ceux-ci devraient avoir pour but de garantir que, dans les trois ans ou le délai supérieur prévu pour l'investissement bénéficiant de l'aide, des progrès significatifs soient accomplis en ce qui concerne la couverture. Il peut aussi être exigé de l'opérateur concerné qu'il conclue un contrat reprenant les engagements de déploiement. Ce contrat pourrait fixer un certain nombre d'échéances à respecter au cours de la période de trois ans (80) , ainsi qu'une obligation de faire rapport sur les progrès accomplis. En cas de défaut, l'autorité chargée de l'octroi de l'aide pourrait alors mettre à exécution ses plans d'intervention publique . Cette règle s'applique tant aux réseaux classiques qu'aux réseaux NGA.

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80 À cet égard, un opérateur devrait être en mesure de démontrer que, dans le délai de trois ans, il couvrira une partie substantielle du territoire et de la population concernée . Par exemple, l'autorité chargée de l'octroi de l'aide peut exiger d'un opérateur qui déclare vouloir construire sa propre infrastructure dans la zone visée qu'il lui présente, dans les deux mois, un plan d'entreprise crédible, des documents d'accompagnement, tels que des accords de prêt bancaire, et un calendrier détaillé du déploiement. En outre, l'investissement devrait débuter dans les douze mois et la permission devrait avoir été obtenue pour la plupart des droits de passage nécessaires au projet. Des échéances supplémentaires pour l'avancement de la mesure peuvent être fixées pour chaque semestre. »

Les lignes directrices de 2013 imposent également une tarification homogène pour l'ensemble des réseaux très haut débit , y compris en cas de financement par une aide publique. Cette disposition a vocation à encadrer la commercialisation à venir des réseaux d'initiative publique ( II.C ), en privilégiant une logique de prix orientés vers les coûts.

Les ajustements apportés au principe de concurrence par les infrastructures et à la priorité donnée à l'initiative privée visent à tenir compte des objectifs communs fixés par les États-membres en matière d'accès au haut débit et très haut débit. Comme le rappellent les lignes directrices de 2013 : « La connectivité à haut débit revêt une importance stratégique en Europe, pour la croissance et l'innovation dans tous les secteurs de l'économie ainsi que pour la cohésion sociale et territoriale ».

Dans le cadre de la stratégie Europe 2020 , le plan numérique de l'Europe vise à mettre le haut débit de base à la disposition de tous les Européens d'ici à 2013 et à faire en sorte que, d'ici à 2020 tous les Européens aient accès à un débit supérieur à 30 Mbit/s, et que 50 % au moins des ménages européens soient abonnés à des offres proposant un débit supérieur à 100 Mbit/s. Dans l'ensemble de l'Union européenne, l'investissement nécessaire pour atteindre l'objectif d'un accès généralisé à des offres de 30 Mbit/s est estimé à 60 milliards d'euros, et à 270 milliards d'euros pour l'accès de la moitié des ménages à 100 Mbit/s. Si la Commission européenne confirme que la majorité de ces investissements doivent être effectués par des acteurs privés, une intervention publique est indispensable pour atteindre ces objectifs.

Le cadre européen des réseaux de communications électroniques évolue régulièrement . La directive 2014/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à des mesures visant à réduire le coût du déploiement de réseaux de communications électroniques à haut débit , prolonge l'adaptation du cadre européen aux nécessités de la couverture totale en très haut débit. La transposition de la directive doit intervenir dans les prochains mois, le Gouvernement ayant été habilité par le Parlement à procéder par ordonnance dans le cadre de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dans un délai de 9 mois suivant sa promulgation 14 ( * ) . Les dispositions de la directive visent à réduire le coût des réseaux très haut débit, particulièrement en matière de travaux de génie civil, en privilégiant la réutilisation des infrastructures existantes, y compris d'autres réseaux (électricité, gaz, eau...). La transposition de cette directive en droit français doit permettre d'optimiser le coût des différents déploiements ( II.D).

Pour organiser le déploiement des infrastructures, les normes européennes privilégient donc l'initiative privée, en réservant une place a priori subsidiaire à l'intervention publique . Afin d'atteindre les objectifs ambitieux fixés par les États membres, le cadre imposé aux aides publiques s'est toutefois assoupli, tout en priorisant encore l'offre privée. Dans le cadre des travaux de la Commission européenne sur le nouveau « paquet télécom », la règlementation européenne gagnerait à faciliter davantage les déploiements, comme le rappelle notre collègue Bruno Sido dans un amendement à une récente proposition de résolution européenne adoptée par le Sénat,  qui « appelle à ce que les évolutions réglementaires encadrant les acteurs du marché des télécommunications intègrent davantage les contraintes d'investissement, notamment dans le déploiement des réseaux, qui constituent le support indispensable aux applications et contenus numériques de demain 15 ( * ) ».

Vos rapporteurs notent que la Commission européenne n'a pas encore validé le régime d'aide prévu au titre du plan France très haut débit, au regard du droit de la concurrence . Si le volet du programme national très haut débit de 2011 dédié au FttH* avait été validé, la conformité du dispositif mis en place depuis 2013, notamment en matière de soutien public aux opérations de montée en débit par l'offre « PRM » d'Orange, doit encore être confirmée.

Vos rapporteurs souhaitent préciser que, malgré le caractère structurant du droit européen, plusieurs décisions favorables aux opérateurs privés, prises par les gouvernements successifs, vont au-delà de ce qu'impose le cadre européen.

Ainsi en matière d'identification des zones d'initiative privé, la procédure d'appel à manifestations d'intentions d'investissement* (AMII) menée en 2011 a retenu un horizon temporel de cinq ans, et non trois ans, pour permettre aux opérateurs de concrétiser leurs projets. Par ailleurs, vos rapporteurs estiment que le conventionnement proposé depuis 2013 ne propose pas des garanties aussi précises que celles recommandées par les lignes directrices européennes. Plus regrettable encore, l'absence de prise en compte des possibilités offertes par le régime des SIEG dans le modèle de déploiement a abouti à l'impossibilité pour les collectivités territoriales de déployer des réseaux d'initiative publique dans les zones intermédiaires avec le soutien de l'État. Ce choix, maintenu jusqu'à aujourd'hui, fragilise significativement les projets de déploiement des collectivités, en les empêchant d'avoir recours à une forme de péréquation , par une compensation de la faible rentabilité des déploiements dans les zones les moins denses par des recettes sur les zones intermédiaires. Un autre modèle de déploiement aurait pu être proposé en s'appuyant sur les SIEG.

2. Un socle législatif pour redonner la main aux collectivités territoriales

Depuis une dizaine d'années, le législateur a adopté plusieurs lois structurantes pour le déploiement des réseaux de communications électroniques. Vos rapporteurs tiennent à souligner le rôle moteur du Sénat en la matière , par l'élaboration de nombreux rapports, amendements et propositions de loi, visant à stimuler le déploiement des réseaux et à améliorer la couverture du territoire. L'aménagement numérique du territoire est une préoccupation que la haute assemblée s'est appropriée de longue date, et qu'elle a constamment défendue dans ses travaux.

La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) constitue une étape majeure pour le développement des réseaux dans les territoires. La LCEN accroît considérablement les facultés d'intervention des collectivités territoriales en leur donnant compétence pour établir et exploiter des réseaux de communications électroniques (art. L.1425-1 du CGCT). Les réseaux d'initiative publique ainsi mis en place doivent être cohérents entre eux, et peuvent être mis à disposition des opérateurs en respectant le principe d'égalité et de libre concurrence. Les collectivités territoriales peuvent, plus subsidiairement, fournir des services de communications électroniques aux utilisateurs finals, en cas d'insuffisance de l'initiative privée. Considérée à juste titre comme une petite révolution juridique pour les communications électroniques, cette disposition a placé les collectivités territoriales au coeur de l'aménagement numérique du territoire . Le déploiement des infrastructures très haut débit par les collectivités dans les zones où l'initiative privée est insuffisante s'appuie sur cette compétence.

ARTICLE L. 1425-1 DU CODE GÉNÉRAL DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES 16 ( * )

RÉSEAUX D'INITIATIVE PUBLIQUE

« I. - Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent , deux mois au moins après la publication de leur projet dans un journal d'annonces légales et sa transmission à l'Autorité de régulation des télécommunications, établir et exploiter sur leur territoire des infrastructures et des réseaux de télécommunications au sens du 3° et du 15° de l'article L. 32 du code des postes et télécommunications, acquérir des droits d'usage à cette fin ou acheter des infrastructures ou réseaux existants. Ils peuvent mettre de telles infrastructures ou réseaux à disposition d'opérateurs ou d'utilisateurs de réseaux indépendants. L'intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements se fait en cohérence avec les réseaux d'initiative publique, garantit l'utilisation partagée des infrastructures établies ou acquises en application du présent article et respecte le principe d'égalité et de libre concurrence sur les marchés des communications électroniques.

Dans les mêmes conditions qu'à l'alinéa précédent, les collectivités territoriales et leurs groupements ne peuvent fournir des services de télécommunications aux utilisateurs finals qu'après avoir constaté une insuffisance d'initiatives privées propres à satisfaire les besoins des utilisateurs finals et en avoir informé l'Autorité de régulation des télécommunications. Les interventions des collectivités s'effectuent dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et proportionnées.

L'insuffisance d'initiatives privées est constatée par un appel d'offre déclaré infructueux ayant visé à satisfaire les besoins concernés des utilisateurs finals en services de télécommunications. »

La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 sur la modernisation de l'économie (LME) a permis d'améliorer le cadre des déploiements, dans la perspective d'une généralisation du très haut débit. La LME introduit l'obligation de fibrer les immeubles neufs regroupant plusieurs logements ou locaux à usage professionnel, tout en laissant le choix aux propriétaires pour les immeubles collectifs existants. Pour faciliter le raccordement des usagers finals, un « droit à la fibre » est également créé, sur le modèle du « droit à l'antenne ». La LME pose également un principe de mutualisation des infrastructures pour la partie terminale des réseaux en fibre optique, afin d'éviter la duplication des investissements 17 ( * ) . Afin d'améliorer l'information des acteurs publics, la loi prévoit la communication gratuite par les opérateurs, à l'État et aux collectivités territoriales, des informations relatives au déploiement de leurs réseaux et services.

Afin d'assurer le déploiement des réseaux de communications électroniques dans tous les territoires, a été adoptée la loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, déposée par Xavier Pintat et rapportée au Sénat par Bruno Retailleau. Spécifiquement consacrée à l'aménagement numérique du territoire et à la résorption de la fracture numérique, ce texte introduit les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique (SDTAN), outil de planification élaboré par les collectivités pour assurer la cohérence des déploiements, à l'échelle départementale ou pluri-départementale (art. L. 1425-2 du CGCT). La loi crée également le Fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT) destiné à participer au financement des réseaux dans le cadre des SDTAN. Vos rapporteurs déplorent à cet égard que le Gouvernement ait préféré maintenir le Fonds national pour la société numérique (FSN) plutôt que d'adopter les textes d'application prévus pour la mise en place du FANT et de prévoir des sources pérennes de financement , malgré les rappels réguliers du Sénat dans le cadre des rapports sur l'application des lois 18 ( * ) . La loi de 2009 prévoit également des dispositions en faveur de la mutualisation des travaux de génie civil.

ARTICLE L. 1425-2 DU CODE GÉNÉRAL DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES 19 ( * )

SCHÉMAS DIRECTEURS TERRITORIAUX D'AMÉNAGEMENT NUMÉRIQUE

« Les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique recensent les infrastructures et réseaux de communications électroniques existants, identifient les zones qu'ils desservent et présentent une stratégie de développement de ces réseaux , concernant prioritairement les réseaux à très haut débit fixe et mobile, y compris satellitaire, permettant d'assurer la couverture du territoire concerné. Ces schémas, qui ont une valeur indicative, visent à favoriser la cohérence des initiatives publiques et leur bonne articulation avec l'investissement privé.

Un schéma directeur territorial d'aménagement numérique recouvre le territoire d'un ou plusieurs départements ou d'une région . Sur un même territoire, le schéma directeur est unique. Il est établi à l'initiative des collectivités territoriales, par les départements ou la région concernés ou par un syndicat mixte ou syndicat de communes, existant ou créé à cet effet, dont le périmètre recouvre l'intégralité du territoire couvert par le schéma, en prenant notamment en compte les informations prévues à l'article L. 33-7 du code des postes et des communications électroniques.

Les personnes publiques qui entendent élaborer le schéma directeur en informent les collectivités territoriales ou groupements de collectivités concernés ainsi que l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes qui rend cette information publique. Les opérateurs de communications électroniques, le représentant de l'État dans les départements ou la région concernés, les autorités organisatrices mentionnées à l'article L. 2224-31 et au deuxième alinéa de l'article L. 2224-11-6 et les autres collectivités territoriales ou groupements de collectivités concernés sont associés, à leur demande, à l'élaboration du schéma directeur. La même procédure s'applique lorsque les personnes publiques qui ont élaboré le schéma directeur entendent le faire évoluer. »

Dans la continuité de ces travaux, votre co-rapporteur avait déposé en novembre 2011 une proposition de loi visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, avec notre collègue Philippe Leroy 20 ( * ) . S'appuyant sur une mission parlementaire confiée à votre co-rapporteur par le Gouvernement en 2010 21 ( * ) et sur un rapport d'information élaboré en 2011 22 ( * ) , cette proposition de loi avait été adoptée par le Sénat dans un climat transpartisan. Le texte présentait de vraies avancées pour nos territoires afin de garantir leur couverture par les différents réseaux de communications électroniques : généralisation et renforcement des SDTAN, achèvement rapide de la couverture des zones blanches*, prise en compte des opérations de montée en débit*, contrôle de la mise en oeuvre des engagements des opérateurs, dispositif de relai en cas de défaillance privée dans la zone AMII, mécanisme général d'extinction du cuivre, abondement financier du FANT... À la demande du Gouvernement, ce texte avait été rejeté à l'Assemblée nationale en novembre 2012.

Vos rapporteurs regrettent à cet égard que de nombreux risques identifiés lors des travaux de 2010 et 2011 se soient effectivement réalisés, que certaines situations n'aient que très peu évoluées et que plusieurs solutions de bon sens proposées à l'époque n'aient pas été adoptées , au détriment de l'aménagement du territoire. En effet, votre co-rapporteur s'était inquiété, dès 2011, de la répartition territoriale des responsabilités en matière de très haut débit, de la persistance inacceptable de zones blanches 2G et de l'exclusion de toute une partie de la population en matière de haut débit fixe.

Malgré ces interventions du Parlement, l'aménagement numérique du territoire conserve un socle législatif limité, par rapport au niveau réglementaire . Le sujet fait l'objet d'une appropriation très nette par l'exécutif, qu'il s'agisse des programmes nationaux mis en place par le gouvernement ou des normes élaborées à l'initiative de l'autorité de régulation du secteur. Le recours au niveau législatif reste ponctuel, au gré des nécessités et de l'agenda du gouvernement. En témoigne la dispersion de nombreuses dispositions relatives aux communications électroniques dans des textes de lois récents ou à venir : loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la croissance, loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, loi du 14 octobre 2015 relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre, projets de loi annoncés sur la République numérique et sur l'économie numérique... Une grande loi synthétique sur le numérique était pourtant annoncée par le Gouvernement, et attendue depuis le début du quinquennat.

Cette fragmentation des mesures législatives, souvent insérées en cours d'examen au Parlement malgré leur complexité, nuit à l'intelligibilité et à la stabilité du cadre juridique des réseaux.

3. Des dispositifs techniques et financiers contrôlés par le gouvernement et le régulateur

Ouvert complètement à la concurrence à partir de 1998, le marché des communications électroniques est régulé par une autorité administrative indépendante (AAI) spécifique : l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Compte tenu de l'existence d'un ancien monopole public et du caractère stratégique de ce secteur, la mise en place d'une AAI de régulation sectorielle a été généralisée en Europe. L'ARCEP veille ainsi au maintien de situations concurrentielles sur ce marché.

En matière de réseaux fixes, l'activité de régulation de l'ARCEP comporte deux volets :

- la régulation asymétrique vise à tenir compte de la position particulière de l'opérateur historique France Télécom devenu Orange, en lui imposant des obligations spécifiques, notamment liées à la propriété du réseau cuivre. Pour favoriser le déploiement du très haut débit à moindre coût, l'ARCEP a ainsi imposé à Orange de proposer aux autres opérateurs une offre d'accès à ses infrastructures de génie civil, souterraines et aériennes. Le régulateur encadre également l'offre de montée en débit proposée par Orange sur le réseau cuivre, en privilégiant des prix orientés vers les coûts.

- la régulation symétrique vise à imposer des obligations identiques à l'ensemble des opérateurs, notamment afin de faciliter le partage et l'accès à leurs infrastructures. En matière de très haut débit, l'ARCEP a ainsi adopté des décisions précisant le cadre des déploiements dans les principales zones identifiées ultérieurement par la stratégie gouvernementale : zones très denses 23 ( * ) *, zones moins denses 24 ( * ) *, poches de basse densité 25 ( * ) *.

Il faut souligner qu'en matière de réseaux fixes, l'ARCEP dispose de moindres capacités de régulation sur les opérateurs en comparaison de la téléphonie mobile . L'utilisation du domaine public hertzien par l'attribution aux opérateurs d'autorisations d'utilisation de fréquences permet en effet à l'ARCEP d'assortir ses décisions de différentes obligations, notamment en matière de couverture du territoire, et de disposer d'un pouvoir de sanction des opérateurs en cas de manquement à ces obligations. L'utilisation du domaine public hertzien, au coeur de la régulation de la téléphonie mobile, n'a pas son équivalent pour les réseaux fixes. En l'absence d'un actif public à valoriser selon les priorités des politiques publiques, le principe de liberté d'établissement des réseaux limite la capacité d'action des pouvoirs publics sur les opérateurs de réseaux fixes. Cette situation ne doit toutefois pas amener les pouvoirs publics à renoncer à exercer toute forme de contrainte sur les opérateurs privés, dès lors que l'intérêt général est remis en cause.

En matière de planification et de pilotage, le rôle de l'exécutif est prégnant . Les deux programmes qui se sont succédé entre 2010 et 2013 pour organiser le déploiement du très haut débit en France ( I.C ) sont des initiatives gouvernementales, dotées d'une base législative très limitée. Le rôle du Parlement se limite essentiellement au vote de crédits budgétaires. Le choix de maintenir le FSN, pourtant conçu comme structure transitoire, en court-circuitant le FANT dont la mise en place et l'abondement n'ont pas été respectés par les gouvernements successifs, est symptomatique de cette mainmise de l'exécutif sur ce sujet. Les choix de gouvernance du plan France très haut débit ( II.C ) sont tout aussi révélateurs. À la connaissance de vos rapporteurs, à aucun moment le Parlement n'a été formellement associé à la conception du plan ou à la définition de sa gouvernance .

Sur les sujets numériques, vos rapporteurs regrettent que le Parlement soit rarement informé de l'évolution des déploiements, souvent court-circuité par les initiatives gouvernementales, ou, dans le meilleur des cas, confronté à des dispositions complexes insérées au cours de l'examen d'un texte. En témoigne la sédimentation de nombreuses dispositions sur les communications électroniques au fur et à mesure de l'examen du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. L'écart entre les dispositions législatives adoptées par le Parlement, toujours très générales, et leur mise en oeuvre par le pouvoir réglementaire pour chaque projet de déploiement est également considérable. Ce déficit démocratique ne saurait être exclusivement justifié par la technicité des sujets traités.

On ne peut que déplorer le décalage entre la préemption du pilotage de cette politique publique par des techniciens et l'importance considérable du déploiement des réseaux de communications électroniques pour l'ensemble de nos citoyens . Il serait souhaitable que les lignes directrices des déploiements puissent être inscrites dans la loi, afin de clarifier le cadre normatif, et de permettre un véritable débat sur les choix structurants du très haut débit.

C. LE DÉPLOIEMENT DU TRÈS HAUT DÉBIT FIXE EN FRANCE : LE CHOIX D'UN MODÈLE HYBRIDE ET DÉCENTRALISÉ

Les enjeux du très haut débit appellent l'élaboration d'une planification de son déploiement, afin d'assurer la complétude et la cohérence du futur réseau sur l'ensemble du territoire national. Les orientations fondamentales de la programmation initiée en 2010 n'ont pas été significativement modifiées en 2013 et déterminent encore les forces et les fragilités du modèle de déploiement aujourd'hui mis en oeuvre en France.

1. Le programme national très haut débit de 2010

Le programme national très haut débit (PNTHD) constitue le premier projet gouvernemental français visant une couverture intégrale en réseau à très haut débit. Rendu public en juin 2010 et détaillé en avril 2011, le PNTHD visait un objectif de raccordement de la population au très haut débit de 70 % d'ici 2020 et de 100 % d'ici 2025, en privilégiant le FttH , technologie considérée à juste titre comme la plus performante et la plus pérenne.

Afin de tenir compte du manque d'incitation économique pour déployer un réseau FttH sur l'ensemble du territoire national par les fonds privés, le PNTHD a prévu un partage de la responsabilité des déploiements entre une zone privée et une zone publique . Pour identifier les zones suffisamment rentables pour un déploiement exclusivement privé - le cas échéant mutualisé entre opérateurs - et pour améliorer la visibilité des porteurs de projets, un appel à manifestations d'intentions d'investissement (AMII) a été organisé à l'été 2010 jusqu'en janvier 2011.

Les opérateurs étaient invités à déclarer leurs projets de déploiement d'une boucle locale très haut débit sur le territoire national dans un délai de cinq ans. Dans le cadre de l'AMII, le Gouvernement a ainsi retenu un horizon temporel plus favorable aux opérateurs que celui de trois ans recommandé par la Commission européenne dans les lignes directrices de 2009 ( I.B ). Sur le fondement de ces déclarations, une zone réservée à l'initiative privée a été identifiée, constituée des zones très denses et des zones concernées par des intentions d'investissement ou « zones AMII ». Par déduction, l'ensemble des zones restantes a été attribué à l'intervention publique.

Source : Tactis, 2012

Le PNTHD distingue ainsi trois zones :

- la zone très dense définie par l'ARCEP pour 148 communes, regroupant 4,3 millions de logements. A priori rentables, les déploiements d'infrastructures sont assurés par les opérateurs privés, le cas échéant par une mutualisation.

- la zone moins dense privée dite « zone AMII » , définie par l'ARCEP sur la base de l'AMII pour 3 447 communes regroupant 11 millions de logements. Faisant l'objet d'intentions d'investissement, les déploiements d'infrastructures dans cette zone ont vocation à être mutualisés, un opérateur étant chargé du déploiement, avec un cofinancement apporté par les autres opérateurs.

- la zone moins dense publique , définie comme l'ensemble du territoire non compris dans la zone très dense ou dans la zone AMI, soit 17 millions de logements et locaux à usage professionnel. Identifiée comme non rentable pour le seul investissement privé, cette zone doit être couverte par les collectivités territoriales, le cas échéant avec un cofinancement des opérateurs privés.

En matière de financement , le PNTHD prévoyait la mobilisation : de 1 milliard d'euros sous forme de prêts et de garanties pour les opérateurs privés dans le cadre de leurs propres déploiements ou de leur intervention sur certains RIP par une délégation de service public (DSP) ou un partenariat public-privé (PPP) ; de 900 millions d'euros de subventions aux collectivités territoriales ; et de 100 millions d'euros pour le développement de solutions technologiques afin d'améliorer rapidement la couverture des territoires dépourvus d'un accès haut débit de qualité.

Le véhicule budgétaire choisi a été le Fonds national pour la société numérique (FSN) créé par convention entre l'État et la Caisse des dépôts, avec l'intervention du Commissariat général à l'investissement pour sa gouvernance ; les ressources financières étant mobilisées dans le cadre du plan national « Investissements d'avenir ». Le FSN avait vocation à soutenir le lancement des projets des collectivités territoriales, avant que le Fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT), créé par la loi de 2009 précitée, ne prenne le relai pour un appui de longue durée.

L'objectif du PNTHD était de privilégier l'initiative privée , à la fois en lui apportant des prêts et garanties pour ses déploiements, et en lui réservant une zone intermédiaire sur la base des déclarations d'intentions des opérateurs. Afin d'assurer une certaine péréquation verticale dans la répartition des subventions aux collectivités territoriales , le soutien de l'État pour les projets de RIP FttH devait varier entre 33 et 45 % du besoin en subvention public, dans un plafond compris entre 200 et 350 euros par prise, selon le degré de ruralité. Pour les technologies complémentaires (montée en débit sur cuivre, hertzien terrestre, satellite), le PNTHD prévoyait un soutien supplémentaire, plafonné à 100 euros par prise. Afin d'être éligibles aux subventions de l'État dans le cadre du PNTHD, les RIP devaient : porter a minima sur le périmètre d'un département, être cohérents avec la programmation du SDTAN concerné, et ne pas empiéter sur une zone d'initiative privée.

2. Le plan France très haut débit de 2013

Le plan France très haut débit (PFTHD) est le successeur direct du PNTHD. Lancé en février 2013, le PFTHD vise à mettre en oeuvre le 4 ème engagement de François Hollande lors de sa campagne pour l'élection présidentielle de 2012 : « la couverture intégrale de la France en très haut débit d'ici à dix ans ». Le plan reprend l'architecture générale du programme national et ses grandes orientations fondamentales, notamment la répartition territoriale des déploiements entre deux grandes zones. Malgré le changement de majorité, le modèle de déploiement a été peu modifié.

Le PFTHD prévoit une couverture de 100 % de la population française en très haut débit d'ici 2022 . L'objectif a donc été rapproché de trois ans par rapport au PNTHD. En termes de technologies, l'objectif est de couvrir 80 % des ménages en FttH à la même échéance . La couverture restante doit consister en un mix technologique ayant recours à la montée en débit des réseaux cuivre ou hertziens. Le Gouvernement s'est fixé un objectif intermédiaire de couverture de 50 % de la population en très haut débit d'ici 2017. Les investissements nécessaires au déploiement des réseaux sont estimés à 20 milliards d'euros d'ici 2022. En retenant une définition particulièrement large, le très haut débit au sens du PFTHD ne correspond pas nécessairement à un accès au FttH. La mise en oeuvre des déploiements jusqu'à aujourd'hui confirme la dissociation des notions de très haut débit et de réseau en fibre optique de bout en bout.

QU'ENTEND-T-ON PAR « TRÈS HAUT DÉBIT » ?

La définition du très haut débit ne se limite pas à une simple question de terminologie technique. Le niveau de débit fixé dans les programmes de déploiement et utilisé comme critère de couverture modifie sensiblement l'ambition des engagements politiques, les choix technologiques pertinents et les investissements nécessaires pour permettre l'accès de tous au « très haut débit » ainsi défini.

La qualification d'un niveau de débit est contingente dans le temps . L'évolution rapide des usages modifie les besoins en débit, et donc le regard porté sur l'accès dont bénéficie la population ( I.A ). Par extrapolation, le débit nécessaire pour un accès confortable aux usages numériques devrait atteindre 100 Mbit/s dès 2024, soit davantage que le débit offert aujourd'hui par une partie de la technologie VDSL2 fondée sur le cuivre ainsi que la technologie HFC sur le câble.

L'ARCEP définit aujourd'hui une offre très haut débit comme une offre permettant un débit crête descendant minimal de 30 Mbits/s . Ce niveau de débit a été retenu par le PFTHD afin de déterminer l'objectif de couverture de la population en 2022. Cette conception du très haut débit est susceptible d'être rapidement périmée , avant l'achèvement du PFTHD. Par ailleurs, elle ne permet pas de distinguer entre débit descendant et débit montant , alors même que ce dernier est amené à devenir crucial avec le développement des envois de données, notamment dans le cadre du travail en réseau. Définir le très haut débit par un débit crête de 30 Mbit/s ne garantit pas davantage que le débit moyen soit proche de ce niveau, déjà peu ambitieux.

L'Union européenne distingue « l'internet rapide » (30 Mbit/s) de « l'internet ultrarapide » (100 Mbits/s). L'ARCEP avait précédemment fixé le très haut débit à 50 Mbit/s avant de s'aligner sur l'internet rapide défini à l'échelle européenne. En réalité seul l'internet ultrarapide constituera encore une forme de (très) haut débit à l'horizon 2022. Définir le très haut débit à un niveau véritablement exigeant dès aujourd'hui réserverait cette qualification aux technologies les plus pérennes : essentiellement la fibre optique de bout en bout (FttH), ainsi que la fibre optique avec terminaison en câble coaxial (FttLA) si le débit montant parvient à être augmenté. La fixation d'un cap plus ambitieux permettrait ainsi de mieux orienter les choix technologiques dans la conception des projets de réseaux afin de doter les territoires d'infrastructures véritablement durables ( II.D ). Ne pas établir le très haut débit à la « frontière technologique » est une décision susceptible de fragiliser la durée de vie des réseaux soutenus par la programmation du gouvernement et financés par des fonds publics.

Dans le PFTHD, le déploiement des réseaux dans les zones économiquement rentables reste réservé aux opérateurs privés. La zone d'initiative privée est constituée d'une part des zones très denses, et d'autre part des zones moins denses pour lesquelles les opérateurs privés ont signalé des intentions d'investissement, lors de l'AMII en 2011. Cette zone qui englobe 57 % de la population française sur 10 % du territoire est également appelée « zone conventionnée », les déploiements prévus par les opérateurs privés ayant vocation à être précisés dans des conventions de programmation et de suivi des déploiements (CPSD) , signées avec les collectivités territoriales et l'État.

Le déploiement dans les zones où la rentabilité des investissements est incertaine pour les opérateurs privés, et donc susceptible d'une carence de l'offre privée à moyen terme, est confié à l'action publique, dans une logique d'aménagement du territoire. Cette zone d'initiative publique concerne 43 % de la population française, et doit être couverte par les collectivités territoriales. Malgré le caractère a priori subsidiaire de l'intervention publique par rapport à l'offre privée, les intentions d'investissement déclarées par les opérateurs conduisent à la prise en charge d'une part particulièrement importante des déploiements par les collectivités territoriales. La zone d'initiative publique représente ainsi près de 90 % du territoire national.

RÉPARTITION DES ZONES DE DÉPLOIEMENT

Source : Mission Très haut débit

Le financement de la zone d'initiative privée doit être pris en charge intégralement par les fonds propres des opérateurs, pour un montant total de 7 milliards d'euros (hors raccordement final*, estimé à 4 milliards d'euros supplémentaires). L'investissement nécessaire dans la zone d'initiative publique est évalué à 14 milliards d'euros (raccordement final inclus, estimé à 2,4 milliards d'euros pour la composante FttH). La moitié de ce financement repose sur un ensemble constitué de subventions de l'État (pour 3,3 milliards d'euros), de l'apport des collectivités territoriales, de prêts mis à disposition des collectivités territoriales par la Caisse des Dépôts en mobilisant les fonds d'épargne règlementés, et de subventions et prêts européens. L'autre moitié des ressources doit provenir de la commercialisation des réseaux aux fournisseurs d'accès à internet (FAI), qu'il s'agisse de cofinancement ou de location.

Les subventions de l'État sont accordées dans le cadre de dossiers adressés au FSN. L'obtention d'une subvention est conditionnée au respect des prescriptions d'un cahier des charges , modifié à plusieurs reprises depuis la première version publiée le 2 mai 2013. Du fait de l'impossibilité pour les collectivités territoriales d'assumer à elles seules le déploiement d'un RIP très haut débit, les règles du cahier des charges s'imposent de facto comme des obligations.

STRUCTURE GÉNÉRALE DU PLAN FRANCE TRÈS HAUT DÉBIT

Source : Mission très haut débit

3. Un modèle de déploiement fragile

En tant que parlementaire en mission, votre co-rapporteur avait examiné en 2010 les différents modèles possibles de déploiement . Des alternatives au modèle hybride et décentralisé retenu par l'État français étaient disponibles : opérateur unique mutualisé entre les opérateurs privés au niveau national, opérateur unique financé par des fonds publics, recours à des partenariats publics-privés, concessions sur le modèle autoroutier... Chaque modèle présentait des atouts et des fragilités. Les modèles centralisés avaient pour principale vertu d'assurer la cohérence des déploiements au niveau national, et de permettre à l'opérateur de réseau d'équilibrer les différences de coûts entre les zones rentables et les zones non rentables. Les avantages et les risques structurels du modèle décentralisé choisi par le Gouvernement en 2010, et confirmé en 2013, ont été précocement identifiés et se confirment dans sa mise en oeuvre.

La solution retenue par les gouvernements français successifs a pour ambition de dépasser les limites de l'offre privée , dans un pays où la répartition de l'habitat sur l'ensemble du territoire nécessite une couverture étendue, y compris dans des zones où la densité compromet la rentabilité des investissements. L'importance de la ruralité en proportion du territoire national est une spécificité française à prendre en compte. En prévoyant des déploiements menés par les collectivités territoriales concomitamment aux initiatives privées, cette planification a pour objectif de progresser à la fois sur les zones denses et sur les zones moins denses. Elle vise à dépasser l'approche descendante observée lors du déploiement de nouvelles technologies, qui réserve un accès tardif aux territoires moins denses, et limite donc les apports du numériques aux territoires qui en ont pourtant le plus besoin.

Dans son rapport remis en 2010 au Premier ministre, votre co-rapporteur avait alerté le Gouvernement sur les risques d'un tel modèle, hybride et décentralisé. Malgré le travail immense engagé par de nombreuses collectivités territoriales ( II.C ), confier la réalisation d'une infrastructure décisive pour le XXIe siècle et ayant besoin d'homogénéité à une multitude d'acteurs privés et publics intervenant sur des périmètres fluctuants et avec une conception technique variable demeure un pari risqué pour la cohérence et la complétude du futur réseau national de fibre optique.

NOMBRE D'OPÉRATEURS D'IMMEUBLE EXPLOITANT UN RÉSEAU FTTH

Source : ARCEP, rapport d'activité 2014

La décentralisation du déploiement du très haut débit s'accompagne d'une multiplication des acteurs intervenants sur la boucle locale optique . Au 31 décembre 2014, l'ARCEP recensait 37 opérateurs d'immeuble*, dont 32 opérateurs publics et 5 opérateurs privés. Ce nombre a vocation à augmenter dans les prochains mois, avec le lancement de nouveaux RIP. Si cette architecture permet de confier les déploiements et leur séquençage aux collectivités territoriales, acteurs de terrain, sa contrepartie principale est une multiplication des initiatives, chacune susceptible d'opter pour des choix économiques, juridiques et techniques différents. La mise en oeuvre d'un modèle décentralisé nécessite de gérer une telle diversité, en tenant compte des spécificités de chaque territoire pour faciliter les déploiements, tout en assurant la cohérence et la pérennité de l'infrastructure très haut débit dans sa totalité.

Le choix de limiter l'action des collectivités territoriales aux zones non rentables fragilise durablement l'équilibre des RIP, en empêchant ces projets d'avoir recours à une forme de péréquation financière avec des zones plus rentables . Si le droit européen n'interdit pas strictement au RIP de s'étendre à la zone intermédiaire, l'impossibilité de bénéficier de toute subvention de l'État pour les RIP « intégrés » crée de fait une barrière financière insurmontable pour les collectivités territoriales. La combinaison du zonage prévu par le PFTHD avec les contraintes du cahier des charges du FSN limitent considérablement les marges de manoeuvre des collectivités . La rentabilité des réseaux déployés par les collectivités territoriales est donc fondamentalement incertaine, ce qui augmente le besoin en subventions et fragilise la commercialisation auprès des opérateurs privés.

Alors que l'aménagement du territoire est une politique publique d'importance nationale et d'intérêt général, qui nécessite précisément une certaine hauteur de vue dont dispose l'État, le choix a été fait de confier aux collectivités la responsabilité de compenser les défaillances de l'offre privée. En matière de très haut débit, l'État s'est d'emblée cantonné à un rôle de cofinanceur et de coordinateur technique , sans apporter tout l'accompagnement et l'expertise que nécessite le déploiement décentralisé d'un réseau de nouvelle génération. L'État n'assume aucune fonction d'aménageur en matière de très haut débit. Alors que ce repositionnement regrettable aurait dû s' accompagner a minima de la mise à disposition d'une force d'expertise technique, juridique et financière auprès des collectivités, les moyens mobilisés pour soutenir les projets locaux sont extrêmement limités . Le dimensionnement de la Mission très haut débit, constituée d'une quinzaine de collaborateurs, pour un projet de plusieurs dizaines de milliards d'euros, est révélateur.

Par ailleurs, confier à plusieurs opérateurs privés la couverture de la plus grande partie de la population crée des risques spécifiques. Comme le soulignait votre co-rapporteur en 2011, le PNTHD, et désormais le PFTHD, visent à « faire confiance » aux opérateurs privés pour qu'ils prennent leur part des déploiements. Si la définition de la zone d'initiative publique par déduction par rapport à la zone d'initiative privée permet de privilégier les mécanismes de marché et la mobilisation de fonds privés, cette répartition revient à placer les collectivités territoriales et les citoyens des zones moins denses dans une situation de grande dépendance par rapport à la stratégie de déploiement des opérateurs privés . En témoigne l'incertitude croissante quant aux déploiements privés dans une grande partie de la zone intermédiaire ( II.B ) et à la commercialisation des RIP dans la zone d'initiative publique ( II.C ).

Le modèle de déploiement est extrêmement favorable aux opérateurs privés, qui ont eu la possibilité de préempter les zones les plus rentables pour déployer leurs infrastructures tout en gelant une intervention publique dans la zone intermédiaire, et qui pourront choisir librement les réseaux déployés par les collectivités territoriales sur lesquels ils souhaiteront proposer leurs offres de service, afin de capter l'essentiel de la valeur ajoutée. Comme mentionné précédemment, vos rapporteurs soulignent que les gouvernements successifs ont souhaité privilégier l'offre privée, au-delà du cadre imposé au niveau européen , comme en témoigne le choix d'un délai de cinq ans pour la concrétisation des intentions d'investissement, ou l'impossibilité de déployer des réseaux d'initiative publique dans les zones intermédiaires.

Compte tenu de la priorité accordée à l'offre privée, tout changement ou perturbation du marché des communications électroniques est susceptible de remettre en cause une part importante des déploiements prévus dans le cadre du PFTHD ( II.B ). Ce modèle de déploiement favorise enfin l'investissement dans les zones très denses, avec des risques de doublons, là où l'appétence est pourtant moindre pour le très haut débit compte tenu de l'existence d'un haut débit de qualité, parfois proche du 30 Mbits/s. Certaines expériences de raccordement au très haut débit dans les zones rurales montrent que là où le haut débit est limité voire inexistant, l'intérêt des utilisateurs pour le très haut débit est plus élevé que dans les grands centres urbains, compte tenu de la rupture d'usage bien plus importante lors du changement de technologie.

Alors que la fin de l'année 2015 approche, et que les projets de déploiement sont engagés pour les prochaines années, il semblerait déraisonnable de préconiser une révision générale du modèle retenu par le PNTHD et le PFTHD. Sans remettre en cause les ambitions, voire l'enthousiasme des parties prenantes, vos rapporteurs craignent toutefois que bien des risques actuels et des problèmes futurs pour nos territoires ne découlent logiquement de l'architecture retenue initialement. Si le très haut débit progresse dans son ensemble, le constat en matière d'aménagement du territoire est plus qu'incertain ( II.A ). La connaissance des faiblesses du modèle choisi doit permettre d'anticiper les difficultés susceptibles de se produire dans la mise en oeuvre des déploiements, afin de limiter au maximum leur ampleur.

D. UN DÉPLOIEMENT CONFIÉ AUX OPÉRATEURS PRIVÉS ET AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Le déploiement des réseaux de communications électroniques dépend d'abord des opérateurs privés. Dans ce domaine, comme dans d'autres, vos rapporteurs constatent que la somme des intérêts privés, en l'espèce ceux des opérateurs, ne saurait être égale à l'intérêt général, à savoir l'aménagement numérique des territoires. La vocation de l'intervention publique est d'organiser ces déploiements guidés par les forces de marché, et de compenser leurs défaillances lorsque le marché ne permet pas d'assurer la couverture de toute la population à un horizon suffisamment proche et à un tarif raisonnable, pour accompagner les usages numériques.

1. Les opérateurs privés, aménageurs guidés par les mécanismes de marché

Dans le cadre d'un marché concurrentiel, le déploiement des infrastructures en très haut débit est d'abord assuré par les opérateurs privés. À cet égard, la planification gouvernementale est particulièrement favorable aux opérateurs privés : les opérateurs ont librement préempté les zones plus rentables, ils ont obtenu un gel de tout déploiement concurrent en zone intermédiaire en contrepartie d'engagements très limités, et ils n'ont aucune obligation d'utiliser les réseaux construits sur fonds publics pour proposer des offres de services. Si la priorisation de l'offre privée vise à minimiser les dépenses publiques, elle ne saurait exposer une infrastructure essentielle pour le pays et ses territoires au bon vouloir d'acteurs privés, d'autant que le traitement a posteriori d'une nouvelle fracture numérique serait particulièrement coûteux pour la puissance publique. Le modèle de déploiement retenu par le Gouvernement confie de facto un rôle d'aménageur aux opérateurs privés, sans prévoir de responsabilités et de contraintes à la mesure de cette fonction.

a) Un déploiement confié à titre principal à des acteurs privés

Le déploiement des réseaux de communications électroniques fixes et mobiles est aujourd'hui du ressort des opérateurs privés , tout particulièrement des grands opérateurs d'envergure nationale : Bouygues Telecom, Free, Numericable-SFR et Orange. Depuis l'attribution d'une quatrième licence mobile à Free Mobile, les mêmes opérateurs sont présents sur les marchés fixes et sur les marchés mobiles. Les personnes publiques ont vocation à intervenir en complément des déploiements privés, afin de compléter la couverture lorsque les mécanismes de marché ne sont pas suffisamment incitatifs pour permettre la réalisation d'infrastructures dans certains territoires. La dynamique concurrentielle doit être privilégiée tant que le fonctionnement du marché apparaît compatible avec l'intérêt général.

En tant qu'entités privées à but lucratif, les opérateurs élaborent des projets d'investissement selon une logique de rendements décroissants . Les coûts de déploiement des infrastructures, particulièrement pour la partie la plus capillaire des réseaux fixes, augmentent fortement avec la baisse de la densité. Les opérateurs priorisent ainsi leurs investissements dans les zones les plus denses puis dans les territoires de densité moindre, jusqu'à ce que la rentabilité de l'investissement privé soit trop incertaine, y compris dans le cadre d'une mutualisation avec les autres opérateurs privés. Les plans d'affaires des opérateurs privés sont ainsi soumis à une exigence de rentabilité élevée pour les investissements, a fortiori sous l'influence de l'actionnariat, dans des groupes représentant plusieurs milliards d'euros de capitalisation boursière.

Alors qu'en 2011 votre co-rapporteur notait qu'une réelle incertitude pesait sur l'intérêt économique du très haut débit pour les opérateurs, l'évolution de la demande et les déploiements engagés par les opérateurs suggèrent désormais que la transition vers la fibre optique est lancée, mais seulement dans les zones urbaines les plus denses . Orange annonce ainsi un revenu moyen par utilisateur 26 ( * ) supérieur de 7 à 8 euros sur la fibre par rapport au cuivre. En revanche, la situation est différente dans les zones moins denses privées et publiques, où l'opérateur historique domine le marché de gros* en tant que propriétaire de la boucle locale de cuivre et le marché de détail*, et où les autres opérateurs n'ont pas la capacité financière d'y déployer seuls un réseau FttH. La « rente du cuivre » pour Orange, dont l'État reste un des principaux actionnaires (à hauteur de 23 %), demeure vraisemblablement sur la majeure partie du territoire moins dense et limite encore le développement du FttH.

Prendre la mesure du rôle des motivations économiques doit amener la puissance publique à intervenir afin de guider le marché dans le sens de l'intérêt général. Ainsi la tarification du cuivre et de la fibre optique sur les marchés de gros devrait faire l'objet d'une intervention afin de modifier le signal-prix en faveur d'une transition vers la fibre ( II.D ).

Demeure toutefois une interrogation récurrente sur l'équilibre entre incitation et obligation. Si le recours à des mécanismes de contraintes et de sanctions doit être réservé à des situations critiques, lorsque l'incitation échoue manifestement, vos rapporteurs considèrent que la puissance publique reste trop souvent inerte face aux grands opérateurs privés et devrait faire preuve de davantage de fermeté à leur égard, dans le respect du cadre européen . Malgré leur statut d'entreprises privées, les grands acteurs des communications électroniques interviennent sur un marché oligopolistique, et dont les enjeux sont stratégiques pour la nation toute entière. Ce rôle quasi-institutionnel doit s'accompagner de responsabilités particulières.

b) L'état du marché des communications électroniques, donnée structurante des déploiements privés

Le marché des communications électroniques s'apparente à un oligopole , avec un nombre limité d'opérateurs d'envergure nationale dont l'importance sur le marché et les capacités financières sont sans commune mesure avec les opérateurs locaux, malgré le rôle important de ces derniers pour l'accès au numérique dans certains territoires. La concurrence sur les parts de marché et les gains de nouveaux clients est particulièrement intense entre les grands opérateurs. Par conséquent, les décisions d'investissement d'un opérateur et sa stratégie dans les différentes zones dépendent à la fois de la rentabilité espérée et de la stratégie des concurrents. Les opérateurs sont amenés à concentrer leurs investissements dans les zones où l'activité des concurrents est susceptible de remettre en cause la répartition des parts de marché .

Le marché des communications électroniques est en réalité un oligopole déséquilibré , compte tenu de la présence de l'opérateur anciennement détenteur d'un monopole sur le marché : France Télécom devenu Orange. Propriétaire du réseau de cuivre, doté d'une capacité financière bien supérieure à ses concurrents et encore bénéficiaire de l'image - souvent positive - d'opérateur historique, Orange est un acteur particulier du marché. Il n'en reste pas moins un groupe privé, dont l'action n'est plus guidée par l'intérêt général, et ce malgré la place de l'État dans son actionnariat. La régulation dite « asymétrique » exercée par l'ARCEP sur le marché vise précisément à tenir compte de la position particulière d'Orange sur le marché. En matière d'infrastructures et d'accès de gros, le secteur s'apparente à un duopole , avec deux acteurs majeurs : Orange et Numericable-SFR.

RÉPARTITION DES PARTS DE MARCHÉ ENTRE OPÉRATEURS

Source : CEREMA, 2015

Depuis plusieurs années, le marché des communications électroniques fait l'objet en France d'une compétition par les prix particulièrement forte . La segmentation tarifaire de l'offre de services de communications électroniques étant limitée, le marché est régulièrement perturbé par une « guerre des prix » entre opérateurs. De 2011 à 2014, les prix moyens du mobile ont ainsi baissé de 42 % . Si cette tendance générale peut sembler de prime abord favorable aux consommateurs, son impact sur les marges des opérateurs, et sur la capacité d'investissement dans les infrastructures peut à terme mettre en cause l'amélioration de la couverture et de la qualité de service. Dans un rapport de 2013, nos collègues députées Corinne Erhel et Laure de la Raudière avaient souligné la dégradation du marché des communications électroniques 27 ( * ) . Les revenus du secteur sur le marché de détail ont diminué ces dernières années, passant de 38,2 milliards d'euros en 2013 à 36,8 milliards d'euros en 2014, soit une baisse de 3,4 %, après une baisse de 7,3 % entre 2012 et 2013. La baisse des revenus sur le marché mobile est le premier facteur de cette baisse du revenu des opérateurs de communications électroniques (-6,3 % sur un an).

Source : ARCEP, Observatoire des marchés - deuxième trimestre 2015

Votre co-rapporteur s'était à ce titre opposé dès le départ à l'arrivée d'un quatrième opérateur sur le marché mobile , compte tenu des risques bien identifiés sur l'investissement et l'emploi dans le secteur. Comme souligné lors des auditions menées par le groupe de travail, la décision de faire entrer un quatrième acteur sur le marché mobile apparaît comme le choix du consommateur contre le producteur, de l'urbain contre le rural. Si cette décision n'a pas fait l'objet d'une évaluation approfondie a posteriori , il est certain qu'elle a eu des impacts significatifs sur la structure du marché, en réduisant les marges des opérateurs. Le gain net pour la collectivité de ce surcroît de concurrence dans un marché particulièrement capitalistique reste encore à démontrer. Les investissements des opérateurs, hors achats de licences mobiles, ont poursuivi leur baisse entre 2013 et 2014 (-3,5 %). L'emploi du secteur est également orienté à la baisse depuis 2013. Ces difficultés propres au marché s'ajoutent par ailleurs au contexte économique global.

Enfin, les enjeux de consolidation perturbent régulièrement le marché des communications électroniques . La fusion entre SFR et Numericable, autorisée par l'Autorité de la concurrence en octobre 2014, a significativement modifié la stratégie des différents opérateurs en matière de très haut débit fixe, remettant en cause certaines hypothèses initiales du PFTHD ( II.B ). La perspective d'une nouvelle consolidation entre opérateurs demeure. Si les effets d'une fusion supplémentaire sur les déploiements sont incertains, la possibilité d'une modification de la structure du marché crée une instabilité défavorable à l'élaboration de plans d'investissement crédibles et durables, particulièrement dans les zones intermédiaires.

2. Les collectivités territoriales, suppléantes de l'État pour l'aménagement numérique du territoire

Consacré à l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales par la LCEN de 2004, le rôle des collectivités territoriales en matière d'aménagement numérique du territoire n'a fait que croître depuis lors pour le déploiement des infrastructures et le développement des usages.

a) Un rôle croissant en matière de couverture numérique du territoire et de stimulation des usages

Les collectivités territoriales ont une mission de planification devenue essentielle afin d'assurer la cohérence des initiatives privées et publiques en matière de déploiement d'infrastructures. À l'échelle régionale, une stratégie de cohérence régionale de l'aménagement numérique (SCoRAN) est élaborée entre l'État et la région, en vue de définir les grandes orientations de l'aménagement numérique dans le territoire 28 ( * ) . La SCoRAN vise particulièrement à animer et à coordonner l'élaboration des schémas directeurs territoriaux de l'aménagement numérique (SDTAN) au niveau départemental, prévue par la loi de 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique.

Répondant à un véritable besoin de planification au niveau local, les SDTAN ont été rapidement élaborés, pour aboutir à une couverture de la quasi-totalité des départements fin 2015. Proposant le plus souvent un diagnostic général des infrastructures existantes et des besoins en matière de réseaux de communications électroniques, la « première génération » de SDTAN est en cours de mise à jour dans le cadre d'une « seconde génération », plus opérationnelle et dotée de volets techniques dédiés aux différentes technologies. Ces nouveaux SDTAN doivent garantir la cohérence des nouveaux RIP très haut débit sur le territoire, condition d'éligibilité des dossiers auprès du FSN (point 1.1.5 du cahier des charges).

RÉPARTITION DES SCHÉMAS DIRECTEURS TERRITORIAUX
D'AMÉNAGEMENT NUMÉRIQUE

Source : AVICCA, mai 2015

Les collectivités se sont également engagées dans des réseaux d'initiative publique (RIP) afin de répondre aux besoins locaux en matière de couverture fixe ou mobile. Appelés RIP de première génération , ces réseaux ont poursuivis des objectifs variables selon les territoires : mise en place de points hauts pour réduire les zones blanches 2G, modernisation des réseaux de collecte, raccordement de sites prioritaires, déploiement précoce de plaques FttH. En 2012, l'AVICCA estimait à 3,4 milliards d'euros l'investissement global déjà mobilisé par les RIP , dont 1,85 milliard d'euros de fonds publics .

Dans le cadre du PNTHD, et désormais du PFTHD, les collectivités territoriales se sont massivement engagées dans des projets de RIP de seconde génération ( II.C ), visant à couvrir la zone d'initiative publique par des réseaux privilégiant le FttH, tout en ayant recours à des technologies complémentaires afin de garantir l'accès de tous au très haut débit. En cohérence avec les compétences qui leur sont confiées, les collectivités territoriales et leurs délégataires assurent alternativement un rôle de gestionnaire d'infrastructures, d'opérateur d'opérateurs, ou d'opérateur de services. Les collectivités sont également gestionnaires du domaine public , et accordent en ce sens des autorisations d'occupation temporaire (AOT) aux aménageurs.

NIVEAUX D'INTERVENTION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Source : CEREMA, 2015

Le rôle croissant des collectivités territoriales en matière d'aménagement numérique du territoire permet le développement d'un véritable écosystème des RIP au niveau local. De nombreuses entreprises ont été créées afin d'accompagner les collectivités dans leurs déploiements. Cette dynamique stimule l'économie et l'emploi dans les territoires.

LE DÉVELOPPEMENT D'UN ÉCOSYSTÈME DES RIP

Le chiffre d'affaires de la filière industrielle des RIP était de 1 milliard d'euros en 2013, de 1,44 milliard en 2014 (soit une croissance annuelle de 40 %) et atteindra 2 milliards fin 2015. Cette croissance devrait se poursuivre avec le lancement progressif de nouveaux déploiements dans les RIP très haut débit à partir de 2015.

Plusieurs entreprises françaises s'imposent comme des leaders mondiaux dans l'industrie des réseaux de nouvelle génération, comme ACOME ou Prysmian. Aux côtés des industries et des entreprises du BTP, de nombreux opérateurs locaux se sont mis en place, qu'il s'agisse d'opérateurs de réseaux participant à la construction et à l'exploitation des RIP, ou d'opérateurs de proximité proposant des offres de services à l'utilisateur final sur le marché de détail.

Source : FIRIP, Observatoire 2014 des entreprises intervenant dans les réseaux d'initiative publique

Les RIP sont également créateurs d'emplois : la filière mobilisait 4 000 équivalents temps plein en 2013 et 6 000 en 2014. La quasi-totalité des emplois mobilisés sont implantés en France et sont non-délocalisables. La Mission très haut débit estime à 50 000 le nombre total d'emplois à mobiliser afin de mener à bien la couverture intégrale du territoire en réseau très haut débit, 20 000 emplois étant nécessaires à l'horizon 2022 dans le cadre du raccordement final des usagers selon l'évaluation de l'Appui technique prospectif (ATP) mis en place par la filière de la fibre optique. De nombreux métiers sont mobilisés pour le déploiement des nouveaux réseaux filaires : intégrateurs, équipementiers, câbliers, génie civilistes...

Si les déploiements mobilisent des compétences existantes, les réseaux FttH nécessitent également des formations spécifiques. Plusieurs acteurs de la filière se sont organisés afin de mettre en place des référentiels de compétence et des pôles de formation . Le projet Innovance mis en place dans le cadre du pôle de Novéa dans la Manche vise ainsi à créer un centre de formation d'importance nationale dédié aux métiers du très haut débit.

Si le présent rapport est consacré aux infrastructures, vos rapporteurs souhaitent souligner le rôle également essentiel des collectivités territoriales pour stimuler les usages et les services numériques au niveau local. Les élus locaux ont ainsi mis à disposition du public de nombreux espaces publics numériques (EPN) afin de permettre l'accès de tous au numérique, et des centres dotés d'équipements modernes pour stimuler l'innovation grâce aux technologies numériques ( fab labs). Par ailleurs, les collectivités sont-elles mêmes créatrices d'applications numériques, notamment par la mise en place de sites et de plateformes dédiés à l' e -administration territoriale. La stimulation des usages doit également permettre d'accroître la demande pour le très haut débit et les perspectives de commercialisation.

Malgré la mobilisation précoce de certains territoires, vos rapporteurs appellent à accroître la sensibilisation des élus locaux aux enjeux numériques . Si beaucoup de collectivités territoriales maîtres d'ouvrage de RIP sont engagées dans des programmes très volontaires et coûteux de déploiements, l'accès au numérique, par les infrastructures puis par l'organisation des services et des usages, reste inégalement traité par les élus locaux.

Parallèlement à leur intervention sur les réseaux, les collectivités ont vocation à jouer un rôle croissant en matière d'usages, particulièrement pour favoriser l'inclusion numérique des citoyens les plus éloignés du numérique, et pour mettre en valeur le plein potentiel du numérique au service du développement local. Ainsi, les travaux du Conseil national du numérique et le récent rapport d'Akim Oural soulignent l'importance de généraliser le « réflexe numérique » dans chaque collectivité, de favoriser la diffusion des meilleures pratiques et d'améliorer la gouvernance territoriale des projets numériques 29 ( * ) . Les territoires qui n'utiliseront pas le numérique pour valoriser leurs richesses touristiques, cultiver leur potentiel de création d'activités et d'emplois et accroître leur attractivité par la présence de services publics modernisés subiront une déprise dangereuse pour leur avenir.

b) Une intervention locale pour suppléer le désengagement de l'État

Les collectivités territoriales sont donc désormais en première ligne pour les sujets d'aménagement numérique du territoire. Si l'intervention des collectivités territoriales sur le numérique s'est généralisée, et engendre une activité locale spécifique, cette territorialisation de l'aménagement numérique du territoire est le miroir d'un désengagement total de l'État en la matière . Comme mentionné précédemment, confier à des personnes publiques locales le déploiement d'une infrastructure d'avenir ayant vocation à couvrir l'ensemble du territoire national ne va pas de soi.

Tout en regrettant profondément que l'État se limite à des fonctions de cofinanceur et de coordinateur technique, vos rapporteurs tiennent à saluer l'engagement résolu de nombreuses collectivités territoriales et élus locaux dans l'aménagement numérique de leur territoire, souvent avec de très grandes ambitions et des moyens considérables pour des collectivités soumises par ailleurs à des baisses ininterrompues de dotations et obligées d'avancer la totalité des fonds , dans un contexte de crise économique latente.

Les élus locaux sont confrontés à une complexité technique, économique et juridique redoutable par rapport aux ressources dont disposent leurs collectivités. Malgré l'existence de structures précieuses pour les élus, comme le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) et l'intervention de certains services déconcentrés, l'expertise apportée par l'État reste limitée, et impose aux collectivités de faire appel à une expertise privée, souvent coûteuse et dont la qualité demeure variable.

En dépit de ces difficultés, les collectivités territoriales « jouent le jeu » de l'aménagement numérique sans équivoque , comme en témoigne le dépôt rapide de nombreux projets de RIP très haut débit auprès du FSN depuis la mi-2013 ( II.C ), représentant des investissements considérables.

* *

II. RÉSEAUX FIXES : AMPLIFIER UNE DYNAMIQUE ENCORE INCERTAINE ET TERRITORIALEMENT INÉGALE

Malgré une progression globale de la couverture en très haut débit, la répartition géographique et technologique des déploiements actuels et à venir n'apporte aucune certitude quant au respect des objectifs nationaux . À ce jour, la couverture s'appuie essentiellement sur la modernisation des réseaux de câble et de cuivre, dans la zone d'initiative  privée. La part du FttH, seule technologie véritablement pérenne, reste très minoritaire dans le mix technologique . En exposant une grande partie du territoire national à une absence de perspective sur un déploiement à moyen terme du très haut débit, la stratégie gouvernementale risque par ailleurs d'aboutir demain à une nouvelle fracture numérique .

Prévenir cette nouvelle rupture technologique doit notamment passer par un suivi plus ferme des déploiements privés, un soutien accru aux projets des collectivités territoriales, et la poursuite des réformes visant à mettre en place un environnement favorable à la fibre optique. À court terme, il s'agit de répondre à une inégalité numérique inacceptable en matière de haut débit, qui prive encore plus d'un Français sur dix d'un accès correct à  internet.

A. LE DÉPLOIEMENT DU TRÈS HAUT DÉBIT EN 2015 : UNE PROGRESSION INÉGALE DANS LES TERRITOIRES

La progression de la couverture en très haut débit est essentiellement due à la modernisation des réseaux existants en zone très dense. Les déploiements dans la zone d'initiative publique devraient augmenter dans les prochaines années. Toutefois la part du FttH dans le mix technologique reste limitée, et la répartition de la couverture sur le territoire préfigure une fragmentation des réseaux.

1. Une couverture qui progresse essentiellement par la modernisation des réseaux existants dans la zone d'initiative privée

Depuis la fin de l'année 2012, la couverture de la population en très haut débit progresse globalement . Au dernier trimestre 2012, 27,1 % de la population étaient éligibles* au très haut débit. Mi-2015 ce taux atteint 44,3 % soit 17 millions de logements. La trajectoire prévisible des déploiements suggère que l'objectif intermédiaire de 50 % d'éligibilité devrait être atteint d'ici 2017. Le développement global du très haut débit s'observe également par l'évolution des travaux, avec une augmentation de 51 % sur un an du recours par les autres opérateurs à l'offre de gros d'accès au génie civil d'Orange (23 093 km).

La contribution de la planification gouvernementale à l'objectif intermédiaire de 50 % devait être modeste , dès lors que l'essentiel de cette couverture résulte de l'initiative privée, et plus particulièrement de la modernisation du réseau de câble et du réseau de cuivre. Par ailleurs, la définition peu ambitieuse de la couverture - très haut débit dès 30 Mbit/s, diversité technologique, couverture constatée par l'éligibilité - impose une certaine prudence face à cette évolution. La progression d'une telle « couverture » ne s'accompagne pas nécessairement d'une amélioration de l'aménagement numérique du territoire, par un accès effectif à un très haut débit pérenne.

CARTE DES LOCAUX ÉLIGIBLES AU TRÈS HAUT DÉBIT FIN 2014

Source : Mission Très haut débit, rapport annuel 2014

L 'éligibilité au très haut débit se concentre significativement sur les zones très denses et les zones moins denses câblées . La comparaison de la carte des logements éligibles au très haut débit avec celle de la répartition entre zone d'initiative privée et zone d'initiative publique révèle la concentration de la couverture dans cette partie de la zone privée. La couverture en débit supérieur à 30 Mbit/s s'élève à 59,8 % de la population en zone privée, contre 21,2 % en zone publique.

Le décalage entre les deux zones est lié à l'utilisation des réseaux de cuivre et de câble par les opérateurs privés, qui facilite une progression rapide des taux de couverture , et aux délais de lancement des projets dans la zone d'initiative publique. En fixant l'exigence du très haut débit à 100 Mbit/s, le constat se dégrade : selon la Mission, à la fin de l'année 2014, seulement 37,5 % de la population en zone d'initiative privée, et à peine 1 % de la population en zone d'initiative publique étaient couverts.

COUVERTURE EN ZONE D'INITIATIVE PRIVÉE ET ZONE D'INITIATIVE PUBLIQUE

Source : Mission Très haut débit, rapport annuel 2014

La contribution des RIP à la couverture de la population devrait s'accroître à partir de 2015 . La Mission très haut débit estime que 500 000 prises FttH devraient être construites dans le cadre des RIP d'ici fin 2016, pour ensuite atteindre un rythme annuel d'un million de prises.

RÉPARTITION DES PRISES FTTH PAR ZONES

Source : ARCEP, Observatoire du très haut débit, deuxième trimestre 2015

Parmi les prises éligibles FttH construites par les opérateurs privés, la zone très dense représente 2,88 millions de prises, contre 1,15 million en zone moins dense. Les efforts des opérateurs ont été concentrés jusqu'à présent dans la partie la plus rentable de la zone qui leur est attribuée. Au deuxième trimestre 2015, les zones moins denses représentent toutefois plus du double des déploiements FttH réalisés en zones très denses, avec 268 000 prises contre 104 000.

La zone d'initiative privée reste bien plus dotée que la zone d'initiative publique à la mi-2015, avec 4,03 millions de prises FttH contre 707 000. Par ailleurs, ces évolutions globales ne doivent pas masquer d'autres disparités à venir au niveau local : poches de basse densité dans la zone très dense, zone moins dense non câblée, zone d'initiative publique après 2020.

MISSION TRÈS HAUT DÉBIT ET ARCEP, DEUX BASES DE RÉFÉRENCE DIFFÉRENTES

La Mission très haut débit comptabilise le nombre de logements et locaux éligibles en prenant en compte deux bases de l'INSEE :

- la base « logement », qui recense le nombre de logements par commune (chiffres de 2011), en distinguant les résidences principales, les résidences secondaires et les logements vacants ;

- la base « démographie des entreprises », qui recense le nombre d'établissements par commune (chiffres de 2013), c'est-à-dire les locaux à usage professionnel.

L'ensemble s'élève à 38 millions de logements et locaux, dont 21 millions en zone d'initiative privée, et 17 millions en zone d'initiative publique .

L'ARCEP utilise le nombre de lignes téléphoniques actives sur le réseau cuivre, soit 30,5 millions de lignes.

2. Une appétence des utilisateurs pour le très haut débit à confirmer

Après une période d'hésitation, l'intérêt des utilisateurs pour le très haut débit s'amplifie sur le marché de détail. Au premier semestre 2015, l'ARCEP comptabilise 3,8 millions d'abonnements au très haut débit , soit une augmentation d'1,5 million en un an. Le taux de pénétration global du très haut débit atteint 28 % à la mi-2015. Les abonnés au très haut débit représentent 12,5 % de l'ensemble des lignes.

Les offres très haut débit « pérennes » (supérieures à 100 Mbit/s) ne représentent toutefois que 2,14 millions d'abonnements , soit 7 % des lignes selon la comptabilisation de l'ARCEP, et les offres très haut débit intermédiaires (comprises entre 30 Mbit/s et 100 Mbit/s) totalisent 1,69 million d'abonnements. Le FttH représente 1,14 million d'abonnements, soit 30 % des abonnés au très haut débit, et 3,7 % des lignes.

NOMBRE D'ABONNEMENTS INTERNET À HAUT ET TRÈS HAUT DÉBIT
ET ACCROISSEMENT ANNUEL NET

Source : ARCEP, Observatoire du très haut débit, deuxième trimestre 2015

On note un léger ralentissement de l'accroissement des abonnements au très haut débit en 2015 entre le premier et le deuxième trimestre. L'appétence pour le très haut débit est tirée par l'évolution des usages et des applications. Le développement de la vidéo à la demande ( VOD ), en haute définition et en très haut définition est un poste particulièrement consommateur en débit. Si à l'avenir, les usages devraient continuer à inciter les utilisateurs à migrer vers le très haut débit lorsqu'ils y sont éligibles, le rythme de croissance des abonnements reste à confirmer.

Il faut également noter la différence d'intérêt pour le très haut débit dans les zones urbaines, déjà bien dotées en offres haut débit et dont les prix sont parmi les plus bas au monde, par rapport aux zones rurales, où la rupture d'usage est bien plus importante, faute de haut débit de qualité . Les campagnes de pré-raccordement organisées par certains porteurs de RIP témoignent de l'intérêt des citoyens pour les nouveaux réseaux dans les territoires ruraux. Le syndicat mixte Manche numérique a ainsi constaté des taux de retour positif de 50 à 60 % lors d'opérations prévoyant une participation forfaitaire de 50 euros des utilisateurs. En s'appuyant sur une campagne d'information claire et transparente, le taux de pénétration dans les zones rurales pourrait rapidement dépasser celui des grandes agglomérations. Les investisseurs dans les réseaux d'initiative publique sont particulièrement dépendants de la pénétration rapide des offres très haut débit , compte tenu de l'absence de revenus sur le cuivre pour financer ces nouveaux réseaux.

3. Une progression limitée du FttH dans le mix technologique

Les derniers chiffres de l'ARCEP permettent d'analyser le mix technologique et son évolution. Mi-2015, la couverture de la population en très haut débit repose essentiellement sur le câble modernisé (HFC* et FttLA*) et sur le VDSL2* sur cuivre, tandis que le FttH conserve une place minoritaire . Très haut débit et fibre optique de bout en bout sont donc encore loin d'être synonymes.

Source : ARCEP, Observatoire du très haut débit, deuxième trimestre 2015

Selon la comptabilisation de l'ARCEP, à la fin du deuxième semestre 2015, on compte 13,9 millions de logements éligibles au très haut débit, toutes technologies confondues . Le nombre de logements éligibles au très haut débit a augmenté au cours de l'année 2014 (+1,5 million) principalement grâce à la généralisation du VDSL2 sur les lignes de cuivre compatibles avec cette technologie. Le ralentissement de cette technologie s'accompagne d'une hausse moindre du nombre de logements éligibles au très haut débit sur le premier semestre 2015 (+ 600 000).

Source : ARCEP, Observatoire du très haut débit, deuxième trimestre 2015

L'augmentation du FttH se poursuit avec 700 000 prises supplémentaires au premier semestre 2015. Le FttH représente 4,37 millions de logements éligibles, soit 32 % des logements éligibles au très haut débit .

Par rapport aux objectifs du Gouvernement, la place du FttH reste toutefois limitée . Dans la comptabilisation de la Mission très haut débit, la couverture en FttH concerne 11,3 % de la population au second trimestre 2015, contre 9,6 % à la fin de l'année 2014. Si la construction des prises prévues par les RIP devrait accroître la part du FttH dans le mix technologique, cette évolution ne serait significative qu'à partir de 2017. Il est cohérent d'observer une augmentation globale du FttH, sans qu'elle puisse préjuger de sa conformité avec les objectifs du Gouvernement. À ce jour à peine plus d'un Français sur dix est éligible au FttH.

ÉTAT DU DÉPLOIEMENT DES RÉSEAUX FTTH AU 30 JUIN 2015

Source : ARCEP, Observatoire du très haut débit, deuxième trimestre 2015

Le câble coaxial demeure la première infrastructure pour l'accès au très haut débit, avec 8,9 millions de logements éligibles, soit 27 % de la population . Le réseau de câble modernisé continue d'alimenter la couverture en très haut débit au premier semestre 2015 (+ 200 000 logements). Le parc de câble modernisé se subdivise entre les logements éligibles à des offres supérieure à 100 Mbit/s par un réseau FttLA (6,49 millions) et les logements éligibles à des offres comprises entre 30 et 100 Mbit/s par un réseau FttLA ou un réseau HFC (2,36 millions). La modernisation en cours au profit du FttLA contribue à une augmentation de la première catégorie de 16 % en un an, avec une diminution du HFC.

ÉTAT DU DÉPLOIEMENT DES RÉSEAUX DE CÂBLE AU 30 JUIN 2015

Source : ARCEP, Observatoire du très haut débit, deuxième trimestre 2015

Le VDSL2 sur le réseau cuivre est la deuxième offre technologique pour l'accès au très haut débit , avec 5,1 millions de logements éligibles. Cette technologie a massivement contribué à l'augmentation de la couverture en très haut débit, suite à sa validation partielle par l'ARCEP en octobre 2013 et à sa généralisation en octobre 2014. Le VDSL2 participe dans une proportion désormais moindre à l'augmentation de la couverture en très haut débit au premier semestre 2015. L'ARCEP évalue à 10 300 le nombre de NRA* équipés en VDSL2, soit 93,4 % des lignes cuivre qui peuvent avoir recours à cette technologie. La contribution future du VDSL2 à une augmentation nette du nombre de logements couverts en très haut débit devrait donc être plus limitée. Le VDSL2 permettant un accès très haut débit couvre 20,7 % de la population .

RÉPARTITION DES PRISES TRÈS HAUT DÉBIT
PAR TECHNOLOGIE ET PAR ZONE

Total national

Zone d'initiative privée

Zone d'initiative publique

Total

Zone très dense

Zone moins dense

Prises THD

13 895 000

79 %

39 %

40 %

21 %

Dont FttH

4 739 000

85 %

61 %

24 %

15 %

Dont FttLA et HFC

8 850 000

97 %

57 %

40 %

3 %

Dont VDSL2

5 113 000

52 %

34 %

18 %

48 %

Source : ARCEP, deuxième trimestre 2015

Les estimations de l'ARCEP révèlent une répartition territorialement hétérogène des technologies permettant l'accès au très haut débit par la boucle locale. Au total, 79 % des prises très haut débit existantes sont situées en zone d'initiative privée, et 21 % sont en zone d'initiative publique.

Près de 85 % des prises FttH sont dans la zone privée, dont 24 % en zone moins dense, et seulement 15 % sont en zone publique . La zone AMII et la zone d'initiative publique restent donc faiblement dotées en fibre optique de bout en bout. En cohérence avec la localisation des réseaux câblés, 97 % des prises FttLA et HFC sont situées en zone d'initiative privée, avec une part importante en zone moins dense (40 %). Les opérations de montée en débit sur cuivre avec VDSL2 sont réparties de manière plus égale, avec respectivement 52 % des prises en zone d'initiative privée et 48 % en zone d'initiative publique.

4. Une couverture totale en 2022 hypothétique

Tout élu prenant la mesure des enjeux du numérique ne peut que souscrire à des échéances ambitieuses pour le déploiement des réseaux sur l'ensemble du territoire. Toutefois, l'atteinte des objectifs du plan France très haut débit, dont le terme est fixé en 2022, est très incertaine. Comme sur d'autres sujets d'aménagement du territoire, vos rapporteurs déplorent le désengagement de l'État, le manque de moyens, ainsi qu'un déficit de connaissance. En matière de très haut débit, ce problème d'information complexifie l'analyse de l'avancement des déploiements par rapport aux objectifs fixés, et le chemin restant à parcourir au-delà des projets en cours.

La programmation des prises construites dans les années à venir révèle toutefois un écart significatif avec les ambitions fixées pour 2022 . Une étude récente du CEREMA analyse le volume de prises à construire, sur la base de 65 projets de RIP déposés auprès du FSN, concernant 78 départements. Malgré les ambitions de ces projets, le CEREMA note qu'il restera 7,5 millions de prises FttH à construire dans les départements concernés en 2020. Étant donné que les RIP concentrent la première phase des déploiements sur les territoires les plus denses de la zone d'initiative publique, le coût des déploiements restant après 2020 devrait être plus élevé. L'effort à fournir à l'issue de la phase FSN sera donc très important. Cette perspective, qui compromet les objectifs de 2022, suscite également des inquiétudes quant aux financements disponibles après 2020 ( II.C ).

Nul ne peut davantage prévoir la progression réelle des déploiements dans la zone d'initiative privée à l'horizon 2020 . Les projets des opérateurs et la situation sur le marché des communications électroniques suggèrent que d'ici 5 ans, la concurrence en zone d'initiative privée devrait se concentrer sur la zone très dense et la zone moins dense câblée. Par ailleurs, l'engagement pris dans les conventions signées peut se limiter à mettre en place un point de mutualisation pour certains logements et locaux au 31 décembre 2020 afin de les rendre raccordables sur demande*. La pose du point de branchement optique et de la prise terminale optique restera donc à effectuer, soit le segment potentiellement le plus coûteux de la boucle locale. Une partie significative de la zone d'initiative privée demeure également non-couverte par des conventions, et les engagements pris par les opérateurs devront se concrétiser par des déploiements significatifs ( II.B ) .

Le rapport de la mission dirigée par Paul Champsaur sur l'extinction du cuivre en 2014 soulignait ainsi qu'un scénario « au fil de l'eau » compromettait les objectifs fixés par le Gouvernement pour 2022.

En ce qui concerne le sous-objectif d'une couverture à 80 % en FttH en 2022, la majorité des acteurs auditionnés s'accordent sur le rythme insuffisant des déploiements à venir pour atteindre cet objectif . La filière industrielle estime que la production annuelle de câble devrait doubler, de 6 millions à 12 millions de kilomètres de câbles, pour tenir cette ambition. Citant une analyse de l'ARCEP établie sur la base de 83 SDTAN élaborés en septembre 2014, la mission dirigée par Paul Champsaur observait que le taux de couverture en FttH de la zone d'initiative publique atteindrait 50 % en 2022, et 70 % en 2035, compte tenu notamment de l'augmentation très importante des coûts au fur et à mesure de la baisse de densité de l'habitat.

Le mix technologique observé jusqu'à présent en zone d'initiative privée , et son évolution prévisible fragilisent cet objectif de 80 % en FttH. Pour rappel, le PFTHD envisageait une couverture intégrale de la zone d'initiative privée en FttH exclusivement. Le recours au mix technologique ne devait être significatif que dans la zone d'initiative publique, afin de tenir compte de la difficulté pour déployer une boucle locale optique dans certaines zones peu denses, et de l'urgence à améliorer le débit de certains utilisateurs.

PRISES « PUBLIQUES » FTTH PRÉVUES DANS LES SDTAN*

À l'égard du PNTHD, votre co-rapporteur soulignait en 2011 : « Face à ce très haut niveau d'exigence, auquel votre rapporteur ne peut que souscrire, la situation d'étape, en termes de déploiement, incite à la prudence quant au respect à terme des objectifs fixés ». L'objectif du programme national était alors de couvrir 100 % de la population en très haut débit d'ici 2025... Le PFTHD rapproche cet objectif de trois ans. Bien que le PFTHD soit plus structuré, et doté de moyens mieux identifiés, on ne pouvait qu'être circonspect face au rapprochement arbitraire d'une échéance déjà hypothétique. La conjonction des incertitudes très fortes sur l'ampleur des déploiements FttH dans la zone d'initiative privée d'une part, et du manque de visibilité sur l'après-2020 dans la zone d'initiative publique d'autre part, compromettent l'atteinte des objectifs de 2022. Si l'ampleur du décalage entre les objectifs et les résultats reste difficile à établir, la probabilité que les ambitions de 2022 ne soient pas atteintes, avec un écart significatif, augmente fortement.

En réalité, fixer l'achèvement du plan en 2022 permettra au Gouvernement, en se prévalant d'une couverture de 50 % de la population en 2016 ou 2017, de prétendre être à mi-chemin du très haut débit pour tous . Tout citoyen ayant conscience de la diversité géographique et topographique de nos territoires, soupçonnera à raison que la couverture des 50 % « restants » sera incommensurablement plus longue, coûteuse et techniquement complexe que celle des premiers 50 %. En matière d'aménagement du territoire, tout restera à faire en 2017 , et le manque de visibilité sur les financements après 2020 nuit à toute projection précise sur l'évolution de l'accès au très haut débit.

B. VEILLER AU RESPECT DES ENGAGEMENTS DES OPÉRATEURS PRIVÉS POUR ASSURER LA COUVERTURE DU TERRITOIRE

La répartition générale des déploiements dans le cadre du PFTHD confie aux opérateurs privés la couverture de 57 % de la population en fibre optique d'ici 2022, pour un investissement estimé entre 6 et 7 milliards d'euros, hors raccordement final. La stratégie des opérateurs privés dans cette zone compromet une contribution d'une telle ampleur. L'agrégation des politiques commerciales d'opérateurs privés ne fait pas une politique d'aménagement du territoire.

1. Une priorisation du FttH perturbée par l'irruption du câble

La couverture de la zone d'initiative privée doit être financée exclusivement par les fonds propres des opérateurs. Le PFTHD vise un déploiement en FttH dans cette zone, sans recours significatif au mix technologique. Afin de minimiser le besoin en investissement, et d'éviter une duplication des coûts, le régulateur a élaboré un cadre privilégiant la mutualisation de la dernière partie des réseaux.

Les investissements privés dans le très haut débit représentent encore la majorité des investissements . En 2014, les investissements des opérateurs dédiés au déploiement de la boucle locale pour le très haut débit fixe atteignent 946 millions d'euros, soit la grande majorité de l'investissement total dans le très haut débit. Selon l'ARCEP, 85 % de ces investissements sont consacrés aux déploiements dans les réseaux en fibre optique de bout en bout (FttH et FttO*), le reste étant dédié à la rénovation du réseau câblé. En 2015, l'investissement privé dans le FttH devrait rester majoritaire, avant d'être supplanté par l'investissement public à partir de 2016.

La fusion entre Numericable et SFR , autorisée par l'Autorité de la concurrence le 27 octobre 2014, a sensiblement modifié la structure du marché des communications électroniques, en défaveur d'un déploiement massif du FttH. Une des deux « locomotives » présumées du FttH dans la zone privée n'existe plus. Le nouvel ensemble créé par le regroupement de Numericable et SFR détient un réseau de câble de près de 10 millions de prises. La modernisation de ce réseau, par opticalisation d'un segment de la boucle locale (architecture HFC ou FttLA) permet de proposer une offre très haut débit intéressante aux logements raccordés, à moindre coût par rapport au déploiement d'une boucle locale optique intégrale. Alors que SFR était amené à participer activement au déploiement du FttH dans la zone d'initiative privée, à titre principal ou en tant que cofinanceur avec Orange, la nouvelle entité est très peu incitée à investir dans cette technologie. La perspective du groupe est d'achever la modernisation du réseau, et de commercialiser les offres à ses abonnés haut débit sur l'ensemble de la zone câblée, c'est-à-dire l'essentiel de la zone très dense, ainsi qu'une partie de la zone moins dense (« zone AMII câblée »). Comme souligné par un opérateur auditionné, « avec cette fusion, le câble s'est invité dans le très haut débit ». En l'absence de régulation du marché du câble, les pouvoirs publics manquent d'outils pour articuler le maintien du câble avec le développement du FttH. Hors zone très dense, cette fusion a également un impact significatif sur les projets d'investissement des opérateurs dans la zone moins dense.

La focalisation de la stratégie de Numericable-SFR sur la commercialisation du câble modernisé dans les zones les plus denses modifie les projets d'Orange dans la zone d'initiative privée. Voyant ses parts menacées sur le fixe - tant sur le marché de détail que sur le marché de gros - dans les grands centres urbains, par une infrastructure peu coûteuse pour son concurrent, l'opérateur historique est incité à concentrer ses déploiements FttH dans toutes les zones câblées, en zone très dense et en zone moins dense 30 ( * ) . Si Orange a annoncé un plan ambitieux d'investissement à l'horizon 2020, les ressources prévues devraient être ciblées sur ces zones soumises à forte concurrence. Bouygues Telecom - qui loue par ailleurs le réseau câblé de Numericable-SFR pour proposer ses propres services - et Free vont probablement se concentrer sur les mêmes zones concurrentielles, compte tenu de leurs moyens financiers moins importants.

Selon la majorité des acteurs auditionnés, les investissements privés resteront élevés dans les prochaines années mais se concentreront sur les zones soumises à une forte concurrence entre opérateurs. Jusqu'à l'horizon 2020, les capacités d'investissement des opérateurs privés devraient donc être mobilisées dans ces territoires. Une telle évolution est incompatible avec un objectif d'aménagement du territoire.

L'hypothèse du « tout FttH » dans la zone d'initiative privée est donc remise en question, fragilisant ainsi l'objectif de 80 % de couverture FttH en 2022, alors même que cette zone privée avait vocation à être le principal moteur du déploiement FttH à moyen terme.

Si cette évolution va dynamiser les investissements privés dans les zones les plus concurrentielles, les disparités territoriales risquent de s'accentuer fortement . Cette situation va accroître le suréquipement des logements dans les grands centres urbains, par un doublonnement des infrastructures . Au quatrième trimestre 2014, la Mission très haut débit estimait que 7,4 % des logements et locaux sont éligibles au très haut débit, à la fois par le câble et par le FttH. Ces mêmes utilisateurs peuvent également être éligibles au très haut débit par le VDSL2 sur cuivre. Si cette diversification de l'offre est favorable aux habitants des grandes villes, elle se fait au prix d'une extension réelle de la couverture très haut débit à de nouveaux territoires. Les déploiements dans la zone d'initiative privée vont ainsi contribuer de façon plus limitée à une augmentation nette du nombre de logements couverts .

Vos rapporteurs notent à ce titre que le marché de détail des offres de services très haut débit en France ne favorise pas l'investissement dans le FttH. Comme le marché du mobile, le marché du fixe privilégie une concurrence par les prix et les offres groupées, au détriment d'une segmentation tarifaire en fonction de la technologie ou du débit. Le contentieux récent entre opérateurs sur l'utilisation de la dénomination « fibre optique » pour la commercialisation des offres très haut débit fondées sur le réseau de câble ou de cuivre révèle une problématique plus générale de monétisation du progrès technologique et de clarification entre les technologies .

La différenciation des offres de service, selon le débit réel (moyen ou garanti) et la symétrie des débits, permettrait de tarifer à sa juste valeur chaque technologie , et de souligner l'intérêt de la technologie la plus pérenne, mais également la plus coûteuse à déployer : le FttH. Améliorer l'information permettrait également d'augmenter la demande des utilisateurs. Plusieurs actions contribueraient à mieux valoriser les investissements dans les différentes technologies : usage des dénominations dans les offres commerciales, mesure et publication des débits réels, intégration de l'accès au très haut débit dans les annonces immobilières 31 ( * ) ... Un écosystème commercial plus favorable au très haut débit permettrait ainsi d'accroître les investissements dans les infrastructures en stimulant les usages .

2. Des engagements de déploiement à sécuriser par une véritable contractualisation

L'objectif de l'AMII organisé en 2011 était d'établir une répartition des déploiements, de donner davantage de visibilité à l'ensemble des parties prenantes, et d'évaluer le besoin en aides publiques, conformément au cadre européen. Vos rapporteurs soulignent que la crédibilité des intentions d'investissement était mise en cause dès 2011 : « L'incertitude vient en réalité du fait que les engagements des opérateurs, sur lesquels est fondée toute la « mécanique » du système, sont totalement unilatéraux et dépourvus de toute force contraignante [...] les opérateurs ne se trouvent liés que par leur parole et prennent la main sur le dispositif, dont ils deviennent les véritables « maîtres du jeu ». On peut ainsi même imaginer des stratégies de blocage de leur part : leurs déclarations d'intention, qui ne seraient liées pour certaines à aucun désir réel de s'investir, auraient pour seule vocation d'empêcher durablement toute collectivité d'investir » 32 ( * ) . La durée de validité des intentions d'investissement, fixée à cinq ans, était alors supérieure à celle de trois ans recommandée par le cadre européen.

Afin de préciser les intentions d'investissement des opérateurs à l'heure du PFTHD, le plan prévoit la signature de conventions de programmation et de suivi des déploiements (CPSD) sur l'ensemble de la zone d'initiative privée, dite « zone conventionnée ». La Mission très haut débit met à disposition des parties prenantes une convention-type. Ce conventionnement associe les collectivités territoriales, les opérateurs privés et l'État. Il poursuit plusieurs objectifs :

- préciser et consolider les engagements de l'opérateur de réseau conventionné (ORC) en terme de nombre de logements raccordables, de calendrier de déploiement et de répartition géographique ;

- définir les priorités de la collectivité territoriale en matière de déploiements privés sur le territoire ;

- accélérer les déploiements privés en prévoyant une action facilitatrice de la collectivité ;

- prévoir des modalités de suivi régulier sur l'avancement des déploiements de l'ORC ;

- permettre le constat d'une défaillance caractérisée en cas de manquement aux engagements pris dans la convention, avec le cas échéant des aides supplémentaires de l'État pour y déployer un RIP.

D'après le rapport annuel 2014 du plan France très haut débit, sur les 3583 communes de l'ancienne zone AMII : 53 % des locaux sont « engagés dans processus de signature » d'une CPSD (1764 communes), 35 % des locaux bénéficient d'une CPSD signée (1059 communes) et 18 % des locaux sont en cours de conventionnement (705 communes).

RÉPARTITION DE LA ZONE CONVENTIONNÉE

Compte tenu de l'état d'avancement de ces négociations, le terme de « zone à conventionner » décrirait mieux cette partie du territoire nationale . Deux ans après la mise à disposition de la convention-type, de nombreux territoires ne sont toujours pas couverts par une CPSD, tandis que certaines conventions signées ont une échelle ou des dispositions qui ne permettent pas de vérifier précisément le respect des engagements pris par les opérateurs. Le dispositif de conventionnement reste donc parcellaire.

Comme mentionné précédemment, la fusion Numericable-SFR va concentrer l'ensemble des efforts des opérateurs sur les territoires les plus denses de la zone privée. Cette nouvelle répartition des cartes entraîne une « dépriorisation » des investissements hors des zones très denses et des zones moins denses câblées . Ces évolutions suggèrent un renouvellement des projets des opérateurs, par rapport à ceux déclarés lors de l'AMII de 2011. Avant la fusion avec Numericable, SFR avait conclu des accords de répartition des déploiements en matière de primo-investissement et de cofinancement avec Orange sur la zone intermédiaire. Suite à l'absorption par Numericable, propriétaire d'un réseau de câble de près de 10 millions de prises, il est a priori certain que SFR ne déploiera pas de réseau FttH dans les communes dotées d'un réseau de câble, qu'il s'agisse de la zone très dense ou de la zone moins dense privée.

La signature par les opérateurs de certaines conventions était donc suspendue à la négociation d'un nouvel accord de partage des investissements entre Orange et Numericable-SFR. Après plusieurs mois de négociations, l'Autorité de la concurrence a pris acte de l'incapacité des deux principaux acteurs des déploiements FttH à aboutir à une nouvelle répartition des responsabilités dans la zone moins dense 33 ( * ) . Il est donc probable que les deux opérateurs, particulièrement Orange, choisissent sélectivement certaines parties de la zone AMII, compte tenu de leur rentabilité.

Une contractualisation précise des déploiements dans l'ensemble de l'ancienne zone AMII apparaît d'autant plus importante, afin de confirmer ou d'infirmer la détermination des opérateurs à déployer dans les territoires concernés . Alors que la fin de l'année 2015 approche, une grande partie de la zone d'initiative privée vit encore sur la base d'intentions d'investissement exprimées cinq ans plus tôt, sans certitudes sur leur crédibilité d'alors, et moins encore fin 2015.

Cette incertitude place les collectivités territoriales et les citoyens dans une situation de forte dépendance à l'égard de la stratégie commerciale des opérateurs privés . Afin de clarifier les perspectives de déploiement dans les territoires concernés, il est indispensable pour les élus locaux de disposer d'engagements clairs, vérifiables selon des échéances précises et assortis de conséquences fortes en cas d'inexécution.

L'objectif de l'AMII était de donner de la visibilité aux acteurs du déploiement, à la fois les opérateurs privés et les collectivités territoriales. Si vos rapporteurs soutiennent tout à fait la clarification des responsabilités, force est de constater que le conventionnement actuel ne couvre pas l'ensemble des zones concernées, et responsabilise très peu les opérateurs privés.

Les CPSD apparaissent comme un relai des intentions d'investissement. Malgré ce conventionnement, la principale faiblesse de l'AMII risque de se reproduire dans la zone conventionnée : une préemption de nombreuses zones intermédiaires par les opérateurs privés afin de prévenir dans les cinq années à venir tout mouvement perturbateur pour leur stratégie d'investissement , y compris lorsque la faible rentabilité de certaines de ces zones compromet en réalité toute venue des opérateurs.

Le conventionnement est donc susceptible de pérenniser cette situation favorable aux opérateurs , en prolongeant l'immobilisme imposé à l'action publique dans les zones concernées. Le Gouvernement vise un conventionnement intégral de la zone AMII d'ici la fin de l'année 2015. Il compte sur ce dispositif pour maintenir une pression publique sur l'ORC.

Vos rapporteurs estiment que seule une contractualisation dotée d'engagements précis, assortis de sanctions prises par le régulateur en cas d'inexécution, est susceptible de garantir véritablement une couverture en temps utile des territoires concernés . Cette contractualisation devrait être menée rapidement, d'ici le début de l'année 2016 . L'ensemble des commissions consultatives régionales d'aménagement numérique du territoire (CCRANT) devraient être réunies, afin d'évaluer la situation dans chaque territoire et de mener une campagne de contractualisation sur le territoire. Les CCRANT ont été précisément créées en 2011 afin de favoriser le dialogue entre opérateurs et collectivités, sous la présidence des préfets de région.

Les engagements doivent être précis afin de garantir une progression réelle de la couverture au fil des échéances fixées par cette contractualisation. À ce titre, la notion de logements « raccordables sur demande » prévu dans les conventions ne garantit pas un accès rapide au très haut débit. Un tel engagement limite la responsabilité de l'opérateur conventionné à mettre en place un point de mutualisation* (PM), sous la forme d'une armoire de rue distante des habitations, et à permettre un raccordement du PM au point de branchement optique* (PBO), proche de la prise terminale optique* (PTO), dans un délai de six mois suite à la demande d'un utilisateur.

Le bénéfice d'un monopole de déploiement accordé aux opérateurs privés doit également être lié à des contreparties, et à des conséquences en cas d'inertie prolongée . Pour être effectifs, ces contrats doivent être associés à des contraintes juridiques. C'était le sens de la proposition de loi portée par votre co-rapporteur en 2012, qui prévoyait de conférer au régulateur un pouvoir de sanction des opérateurs en cas de non-respect de leurs engagements 34 ( * ) . La seule conséquence du non-respect des conventions proposées aujourd'hui par le Gouvernement est la perte du monopole des déploiements, au terme d'une procédure complexe visant à constater une défaillance « caractérisée ». En d'autres termes, la préemption de la zone AMII n'a aucun coût significatif pour les opérateurs.

Inscrire ces projets dans une véritable contractualisation, en prévoyant des sanctions financières en cas d'inexécution, permettrait d'obtenir une information de la part des opérateurs : en cas d'impossibilité d'aboutir à un accord précis, l'État pourrait en déduire l'absence d'intérêt des opérateurs pour les zones concernées, mettant ainsi fin au monopole de l'initiative privée.

Ce processus faciliterait une redéfinition cohérente et actualisée des projets de déploiements des opérateurs. Il est en effet certain que les opérateurs ne déploieront pas un réseau FttH sur l'ensemble de la zone AMII. Cette contractualisation permettrait également de mieux connaître le besoin réel en financement public , vraisemblablement sous-estimé à ce jour par l'exclusion de secteurs de la zone AMII qui ne seront de fait pas couverts par la seule initiative privée.

Une telle contractualisation serait donc un outil de consolidation au service des collectivités territoriales, contrairement au conventionnement aujourd'hui proposé, qui s'apparente à un instrument de pérennisation du privilège accordé à l'initiative privée.

Proposition : exiger des opérateurs une confirmation de leurs projets de déploiements, d'ici le début de l'année 2016, par une contractualisation précise, assortie de sanctions financières prises par le régulateur en cas d'inexécution.

L'art de gouverner suppose de prévoir, et d'anticiper les difficultés éventuelles. Vos rapporteurs considèrent qu'il est de la responsabilité de l'État d'élaborer un « plan B » pour le déploiement du très haut débit dans la zone intermédiaire, en exploitant toutes les possibilités offertes par le cadre européen pour permettre une intervention publique . Les enjeux du très haut débit sont trop importants pour que la puissance publique reste passive face à la stratégie des opérateurs.

En cas de refus des opérateurs de s'engager dans une telle contractualisation, ou de défaillance persistante sur leurs engagements , la remise en question de l'impossibilité de déployer un RIP dans la zone dévolue à l'initiative privée serait cohérente avec le cadre européen ( I.B ). L'AMII ayant été organisé en 2011, le souhait des opérateurs de ne pas s'engager dans une contractualisation précise début 2016, ou un décalage excessif entre les intentions initiales et les engagements contractualisés, justifierait une remise en cause de l'interdiction d'intervention publique avec le soutien de l'État . Le soutien aux RIP intégrés ainsi mis en place devrait faire l'objet de dispositions plus précises dans le cahier des charges du FSN afin de préciser les conditions de cette aide. Dans la proposition de loi adoptée par le Sénat, votre co-rapporteur souhaitait précisément une extension du soutien de l'État aux projets des collectivités territoriales en cas de défaillance de l'initiative privée 35 ( * ) .

À cette perspective, le Gouvernement avait alors opposé l'existence d'intentions d'investissement déclarées par les opérateurs privés. Nos collègues Yves Rome et Pierre Hérisson notaient dans leur rapport de 2013 : « il est a priori difficile d'apporter la démonstration que le réseau NGA projeté sera insuffisant pour satisfaire la demande des citoyens et des utilisateurs dans la zone considérée. Il reste que cette démonstration n'est pas hors de portée ». À l'orée de l'année 2016, l'absence de déploiement effectif dans certaines parties de la zone AMII, et le refus des opérateurs de s'engager dans une contractualisation contraignante et assortie de sanctions financières, constitue une preuve de l'absence d'offre privée, aux dépens de l'accès des citoyens au très haut débit.

À ce titre, l'État doit assumer son rôle, au nom de l'aménagement du territoire. Si la révision des engagements des opérateurs devait conduire à une extension du périmètre des RIP, vos rapporteurs considèrent qu'il serait de la responsabilité de l'État d'accroître les subventions mobilisées pour soutenir les collectivités territoriales . Le Gouvernement ne peut pas défendre un objectif de couverture totale de la population sans mobiliser les ressources nécessaires.

Il s'agit pour l'État de donner aux collectivités territoriales les moyens de ses ambitions, au nom de l'intérêt général.

Proposition : permettre aux collectivités de déployer un réseau d'initiative publique avec le soutien financier de l'État dans la zone préemptée par les opérateurs, en l'absence de contractualisation ou en cas d'inexécution persistante.

Ainsi, les opérateurs seraient enjoints d'inscrire précisément leurs projets de déploiement dans des contrats juridiquement contraignants et assortis de pénalités financières en cas d'inexécution. Le maintien d'une préemption de ces zones intermédiaires par l'initiative privée ne saurait être dénué de toute contrepartie .

Si les opérateurs ne souhaitent pas s'engager dans ce processus ou si des défaillances majeures sont constatées dans la mise en oeuvre des contrats, l'insuffisance de l'offre privée serait constatée et l'État apporterait son soutien au déploiement d'un RIP dans les territoires concernés.

Ce dispositif permettrait de remédier à l'attentisme constatée dans une grande partie de la zone AMII , d'offrir aux élus locaux et aux citoyens une vraie visibilité sur les projets des opérateurs, et de donner aux collectivités territoriales concernées les moyens de couvrir rapidement leur territoire, sans dépendre de la stratégie discrétionnaire et fluctuante des grands opérateurs.

3. Un manque d'informations et de garanties sur la réalité des déploiements privés

Plusieurs organismes auditionnés ont attiré l'attention du groupe de travail quant au manque d'informations précises sur l'état des déploiements dans la zone d'initiative privée . Si la zone moins dense privée doit faire l'objet d'engagements et d'un suivi particulier, la zone très dense ne bénéficie pas d'une surveillance spécifique. Or la densité de la zone très dense n'est pas homogène . La présence de nombreuses « poches de basse densité » dans la zone très dense laisse présager un mitage des déploiements dans les zones supposées être les plus rentables.

Ce déficit de connaissance est incompatible avec une action publique efficace . Les porteurs de RIP s'interrogent légitimement sur l'avenir, car une défaillance réelle de l'offre privée pourrait nécessiter une extension du périmètre de l'action publique. La stratégie numérique du Gouvernement de 2013 soulignait la nécessité d'un suivi fin et régulier des engagements pris par les opérateurs. À ce jour, cette surveillance semble lacunaire.

Afin de tenir compte de ces disparités au sein même de la zone très dense, l'ARCEP a proposé un cadre pour renforcer la mutualisation des investissements des opérateurs privés lorsque la rentabilité attendue est moindre 36 ( * ) . Malgré ces recommandations, les opérateurs privés semblent peu dynamiques sur ces zones. Si certains opérateurs ont pris des engagements globaux sur la zone très dense - Orange ayant ainsi annoncé qu'il en couvrirait 100 % d'ici 2022 - l'homogénéité des déploiements dans cette zone reste inconnue. Faute d'information claire, les collectivités territoriales risquent de prendre la mesure de ces disparités tardivement. Il serait souhaitable que soit confiée à l'ARCEP une surveillance plus détaillée de la zone très dense, dont les données seraient rendues publiques en exigeant de la part des opérateurs des informations plus détaillées et harmonisées.

Le déploiement parcellaire sur la zone d'initiative privée crée également une problématique en termes de complétude des réseaux très haut débit. Le principe de complétude impose à tout opérateur déployant en zone moins dense de réaliser un réseau capillaire pour l'ensemble de la zone arrière du point de mutualisation, dans un délai raisonnable, à proximité immédiate des logements et locaux à usage professionnel.

L'ARCEP mène actuellement des travaux sur l'obligation de complétude, prévue pour les zones moins denses, qu'elles soient prises en charge par l'initiative privée ou l'initiative publique 37 ( * ) . Dans le cadre de cette modification de la réglementation, l'autorité envisage un assouplissement du principe, afin de faciliter les déploiements des différents opérateurs dans les zones moins denses. Vos rapporteurs sont attachés à l'homogénéité des déploiements et souhaitent que cet infléchissement éventuel du principe de complétude n'aggrave pas la dispersion des réseaux dans la zone d'initiative privée, et ne masque pas des coûts importants en les reportant sur les collectivités à un horizon indéterminé . Comme l'avaient noté l'ensemble des contributeurs lors de la consultation publique sur la décision de l'ARCEP relative aux zones moins denses, les territoires situés en dehors des zones très denses sont très hétérogènes.

La régulation doit créer un cadre favorable à une accélération des raccordements des utilisateurs, dans un délai raisonnable, en maîtrisant le nombre de logements raccordables sur demande. Si une évolution de la règle de complétude peut être nécessaire dans les territoires peu denses de la zone d'initiative publique, elle ne doit pas permettre aux opérateurs privés de viser des engagements de déploiement a minima dans la zone intermédiaire. L'État ne saurait interdire aux collectivités territoriales toute intervention en zone d'initiative privée, sans apporter de garantie sur la cohérence des réseaux mis en place par les opérateurs privés.

Le principe de complétude doit être modulé en fonction de la zone concernée . Dans la zone moins dense d'initiative privée, la rentabilité attendue devrait conduire à une obligation stricte de complétude pour les opérateurs, contrepartie logique de leur monopole de déploiement, afin de permettre à l'ensemble des logements et locaux d'accéder rapidement au très haut débit. Une définition exigeante de la complétude en zone d'initiative privée est un impératif d'aménagement numérique du territoire . En zone d'initiative publique, la variation élevée des coûts de déploiement devrait amener à privilégier une obligation proportionnée au territoire. La complétude doit être adaptée afin de faciliter le déploiement dans les territoires ruraux, et de favoriser l'obtention du statut de « zone fibrée » ( II.D ). Compte tenu de la part importante d'habitats isolés dans les territoires pris en charge par les collectivités territoriales, une application stricte du principe de complétude compromettrait la viabilité économique du déploiement de certaines plaques.

Proposition : veiller au respect du principe de complétude dans la zone intermédiaire et renforcer le suivi de l'État et du régulateur sur la progression et l'homogénéité des déploiements dans l'ensemble de la zone préemptée par les opérateurs.

Le cadre des déploiements dans la zone d'initiative privée crée un vrai risque de fragmentation de la couverture. La fracture numérique risque de s'étendre à toute une partie de cette zone , considérée comme prise en charge spontanément par les opérateurs, à partir de leurs déclarations. Dans la zone très dense, le manque d'informations sur l'étendue des déploiements et le traitement des poches de basse densité n'apportent pas d'assurance sur la complétude des plaques et la possibilité pour les utilisateurs d'être rapidement raccordés. Dans la zone moins dense, les faiblesses du conventionnement, couplées à l'impossibilité d'y déployer des réseaux d'initiative publique, exposent une partie significative de la zone AMII à une absence de très haut débit à un horizon d'au moins 5 ans.

Ni couverte par l'initiative privée, faute de rentabilité certaine, ni prise en charge par l'initiative publique, faute d'autorisation de l'État, toute une partie de la France périurbaine menace d'être privée d'un accès très haut débit à moyen terme . Le dispositif prévu en zone d'initiative privée est donc peu sécurisant pour les territoires concernés. La dispersion des déploiements dans la zone confiée aux opérateurs privés va préjudicier aux particuliers, mais également aux entreprises, le tissu économique étant souvent dense dans la zone d'initiative privée. L'absence d'accès de qualité à internet hypothèquera la compétitivité des activités concernées.

Le traitement de la zone d'initiative privée confirme, si cela était encore nécessaire, une réelle divergence entre l'intérêt général et les intérêts privés, qui structurent pourtant une grande partie des déploiements et conditionnent l'intervention publique.

C. SOUTENIR LA MOBILISATION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Les collectivités territoriales se sont massivement mobilisées pour élaborer des projets de réseaux d'initiative publique ambitieux et coûteux, malgré un contexte économique et budgétaire particulièrement difficile. Les collectivités sont également exposées à de réelles difficultés pour définir leurs projets. Le désengagement général de l'État se traduit par un déficit d'expertise technique, juridique et financière, qui risque d'aboutir à de mauvais choix pour certains de ces réseaux de nouvelle génération.

Afin de garantir la cohérence et la pérennité de ces efforts, un renforcement du soutien de l'État apparaît nécessaire , en matière de financement, d'expertise et d'aide à la commercialisation des réseaux.

1. Des réseaux d'initiative publique ambitieux mais hétérogènes
a) Une mobilisation massive des collectivités territoriales

Dans le cadre du PFTHD, les collectivités territoriales se sont engagées dans des projets de RIP ambitieux . Les élus locaux ont tenu compte de la demande croissante des citoyens dans les territoires ruraux, afin de faire de l'aménagement numérique une priorité dans les prochaines années. Ces efforts sont d'autant plus remarquables qu'ils sont menés dans un contexte de baisse des dotations et d'augmentation des charges, particulièrement pour les conseils départementaux, confrontés dans le même temps à une hausse des dépenses sociales. Les collectivités chargées d'assurer l'aménagement numérique du territoire doivent gérer simultanément des situations budgétaires très contraintes.

LA SITUATION FINANCIÈRE DES DÉPARTEMENTS EN 2015

La participation des collectivités territoriales à la mise en oeuvre du plan d'économies de 50 milliards d'euros à l'horizon de 2017 s'élève à 11 milliards d'euros d'économies sur trois ans , soit 22  % de l'effort total en dépenses sur le programme triennal. Le projet de loi de finances initiale pour 2016 fixe à 3,6 milliards d'euros l'économie que devront réaliser les collectivités territoriales, essentiellement par une réduction de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Les départements doivent assumer 32 % de cette réduction.

Cette mesure s'ajoute à celles adoptées lors de l'examen des précédentes lois de finances , notamment le gel en valeur des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales en 2013 et la baisse de 1,5 milliards d'euros des dotations aux collectivités territoriales en 2014, et de 3,5 milliards d'euros en 2015.

Parallèlement, les collectivités doivent assumer des dépenses croissantes. Les départements, au coeur des projets de RIP, connaissent une hausse constante de dépenses sociales , en particulier des trois allocations individuelles de solidarité : revenu de solidarité active (RSA), allocation personnalisée d'autonomie (APA) et prestation de compensation du handicap (PCH). En 2015, le reste à charge qu'il leur incombe de financer pour l'ensemble des aides sociales s'élève à 8,12 milliards d'euros, dont près de 50 % pour le seul RSA (4,05 milliards d'euros). D'ici la fin de l'exercice budgétaire 2015, l'Assemblée des départements de France (ADF) estime que 10 départements risquent de se retrouver en cessation de paiement , et que 40 départements seraient dans cette situation en 2016. Des mesures d'urgence doivent être mises en oeuvre afin d'éviter de telles difficultés.

Cette situation fragilise durablement la capacité d'investissement des départements , qui constituent les principaux acteurs du déploiement des réseaux d'initiative publique, avec la contribution des autres niveaux de collectivités territoriales.

Comme rappelé par la Cour des comptes dans son rapport de 2015 sur les finances publiques locales, les dépenses des collectivités représentent 58 % de l'investissement public. Dans un contexte budgétaire difficile, l'investissement local a baissé de 9,6 % en 2014 . Cette baisse devrait se poursuivre entre 2015 et 2017 avec la réduction des dotations. Alors que le coût du déploiement du très haut débit représente pour certains départements plusieurs années entières de dépenses d'investissement, la pression croissante sur les budgets locaux risque de compromettre l'équilibre des projets de RIP. Le manque de perspectives sur la commercialisation des premières prises remet également en question l'équation financière du très haut débit dans de nombreux territoires. Ces difficultés financières risquent de remettre en cause les ambitions des collectivités , contraintes de privilégier des solutions de court terme, comme la montée en débit sur cuivre, au détriment d'investissements pérennes dans la fibre optique.

Au deuxième trimestre 2015, 74 dossiers de RIP ont été déposés auprès de la Mission très haut débit, couvrant 87 départements . Les principaux arbitrages relatifs à la répartition des contributions des différentes collectivités territoriales à chaque projet de RIP sont globalement arrêtés. Les investissements prévus sont élevés. Après un montant limité à 123 millions d'euros en 2014, l'investissement dans les réseaux d'initiative publique devrait atteindre 560 millions en 2015 puis dépasser les 950 millions en 2016. À partir de 2016, le volume des investissements publics devrait dépasser celui des investissements privés. D'ici 2020, 10 milliards d'euros doivent être investis, d'après les projets de RIP déposés.

INVESTISSEMENTS EFFECTIFS DANS LES RÉSEAUX DE FIBRE OPTIQUE (FTTH)

Source : Mission très haut débit, rapport annuel 2014

La contribution des RIP à la couverture de la population en très haut débit devrait donc s'accroître dans les prochaines années , essentiellement par des opérations de montée en débit en 2015 et 2016, puis par la construction de prises FttH à partir de 2017. La Mission très haut débit anticipe un rythme annuel d'1 million de prises FttH construites après 2016.

À ce jour, on recense quatorze départements n'ayant pas encore déposé de dossier de demande de subvention auprès du FSN pour le déploiement d'un RIP très haut débit . Trois de ces départements n'ont pas vocation à faire l'objet d'un nouveau déploiement d'initiative publique : à Paris, le déploiement est pris en charge en totalité par les opérateurs privés ; dans les Hauts-de-Seine, un RIP très haut débit a été précocement mis en place sous la forme d'un SIEG ; en Seine Saint-Denis, le territoire est réparti entre zone très dense et zone moins dense privée. Compte tenu de la complexité de la procédure d'instruction et de délais incompressibles dans le lancement des travaux, il est nécessaire d'achever rapidement l'élaboration et le dépôt des derniers projets de RIP. La couverture totale du territoire national par des projets de RIP ne signifie pas une hausse rapide de la couverture en FttH. En témoigne le décalage entre les cartes d'élaboration des RIP et de couverture du territoire en FttH.

La mobilisation des collectivités territoriales va permettre d'accroître la couverture dans une partie significative de la zone d'initiative publique au cours des prochaines années. Toutefois, de nombreux risques pèsent sur la soutenabilité de tels projets : manque de visibilité sur le soutien de l'État, complexité et longueur du traitement des demandes de subvention, mise en conformité technique, incertitudes sur la commercialisation des réseaux... Sur la question du très haut débit, les collectivités demeurent isolées, face à des choix complexes à effectuer .

b) Une diversité de montages juridiques

Le portage et les montages juridiques choisis pour la réalisation des projets de RIP sont divers . Compte tenu de l' avancement variable des projets , certaines collectivités territoriales ont déjà identifié un montage juridique pour l'exploitation de leur RIP, tandis que la maîtrise d'ouvrage est encore susceptible d'être modifiée pour d'autres projets.

Les structures retenues afin d'assurer la maîtrise d'ouvrage des projets de RIP convergent relativement . La création d'un syndicat mixte ouvert reste la solution la plus fréquente et concerne près de 40 % des projets. Permettant d'associer la région, le département ainsi que les intercommunalités, le syndicat mixte crée une culture commune sur le très haut débit, sujet nouveau et complexe. Un syndicat mixte permet également de mieux identifier les ressources dédiées. La maîtrise d'ouvrage par le conseil départemental , échelle de base des RIP de deuxième génération, est également fréquente, pour 27 % des projets. Dans cette seconde configuration, le portage par le conseil départemental peut être une situation transitoire, dans l'attente de la création d'un syndicat mixte ouvert. Malgré les synergies possibles, le recours à un syndicat d'énergie s'avère une solution plus ponctuelle que prévu, certains ayant des compétences et une expertise particulièrement étendues (électricité, gaz, chaleur, production d'énergie renouvelable, communications électroniques) tandis que d'autres syndicats concentrent leur activité sur les réseaux d'électricité. Dans deux projets, le conseil régional est le porteur du projet.

Source : CEREMA, 2015

La construction des réseaux fait majoritairement appel à des marchés de travaux (plus de 50 % des projets) , solution privilégiée dans la perspective d'un affermage* pour l'exploitation ultérieure du RIP. Présentant souvent des clauses dites de stop and go, ces contrats ont pour avantage de s'adapter à l'évolution du réseau, en termes d'exploitation et de commercialisation. Un tel dispositif a été privilégié dans un contexte d'incertitude forte sur la rentabilité à venir des RIP. Associé à une exploitation en affermage, cette solution garantit la maîtrise publique du projet, tout en conservant la charge du risque. La délégation de service public concessive*, bien que préférée par les opérateurs d'envergure nationale dans leur négociation avec les collectivités, reste une solution moins répandue (15 %). Plus marginalement, des contrats de partenariat public-privé ou des contrats de conception-réalisation sont choisis. Certains modèles de délégations de service public dites « affermo-concessives » visent à mobiliser les deux solutions, en adaptant le dispositif selon les plaques concernées tout en prévoyant une exploitation unique.

Source : CEREMA, 2015

L'exploitation technique et commerciale des réseaux, lorsqu'elle est déjà déterminée, privilégie l'affermage, en cohérence avec la préférence accordée au marché de travaux pour la réalisation des infrastructures. La concession est la seconde option parmi les solutions aujourd'hui mises en oeuvre. Certaines collectivités envisagent de constituer des sociétés publiques locales (SPL), afin de mettre en place une exploitation à l'échelle supra-départementale. La régie pure ou intéressée* est retenue par quelques collectivités pour conserver la maîtrise de l'exploitation.

Source : CEREMA, 2015

Il est difficile en 2015 d'identifier le montage juridique le plus efficace, compte tenu du manque de retours d'expérience sur les RIP de deuxième génération . L'existence de plusieurs solutions à disposition des collectivités territoriales permet d'adapter le modèle selon les besoins et les préférences des parties prenantes. Vos rapporteurs soulignent toutefois la complexité du choix de montage juridique pour les collectivités territoriales , compte tenu de l'incertitude sur la viabilité économique des projets de réseau, et donc sur les risques. Cette décision aura pourtant des conséquences importantes sur le long terme, tant sur la répartition des risques que sur le partage des bénéfices.

Certaines collectivités ont attiré l'attention de vos rapporteurs sur l'inadaptation du régime de l'affermage aux réseaux de communications électroniques. La durée de 15 ans, serait inappropriée, dès lors qu'un réseau nécessite environ 5 ans pour être construit et qu'il ne reste alors que 10 ans d'exploitation véritable pour le bénéficiaire du contrat. Le terme de l'affermage risque d'intervenir lorsque le réseau sera mature en termes de commercialisation. Par ailleurs, les règles d'amortissement ne sont pas adaptées à la temporalité des réseaux. L'application réglementaire de la règle d'équilibre des budgets locaux impose aux collectivités territoriales de recevoir des redevances dès le début du contrat, afin de garantir un amortissement linéaire des investissements. Dans le cas d'un RIP, le fermier va donc être contraint de verser des redevances d'exploitation élevées par rapport à la rentabilité limitée du réseau sur les premières années. Un ajustement au niveau réglementaire serait souhaitable afin d'adapter ces règles au déploiement du très haut débit.

Proposition : modifier le cadre règlementaire du régime de l'affermage afin de l'adapter aux spécificités des réseaux de nouvelle génération.

c) Des ambitions technologiques hétérogènes

Les projets de RIP déposés jusqu'à présent révèlent une grande diversité de choix technologiques. La composition du mix technologique prévu varie significativement entre chaque projet, en fonction de l'importance politique accordée au très haut débit, des ressources budgétaires à disposition de chaque collectivité, de la géographie du territoire ou encore des infrastructures existantes en matière de communications électroniques.

À la fin du deuxième trimestre 2015, sur la base des 74 dossiers déposés auprès de la Mission très haut débit, les projets de RIP prévoient en phase 1 (à l'horizon 2020) la construction de 7,3 millions de prises très haut débit , ainsi  réparties :

- 6,3 millions par le FttH ;

- 800 000 par la montée en débit sur cuivre ;

- 200 000 par les réseaux hertziens (satellite, WiMAX, LTE).

En s'appuyant sur une base légèrement antérieure, de 65 projets déposés, l'étude précitée du CEREMA souligne les variations du mix technologique . Près de 80 % des RIP analysés comportent ainsi une composante de montée en débit dans le cadre d'une souscription à l'offre « Point de raccordement mutualisé » ( PRM ) proposée par Orange aux collectivités. L'offre PRM réduit la distance entre l'utilisateur final et le dernier équipement actif* sur le réseau cuivre afin d'augmenter le débit disponible ( II.D ). Toutefois, seuls les projets de moins de 20 000 prises FttH, et deux projets hors de cette catégorie, prévoient davantage de prises en montée en débit que de prises FttH.

Source : CEREMA, 2015

La priorité accordée au FttH varie fortement selon les projets de RIP déposés au FSN . Un seul département vise une couverture totale. Si les collectivités territoriales prévoient davantage de couverture FttH qu'anticipé par la Mission très haut débit, « l'ambition FttH » reste hétérogène. La priorisation du FttH se heurte en effet à la réalité du coût des déploiements en zone rurale , qui risque d'accroître le recours à des technologies moins pérennes, faute de soutien suffisant de l'État, et compte tenu des incertitudes sur la commercialisation des réseaux.

PLACE DU FTTH DANS LES PROJETS DE RIP DÉPOSÉS AU FSN

Source : CEREMA, 2015

La part restante de l'effort à fournir à l'issue de la première phase de déploiement varie fortement selon les projets de RIP. Seul un tiers des départements aura dépassé la couverture de 50 % de la zone d'initiative publique en FttH en 2020 . En valeur absolu, les efforts nécessaires resteront très élevés : pour un département, le nombre de prises à construire après 2020 dépassera 400 000, et sera supérieur à 100 000 prises pour 24 départements.

ETAT DES DÉPLOIEMENTS EN 2020

Source : CEREMA, 2015

Face à la diversité des offres technologiques, et à leurs caractéristiques respectives, l'identification du mix technologique optimal par chaque collectivité territoriale porteuse d'un RIP reste très délicate . La  pression politique au niveau local est parfois forte, amenant ainsi les élus à privilégier des solutions de court terme. Certaines parties prenantes considèrent, au vu de la faiblesse des débits aujourd'hui disponibles sur leur territoire, qu'il n'est pas nécessaire à ce jour de viser des débits supérieurs à 100 Mbit/s. Le haut débit et le faible très haut débit seront toutefois vite dépassés. Les réseaux de nouvelle génération ne sont pas construits pour aujourd'hui, ni pour demain, mais pour après-demain. Il est donc essentiel de maintenir une ambition technologique élevée .

Si le recours aux différentes technologies doit être adapté au territoire, vos rapporteurs soulignent que l'enjeu du très haut débit est de viser un déploiement massif du FttH . Le renforcement du soutien financier de l'État sécuriserait les projets et les initiatives des collectivités, en leur permettant de viser un mix technologique plus pérenne.

Afin de ne pas créer à leur tour de nouvelles déceptions , les collectivités territoriales doivent toutefois viser des objectifs qu'elles pourront tenir , en termes de technologies et de couverture. Les ambitions doivent être en adéquation avec les ressources disponibles et les différentes contraintes. À ce titre, l'État doit leur apporter les moyens suffisants pour atteindre ces objectifs. La communication locale sur le déploiement du très haut débit doit également être adaptée, dès lors que l'accès pour l'ensemble des logements ne sera sans doute pas atteint en 2022.

2. Un financement à renforcer au service de l'égalité des territoires
a) Une évaluation incertaine du besoin total en financement

Dans le cadre du PFTHD, le coût d'une couverture intégrale du territoire en très haut débit est évalué à 20 milliards d'euros , dont 6 à 7 milliards d'euros pour la zone d'initiative privée (hors raccordement final) et 14 milliards d'euros pour la zone d'initiative publique . Le financement de la couverture de la zone d'initiative privée repose intégralement sur les fonds propres des opérateurs privés. Le financement des réseaux d'initiative publique, tel qu'envisagé par le PFTHD élaboré en 2013, se décompose ainsi :

- une première moitié doit s'appuyer sur les subventions de l'État , prévues à hauteur de 3,3 milliards d'euros, l' apport des différents niveaux de collectivités territoriales , les prêts accordés par la Caisse des dépôts , de longue maturité (jusqu'à 40 ans) et à taux faible (taux du livret A + 1 %) en mobilisant l'épargne réglementée, et par la Banque européenne d'investissement avec un consortium de banques privées, ainsi que les subventions des fonds européens (FEDER et FEADER).

- une seconde moitié doit reposer sur les cofinancements apportés par les opérateurs privés et les recettes d'exploitation .

Plusieurs facteurs compromettent l'adéquation du financement prévu par le PFTHD aux objectifs annoncés : une sous-estimation globale des coûts de déploiement, en particulier pour la partie la plus capillaire des réseaux ; un risque d'extension de la zone d'initiative publique à une partie de la zone AMII  suite aux défaillances de l'initiative privée ; et surtout des risques croissants quant à la commercialisation des RIP. Le manque de visibilité sur les aides apportées par l'Etat après 2020 fragilise également les ambitions des collectivités.

Les auditions menées par le groupe de travail confirment ces incertitudes pour beaucoup de parties prenantes. Vos rapporteurs notent également que la Mission très haut débit a indiqué au groupe de travail que les collectivités territoriales se sont engagées davantage que prévu vers le FttH . Ce constat en termes de mix technologique global n'est pas sans conséquence sur le financement du très haut débit. Pour être préservée malgré la baisse des dotations, cette dynamique nécessite une actualisation du coût total du très haut débit, et du besoin en subvention des collectivités.

Vos rapporteurs notent ainsi que le dimensionnement financier du PFTHD, particulièrement pour la zone d'initiative publique, reste sujet à caution . Il est fort possible que l'évaluation de 14 milliards d'euros en 2013 pour la zone d'initiative soit en deçà du coût réel des déploiements agrégés. Comme le notait votre co-rapporteur dans l'étude précitée remise au Premier ministre en octobre 2010, une évaluation précise se heurte à l'élasticité élevée des investissements nécessaires par rapport aux hypothèses de coûts et de recettes retenues dans les modèles . L'évaluation initiale a été réalisée sur la base d'un modèle théorique, fondée sur les coûts moyens de déploiement en partant de la connaissance des réseaux de cuivre et des infrastructures d'accueil existantes. Elle ne s'appuie pas sur une agrégation d'études de piquetage réalisées par les collectivités territoriales 38 ( * ) . De nombreux facteurs sont susceptibles d'entraîner des variations par rapport à cette estimation théorique initiale : dispersion de l'habitat, relief accidenté, disponibilité variable des infrastructures existantes, divergences avec le tracé du réseau de cuivre, droits d'accès imprévus.

En tout état de cause, le total de 20 milliards d'euros, et le sous-ensemble de 14 milliards d'euros en zone d'initiative publique, correspondent à une estimation conservatrice .

Une étude menée en 2010 pour la DATAR évaluait le coût de la couverture en FttH des quarante derniers pourcents de logements à 22 milliards d'euros. L'agrégation des projets de déploiement en zone d'initiative publique connus fin 2014 représentaient un volume total d'investissement de 34,8 milliards d'euros à l'horizon 2040 pour une couverture en FttH de 70 %.

Les variations de coût pour le raccordement final peuvent également avoir été sous-estimées. Encore récemment, la consultation de l'ARCEP sur les enjeux de complétude suggère les variations probables du coût de raccordement final et la difficulté que pose sa répartition entre les différents acteurs économiques 39 ( * ) . Le coût réel de la partie la plus capillaire des RIP reste difficile à agréger . C'est en effet un segment dont le coût augmente de façon exponentielle avec la baisse de la densité de l'habitat. Le raccordement final pourrait représenter plus d'un tiers du coût total de la boucle locale optique . Dans certains territoires caractérisés par un habitat isolé, la distance du raccordement final peut atteindre plusieurs dizaines de mètres. Si la différence de coût est répercutée sur l'opérateur de services ou l'utilisateur final, la commercialisation des RIP risque d'être compromise. Comme le souligne le rapport remis par la mission dirigée par Paul Champsaur sur l'extinction du cuivre, le financement du raccordement final est un volet qui devrait être plus finement évalué.

Une évaluation actualisée du coût du raccordement final apparaît d'autant plus importante que la couverture de la population est constatée à partir de l'éligibilité, et non du raccordement effectif. Dans la zone conventionnée, certains engagements se limitent à permettre aux logements d'être « raccordables sur demande ».

Comme pour de nombreux projets d'infrastructures, le risque que les coûts aient été minimisés initialement, afin de mobiliser les parties prenantes, est particulièrement prégnant pour le très haut débit fixe.

Il s'agit donc d'afficher le vrai prix des ambitions fixées par le Gouvernement.

b) Une gouvernance perfectible pour le plan France très haut débit

Afin de définir les modalités de mise en oeuvre de la couverture intégrale du territoire en très haut débit, le Gouvernement a mis en place le 9 novembre 2012 une Mission très haut débit . Cette structure s'est vue confier le pilotage du plan France très haut débit à partir de l'approbation du premier cahier des charges, par un arrêté du Premier ministre du 29 avril 2013. La Mission assure également l'instruction des dossiers, le dialogue avec les collectivités territoriales, l'harmonisation des référentiels techniques et les échanges avec les autres administrations.

Vos rapporteurs tiennent à saluer le travail effectué par la Mission très haut débit, et la qualité du dialogue établi avec les collectivités territoriales . Le fonctionnement du PFTHD repose essentiellement sur l'action de la Mission. Malgré de très faibles moyens budgétaires et humains, la Mission a permis un lancement rapide du plan.

Au troisième trimestre 2015, on recense 76 dossiers de demande de subvention déposés auprès du FSN . L'État a attribué un engagement financier à 43 dossiers, pour un total de 1,491 milliards d'euros, et 5 dossiers ont une décision définitive de financement pour un montant de 148 millions d'euros. Les décaissements effectifs restent très faibles . À l'heure du présent rapport, 18 millions d'euros ont été décaissés pour un nombre limité de RIP (Auvergne, Oise, Calvados).

PROJETS DE RIP DÉPOSÉS POUR UNE DEMANDE DE SUBVENTION DU FSN

Source : AVICCA, novembre 2015

Les collectivités territoriales doivent avancer l'intégralité des financements, soit par leurs fonds propres, soit par un recours à l'endettement. En effet, les subventions de l'État ne sont décaissées qu'au fur et à mesure de l'achèvement des réseaux, plaque par plaque, comme le précise le cahier des charges des demandes de subvention : « La subvention de l'État sera versée en plusieurs versements, étalés sur plusieurs années dans la limite de la durée prévue par le présent cahier des charges, au rythme de la construction du réseau et après justification que les réseaux financés ont effectivement été construits conformément aux spécifications techniques » 40 ( * ) . Par ailleurs, le cofinancement privé reste limité, et les recettes d'exploitation des réseaux sont conditionnées à leur commercialisation auprès des opérateurs de services .

AIDES DE L'ÉTAT

Source : AVICCA, novembre 2015

Une multitude d'administrations interviennent au cours de ce processus : Mission très haut débit, Direction générale des entreprises, Commissariat général à l'investissement, Direction générale du budget, Commissariat général à l'égalité des territoires, Direction générale des collectivités locales, Direction générale à l'outre-mer.... La complexité et la longueur de la procédure d'examen des demandes de subvention ont été soulignées par de nombreuses parties prenantes.

L'instruction en phase 1 dure parfois à elle seule près d'un an. Lors de cette même phase, une fois l'instruction close et le comité d'engagement réuni, une durée jugée anormalement longue par les personnes auditionnées précède la décision du Premier ministre, pouvant atteindre six mois, sans que le dossier n'ait été modifié entretemps ou que de nouveaux éléments n'aient été demandés. Cette étape est pourtant nécessaire à l'attribution des marchés de travaux. Au total, la phase 1 peut atteindre deux ans pour certains dossiers.

L'instruction en phase 2 est susceptible de poser prochainement de nouvelles difficultés en termes de traitement, compte tenu du nombre de dossiers. Vos rapporteurs soulignent que la fin de la phase 2 ne signifie pas le versement des financements. Une convention doit ensuite être négociée et élaborée entre les parties prenantes pour préciser les engagements de chacun. Enfin, la convention doit être exécutée, par le versement progressif des aides, au fil de la réalisation des prises.

CAHIER DES CHARGES DES DOSSIERS DE DEMANDE DE SUBVENTION

PROCÉDURE D'EXAMEN DES DEMANDES DE SUBVENTION

« 2. Modalités de mise en oeuvre

Les dossiers sont formellement déposés auprès de la Caisse des dépôts et instruits par la Mission Très Haut Débit.

Ils font l'objet d'un examen par un comité d'experts issus des administrations compétentes, notamment la Direction générale des entreprises (DGE), le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), la Direction générale des collectivités locales (DGCL), la Direction générale des Outre-Mer (DGOM) dans le cas des projets ultramarins, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) et du Commissariat général à l'investissement (CGI).

Après avis du « comité de concertation France Très Haut Débit » (ci-après « le comité de concertation ») et avis du Préfet de région, le « comité d'engagement subventions. - avances remboursables » (ci-après « le comité d'engagement ») peut adopter une proposition d'attribution d'aide soumise à l'approbation du Premier ministre.

Le processus d'attribution des financements, placé sous l'autorité du comité d'engagement, s'effectue en deux phases successives : un accord préalable de principe et une décision de financement.

2.1.1 Phase 1 : Accord préalable de principe

Préalablement au lancement de la procédure de sélection de prestataires privés en charge de la réalisation de travaux d'infrastructures et de réseaux et de leur exploitation ou, le cas échéant, préalablement au lancement des marchés publics de travaux et de services, le porteur de projet sollicite l'accord préalable de principe de l'État quant à l'éligibilité de son projet à un soutien de l'État.

(...)

Sur la base de l'instruction par la Mission Très Haut Débit, l'examen par le comité d'experts et après avis du comité de concertation et du Préfet de région, le comité d'engagement propose à l'approbation du Premier ministre, sur avis du Commissaire général à l'investissement, un projet d'accord préalable de principe portant sur le soutien de l'État au projet présenté et un plafond de soutien ou informe le porteur de projet des raisons du rejet de sa demande. Le comité d'engagement peut proposer des modifications à apporter à la demande pour qu'elle puisse faire l'objet d'un soutien de l'État, le cas échéant.

2.1.2 Phase 2 : Décision de financement

Sur la base de l'accord préalable de principe obtenu et lorsqu'elle dispose de l'ensemble des éléments constitutifs d'un dossier complet au sens du § 3.7, le porteur de projet transmet formellement à la Caisse des dépôts un dossier comprenant les pièces complémentaires nécessaires pour constituer un dossier complet et, le cas échéant, une mise à jour des pièces fournies lors de la soumission du dossier en phase 1 lorsque des modifications sont intervenues. Ce dossier est transmis par la Caisse des dépôts à la Mission Très Haut Débit qui l'instruit et le soumet à l'examen du comité d'experts.

Au vu de l'accord préalable de principe rendu par l'État en phase 1, de l'instruction réalisée par la Mission Très Haut Débit et de l'examen du dossier de phase 2 par le comité d'experts, le comité d'engagement « subventions. - avances remboursables » propose à l'approbation du Premier ministre, sur avis du Commissaire général à l'investissement, un projet de décision de financement du projet, indiquant le montant du financement et les conditions d'attribution du financement. »

Source : Mission très haut débit, rapport annuel 2014

A l'heure où ce rapport est finalisé, les incertitudes persistantes sur la compatibilité avec le droit européen du soutien public à la montée en débit sur le réseau d'Orange ( II.D ) ont un effet bloquant sur l'ensemble de la procédure, retardant encore davantage le lancement des travaux pour les RIP concernés.

La procédure doit être simplifiée et sa durée doit être réduite . Une accélération de l'instruction nécessite un renforcement des moyens en personnel dédiés à la Mission très haut débit. Vos rapporteurs s'étonnent du très faible nombre d'emplois mobilisés spécifiquement au niveau central pour le pilotage d'une infrastructure cruciale pour le siècle à venir. La Mission regroupe 18 équivalents temps plein (ETP) en 2015. Une augmentation des moyens affectés au pilotage du PFTHD permettrait d'accélérer l'instruction des dossiers, tout en renforçant les capacités d'intervention de la Mission très haut débit sur d'autres sujets importants : négociation budgétaire, dialogue avec les opérateurs, suivi des déploiements privés, études et prospective... Additionnée à la grande technicité de ce sujet, l'ampleur des projets justifie pleinement de mobiliser des moyens accrus pour le pilotage du plan.

Vos rapporteurs notent toutefois que la gouvernance du PFTHD révèle une internalisation générale du dispositif par les administrations centrales , avec une très faible association du Parlement . Après le maintien pendant plus de deux ans de la Mission très haut débit dans un positionnement indéterminé, une structure a été créée sous la forme d'un service à compétence nationale (SCN) dénommé « Agence du numérique » et rattaché à la direction générale des entreprises (DGE) 41 ( * ) . Cette structure regroupe la Mission très haut débit, la Mission « French Tech » ainsi que la Délégation aux usages de l'internet (DUI).

L'objectif déclaré de ce regroupement est d'améliorer la coordination entre les réseaux et les usages. Si la nomination du directeur de la Mission très haut débit à la direction de l'Agence du numérique est favorable à la préservation des objectifs d'aménagement du territoire dans le nouvel ensemble, plusieurs organismes auditionnés ont exprimé des inquiétudes quant au risque d'une priorisation de la maîtrise budgétaire , au détriment de la qualité des relations avec les collectivités territoriales . Le positionnement de la structure auprès de la DGE est également susceptible d'accroître le poids des grands acteurs du marché sur l'évolution du plan France très haut débit. Le Parlement n'a nullement été associé à la définition de cette structure et de ses compétences, en 2013 ou en 2015.

Vos rapporteurs notent que le projet de création d'un établissement public national, avec une gouvernance partagée entre État et collectivités territoriales, a été abandonné sans aucune opportunité d'en débattre . Le choix d'un SCN a été essentiellement motivé pour des raisons de contraintes budgétaires sur le nombre d'ETP disponibles. Dans sa contribution à la mission dirigée par Paul Champsaur sur l'extinction du cuivre, le syndicat Manche numérique précisait  pourtant : « La création d'un établissement a été de nombreuses fois proposée, le président de la République avait annoncé la création le 20 février 2013, mais ce projet reste virtuel. La France ne tirera pas les fruits de la révolution numérique sans une gouvernance partagée entre l'État, les collectivités locales et les entreprises concernées, c'est l'une des conditions principales de la réussite. »

Tout comme le PFTHD, la nouvelle structure chargée de leur mise en oeuvre n'a pas d'existence au niveau législatif, compromettant la capacité d'action du Parlement sur l'ensemble du dispositif, et la transparence du processus de décision pour les collectivités territoriales .

Proposition : associer systématiquement le Parlement aux choix structurants de la couverture numérique des territoires et créer un établissement public dédié au pilotage du très haut débit, doté de moyens renforcés et d'une gouvernance partagée entre État, collectivités territoriales et opérateurs.

c) Un subventionnement à sécuriser et à amplifier au nom de l'égalité des territoires

Les subventions de l'État pour les projets de RIP s'appuient sur plusieurs dispositifs budgétaires. Le Fonds national pour la société numérique (FSN), créé en 2011 par convention avec la Caisse des dépôts a été alimenté à hauteur de 900 millions d'euros, dans la cadre du programme « investissements d'avenir ». Les porteurs de RIP déposent leurs demandes de subvention auprès du FSN, dont l'obtention est conditionnée au respect des prescriptions fixées dans le cahier des charges de l'appel à projets . Le subventionnement de l'État porte sur plusieurs postes de dépenses dans les projets de RIP .

CAHIER DES CHARGES DES DOSSIERS DE DEMANDE DE SUBVENTION

« 1.5 COÛTS ÉLIGIBLES »

« [...] Le porteur de projet devra fournir une décomposition précise et étayée du besoin de financement en subvention initiale en distinguant au minimum :

- la composante « collecte fibre optique NRA/NRO », pour les investissements réalisés en amont des noeuds de réseaux de boucle locale cuivre (NRA) et de la boucle locale optique mutualisée (NRO) ;

- la composante « collecte transitoire fibre optique - FttN », pour les investissements dans le réseau de fibre optique permettant la modernisation des réseaux filaires existants qui pourront être notamment réutilisés ultérieurement comme des segments de transport optique du futur réseau de boucle locale optique mutualisée ;

- la composante « raccordement des points hauts des zones blanches des réseaux mobiles » , pour les investissements réalisés en amont des points hauts de la téléphonie mobile dans le cadre du guichet « couverture mobile » en l'absence d'un tel réseau en fibre optique ;

- la composante « boucle locale optique mutualisée » pour les investissements de déploiement du réseau de boucle locale optique mutualisée (desserte et raccordements) ;

- la composante « transport anticipé de la future boucle locale optique mutualisée » pour les investissements de déploiement anticipé de potentiels segments de transport optique (du NRO au SRO) de la future boucle locale optique mutualisée, à partir desquels peuvent être réalisés des raccordements spécifiques des sites prioritaires et qui s'inscrivent dans d'une architecture de la future boucle locale optique mutualisée ;

- la composante « raccordement spécifique des sites prioritaires » pour les raccordements en fibre optique spécifiques en point-à-point (sans brassage entre l'équipement d'activation et la prise terminale) des sites prioritaires ;

- la composante « inclusion numérique » ;

- la composante « études » .

La subvention sera attribuée au terme d'une analyse du projet, composante par composante, suite à une analyse poste de coût par poste de coût. »

En matière de péréquation, le passage du PNTHD au PFTHD a permis une ventilation plus étendue des subventions aux collectivités territoriales : les taux de subventions à la prise ont été relevés de 20 à 25 % pour l'ensemble des projets. Les aides sont modulées en fonction d'un taux de ruralité, qui mesure la part relative de la population vivant dans une commune n'appartenant à aucune unité urbaine, et d'un taux de dispersion de l'habitat. Les projets ultramarins bénéficient également d'une modulation spécifique. La prise en charge du besoin de subvention publique doit s'établir en moyenne à 50 %, et peut aller jusqu'à 62 % dans un territoire très rural, ou descendre à 33 % en cas de faible dispersion de l'habitat et d'urbanisation relativement élevée.

Il faut toutefois noter que le subventionnement de l'État pour chaque poste de coût est limité par le retranchement au coût considéré d'une somme forfaitaire , pouvant « raisonnablement être mise à la charge de l'opérateur et/ou de l'usager final », ainsi que d'un plafonnement en valeur absolue de subvention par prise, défavorable aux zones rurales . Pour la composante « boucle locale optique mutualisée », la somme forfaitaire est ainsi évaluée à 400 euros, et le plafond des subventions est fixé à 150 euros par prise construite. Cette aide est à comparer au coût total des prises dans les territoires ruraux, dont le coût moyen selon la Mission très haut débit est de 1 100 euros, mais qui excède régulièrement 2 000 euros.

À ce jour, il n'est pas possible de vérifier si la répartition des subventions correspondra effectivement aux coefficients prévus, ni dans quelle mesure la ventilation des subventions reflètera fidèlement les différences de coût des déploiements. Vos rapporteurs notent toutefois que les limites apportées au subventionnement - somme forfaitaire et plafonnement - sont susceptibles d'être remises en cause par les difficultés de commercialisation des réseaux, et les variations imprévues des coûts dans les zones les moins denses.

TAUX D'AIDE MAXIMUM EN FONCTION DES CRITÈRES DE RURALITÉ
ET DE DISPERSION

Source : Autorité de la concurrence

Le financement apporté par l'État doit être pérennisé et renforcé . Dans le budget 2016, aucune ouverture de crédits de paiement n'est prévue, compte tenu de la disponibilité des crédits du FSN, et du décalage d'un à deux ans entre l'accord préalable de principe de l'État et l'accord final de financement. Afin de garantir le versement effectif des aides de l'État, les ressources budgétaires engagées devront être transformées en crédits de paiement en temps utile.

Le manque de visibilité au-delà de 2020 pose des difficultés pour les projets d'investissement des collectivités .

À l'exception du raccordement final, qui pourra faire l'objet d'un financement sur un délai de cinq années supplémentaires, la phase de subventionnement des RIP porte sur les cinq prochaines années. Le recours à l'abondement ponctuel d'un programme par des crédits budgétaires nuit à la visibilité du financement disponible au-delà de l'horizon 2020 , et ne permet pas de mettre en place une gouvernance spécifique à la gestion des ressources concernées. À de rares exceptions près, comme en région Bretagne, les projets des collectivités en phase 1 sont ciblés sur les zones les plus aisées à couvrir en complément de la zone d'initiative privée. En tout état de cause la phase post -FSN nécessitera des ressources importantes compte tenu du chantier restant pour les collectivités territoriales.

Vos rapporteurs regrettent à ce titre que les recettes dégagées par la vente prochaine d'autorisations d'utilisation de fréquences dans la bande 700 Mhz ne soit pas fléchées pour financer le déploiement du très haut débit fixe , alors même qu'une telle affectation serait cohérente avec la priorité déclarée du Gouvernement en faveur du numérique dans les territoires ruraux.

La loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique visant à lutter contre la fracture numérique a créé un vecteur de financement spécifique : le Fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT) . Doté d'une existence au niveau législatif, et d'une gouvernance ouverte, le FANT a vocation à financer les déploiements de RIP prévus dans le cadre des SDTAN. En 2010, en tant que parlementaire en mission, votre co-rapporteur avait proposé au Gouvernement plusieurs solutions afin d'alimenter le fonds : taxe sur la boucle locale cuivre, taxe sur les produits électroniques grand public (téléviseurs, consoles de jeux), contribution de solidarité numérique 42 ( * ) . Depuis 2011, la vocation du FANT est de prendre le relai du FSN, véhicule temporaire créé par voie conventionnelle, afin de proposer un fonds de financement pérenne du très haut débit jusqu'à son achèvement, dont la gouvernance serait partagée avec l'ensemble des acteurs concernés, notamment les collectivités.

ARTICLE 24 DE LA LOI N° 2009-1572 DU 17 DÉCEMBRE 2009 RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LA FRACTURE NUMÉRIQUE

FONDS D'AMÉNAGEMENT NUMÉRIQUE DES TERRITOIRES

« I. Le fonds d'aménagement numérique des territoires a pour objet de contribuer au financement de certains travaux de réalisation des infrastructures et réseaux envisagés par les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique mentionnés à l'article L. 1425-2 du code général des collectivités territoriales.
Le comité national de gestion du fonds est constitué à parts égales de représentants de l'État, de représentants des opérateurs déclarés en application du I de l'article L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques, de représentants des associations représentatives des collectivités territoriales et de représentants des collectivités ou syndicats mixtes ayant participé à l'élaboration de schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique. Ses membres sont nommés par décret.

Le fonds d'aménagement numérique des territoires peut attribuer, sur demande, des aides aux maîtres d'ouvrage des travaux de réalisation des infrastructures et réseaux envisagés par les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique lorsque les maîtres d'ouvrage établissent, suivant des critères précisés par décret, que le seul effort, y compris mutualisé, des opérateurs déclarés en application du I du même article L. 33-1 ne suffira pas à déployer un réseau d'infrastructures de communications électroniques à très haut débit.

Les aides doivent permettre à l'ensemble de la population de la zone concernée par le projet d'accéder, à un tarif raisonnable, aux communications électroniques en très haut débit . Elles sont attribuées par arrêté conjoint du ministre chargé de l'aménagement du territoire et du ministre chargé des communications électroniques pris après avis du comité national de gestion du fonds, en tenant compte de la péréquation des coûts et des recettes des maîtres d'ouvrage bénéficiant des aides sur le périmètre de chacun des schémas directeurs concernés.
Les aides du fonds d'aménagement numérique des territoires ne peuvent être attribuées qu'à la réalisation d'infrastructures et de réseaux accessibles et ouverts, dans des conditions précisées par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, après avis des associations représentant les collectivités territoriales et de l'Autorité de la concurrence et consultation des opérateurs de communications électroniques.
La gestion comptable et financière du fonds d'aménagement numérique des territoires est assurée par la Caisse des dépôts et consignations dans un compte spécifique distinct du compte mentionné au III de l'article L. 35-3 du code des postes et des communications électroniques.


II. Le fonds d'aménagement numérique des territoires est constitué et les membres de son comité national de gestion sont nommés dans un délai de douze mois après la promulgation de la présente loi. »

Vos rapporteurs considèrent que le refus du Gouvernement de prendre les décisions réglementaires et budgétaires nécessaires au fonctionnement au FANT constitue un véritable déni de la loi et du Parlement . La création du programme 343 par la loi de finances initiale pour 2015, doté de 1,412 milliards d'euros en autorisations d'engagement en relai du FSN, en témoigne. Cette persistance dans le refus d'appliquer la loi se fait au prix de la transparence et de la pérennité du financement du très haut débit. Notre collègue Philippe Leroy, rapporteur pour avis sur les crédits consacrés aux communications électroniques dans la loi de finances initiale pour 2015, notait : « la « mauvaise volonté » de l'État à mettre en oeuvre la« loi Pintat » du 17 décembre 2009, dont l'une des dispositions prévoyait la création d'un Fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT), laisse perplexe. Il y avait là une mécanique de financement simple, lisible et approuvée par le Parlement, qui aurait permis de mieux flécher les crédits affectés au très haut débit . »

Dans l'esprit du fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACÉ) mis en place pour soutenir l'électrification rurale, une contribution de solidarité numérique forfaitaire sur les abonnements internet, fixe et mobile, apparaît comme une solution permettant tout à la fois d'alimenter le FANT par des ressources importantes et pérennes, et d'assurer une péréquation entre zones urbaines et zones rurales . Compte tenu de la difficulté d'évaluer et d'imposer la quantité de données, une solution forfaitaire serait privilégiée, à la différence du FACÉ fondé sur le volume d'électricité distribuée.

LE FACÉ ET LA PÉRÉQUATION DES COÛTS DES RÉSEAUX ÉLECTRIQUES

Le FACÉ a été créé en 1936 à l'initiative de la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies) et a pour vocation de verser des subventions aux collectivités maîtres d'ouvrage des travaux d'électrification rurale . Il a facilité la diffusion de réseaux électriques dans les zones rurales en permettant aux collectivités concédantes d'alléger leurs charges d'emprunts contractés pour l'édification des réseaux et de financer un certain nombre de travaux destinés à améliorer les réseaux électriques.

Ce fonds est alimenté par une contribution annuelle des gestionnaires de réseaux publics de distribution en fonction des kilowattheures distribués en basse tension avec un taux cinq fois plus fort pour les communes urbaines que pour les communes rurales (ainsi en 2015, chaque distributeur a versé une contribution égale à 0,18 centime d'euro par kWh dans les communes urbaines et 0,04 centime d'euro dans les communes rurales) ; le montant de cette contribution est fixé chaque année par arrêté conjoint des ministres chargés du budget et de l'énergie.

Le FACE permet de collecter une somme annuelle de l'ordre de 370 millions d'euros pour un chiffre d'affaires du secteur supérieur à 30 milliards d'euros. Le taux d'aide du FACE est de 80 % du montant TTC des travaux aidés qui doivent correspondre à l'un des programmes du FACE.

Source : Rapport au Premier ministre remis le 26 octobre 2010 - « Réussir le déploiement du Très Haut Débit : une nécessité pour la France » - Hervé Maurey

Abonder un fonds dédié à l'aménagement numérique du territoire par une ressource fondée sur les abonnements internet, et si nécessaire les équipements qui bénéficient le plus du très haut débit (téléviseurs et consoles de jeu), permettrait de créer un mécanisme de financement cohérent . Votre co-rapporteur estimait en 2010 qu'une taxe forfaitaire de quelques dizaines de centimes d'euros par mois permettrait de récolter plusieurs centaines de millions d'euros par an. Le coût pour le consommateur resterait très limité car dans l'hypothèse la moins favorable, la mise en place de cette contribution entraînerait une augmentation du coût de l'abonnement de l'ordre de 2 %.

Ce dispositif aurait le mérite de mettre en place un système clair pour le citoyen. Une telle contribution de solidarité numérique figurerait explicitement sur les factures, à l'instar de l'éco-participation, pour assurer l'information des utilisateurs.

Vos rapporteurs regrettent que les flux du secteur des communications électroniques vers d'autres domaines ne cessent de se multiplier (recettes de l'attribution des licences de la bande de fréquences 700 MHz vers la défense, taxe sur le chiffre d'affaires des opérateurs vers l'audiovisuel), et considèrent que mettre en place un financement interne au secteur permettrait d'éviter les flux tournés vers l'extérieur, qui appauvrissent les communications électroniques. En accélérant l'accès aux utilisateurs sur le marché de détail, ce soutien à l'aménagement numérique du territoire augmenterait le potentiel de commercialisation pour les opérateurs de services. Le financement du très haut débit serait également pérennisé en disposant d'une ressource durable et cohérente, évitant de recourir à des abondements budgétaires ponctuels et incertains .

Le dispositif du FANT ainsi abondé garde toute sa pertinence, et doit être mis en oeuvre, conformément au vote du Parlement. Cette analyse est partagée par nos collègues Jacques Chiron et Bernard Lalande, rapporteurs spéciaux sur la mission « économie » du budget 2015 : « Vos rapporteurs spéciaux appellent donc à réfléchir à la création d'un dispositif de « péréquation numérique », qui pourrait par exemple prendre la forme d'une contribution prélevée sur les abonnements à Internet des particuliers et entreprises des bénéficiant de la couverture en « zone dense », et dont le produit serait affecté au financement des réseaux d'initiative publique dans les zones moins rentables. Ainsi ce dispositif permettrait-il d'accélérer la couverture du territoire en très haut débit par la mise en oeuvre de la solidarité nationale. ». Cette pérennisation du financement permettrait de libérer les initiatives des collectivités territoriales, en dissipant de réelles inquiétudes sur l'après-2020 . Grâce à cette nouvelle ressource, le plafonnement des subventions apportées aux projets de RIP pourrait être relevé, afin d'accroître le soutien apporté par l'Etat aux collectivités territoriales et de mieux couvrir les variations de coût dans les territoires. Ce dispositif permettrait une péréquation durable entre les territoires, afin de lutter effectivement contre la fracture numérique.

Proposition : pérenniser et renforcer le subventionnement de l'État par la mise en place d'un fonds alimenté par une contribution de solidarité numérique, assise sur les abonnements haut débit et très haut débit, pour assurer une véritable péréquation entre zones urbaines et zones rurales.

Les collectivités les plus rurales sont les moins bien dotées en infrastructures par l'initiative privée. Alors même que ces collectivités sont les plus dépourvues en ressources financières, elles sont les plus sollicitées en matière de déploiement, compte tenu des coûts exponentiels de déploiement sur leur territoire . Les ambitions hétérogènes des projets de RIP à l'horizon 2020 reflètent en partie ces différences de coûts et de moyens. On ne saurait exiger d'un département rural, confronté à de nombreuses difficultés par ailleurs, de viser une couverture en très haut débit ambitieuse, sans lui apporter les aides suffisantes. Un renforcement du subventionnement apporté par l'État est nécessaire, compte tenu de la réduction accrue d'année en année des dotations budgétaires . Sans un soutien accru, les inégalités en termes d'accès au numérique risquent de s'accroître.

La problématique du financement est liée à la commercialisation des réseaux. Si une tarification homogène devait s'imposer sur le marché de gros, ce sont les collectivités territoriales et leurs délégataires qui assumeraient de fait les différences de coût, l'alignement tarifaire étant fondé sur les prix constatés dans la zone d'initiative privée .

La péréquation sur le cuivre pesait sur un seul acteur, France Télécom, dont l'activité sur l'ensemble du territoire, à la fois sur le marché de gros et sur le marché de détail, lui permettait de compenser les pertes en zone peu dense par des revenus en zone dense. À la différence du cuivre, les opérateurs du réseau FttH sont multiples et les collectivités n'ont pas accès aux zones rentables. Les collectivités ne peuvent donc pas avoir recours à une péréquation horizontale sur leurs réseaux, pour équilibrer les coûts . Une tarification homogène va imposer aux collectivités territoriales, particulièrement les plus sollicitées en matière de déploiements publics, de subir les différences de coût.

Il reviendra donc à l'État de tirer les conséquences de cette tarification homogène dans son soutien financier aux collectivités territoriales, en renforçant la péréquation verticale par le subventionnement.

d) Des financements complémentaires à mobiliser

Le financement des réseaux d'initiative publique fait également appel à l'emprunt . L'accès au prêt bancaire repose sur des prêts de longue maturité (jusqu'à 40 ans) à taux faible (taux du livret A + 1 %) accordés par la Caisse des dépôts et consignations en mobilisant l'épargne réglementée, et sur des prêts distribués par la Banque européenne d'investissement (BEI) avec un consortium de banques privées françaises. Au 31 août 2015, un volume de prêts d'un montant de 355 millions d'euros a été mobilisé au titre de l'épargne réglementée, dont 299 millions ont d'ores et déjà été engagés. Vos rapporteurs n'ont pas été alertés sur une difficulté d'accès aux prêts bancaires pour les collectivités territoriales, malgré les charges financières engendrées. À ce jour, le volet emprunt semble fonctionner correctement. Toutefois, le remboursement des intérêts nécessite des recettes d'exploitation, qui risquent d'être perçues tardivement compte tenu des risques sur la commercialisation des RIP. Afin de limiter la charge pour les finances publiques, une diversification des sources de financement est nécessaire .

Dans le cadre des fonds européens (FEDER et FEADER), une enveloppe de 556 millions d'euros a été obtenue afin de financer le déploiement du très haut débit. Ce financement doit être effectivement mobilisé par les régions, autorités de gestion, dans le cadre de leurs programmes opérationnels, afin de soutenir les projets de RIP dans les territoires les plus fragiles.

Vos rapporteurs considèrent par ailleurs que l'initiative publique ne doit pas se résumer à l'investissement public. Additionnellement au cofinancement par les opérateurs privés - à ce jour limité - d'autres sources de financement privé doivent être mobilisées. Certains acteurs, comme les fonds d'infrastructures, sont intéressés par le rendement à long terme des RIP. Des solutions de financement innovantes doivent être conçues afin d'étendre les ressources à disposition des collectivités territoriales et de leurs délégataires. En juillet 2014, la France a été le premier pays européen à mettre en place une obligation de projet ( project bond) pour le financement d'un réseau très haut débit. La Banque européenne d'investissement (BEI) a ainsi apporté une garantie partielle à des obligations émises par Axione, opérateur de RIP, pour améliorer l'attractivité des titres sur les marchés.

La conception des RIP et leur ouverture aux financements privés devraient s'appuyer sur l'expertise de la Caisse des dépôts et consignations, ainsi que sur une prise de participation dans certains projets . La Caisse des dépôts a investi 145 millions d'euros dans les RIP de première génération. En septembre 2015, le groupe a mis en place avec Tutor, opérateur de réseaux, une société commune conçue comme plateforme d'investissement dédiée au déploiement du très haut débit en France via les RIP. Lors de son audition par votre commission le 11 mars 2015, le directeur général du groupe Caisse des dépôts, Pierre-René Lemas, a confirmé l'importance de la transition numérique des territoires pour le groupe, partenaire de longue date des collectivités.

En apportant son expertise aux porteurs des RIP, la Caisse des dépôts pourra structurer des projets financièrement attractifs et permettre aux collectivités territoriales qui le souhaitent de solliciter des investisseurs sur les marchés financiers. La Caisse des dépôts doit pouvoir jouer un rôle d'interface afin d'accompagner les collectivités dans cet accès aux investisseurs privés. La participation financière du groupe à certains projets permettra d'envoyer un signal aux investisseurs, en jouant d'un effet de levier pour attirer les financements privés. La Caisse des dépôts envisage ainsi d'investir 250 millions d'euros dans une trentaine de RIP très haut débit d'ici fin 2017. La participation des investisseurs privés doit permettre de sécuriser le financement du très haut débit, tout en préservant la maîtrise d'ouvrage publique des projets. L'objectif est de minimiser le besoin en fonds publics.

Proposition : diversifier les sources de financement pour les réseaux d'initiative publique, en s'appuyant notamment sur l'expertise financière de la Caisse des dépôts pour la conception des plans d'affaires et sur des prises de participation afin de mobiliser les investissements privés par effet de levier.

3. La commercialisation des réseaux : grande inconnue des collectivités territoriales

La raison d'être des réseaux très haut débit mis en place par les collectivités territoriales est de permettre aux citoyens de disposer d'un accès au numérique dans de bonnes conditions. Pour cela, les réseaux doivent être utilisés par les opérateurs commerciaux, qui proposent des offres de service aux utilisateurs finals sur le marché de détail. L'utilisation des RIP par les opérateurs de services génère des revenus pour le porteur du RIP et son délégataire, sur le marché de gros. En application de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, les collectivités ne peuvent que très subsidiairement proposer des services de communications électroniques, en cas de carence constatée de l'offre privée sur le marché de détail. Les collectivités territoriales ne sont donc pas en mesure de générer une animation concurrentielle immédiate, susceptible d'alimenter la commercialisation sur le marché de gros.

La commercialisation des réseaux sur le marché de gros repose sur plusieurs offres : un cofinancement ab initio ou a posteriori associé à des droits d'usage pérennes 43 ( * ) , une location de lignes passives ou une offre de lignes activées. Si le cofinancement est l'offre qui nécessite les capacités financières les plus importantes, lors de l'achat de « tranches » du réseau, c'est également la moins coûteuse sur le long terme. Les opérateurs commerciaux d'envergure nationale sont les plus susceptibles de participer au cofinancement, tandis que les opérateurs locaux sont plus à même de faire appel à la location de lignes passives ou aux offres activées.

Bouygues Telecom et Free n'investissent pas massivement dans les RIP et leurs ressources devraient être concentrées dans les zones denses d'initiative privée à moyen terme. Les communications récentes d'Orange et Numericable-SFR suggèrent que les deux principaux acteurs du FttH hors des zones d'initiative privée ne viendront pas sur l'ensemble des RIP, et qu'ils privilégieront fortement les réseaux qu'ils construisent et exploitent dans le cadre de délégations de service public concessives. Tout en annonçant 600 millions d'euros d'investissement pour les RIP dans les prochaines années, le président directeur-général d'Orange précisait ainsi en juillet 2015 que l'opérateur « ne pourra pas être partout ». En tout état de cause, la stratégie déclarée des principaux opérateurs indique qu'ils ne participeront pas significativement aux RIP tant que la concurrence sur les territoires rentables de la zone d'initiative privée n'aura pas été épuisée .

Si les opérateurs locaux sont susceptibles de prendre dans certains cas une fraction des prises, en cofinancement ou en location, leurs capacités financières semblent trop faibles pour menacer les parts de marché des grands opérateurs - dont Orange, particulièrement implanté en zone rurale - et stimuler ainsi l'investissement de ces derniers dans les RIP. Par ailleurs, la difficulté pour les opérateurs locaux de proposer des offres de télévision limite leur capacité à prendre des parts de marché aux grands opérateurs. Hypothétiquement, le mouvement pourrait venir de nouveaux entrants sur le marché des communications électroniques, notamment certaines grandes entreprises de l'audiovisuel ou des plateformes internet.

En 2015, les porteurs de RIP sont donc confrontés à l'absence d'intérêt des grands opérateurs, qui pourrait se maintenir plusieurs années. La majorité des organismes auditionnés ont exprimé de très vives inquiétudes sur ce positionnement des opérateurs à moyen terme, qui pèse sur la viabilité des réseaux et la soutenabilité de la mobilisation locale. Malgré les efforts importants en termes d'investissement, de tarification et d'harmonisation technique selon l'évolution des référentiels, les collectivités n'ont pas l'assurance d'une commercialisation rapide de leurs réseaux. Cette situation pourrait devenir critique si les grands opérateurs privés persistaient dans leur attentisme et leur stratégie très sélective à l'égard des RIP auxquels ils participent .

Au total, ce sont plus de 7 millions de prises qui vont être déployées dans les RIP à l'horizon 2020. Malgré le recours fréquent à des clauses de stop and go pour la réalisation des travaux , les projets de déploiement des collectivités territoriales sont susceptibles d'être très fortement perturbés si cette situation se prolonge. Les collectivités territoriales ont besoin de recettes pour rembourser la charge financière liée à certains emprunts. L'absence prolongée des opérateurs risque de fragiliser l'équation financière de la zone d'initiative publique : la moitié du besoin de financement devant provenir du cofinancement et des recettes d'exploitation . Dans le cadre du subventionnement accordé par l'État, un montant forfaitaire de 400 euros par prise est soustrait du coût éligible, dans l'hypothèse d'un cofinancement à cette hauteur par les opérateurs. À ce jour, les RIP n'ont pas fait l'objet d'une telle participation privée.

Par construction, la rentabilité des RIP est plus incertaine que les réseaux construits en zone d'initiative privée car la summa divisio des zones a réservé aux collectivités les plaques les moins rentables, la zone d'initiative publique étant définie négativement par rapport aux zones rentables. Cette situation est largement le fait des gouvernements successifs, par leurs choix de répartition des responsabilités. Il importe donc que l'État soutienne les collectivités territoriales, le cas échéant par des ressources supplémentaires en cas de commercialisation plus faible que prévue, et qu'il joue son rôle dans l'accélération de l'arrivée des opérateurs. Seul l'État constitue un arbitre suffisamment puissant pour peser dans la négociation avec les opérateurs privés.

Vos rapporteurs estiment qu'il serait inacceptable que des réseaux financés sur fonds publics face à l'absence de déploiements privés restent inutilisés faute de volonté des mêmes opérateurs privés pour commercialiser leurs services.

Les conditions de commercialisation doivent également être améliorée, afin d'accroître l'attractivité des RIP . De toute évidence, un décalage existe aujourd'hui entre les projets de RIP départementaux et les ordres de grandeur visés par les opérateurs privés. La différence d'échelle est considérable, entre des RIP qui prévoient parfois entre 50 000 et 100 000 prises en phase 1, et des opérateurs d'envergure nationale qui gèrent plusieurs dizaines de millions de prises. Les grands opérateurs sont des acteurs de masse, dont les décisions obéissent à des processus d'industrialisation pour bénéficier d'économies d'échelle.

Parfois source d'incompréhension pour les élus locaux, cet écart doit être surmonté par des solutions pragmatiques. La prime accordée aux projets d'échelle supra-départementale dans le cadre des subventions du FSN est une première incitation à déployer des RIP de plus grande taille. Fin 2014, la Mission très haut débit recensait 8 démarches pluri-départementales de construction ou de commercialisation commune, concernant 21 départements, notamment en Alsace, en Auvergne et en Bretagne. Plusieurs porteurs de RIP envisagent de commercialiser leurs réseaux à une échelle supra-départementale, principalement par des sociétés publiques locales : Aquitaine, Bourgogne, Franche-Comté, Centre... Une telle structure permet de constituer un point unique d'exploitation et de commercialisation des réseaux , et d' améliorer le pouvoir de négociation des collectivités territoriales avec les opérateurs privés, sans priver les porteurs de RIP de leur maîtrise d'ouvrage.

L'agrégation des RIP lors de leur commercialisation sera nécessaire pour de nombreux départements, afin d'atteindre une taille critique compatible avec une commercialisation en masse . Cette « reconcentration » de la commercialisation pourrait être mise en oeuvre à l'échelle des nouvelles régions issues de la réforme territoriale en cours. Le regroupement des RIP permettrait également de procéder à une certaine péréquation horizontale dans l'exploitation et la commercialisation, en lissant les différences de coût sur l'ensemble du territoire concerné.

À ce jour, cette perspective se heurte à l'impossibilité de constituer un syndicat mixte de syndicats mixtes. Cette faculté devrait donc être créée par voie législative. Le fonctionnement de ces structures devra être compatible avec le droit de la concurrence, dès lors que la commercialisation agrégée des RIP s'apparente à la mise en place d'une centrale de vente .

Proposition : permettre de fédérer les réseaux d'initiative publique lors de leur commercialisation, en prévoyant par voie législative la possibilité de créer un syndicat de syndicats, afin de rééquilibrer le rapport de force entre collectivités territoriales et opérateurs privés.

La tarification des réseaux est un autre enjeu important pour la commercialisation des RIP . Les lignes directrices de l'Union européenne 2013/C 25/01 pour l'application des règles relatives aux aides d'État dans le cadre du déploiement rapide des réseaux de communication à haut débit prévoient un rapprochement des tarifs sur le marché de gros entre les réseaux financés par la seule initiative privée et les réseaux soutenus par des aides publiques. Quelle que soit la zone concernée, les prix de gros doivent être orientés vers les coûts. Si la subvention publique vise à ramener le tarif du réseau aidé à un niveau comparable avec celui d'un réseau établi par la seule initiative privée, une différence de fond subsiste qui semble incompatible avec une identité stricte en termes de tarification.

LIGNES DIRECTRICES DE L'UNION EUROPÉENNE 2013/C 25/01 POUR L'APPLICATION DES RÈGLES RELATIVES AUX AIDES D'ÉTAT DANS LE CADRE DU DÉPLOIEMENT RAPIDE DES RÉSEAUX DE COMMUNICATION À HAUT DÉBIT

« (78) Toute aide d'État en faveur du déploiement du haut débit devrait respecter l'ensemble des principes de compatibilité énoncés dans la section 2.5 ci-dessus, notamment l'objectif d'intérêt commun, l'existence d'une défaillance du marché, l'adéquation et l'effet d'incitation de la mesure. En ce qui concerne la limitation des distorsions de concurrence, outre la démonstration de la manière dont un palier est franchi dans tous les cas (que la zone soit blanche, grise ou noire (90)), les conditions suivantes doivent être réunies pour démontrer la proportionnalité de la mesure. Une évaluation approfondie (91) sera le plus souvent nécessaire en cas de défaut de n'importe laquelle de ces conditions, défaut qui entraînera une conclusion potentiellement négative quant à la compatibilité de l'aide avec le marché intérieur.

[...]

h) Tarification de l'accès en gros : l'analyse comparative constitue un instrument important pour s'assurer que la subvention accordée servira à reproduire les conditions qui prévalent sur d'autres marchés du haut débit compétitifs . Le tarif de l'accès en gros devrait être fondé sur les principes de tarification établis par le RN et sur des critères de référence et devrait tenir compte de l'aide perçue par l'opérateur de réseau. Pour le critère de référence, le tarif de gros officiel moyen qui est appliqué dans d'autres zones comparables, plus compétitives , du pays ou de l'Union sera retenu ou, à défaut d'un tarif officiel, les tarifs déjà fixés ou approuvés par le RN pour les marchés et services concernés. En l'absence, pour certains produits d'accès en gros, de tarif officiel ou réglementé auquel se référer, la tarification devrait respecter les principes de l'orientation vers les coûts selon la méthodologie mise en place conformément au cadre réglementaire sectoriel. Compte tenu de la complexité de l'analyse comparative des prix de l'accès en gros, les États membres sont encouragés à confier au RN , en le dotant des effectifs nécessaires, la mission de conseiller les autorités chargées de l'octroi de l'aide sur ces questions . Une description détaillée du projet d'aide devrait être envoyée au RN au moins deux mois avant la notification pour permettre à ce dernier de disposer d'un délai raisonnable pour donner son avis. Lorsque le RN est doté d'une telle compétence, l'autorité chargée de l'octroi de l'aide devrait lui demander conseil pour fixer les tarifs et les modalités de l'accès en gros. Le dossier d'appel d'offres devrait clairement mentionner les critères d'analyse comparative. »

Cette homogénéisation est défendue par le Gouvernement et par l'ARCEP afin de préserver les collectivités territoriales d'une dynamique baissière dans leurs négociations avec les opérateurs privés . Selon le régulateur, face à des difficultés budgétaires, et en l'absence d'activités sur le marché de détail, la dépendance des collectivités territoriales aux opérateurs pourrait les conduire à proposer des tarifs sous-évalués en vue de commercialiser leurs réseaux. Les grands opérateurs pourraient profiter de cette situation en stimulant une concurrence entre les RIP afin d'obtenir des offres plus intéressantes.

Un article additionnel relatif à la tarification des RIP a été inséré par voie d'amendement gouvernemental au cours de l'examen au Parlement du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques 44 ( * ) . Ces dispositions prévoient que les collectivités territoriales et leurs groupements permettent l'accès des opérateurs de communications électroniques aux réseaux d'initiative publique, dans des conditions tarifaires qui prennent en compte l'apport d'aides publiques de manière à reproduire les conditions économiques d'accès aux réseaux établis dans d'autres zones du territoire en l'absence de telles aides. L'ARCEP s'est ainsi vue confier l'élaboration de lignes directrices sur ces conditions de tarification. Les collectivités territoriales devront communiquer à l'ARCEP les conditions tarifaires d'accès à leurs réseaux au moins deux mois avant leur entrée en vigueur.

PÉRIMÈTRE DU MODÈLE ÉTUDIÉ PAR L'ARCEP

Source : ARCEP

La tarification de l'accès au marché de gros pour les RIP est une problématique complexe du point de vue économique, qui interagit avec une action future sur le tarif de gros du cuivre dans la perspective d'une migration vers la fibre. La diversité des RIP et l'impératif d'apporter le très haut débit à l'ensemble des citoyens à moyen terme justifient toutefois d'accorder des marges de manoeuvre aux collectivités et à leurs délégataires.

En l'absence d'étude d'impact et d'informations précises du Gouvernement lors de l'introduction dans la loi de ces dispositions, vos rapporteurs avaient exprimé de grandes inquiétudes sur le dispositif proposé, regrettant à cet égard qu'une mesure à la fois technique et d'une importance considérable pour les RIP ait été insérée en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Cette disposition confie un pouvoir d'appréciation considérable à l'autorité de régulation. La valeur juridique équivoque de ces lignes directrices ne permet pas d'appréhender tout son impact sur les projets des collectivités, a fortiori si le subventionnement de l'État devait être conditionné au respect de ces « recommandations ». Le dispositif mis en place apparaît très contraignant pour les collectivités territoriales, obligées de transmettre a priori leurs projets de tarification et de les rectifier, selon les observations du régulateur.

Il est essentiel de permettre aux collectivités territoriales de disposer de la tarification comme outil d'attractivité, tout en encadrant cette faculté . Les lignes directrices de l'ARCEP doivent avant tout proposer un signal-prix clair à l'ensemble des parties prenantes afin que chacun dispose d'une référence lors des négociations . Cet encadrement ne doit pas aboutir à geler le développement des RIP dans les prochaines années , par alignement sur la zone d'initiative privée, ce qui aurait pour conséquence de pérenniser les parts de marché de certains opérateurs privés dans les zones rurales.

Lors des consultations organisées par l'ARCEP en 2014 sur les modèles de tarification, plusieurs contributions ont souligné l'intérêt d'offres temporaires, afin de lancer la commercialisation et de déclencher une dynamique vertueuse entre opérateurs privés . Le recours à des « tarifs promotionnels » au début de la commercialisation, associé à une augmentation des prix par la suite permettrait de lisser sur le long terme les différences de tarifs, tout en facilitant le démarrage commercial des réseaux.

ADAPTATION DE LA TARIFICATION
AU COURS DE LA COMMERCIALISATION

Source : ARCEP , consultation publique ouverte du 6 octobre 2015 au 6 novembre 2015

Le régulateur a mis en consultation publique un projet de lignes directrices du 6 octobre 2015 au 6 novembre 2015. Dans ce document, l'ARCEP propose une tarification en trois étapes : dans un premier temps, la tarification de l'accès aux réseaux pourrait faire l'objet de remises afin de faciliter le lancement des RIP, puis la montée en charge de la commercialisation s'accompagnerait d'un ajustement intermédiaire des tarifs, pour enfin atteindre une tarification homogène avec celle pratiquée en zone d'initiative privée. La consultation publique doit permettre d'ajuster ce modèle pour garantir la prise en compte des contraintes spécifiques aux réseaux portés par les collectivités territoriales et leurs délégataires. Vos rapporteurs ont par ailleurs été alertés sur l'inadaptation de certains tarifs pour les collectivités territoriales, en particulier le niveau élevé du prix-plancher pour les offres activées. Cette surestimation de l'offre activée risque de ralentir le démarrage de la commercialisation et d'exclure les opérateurs de proximité et les opérateurs du marché entreprises.

Entre respect strict du droit de la concurrence et adaptation aux spécificités des réseaux d'initiative publique, de réelles marges de manoeuvre sont nécessaires. Une tarification homogène, définie au niveau national, risque de conduire à un gel durable de l'utilisation des réseaux d'initiative publique par les collectivités territoriales. Vos rapporteurs estiment ainsi que les collectivités territoriales devraient pouvoir disposer d'une réelle possibilité d'adapter la tarification aux spécificités de leurs réseaux , au-delà de simples offres « promotionnelles » lors de la commercialisation des premières prises.

Proposition : Garantir aux collectivités territoriales la possibilité d'adapter la commercialisation et la tarification aux spécificités des réseaux d'initiative publique afin d'améliorer l'attractivité des réseaux.

Plus globalement, il est essentiel de rééquilibrer le rapport de force entre collectivités territoriales et opérateurs privés lors de la commercialisation . La transformation des structures chargées de la commercialisation et le recours à une tarification attractive pourraient ne pas suffire pour assurer l'arrivée des opérateurs de services. D'autres actions pourraient être nécessaires, comme une intervention tarifaire sur le réseau de cuivre concurrent, afin d'améliorer les perspectives des réseaux FttH ( II.D ).

Plusieurs parties prenantes aux RIP s'interrogent également sur d'éventuelles manoeuvres dilatoires favorables aux grands opérateurs . En effet, plus la commercialisation des RIP sera tardive, plus les collectivités territoriales seront en difficulté financière et mieux les opérateurs commerciaux seront placés pour obtenir un accès aux réseaux dans des conditions avantageuses. Le temps joue contre les collectivités territoriales, et fragilise leurs capacités de négociation. À terme, les grands opérateurs privés pourraient préempter dans plusieurs années des RIP exsangues, en captant l'essentiel de la valeur ajoutée produite par des infrastructures financées par des fonds publics. L'opérateur historique est en capacité de prolonger cette attente, en alimentant, par ses activités de FAI une incertitude sur la commercialisation des RIP FttH, pour promouvoir auprès des collectivités territoriales l'offre PRM de montée en débit sur son réseau de cuivre.

En matière de commercialisation des RIP très haut débit, comme sur d'autres sujets de l'aménagement numérique du territoire (déploiements dans la zone conventionnée, couverture mobile du territoire), les auditions menées par le groupe de travail ont donné l'impression très nette à vos rapporteurs que les collectivités territoriales sont pour la plupart d'entre elles « otages » de la stratégie des grands opérateurs privés . Les opérateurs de RIP n'étant pas des opérateurs verticalement intégrés, ils ne fournissent pas de services de communications électroniques. En l'absence d'opérateurs commerciaux, les opérateurs de RIP n'ont donc pas de recettes.

Vos rapporteurs considèrent qu'en cas d'absence prolongée de commercialisation, malgré de nouveaux efforts en termes d'attractivité, des dispositifs plus volontaristes devraient être envisagés. Si une amélioration objective de l'attractivité économique des RIP ne permettait pas une commercialisation loyale, une négociation directe entre l'État et les opérateurs privés serait impérative pour protéger nos territoires et garantir l'utilisation de réseaux déployés sur fonds publics . La certification de la qualité technique des RIP ( II.D ) doit être un levier à mobiliser lors de ces échanges.

D. CRÉER UN ENVIRONNEMENT FAVORABLE AU DÉPLOIEMENT DE LA FIBRE OPTIQUE

De nombreux paramètres technologiques et techniques doivent encore être précisés, afin de mettre en place un environnement favorable à un déploiement ambitieux et rapide de la fibre optique dans nos territoires. Il s'agit de créer un climat de confiance pour les investissements publics et privés dans les réseaux en fibre optique .

1. Du tout FttH au mix technologique : pragmatisme ou renoncement ?

L'accès au très haut débit, lorsque son seuil est fixé à 30 Mbit/s, englobe une pluralité de technologies au niveau de la boucle locale . Plusieurs solutions permettent d'atteindre ce débit, avec leurs contreparties respectives. Déployée tout d'abord dans les réseaux de transport puis de collecte, l'utilisation de la fibre optique dans tout ou partie du réseau de desserte est au coeur des différentes options. Dans le cadre du PFTHD, la technologie déployée par les opérateurs dans la zone d'initiative privée est théoriquement le FttH. Dans la zone d'initiative publique, le FttH doit cohabiter avec d'autres solutions technologies. Le PFTHD vise un objectif global de 80 % en FttH d'ici 2022 : à cette date, quatre Français sur cinq devraient donc avoir accès au très haut débit par un réseau en fibre optique de bout en bout.

Cet objectif technologique a été fragilisé, dans la zone d'initiative privée et dans la zone d'initiative publique . Dans la zone d'initiative privée, l'ampleur prise par le réseau de câble modernisé et le VDSL2 sur le réseau de cuivre limite la place du FttH à moyen terme ( II.B ). Dans la zone d'initiative publique, l'ambition de couverture en FttH, et le recours complémentaire à la montée en débit sur le cuivre varient sensiblement selon les projets des collectivités territoriales. Les ambitions initiales des projets de RIP pourraient par ailleurs être fragilisées par les difficultés budgétaires que connaissent les collectivités territoriales et qui les contraignent à réduire leurs dépenses d'investissement.

En 2015, le très haut débit se confond encore très peu avec le FttH : seulement 11,3 % de la population sont éligibles à la fibre optique de bout en bout.

QUELLE TECHNOLOGIE POUR LE TRÈS HAUT DÉBIT ?

Sous réserves des débats sur la définition du très haut débit ( I.C ) Les architectures disponibles pour un accès au très haut débit au niveau de la boucle locale sont multiples et présentent chacune des caractéristiques différentes.

- Les technologies filaires :

o La fibre optique de bout en bout (FttH) : cette architecture repose sur un fil généralement en verre, déployé de bout en bout jusqu'à l'utilisateur final, et permettant de transmettre des signaux lumineux. Débit quasi-illimité en fonction des équipements actifs, symétrie des débits ascendant et descendant, insensibilité aux perturbations : la supériorité technologique du FttH est incontestable 45 ( * ) . La principale contrepartie à une couverture totale en FttH est son coût, dès lors que le raccordement en fibre optique de bout en bout implique le déploiement d'une nouvelle boucle locale jusqu'à l'utilisateur final.

o Le câble modernisé (FttLA) : cette architecture repose sur un raccordement en fibre optique avec une terminaison en câble coaxial, permettant d'offrir des débits atteignant 200 Mbit/s et qui pourraient dépasser 1 Gbit/s à l'avenir. Toutefois le maintien de la terminaison en câble ne permet pas de proposer des débits symétriques. L'emprise géographique du câble limite cette solution aux grandes et moyennes agglomérations de la zone d'initiative privée (1200 villes environ). Enfin, le câble ne permet pas à ce jour de dégroupage total, limitant ainsi la dynamique concurrentielle sur ce réseau.

o La montée en débit sur cuivre (FttC) : cette opération consiste en un rapprochement du réseau en fibre optique de l'utilisateur final avec une terminaison en cuivre. Comme toutes les technologies fondées sur le réseau de cuivre, l'effet de la montée en débit est conditionné par la distance restante avec l'utilisateur final en raison de l'affaiblissement du courant sur le cuivre.

o Le VDSL2 : cette technologie permet théoriquement d'atteindre le très haut débit, si la distance entre l'utilisateur et le dernier point de réseau où les signaux sont injectés ne dépasse pas un kilomètre. La montée en débit sur cuivre peut servir à accroître la couverture potentielle en VDSL2.

- Les technologies hertziennes :

o Le satellite : technologie de transmission de données via un satellite en orbite géostationnaire, qui permet une couverture immédiate de tout point sur le territoire, sans infrastructure terrestre supplémentaire, seul un équipement de réception étant nécessaire. La disponibilité sur l'ensemble du territoire fait du satellite une solution particulièrement adaptée à l'habitat isolé, dont le raccordement filaire est techniquement ou économiquement impossible. L'accès par satellite a pour principaux désavantages un temps de latence qui restreint les usages en temps réel, une limitation des volumes échangés, et un risque de saturation des capacités.

o Le Wifi : il s'agit d'un réseau hertzien de faible portée qui permet d'offrir un débit élevé. Le Wifi est adapté à un usage urbain, où la concentration de la population nécessite un maillage resserré et des débits importants. Le Wifi utilise des bandes de fréquences radio libres d'usage. Son déploiement à grande échelle dans les zones peu denses est compromis par le nombre d'émetteurs nécessaires pour couvrir un territoire rural et par la sensibilité des ondes aux obstacles.

o Le WiMAX : technologie de transmission hertzienne qui permet, avec un nombre plus réduit d'émetteurs, de couvrir une zone importante, au prix d'un débit plus limité. La montée en débit du réseau hertzien, par opticalisation des émetteurs, peut permettre d'augmenter le débit proposé. Cette augmentation est toutefois encadrée par la nécessité d'émettre dans une bande de fréquences limitée, nécessitant une licence. Il s'agit d'une technologie intéressante pour les territoires dont la densité compromet un raccordement filaire et qui sont confrontés à une absence de vrai haut débit.

o Les réseaux mobiles à usage fixe : cette technologie repose sur un usage fixe des réseaux mobiles, encore en développement en France. La technologie LTE-Advanced devrait permettre d'atteindre plusieurs centaines de Mbit/s dans une situation fixe.

La fibre optique sur toute la ligne jusqu'à l'abonné permet aux particuliers et aux entreprises de bénéficier de débits très élevés, stables et symétriques, pouvant être augmentés à l'avenir par l'évolution des équipements actifs. Seul le FttH constitue une technologie de long terme, optimale et pérenne, qui pourra supporter tous les usages numériques de demain. L'augmentation future des besoins en débit montant remet en cause la durabilité des technologies ne permettant pas une symétrie des débits.

Toutefois les conditions techniques et économiques d'un raccordement de l'intégralité de la population en fibre optique de bout en bout compromettent une couverture totale à l'horizon 2022 . La partie la plus capillaire du réseau voit ses coûts augmenter considérablement, au-delà du raisonnable dans certaines zones compte tenu de la position géographique de certains logements.

Dans la zone d'initiative publique, le recours à des technologies complémentaires au FttH vise à surmonter les obstacles économiques et techniques au déploiement d'une boucle locale optique sur l'ensemble du territoire. La raison d'être du mix technologique est d'adapter la mobilisation des différentes solutions technologiques aux spécificités du territoire et aux préférences locales. Toutefois, la fibre optique de bout en bout a vocation à être l'horizon général des réseaux et les autres technologies doivent être complémentaires et non concurrentes au FttH lorsque le déploiement de ce dernier apparaît comme une perspective réaliste à moyen terme.

La technologie complémentaire la plus massivement utilisée est la montée en débit sur cuivre, qui s'appuie sur l'offre PRM proposé par Orange aux collectivités territoriales. La montée en débit s'apparente à une mise à niveau de la boucle locale de cuivre en développant la collecte en fibre optique. Couplée à la VDSL2, la montée en débit peut permettre d'offrir un accès très haut débit, lorsque la distance entre l'injection du signal et l'utilisateur final est faible. Toutefois, l'affaiblissement rapide au-delà d'un kilomètre limite ce potentiel dans les zones peu denses. Certains investissements lors de la montée en débit doivent pouvoir être réutilisables : la réalisation du segment optique entre l'ancien noeud de réseau (NRA) et le nouveau noeud (NRA-MeD) a vocation à participer à la mise en place ultérieure d'une boucle locale optique jusqu'à l'utilisateur. Ces dépenses représentent en moyenne les deux tiers de l'investissement nécessaire lors de l'opération de montée en débit.

Malgré une dépense moindre à court terme, vos rapporteurs soulignent que le coût de la montée en débit peut être significatif, dès lors que sa mise en place représente un coût fixe d'environ 150 000 euros pour un sous-répartiteur. Selon le nombre d'utilisateurs en aval, le coût par ligne peut varier de 500 euros à plus de 5 000 euros. L'absence de revenu direct pour la collectivité en cas de montée en débit augmente également le coût actualisé de cette solution par rapport à la fibre optique de bout en bout. Le coût d'une prise FttH, estimé en moyenne à 1 100 euros par la Mission très haut débit, mais dépassant régulièrement 2 000 euros, sera progressivement compensé par des recettes d'exploitation. Avec la prise en compte de l'ensemble des coûts et des recettes, le décalage facial entre montée en débit sur cuivre et FttH se réduit.

DÉBIT DES TECHNOLOGIES SUR CUIVRE EN FONCTION
DE LA LONGUEUR DE LA LIGNE

Source : Mission très haut débit

La montée en débit peut constituer pour certaines collectivités une première étape , lorsque le déploiement de la fibre optique s'inscrit dans un déploiement à moyen terme du FttH. Dans l'hypothèse d'une généralisation de la montée en débit et du VDSL2, la Mission très haut débit estime que 47 % de la zone d'initiative publique pourrait être couverte en très haut débit. Le CEREMA souligne toutefois que le débit effectif suite à l'opération de montée en débit varierait fortement selon les territoires, compte tenu de la topologie et de la densité de l'habitat.

Le soutien à la montée en débit sur cuivre a fluctué depuis le lancement du PFTHD. Initialement réservé sur son développement, l'État a progressivement intégré cette solution dans le subventionnement. Le cahier des charges des demandes de subvention prévoit désormais un soutien spécifique à la collecte en fibre optique des NRA de montée en débit sur le réseau de cuivre. Le subventionnement de la montée en débit a été étendu par la version 2015 du cahier des charges aux infrastructures passives lorsqu'elles sont acquises par le porteur du RIP et réutilisables ultérieurement pour le FttH (réseau, dalle, armoire...).

La montée en débit est toutefois une technologie peu évolutive car le maintien d'une terminaison en cuivre limite intrinsèquement le service offert : asymétrie des débits, instabilité du service, affaiblissement du signal. Il est très peu probable que de nouvelles technologies sur cuivre proposent de meilleures performances dans les territoires moins denses dès lors que les évolutions successives (ADSL, VDSL2, G- fast ) offrent plus de débit sur des longueurs de lignes toujours moindres (respectivement 5 000, 1 000 et 100 mètres). Dans ces territoires ruraux, les technologies sur cuivre pourraient être rattrapées par les progrès en matière de réseaux mobiles très haut débit si ceux-ci sont déployés en temps utile.

Il est donc souhaitable de considérer la montée en débit comme une solution de court terme, à mettre en oeuvre dans les premières années du déploiement . Le soutien de l'État à la montée en débit devrait être conditionné à un déploiement rapide lors de la phase 1. Par ailleurs, sauf exception, cette solution doit être transitoire et les investissements doivent s'inscrire dans la perspective d'un déploiement à moyen terme du FttH . Le cahier des charges du FSN précise que la collecte des NRA-MeD doit être temporaire, « dans la mesure où son déploiement s'inscrit dans la perspective du déploiement de la future boucle locale optique mutualisée ». Il est essentiel que la Mission très haut débit demande aux porteurs de RIP souhaitant intégrer une part de montée en débit de présenter un projet d'ingénierie FttH cohérent, explicitant la cohérence des investissements avec le déploiement ultérieur de la fibre.

Le développement de la montée en débit et son intégration dans le PFTHD ont créé une instabilité défavorable à l'engagement résolu des collectivités territoriales dans la fibre optique. Face à la pression et aux urgences locales, ainsi qu'aux difficultés budgétaires, il est difficile pour les élus de privilégier les solutions de long terme et de savoir « où placer le curseur » en matière de mix technologique. Par ailleurs, le réseau de cuivre n'est pas exposé aux incertitudes qui pèsent aujourd'hui sur la commercialisation des réseaux en fibre optique. Malgré ces contraintes, la montée en débit ne doit pas se substituer durablement au FttH, lorsque le déploiement de ce dernier est techniquement et économiquement réaliste dans des délais raisonnables . L'État doit donner les bons signaux aux collectivités territoriales et leur apporter les moyens de poursuivre une politique d'aménagement numérique ambitieuse.

Le recours à la montée en débit doit donc être limité à deux situations : une solution technologique transitoire dont la compatibilité avec un déploiement du FttH après 2020 est démontrée ; une solution plus pérenne dûment justifiée par des conditions technique ou économiques insurmontables pour un déploiement en FttH .

Proposition : réaffirmer l'objectif du FttH par un encadrement du recours à la montée en débit sur cuivre, en vérifiant systématiquement sa compatibilité avec un déploiement ultérieur de la fibre optique, sauf impossibilité technique ou économique dûment justifiée par la situation locale.

La régulation de l'offre PRM d'Orange par l'ARCEP doit également limiter les surcoûts pour les collectivités territoriales. Si le cahier des charges conditionne le subventionnement des infrastructures passives à leur acquisition par le porteur du projet de RIP, les travaux facturés par Orange ne constituent pas à proprement parler des investissements pérennes. Par ailleurs, les dépenses engagées par les collectivités territoriales ne leur apportent pas de revenus supplémentaires. Dès lors que les fonds publics permettent à l'opérateur de conforter la durée de vie de son réseau, il serait cohérent qu'Orange prenne en charge une part plus importante des coûts. Vos rapporteurs ont été également alertés sur certains éléments de l'offre qui apparaissent sous-optimales aux porteurs de RIP, notamment en matière de dimensionnement des armoires et des fourreaux.

La récupération de la TVA sur les dépenses en matière de montée en débit est un autre enjeu qui reste en suspens pour les collectivités territoriales qui ont recours à cette composante. Des négociations sont en cours avec la Direction générale des finances publiques afin de permettre cette récupération, importante pour l'équilibre économique des projets de RIP. En cas de refus de l'administration, le coût de la montée en débit augmenterait mécaniquement de près de 20 % pour les collectivités territoriales.

L'ajustement du cadre de la montée en débit est donc indispensable pour assurer la pérennité des investissements publics.

Vos rapporteurs notent également que le soutien à la montée en débit par l'offre PRM d'Orange, dans le cadre des subventions du FSN aux RIP, pourrait exposer le PFTHD à un risque de qualification d'aides d'État non compatibles avec le droit européen . Dans un questionnaire transmis aux autorités françaises en juillet 2015, la Commission européenne note ainsi : « La boucle locale en cuivre (objet de la modernisation) étant la propriété d'Orange, la mesure d'aide permet à Orange d'exploiter à des tarifs préférentiels une infrastructure modernisée et de mener l'activité commerciale à des conditions que l'opérateur n'aurait autrement pas pu trouver sur le marché. En conséquence, il semble qu'Orange bénéficie d'un avantage sélectif . »

Vos rapporteurs ont demandé à la secrétaire d'État chargée du numérique, Axelle Lemaire, lors de son audition devant votre commission le 21 octobre 2015, de faire le point sur ce dossier. La réponse de la secrétaire d'État était optimiste : « Avec beaucoup de minutie, nous avons répondu à chacune des questions de la Commission européenne, qui s'interroge sur l'application du régime des aides d'État au nouveau cahier des charges [...] A ce stade, je pense que les doutes sont levés. Les commissaires européens sont convaincus du bien-fondé de la démarche française » . La secrétaire d'État a ainsi indiqué que cette difficulté devrait être résolue d'ici la fin de l'année 2015.

Le cas contraire, une modification par le Gouvernement du PFTHD, notamment par une séparation du régime d'aide en deux volets, pourrait être nécessaire, afin de sécuriser le dispositif pour l'ensemble des parties prenantes . À défaut, l'ensemble de la montée en débit pourrait être remise en cause dans le mix technologique des RIP, soit environ 10 % des prises à construire d'ici 2020. Vos rapporteurs souhaitent que la notification tardive du PFTHD à la Commission européenne n'aboutisse pas à une déstabilisation des projets des collectivités.

Proposition : sécuriser les opérations de montée en débit sur cuivre, par un ajustement du cadre juridique, économique et technique de cette technologie : mise en conformité avec le droit de la concurrence, récupération de la TVA, régulation de l'offre PRM d'Orange.

Plus globalement, les évolutions du cahier des charges doivent limiter la réorientation des déploiements vers les infrastructures d'Orange , a fortiori si cette évolution fragilise la transition vers la fibre optique. Si l'utilisation des infrastructures existante est un facteur de réduction des coûts, une telle tendance ne doit pas aboutir à subventionner la mise à niveau du réseau de cuivre de l'opérateur historique. Le soutien à la montée en débit ne saurait avoir pour conséquence durable de pérenniser la rente du réseau cuivre.

La problématique relative aux infrastructures d'Orange s'étend au réseau de collecte* . À ce jour, le cahier des charges ne permet pas aux collectivités territoriales d'investir dans un réseau de collecte si des réseaux tiers sont disponibles. Le plus souvent, les collectivités territoriales doivent avoir recours à l'offre de location de fibre optique (LFO) proposée par Orange sur son réseau de collecte. Cette réorientation vers le réseau d'Orange se heurte à plusieurs obstacles pour les collectivités : manque de connaissance sur le dimensionnement du réseau de collecte par rapport aux besoins du RIP, risque d'augmentation des tarifs de l'offre LFO faute de régulation dédiée, absence de subventionnement de l'État, surcoût engendré par l'obligation de suivre le tracé du réseau de collecte existant... L'absence de garanties sur les coûts et le positionnement d'un élément aussi structurant que la collecte du réseau en fibre optique pèse fortement sur les réseaux d'initiative publique.

L'ampleur que prendront les solutions hertziennes dans le mix technologique de la zone d'initiative publique reste incertaine . La couverture des locaux les plus isolés en FttH est particulièrement élevée : les 5 % des locaux les plus isolés représenteraient un coût à la prise jusqu'à dix fois supérieur au coût moyen. La Mission très haut débit estime que les solutions hertziennes pourraient représenter entre 1 et 9 % de la couverture en très haut débit, en fonction du choix des collectivités territoriales et de l'industrialisation des technologies fondées sur l'usage en situation fixe des réseaux mobiles. La saturation des faisceaux satellitaires constitue une vraie difficulté pour la composante inclusion numérique ( II.E ). Cette situation va créer un report de besoins vers les autres solutions, à savoir la montée en débit sur cuivre ou l'hertzien terrestre. Il s'agit donc d' identifier des solutions de remplacement.

Vos rapporteurs notent que les réseaux hertziens terrestres n'ont pas été intégrés au cahier des charges du FSN , à l'exception des équipements de réception, alors que leur industrialisation couplée à une montée en débit des émetteurs pourrait être une solution alternative au satellite.

Malgré le changement de contexte depuis 2013, le FttH doit demeurer une priorité pour les investissements privés et publics pour la couverture en très haut débit . Si chaque territoire doit pouvoir adapter le mix technologique à ses spécificités, il est nécessaire de privilégier des solutions de long terme et des investissements pérennes, particulièrement pour les réseaux filaires. Tout investissement non réutilisable pour une couverture ultérieure et raisonnable en FttH devrait être fortement encadré car la capacité d'évolution du débit, son asymétrie et son instabilité potentielle compromettent la pertinence des investissements. Si aucune technologie n'offre de solution universelle à la diversité des situations rencontrées dans les territoires, la fibre optique de bout en bout doit rester l'horizon du plus grand nombre possible d'utilisateurs .

2. Une optimisation indispensable des coûts de déploiement

Déployer une infrastructure filaire sur l'intégralité du territoire nationale, jusqu'à l'ensemble des logements et locaux professionnels, représente des coûts considérables. Dans un contexte budgétaire très difficile pour les collectivités territoriales, la couverture totale en très haut débit suppose de minimiser les investissements supplémentaires . Concomitamment à l'augmentation du subventionnement, le bon usage des deniers publics impose d'optimiser les déploiements. Cette optimisation des coûts de déploiement doit s'appuyer sur plusieurs vecteurs : mutualisation des réseaux, organisation des travaux de génie civil, adaptation des règles d'urbanisme aux réseaux de nouvelle génération.

L'ARCEP a mis en place une régulation privilégiant la mutualisation du dernier segment des réseaux dans la zone d'initiative privée, en identifiant des points de mutualisation (PM) à partir desquels un réseau unique doit être déployé en aval. Un seul réseau doit pénétrer dans les immeubles, connecté à ce PM, auquel peuvent accéder tous les opérateurs. Ce segment est géré par un opérateur unique, appelé opérateur d'immeuble. Au deuxième trimestre 2014, le taux de mutualisation pour les réseaux FttH était de 58 %. Dans la zone d'initiative publique, une seule boucle locale optique est déployée sous maîtrise d'ouvrage publique, neutre et ouvert à tous les opérateurs de service sans discriminations. Les règles de mutualisation, notamment le dimensionnement de la zone arrière du point de mutualisation (ZAPM), dépendent de la densité du territoire concerné.

Les travaux de génie civil représentent les coûts les plus importants . Dans les territoires les moins denses, l'ARCEP estime, en cas de création ex nihilo des infrastructures d'accueil, que le génie civil nécessaire représente entre 70 et 80 % du coût total de déploiement. Il est donc essentiel que les travaux soient organisés de manière à économiser les ressources, publiques et privées. Pour cela, une programmation des travaux doit permettre des synergies entre les différentes interventions sur les infrastructures : fibre optique, électricité, gaz, eau, assainissement. L'article L. 49 du code des postes et des communications électroniques, créé par la loi du 17 décembre 2009 précitée, impose aux maîtres d'ouvrage de travaux sur le domaine public (réfection du revêtement de la route, creusement de tranchées, mise en place ou remplacement d'appuis aériens...) d'informer systématiquement les collectivités territoriales et les opérateurs. Cette information doit permettre aux aménageurs, privés ou publics, de profiter de ces chantiers de génie civil pour réaliser leurs propres infrastructures. Les collectivités peuvent ainsi se constituer un patrimoine de fourreaux qui pourront être utilisés ultérieurement ou proposés aux opérateurs privés. L'objectif est de mieux coordonner les travaux de génie civil. Le réflexe « travaux = fourreaux » doit être généralisé auprès de l'ensemble des collectivités territoriales.

Outre cette anticipation indispensable lorsque des infrastructures nouvelles sont requises, la mobilisation d'infrastructures d'accueil existantes doit permettre de réduire significativement les coûts . Ces éléments sont multiples : fourreaux disposant de capacités excédentaires, canalisation de gaz ou d'assainissement, poteaux des réseaux téléphoniques et électriques, armoires de rue. Comparée à l'enfouissement, la pose de câbles optiques sur des poteaux est significativement plus avantageuse, avec une économie de l'ordre de 90 %. La mise en place de tranchées représente un coût d'environ 80 euros par mètre, additionné à la réalisation d'une chambre nécessaire à la gestion des câbles dont le coût par unité oscille entre 500 et 2 500 euros. En comparaison le recours à des poteaux représente un coût de 300 euros tous les cinquante mètres. L'accès aux appuis aériens, appartenant à Orange pour le réseau téléphonique, et à ERDF pour le réseau électrique, doit être privilégié autant que de possible afin de limiter les coûts. Le coût d'accès par un droit d'usage de longue durée est en effet bien inférieur au coût de création du génie civil.

L'ARCEP a imposé à Orange de proposer une offre d'accès régulée à ses infrastructures, souterraines (350 000 km d'artères) et aériennes (18 millions de poteaux). Sur l'utilisation des lignes aériennes de distribution publique d'électricité, la FNCCR est un acteur essentiel. Pour l'accès aux infrastructures d'ERDF, la Fédération a actualisé sa convention avec le gestionnaire au printemps 2015. La plateforme Objectif Fibre travaille également à l'établissement d'un guide pratique afin de faciliter et de standardiser le déploiement en aérien. Toutefois, l'évolution des normes imposées aux appuis aériens et les conditions climatiques particulières dans certains territoires peuvent aboutir à un nombre croissant d'échecs pour la réutilisation des infrastructures de distribution d'électricité. La quantification de ce risque en lien avec ERDF et de ses conséquences financières sur la conception des plans d'investissement permettrait de détecter en amont l'ampleur du problème.

L'accès aux fourreaux d'Orange, dont la mise en place a été financée par les collectivités territoriales, devrait également être facilité , dans des conditions économiques et juridiques appropriées pour les différents opérateurs de réseaux. L'approche forfaitaire utilisée pour la tarification de cet accès à la ligne pourrait être utilement complétée par une approche fondée sur le linéaire, afin de mieux tenir compte de l'utilisation véritable des infrastructures d'accueil de l'opérateur historique par les collectivités territoriales. Plusieurs collectivités ont également signalé des conflits récurrents avec l'opérateur historique concernant certains fourreaux installés par les collectivités territoriales après la privatisation de France Télécom, et faisant l'objet de contentieux en matière de propriété ou d'occupation illégale. Dans d'autres cas non litigieux de propriété, la redevance d'occupation du domaine public qui doit être versée par l'opérateur à la collectivité concernée est peu contrôlée et les écarts constatés entre collectivités sont souvent importants, faute d'informations suffisantes. Enfin, certaines collectivités signalent des difficultés et des délais importants pour obtenir les informations sur les infrastructures d'accueil . La numérisation en cours des réseaux et infrastructures d'Orange devrait permettre une refonte des données nécessaires, pour éviter de nouvelles difficultés. Il est indispensable de permettre aux collectivités territoriales et à leurs délégataires de disposer facilement des informations nécessaires à la construction du réseau optique.

Afin de créer un environnement favorable à des déploiements économes en ressources, publiques comme privées, les règles d'urbanisme et d'habitat doivent également mieux prendre en compte les réseaux de communication électroniques .

Avec l'adoption de la LME du 4 août 2008, les immeubles collectifs neufs doivent disposer, depuis le 1 er avril 2012, d'un pré-raccordement en fibre , c'est-à-dire d'un déploiement de la fibre dans les immeubles jusqu'à l'entrée des logements. Cette obligation vise à accélérer le raccordement final des utilisateurs, en anticipant le déploiement du réseau jusqu'à l'immeuble. Une nouvelle disposition, adoptée lors de l'examen de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques étend cette obligation de pré-raccordement à l'ensemble des logements neufs, y compris les immeubles individuels et les lotissements, à compter du 1 er juillet 2016. À l'initiative de notre collègue Bruno Sido, le pré-raccordement a été étendu aux logements collectifs existants faisant l'objet de travaux nécessitant l'obtention d'un permis de construire, ce qui permettra une coordination avec les travaux de rénovation énergétique.

Pour le raccordement des immeubles existants , une décision du propriétaire ou de l'assemblée générale des copropriétaires sur la proposition d'un opérateur d'assurer le raccordement d'un immeuble à la fibre optique en tant qu'opérateur d'immeuble est nécessaire. La loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques prévoit la possibilité pour l'assemblée générale de donner mandat au conseil syndical, plus régulièrement réuni, afin de statuer sur cette proposition 46 ( * ) . Cette évolution est un premier pas pour remédier aux lenteurs, voire aux blocages persistants, constatés dans le processus de décision des copropriétés.

Le réseau FttH ne bénéficie toutefois pas encore des mêmes « prérogatives » que le réseau cuivre, notamment en matière de servitudes d'utilité publique . Ainsi, le déploiement en façade des câbles FttH ne constitue pas une servitude et peut aisément être refusé par une copropriété. Si le passage en façade doit être encadré, pour des raisons esthétiques notamment, cette technique de déploiement reste bien moins coûteuse que des creusements supplémentaires, particulièrement dans les alignements.

Alors que le réseau FttH a vocation à être le premier réseau de communications électroniques, la mise en place de dispositifs identiques à ceux bénéficiant au cuivre serait cohérente avec l'objectif de transition entre les deux réseaux . La transposition par ordonnance de la directive 2014/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014, relative à des mesures visant à réduire le coût du déploiement de réseaux de communications électroniques à haut débit, est une étape nouvelle afin d'améliorer la maîtrise des coûts de déploiement. Cette directive prévoit de nouvelles mesures visant à réduire le coût des travaux de génie civil, en renforçant les synergies entre les opérateurs de réseau : offres d'accès aux infrastructures d'accueil, mesures de transparence, coordination des travaux... La transposition de la directive pourrait être une opportunité d'extension des servitudes d'utilité publique au FttH, afin de faciliter le déploiement des infrastructures passives.

Dans les années 1970, le succès du plan de généralisation du réseau de cuivre en France a tenu en grande partie aux facilités de déploiement accordées sur le fondement des principes d'utilité publique et d'intérêt général. Les enjeux du très haut débit pour notre pays et ses territoires appellent donc des dispositions facilitatrices pour soutenir la mise en oeuvre de ce chantier d'avenir.

Proposition : faciliter l'accès des collectivités territoriales aux infrastructures d'accueil existantes et réglementer sa tarification, renforcer les servitudes d'utilité publique au bénéfice de la fibre et simplifier la procédure de raccordement des immeubles, pour accélérer le déploiement.

3. L'homogénéité technique, condition sine qua non de la pérennité des déploiements et de la commercialisation des réseaux.

Assurer l'homogénéité technique des réseaux FttH est essentiel pour garantir la pérennité d'une infrastructure mise en place pour plusieurs décennies . Cette harmonisation est également une condition indispensable à la commercialisation en masse des réseaux . Le déploiement des réseaux étant décentralisé, la cohérence technique de dizaines de réseaux locaux construits par des acteurs différents est un point de vigilance particulièrement important. L'objectif est de disposer de marchés de gros standardisés.

Plusieurs initiatives ont été lancées par les acteurs de la filière optique, en faveur de la standardisation et de l'harmonisation technique des différents réseaux : Objectif fibre, Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique (FIRIP), Interop'Fibre, Cercle de Réflexion et d'étude pour le Développement de l'Optique (CREDO), AVICCA... Ces initiatives visent tant l'architecture des réseaux que le type de fibre ou les connecteurs utilisés. La qualité des matériaux et de leur installation est un enjeu important (choix des polymères, gaines, adaptateurs, connecteurs optiques). Afin d' assurer l'interopérabilité des réseaux et de faciliter leur exploitation , des travaux relatifs à la normalisation des systèmes d'information sont également menés 47 ( * ) . La rationalisation des déploiements s'appuie également sur la mise en place d'une base normalisée du bâti, appelée base adresse nationale (BAN), élaborée par La Poste avec l'Institut géographique nationale.

Le PFTHD confie à la Mission très haut débit la coordination des travaux de standardisation engagés par les opérateurs, ainsi que la publication de référentiels communs et de guides de bonnes pratiques . Un groupe de travail appelé « groupe infrastructures » a été créé en 2015 pour élaborer un référentiel technique partagé. Dans le cadre de ces travaux, la Mission a publié en juillet 2015 des recommandations relatives à la conception de la boucle locale optique mutualisée 48 ( * ) . Au sein de l'ARCEP, des décisions homologuées 49 ( * ) ainsi que des recommandations du comité d'experts fibre optique 50 ( * ) visent également à harmoniser les infrastructures déployées.

Ces initiatives sont nécessaires aux collectivités territoriales et à leurs délégataires, pour les aider à élaborer une architecture cohérente et homogène . Afin de gérer la diversité technique des RIP, vos rapporteurs saluent la récente modification du cahier des charges, permettant de mieux intégrer les réseaux pionniers. Une nouvelle disposition prévoit en effet que des aides seront attribuées afin de faciliter la mise en conformité technique des réseaux déployés avant la définition de la réglementation FttH, comme les RIP de l'Ain (SIEA) et de la ville de Sainte-Anne en Guadeloupe, dans la limite d'un plafond de 100 euros par prise. Cette disposition, qui devrait concerner environ 200 000 prises, facilitera leur commercialisation auprès des opérateurs.

Les efforts en matière d'harmonisation technique doivent se poursuivre pour garantir la qualité des réseaux et favoriser leur commercialisation . Il est indispensable d'élaborer en toute transparence les référentiels techniques, et le cas échéant, de les adapter selon les progrès et les conditions économiques. Une forme de « tâtonnement » collectif apparaît inévitable pour des technologies nouvelles, dont l'industrialisation est encore à ajuster. Si ces évolutions impliquent des ajustements significatifs pour mettre en conformité les réseaux existants, des aides spécifiques devraient être mises en place.

Il s'agit également de mieux objectiver la conformité technique des réseaux construits afin d'éviter toute instrumentalisation de cette question par les acteurs privés lors de la commercialisation des réseaux. Certaines collectivités territoriales font état de grands opérateurs privés invoquant des problèmes d'harmonisation technique, dont l'existence n'est pas avérée, afin de justifier leur stratégie attentiste à l'égard des RIP.

Un mécanisme de certification ou de label permettrait de proposer une validation objective de la qualité technique des RIP , soustraite aux intérêts particuliers. Tout en assurant en amont la cohérence de la conception des réseaux, une confirmation ex post de la conformité des réseaux construits aux référentiels techniques sera nécessaire à leur commercialisation en masse. Cette activité pourrait être confiée à un organisme associant l'ensemble des parties prenantes en toute transparence. Vos rapporteurs considèrent que cette garantie de conformité technique des RIP devrait être utilisée comme levier par les collectivités territoriales et par l'Etat lors des négociations avec les opérateurs privés, pour accélérer la commercialisation des réseaux.

Proposition : faire en sorte que les opérateurs utilisent les réseaux déployés par les collectivités territoriales dès lors qu'ils auront obtenu une certification de leur qualité technique, délivrée par un organisme neutre.

4. L'insoutenable coexistence de deux réseaux concurrents

L'objectif de la planification nationale est de doter la France d'une couverture nationale en fibre optique de bout en bout. Une boucle locale en fibre optique doit donc se substituer à la boucle locale de cuivre. Compte tenu du coût d'investissement dans le FttH, il n'est pas économiquement pertinent de maintenir deux boucles locales parallèles et concurrentes.

Afin d'analyser les enjeux de la transition, le Gouvernement a mis en place en juillet 2013 une mission sur la transition vers les réseaux à très haut débit et l'extinction du réseau de cuivre, présidée par Paul Champsaur, ancien président de l'ARCEP. La mission a rendu son rapport en décembre 2014.

Vos rapporteurs ne partagent pas l'approche retenue dans les conclusions de la mission. La portée limitée des recommandations ne permet pas de soutenir significativement le déploiement de la fibre optique. Par ailleurs, vos rapporteurs considèrent que l'invocation d'arguments techniques ne saurait aboutir au report du basculement à un horizon indéterminé, alors même que la problématique principale est le coût de l'extinction pour l'opérateur historique.

Pour élaborer ses propositions, la mission s'est appuyée sur l'expérimentation « 100 % fibre Palaiseau » menée par Orange dans la commune de Palaiseau à partir de juillet 2012. Ce projet visait une migration dans un délai contraint de toutes les applications supportées par la boucle locale de cuivre vers la fibre optique. À cet égard, vos rapporteurs regrettent qu'une expérimentation en zone d'initiative publique n'ait pas été menée , afin de tenir compte de la situation particulière en termes de densité. Les territoires ruraux sont précisément ceux où le mécanisme de zone fibrée pourrait être le plus utile pour soutenir les déploiements, et éviter toute concurrence par le réseau de cuivre détenu et exploité par l'opérateur historique. Conduire une seconde expérience sous maîtrise d'ouvrage publique permettrait d'analyser l'intégralité des enjeux posés par l'extinction, en disposant d'un retour plus représentatif des zones moins denses.

Le rapport privilégie une bascule progressive vers la fibre optique , plutôt qu'une migration programmée et contraignante, et propose une solution différenciée selon les territoires. La principale proposition du rapport est la création d'un statut de « zone fibrée » , attribué par les pouvoirs publics à une zone lorsque la complétude du déploiement horizontal et vertical du réseau en FttH est atteinte, et à la demande du propriétaire du réseau. L'ARCEP serait chargée d'examiner l'état du réseau sur la zone : qualité de service, ouverture de l'infrastructure aux différents opérateurs, harmonisation technique. Le ministre chargé des communications électroniques attribuerait ensuite le statut de « zone fibrée » au territoire concerné.

Ce statut déclencherait l'application de mesures incitatives en faveur du réseau en fibre, afin d'accélérer la migration des abonnés. L'extinction du réseau de cuivre ne serait décidée que dans un second temps , à l'initiative de l'opérateur historique , propriétaire du réseau. Pour les abonnés au réseau de cuivre, cette extinction impliquerait une migration forcée vers la fibre, avec des mesures d'accompagnement.

Vos rapporteurs estiment indispensable d'éviter tout verrouillage systématique de cette transition technologique , qui conduirait à priver le basculement d'impact significatif sur la couverture des territoires.

En vue de mettre en place une véritable dynamique au service de la fibre optique, une disposition a été inscrite dans le code des postes et des communications électroniques à l'initiative du Sénat lors de l'examen du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. L'objectif de cet ajout est de définir rapidement les modalités du dispositif de zone fibrée, afin de lutter contre tout inertie en matière d'extinction du cuivre .

ARTICLE L. 33-11 DU CODE DES POSTES ET DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES

« Il est institué un statut de «zone fibrée», qui peut être obtenu dès lors que l'établissement et l'exploitation d'un réseau en fibre optique ouvert à la mutualisation sont suffisamment avancés pour déclencher des mesures facilitant la transition vers le très haut débit . La demande d'obtention du statut est formulée par l'opérateur chargé de ce réseau ou par la collectivité l'ayant établi au titre de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales. Le ministre chargé des communications électroniques attribue ce statut après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

Les modalités d'application du présent article sont définies par décret. »

Si l'esprit du dispositif de zone fibrée proposé par la mission est d'intervenir en fin de déploiement des réseaux - à un horizon qui dépendra de la maille territoriale et du degré de complétude exigé -, sa mise en place doit permettre d'améliorer l'horizon économique des réseaux. En confortant leur rentabilité, le dispositif peut rétroagir sur le rythme des déploiements et sur la commercialisation, aussi bien en zone d'initiative privée qu'en zone d'initiative publique . À ce titre, vos rapporteurs considèrent que l'attribution du dispositif de zone fibrée devrait intervenir suffisamment tôt pour soutenir les déploiements en FttH.

Il importe que le décret d'application soit rapidement élaboré, afin de définir le cahier des charges des zones fibrées, et de prévoir des mesures réglementaires fortes pour l'accompagnement de la transition. L'ambition du dispositif est susceptible de varier fortement selon les paramètres retenus, notamment en matière de maille territoriale, de degré de complétude, de mesures incitatives, et de modalités d'extinction. Vos rapporteurs notent à cet égard que la concertation prévue pour l'élaboration du cahier des charges du dispositif de zone fibrée n'a toujours pas été lancée .

L'attribution du statut de zone fibrée devrait s'inscrire dans un calendrier prévisionnel de basculement technologique et d'extinction du réseau de cuivre dans le territoire , afin de donner de la visibilité à l'ensemble des parties prenantes. Vos rapporteurs considèrent que ce calendrier devrait être discuté au niveau local entre les différentes parties prenantes, et inséré dans le SDTAN . Il doit en effet être cohérent avec le calendrier des déploiements en très haut débit prévu par la planification locale. Une fois les premières mesures de transition mises en oeuvre, le basculement devrait être achevé en quelques années, en tout état de cause dans un délai qui ne devrait pas dépasser cinq ans .

Les collectivités territoriales doivent être à l'initiative du processus de basculement , sans accorder de privilège exclusif à l'État ou à l'opérateur historique, propriétaire du réseau qu'il s'agit précisément d'éteindre. Le gestionnaire du réseau FttH doit pouvoir saisir l'ARCEP afin d'initier la transition et de vérifier la capacité du nouveau réseau à intégrer l'ensemble des utilisateurs. Vos rapporteurs jugent indispensable que la validation du réseau concerné associe l'ensemble des parties prenantes en toute transparence : services de l'Etat et du régulateur, représentants des élus locaux, opérateurs privés.

Les critères d'attribution du statut de zone fibrée doivent être atteignables , pour permettre d'attribuer ce statut suffisamment tôt afin de déclencher des mesures de transition facilitant, en temps utile , le déploiement de la boucle locale optique ainsi que la commercialisation des prises construites. Si l'extinction a vocation à intervenir lorsque le déploiement horizontal en fibre optique est en voie d'achèvement pour éviter la déconnexion de certains foyers, la transition devrait être enclenchée précocement. Le souhait de sécuriser la fin du réseau de cuivre ne saurait en effet se traduire par un report sine die du processus de transition technologique.

Le degré de complétude devrait en particulier être modulé , afin de tenir compte des spécificités des territoires couverts par l'initiative publique. L'existence quasi-systématique de locaux isolés sur les plaques prises en charge par les collectivités territoires nécessite d'adapter la complétude, sauf à empêcher de facto l'obtention du statut de zone fibrée pour de très nombreux territoires . Il serait particulièrement incohérent d'exiger une obligation stricte de complétude pour le nouveau réseau, qu'il s'agit précisément de soutenir, alors même qu'en matière de service universel, l'opérateur chargé de l'assurer par le réseau de cuivre a la possibilité d'avoir recours à un complément satellitaire pour apporter un accès à l'ensemble de la population. Afin de garantir la couverture de toute la population, l'opérateur du réseau sur la zone d'initiative publique bénéficiant du statut de « zone fibrée » s'engagerait à fournir à l'ensemble des logements un accès très haut débit, à titre principal en FttH et à titre complémentaire par des technologies alternatives .

POURCENTAGE DE LOGEMENTS ISOLÉS SUIVANT LES DÉPARTEMENTS
(HORS ZONE AMII) AVEC DIFFÉRENTS JEUX DE PARAMÈTRES

Sources : CETE de l'Ouest, ARCEP

Les mesures associées au statut de zone fibrée doivent permettre de soutenir le nouveau réseau en fibre optique. Vos rapporteurs considèrent qu' une action progressive sur la tarification du cuivre est indispensable , afin de modifier le signal-prix et les incitations en faveur de la fibre optique. Au niveau national, le price cap pluriannuel que fixera l'ARCEP sur le cuivre devra favoriser une bascule de la stratégie des opérateurs vers la fibre optique. En cohérence avec le cadre tarifaire en cours d'élaboration pour les réseaux d'initiative publique en fibre optique, le tarif de l'accès au réseau de cuivre devrait être modifié localement, au service de la transition . Les déclarations du nouveau président de l'ARCEP, Sébastien Soriano, augurent d'une participation active de l'autorité en faveur de l'accompagnement de la transition du cuivre vers la fibre 51 ( * ) . Il est essentiel que l'autorité de régulation s'engage sans ambiguïté dans cette voie. En zone d'initiative publique, un subventionnement complémentaire devrait être associé à l'attribution du statut de zone fibrée, afin de soutenir l'achèvement des plaques concernées. L'attribution du statut de zone fibré pourrait s'accompagner d'une information des habitants sous la forme d'une labellisation du territoire . Des mesures pourraient s'imposer aux opérateurs privés, notamment en mettant fin à tout nouveau raccordement au réseau de cuivre, au profit du réseau optique.

Le dispositif de zone fibrée doit être pragmatique et mis à disposition des acteurs locaux du réseau optique, sans imposer de dispositif excessivement contraignant, au risque de verrouiller la transition vers la fibre et de priver le mécanisme de toute contribution à la dynamique de déploiement.

Proposition : mettre en place un dispositif de basculement volontariste du cuivre vers la fibre optique : expérience d'extinction en zone d'initiative publique, calendrier de basculement défini dans les SDTAN, critère de complétude adapté à l'obtention du statut de zone fibrée en territoire rural, mesure tarifaire sur le cuivre, aide financière à l'achèvement des plaques, labellisation de la zone.

L'expérience de Palaiseau a mis en lumière certaines difficultés techniques pour transférer les usages basés sur le réseau de cuivre vers la fibre optique : systèmes d'ascenseur, alarmes, fax, dispositifs de télésurveillance, terminaux de paiement.... Le rapport de la mission dirigée par Paul Champsaur a initié un inventaire des usages existants sur le cuivre à transférer, qu'il s'agit de compléter afin d'obtenir un recensement exhaustif. Il serait souhaitable que l'État engage dès à présent un programme de recherche dédié, fondé sur des partenariats entre le public et le privé . L'élaboration de ces solutions pourrait s'appuyer sur les centres de recherche publics et les pôles de compétitivité. Ces recherches permettraient à la France de disposer d'avantages comparatifs sur le marché international des équipements sur fibre optique, dès lors que l'enjeu de la transition va se poser dans de nombreux pays développés.

En termes économiques, cette transition, qui implique une extinction du réseau de cuivre, est une problématique particulière pour l'opérateur historique , tant en termes d'indemnisation que d'emplois. Vos rapporteurs considèrent que cette question doit être envisagée dès à présent, et explorée en toute transparence, afin de clarifier les enjeux financiers, et de permettre à l'opérateur historique de préparer cette extinction. Il ressort des auditions menées par le groupe de travail que l'impact de l'extinction sur l'opérateur historique, et incidemment la question de son indemnisation par l'État, constitue le premier obstacle à une transition technologique plus dirigée.

Si la préservation économique de l'opérateur est une préoccupation, l'intérêt particulier d'une entreprise, malgré la présence de l'État dans son actionnariat, ne saurait justifier le blocage d'une transition technologique d'intérêt général. Le maintien du réseau de cuivre est un facteur important de réticence de l'opérateur historique à investir rapidement dans la fibre optique dans certains territoires, face à l'opportunité de conserver pour une durée encore importante la boucle locale de cuivre, qui reste rentable et mobilise une partie de son personnel.

Proposition : faciliter la migration vers la fibre optique, en réalisant un inventaire exhaustif des usages existants sur le cuivre, en mettant en place un programme de recherche public-privé dédié et en analysant dès à présent les enjeux économiques de l'extinction pour l'opérateur historique, en toute transparence.

Le maintien du réseau de cuivre hypothèque un déploiement généralisé de la fibre optique. Si cette situation devait se prolonger, la rentabilité du nouveau réseau serait compromise, en raison d'une incertitude sur la commercialisation du stock de prises, tout en dupliquant les coûts d'exploitation et de maintenance, pour deux réseaux à la fois. Une telle coexistence serait particulièrement préjudiciable au développement de la fibre optique dans les zones moins denses et pourrait alimenter une sous-utilisation durable d'infrastructures financées par des fonds publics . Sur le marché de détail, la modernisation du réseau de cuivre, associée à des offres low cost, favoriserait une rétention de la clientèle sur le cuivre , retardant la décision des utilisateurs de basculer vers une offre fibre.

L'aménagement numérique du territoire nécessite donc une transition dynamique du cuivre vers la fibre optique , par des arbitrages forts et un volontarisme politique sans équivoque. L'intérêt général ne doit pas être entravé par le maintien de situations acquises sur le réseau historique. La transition rapide de la télévision analogique à la télévision numérique terrestre (TNT) témoigne de la possibilité de mener une migration à la fois dirigée et cohérente. Il est essentiel d' envoyer un signal clair à l'ensemble des parties prenantes aux déploiements de nouvelle génération en améliorant les perspectives de la fibre optique.

E. GARANTIR L'INTÉGRATION NUMÉRIQUE DE TOUS LES TERRITOIRES À COURT TERME

L'accès de l'ensemble de la population à un haut débit de qualité, et le raccordement prioritaire des sites stratégiques au niveau local sont des conditions essentielles du développement des territoires . Ces deux volets sont identifiés comme des objectifs de court terme dans la stratégie numérique du Gouvernement rendue publique en janvier 2013. Fin 2015, leur mise en oeuvre apparaît encore limitée et nécessite une priorisation accrue, compte tenu de leur importance sociale et économique pour les territoires. Il s'agit de résorber la fracture numérique, et de participer plus largement à la lutte contre les inégalités territoriales.

1. L'accès de tous au haut débit, un objectif de solidarité numérique

La feuille de route du Gouvernement sur le numérique présentée en 2013 définissait un objectif de court terme « d'inclusion numérique ». En effet, malgré les efforts des collectivités territoriales, certains territoires ne seront pas couverts à moyen terme par un accès au très haut débit. Dans l'attente de cette perspective, les habitants concernés doivent a minima disposer rapidement d'un haut débit de qualité. Le cahier des charges des demandes de subvention au FSN rappelle ainsi : « Tout en s'inscrivant dans l'objectif final « très haut débit et fibre optique », le projet devra contribuer à permettre un accès à un haut débit de qualité (3-4 Mbit/s) sur l'ensemble du territoire d'ici fin 2017 en veillant à apporter des solutions rapides aux usagers qui ne bénéficient pas d'un haut débit de qualité ».

Dans la proposition de loi adoptée par le Sénat en 2012, votre co-rapporteur avait proposé de définir au bénéfice de l'ensemble des abonnés à un réseau fixe de communications électroniques un droit d'accès à un débit minimal de 2 Mbit/s fin 2013, et de 8 Mbit/s fin 2015 52 ( * ) . L'adoption définitive de cette proposition de loi aurait permis de soutenir la résorption rapide de la fracture numérique en matière de haut débit fixe, et de suivre l'évolution des usages.

Si le dégroupage de la boucle cuivre continue à progresser (91,6 % des lignes mi-2015) permettant ainsi de stimuler la concurrence sur les offres haut débit en réduisant les « zones grises » ADSL , une part importante de la population reste privée d'accès correct au haut débit . L'ARCEP estime que la totalité des 17 021 noeuds de raccordement d'abonnés (NRA) situés en métropole sont équipés en DSL, permettant ainsi à 99,5 % des lignes en cuivre d'être éligibles au haut débit. Cette évaluation repose sur l'affaiblissement théorique des lignes compte tenu de leur longueur et sur la prise en compte des lignes inéligibles au haut débit du fait des équipements de multiplexage. Il faut toutefois noter que l'ARCEP retient une définition particulièrement large du haut débit : « offre fixe permettant d'atteindre un débit crête descendant minimal supérieur à celui des technologies bas débit [128 Kbit/s] et inférieur au débit crête descendant minimal des offres très haut débit [30 Mbit/s]» 53 ( * ) . L'évolution des technologies et des usages a rendu désuète cette définition du haut débit, depuis déjà plusieurs années. Il serait souhaitable que l'offre haut débit soit définie a minima, comme une offre fixe permettant d'atteindre un débit crête descendant supérieur à 3 Mbit/s.

En 2012, huit abonnés sur dix à l'ADSL disposaient d'un débit supérieur à 2 Mbit/s. En 2015, le pourcentage de la population n'ayant pas accès à un haut débit de qualité (3 Mbit/s) dépasse encore 10 %. En matière de classement international, la France occupe une position très intermédiaire en matière de connexion haut débit. L'état des lieux de l'internet 2014 élaboré par la plateforme Akamai place notre pays au 44 e rang mondial, avec 68 % des connexions supérieures à 4 Mbit/s. En l'absence de progrès, l'évolution du débit nécessaire pour une utilisation correcte d'internet ( I.A ) conduit à une dégradation très mal vécue par les utilisateurs. Le changement dans la conception des pages internet, aboutit parfois à ne plus pouvoir utiliser convenablement des sites autrefois accessibles. À titre de comparaison, les offres triple play nécessitent un débit compris entre 5 et 10 Mbit/s.

PROPORTION DE PRISES ÉLIGIBLES AUX DIFFÉRENTES CATÉGORIES DE DÉBIT D'ACCÈS À INTERNET FIXE (EN MB/S) PAR RÉSEAUX TERRESTRES

Source : Commissariat général à l'égalité des territoires, 2015

Deux situations type conduisent à une absence de haut débit correcte : la persistance de « zones blanches » ADSL, et la longueur des lignes cuivre en présence d'ADSL. Les zones blanches ADSL résultent essentiellement du maintien d'un multiplexage 54 ( * ) . L'opérateur historique a proposé une solution dite « NRA-zone d'ombre » (NRA-ZO) consistant à installer un équipement actif (DSLAM) au niveau du sous-répartiteur et non plus du répartiteur, financée essentiellement par les collectivités territoriales, à un coût relativement élevé. Des opérations de démultiplexage ont été menées par France Télécom, dont le terme était annoncé pour la fin de l'année 2013. Force est toutefois de constater que ces opérations ne sont pas achevées, dès lors que l'opérateur historique continue ponctuellement à les mener dans les territoires ruraux en 2015. Selon l'ARCEP, les zones blanches ADSL sont toutefois devenues résiduelles et concernent moins de 1 % des lignes.

La longueur de certaines lignes cuivre reste le principal obstacle au débit sur l'ADSL , compte tenu de l'affaiblissement significatif du courant électrique au-delà de quelques kilomètres. De toute évidence, la dispersion de l'habitat concerné compromet durablement un déploiement du FttH. Il est donc peu probable d'observer un saut technologique, du faible haut débit au très haut débit. Les « zones blanches » du vrai haut débit d'aujourd'hui risquent fortement d'être les « zones blanches » du très haut débit de demain.

La résolution de ces difficultés est complexe et coûteuse. Une règle connue des réseaux de communications électroniques, dite « loi des 80-20 », illustre l'augmentation exponentielle du coût avec la baisse de la densité : la première moitié des prises coûte 20 % de l'investissement total, tandis que la seconde moitié des prises en représente 80 %. Les derniers déciles concentrent particulièrement les coûts. Afin de couvrir les foyers concernés à un coût optimal, plusieurs solutions peuvent être envisagées.

La montée en débit sur cuivre correspond tout à la fois à la solution la plus simple à industrialiser mais également la plus coûteuse, dès lors qu'il s'agit toujours d'un réseau filaire. Le réaménagement de la boucle locale cuivre s'appuie sur un rapprochement des noeuds de raccordement par rapport aux utilisateurs, en créant de nouveaux équipements dits NRA-xy, historiquement des NRA-ZO pour réduire les zones blanches ADSL, et désormais des NRA-MeD afin d'augmenter le débit sur les lignes ADSL. La construction d'un NRA-xy coûte approximativement 150 000 euros. L'effet de cette opération sur le débit disponible dépend de la distance restante entre le nouveau NRA et les habitations. Si cette technologie reste moins onéreuse que le FttH, la dispersion de l'habitat pèse encore sur la viabilité technique et économique du raccourcissement du segment en cuivre dans certains territoires. Le nombre de lignes en aval du nouveau NRA, dont le coût est forfaitaire, conditionne grandement la pertinence de cette solution.

Les solutions hertziennes peuvent apporter une solution plus rapide que la montée en débit sur cuivre, en s'affranchissant des contraintes physiques liées à la distance. Selon l'ARCEP, le Wifi, le satellite et la boucle locale radio pour le haut débit représentent fin juin 475 000 abonnés ; un chiffre stable depuis plusieurs trimestres.

Le satellite possède des avantages évidents en termes de déploiement, mais les contraintes sur les débits, particulièrement lors des pics d'utilisation, compromettent l'industrialisation de cette solution pour l'habitat dispersé. L'évolution des usages accroît les tensions sur le volume des données. En juillet 2015, Eutelsat, opérateur du satellite KA-SAT, a annoncé la suspension de la commercialisation des offres haut débit dans 28 départements, compte tenu de la saturation des faisceaux du satellite dans ces territoires. Destiné à un public de 300 000 abonnés, la saturation approche dès 100 000 abonnements. Afin de proposer une qualité de service stable aux abonnés, les opérateurs de satellites privilégient une maîtrise de l'offre. La mise en place opérationnelle d'un nouveau satellite n'interviendra sans doute pas avant plusieurs années, malgré des réflexions avancées sur un nouveau satellite fournissant des services très haut débit. Lors du Comité interministériel aux ruralités du 14 septembre 2015 à Vesoul, le Gouvernement a annoncé des capacités de connexion au haut débit par satellite pour 150 000 foyers supplémentaires à l'horizon 2018. Cette proposition s'appuie sur le lancement d'un nouveau satellite par Eutelsat. Soutenu par le PFTHD dans le cadre du financement des équipements de réception, le satellite est une solution à réserver aux situations les plus difficiles à traiter. Malgré le lancement d'un nouveau satellite, la saturation de l'offre fragilise la composante satellitaire du PFTHD comme solution majeure à l'absence de haut débit correct par voie filaire.

L'hertzien terrestre , principalement le WiMAX en zone rurale, est une solution jusqu'à présent peu industrialisée. Si des réseaux WiMAX ont été mis en place à l'initiative de certaines collectivités territoriales, cette réponse n'a pas été généralisée. Dans les projets de RIP déposés au FSN, le CEREMA dénombre 70 000 accès par la boucle locale radio. Le modèle économique des réseaux hertziens gagnerait à être affiné, plusieurs déploiements de réseau WiMAX par des RIP de première génération ayant abouti à des échecs commerciaux. Un recours accru à l'hertzien terrestre nécessiterait toutefois un élargissement de la bande de fréquences radioélectriques 3,5 GHz, actuellement affectée au WiMAX . Ce changement dans la répartition des ressources radio augmenterait le débit fourni par les réseaux terrestres. En opticalisant les points hauts, ces solutions pourraient dépasser le seuil des 30 Mbit/s. Il serait alors souhaitable que le subventionnement de l'État soit étendu aux infrastructures passives de l'hertzien terrestre : collecte, établissement de points hauts, réhabilitation de sites existants.

L'utilisation fixe des réseaux mobiles représente une autre technologie prometteuse , afin d'offrir un très haut débit aux territoires aujourd'hui dépourvus de haut débit de qualité. La généralisation de la 4G à usage fixe reste incertaine en France. Le rôle de l'État en la matière devrait être accru car il s'agit d'une solution qui pourrait être plus aisément industrialisée que les autres technologies hertziennes .

Proposition : définir un droit au haut débit de qualité, en mobilisant tous les leviers disponibles pour assurer un accès supérieur à 3 Mbit/s à l'ensemble de la population d'ici 2017 : prime au raccordement des foyers concernés, nouvelles capacités satellitaires, subventionnement d'une composante hertzienne terrestre, élargissement de la bande 3,5 GHz, commercialisation de la 4G à usage fixe.

Les moyens mobilisés pour atteindre le haut débit de qualité pour tous, essentiellement la montée en débit sur cuivre et l'équipement de réception satellitaire, semblent très limités par rapport à l'ampleur du problème. Vos rapporteurs regrettent qu'une stratégie nationale d'amélioration du débit n'ait pas été élaborée en définissant des actions rapides et des ressources dédiées.

On ne saurait souligner assez l'importance de permettre à tous de disposer d'un accès correct à internet. La notion de « couverture » numérique n'est pas étrangère à celle d'assurance. Vos rapporteurs invitent tout un chacun à prendre conscience de cet enjeu : ne pas être couvert par un accès haut débit, fixe ou mobile, c'est désormais être exposé à une certaine précarité . Cette absence de couverture est source d'insécurités multiples. L'importance que prend chaque jour le numérique accroît toujours un peu plus la gravité de cet isolement et ses conséquences dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Aujourd'hui des utilisateurs connaissent des différences de 1 pour 100, entre les bénéficiaires d'un débit supérieur à 100 Mbit/s et ceux qui souffrent d'un débit inférieur à 1 Mbit/s. À ce jour, l'engagement pris par le Gouvernement en 2013 d'assurer une telle inclusion numérique reste lettre morte.

Vos rapporteurs notent que la possibilité d'intégrer une composante haut débit dans le service universel est compatible avec le cadre européen. Si cette évolution supposerait une coordination avec le déploiement du très haut débit, une distinction entre le raccordement des foyers et la fourniture de service pourrait faciliter cette perspective. Elle permettrait de séparer la fourniture du raccordement de la prestation du service, en distinguant éventuellement les opérateurs chargés de ces composantes. La diversification des technologies d'accès permettrait de réduire l'importance du réseau de cuivre au profit de la fibre notamment.

L'esprit du service universel est de prévoir des modalités spécifiques de fourniture de certains services, jugés indispensables compte tenu de l'évolution des technologies et des usages. Disposer d'un accès correct à internet apparaît de plus en plus comme une condition essentielle à l'intégration et à la participation à la vie collective . L'ARCEP a estimé en 2013 qu'une couverture totale de la population en haut débit à hauteur de 2Mbit/s représenterait un coût de 3,2 milliards d'euros. Compte tenu de ce niveau élevé d'investissement, peu compatible avec le déploiement concomitant du très haut débit, une intégration à court terme du haut débit dans le service universel ne semble pas économiquement soutenable. Il sera toutefois souhaitable de réévaluer ce coût au fur et à mesure des déploiements afin d'envisager la mise en place d'un véritable « filet de sécurité », car l'absence de haut débit de qualité est un handicap critique pour la vie quotidienne.

2. Le raccordement des sites prioritaires, un objectif de développement territorial

Le raccordement rapide de certains sites est essentiel afin de permettre aux territoires de bénéficier rapidement des potentiels du numérique en matière de développement local. Il s'agit aussi bien de zones d'activité économique qui concentrent les entreprises, que de lieux d'implantation de services publics : établissements scolaires, établissements de santé, guichets administratifs... Identifiés comme « sites prioritaires » ces points stratégiques pour le maillage territorial n'ont pas véritablement bénéficié d'un traitement prioritaire jusqu'à présent.

Concomitamment à la couverture des logements, le raccordement des sites prioritaires doit être accéléré, afin de soutenir la rénovation de certaines politiques publiques dans une perspective d'aménagement du territoire : e-santé, e-éducation, e-administration... Pour les zones d'activité, il s'agit d'améliorer l'attractivité économique des territoires pour permettre à des entreprises de s'implanter dans les zones moins denses.

QUELLES OFFRES POUR LES ENTREPRISES ?

Plusieurs offres de services, liées à une architecture différente au niveau de la boucle locale optique, peuvent être proposées aux entreprises et aux sites publics. Ces options doivent répondre à des besoins différents.

Le FttH « pro » correspond à une offre FttH résidentielle, commercialisée avec des services supplémentaires à destination des professionnels. Reposant intégralement sur la boucle locale grand public, cette technologie propose des services compris entre 50 et 60 euros par mois.

Le FttE* correspond à une offre intermédiaire, avec un raccordement dédié à l'entreprise concernée (liaison point-à-point 55 ( * ) ) à partir de la boucle locale grand public. Proposé pour l'essentiel en zone AMII par Orange et Numericable-SFR, le FttE offre un débit de 50 Mbit/s pour un coût de 200 euros par mois.

Le FttO* correspond à une offre haut de gamme, avec un raccordement spécifique de l'entreprise depuis le noeud (NRO) le plus proche, indépendamment de la boucle locale grand public. Le FttO offre un débit supérieur à 100 Mbit/s pour un coût mensuel de 1 500 euros.

Afin d'accélérer le raccordement des entreprises et des sites d'intérêt général, la version 2015 du cahier des charges prévoit de nouvelles dispositions pour soutenir les projets des collectivités territoriales. Une composante spécifique permet de financer le déploiement anticipé d'un segment visant à offrir un accès rapide aux entreprises (FttE), dès lors que les infrastructures mises en place sont dimensionnées pour intégrer à terme un déploiement du FttH sur l'ensemble de la zone arrière. Une composante relative au raccordement spécifique des sites prioritaires, essentiellement en FttE, vise à compléter ce dispositif. Ces évolutions doit permettre aux porteurs de RIP de viser un raccordement prioritaire des entreprises et des sites publics, sans attendre l'établissement de l'ensemble de la boucle locale optique nécessaire au FttH. Les RIP déposés auprès du FSN identifient environ 40 000 entreprises et sites d'intérêt général à raccorder prioritairement. Un renforcement du subventionnement pour l'accélération du raccordement de ces sites est indispensable au développement du tissu économique et à l'intégration du numérique dans l'ensemble des services locaux.

L'enjeu pour les entreprises, notamment les PME en milieu rural, est également de disposer d'offres de services adaptées, à un coût raisonnable . Comme le note le rapport de la mission dirigée par Paul Champsaur, les offres de milieu de marché aujourd'hui disponibles sur le réseau de cuivre, ne sont pas encore proposées dans des conditions techniques et économiques comparables sur la fibre optique. Les entreprises situées hors des premières plaques de déploiement réalisées par les opérateurs privés sont exclues du très haut débit ou ne se voient proposer que des offres haut de gamme par un réseau FttO, inadaptées à des PME. En développant les accès FttE et FttH « pro », les collectivités territoriales favoriseront l'émergence d'offres de services plus diversifiées aux entreprises, y compris dans des zones où Orange proposait jusqu'à présent une offre FttO quasi-monopolistique.

Proposition : Accélérer le raccordement des sites stratégiques pour les territoires par un subventionnement accru, afin de diffuser rapidement les progrès du numérique là où ils sont le plus nécessaires (santé, éducation, administration, attractivité économique...)

* *

III. RÉSEAUX MOBILES : RELANCER EFFECTIVEMENT LA COUVERTURE DE NOS TERRITOIRES

L'accès aux réseaux mobiles est une préoccupation particulièrement prégnante dans nos territoires. Face à un isolement persistant, il est indispensable de permettre aux habitants de ces zones de bénéficier des technologies mobiles, en complément des réseaux fixes, à plus forte raison lorsque ces derniers sont défaillants. Afin d'assurer l'aménagement numérique du territoire, le régulateur et le Gouvernement agissent principalement par les obligations prévues au titre des autorisations d'utilisation de fréquences (AUF), et par des programmes de couverture ad hoc .

LA GESTION DES FRÉQUENCES RADIO

Le spectre radiofréquence

Le spectre radiofréquence est une ressource rare. En effet, une fréquence donnée (exprimée en Hertz ou Hz) ne peut porter qu'une seule onde transmettant un signal intelligible, à un instant et dans un lieu donnés. À l'inverse, plusieurs signaux radio peuvent cohabiter en même temps et sur un même espace sans interférences si leurs fréquences sont différentes. Le spectre radio utilisé par les technologies de transmission radio s'étend de quelques hertz à 300 gigahertz. Toutes les applications radio (télévision, radiophonie, téléphonie mobile, réseau internet sans fil, usage militaire, communication avec les satellites) doivent cohabiter dans cet intervalle clos et inextensible .

La valeur des différentes fréquences radio n'est pas identique . Plus la fréquence radio est basse, plus la portée des ondes est élevée, et mieux elles traversent les obstacles. Plus la fréquence radio est haute, plus la vitesse de transmission de l'information est élevée, car les variations de signal sont plus nombreuses sur une même période. En prenant en compte ces caractéristiques, les fréquences permettant de concilier portée et vitesse de transmission sont celles de l'ordre de quelques centaines à quelques milliers de MHz . C'est cette concentration sur le spectre qui en fait une ressource rare. Ces fréquences offrent les meilleures conditions techniques et économiques pour le déploiement de grands réseaux visant une couverture nationale.

La gestion du spectre radio

Le spectre radio fait partie du domaine public, et est géré par des organismes qui veillent à la bonne répartition de l'utilisation des fréquences, et au respect des règles d'usage du spectre (type d'utilisation, limitation de la puissance, localisation des stations). Cette gestion permet d'assurer une bonne cohabitation entre les différents émetteurs d'ondes radio.

L'Agence nationale des fréquences radio (ANFR) attribue des portions du spectre radio, aussi appelées bandes de fréquences , à différentes autorités : l'ARCEP pour les télécommunications, le CSA pour l'audiovisuel, le Ministère de la défense, l'Aviation civile. Ces autorités, affectataires de bandes de fréquences, peuvent utiliser ces fréquences pour leurs besoins propres, ou les attribuer à d'autres utilisateurs. Le cas échéant, elles peuvent « découper » ces bandes de fréquences en blocs plus réduits. Ces autorités fixent également des normes réglementaires pour les équipements émettant des ondes radio.

L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) est chargée de la gestion des bandes de fréquences ouvertes au secteur des télécommunications. L'ARCEP attribue des autorisations d'utilisation de ces bandes à différentes entités, comme les opérateurs, et fixe les règles d'utilisation des fréquences concernées.

Les règles d'utilisation des fréquences radio font également l'objet d'une harmonisation au niveau international et au niveau européen, afin de faciliter la commercialisation des équipements, et d'éviter les interférences aux frontières.

L'attribution des autorisations d'utilisation de fréquences par l'ARCEP

Une autorisation porte sur une bande, c'est-à-dire un intervalle de fréquences radio , et non une fréquence précise. L'autorisation peut être limitée à un bloc de fréquences au sein de la bande concernée 56 ( * ) . Plusieurs méthodes d'attribution des autorisations d'émettre existent, selon les bandes de fréquences :

- La méthode des bandes libres permet à tous d'émettre, sous certaines conditions et le plus souvent avec une puissance du signal limitée. Cette méthode est utilisée pour les bandes 2,4 et 5 GHz dédiées au Wi-Fi.

- La méthode dite « au fil de l'eau » est utilisée en situation de non-rareté, pour les fréquences relativement peu demandées. Elle consiste à délivrer des autorisations au fur et à mesure des demandes.

- La méthode des appels à candidatures est utilisée en situation de rareté, pour les fréquences dont la quantité disponible est inférieure à la demande. Cette méthode est utilisée pour les licences de téléphonie mobile (2G, 3G, 4G), ainsi que pour la bande 3,5 GHz dédiée au WiMax.

Pour la méthode des appels à candidatures, le choix final repose sur la somme proposée par les candidats, leur capacité financière, leurs engagements de couverture du territoire et les services qu'ils prévoient de proposer.

Les licences de téléphonie mobile concernent l'utilisation des bandes de fréquences suivantes :

La 2G utilise les bandes 900 et 1 800 MHz.

La 3G utilise les bandes 1 900 et 2 100 MHz.

La 4G utilise à ce jour les bandes 800, 1800 et 2 600 MHz.

La plus grande disponibilité des fréquences hautes, comme la bande 2,6 GHz, permet d'attribuer aux opérateurs des blocs de fréquences plus étendus et offrant des débits plus importants. Toutefois les fréquences basses, comme la bande 800 MHz et la future bande 700 MHz, offrent une meilleure propagation des ondes et peuvent donc couvrir des zones plus étendues. Les fréquences basses permettent ainsi d'atteindre davantage d'abonnés, avec le même nombre d'antennes.

Sources : CEREMA, ANFR

A. LA COUVERTURE MOBILE EN 2015 : AUCUN RÉSEAU NE COUVRE L'INTÉGRALITÉ DE LA POPULATION FRANÇAISE

Malgré l'ancienneté de certains réseaux, et les engagements souscrits en matière de déploiement, aucun réseau mobile ne couvre l'intégralité de la population française à ce jour . En créant des décalages significatifs d'accès entre citoyens, selon leur lieu de vie, cette situation est fondamentalement incompatible avec le principe d'égalité des territoires .

1. Réseau 2G : la persistance de territoires privés de tout accès à la téléphonie mobile

Le réseau 2G, utilisant la norme GSM, a été déployé en France à partir du 25 mars 1991, date de délivrance des premières autorisations ou « licences mobiles ». En 1997, la couverture de la population atteignait déjà 85 %. L'évolution des normes, GPRS puis EDGE, a permis de diversifier les services proposés par le réseau 2G : téléphonie mobile, messages courts (SMS), multimédia... Délivrées à trois opérateurs, France Télécom, SFR et Bouygues Telecom, les autorisations nécessaires au déploiement du réseau 2G portent sur les bandes de fréquences 900 MHz et 1 800 MHz. Le débit de données sur réseau 2G est compris entre quelques dizaines et quelques centaines de Kbit/s.

Face à la persistance de portions du territoire dépourvues de couverture en réseau 2G, et donc de tout accès à la téléphonie mobile, un programme national de résorption des « zones blanches » 2G a été mis en place le 13 juillet 2003. Ce dispositif vise à couvrir les centres-bourgs des communes qui ne sont prises en charge par aucun des trois opérateurs titulaires de licences 2G.

Dans le cadre d'un recensement effectué sous l'égide des préfets de région, environ 3 000 communes ont été identifiées comme non couvertes en centre-bourg. Cette liste initiale a été complétée en 2008, afin d'ajouter 364 communes qui avaient été omises dans le premier recensement. Le déploiement de la 2G dans ces communes a été ultérieurement ajouté aux obligations prévues au titre des AUF, afin de le rendre opposable aux opérateurs et de permettre à l'ARCEP de contrôler son respect, et, le cas échéant, de sanctionner un défaut de mise en oeuvre. La couverture de ces zones repose sur l'itinérance ou le partage des infrastructures passives (points hauts), les opérateurs installant chacun leur propre équipement actif dans cette seconde configuration. Dans le cadre d'un conventionnement tripartite, le financement de la couverture a été divisé en deux phases : pour 1 937 communes, le financement des 1 258 points hauts nécessaires a bénéficié d'un soutien public (État et conseils généraux) de 44 millions d'euros, tandis que pour 1 373 communes, le financement des 976 points hauts a été entièrement pris en charge par les opérateurs privés.

Fin 2013, le taux de couverture de la population en 2G s'élevait à 99,9 % pour Orange, à 99,7 % pour SFR et à 99,1 % pour Bouygues Telecom. Bien qu'il ne dispose pas d'un réseau 2G, Free Mobile propose une couverture de 99,7 % grâce à un accord d'itinérance avec Orange. Au 1 er juillet 2014, 3 225 centres-bourgs du programme zones blanches étaient couverts en 2G, 85 communes restant à prendre en charge. Au 31 août 2015, 67 communes restent à couvrir : 16 communes du programme initial et 51 au titre du programme complémentaire.

L'apparent achèvement du programme masque des lacunes persistantes . Outre les communes résiduelles dans les programmes de 2003 et de 2008, d'autres centres-bourgs ne bénéficient pas de couverture 2G : communes oubliées du recensement malgré l'actualisation de 2008, communes considérées comme couvertes tout en ne bénéficiant pas dans les faits d'une véritable couverture en centre-bourg, communes pour lesquelles la couverture s'est dégradée, communes nouvelles polycentriques. La contribution de ces programmes de résorption à l'amélioration effective de l'accès aux réseaux mobiles est par ailleurs limitée par une définition très sommaire de la notion de couverture ( III.C )

Hors centre-bourg la couverture en 2G reste incomplète . Les statistiques de couverture de la population et du territoire, transmises par les opérateurs, suggèrent un accès quasi-total à la 2G, aussi bien en termes de population que de surface du territoire national. Si la couverture géographique pour les réseaux 3G et 4G constitue une priorité moindre par rapport à la couverture de la population, la couverture du territoire en 2G apparaît primordiale. Avant tout pour des raisons de sécurité civile, mais également d'attractivité touristique et économique, la couverture totale de la France en 2G reste à achever . À cet égard, plusieurs zones de montagne restent privées de couverture mobile, particulièrement dans les Alpes, les Pyrénées et en Corse.

2. Réseau 3G : des engagements non respectés pour achever la couverture en internet mobile

La mise en place du réseau 3G a permis de proposer un accès haut débit à l'internet mobile , en utilisant la norme UMTS. L'exploitation de la 3G repose sur la bande de fréquences 2,1 GHz, pour laquelle les autorisations ont été délivrées en 2001 et en 2002. L'ARCEP a également autorisé l'utilisation pour le réseau 3G de la bande 900 MHz, affectée jusqu'à cette date à la 2G et dont les propriétés permettent de couvrir un territoire plus vaste. Le Gouvernement et le régulateur ont souhaité ouvrir le marché mobile à un quatrième opérateur, par l'attribution d'une licence 3G à Free mobile le 12 janvier 2010. En évoluant vers la « 3G+ », avec la norme HSPA, le réseau 3G offre un débit pouvant dépasser 10 Mbit/s. Le développement des smartphones a significativement accru l'utilisation de l'internet mobile et les besoins en débit.

Tout comme pour le réseau 2G, le schéma descendant que suivent les déploiements privés 3G compromet la couverture des territoires peu denses à une échéance raisonnable . Afin de faciliter le déploiement d'un réseau 3G dans ces zones, la LME de 2008 prévoit un partage des installations entre opérateurs 57 ( * ) , dont les modalités ont été précisées par une décision du régulateur 58 ( * ) . La mutualisation des équipements actifs permet une couverture du territoire par le réseau de chaque opérateur, sans les inconvénients de l'itinérance.

Le 11 février 2010, les opérateurs mobiles - à l'époque Orange, Bouygues Telecom et SFR - ont conclu un accord dit de RAN Sharing pour mettre en oeuvre ce partage des installations . Cet accord prévoyait la couverture des centres-bourgs de 3 600 communes d'ici la fin de l'année 2013 , correspondant aux 3 300 communes déjà incluses dans le programme « zones blanches 2G » et à 300 communes supplémentaires. Via la mutualisation de leur réseau et la réutilisation des infrastructures existantes, cet accord prévoit le déploiement de la 3G sur 2 400 sites, regroupant les sites prévus au titre de la couverture des zones blanches 2G et 232 sites complémentaires. Les modalités d'intégration de Free Mobile dans ce dispositif ont été définies par un accord en date du 23 juillet 2010.

Fin 2014, Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile couvrent respectivement 99 %, 99 %, 98 % et 97 % de la population. S'agissant du déploiement dans les communes concernées par l'accord de RAN Sharing, L'ARCEP constatait fin 2013 que 650 sites environ étaient couverts, soit seulement 25 % du total. Plusieurs enquêtes ont été lancées en 2014 afin de vérifier le respect de l'accord par les différents opérateurs, et la participation de tous aux déploiements.

Les désaccords entre opérateurs sur le partage des coûts ont conduit à la suspension totale de l'accord, condamnant les communes concernées par les déploiements restants à demeurer sans internet mobile. Vos rapporteurs regrettent, qu'une fois encore, les engagements pris par les opérateurs privés soient restés lettre morte .

3. Réseau 4G : une progression rapide qui n'inclut pas les territoires ruraux

Le déploiement du réseau 4G vise à offrir un accès au très haut débit mobile . Avec la mise en oeuvre des nouvelles technologies, notamment la LTE, le débit proposé peut dépasser plusieurs dizaines de Mbit/s. Des autorisations ont été attribuées fin 2011 pour l'utilisation des bandes de fréquences 800 MHz - libérée par le passage à la TNT - et 2,6 GHz, afin de déployer un réseau 4G. Orange, Bouygues Telecom et SFR ont obtenu des blocs de fréquences dans les deux bandes, tandis que Free Mobile dispose de blocs de fréquences dans la bande 2,6 GHz et bénéficie d'une itinérance sur la bande 800 MHz.

LE « DIVIDENDE NUMÉRIQUE »

Le dividende numérique désigne la libération de certaines bandes de fréquences par le passage de la télévision analogique à la télévision numérique terrestre (TNT) , qui utilise une part plus réduite du spectre radio. Une part de ces bandes doit être réaffectée à la téléphonie mobile.

Le dividende numérique a libéré la bande 800 MHz (790-862 MHz), particulièrement intéressante pour les réseaux mobiles à très haut débit 4G. Des autorisations d'utilisation de fréquences pour la bande 800 MHz ont été délivrées fin 2011. La sélection des candidatures a intégré un objectif d'aménagement du territoire , imposant aux candidats retenus un taux de couverture d'au moins 99,6 % de la population d'ici 2027 et un déploiement prioritaire dans les territoires les moins denses. Des licences ont été attribuées à Bouygues Telecom, Orange et SFR.

Free mobile ne s'est pas vu attribuer de licence 800 MHz mais bénéficie d'un droit à l'itinérance. L'attribution de ces licences a représenté 2,6 milliards d'euros de recettes pour l'État.

Le dividende numérique a également libéré la bande 700 MHz ( 694-790 MHz), en cours de réaffectation par l'ARCEP pour les réseaux mobiles. Face à l'ampleur des augmentations constatées et prévues du trafic mobile, l'utilisation de fréquences supplémentaires apparaît nécessaire pour améliorer le débit et la qualité du réseau mobile. L'appel à candidatures pour les fréquences de la bande des 700 MHz devrait aboutir avant la fin 2015 . L'utilisation effective de cette bande nécessitera la libération progressive des fréquences concernées par le CSA et leur transfert aux opérateurs, entre 2016 et 2019.

Lors de l'examen de la loi relative à la lutte contre la fracture numérique de 2009 , le Sénat a souhaité que l'attribution de la bande 800 MHz, dans le cadre du premier dividende numérique, prévoie des modalités spécifiques en matière d'aménagement numérique du territoire . Ainsi, le législateur a imposé que les conditions fixées par l'ARCEP dans les AUF de la bande 800 « tiennent prioritairement compte des impératifs d'aménagement numérique du territoire » 59 ( * ) . Afin d'assurer que la progression de la couverture globale en 4G ne masque pas des disparités territoriales, les AUF imposent, en sus d'une couverture nationale graduée dans le temps, des échéances en matière de couverture départementale et de couverture d'une zone de déploiement prioritaire (ZDP). Cette dernière regroupe 63 % du territoire et 18 % de la population, et intègre notamment les communes concernées par les zones blanches 2G.

OBLIGATIONS DE COUVERTURE PRÉVUES POUR LA BANDE 800 MHZ

Source : ARCEP

Le déploiement de la 4G a connu une accélération particulièrement forte en France. En l'espace de 18 mois, la couverture nationale de la population a dépassé 70 %, principalement grâce aux déploiements d'Orange (72 %) et Bouygues Télécom (71 %), suivis par SFR (53 %) et Free Mobile (33 %). Si l'ensemble des observateurs se sont félicités de cette rapidité, vos rapporteurs notent que cette couverture ne concerne pas la population située en zone peu dense .

Source : ARCEP

Fin 2014, la couverture de la ZDP restait marginale (environ 10 %) et les départements peu denses disposaient d'une couverture limitée. En réalité, la zone de déploiement prioritaire n'a de prioritaire que le nom. En février 2015, le CEREMA constatait ainsi : « Il suffit de regarder une carte de déploiement actuel de 4G 800MHz pour constater que la notion de "commune prioritaire" est ignorée. Les seules communes prioritaires couvertes le sont par effet de bord ou parce qu'elles hébergent les expérimentations de 4G en situation fixe. » La répartition des supports pour le déploiement du réseau 4G témoigne d'une prise en charge encore quasi-inexistante de cette zone « prioritaire ».

NOMBRE TOTAL DE SUPPORTS 4G PAR DÉPARTEMENT (BANDES 800, 1 800 ET 2 600)

Source : ANFR, Observatoire des réseaux mobiles, 3 e trimestre 2015

Par ailleurs, la rapidité des déploiements 4G n'est pas spécifique à la France. Une étude du cabinet IHS réalisée en juillet 2015 pour le compte de la Commission européenne souligne que 79,4 % de la population européenne ont accès au très haut débit mobile . Avec une couverture de la population approximant 70 % de la population, la France reste en deçà de la moyenne européenne , derrière l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. À ce titre, il est impératif que l'ARCEP anticipe la trajectoire prévisible des déploiements de la 4G en fonction des projets des opérateurs, et le cas échéant agisse en amont afin d'amener les opérateurs à rectifier leur stratégie, préalablement à l'adoption de sanctions aux échéances fixées.

B. ACTUALISER LES PROGRAMMES ET LES OBLIGATIONS DE COUVERTURE MOBILE

L'accès aux réseaux mobiles est une préoccupation majeure pour nos concitoyens . Qu'il s'agisse d'une absence de couverture ou d'une mauvaise qualité de service, le déficit d'accès en matière de mobile est particulièrement mal vécu par les habitants. À ce titre, vos rapporteurs tiennent à souligner le décalage insupportable, entre certaines zones qui se voient offrir un accès « 4G+ », et d'autres territoires encore privés d'une couverture 2G stable. D'ici quelques années, les zones urbaines bénéficieront d'un réseau de cinquième génération. La 5G devrait faire l'objet d'un déploiement à l'horizon 2020, le régulateur ayant récemment autorisé l'opérateur Orange à mener des expérimentations sur la commune de Belfort jusqu'à la fin de l'année 2016 pour tester l'utilisation de fréquences hautes dites « millimétriques », comprises entre 6 GHz et 100 GHz 60 ( * ) .

Jusqu'à présent, la succession des différentes générations de réseaux mobiles n'a aucunement mis un terme à la logique descendante des déploiements , qui réserve aux territoires peu denses une couverture tardive, ou ne leur offre aucune perspective. Peut-être plus encore qu'en matière d'accès fixe, l'absence ou la défaillance de la couverture mobile est à l'origine d'un sentiment d'exclusion et d'insécurité particulièrement fort, dans des territoires qui sont par ailleurs peu dotés en infrastructures physiques. L'absence de relance du programme zones blanches 2G et le désengagement des opérateurs en matière de couverture 3G ont longtemps privé les habitants concernés de toute perspective d'amélioration.

Votre co-rapporteur avait proposé dans le cadre d'une proposition de loi déposée en septembre 2014 d' intégrer l'accès à la téléphonie mobile dans le service universel des communications électroniques , défini à l'article L. 35-1 du code des postes et des communications électroniques 61 ( * ) . Si la révision en 2009 de la directive « service universel » permet aux Etats-membres d'intégrer le haut débit fixe, la Commission européenne semble encore opposée à l'ajout de la téléphonie mobile. La communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions 795 du 23 novembre 2011 indique : « On peut observer une progression de l'adoption des services mobiles et une diminution de leurs prix. Cela confirme l'analyse effectuée lors des examens antérieurs, qui montrait que la fourniture concurrentielle de communications mobiles avait entraîné, pour les consommateurs, un accès abordable généralisé à ces services, évitant ainsi tout risque d'exclusion sociale. Les critères imposant l'inclusion de la mobilité dans la portée du service universel au niveau de l'UE ne sont donc pas satisfaits . » Vos rapporteurs notent toutefois que si la « fourniture concurrentielle de communications mobiles » n'engendre pas d'exclusion sociale significative, elle ne parvient pas à résorber une exclusion territoriale persistante dans certaines zones rurales. La perspective de l'intégration d'une composante mobile au service universel devrait être approfondie, dès lors que les dynamiques de marché ne permettent manifestement pas d'assurer l'accès de tous les citoyens au réseau mobile le plus élémentaire.

La progression de la couverture mobile a par ailleurs été brouillée par un manque de priorisation entre les objectifs de politiques publiques : aménagement du territoire, préservation des finances publiques, baisses tarifaires au profit du consommateur, stimulation des investissements privés, valorisation du domaine public hertzien, promotion de la santé-environnement... Plusieurs opérateurs ont notamment attiré l'attention du groupe de travail sur la durée de la procédure de mise en place des pylônes, qui atteindrait parfois trois ans, compte tenu de la multiplication des contraintes au titre de différentes politiques publiques. Certaines dispositions législatives récentes ont complexifié les conditions de déploiement, pour des motifs de santé-environnement. Si les implantations d'antennes-relais doivent faire l'objet d'une information transparente des habitants au niveau local, on ne peut espérer une résorption rapide des zones blanches tout en créant de nouveaux obstacles au déploiement des infrastructures nécessaires.

Jusqu'à présent, les habitants des zones blanches 2G et 3G étaient donc confrontés à une véritable impasse en matière de couverture mobile. Face à l'impatience légitime des citoyens et des élus locaux, le Gouvernement a récemment pris conscience de ces enjeux en proposant des mesures visant à relancer les dispositifs de couverture . Ces dispositions ont été insérées lors de l'examen du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques au Sénat 62 ( * ) . La mise en oeuvre de ces mesures par les opérateurs mobiles s'appuie sur un protocole d'accord signé le 21 mai 2015, en présence du ministre de l'économie et de la secrétaire d'État en charge du numérique. Si la reprise des programmes de couverture est positive, vos rapporteurs s'inquiètent toutefois des effets d'annonce et du risque de progression très partielle de la couverture compte tenu des incertitudes qui pèsent sur ces dispositifs.

1. Une relance de la couverture en 2G et en 3G des zones blanches

En matière de résorption des zones blanches 2G, le programme national doit être complété afin, selon le Gouvernement, d'intégrer l'ensemble des communes concernées par une absence de couverture en centre-bourg et d'ajouter les anciens centres-bourgs des communes qui ont constitué une commune nouvelle, pour tenir compte de la configuration polycentrique de ces collectivités. Sur le fondement d'un recensement préalable, une campagne de mesures menée conjointement par les opérateurs, les collectivités territoriales et les préfectures doit permettre d'identifier les communes concernées. La couverture de ces zones blanches doit être achevée avant le 31 décembre 2016 , et au plus tard six mois après la mise à disposition des infrastructures par les collectivités territoriales. Les infrastructures passives (mise en place et raccordement des points hauts) devront être prises en charge par les collectivités territoriales. Le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) sera mobilisé pour soutenir les collectivités, avec un taux de subvention qui reste à préciser. Comme pour le programme de 2003, les opérateurs devront transmettre conjointement à l'ARCEP un projet de répartition des responsabilités et des solutions techniques.

En matière de couverture 3G, une disposition inscrit au niveau législatif le contenu de l'accord de RAN Sharing , non respecté par les opérateurs mobiles. Les opérateurs doivent ainsi couvrir plus de 2 200 communes en 3G - ou en 4G - avant le 30 juin 2017 et au plus tard six mois après la mise à disposition des infrastructures par les collectivités territoriales. Ils doivent transmettre à l'ARCEP des projets de conventions précisant les modalités techniques et financières du partage des installations, la répartition de la responsabilité du déploiement entre opérateurs et un calendrier prévisionnel du déploiement et de la disponibilité des services mobiles. Si la couverture doit être mise en oeuvre collectivement, les opérateurs conserveront une responsabilité individuelle au titre de laquelle chacun d'entre eux pourra être sanctionné par l'ARCEP. La loi du 6 août 2015 étend en effet les compétences de l'ARCEP pour lui permettre de contrôler l'application des nouvelles mesures relatives à la couverture 2G et 3G, et d'en sanctionner le non-respect, le cas échéant.

Le comité interministériel aux ruralités de mars 2015 et le protocole d'accord signé par les opérateurs mentionnent également « la mise à disposition par les opérateurs de solutions adaptées à faible coût », pour les utilisateurs qui le souhaitent, afin d'améliorer la couverture mobile intérieure : femtocell , pico-cellules, répéteurs. Ces dispositifs doivent permettre de résoudre la mauvaise diffusion dans certains logements des ondes émises par les points hauts.

2. Un dispositif partenarial de couverture mobile hors centre-bourg

Un dispositif additionnel de couverture mobile hors centre-bourg est également prévu . Il doit permettre aux collectivités territoriales qui le souhaitent d'améliorer l'accès aux réseaux mobiles dans certaines zones importantes pour le territoire : zone d'activité économique, zone touristique, équipement public isolé... Une convention entre l'État, les représentants des collectivités territoriales et les opérateurs doit identifier les zones hors centre-bourg non couvertes en 2G, les conditions de mise à disposition d'infrastructures par les collectivités, et les obligations des opérateurs sur ces infrastructures. Les opérateurs ont proposé que 800 sites prioritaires soient identifiés pour être couverts dans un délai de 4 ans, avec un rythme d'environ 200 sites couverts par an. En proposant une approche négociée et une identification des besoins et des solutions en couverture mobile, ce mécanisme doit permettre d'améliorer intelligemment l'accès des territoires. Une telle démarche s'inscrit tout à fait dans la continuité des recommandations émises par votre co-rapporteur dans son rapport 2011 pour privilégier un dialogue et une négociation entre collectivités et opérateurs privés sur la base des spécificités locales , afin de formaliser des « points d'équilibre » entre les demandes et les capacités de chaque partie prenante.

Le Gouvernement annonce la mise en place d'un « guichet unique » auprès de l'Agence du numérique, afin d'améliorer l'information des collectivités territoriales confrontées à ces problèmes de couverture mobile et souhaitant y remédier. Vos rapporteurs notent que le premier programme de résorption des zones blanches en centre-bourg faisait l'objet d'un comité de pilotage, associant l'ensemble des parties prenantes : opérateurs privés, associations représentant les collectivités territoriales, État. Il serait souhaitable qu'une structure similaire soit mise en place pour les nouveaux programmes de couverture mobile, afin de permettre aux élus locaux de participer directement au contrôle de l'avancement des déploiements pour l'ensemble des réseaux .

Ces différentes dispositions en centre-bourg et hors centre-bourg contribuent à offrir de nouvelles perspectives de couverture pour les territoires longtemps confrontés à une impasse. De nombreuses incertitudes demeurent toutefois sur ces nouveaux dispositifs : répartition précise du financement, déploiement d'équipements sur les infrastructures mises en place par les collectivités territoriales, utilisation par le régulateur de ses pouvoirs de contrôle et de sanction, respect du calendrier fixé... Plusieurs élus ont signalé des divergences importantes dans l'identification des communes à couvrir : tandis que les préfectures recensent une dizaine de communes, certains départements en dénombrent plusieurs centaines. De nombreux élus locaux ont déploré le déficit de communication , l'établissement précipité de ces recensements, sans aucune concertation avec les collectivités territoriales, et l'absence manifeste de méthode .

LE RECENSEMENT DES COMMUNES DANS L'EURE

L'identification des communes non-couvertes dans le département de l'Eure, pour la relance des programmes de couverture mobile, témoigne des limites du dispositif envisagé par le Gouvernement, et du risque d'un décalage majeur entre les annonces et la progression réelle de la couverture mobile. Cette démarche nourrit pourtant bien des attentes dans les territoires ruraux.

Dans l'Eure, comme dans d'autres départements , la liste des communes concernées a été élaborée fin septembre par le secrétariat général aux affaires régionales (SGAR) sans concertation , ni avec les services du département, ni avec les maires et leurs associations, ni avec les parlementaires. L'identification de ces communes a été confirmée ou infirmée dans des délais très brefs par des mesures de terrain. Ce manque de coordination est d'autant plus regrettable que le conseil départemental s'est engagé depuis plusieurs années dans un programme local d'amélioration de la couverture mobile.

Seules 8 communes ont été identifiées en « zone blanche », tandis que le conseil départemental recense près de 100 communes présentant des trous de couverture en 2G et 250 communes pour la 3G.

Quelle que soit leur utilité, les actions qui seront menées sur les communes identifiées par les services de l'État ne sauraient en l'état être considérées comme suffisantes pour régler le problème de couverture en téléphonie mobile de l'Eure , comme dans de nombreux autres départements ruraux.

La notion de couverture n'ayant pas été modifiée, la prétention de résorber l'intégralité des zones blanches est par ailleurs compromise. Vos rapporteurs doutent ainsi de l'exhaustivité de cette démarche. La publication d'une liste de 238 communes 63 ( * ) , dont seulement 171 communes nouvelles, témoigne des limites du dispositif. Il est indispensable de revoir le périmètre de ce recensement, pour que la relance de la couverture mobile soit à la mesure des besoins.

Vos rapporteurs soulignent également l'importance d'assurer l'installation par les opérateurs privés d'équipements actifs sur les points hauts mis à disposition par les collectivités territoriales . Par le passé, de nombreuses collectivités ont été confrontées au désintérêt des opérateurs, malgré le coût élevé des points hauts, compris entre 50 000 et 200 000 euros. Le contrôle des responsabilités en matière de déploiement des réseaux mobiles, dont le principe est fixé par la loi mais dont la répartition sera précisée par des conventions transmises à l'ARCEP, devra être effectif pour se traduire par des sanctions en cas de défaillance. Ces obligations de déploiement doivent être strictement respectées, à plus forte raison dans le cadre de la suppression d'ici 2017 des services de publiphonie, qui constitue une économie de l'ordre de 15 millions d'euros par an pour les opérateurs privés.

Les critères d'identification et la clef de répartition des financements pour les 800 sites prioritaires restaient également à définir à la fin du mois d'octobre. La mise en oeuvre de ce dispositif hors centre-bourg doit donc être précisée pour assurer une progression effective de la couverture mobile des territoires.

Plusieurs organismes auditionnés ont mis en avant le manque de réalisme des échéances fixées par le Gouvernement , qui semble négliger le temps nécessaire aux différentes étapes : identification précise des zones non-couvertes et des infrastructures nécessaires, arbitrages sur le financement, réalisation des travaux de déploiements et de raccordement, installation des équipements actifs. La durée moyenne de réalisation d'un point haut activé atteint deux ans.

Vos rapporteurs attirent l'attention du Gouvernement et de l'ensemble des parties prenantes sur les nombreuses déceptions et désillusions qui émaillent déjà l'histoire du déploiement des réseaux mobiles dans notre pays . En s'appuyant sur des effets d'annonce, les gouvernements successifs créent un mécontentement croissant compte tenu du décalage entre ces promesses et leur mise en oeuvre véritable.

Proposition : préciser la relance de la couverture mobile annoncée par le Gouvernement : identification exhaustive des sites, clef de répartition des aides aux collectivités, obligations précises des opérateurs sur les infrastructures mises à disposition, calendrier local de déploiement, contrôles et sanctions par le régulateur, association des élus locaux au suivi.

3. Une nécessaire accélération de la couverture en 4G

Vos rapporteurs notent également que, malgré la priorité déclarée d'amélioration de la couverture mobile, le Gouvernement n'a pas fait preuve des mêmes ambitions dans le cadre de la procédure d'affectation des AUF dans la bande 700 MHz , libérée par la modernisation de la télévision numérique terrestre (TNT). Les fréquences concernées, parfois appelées « fréquences en or », sont dotées de propriétés physiques très favorables à l'aménagement numérique du territoire. En effet, les fréquences basses du spectre radio ont une portée et une capacité de pénétration plus importantes. Les ondes émises sur les fréquences de la bande 700 couvrent ainsi une zone plus importante, et se propagent mieux à l'intérieur des bâtiments. Les conditions d'utilisation des blocs de fréquences de la bande 700 avaient vocation à maximiser ces propriétés physiques pour améliorer la couverture du territoire . Or les modalités d'attribution de ces fréquences, qui doit aboutir d'ici la fin de l'année 2015, ne permettent pas de tirer le meilleur parti de cette procédure pour améliorer rapidement la couverture mobile des territoires en 4G.

ÉCHÉANCES DE DÉPLOIEMENT ENVISAGÉES POUR UN OPÉRATEUR TITULAIRE DE FRÉQUENCES 800 MHZ ET 700 MHZ

Source : ARCEP, consultation publique ouverte du 16 décembre 2014 au 16 février 2015

Contrairement aux mesures envisagées par le régulateur dans sa consultation publique 64 ( * ) , les obligations fixées dans le cadre des AUF ne prévoient plus d'accélération des déploiements en 4G . La consultation proposait un rapprochement de quatre ans des obligations de déploiement pour les opérateurs détenant des AUF à la fois dans la bande 800 et dans la bande 700, certaines associations de collectivités territoriales ayant proposé un rapprochement de cinq ans. Cette proposition visait à tenir compte du déploiement rapide de la 4G dans les zones denses pour accélérer la couverture en zones moins denses. Ainsi, l'obligation de couvrir 98 % de la population métropolitaine en très haut débit mobile eût été avancée à début 2020, contre 2025 en l'absence de fréquences en bande 800. Le cahier des charges pour la bande 700 ne prévoit finalement aucun rapprochement des échéances dans une telle situation, en prévoyant un calendrier propre à la couverture en bande 700.

Une obligation relative à la couverture des « trains du quotidien » a été ajoutée. Elle prévoit, selon un calendrier spécifique, la couverture des réseaux TER, RER, Transilien et des chemins de fer de la Corse. Un opérateur auditionné par le groupe de travail estime qu'à raison d'un site tous les trois kilomètres afin d'assurer la qualité de service exigée, plus de 5 000 sites d'émission supplémentaires pourraient être nécessaires. L'évolution du réseau ferroviaire dans les prochaines années va également modifier le cadre de mise en oeuvre de cette obligation, imposée pour la durée totale de vingt ans des AUF.

Cette obligation vise à développer la « mobilité numérique ». Toutefois, l'opportunité d'imposer une telle couverture, nécessitant plusieurs milliers de points hauts supplémentaires, aurait pu être discutée au regard de l'achèvement de la couverture en 2G et en 3G, ainsi que de l'accélération de la 4G. En tout état de cause, la mise en oeuvre de cette obligation devra être précisée. Si l'accès au réseau mobile dans les transports ferroviaires est un enjeu pour le développement de la mobilité, cette commodité semble moins prioritaire qu'une couverture accélérée et intégrale de la population en 4G, a fortiori compte tenu des enjeux de convergence entre fixe et mobile pour les territoires les moins denses ( III.D ).

SYNTHÈSE DES OBLIGATIONS DE DÉPLOIEMENT DANS LA BANDE 700

Source : ARCEP, juillet 2015

La procédure de réaffectation de la bande 700 est menée dans une précipitation guidée par la seule urgence budgétaire , le Gouvernement espérant plus de 2,5 milliards d'euros de recettes grâce à la mise aux enchères des blocs de fréquences. À l'issue des enchères, l'ARCEP a annoncé le 17 novembre 2015 un total de 2,8 milliards d'euros. Lors de l'examen du texte relatif à cette procédure, votre co-rapporteur soulignait l'amertume des parlementaires préoccupés par l'aménagement numérique du territoire face à cet empressement malvenu : « Votre rapporteur craint ainsi que l'attribution de la bande de fréquences 700 ne soit une opportunité manquée pour l'aménagement numérique du territoire. A fortiori en l'absence de nouvelle procédure d'attribution avant 2030. Cette précipitation contre-productive risque d'être préjudiciable à la fois à la couverture en 4G de nos territoires, et au déploiement du futur réseau 5G » 65 ( * ) . Cette urgence est d'autant plus regrettable qu'une telle opportunité ne se représentera pas rapidement sur le marché mobile , et que la régulation du marché du fixe n'offre pas les mêmes moyens d'action pour le régulateur. Les obligations prévues par les AUF sont des décisions particulièrement structurantes pour les déploiements à venir de la téléphonie mobile.

Or les déploiements nécessaires à la couverture en réseau 4G restent importants . L'ARCEP estime que 70 % du territoire et 20 % de la population n'ont pas accès au réseau 4G, quel que soit l'opérateur mobile considéré. Les AUF attribuées dans la bande 800 MHz imposent aux opérateurs la couverture de 40 % de la zone de déploiement prioritaire au 1 er janvier 2017. À peine un an avant cette échéance, tout reste encore à faire dans cette zone. Vos rapporteurs comptent sur l'autorité de régulation pour mettre en oeuvre l'intégralité de ses pouvoirs afin d'assurer le respect des obligations de déploiement .

L'article 36-7, modifié par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, prévoit désormais que l'ARCEP publie chaque année un rapport sur l'effort d'investissement des opérateurs mobiles , afin d'évaluer les investissements réalisés par chacun des opérateurs dans le déploiement d'infrastructures nouvelles. Vos rapporteurs souhaitent que cette production permette d'examiner la cohérence des investissements réalisés avec la trajectoire nécessaire à un déploiement rapide de la 4G dans les territoires ruraux, afin d'agir en temps utile pour assurer cette couverture.

La couverture intégrale de la population est un enjeu particulièrement important dans la perspective d'une utilisation du réseau 4G afin de surmonter l'absence durable de très haut débit fixe dans certains territoires . Offrir une couverture à l'horizon 2027 pour certains territoires, soit dans 11 ans, est une perspective inacceptable, alors même que les zones denses seront dotées en 5G, voire par la génération suivante. L'objectif de couverture à 90 % de la zone de déploiement prioritaire en 2018, proposé par le régulateur lors de la consultation sur la bande 700, devrait constituer une référence. En 2022, l'intégralité de la population devrait avoir accès au réseau 4G, afin que l'absence éventuelle de réseau fixe très haut débit soit surmontée transitoirement par la disponibilité du très haut débit par le réseau mobile . La rapidité des déploiements observés légitime un haut niveau d'exigence pour les territoires ruraux. Par ailleurs, les opérations de réorganisation de la bande 1 800 MHz ( refarming) menée par le régulateur d'ici mai 2016 pour permettre la diffusion d'un réseau 4G sur ces fréquences, historiquement attribuées à la 2G, doivent permettre de faciliter la couverture des territoires en réseau de quatrième génération.

Proposition : viser une couverture intégrale de la population en 4G d'ici 2022 afin de surmonter l'absence durable de très haut débit fixe dans certains territoires.

La réaffectation de la bande 700 aux communications électroniques révèle une problématique plus globale de transfert de ressources du secteur des communications électroniques vers d'autres secteurs . Le produit de la mise aux enchères des AUF de la bande 700 a vocation à être fléché pour financer le budget de la défense. Les 2,8 milliards d'euros ainsi transférés constituent autant de moyens en moins pour le déploiement d'infrastructures. Or les capacités d'investissement des mêmes opérateurs sont également mobilisées par la création de points hauts pour le réseau mobile, et plus encore par le déploiement de réseaux fixes dans le cadre du PFTHD. Ces recettes auraient donc pu alimenter le FANT.

Par ailleurs, la loi relative au deuxième dividende numérique inscrit à la charge des opérateurs mobiles titulaires d'AUF dans la bande 700 le financement de l'intégralité des réaménagements de fréquences nécessaires à la libération de la bande, dont le montant total reste indéterminé. Ces différents coûts interviennent dans un contexte économique encore difficile pour le secteur des communications électroniques. Comme le notait votre co-rapporteur dans son avis sur la proposition de loi relative au deuxième dividende numérique : « Dès lors que l'obtention des AUF et le financement des réaménagements de fréquences vont réduire les capacités d'investissement des acteurs privés dans les infrastructures, une partie des recettes publiques issues de ce processus aurait pu être orientée vers l'investissement public dans l'aménagement numérique et le soutien aux collectivités territoriales. Ces ressources pourraient contribuer à la mise en place d'infrastructures pour améliorer la couverture mobile dans les zones moins denses, ou au financement des réseaux d'initiative publique (RIP) très haut débit. Cet effort budgétaire permettrait de consolider les ambitions du Gouvernement en matière d'aménagement numérique du territoire, dont la concrétisation est aujourd'hui très incertaine. »

Les projets récurrents d'augmentation des prélèvements sur le secteur des communications électroniques, afin de financer des politiques publiques dans d'autres domaines, sont incompatibles avec la priorité déclarée en faveur de l'aménagement numérique du territoire . Vos rapporteurs déplorent à cet égard l'augmentation de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de 0,9 % à 1,2 %, dont les ressources supplémentaires (75 millions d'euros) seraient affectées à France Télévisions, tel que le prévoit le projet de loi de finances initiale pour 2016 déposé par le Gouvernement 66 ( * ) .

Afin de préserver l'objectif d'une amélioration de la couverture et de la qualité de service, vos rapporteurs considèrent que tout nouveau prélèvement devrait être fléché vers le financement des programmes d'aménagement numérique . La proposition de prélèvement sur les abonnements haut débit et très haut débit afin d'alimenter le FANT vise précisément à privilégier des flux internes au secteur. En améliorant le déploiement des infrastructures, cette source de financement permettra aux opérateurs de services de disposer d'un accès plus étendu à la clientèle sur le marché de détail.

Compte tenu des tensions sur le marché des communications électroniques et des moyens nécessaires au déploiement des nouveaux réseaux, les pouvoirs publics doivent être vigilants quant aux charges qu'ils imposent aux opérateurs. Les ressources, publiques ou privées, nécessaires au déploiement des infrastructures, doivent être préservées . Dans ses travaux parlementaires antérieurs, votre co-rapporteur a constamment privilégié un renforcement des obligations imposées aux opérateurs, en mettant en garde le Gouvernement quant aux conséquences d' une multiplication des prélèvements au profit d'autres politiques publiques, fondamentalement incompatible avec la fixation d'objectifs ambitieux de couverture.

C. AMÉLIORER L'ÉTAT DES CONNAISSANCES SUR LA RÉALITÉ DES RÉSEAUX MOBILES

La prise de conscience de l'ampleur exacte du déficit en matière de couverture mobile et des défaillances en matière de qualité de service se heurte depuis de nombreuses années à un problème de connaissance sur la réalité des réseaux mobiles , régulièrement souligné par les associations d'utilisateurs et par les collectivités territoriales. Ce déficit d'information est fortement préjudiciable aux utilisateurs, qui ne disposent pas de tous les éléments nécessaires à la compréhension de leur situation, et aux collectivités territoriales, qui ne possèdent pas les données nécessaires à des initiatives pertinentes d'amélioration de la couverture mobile.

Votre co-rapporteur note que malgré certaines initiatives du régulateur en matière de qualité de service, les difficultés qui suivent étaient déjà mentionnées par ses travaux de 2011, et gardent malheureusement toute leur validité cinq ans plus tard : inadaptation de la définition de la couverture mobile à l'évolution des usages, décalage entre la couverture en centre-bourg et les attentes des habitants, infirmation des cartes de couverture des opérateurs par l'expérience quotidienne des utilisateurs.

1. Un déficit de connaissance sur l'état des réseaux mobiles
a) Une définition de la couverture inadaptée aux besoins et aux usages

La notion de couverture est fixée sur les mêmes critères depuis le début de la téléphonie mobile . Une zone est jugée couverte, au sens des obligations de déploiement, lorsqu'il est possible d'y passer, avec un terminal classique, un appel téléphonique avec un taux de réussite de 95 %, et de le maintenir pendant une minute, en usage piéton à l'extérieur des bâtiments et en position statique. En matière d'internet mobile, les critères sont identiques, et portent sur la vitesse de téléchargement d'un fichier de petite taille. Or l'évolution des usages rend obsolète cette définition . Le téléchargement de données en extérieur par un piéton statique ne recouvre absolument pas l'intégralité des utilisations actuelles et à venir du haut débit et du très haut débit mobile. C'est pourtant sur la base de ces critères que sont fixées et vérifiées les obligations de couverture imposées aux opérateurs dans le cadre des AUF, y compris pour les réseaux 3G et 4G.

L'approche de la couverture en centre-bourg a également des limites évidentes. Les critères utilisés pour juger de la couverture de la commune sont sommaires : est considéré comme couvert un centre-bourg dans lequel il est possible d'effectuer 50 % des appels en position extérieure, piétonne et statique, sans avoir à faire répéter l'interlocuteur, avec la présence éventuelle de perturbations mineures. Entre 5 et 7 points de mesure sont identifiés, à l'entrée et à la sortie du bourg, ainsi que dans des lieux centraux (mairie, église, place du marché, commerces). Or il ne suffit pas d'être dans une commune considérée comme couverte au sein du programme zones blanches pour avoir soi-même accès au réseau. L'existence de « zones grises », particulièrement au niveau infra-communal, peut accroître l'expérience d'une absence de couverture mobile, dès lors que le périmètre d'absence de couverture mobile par l'opérateur choisi est souvent plus important que les seules zones blanches. L'approche en termes de centre-bourg, qui suppose une captation dans le centre théorique de la commune, est également peu adaptée aux structures communales en hameaux avec une répartition multi-alvéolaire de l'habitat.

Les critères utilisés pour valider la couverture mobile de la population ou la couverture en centre-bourg ne correspondent plus aux usages , pour plusieurs raisons que notre collègue Bruno Sido avait rappelées dans un rapport dédiée à la couverture mobile adopté en 2011 67 ( * ) .

La référence à des zones habitées et à des centres-bourg méconnaît la nécessité de couvrir certaines parties du territoire non habitées : zone d'activité économique, zone d'intérêt touristique, équipement public isolé, axes routiers et ferroviaires... Si les dernières attributions d'AUF prévoient des obligations spécifiques pour les réseaux de transport, la prise en charge par les opérateurs de portions inhabitées du territoire reste limitée. À l'exception du réseau 2G, pour lequel une couverture totale du territoire national apparaît nécessaire pour des raisons de sécurité, il ne s'agit pas d'envisager à moyen terme une couverture intégrale en 3G ou en 4G, mais de tendre vers un déploiement négocié et plus intelligent lorsque les spécificités locales justifient des efforts particuliers hors des zones d'habitat.

La mesure à l'extérieur des bâtiments est également dépassée par les usages. De plus en plus d'utilisateurs ne disposent plus que d'un abonnement mobile ou utilisent de façon très limité leur abonnement fixe, intégré à une offre triple play . Le constat est encore plus marqué pour les résidences secondaires où la souscription d'un abonnement fixe supplémentaire est parfois délaissée au profit de l'utilisation du terminal mobile principal. L'utilisation des réseaux mobiles en intérieur augmente sans discontinuer. À ce titre, dans le cadre de la couverture en 3G des 3 600 communes prévues au titre de l'ancien accord de RAN Sharing, la notion de couverture en centre-bourg devrait être adaptée dès lors que la possibilité de télécharger, en extérieur, un fichier dans quelques points du centre-bourg ne reflète pas l'usage réel de l'internet mobile.

Enfin l'utilisation en situation statique est peu compatible avec la vocation même de la téléphonie mobile. Si les appels et la connexion sont relativement stables lors de la marche à pied, tel n'est pas le cas en voiture ou en train. Comme le précisait Bruno Sido : « Pour mériter son appellation de « téléphone mobile », le « portable » devra à l'avenir permettre de passer insensiblement des appels en situation fixe ou mobile. ».

b) Un décalage persistant entre les cartes de couverture et l'expérience des utilisateurs

En application des articles L.33-1 et L.36-6 du code des postes et des communications électroniques, les opérateurs mobiles doivent publier sur leur site internet des cartes de couverture de leurs services mobiles en distinguant les différents réseaux (2G, 3G, 4G). Ces cartes affichent des taux de couverture de la population et du territoire particulièrement flatteurs. Or de nombreux utilisateurs constatent quotidiennement que ces informations ne correspondent pas à leur expérience . En théorie, 99,9 % de la population et 97 % du territoire national sont couverts par la téléphonie mobile 2G. Il en va de même pour la couverture 3G qui couvre théoriquement 99 % de la population et 92 % du territoire. Or, l'utilisation quotidienne révèle que ces quelques pourcents restants se rencontrent partout.

L'élaboration de ces cartes est vérifiée par des mesures, selon un protocole fixé par l'ARCEP. Ces vérifications de terrain sont indispensables afin de confronter la couverture théorique, évaluée à partir de modèles mathématiques de propagation des ondes dans l'espace, à la réalité, compte tenu de la géographie et de la répartition de l'habitat. La puissance publique ne peut s'appuyer sur un système d'information fondé sur des mesures réalisées par les opérateurs, à la fois juges et parties. Malgré ces vérifications par le régulateur, l'accès vécu par les utilisateurs est souvent très éloigné de la couverture annoncée. Ces décalages alimentent une vraie défiance des citoyens à l'égard des informations et des communications sur la couverture mobile.

Source : ARCEP, Observatoire sur la couverture et la qualité des services mobiles (juillet 2015)

La notion de couverture correspond à la disponibilité géographique d'un service. En sus d'un accès effectif pouvant varier dans les faits, la couverture ne préjuge pas de la qualité de service fournie . Selon le service utilisé et la situation d'utilisation, la qualité constatée peut être très variable, et éloignée de ce que la couverture théorique peut laisser supposer. Il faut noter que l'ARCEP s'est engagée depuis plusieurs années dans des enquêtes relatives à la qualité de service, intégrées à un observatoire spécifique, mis à jour chaque trimestre. Ces enquêtes visent à tester les réseaux dans différentes situations, non prévues dans le cadre de la mesure réglementaire des obligations de couverture : appels de durée plus élevée, utilisation en intérieur, réception en tant que passager d'une voiture, envoi de fichiers... Vos rapporteurs estiment toutefois que ces enquêtes complémentaires, malgré leur intérêt informatif, ne sauraient compenser les limites de la notion de couverture, qui aiguille l'intervention publique.

2. Une indispensable actualisation des connaissances sur l'état des réseaux mobiles

L'adaptation des critères en matière de couverture et l'évolution des informations en matière de qualité de service doivent permettre de suivre l'évolution des usages et des exigences des utilisateurs . Vos rapporteurs rappellent que cette problématique générale est connue depuis plusieurs années et que peu a été fait dans ce domaine. Pourtant, de l'avis de l'ensemble des parties prenantes, y compris du régulateur, les données existantes sont insatisfaisantes.

Il est indispensable de revoir les critères et la mesure de la couverture mobile et de la couverture des zones blanches . C'était le sens d'un article de la proposition de loi adoptée par le Sénat en 2012, prévoyant la création d'un groupe de travail ayant pour objet l'adaptation des critères de couverture en téléphonie mobile de deuxième, troisième et quatrième générations, ainsi que l'amélioration de ladite couverture 68 ( * ) . Un groupe de travail avait été mis en place en février 2012 en associant des parlementaires, des représentants des collectivités territoriales, les opérateurs, l'ARCEP, l'ANFR, la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) et la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS). Cette structure n'a toutefois pas eu les résultats escomptés, en s'interrompant après la remise d'un rapport d'étape.

S'agissant de la couverture des zones blanches 2G et 3G, la notion de centre-bourg semble bien trop limitée. La couverture devrait être appréhendée sur l'ensemble de la commune, et non son seul centre-bourg, avec des points de mesure plus nombreux dans toutes les zones habitées. Cette approche permettrait de mieux prendre en compte les hameaux. Le pourcentage de réussite devrait par ailleurs être défini à un niveau bien supérieur à 50 %. La couverture et la qualité de service doivent par ailleurs être mesurées de façon dynamique , afin d'observer leur évolution dans le temps. De nouvelles zones privées de couverture apparaissent, faute d'un entretien suffisant des équipements, particulièrement dans les zones moins denses. L'augmentation de la consommation peut également aboutir à une dégradation accélérée.

Les récentes initiatives du Gouvernement en matière de couverture en centre-bourg et hors centre-bourg s'appuient sur des critères dépassés pour connaître la disponibilité des réseaux . À défaut de modifier la méthode d'identification des difficultés, la relance de la couverture mobile n'améliorera que marginalement l'accès de nos concitoyens au mobile.

Vos rapporteurs soulignent qu'il s'agit là d'efforts relatifs à l'information des pouvoirs publics et des utilisateurs, et que ces évolutions n'ont pas vocation à modifier les obligations de déploiement prévues dans les licences déjà accordées. L'objectif est d'obtenir une photographie plus fidèle à l'existant en matière d'accès et de qualité de service. Une approche plus fine de la couverture pourrait toutefois permettre de proposer à l'avenir des obligations de déploiement mieux adaptées aux besoins des utilisateurs . À l'occasion du renouvellement des AUF, il serait souhaitable d'actualiser la définition de la couverture mobile et les critères retenus pour la mesurer afin d'accroître progressivement le niveau d'exigence, dans la perspective de l'achèvement des réseaux concernés. Le contenu des AUF reste en effet très structurant pour la couverture du territoire.

Proposition : Modifier les critères et les méthodes de mesure de la couverture pour disposer d'un recensement conforme à la réalité des réseaux dans les territoires ruraux.

La connaissance de la réalité des réseaux mobiles est la condition d'une action publique pertinente . À la demande de l'État ou les collectivités territoriales, les opérateurs doivent transmettre des informations sur leurs réseaux. Précisée au niveau réglementaire 69 ( * ) , cette faculté permet de connaître le taux de couverture par commune. Toutefois, les collectivités territoriales ne disposent pas des informations permettant d'apprécier la répartition géographique de la couverture infra-communale. Une modification du cadre règlementaire doit permettre aux collectivités d'obtenir des informations plus précises de la part des opérateurs .

Proposition : permettre aux collectivités d'obtenir des informations plus précises de la part des opérateurs sur la couverture mobile de leur territoire, notamment en complétant l'article D. 98-6-2 du code des postes et des communications électroniques pour disposer d'informations sur la couverture infra-communale.

Face à l'ampleur des campagnes de mesures nécessaires à la vérification de la couverture et de la qualité de service, le budget de l'ARCEP, en diminution ces dernières années, ne permet pas au régulateur de mener tous les travaux nécessaires à une amélioration de l'information. Une disposition de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques permet à l'ARCEP de faire réaliser les mesures par des organismes indépendants qu'elle aura choisis, aux frais des opérateurs 70 ( * ) . Cette compétence doit améliorer la fiabilité des mesures tout en réduisant la charge budgétaire pour le régulateur. Afin de renforcer la qualité des cartes et des campagnes de mesures , l'ANFR pourrait être davantage associée à la conception des modèles de propagation, et au contrôle des organismes extérieurs auxquels l'ARCEP fait appel, compte tenu de l'expertise de l'agence sur la gestion du spectre radio.

Depuis cette loi, l'ARCEP est également compétente pour prendre des décisions précisant les règles en matière de contenu et de mise à disposition du public d'informations fiables et comparables relatives à la disponibilité, à la qualité et à la couverture des réseaux et des services 71 ( * ) . Comme le souligne le CEREMA dans sa contribution à la consultation publique organisée par l'ARCEP sur la bande 700 MHz, il serait souhaitable de développer une cartographie de la performance des réseaux mobiles , dans la perspective d'une utilisation croissante des réseaux mobiles à très haut débit, y compris en situation fixe. En croisant les informations de couverture avec celles portant sur l'occupation du territoire, cette approche permettrait de mieux rendre compte de la performance constatée par l'utilisateur, notamment lors des heures de pointe, et d'identifier les besoins à venir pour gérer l'augmentation de la consommation en données.

Afin d'améliorer l'information du public, il serait également utile de disposer d'une agrégation des cartes élaborées par chacun des opérateurs sur une seule plateforme accessible au public sur internet . Actuellement, les utilisateurs souhaitant connaître la couverture sur une zone donnée doivent consulter les sites de chaque opérateur, sans possibilité de comparer ces cartes sur un même site. À ce jour, l'ARCEP n'a pas la possibilité de retraiter les cartes des opérateurs et de mettre à disposition du public un document unique. Une disposition législative permettrait de surmonter cette difficulté.

Proposition : permettre à l'ARCEP d'agréger les cartes de couverture élaborées par les opérateurs privés et de les mettre à disposition du public sur son site internet.

Pour compléter les campagnes de mesures menées par l'ARCEP ou pour son compte, et de mieux prendre en compte l'expérience des utilisateurs, le développement de mesures effectuées par les utilisateurs eux-mêmes ou par les collectivités est une perspective prometteuse . En s'appuyant sur des dispositifs de crowd sourcing , l'ensemble des parties prenantes à l'aménagement numérique du territoire disposerait d'une information locale, dynamique et confrontée à la réalité de l'accès aux réseaux. Si l'ARCEP encourage depuis plusieurs années les utilisateurs et les collectivités à lui signaler les décalages avec la couverture théorique, plusieurs organismes, comme l'Association de défense des consommateurs de télécommunications et communications électroniques (AFUTT), s'emploient à proposer aux acteurs locaux des outils permettant de tester l'accès et la qualité des services mobiles.

Il serait souhaitable que le régulateur puisse s'appuyer sur les initiatives des associations et des collectivités, tout en prévoyant un cadre harmonisé afin d'assurer la comparabilité des mesures ainsi réalisées. La labellisation d'applications dédiées à ces mesures sur smartphones permettrait de disposer rapidement d'une grande quantité de mesures fiables et homogènes. En donnant la possibilité à tout utilisateur de contribuer à l'amélioration des connaissances sur les réseaux mobiles, cette perspective contribuerait également à rétablir la confiance des citoyens dans les informations diffusées.

Proposition : soutenir et harmoniser les initiatives des collectivités territoriales et de la société civile en matière de mesures, afin de développer une approche crowd sourcée.

La récente relance de la couverture mobile dans les territoires ruraux est une opportunité à saisir pour revoir les critères d'évaluation de l'accès et de la qualité des réseaux, afin d'avoir une connaissance plus fine de la couverture mobile . En ayant accès à des informations plus détaillées, l'État et les collectivités territoriales disposeront d'un état des lieux adapté aux besoins d'aujourd'hui, et seront ainsi en mesure de prévoir les déploiements les plus appropriés aux territoires. À défaut, les programmes de couverture seront largement insuffisants.

D. ANTICIPER LA CONVERGENCE DES RÉSEAUX FIXES ET MOBILES

Les interactions entres réseaux fixes et réseaux mobiles ont été jusqu'à présent sous-estimées par les politiques d'aménagement numérique du territoire . La convergence des usages a pourtant un impact direct sur l'articulation des différents réseaux de communications électroniques, aussi bien en termes de difficultés que de solutions .

1. Une convergence des difficultés et des solutions

Malgré leurs différences techniques et économiques, les réseaux fixes et mobiles suivent la même trajectoire descendante . Défini par les mêmes acteurs privés, le séquençage des déploiements privilégie les zones les plus denses avant d'évoluer progressivement vers des espaces de moindre densité, pour enfin s'arrêter là où la dispersion de l'habitat et la géographie compromettent la rentabilité de l'investissement privé. Cette logique guidée par des rendements décroissants réserve ainsi aux territoires ruraux une couverture en haut débit et très haut débit très tardive voire inexistante, sur le fixe comme sur le mobile. L'essence même de l'aménagement numérique du territoire est de compenser cette tendance des acteurs privés, par une intervention publique ciblée sur les territoires délaissés par les dynamiques de marché.

Or, les mêmes territoires sont aujourd'hui confrontés à une absence de réseau 3G ou 4G, et à un haut débit fixe limité, sans perspective d'accès rapide au très haut débit fixe . La convergence des réseaux induit ainsi une concentration des difficultés sur les territoires ruraux . Lors de ses travaux sur la bande 700, votre co-rapporteur a souligné cette fragilité pour les zones dépourvues de couverture 3G : « Les communes concernées sont ainsi privées d'internet mobile, alors même que nombre d'entre elles sont également exclues d'un haut débit fixe de qualité. Le risque de territoires « isolés multi-technologies » augmente, tandis que le développement des usages rend chaque jour plus pénalisante l'absence d'accès internet de qualité » 72 ( * ) . L'ensemble de la réglementation et de la planification pour le fixe et le mobile risque d'exclure les mêmes zones des différentes évolutions technologiques.

Trop souvent, le diagnostic et le traitement des fractures numériques sur les différents réseaux de communications électroniques restent cloisonnés . Les maîtres d'ouvrage des réseaux fixes et mobiles dialoguent encore trop peu, alors même que l'évolution des usages et la localisation des difficultés rend de moins en moins pertinente une séparation stricte entre ces infrastructures. Les trajectoires prévisibles des déploiements fixes et mobiles sur un même territoire gagneraient à être systématiquement confrontées, pour identifier les problématiques durables d'accès. Votre co-rapporteur avait ainsi proposé dans son rapport de 2010 de développer une approche intégrée de l'ensemble des réseaux sur le territoire, par le schéma directeur territorial d'aménagement numérique (SDTAN) afin de mieux recenser l'intégralité des infrastructures, des besoins et des solutions.

En présence d'équipements favorables à des usages convergents ( smartphones , tablettes, ordinateurs portables...) , les technologies fixes et mobiles tendent vers une certaine substituabilité, particulièrement pour le très haut débit. Dès lors que les réseaux mobiles sont plus rapides et moins coûteux à étendre, leur déploiement dans les zones sans perspective à moyen terme de raccordement à un réseau filaire très haut débit permettrait d'apporter rapidement un débit élevé aux particuliers et aux PME. Le CEREMA souligne à ce titre la nécessité de mieux analyser les performances respectives de la montée en débit sur cuivre et de la 4G à usage fixe , afin d'identifier les solutions technologiques les plus adaptées aux territoires.

Dès 2011, votre co-rapporteur regrettait l'échéance tardive imposée aux opérateurs lors de l'attribution des licences 4G pour couvrir l'intégralité de la zone de déploiement prioritaire, prévue à l'horizon 2027 , si tant est que les opérateurs respectent cette obligation. Le manque d'ambition lors de la définition de nouvelles obligations à l'occasion de l'attribution des AUF dans la bande 700 n'en est que plus dommageable pour développer l'utilisation fixe du réseau mobile très haut débit. Le potentiel de la 4G et de ses évolutions pour les utilisations fixes rend d'autant plus important l'achèvement de la couverture de la population par ce réseau. À ce titre, l'intégration d'une composante relative au raccordement optique des points hauts dans le périmètre des subventions du FSN est une évolution positive, permettant tout à la fois d'augmenter les capacités d'émission sur le réseau mobile, et d'améliorer la cohérence de la boucle locale optique.

La 4G à usage fixe pourrait constituer une composante intéressante de l'inclusion numérique, pour surmonter l'absence de haut débit ou de très haut débit fixe . Une offre 4G à usage fixe à destination des entreprises est aujourd'hui proposée par Bouygues Télécom. Des abonnements 4G mobile sont parfois utilisés de façon spontanée comme principal accès internet à domicile. Toutefois, il n'existe pas en France d'offre de grande ampleur destinée aux particuliers. D'autres pays européens ont recours plus massivement à la 4G à usage fixe : l'Allemagne, la Suède, le Danemark ou encore la Norvège. En France, la volumétrie mensuelle reste un frein, avec des offres maximales de 40 Go par mois, agrégeant les flux montant et descendant. Dans les pays où la 4G est utilisée comme accès fixe, le volume mensuel est compris entre 100 et 200 Go par mois. À titre d'exemple, il existe au Danemark des offres 200 Go pour 25 euros par mois, routeur inclus. Les expérimentations menées par les opérateurs Orange et Bouygues Télécom depuis déjà plusieurs années n'ont pas encore abouti à une industrialisation. Il serait souhaitable que l'État, actionnaire du premier opérateur actif en matière d'investissement et autorité légitime à donner une impulsion à l'ensemble du marché, effectue un suivi plus dynamique de ces solutions, dont les enjeux dépassent très largement les seuls intérêts commerciaux des opérateurs .

Dans sa contribution à la consultation de l'ARCEP relative à la bande 700 MHz, le CEREMA note que le réseau 4G pourrait également participer à l'accompagnement de l'extinction du réseau de cuivr e : « Les réseaux mobiles pourraient, dans le principe, faciliter l'extinction du cuivre, en apportant une solution transitoire aux abonnés difficiles à raccorder dans les plaques FttH ». Afin de ne pas reporter sine die la migration puis l'extinction , il sera nécessaire de déclencher le processus avant une couverture totale en FttH, a fortiori dans les zones moins denses ( II.D ). Par  ailleurs, certains utilisateurs raccordables pourraient choisir de ne pas migrer de l'ADSL vers le FttH, en privilégiant un accès très haut débit mobile. Or, comme le précise le CEREMA : « pour constituer un réseau de substitution, il est indispensable que le réseau mobile assure une couverture totale des zones habitées. »

Proposition : développer une approche intégrée des réseaux fixes et mobiles pour prévenir le risque d'isolés multi-technologies, et soutenir le développement du très haut débit mobile à usage fixe, pour surmonter l'absence d'accès filaire de qualité et faciliter l'extinction du réseau de cuivre.

2. Une évolution à coordonner avec le déploiement des nouveaux réseaux

Les marchés de détail fixes et mobiles interagissent également, avec le développement d'offres groupées . Depuis 2008, les principaux opérateurs, qui sont présents à la fois sur le fixe et sur le mobile, proposent des offres quadruple-play , commercialisées sous la forme de package ou de remises appliquées sur l'un ou l'autre des services : téléphonie fixe, télévision, internet fixe, téléphonie et internet mobile. Ces abonnements concernent déjà 23 % des cartes SIM. Perdre des clients sur le fixe conduit de plus en plus à perdre les mêmes clients sur le mobile. Cette convergence participe à la concentration des investissements fixes et mobiles des opérateurs sur les zones les plus denses.

CARTES SIM COUPLÉES À UN OU PLUSIEURS SERVICES FIXES

Source : ARCEP, Observatoire des marchés, deuxième trimestre 2015

Cette dynamique sur le marché de détail pourrait être un obstacle au développement des nouveaux réseaux, notamment les RIP . Souvent attentistes sur l'utilisation de ces réseaux situés en zone moins dense, les opérateurs commerciaux d'envergure nationale pourraient utiliser les offres quadruple-play dans une logique de rétention de la clientèle sur le réseau ADSL. Les effets de la convergence sur les nouveaux réseaux doivent ainsi être observés finement, dès lors que cette évolution globale pourrait avoir un impact contre-productif sur les déploiements.

CONCLUSION GÉNÉRALE

La couverture numérique du territoire en 2015 se caractérise tout à la fois par une progression globale des déploiements, cohérente avec la mobilisation de l'ensemble des parties prenantes, et par l'absence de garanties quant au rattrapage technologique des territoires moins denses , pour ne pas dire par la certitude inverse que les zones rurales voient la fracture numérique s'étendre.

À ce jour, l'intervention publique n'a pas encore permis de résorber les grandes inégalités territoriales en matière d'accès au numérique : un nombre encore trop élevé de territoires reste privé de couverture mobile de deuxième et de troisième générations, plus d'un Français sur dix n'a toujours pas accès à un haut débit de qualité, et la trajectoire ascendante du très haut débit au niveau national ne garantit en rien une couverture technologiquement et géographiquement cohérente à l'horizon 2022.

En matière de très haut débit fixe, vos rapporteurs ont le sentiment que les déploiements de nouvelle génération sont engagés mais que les objectifs de 2022 ne seront pas atteints . À la mi-2015, la couverture de la population en très haut débit repose essentiellement sur le câble modernisé (HFC et FttLA) et sur le VDSL2, tandis que le FttH conserve une place minoritaire. Très haut débit et fibre optique de bout en bout sont donc encore loin d'être synonymes, et l'objectif d'une couverture à 80 % en FttH est très fragile. Avoir défini la « couverture » comme une éligibilité à tout débit supérieur à 30 Mbit/s facilite une progression en trompe-l'oeil de l'accès au très haut débit dans les territoires. L'État et l'ensemble des parties prenantes à l'aménagement numérique du territoire ne sauraient donc se satisfaire en 2017 d'une couverture à 50 % de la population, définie selon de tels critères.

En termes de répartition territoriale, cette couverture se limite aujourd'hui à la partie la plus dense de la zone d'initiative privée , grâce à la modernisation des réseaux existants. Le lancement des RIP devrait permettre d'accroître la couverture de la zone d'initiative publique dans les prochaines années, et la part du FttH. Toutefois, la progression de la couverture risque d'être limitée dans la France périurbaine , visée par des intentions d'investissement très incertaines dès l'origine et décrédibilisées par l'évolution du marché des communications électroniques, et plus encore dans la France la plus rurale , pour laquelle les collectivités territoriales ne disposent pas de l'accompagnement suffisant pour envisager une couverture à moyen terme. Fixé arbitrairement pour 2022, l'objectif de couverture totale du territoire en très haut débit apparaît donc très hypothétique, sinon totalement irréaliste.

Vos rapporteurs craignent que les enjeux et les difficultés du déploiement d'une infrastructure de nouvelle génération sur l'ensemble du territoire national n'aient été sous-estimés . Comme pour de nombreux projets d'infrastructures, le risque que les coûts aient été minimisés initialement, afin de mobiliser les parties prenantes, est particulièrement prégnant. La responsabilité confiée aux collectivités territoriales pour prendre en charge les territoires les moins denses ne va pas de pair avec un accompagnement financier et technique suffisant de la part de l'État. Confrontées à une baisse forte et continue des dotations budgétaires, et par là même à une situation financière de plus en plus critique, de nombreuses collectivités territoriales pourraient être contraintes de renoncer à leurs ambitions en termes de couverture et de mix technologique , pour privilégier des solutions de court terme, pourtant incompatibles avec un investissement durable.

Vos rapporteurs regrettent le « manque d'État » dans les choix stratégiques et technologiques des collectivités territoriales . En matière de très haut débit fixe, l'État s'est d'emblée limité à un rôle de cofinanceur, confiant la couverture du territoire national aux opérateurs privés, qui déploient dans les zones rentables en fonction de stratégies fluctuantes et de la seule rentabilité, et aux collectivités territoriales, engagées dans des déploiements de grande ampleur dans les zones non rentables, malgré les grandes difficultés financières et la complexité immense de tels projets.

S'agissant des opérateurs, non seulement l'État n'a pas prévu un cadre suffisamment précis et contraignant pour garantir que l'initiative privée prenne sa juste part des déploiements, mais il n'est pas en mesure d'assurer le respect de leurs engagements . Pour les collectivités territoriales, l'État n'apporte pas de financements suffisants et pérennes, ni d'expertise à la hauteur de la tâche. À ce jour, sur 74 dossiers de demandes de subvention de l'Etat, 3 dossiers bénéficient de décaissements effectifs, pour seulement quelques dizaines de millions d'euros. Les collectivités demeurent isolées face aux choix complexes qu'elles ont à prendre : mix technologique, montage juridique, modèle économique, harmonisation technique. Vos rapporteurs craignent ainsi que le désengagement de l'État ne s'accompagne pour certaines collectivités territoriales de choix peu pertinents, dont les conséquences ne se révèleront que dans plusieurs années, au prix d'une nouvelle fracture numérique.

Le rapport de force entre opérateurs et collectivités reste très déséquilibré . Le modèle de déploiement du très haut débit est particulièrement favorable aux opérateurs, qui ont eu la possibilité de préempter les zones les plus rentables tout en gelant une intervention publique dans la zone intermédiaire. Ils pourront, en outre, choisir librement les réseaux déployés sur fonds publics par les collectivités territoriales sur lesquels ils souhaiteront proposer leurs offres de services, afin de capter l'essentiel de la valeur ajoutée. A contrario , en l'absence d'obligations en la matière, il y a un risque réel que des réseaux déployés à grand coût par les collectivités territoriales ne soient pas utilisés par ces opérateurs. La situation privilégiée des opérateurs ne s'accompagne donc pas de responsabilités et de contraintes à la mesure des enjeux.

Afin de garantir que les opérateurs assument ce rôle et contribuent véritablement à la couverture du territoire , vos rapporteurs proposent d'inscrire les projets de déploiement des opérateurs privés dans une contractualisation précise, assortie de sanctions financières décidées par le régulateur en cas d'inexécution. En l'absence de contractualisation rapide, ou en cas de défaillance persistante, l'État devrait mettre fin au monopole accordé à l'initiative privée , en permettant le déploiement d'un RIP avec un subventionnement dédié. Le régulateur et l'État devraient par ailleurs veiller au respect du principe de complétude et à l'homogénéité des déploiements dans la zone d'initiative privée, en exigeant des informations plus précises de la part des opérateurs. L'État ne saurait interdire aux collectivités territoriales toute intervention en zone d'initiative privée, sans apporter de garanties sur la cohérence des réseaux mis en place par les opérateurs.

Vos rapporteurs considèrent qu'il est indispensable de soutenir la mobilisation des collectivités territoriales . Ils proposent ainsi de renforcer et de pérenniser le subventionnement de l'État , en alimentant enfin le Fonds d'aménagement numérique des territoires, créé par la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, par une contribution de solidarité numérique, assise sur les abonnements haut débit et très haut débit, sur le modèle des aides prévues en matière d'électrification rurale. L'État doit donner aux collectivités territoriales les moyens de ses ambitions, au nom de l'intérêt général. La commercialisation des RIP doit par ailleurs être garantie , en facilitant l'agrégation des réseaux et en donnant des marges de manoeuvre aux collectivités en termes de tarification. Au-delà, il faudra envisager des actions plus volontaristes pour s'assurer que les opérateurs privés utiliseront les réseaux déployés par les collectivités, dès lors que leur qualité technique aura été certifiée. Il serait inacceptable que des infrastructures financées sur fonds publics afin de surmonter le manque d'offre privée soient inutilisées par les mêmes opérateurs.

L'objectif du FttH doit par ailleurs être réaffirmé , en s'assurant que le recours à des technologies alternatives se limite à des cas transitoires ou à des situations exceptionnelles dûment justifiées par les contraintes locales. Afin de soutenir cet objectif, une transition sans équivoque du cuivre vers la fibre optique devrait être portée par un mécanisme volontariste et souple à disposition des collectivités territoriales.

Vos rapporteurs estiment également que la fracture numérique en matière de haut débit fixe doit être résorbée de toute urgence . Il est indispensable de garantir à tous les citoyens un accès à un haut débit de qualité supérieur à 3 Mbit/s d'ici 2017. Plus de 10 % de la population seraient privés d'un tel débit, qui constitue pourtant le niveau minimal pour accéder aux applications numériques. Toutes les technologies disponibles devraient être mobilisées afin d'apporter ce haut débit : prime pour le raccordement des logements concernés, subventionnement dédié et élargissement des bandes de fréquences pour l'hertzien terrestre, renforcement des capacités satellitaires, développement de la 4G à usage fixe... Les financements de l'État attribués aux projets des collectivités doivent favoriser la mise en oeuvre de cet objectif prioritaire.

En matière de réseaux mobiles, vos rapporteurs notent avec satisfaction que le Gouvernement a récemment relancé le dossier de la couverture mobile pour les territoires ruraux. De nombreuses communes restent en effet privées de couverture mobile en 2G et en 3G, alors même que les zones urbaines bénéficient de « 4G+ » et bientôt de 5G. Ce décalage est insupportable pour les habitants des territoires ruraux. Toutefois, pour assurer une progression véritable de la couverture mobile, de nombreuses incertitudes relatives aux dispositifs mis en place par le Gouvernement doivent être levées : identification exhaustive des zones non couvertes, responsabilité des opérateurs, soutien financier aux collectivités, échéances de déploiement, critères utilisés pour les sites prioritaires...

Vos rapporteurs soulignent qu'en l'absence d' une définition actualisée de la notion de couverture , le recensement des difficultés et les moyens mis en oeuvre pour les résoudre risquent d'être très limités par rapport à l'ampleur réelle du problème. Il est donc indispensable de revoir les critères de définition et de mesure de la couverture.

La couverture en 4G du territoire , qui exclut jusqu'à présent la zone prétendument prioritaire, doit être accélérée . Le Gouvernement n'ayant pas jugé bon de s'appuyer sur l'attribution de la bande 700 MHz pour cela, il est de sa responsabilité de tout faire pour garantir une couverture rapide de la ruralité, dont la prise en charge ne saurait être renvoyée à l'horizon 2027. Une couverture totale en 4G est d'autant plus importante compte tenu de la convergence des réseaux fixes et mobiles, qui pourrait se traduire par une utilisation fixe du réseau mobile pour remédier à l'absence durable de très haut débit par voie filaire dans les territoires les plus isolés. Plus globalement, vos rapporteurs souhaitent que cette convergence soit prise en compte par les acteurs des déploiements, afin de mieux gérer les différents réseaux de communications électroniques, aussi bien en termes de difficultés que de solutions à apporter .

Vos rapporteurs réaffirment qu'il est urgent d'intervenir en corrigeant la trajectoire des déploiements, pour résorber les fractures numériques existantes et prévenir toute inégalité supplémentaire . Sans bouleverser l'environnement des réseaux, il est indispensable de proposer une véritable politique d'aménagement numérique du territoire. À défaut, le numérique constituerait une source nouvelle de disparités territoriales , et les capacités de rattrapage que ces technologies offrent aux territoires resteraient inexploitées.

Depuis plusieurs années, le Sénat alerte régulièrement le Gouvernement sur le fossé croissant entre les zones urbaines et les territoires ruraux en matière de numérique. De nombreux travaux parlementaires ont mis en lumière ces risques et ont proposé des solutions pour les surmonter. Jusqu'à présent, ces recommandations sont très largement restées lettre morte .

Vos rapporteurs forment le voeu que le présent travail permette au Gouvernement de sortir de l'autosatisfaction dans laquelle il se complaît, entretenant ainsi des illusions et des espoirs suivis de déceptions.

Ils souhaitent que le Gouvernement prenne enfin la mesure des problématiques d'aménagement numérique du territoire, en proposant des moyens et des actions à la hauteur de ces enjeux. Cette évolution est indispensable pour que le numérique contribue véritablement à l'égalité entre les territoires.

TRAVAUX EN COMMISSION

I. AUDITION DE MME AXELLE LEMAIRE, SECRÉTAIRE D'ETAT CHARGÉE DU NUMÉRIQUE.

Réunie le mercredi 21 octobre 2015, la commission a entendu Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat chargée du numérique.

M. Hervé Maurey , président . - Madame la ministre, mes chers collègues. Nous souhaitions vous auditionner car nous avons mis en place au mois de mars dernier un groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire, qui doit prochainement remettre son rapport. Nous avons créé ce groupe de travail afin de faire un point sur l'aménagement numérique, deux ans après la publication de la feuille de route du Gouvernement, début 2013.

Le numérique est une dimension essentielle du développement de la France et de ses territoires. Il représente une opportunité à saisir pour résorber les inégalités existantes. Toutefois, il peut également constituer une source de nouvelles fractures territoriales.

Dans la continuité de la précédente majorité, et avec assez peu de changements en termes d'architecture globale, le Gouvernement actuel a présenté sa stratégie numérique début 2013, promettant en particulier une couverture totale de la population en très haut débit fixe d'ici 2022, principalement grâce à la fibre optique jusqu'à l'utilisateur, le fameux FttH.

Le groupe de travail a mené de nombreuses auditions, afin d'examiner la mise en oeuvre concrète des annonces de votre Gouvernement.

Ce que nous avons constaté dans nos travaux nous inquiète pour l'avenir de nos territoires. Bien sûr, le très haut débit progresse, et nous atteindrons sans doute l'objectif de 50% de couverture en 2017. Mais cette situation est trompeuse car elle masque une double hétérogénéité, technologique et géographique.

Le très haut débit a été fixé à un niveau peu ambitieux, 30 mégabits par seconde, alors que l'on considère en général qu'un véritable très haut débit pérenne se situe à 100 mégabits par seconde avec des flux symétriques. Cette couverture en très haut débit sera donc majoritairement assurée par une modernisation du réseau de câble et du réseau de cuivre. La fibre optique de bout en bout restera minoritaire.

Géographiquement, l'accès au très haut débit sera essentiellement offert à la partie la plus dense de la zone réservée à l'initiative privée, c'est-à-dire le centre des grandes agglomérations. Les territoires périurbains et ruraux resteront largement dépourvus de couverture en 2017. Ajoutons que la notion de couverture est trompeuse car elle se fonde sur l'éligibilité au très haut débit, et non sur le raccordement effectif.

Nous craignons donc qu'en 2017, et a fortiori en 2022, les inégalités se soient accrues. Le Gouvernement se prévaudra peut-être en 2017 d'un déploiement atteint à mi-parcours. Il faut garder à l'esprit qu'à cette date, le plus dur restera à faire : les 50% restants seront les plus coûteux et les plus difficiles à couvrir, car à cette date, la couverture concernera essentiellement les zones denses.

Les objectifs fixés en 2022 sont extrêmement fragiles : la couverture à 100% du territoire semble très hypothétique, pour ne pas dire totalement irréaliste. Quant à l'objectif d'une couverture à 80% en FttH, le mix technologique observé dans la zone d'initiative privée, et la difficulté pour les collectivités de viser un niveau élevé de fibre optique, compte tenu notamment de leur situation budgétaire, fragilisent cet objectif.

D'ici 2020, les différents organismes auditionnés considèrent que les ressources des opérateurs privés devraient se concentrer sur la partie câblée de la zone réservée à l'initiative privée. Dans ces zones SFR-Numericable va s'appuyer sur son réseau déjà déployé, et les autres opérateurs, notamment l'opérateur historique, se concentreront sur ces zones, pour faire face à cette concurrence. Tout une partie de l'ancienne zone AMII risque de rester sans couverture, particulièrement dans les territoires périurbains. Dans ces zones, l'intervention des collectivités territoriales est impossible, les gouvernements successifs n'ayant pas envisagé de soutien aux déploiements, sauf défaillance caractérisée. Les opérateurs privés ont préempté ces territoires par des intentions d'investissement le plus souvent nébuleuses, dont l'aboutissement était fixé en 2015, et dont la reprise par des conventions de suivi est encore très incertaine. L'évolution de la structure du marché, suite à la fusion entre Numericable et SFR, a également modifié les incitations des différents opérateurs privés dans cette zone. Nous nous posons donc plusieurs questions Madame la ministre.

Comment le Gouvernement s'assure-t-il que les opérateurs privés déploieront véritablement des réseaux d'ici 2020 dans l'intégralité de la zone AMII ? Le conventionnement permettra-t-il de garantir le respect des engagements pris par les opérateurs privés, dès lors qu'il est loin de couvrir la totalité de la zone et que ses effets sont bien peu contraignants ? La seule perspective d'une perte du monopole des déploiements est-elle suffisante pour inciter les opérateurs à déployer ? Le Gouvernement dispose-t-il d'un « plan B » en cas de défaillance massive sur les déploiements privés dans la zone moins dense ?

Quant à la zone d'initiative publique, les collectivités territoriales ne disposent pas des moyens, ni des assurances nécessaires pour envisager une couverture totale en 2022. Dans un contexte de diminution générale des dotations, et de difficultés économiques, les collectivités ont élaboré des projets ambitieux de déploiement, qui restent exposés à de nombreux risques et incertitudes : qu'il s'agisse de choix technologiques, de modèle économique, ou de commercialisation. Sur bien des sujets, les collectivités territoriales sont livrées à elles-mêmes.

Quelles sont les perspectives de subvention pour les collectivités au-delà de 2020, alors que l'objectif est fixé en 2022 ? Comment lutter contre la stratégie attentiste des opérateurs privés sur la majorité des réseaux d'initiative publique ? Les collectivités doivent, malgré les baisses de dotations, investir pour déployer un réseau que les opérateurs n'ont pas souhaité construire, mais elles ne disposent d'aucune garantie sur la venue des opérateurs pour commercialiser leurs offres de services. Cette situation risque de créer un véritable scandale en termes d'argent public, avec des réseaux onéreux déployés par les collectivités, et des opérateurs choisissant de ne pas les utiliser. Il s'agit d'une inquiétude très forte pour les élus locaux.

Quel est l'avenir de la solution de montée en débit, alors même que la Commission européenne a mis en cause le subventionnement public à l'offre proposée par Orange ? Hier, notre collègue Patrick Chaize a posé une question au Gouvernement, mais n'a pas obtenu de réponse. Par ailleurs, les règles de transition du cuivre vers la fibre optique permettront-elles de mettre un terme à la rente du cuivre qui fragilise les nouveaux réseaux en fibre optique ?

À ces craintes sur le très haut débit, s'ajoute une exclusion persistante sur le haut débit fixe. Près de 15 % de la population reste privée d'un accès à un haut débit satisfaisant. Or l'objectif du Gouvernement est de garantir à tous un tel accès d'ici 2017. Pouvez-vous nous expliquer comment le Gouvernement compte résorber d'ici cette échéance une fracture numérique aussi élémentaire ?

Quant au mobile, je me réjouis que le Gouvernement ait repris ce dossier, qui était bloqué depuis plusieurs années. Toutefois, de nombreuses interrogations subsistent sur la relance de la couverture mobile. Les zones non-couvertes vont-elles être recensées de façon exhaustive ? Dans le département dont je suis élu, la préfecture a identifié une dizaine de sites, quand le conseil départemental en a recensé deux cents ! Si l'identification des difficultés est aussi limitée, le problème ne sera pas réglé. Des questions demeurent également sur le soutien réel de l'État aux collectivités dans la mise en place de points hauts, et sur l'utilisation par les opérateurs d'infrastructures créées sur fonds publics. Enfin, pour les 800 sites prioritaires hors centre-bourg, ni les critères de sélection ni les modalités de financement ne sont fixés.

Enfin, le déploiement de la 4G reste extrêmement limité en zone de déploiement prioritaire... qui n'a jusqu'à présent de prioritaire que le nom. Cette dernière regroupe pourtant 63 % du territoire et 18 % de la population. La lenteur des déploiements dans nos territoires ruraux est d'autant plus regrettable que la 4G à usage fixe représente une chance pour permettre aux zones qui ne bénéficieront pas à moyen terme d'un accès filaire au très haut débit de disposer d'une alternative technologique. Patrick Chaize avait mis en évidence la possibilité d'accélérer ces déploiements lors de l'attribution des licences sur la bande 700, opportunité manquée par le Gouvernement et le régulateur en juillet dernier.

Vous l'aurez compris, Madame la ministre, nous sommes tous convaincus de l'importance du numérique pour nos territoires. Mais nous sommes très inquiets face à la trajectoire que prennent les infrastructures de communications électroniques : le cadre du très haut débit risque de créer une nouvelle fracture territoriale, plus d'un Français sur dix ne bénéficie toujours pas d'un haut débit fixe correct, et des milliers de communes restent privées d'une couverture mobile satisfaisante.

Cette exclusion numérique crée une précarité nouvelle, et alimente un sentiment d'abandon dans de nombreux territoires ruraux.

Au-delà des grands chiffres nationaux, nous souhaitons donc vous entendre sur les fragilités que nous avons pu identifier lors de nos travaux, et sur les solutions que le Gouvernement entend apporter afin d'assurer, à une échéance raisonnable, l'accès de tous les citoyens aux différents réseaux de communications électroniques. Je vous remercie.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique . -Merci Monsieur le président. Je partage avec vous le constat d'un niveau élevé d'attente chez nos concitoyens, que je suis amenée à observer tous les jours lors de mes déplacements dans les territoires. Mais je ne partage pas le regard que vous posez sur le niveau d'ambition du Gouvernement dans ce domaine, à commencer par l'idée que nous nous soyons inscrits dans la continuité de la majorité précédente. En réalité, l'action du présent gouvernement se situe en rupture par rapport au précédent.

Le choix retenu en 2010 était le tout FttH, exclusivement, à déployer partout d'ici 2025, et avec des financements très faibles, à hauteur de 900 millions d'euros. Lors du changement de majorité, nous avons beaucoup écouté les collectivités territoriales, et nous avons décidé de privilégier une approche pragmatique, sans remettre en cause l'objectif d'une priorisation de la fibre optique. Car lorsqu'on déploie de la fibre optique, on prépare le pays pour les cinquante prochaines années, tandis qu'en cas de montée, on ne prépare que les cinq à dix ans à venir. La France est un des rares pays européens à avoir fait le choix de la fibre, et nous l'assumons. Mais plusieurs collectivités nous ont indiqué que certaines prises coûteraient près de 3 000 euros, alors même que la demande des citoyens ne permet pas d'engager de tels montants. Il faut donc privilégier un mix technologique. Il aurait été irresponsable de ne pas entendre ces difficultés. Le cahier des charges a ainsi été modifié pour permettre la montée en débit, sans remettre en cause l'objectif de fibre optique à terme. Il s'agit de préférer dans certains cas « la fibre jusqu'au village » plutôt que la fibre jusqu'à l'abonné. Nous préparons tous les territoires à accueillir la fibre optique, mais le réalisme l'emporte parfois lorsqu'il s'agit d'améliorer rapidement les débits.

Je m'inscris toutefois en porte-à-faux l'idée selon laquelle la montée en débit serait plus importante que la fibre optique dans les projets des collectivités territoriales. 88 départements ont déposé leurs dossiers de demande de subvention à l'État en l'espace de deux ans, depuis l'impulsion donnée début 2013 ! Ces projets prévoient 6 597 100 prises FttH, et 717 700 prises en montée en débit. Donc ne dîtes pas qu'il y aura plus de montée en débit que de fibre optique...

M. Hervé Maurey , président . - Je n'ai pas dit cela !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique . -Nous finançons la montée en débit pour répondre à l'urgence, tout simplement. À terme, la montée en débit permettra d'accueillir la fibre optique.

Par ailleurs, vous suggérez un manque de priorisation des objectifs du Gouvernement, entre le soutien à la meilleure technologie, la baisse des prix pour les consommateurs, ou encore le découpage territorial des zones. En réalité, l'art de gouverner nécessite de poursuivre des objectifs de politique publique qui sont tous aussi importants les uns que les autres. Il faut tous les poursuivre, de façon pragmatique et équilibré. Concrètement, cela se traduit par des obligations de couverture sur la bande 700 qui sont plus élevées que celles prévues sur la bande 800, tout en prévoyant un plancher pour les recettes publiques dégagées, pour garantir au moins 2,5 milliards d'euros. Nous avons également ajouté des obligations pour la couverture des trains du quotidien. Cela concerne plus de six millions de passagers au quotidien. Nous introduisons pour la première fois de telles obligations. La perspective de cette obligation a par ailleurs accéléré les négociations entre la SNCF et les opérateurs de télécommunications.

Sur la 4G, concernant les outre-mer, les obligations de couverture sont sans précédent, avec un objectif social qui exige un niveau de service au rendez-vous, et des offres plus inclusives. Pour la première fois, le Gouvernement intègre des objectifs d'inclusion par les tarifs dans une procédure d'attribution de licences mobiles, pour lutter contre la vie chère dans les outre-mer.

À propos des zones privées, vous soulevez des inquiétudes légitimes, que je partage pour certains opérateurs, sur certaines zones. Dans les zones très denses, les opérateurs sont tous au rendez-vous car les clients sont présents et la commercialisation est plus importante que prévue. Dans les zones denses, qui étaient sans réseau de câble, la fusion entre SFR et Numericable a ralenti les déploiements. On constate un ralentissement, voire une inaction, par rapport aux conventions signées en 2013 sous la supervision de l'Etat. Ces conventions sont un outil juridique utile et solide, qui prévoit une procédure de constat de carence. À Lille hier j'ai encore pu constater les effets bien réels de ces conventions. La métropole européenne est couverte aux deux tiers, mais le tiers restant est celui qui aurait dû faire l'objet d'une couverture dans le cadre de l'accord entre SFR et Orange, mais qui n'est plus respecté suite à la fusion entre SFR et Numericable. J'ai clairement indiqué que l'Etat constaterait le manquement. La réunion du comité régional va avoir lieu très bientôt, ce qui signifie que le marché s'ouvre à l'initiative publique. Les collectivités territoriales pourront donc investir, lorsque la carence aura été constatée. Il ne faut pas sous-estimer le rôle de ces conventions dans ce rapport de force, qui s'est durci ces douze derniers mois.

En matière de couverture mobile, le Gouvernement a effectivement repris le dossier face à l'urgence du problème et à l'évolution des usages. Les citoyens souhaitent avoir internet par le fixe mais également par le mobile. Aujourd'hui ne pas avoir accès à la téléphonie mobile est inacceptable. Nous avons donc introduit une composante mobile dans le plan THD, avec des financements et une obligation faite aux quatre opérateurs d'être présents. Un seul vient déployer l'équipement, mais les quatre opérateurs se sont engagés contractuellement pour venir commercialiser les réseaux dans les zones 2G, d'ici fin 2016, et dans les zones 3G, d'ici mi-2017.

Sur la question du recensement, se pose le problème de la différence entre les critères de calcul et le ressenti. Ces critères de calcul sont ceux des politiques publiques, qui ne sont pas les mêmes que ceux utilisés pour vérifier la couverture mobile par les opérateurs, qui sont fixés au niveau européen. Il faut effectivement faire des choix : lorsqu'on évoque la couverture d'une commune, c'est en effet au niveau du centre-bourg. C'est difficile à comprendre pour les habitants, qui souhaiteraient pouvoir communiquer de partout, et pas seulement hors de la place du village. Mais il faut être réaliste, ne pas faire de fausses promesses et tenir un langage de vérité : on imagine bien le coût d'une couverture totale du territoire. Commençons donc par ce qui est réaliste, c'est-à-dire de couvrir déjà un point dans les communes qui n'ont rien.

Aujourd'hui dans le recensement, nous constatons qu'il y a un écart important, plus important que ce que nous attendions, entre le constat réalisé par les préfectures de région, mandatées au mois de juillet, et ce que nous annonce les opérateurs. Nous avons fait appel à deux prestataires indépendants qui travaillent avec des binômes d'opérateurs, pour faire des contre-expertises sur le terrain et établir une liste définitive de commune, qui devrait être disponible d'ici la fin du mois d'octobre. Pour la 3G, la procédure est comparable, avec un déploiement prévu d'ici mi-2017.

S'agissant de la notification à la commission européenne, évoquée hier en séance par Monsieur Chaize, que je prie de bien vouloir m'excuser pour mon absence, car j'étais justement à Lille, pour constater qu'Orange avait décidé de déployer sur certaines communes que SFR devait initialement prendre en charge. Sur ce sujet, je pense qu'il ne faut céder ni à la panique, ni à la tentation d'instrumentalisation politique, pour un sujet qui est trop important pour nos concitoyens. Je pense que nous sommes tous d'accord pour affirmer que la conjonction des financements des collectivités territoriales, de l'Etat et de l'Union européenne est la clef afin de maximiser les ressources pour les déploiements. Il ne faut pas fragiliser cela par des initiatives politiques dissonantes. Que la Commission européenne nous pose des questions sur le plan très haut débit, cela est tout à fait normal, du fait de l'ampleur sans précédent des investissements publics. La France fera peut-être jurisprudence pour d'autres pays. Avec beaucoup de minutie, nous avons répondu à chacune des questions de la Commission européenne, qui s'interroge sur l'application du régime des aides d'État au nouveau cahier des charges. Mais je tiens à souligner que cela ne concerne que 3 % du plan. L'Union européenne examine ainsi la montée en débit, qui serait une préférence donnée de facto à l'opérateur historique. Concrètement c'est effectivement Orange qui est dans ces zones. Mais cela ne signifie pas pour autant que l'Etat a privilégié un opérateur, ni qu'il a interdit aux autres opérateurs d'être présents. Les opérateurs ont plutôt tendance à déplorer une concurrence trop farouche entre eux, et d'ailleurs tous les opérateurs sont allés témoigner auprès de la Commission pour souligner à quel point la concurrence joue à plein sur le marché français, par rapport à d'autres pays. J'ai moi-même porté politiquement ce dossier, pour éviter qu'il soit pris en charge exclusivement par des experts. À ce stade, je pense que les doutes sont levés. Les commissaires européens sont convaincus du bien-fondé de la démarche française. Des échanges techniques restent nécessaires pour consolider les expertises, notamment auprès de la direction juridique, mais non plus auprès de la direction de la concurrence. Il y a trois mois, je vous aurai apporté une réponse bien plus prudente. Aujourd'hui, je crois que les nuages se sont dissipés.

J'en finirai sur l'idée selon laquelle les collectivités seraient livrées à elles-mêmes, et abandonnées aux choix qu'elles doivent faire. Nous avons effectivement choisi une méthode inhabituelle pour l'État français, centralisateur, bureaucratique, jacobin. Nous faisons confiance aux choix des collectivités territoriales. Ce choix, retenu par nos prédécesseurs, nous a semblé sain, et sa remise en cause en cours de route aurait été très déstabilisante pour les collectivités. Nous avons toutefois choisi de modifier la méthode, notamment par une nouvelle gouvernance. Après avoir mis en place la Mission très haut débit, nous avons créé une Agence du numérique, qui se place complètement au service des collectivités territoriales et qui assure une co-construction des dossiers. Ce qui nous est reproché n'est pas tant de laisser les collectivités livrées à elles-mêmes, que d'être très exigeant en termes de conformité au cahier des charges, notamment pour s'assurer que le projet est conforme au régime des aides d'Etat. Il y a effectivement beaucoup d'allers-retours, avant la fameuse réunion du comité de concertation qui doit décider de la subvention. Cette méthode me semble très novatrice, en préférant accompagner les collectivités, plutôt que dicter.

Effectivement, il y a les bons élèves, et les moins bons. Il ne faut pas laisser ces derniers de côté. J'ai souhaité en priorité accompagner les derniers départements qui n'ont pas présenté de dossiers. Le Président de la République s'est engagé à ce que la totalité des départements aient déposé des dossiers d'ici la fin de l'année, et qu'ils aient tous fait l'objet d'une décision d'investissement d'ici la fin de l'année prochaine. L'ensemble des collectivités territoriales seront donc concernées par le plan très haut débit d'ici fin 2016. Cette méthode de mobilisation collective doit être saluée, car elle n'est pas habituelle pour les services de l'Etat. Nous avons rationalisé l'action du Gouvernement, en regroupant le pilotage des infrastructures par la Mission très haut débit avec les écosystèmes d'innovation et les start-up de la Mission French Tech et la Délégation aux usages de l'internet, pour que la politique du numérique soit cohérente. Cela ne s'est pas accompagné d'une réduction des effectifs et des moyens, bien au contraire. Depuis plus d'un an, le nombre d'ETP consacrés exclusivement à la Mission très haut débit augmente. Nous avons notamment reçu des effectifs en provenance de la Caisse des dépôts, pour renforcer les équipes. L'Agence du numérique est donc en ordre de marche pour accomplir sa mission, qui est l'accompagnement des collectivités territoriales.

M. Hervé Maurey , président . - L'objectif de dépôt des dossiers est une chose, encore faut-il après pouvoir obtenir les financements. Les délais sont très longs; il n'est pas rare de devoir attendre deux ou trois ans. Tout ce qui est déployé aujourd'hui l'est aux frais des collectivités et à crédit, dans la mesure où quasiment aucun financement n'a été attribué par l'État.

Ce qui manque aux collectivités dans certains cas, c'est une expertise. Une collectivité est souvent dans le questionnement : faut-il faire du tout fibre ? Du tout montée en débit ? Faut-il un mix technologique ? Lequel dans ce cas ? Il avait été annoncé à une époque que l'État mettrait en place une structure de conseil, cela n'a pas été fait. Le conseil est apporté au moment où le dossier se présente. On pourrait estimer qu'il s'agit de moyens dilatoires pour faire durer l'examen des dossiers... Ce n'est plus au moment du financement des dossiers qu'il faut se pencher sur leur pertinence technologique. Il serait souhaitable d'avoir ce conseil en amont.

Sur la téléphonie mobile, il serait certes appréciable d'avoir internet sur son téléphone, mais certaines personnes souhaiteraient simplement pouvoir passer des appels. Beaucoup de gens n'ont même pas la 2G.

Je suis d'accord avec vous : il faut tenir un langage de vérité. Que le gouvernement cesse ses effets d'annonce en disant par exemple que tout le monde aura le téléphone en 2016. Vous dites fort justement que ce ne sera pas le cas et qu'au mieux chaque village aura un point de réception. Ne leurrons pas les gens, cela ne fera que renforcer le mécontentement.

Comment les préfets ont-ils fait leur recensement ? Dans mon département, j'ai vu la liste établie par le préfet par le plus grand des hasards. L'union des maires et le département n'ont pas été consultés. Sur quelle base ont-ils travaillé ?

M. Patrick Chaize . - Concernant l'avis de la Commission européenne, vous indiquez être rassurée. Néanmoins, je m'interroge : à quelle échéance aurons-nous une réponse ? Je pose cette question de manière concrète et précise, avec un esprit d'ouverture. Je suis en effet convaincu que, sur ce sujet, nous ne devons pas avoir de positions partisanes. Il en va de l'avenir de notre pays et de nos concitoyens.

Je fais partie du comité de concertation du plan France très haut débit. Je peux témoigner du sérieux du travail effectué par ce comité et par ses équipes, notamment de l'Agence du numérique. Je ne peux que vous féliciter de cette initiative. Cependant, le dernier comité d'engagement date du mois de mai. Depuis, aucun nouvel engagement n'a été pris et aucun courrier du Premier ministre n'a été signé. Mon département, l'Ain, précurseur sur ce dossier, attend depuis le mois de mai de pouvoir poursuivre ses investissements qui sont en pause du fait de ce manque de lisibilité. C'est la situation de nombreuses collectivités. Il est urgent de passer du recensement des 88 dossiers évoqués aux phases de réalisation et de création de lignes FttH.

Il existe des engagements contractuels des opérateurs dans le domaine de la téléphonie mobile ; il est dommage de ne pas en avoir prévu pour le très haut débit. Il aurait fallu imposer aux opérateurs de venir sur les réseaux d'initiative publique parce qu'il y a là aussi une prise d'otages.

Concernant la téléphonie mobile, vous avez abordé la notion de centre-bourg. Que signifie-t-elle à l'heure des communes nouvelles ?

M. Pierre Camani . - Je vous remercie Madame la ministre pour votre exposé. Dans le Lot-et-Garonne, j'ai pu constater depuis 2013 que nous avons pu avancer grâce à la nouvelle configuration. Le cadre est aujourd'hui clair, avec le mix technologique et des financements conséquents, trois milliards d'euros. Le gouvernement a fait le choix de faire confiance aux territoires. Il nous manquait un cadre référentiel pour avoir un déploiement très haut débit cohérent et efficient : nous l'avons désormais, avec un organisme dédié. Cela contribuera à l'égalité des territoires. Ce cadre nous permet d'avancer.

Je fais partie des départements qui ont déposé un dossier. Nous attendons. Le contentieux avec l'Union européenne a ralenti le déroulement du plan. Le Lot-et-Garonne est un département de 300 000 habitants. Grâce à ce nouveau cadre, j'ai pu déployer un projet de FttH à 70 % des foyers à échéance 10 ans, avec un investissement total de 120 millions d'euros. Combien de temps pensez-vous que ce contentieux européen va durer ? Nous sommes prêts sur le terrain à lancer les marchés.

Sur la téléphonie mobile, les préfets doivent effectuer un recensement. Il n'a pas été fait partout. Il serait souhaitable que le délai soit prolongé d'un ou deux mois afin que les collectivités puissent se mobiliser avec les services de l'État pour mieux identifier les territoires concernés.

La loi Macron prévoit, lorsqu'une collectivité investit sur la réalisation d'un bilan par exemple, que les opérateurs ont l'obligation de s'installer. C'est une évolution majeure.

M. Gérard Cornu . - Madame la ministre, vous évoquez une rupture entre 2011 et aujourd'hui ; la rupture est surtout avec le peuple français. La population se sent totalement abandonnée, notamment dans les territoires ruraux. La fracture numérique est là. Il y a un décalage entre les besoins des consommateurs et votre projet. Les gens souhaitent pouvoir téléphoner avec leur portable sans être sans cesse interrompus et accéder à un débit internet normal. Pour l'instant, nous n'avons pas répondu à ces besoins. Il y a un décalage entre les discours et les actes, et une incapacité des politiques à régler les problèmes de la vie de tous les jours. Cette fracture numérique accentue la fracture sociale et la fracture entre les territoires.

Au-delà des sujets que vous avez évoqués, il faut en revenir aux besoins primordiaux des habitants de tous les territoires. Tous les Français doivent avoir le minimum vital pour téléphoner et accéder à internet.

Mme Évelyne Didier . - Madame la ministre, je vous remercie pour la précision de votre discours. Le diagnostic est clair mais les solutions ne sont pas simples.

Il est important de dire aux opérateurs qu'ils doivent honorer leurs contrats. Les entreprises aiment à rappeler qu'elles signent des contrats et prônent leur respect. En l'occurrence, un des opérateurs n'a pas joué le jeu, ce que nous nous devons de dénoncer.

Qui tire les bénéfices des réseaux et vend des forfaits ? Ce sont les opérateurs. Il est normal qu'ils investissent, et non l'État en lieu et place des entreprises.

Nous avons évoqué le contentieux européen. Je m'inquiète lourdement pour la France et ses entreprises. Nous avions des opérateurs historiques importants, dans les transports, les télécommunications par exemple. Ces opérateurs apportaient des avantages à notre pays. On nous oblige aujourd'hui à tout brader. Dans un autre domaine, on empêche EDF de racheter des concessions hydrauliques. Nous sommes en train de perdre des avantages pour la France. L'objectif européen n'est pas de protéger le consommateur mais de tuer le service public français. Je voudrais savoir si le gouvernement s'érige contre cette position européenne qui s'affirme au détriment de notre pays.

Lorsque j'étais maire, il m'avait été demandé, à l'occasion de travaux sur la chaussée, de mettre des fourreaux et des points d'attente à l'entrée des lotissements et des parcelles afin de réduire les coûts et accélérer les projets. Cependant, les opérateurs nous disent maintenant que les fourreaux ne sont plus utilisables. Comment faire en sorte de sécuriser ces investissements et de s'assurer qu'ils ne sont pas réalisés en vain ?

Les citoyens aiment la vérité. Dans ma commune, nous avons la 4G. Pour autant, elle n'est pas disponible aux points les plus bas, les antennes étant placées sur les points hauts. Il faut expliquer tout cela aux gens, en toute transparence, et éviter la démagogie.

M. Alain Fouché . - Les collectivités interviennent depuis longtemps. Dans mon département, il y a dix ans, nous avons mis en place un système : pour les secteurs ne pouvant être reliés par le haut débit, le département finance l'accès par satellite. C'est un vrai problème : nous avons à la fois le Futuroscope, les plus hautes technologies, les plus grandes écoles et de nombreuses entreprises et il reste malgré cela des problèmes dans la ruralité.

Vous avez évoqué la téléphonie mobile. C'est un dossier difficile, notamment en ce qui concerne le principe d'itinérance. Quels moyens avez-vous pour faire pression sur les opérateurs ? Pour l'installation d'un pylône dans le département, nous n'intervenons que lorsque les trois opérateurs se mettent d'accord. Jusqu'où pouvez-vous aller pour obliger ce regroupement ?

Dans le TGV, la téléphonie fonctionne encore très mal. Pouvez-vous agir sur ce sujet ou est-ce du seul ressort de la SNCF ?

M. Michel Vaspart . - J'irai dans le même sens que le président Maurey concernant les fonds publics. Ces fonds sont publics, qu'ils proviennent des intercommunalités, des départements, des régions ou de l'État. Compte tenu de l'importance de ce dossier, qui va nous occuper encore des années, il ne s'agit pas d'une question de politique politicienne. Je suis inquiet de voir un certain nombre de fonds publics dilapidés. Lorsqu'il y a des aides financières, d'où qu'elles viennent, elles cautionnent les investissements réalisés et les choix opérés par les collectivités territoriales.

Je souhaiterais vous rappeler ce qui s'est produit dans mon département des Côtes-d'Armor. Il a été question de déployer le WiMAX partout. Le plan économique, validé par le département et par l'opérateur, puisqu'une délégation de service public a été attribuée pour vingt ans, prévoyait 5 000 raccordements et un résultat de 1,9 million d'euros fin 2014. Nous sommes aujourd'hui à moins 9 millions d'euros avec 140 abonnés dans le département... À partir du moment où les fonds publics sont de plus en plus rares, on ne peut plus utiliser un euro à mauvais escient. Je ne suis pas jacobin. Mais sur certains sujets très techniques comme celui-là, nous sommes perdus et cela conduit à de mauvais choix. Il nous aurait fallu plus de présence de l'État. Je ne suis pas convaincu qu'il faille laisser le choix des technologies à la libre appréciation des collectivités.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Les schémas départementaux d'aménagement numérique ont permis de décider d'une stratégie du très haut débit adaptée à chaque territoire, en choisissant entre la fibre ou une montée en débit. Reste le problème des financements : comment pouvons-nous investir sans avoir la garantie du versement des subventions ?

Je souhaite aborder également le problème de la téléphonie mobile. Aujourd'hui, la plupart des jeunes ménages ne possèdent plus de ligne fixe, ils n'utilisent que leurs portables. La carte des zones de couverture établie par la préfecture ne reflète pas la réalité et n'est donc pas acceptable en l'état : à la lire, on pourrait penser qu'il n'y a pas de problème. Elle recense 10 communes, alors que près de 270 communes de la Sarthe rencontrent des soucis de réseau mobile ! Il faut absolument pouvoir s'asseoir à une table avec les opérateurs, et leur expliquer concrètement les problèmes rencontrés par la population. Je note également que si nous avons pu évaluer à 400 millions d'euros le coût d'installation du FttH sur le territoire sarthois, personne n'est capable de chiffrer le déploiement d'un réseau 2G ou 3G sur l'ensemble du département...

Notre collègue Michel Vaspart a partagé son expérience du WiMax. Nous aussi, dans la Sarthe, avons essayé. Chez nous aussi, c'est un échec... Je me demande pourquoi on ne peut pas diffuser la 4G à partir des pylônes WiMax, qui sont reliés à la fibre et dans lesquels les collectivités territoriales ont investi. Cela résoudrait à la fois les problèmes de téléphonie mobile et d'internet pour les milieux ruraux. Antoine Darodes nous a indiqué que le problème était complexe, que les pylônes WiMax relevaient du domaine public et n'étaient donc pas mobilisables pour l'installation d'émetteurs d'opérateurs privés. Franchement, tout cela me dépasse !...

M. Rémy Pointereau . - À vous entendre, madame la ministre on dirait que tout va bien. Ce sont des propos qui me choquent ! Notre collègue Evelyne Didier l'a dit : il faut arrêter de nous raconter des histoires. Ce sont toujours les mêmes discours recyclés, les mêmes effets d'annonce, comme le 13 mars dernier lorsque le Premier ministre s'est réjoui de la disparition imminente des zones blanches.

La vérité, c'est qu'il faut des crédits de paiement : sans ça, comment financer les opérations ?

Comme mes collègues, mon département a constaté que WiMax ne fonctionnait pas, pas plus que le réseau satellitaire. La possibilité de disposer d'un accès à internet et au réseau de téléphonie mobile est la première question posée aujourd'hui par les acheteurs potentiels en zone rurale. C'est pour cela que nous avons besoin d'un débit raisonnable, qui permette de charger une page internet.

En 2013, le Cher et l'Indre-et-Loire se sont associés pour travailler sur un appel d'offre numérique commun. L'absence de financements bloque aujourd'hui les projets. Au final, si les collectivités territoriales rurales ne mettent pas la main à la poche, rien ne se passe. J'ai donc du mal à entendre que l'Etat prend en charge l'intégralité du déploiement des réseaux... Dans les agglomérations urbaines, ces coûts sont supportés par les opérateurs. Que fait-on vraiment pour la ruralité ? Disons la vérité ! Et agissons !

M. Hervé Maurey , président . - Je vais donner la parole à madame la ministre pour répondre à cette première série de questions, car elle est ensuite attendue à l'Assemblée nationale. S'il reste du temps, nous prendrons les questions de nos collègues qui ont également demandé la parole.

M. Michel Raison . - Nous pouvons vous fournir un mot d'excuse pour l'Assemblée, Madame la ministre... (Sourires)

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique . - J'ai bien entendu vos doléances, et je souhaite tout d'abord vous rassurer. Les constats que vous avez faits, je les ai faits aussi. L'impatience qui vous anime, je la ressens aussi. Mais nous devons rester réalistes : l'Etat ne peut pas tout faire. Nous avons commencé par doter le plan très haut débit de trois milliards d'euros, cela a été voté lors du projet de loi de finances pour 2015. La moitié de cette somme a déjà été affectée à des projets locaux en cours de développement.

M. Alain Fouché . - Dommage que nous n'ayons pas vu la couleur de cet argent...

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique . - Le montage des dossiers demande un peu de temps. Il faut ensuite laisser aux collectivités le temps d'organiser leur regroupement - je rappelle d'ailleurs que l'Etat a mis en place une prime incitative au regroupement de 10 %, car un marché plus large nous semble le meilleur moyen d'attirer les opérateurs et de leur imposer des standards techniques acceptables.

M. Hervé Maurey , président . - Je me permets de vous interrompre pour appeler votre attention sur un obstacle de taille : créer un syndicat de syndicat pose à l'heure actuelle un problème juridique qui bloque les opérations de regroupement.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique . -Effectivement, nous avons été informés de ce souci, qui devrait être réglé par le projet de loi relatif au numérique. Ce n'est d'ailleurs pas le seul problème : nous recensons actuellement, avec l'aide des autres ministères, l'ensemble des obstacles réglementaires à lever. Par exemple, il est nécessaire d'avoir l'accord du syndic pour installer la fibre dans les immeubles. Cela signifie une convocation de l'assemblée générale, une délibération : c'est lourd et compliqué. En Espagne, le choix a été fait de ne pas demander l'avis du syndic, ce qui accélère grandement le déploiement. Je suis prête à prévoir une disposition similaire dans le cadre du futur projet de loi : j'espère que vous me suivrez !

Outre le montage des dossiers, la carence en ouvriers qualifiés, tant pour la fabrication que pour le déploiement de la fibre, à laquelle la France fait face actuellement, allonge d'autant plus les opérations. La demande est sans précédent dans ce domaine, et nous sommes en train de développer, à travers l'agence du numérique et avec le concours des collectivités territoriales, l'offre de formation, afin de créer une filière industrielle. Là encore, ça avance, mais ce sont de gros chantiers qui demandent du temps.

En ce qui concerne le plan France Très Haut Débit, 50 des 88 départements ayant déposé un dossier de financement ont déjà engagé des travaux. Tout ça est très concret, même si la population ne s'en rend pas compte car elle n'a pas encore physiquement le très haut débit. La machine est en route, elle monte en puissance : ne nourrissons pas l'impatience.

Je souhaite lever l'ambiguïté qui s'est fait jour dans vos propos sur le monde rural : le choix de l'Etat est précisément de concentrer la totalité des investissements publics sur les zones rurales, précisément car l'argent est précieux et qu'il faut en faire le meilleur usage possible. Je tiens à souligner que nous sommes le seul pays européen à faire ce choix. Le seul. La France est un pays de territoires ; c'est notre différence, cultivons-la ! La télémédecine, l' e -éducation, la dématérialisation des services publics : tout cela ne peut qu'aller de pair avec un déploiement du numérique sur tout le territoire. Je suis consciente que la perception, au niveau local, peut être différente, mais notre priorité est bien de concentrer les investissements là où ils sont nécessaires.

M. Jean-François Longeot . - Il faut l'expliquer à la population, car sur le terrain, tout ça est compliqué.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique . - J'ai par ailleurs amplifié la pression sur le dossier auprès de la Commission européenne : j'espère que d'ici la fin de l'année, nous aurons une réponse. Je ne suis pas inquiète, nous avons pris toutes les précautions pour nous assurer de la solidité juridique des dossiers. Nous avons fait le choix d'une notification unique pour tous les dossiers, ce qui a pris du temps, mais cela devrait simplifier la suite des procédures.

M. de Nicolaÿ, d'un point de vue technologique, il n'est pas possible d'utiliser les pylônes WiMax pour diffuser la 4G car cela entraînerait des brouillages. D'où l'importance de faire les bons choix dès le départ.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Ne pourrait-on, dans ce cas, remplacer les pylônes WiMax par d'autres, compatibles avec le haut débit ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique . -Malheureusement non, car pour des raisons techniques, ils ne sont pas situés dans le même type d'endroit.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - En France, tout est toujours impossible...

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique . -  Le WiMax a été un échec retentissant. L'objectif principal du plan France Très Haut Débit est justement d'identifier des solutions pérennes et adaptées à chaque territoire. L'agence du numérique a aussi un important rôle d'expertise, d'accompagnement, et de conseil à mener auprès des collectivités territoriales.

J'ai également entendu votre impatience concernant le comité d'engagement. Je ne vais pas vous apprendre la lourdeur du contrôle budgétaire qui entoure le versement de sommes de cette ampleur.

M. Patrick Chaize . - C'est beaucoup trop long ! J'attends depuis le mois de mai un courrier signé du premier ministre... cela fait déjà cinq mois !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique . -  Je suis consciente que ça ne va pas aussi vite que nous le souhaitons tous ici.

M. Pierre Camani a évoqué le déploiement du réseau 2G. Soyons pragmatiques : un pylône coûte 100 000 euros, l'Etat prend en charge au minimum un tiers de cet investissement, et oblige les opérateurs à s'y installer. S'ils ne le font pas, ils s'exposent à une sanction de l'ARCEP - cela a été voté dans la loi Macron. Pourquoi ne peut-on pas faire pareil pour le THD ? Malheureusement, on est au maximum des contraintes imposables aux opérateurs. Aller au-delà de ce qui existe déjà serait inconstitutionnel. La seule solution que nous ayons trouvée est donc d'encourager des accords de conventionnement et la mutualisation des réseaux entre les opérateurs, le cas échéant en constant une carence des opérateurs pour permettre aux collectivités de déployer.

Vous m'avez également interpelée sur le recensement. A priori, toutes les informations nous ont été remontées par les préfectures de région. Si certaines communes sont en retard, ce n'est pas grave : la date fixée n'est pas un ultimatum.

M. Hervé Maurey , président . - Mais comment le recensement a-t-il été effectué ? Sans polémique aucune, tout cela est très mystérieux.

M. Patrick Chaize . - Il n'y a eu aucune communication ! Même en tant que maire, je n'ai pas été averti.

M. Pierre Camani . - Je confirme !

M. Hervé Maurey , président . - Il aurait pourtant été possible de consulter les unions des maires, les EPCI, les départements...

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique . - Je prends note et je transmettrai. Je suis surprise car ma demande aux préfets stipulait que le recensement devait faire l'objet d'une bonne information auprès des communes, et que les données devaient remonter directement du terrain.

Je terminerai en réaffirmant une vérité à laquelle je tiens beaucoup - j'ai d'ailleurs fait particulièrement attention à ce que ni le Président de la République, ni le Premier ministre, n'en fassent une promesse : nous ne pourrons pas couvrir l'ensemble du territoire français en 2G. Cela peut être frustrant, mais il faut le dire, car sinon le risque déceptif est immense. Nous mettrons fin aux zones blanches et à l'absence de 3G, oui, mais selon le critère de couverture du centre-bourg. Nous ne pouvons pas promettre plus.

Je suis désolée de ne pouvoir rester plus longtemps. Si vous le souhaitez, je reviendrai.

M. Hervé Maurey , président . - Merci, madame la ministre, pour vos réponses.

II. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 25 novembre 2015, la commission a procédé à l'examen du rapport du groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire.

M. Hervé Maurey , président. - L'ordre du jour appelle l'examen du rapport du groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire.

Je devais présenter ce rapport avec Patrick Chaize. Nous en sommes en effet les co-rapporteurs. Toutefois, Patrick Chaize étant absent à la suite d'un deuil dans sa famille, je le présenterai seul.

Je remercie les membres du groupe de travail, qui comprend Mmes Bouchart, Didier, Billon, MM. Chaize, Camani également vice-président - Roux, de Nicolaÿ, Bignon, Longeot et Pointereau, pour leur participation à nos travaux.

Le groupe de travail a été mis en place en mars 2015 afin de faire un point d'étape sur la feuille de route du Gouvernement sur le numérique de février 2013 et sur le plan « France très haut débit ».

Nous avons procédé à une bonne vingtaine d'auditions et nous sommes déplacés dans la Manche. Nous avons dressé un constat et formulé des propositions.

L'objectif du Gouvernement est que la totalité de la population française soit couverte en très haut débit en 2022, et que 80 % de cette population le soit par la fibre optique de bout en bout (FttH).

Le Gouvernement a également fixé pour objectif intermédiaire un taux de couverture de la population de 50 % à l'horizon 2017.

Autre objectif : toute la population doit être couverte en haut débit de qualité en 2017, à un niveau de 3 mégabits par seconde, qui constitue le minimum pour bénéficier de connexions correctes, sans pour autant accéder à la télévision.

Je vous rappelle que le déploiement repose d'une part sur une zone d'initiative privée - choix du Gouvernement Fillon, confirmé par l'actuel Gouvernement - qui représente 53 % de la population et seulement 10 % du territoire, d'autre part sur une zone d'initiative publique (RIP) regroupant 47 % de la population et 90 % du territoire.

Le coût global de ce chantier est estimé par le Gouvernement à 20 milliards d'euros, dont 6 milliards d'euros pour la partie privée et 14 milliards d'euros pour le déploiement public, pour lequel l'État a prévu d'apporter 3,3 milliards d'euros.

Aujourd'hui, on observe que le déploiement progresse. 44 % des logements sont éligibles au très haut débit - ce qui ne veut pas dire qu'ils sont connectés.

C'est une situation en trompe-l'oeil pour deux raisons. En premier lieu, le Gouvernement a considéré que le très haut débit commençait à partir de connexions de 30 mégabits par seconde, alors que, jusqu'à présent, on considérait plutôt que le très haut débit débutait à 100 mégabits par seconde. Il est certain que si l'on baisse le seuil, les résultats sont différents.

Par ailleurs, la plupart de ces connexions se font aujourd'hui sur une technologie autre que la fibre, grâce à la rénovation du réseau en cuivre d'Orange, ou la modernisation du réseau câblé, avec l'alliance SFR-Numéricable.

En matière de fibre optique, seuls 11,3 % de la population sont éligibles. En 2012, et même avant, sous le Gouvernement Fillon, on considérait que très haut débit et fibre étaient synonymes. Dans les faits, les choses ont évolué.

Aujourd'hui, seuls 12,5 % des logements sont abonnés au très haut débit, quelle que soit la technologie. On observe en outre que le déploiement du très haut débit se fait essentiellement en zones très denses, dans les villes, là où les opérateurs peuvent trouver une certaine profitabilité.

On peut penser que l'objectif de 50 % de la population en 2017 a des chances d'être atteint, mais on est en revanche plus inquiet et plus dubitatif - pour rester modéré dans mes propos - sur le fait de tenir l'objectif de 100 % en 2022. Même si l'on parvient à 50 % en 2017, le reste se situera dans les zones rurales et périurbaines. Or, on sait que ce sera beaucoup plus difficile et plus coûteux.

Comme sous la précédente majorité, l'État se contente d'apporter son financement dans des conditions qui ne sont pas aussi satisfaisantes qu'on le prétend. On affiche que 3,3 milliards d'euros ont été inscrits au budget. Pour l'instant, il s'agit de 900 millions de crédits, et les dossiers s'amoncellent au Fonds national pour la société numérique (FSN).

Le document que j'ai en main a été rendu public par l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (AVICCA), sur lequel est indiqué que soixante-seize projets ont été déposés, pour un investissement total de 11 milliards d'euros. Or, à ce jour, l'État a décaissé 18 millions d'euros !

Il est donc parfois agaçant d'entendre le Gouvernement faire de l'autosatisfaction, alors que si peu de dossiers ont obtenu des financements.

Par ailleurs, l'État n'accompagne pas comme on le souhaiterait les porteurs de projets, des réseaux d'initiatives publiques (RIP). En particulier, il ne leur apporte aucune aide à la décision en matière de choix technologiques. Or, ceux-ci sont souvent très complexes, et peuvent conduire les collectivités à ne pas faire forcément les bons arbitrages.

Quant aux opérateurs, on est à peu près dans la même situation qu'il y a quelques années, ceux-ci étant peu ou pas contrôlés par l'État. Même lorsqu'ils ont déclaré des intentions de déploiement, rien ne garantit qu'ils le fassent. Or le seul fait qu'ils envisagent de déployer dans certaines zones empêche les RIP de le faire. Cette sorte de préemption ne lie pas les opérateurs privés, mais bloque la puissance publique.

Enfin - et c'est un vrai scandale - les RIP sont obligés de déployer des réseaux qui coûtent très cher, où les opérateurs ne viennent pas.

Face à cela, les RIP sont confrontés à des choix complexes, à des investissements importants, qu'ils doivent assumer compte tenu de la forte baisse des dotations, et à des financements à venir, longs et incertains.

Pour l'instant, je rappelle que seulement 900 millions d'euros sont inscrits par rapport aux 3 milliards d'euros qui ont été promis. Or, le FSN ne court que jusqu'en 2020.

Enfin, les RIP sont aussi confrontés à des attentes très fortes des élus locaux et des citoyens.

La question du haut débit n'est donc pas réglée ; aujourd'hui, plus d'un Français sur dix ne dispose pas d'un débit supérieur à 3 mégabits par seconde. Dans la feuille de route du Gouvernement, il était prévu que cette couverture serait assurée en 2017, comme le Sénat l'avait d'ailleurs voté dans une proposition de loi en 2012. Force est de constater que les choses ont peu évolué.

Quant à la couverture en téléphonie mobile, les chiffres officiels, qui sont selon moi très en deçà de la réalité, signalent plusieurs centaines de communes privées de 2G et encore plus de 3G, les opérateurs n'ayant pas tenu leurs engagements. Pour ce qui est du déploiement de la 4G, il exclut près de 70 % du territoire.

Je me réjouis que le Gouvernement, dans la loi Macron, ait ouvert à nouveau le dossier - mais j'y reviendrai dans les propositions. Il faut vraiment que ce qui est inscrit dans la loi Macron puisse être mis en oeuvre. Je n'insiste pas plus à ce stade.

Il est vrai que, par rapport au réseau fixe, la qualité varie d'un à cent. Certains bénéficient déjà de 100 mégabits par seconde, alors que d'autres n'ont même pas 1 mégabit par seconde. Pour ce qui est de la téléphonie mobile, certains territoires et certains citoyens n'ont même aucune connexion quand d'autres bénéficient aujourd'hui de la 4G + et demain de la 5G.

Face à ce constat, nous avons souhaité faire des propositions qui, sans remettre en cause tout ce qui a été décidé, ce qui serait contre-productif, améliorent le dispositif et fassent en sorte que les engagements soient respectés afin d'éviter de nouvelles désillusions, comme le souligne le titre de ce rapport. Rien n'est pire, en matière d'action publique, que d'annoncer des choses et de ne pas tenir les promesses. L'objectif est donc de tenir vraiment les engagements qui ont été pris par les uns et les autres - État, opérateurs, collectivités.

Nous souhaitons tout d'abord que le Parlement soit davantage associé aux choix structurants en matière de couverture numérique. Toutes les décisions qui ont été prises par les gouvernements successifs ces dernières années concernant le déploiement du très haut débit l'ont été sans que le Parlement soit associé. Pire, la loi Pintat, votée en 2009, est restée inappliquée, le Gouvernement n'ayant pas pris les décrets d'application concernant la mise en place du Fonds d'aménagement numérique des territoires.

L'engagement de créer une agence publique dédiée au pilotage et composée de l'État, des collectivités et des opérateurs, comme cela avait été annoncé par l'actuel Gouvernement, n'a pas été non plus respecté, l'Agence du numérique étant une structure purement administrative rattachée à Bercy.

Nous avons orienté nos propositions autour de cinq axes.

Le premier a trait au respect des engagements pris par les opérateurs qui, aujourd'hui, ne les lient en rien. Nous demandons en conséquence que, dès 2016, on écrive aux opérateurs pour demander s'ils confirment ou non leurs engagements. Si c'est le cas, nous demandons une véritable contractualisation, avec un échéancier, des pénalités et des sanctions en cas de non-respect.

M. Jean-Jacques Filleul . - La loi Macron prévoit des pénalités !

M. Hervé Maurey , président. - Non, la loi Macron ne prévoit rien en matière de très haut débit fixe, mais uniquement en matière de téléphonie mobile.

La seconde proposition de cet axe consiste à veiller au principe de complétude dans les zones moins denses, et de renforcer le suivi de l'État et du régulateur sur cette couverture, afin d'éviter toute hétérogénéité et tout mitage.

Deuxième axe : renforcer le soutien aux collectivités territoriales et à leurs délégataires. Nous demandons que soit pérennisé et renforcé le subventionnement de l'État par la mise en place du Fonds d'aménagement numérique des territoires créé par la loi de 2009. J'avais été nommé parlementaire en mission en 2010. Nous avions fait des propositions pour alimenter ce fonds.

La création d'une contribution de solidarité numérique a été plusieurs fois proposée dans les débats budgétaires, aussi bien par la droite que par la gauche, avant qu'on ne nous oppose l'article 40.

Cinquième proposition : permettre de fédérer les RIP en matière de commercialisation. S'ils pouvaient se regrouper avec les opérateurs publics, ils seraient alors plus forts. Aujourd'hui, un opérateur peut se désintéresser d'un département, mais ce sera beaucoup plus difficile d'adopter la même attitude vis-à-vis d'une région et, a fortiori , d'une grande région.

Nous proposons également de garantir aux collectivités la possibilité d'adapter la commercialisation et la tarification afin de rendre les réseaux attractifs. Dans la loi Macron, on a approuvé des lignes directrices adoptées par l'ARCEP qui cadrent la commercialisation. Nous souhaitons que ces lignes ne soient pas trop rigides, dans l'intérêt des RIP : pourquoi pas, sur une période de démarrage du réseau, ne pas recourir à des tarifs attractifs ?

La dernière proposition en ce domaine ne plaira pas aux opérateurs - mais je ne pense pas que l'on soit là pour leur faire plaisir. Il faut faire en sorte que les opérateurs utilisent les réseaux déployés par les collectivités, dès lors que leur qualité technique aura été certifiée. L'argument des opérateurs est actuellement de dire que le réseau est de mauvaise qualité technique. Ce n'est pas compliqué d'avoir un organisme indépendant certifiant le réseau, pour demander ensuite aux opérateurs de l'utiliser !

Troisième axe : rendre l'environnement technologique et technique plus favorable au déploiement de la fibre. Il faut d'abord que l'on réaffirme que l'objectif final reste la fibre ; on sait très bien que c'est elle qui permettra le plus de débit. Je ne suis pas opposé à une montée en débit qui permette, dans un premier temps, d'apporter des solutions aux territoires, mais on sait que ces solutions, qui sont aujourd'hui satisfaisantes, ne le seront pas demain. Il faut donc rappeler - et le Gouvernement est sur cette position - que la montée en débit n'est qu'une étape et qu'il convient de vérifier dans le financement que c'est bien le cas, sauf situation technologiquement ou financièrement déraisonnable, voire dans laquelle il est impossible de recourir au FttH.

La proposition suivante consiste à sécuriser les opérations de montée en débit sur cuivre. Il s'agit de problèmes juridiques que l'on connaît bien, notamment en matière de droit européen. Il faut essayer de s'occuper de ces choses-là très en amont. Aujourd'hui, le financement de la montée en débit est en effet largement bloqué par un recours devant les institutions européennes. Ce sont des questions qu'il conviendrait de traiter en amont, avant l'achèvement de certains déploiements.

La proposition suivante a pour but de faciliter l'accès des collectivités territoriales aux infrastructures existantes. Aujourd'hui, l'État demande que les RIP, en matière de collecte, utilisent les réseaux existants et n'en créent pas de nouveaux. Il est très compliqué pour les collectivités qui déploient leur réseau d'avoir accès au réseau d'Orange. Soit ils n'ont pas d'information, soit ils n'ont aucune garantie sur la tarification qui leur sera appliquée, et qui n'est pas réglementée.

Il convient donc de faciliter l'accès technique, ainsi que l'information sur la tarification présente et surtout future.

Nous proposons également de basculer la zone cuivre sur la fibre optique. Tout le monde est d'accord pour estimer qu'il ne peut y avoir, à terme, un réseau cuivre et un réseau fibre.

Nous partageons, Patrick Chaize et moi, la même position et estimons que les propositions du rapport Champsaur sont très modestes. Nous pensons qu'il conviendrait de mener l'expérimentation en zone rurale. L'expérimentation qui a été menée jusqu'à présent l'a été à Palaiseau, qui ne constitue pas vraiment une zone rurale.

Cette expérimentation permettrait de dégager d'autres problématiques et de mettre en place un dispositif plus volontariste, qui ne laisse pas la main à l'opérateur historique. Celui-ci bénéficiant de la rente cuivre, l'idée ne nous paraît en effet pas la meilleure qui soit.

Quatrième axe : je crois qu'il faut que nous allions rapidement vers le haut débit, qui a été promis par le Gouvernement, et qu'on peut y contribuer, notamment avec le dispositif de financement mis à disposition des RIP. Peut-être pourrait-on inciter à apporter en priorité un minimum de débit aux zones qui n'en ont pas du tout.

Autre proposition : accélérer le raccordement des sites stratégiques pour les territoires par un meilleur subventionnement.

J'en viens au cinquième et dernier axe qui traite de la téléphonie mobile.

La première proposition a déjà été formulée dans cette maison et a même été votée dans le cadre de la proposition de loi du Sénat ; elle consiste à modifier les critères et les mesures de la couverture qui, aujourd'hui, ne correspondent plus aux usages, et à réduire le délai de couverture de la population en 4G, fixé en 2027. La 4G peut également apporter des solutions en matière d'accès fixe. Il faut donc l'accélérer.

Dernière proposition en matière de téléphone mobile : il faut vraiment, je le dis sans aucun esprit polémique, faire en sorte que ce qui est dans la loi Macron puisse s'appliquer, sans quoi nous allons encore avoir de grandes déceptions. Or, j'ai déjà des inquiétudes quand je vois, dans le département dont je suis élu, la manière dont on recense les communes qui ont des problèmes de couverture.

Dans mon département, le secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR) a sorti une liste sans consulter personne ; il arrive à sept sites qui n'ont pas de 2G, alors que le département en comptabilise cent et en dénombre deux fois plus en ce qui concerne la 3 G.

La vérité est peut-être entre les deux, mais si on se contente de dire qu'on a fait un recensement exhaustif et que ce n'est pas la réalité, on créera encore des frustrations.

Il faut réaliser ce recensement et être capable de mettre une vraie pression sur les opérateurs. Emmanuel Macron a l'air d'accord et j'espère qu'il le fera.

Dernière proposition : aborder, dans une approche intégrée, la question des réseaux fixes et mobiles. On sait que la 4G est faite pour la téléphonie mobile, mais cela peut aussi apporter une solution à l'Internet fixe.

On a souvent, dans nos collectivités, une structure qui s'occupe de l'Internet fixe tandis qu'une autre traite de la téléphonie mobile. Il faut que tous travaillent en bonne cohérence.

En conclusion, notre rapport n'est pas un rapport à charge. Il correspond à la réalité. Nous avons opté pour une approche pragmatique en examinant l'état de la couverture numérique sans oeillères. Pierre Camani, qui participait à la réunion conclusive du groupe de travail, s'est reconnu dans beaucoup de choses que nous avons dites.

Beaucoup de dispositions figuraient déjà dans la proposition de loi que le Sénat, et notamment l'opposition socialiste et communiste de l'époque, a votée.

Nous sommes tous d'accord pour dire que le numérique est un élément essentiel pour l'aménagement du territoire. Il faut qu'il soit considéré comme une priorité et tout faire pour que ce qui a été promis par le Gouvernement soit réalisé ; dans le cas contraire, non seulement nous assisterons à de nouvelles désillusions, mais ceci ne facilitera pas le développement de nos territoires ruraux, au contraire.

M. Pierre Camani . - Merci pour cette présentation. C'est un travail très intéressant qui a été réalisé, et nous pouvons nous retrouver sur la plupart des propositions.

Je ne suis toutefois pas d'accord avec le constat, point sur lequel nous avons déjà échangé avec le président.

On peut considérer que la bouteille est à moitié vide ou à moitié pleine. Moi, je la vois plutôt à moitié pleine.

Dans le plan très haut débit, contrairement à ce qu'a dit le président, une agence a été créée pour soutenir les collectivités qui investissent. Un référentiel national se met en place pour éviter tous ces problèmes techniques. Le très haut débit est une technologie extrêmement complexe, mais essentielle. C'est pour moi un enjeu majeur en termes d'aménagement du territoire.

Les territoires ne peuvent vivre que s'ils sont bien irrigués par les routes, par le ferroviaire et par le très haut débit. Celui-ci risque même de passer devant les autres infrastructures. Dans certains territoires ruraux éloignés des grandes infrastructures de communication, disposer du très haut débit permet le développement et l'accueil d'entreprises travaillant dans le secteur des nouvelles technologies.

S'agissant des crédits, le Gouvernement a mis en place, dans le cadre du plan très haut débit, un modèle de financement. Certes, ces crédits ne sont pas consommés car nous connaissons quelques retards dans l'instruction des dossiers.

Quatre-vingts dossiers sont déposés et instruits. Dans notre pays - ce n'est pas nouveau - les choses mettent malheureusement toujours bien plus de temps à avancer que ce que l'on souhaiterait. Un problème avec la Commission européenne concernant le financement de la montée en débit sur cuivre a freiné ces dossiers. Selon Bercy, avec qui j'en ai discuté il y a peu, les autorisations sont accordées. On ne peut comparer les 3 milliards d'euros d'engagements de l'État aux 18 millions d'euros décaissés. Vous savez bien que les collectivités n'attendent pas que les crédits soient décaissés pour investir.

La position de l'Union européenne doit donc nous rassurer, certains plans de déploiement reposant sur la montée en débit sur cuivre. Il faut y rester attentif et disposer de solutions rapides.

Le choix du mix technologique est un choix de bon sens. Il s'agit d'un double choix associant le déploiement décentralisé et le mix technologique car, même si l'objectif reste la fibre dans chaque foyer, c'est quasiment impossible dans un délai tenable.

Il est donc important que les citoyens disposent du haut débit et que les entreprises puissent compter sur le très haut débit. Il faut arriver à offrir le haut débit très rapidement aux territoires, même les plus reculés, de manière à pouvoir déployer la fibre optique plus sereinement.

Dans mon département, on a à la fois la malchance et la chance de bénéficier d'un réseau WiMAX. C'était une malchance hier, c'est devenu une chance aujourd'hui, car on va pouvoir faire de la montée en débit hertzienne en bas débit, et offrir 6 mégabits par seconde, 10 mégabits par seconde et 20 mégabits par seconde pour un coût très modique, en utilisant les infrastructures existantes. Cela va nous permettre de déployer la fibre optique plus posément, le plan national étant un plan à dix ans, tout comme les plans départementaux.

L'État organise et structure. L'objectif de la ministre est de faire en sorte que tous les départements aient déposé un dossier cette année. Dès lors, on peut penser que les choses vont se faire.

Quant aux propositions, je suis globalement assez d'accord sur le respect des engagements pris par les opérateurs. Il faudra que le Gouvernement et nous-mêmes soyons plus précis sur ce point, et que l'on y associe davantage les départements.

Veiller au principe de complétude dans les territoires est important par rapport aux opérateurs. Nous sommes nombreux à partager l'idée d'un soutien aux collectivités, d'une mise en place d'une contribution de solidarité numérique et d'une taxe sur l'abonnement, même si elle a été rejetée hier soir en séance, après que Patrick Chaize a proposé un amendement instituant une taxe de 75 centimes sur les abonnements pour permettre de financer le déploiement du très haut débit.

Il est vrai que le contexte ne s'y prête pas trop mais, sur le fond, il faut avoir une véritable réflexion. Le financement de l'électrification, dans notre pays, a reposé sur une taxe, et cela a très bien fonctionné. À terme, il faudra trouver une solution de ce type, d'autant qu'il s'agit d'un service dont le coût diminue de manière extraordinaire depuis des années.

Ajouter une taxe à un service onéreux est toujours compliqué, mais dans ce cas, la concurrence faisant baisser le prix des abonnements, on pourrait avoir un débat.

Il est très important que les opérateurs utilisent les réseaux des collectivités. Il faut arriver à l'imposer, mais il convient également que les collectivités puissent utiliser les réseaux des opérateurs. Dans mon département - ce qui contredit la position du président - on a réduit la taille des réseaux de collecte à la demande de l'agence de très haut débit, un réseau de collecte Orange existant et l'État ne subventionnant pas les endroits où il en existe déjà un. Le problème vient du fait qu'Orange ne met pas celui-ci facilement à disposition.

M. Hervé Maurey , président. - Je n'ai pas dit le contraire !

M. Pierre Camani . - Il faut donc encadrer cet aspect des choses, sécuriser les opérations de montée en débit sur cuivre. Il va falloir que nous soyons très précis. Beaucoup de collectivités les financent, tout en n'étant pas propriétaires. C'est un investissement qui est perdu pour une part.

Sécuriser les opérations de montée en débit sur cuivre signifie pouvoir utiliser ce dernier pour aller à terme vers le FttH, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Quant à la téléphonie mobile, je vous remercie d'avoir salué les mesures prises dans la loi Macron. Il faudra veiller à ce qu'elles s'appliquent, mais c'est une belle avancée !

Mme Évelyne Didier . - On est ici typiquement dans une politique d'aménagement du territoire, et qui dit aménagement du territoire, notion définie il y a bien longtemps, dit le même service pour tous ou, en tout cas, l'accès au même service pour tous sur tout le territoire.

Cela nécessite obligatoirement des objectifs nationaux, afin qu'il y ait égalité des citoyens.

Cela signifie également un réseau. On a déjà évoqué le réseau EDF, le réseau ferroviaire ; aujourd'hui, le réseau est nécessaire pour amener ce débit un peu partout.

Les objectifs nationaux n'empêchent pas une mise en oeuvre locale. On est pour ou on est contre, mais notre pays est maintenant géré dans le cadre de la décentralisation. Toute la question est de trouver le bon niveau. En tout état de cause, réseau veut dire maillage, et un maillage suffisamment fin pour irriguer l'ensemble du territoire.

Imaginez votre réseau sanguin, censé irriguer tout votre corps, auquel on aurait retiré peu à peu les capillaires ! C'est exactement ce qui risque d'arriver. C'est une comparaison qu'il faut avoir à l'esprit.

Maillage et réseaux vont, quoi qu'il en soit, avec service public et intérêt général. Si on n'est pas capable de lier toutes ces notions à celle d'aménagement du territoire, on n'a pas vraiment compris ce que cela signifie.

Aujourd'hui, nous sommes davantage dans la délégation de service public, où l'on a fixé également des objectifs aux opérateurs privés. Toutefois, ceux-ci ne jouent pas le jeu. On l'a vu avec SFR-Numéricable, qui avait pris des engagements et signé un conventionnement, et qui n'a pas honoré cette convention. Qu'est-ce que cela veut dire ? On ne peut pas appuyer une politique de service public sur des opérateurs malhonnêtes ou qui, lorsqu'ils changent de propriétaire, changent d'avis !

Il faut arriver à garantir le conventionnement au-delà du changement de propriétaire ou d'actionnaires. Dans le cas contraire, on ne peut confier une mission de service public à des opérateurs privés : ils auront toujours des intérêts supérieurs qui ne sont pas les nôtres. Un des défis sera donc celui-là.

Vous connaissez mon point de vue : je souhaiterais que l'on revienne au service public et à l'opérateur public mais, si ce n'est pas la volonté de la majorité, on doit s'interroger, en tant que parlementaire et défenseur de l'intérêt général, sur notre capacité à imposer des missions de service public aux opérateurs.

Cela me semble être l'enjeu, et je souhaiterais, si c'est possible, que ce soit intégré davantage dans le rapport, si les rapporteurs en sont d'accord. Nous sommes là pour défendre l'intérêt général, il ne faut jamais l'oublier.

M. Gérard Miquel . - Je me réjouis des dernières évolutions qui nous permettent aujourd'hui d'avoir une vision plus nationale et une meilleure coordination. L'exemple qu'a donné Pierre Camani est intéressant. Nous n'avons pas toujours maîtrisé les évolutions technologiques, qui ont été très rapides. Nous avons créé des réseaux dans nos collectivités. On y mettait de la fibre. Orange en avait un à côté, mais on ne pouvait pas l'utiliser. C'était redondant. Orange nous a longtemps expliqué que ce n'était pas la peine de réaliser ces réseaux, qu'ils le faisaient eux-mêmes très bien. En fait, Orange désirait conserver une situation de monopole.

Aujourd'hui, les choses sont mises à plat et on dispose d'un cadre. Les dossiers remontent ; ils vont être instruits le plus rapidement possible je l'espère, et tous les départements de France, dans quelque temps, verront leurs dossiers bien ficelés.

Il ne faut toutefois pas oublier qu'il existe un lien fort entre haut débit, très haut débit et téléphonie mobile, certains territoires n'étant toujours pas couverts, surtout dans des configurations accidentées, comme dans certains départements de France. On doit donc à présent travailler sur ce point de façon plus efficace.

Certes, il faudra des moyens, mais on a au moins un cadre qui nous permet d'avancer dans cette direction. Vous l'avez fort bien dit : la mise en place du très haut débit est nécessaire dans une politique d'aménagement du territoire bien comprise. C'est le défi devant lequel nous sommes placés : les territoires qui en seraient exclus seraient en perdition.

On doit oeuvrer tous ensemble dans cette direction, afin de desservir nos territoires dans leur totalité.

Mme Annick Billon . - Je pense qu'il ne faut pas manquer le développement numérique, nécessaire au développement économique des territoires, comme peuvent l'être les réseaux routier ou ferroviaire.

Les nouvelles technologies avancent très vite, et les élus n'ont pas tous le même degré de connaissance par rapport à ce sujet. Les techniciens sont des opérateurs privés qui placent leurs produits.

On est donc confronté à des difficultés. Les opérateurs privés engagent les collectivités à enfouir des fourreaux dès que des voies publiques sont refaites, et finissent par réaliser une installation aérienne. On n'a pas assez de communication institutionnelle dans ce domaine. Je ne suis personnellement pas ingénieure et on aurait besoin de disposer de bonnes informations, qui ne viennent pas uniquement des opérateurs privés.

M. Hervé Maurey , président. - En bon spécialiste du sujet, Pierre Camani a dit beaucoup de choses. Je le remercie pour le soutien qu'il apporte globalement aux propositions émises par le groupe de travail.

Pour ce qui est du constat, j'essaie d'être, comme toujours, le plus objectif possible. Sur ce sujet, mes positions n'ont jamais changé. Je n'ai pas prétendu que ce qu'avait fait le gouvernement Fillon en la matière était très bien, pas plus que je ne dis que ce qui est fait aujourd'hui est très bien - ni même très mal.

Vous disiez que le déploiement du très haut débit était essentiellement dû au rôle de l'État ; pour l'instant, ce n'est pas le cas : les chiffres montrent en effet que les 13 millions de prises à très haut débit relèvent aujourd'hui à 79 % de l'initiative privée. C'est d'ailleurs logique, les projets des RIP étant plus longs à parvenir à maturité.

S'agissant de l'instruction des dossiers, je veux bien que l'on dise que c'est toujours un peu long en France, mais certains dossiers traînent depuis plus de deux ans !

M. Pierre Camani . - Ce n'est pas nouveau !

M. Hervé Maurey , président. - Je ne dis pas que c'est nouveau, mais c'est un fait, et des délais aussi longs sont assez rares.

Vous dites que les départements n'attendent pas pour engager le déploiement mais, en attendant, ce sont eux qui assurent la trésorerie - et ce ne sont pas de petites sommes. Je ne vais pas revenir sur les difficultés des collectivités locales, mais ce n'est pas évident s'agissant d'investissements de cette nature.

Vous avez par ailleurs évoqué le WiMAX. Cela démontre bien la difficulté pour les collectivités de faire les bons choix technologiques.

Je ne jette la pierre à personne, mais cela me permet de souligner que, quels que soient les gouvernements, l'État n'apporte malheureusement pas d'aide à la décision pour que les collectivités sachent quelles sont les bonnes technologies.

Vous n'êtes pas satisfait du WiMAX, mais vous êtes convaincu que ce sera mieux pour l'avenir. Certains départements disent l'inverse et n'en veulent pas pour le très haut débit !

Qui a raison sur le fond ? Cela montre bien la difficulté de savoir, lorsqu'on doit faire un mix technologique, jusqu'où placer le curseur. Quelles technologies alternatives mettre en oeuvre ? J'aimerais qu'une structure d'État puisse apporter une expertise.

Concernant la contribution de solidarité numérique, il faudra y venir, d'autant qu'il existe en France des abonnements bien plus faibles qu'ailleurs. Cela pourrait donc être supportable.

L'objectif de la montée en débit, dès lors qu'elle est financée par la puissance publique, pose question, l'argent public venant financer un réseau privé, ce qui est contraire à toutes les règles de droit. Pour Orange, c'est dérogatoire du droit commun.

Le minimum est que l'on puisse réutiliser une partie de la fibre qu'on apporte pour la montée en débit dans le déploiement du très haut débit par fibre. On espère des taux de 70 %.

S'agissant du travail de M. Macron, je salue bien volontiers celui-ci ; je l'ai fait dans l'hémicycle et je peux le refaire tout de suite, mais force est de constater qu'il a repris des choses que nous demandons depuis très longtemps. Celles-ci figuraient dans la proposition de loi que le Sénat a votée en février 2012, et qui a été rejetée par l'Assemblée nationale en octobre 2012, à la demande du Gouvernement. M. Macron ne faisait certes pas partie du gouvernement à l'époque, mais il s'agissait de la même majorité.

Mme Didier a estimé que les objectifs que l'on fixe aux opérateurs privés ne sont pas tenus. On ne leur en fixe même pas : ils font ce qu'ils veulent ! Le conventionnement n'est même pas général. En cas de convention, les engagements qui ne sont pas tenus devraient être sanctionnés, mais ce n'est pas le cas.

Vous aimeriez que l'on impose des missions de service public aux opérateurs : c'est ce que je demande depuis toujours. J'ai encore dit hier soir, lors de la défense d'un amendement sur la majoration de la taxe Copé, que je préférerais qu'on arrête de taxer les opérateurs et qu'on leur fixe des obligations. Je suis donc tout à fait en phase avec vous. Il est d'ailleurs précisé dans le rapport que la somme des intérêts commerciaux des opérateurs ne fait pas l'intérêt général.

Je partage, comme toujours, l'avis de M. Miquel.

Mme Billon évoque enfin des sujets très compliqués. Très souvent, même quand on croit connaître la question, on ne sait pas quoi faire. Quelle est aujourd'hui la bonne technologie pour compléter le déploiement de la fibre ? Même quand vous êtes aux responsabilités, il n'est pas évident de répondre. La preuve : toutes les collectivités n'opèrent pas les mêmes choix.

Quand on s'adresse à des publics un peu moins avertis, à commencer par nos maires, c'est très compliqué. Ils mélangent tout, entre fixe, mobile, réseau Orange, réseau RIP. Ils sont perdus, et il faut essayer, à nos niveaux, de faire de la pédagogie.

Voilà ce que je crois pouvoir répondre aux différentes interventions.

Il faut à présent que vous autorisiez la publication du rapport. Tout le monde est-il d'accord ? Il en est donc ainsi décidé.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Jeudi 19 mars 2015 :

- Mission France Très haut débit : MM. Antoine Darodes , directeur, et Louis Fleuret , chargé de mission.

Jeudi 9 avril 2015 :

- Autorité de régulation des communications électroniques et postes (ARCEP) : MM. Sébastien Soriano , président, Benoît Loutrel , directeur général, et François Philipponneau , conseiller du président ;

- IDATE : M. Pierre-Michel Attali , directeur de l'unité Territoires numériques ;

- Objectif fibre : MM. Jean-Pierre Bonicel , président, et Pierre-Yves Lavallade , secrétaire général.

Jeudi 16 avril 2015 :

- Fédération des industriels des réseaux d'initiative publique (FIRIP) : MM. Etienne Dugas , président, Jean-Christophe Nguyen Van Sang , délégué général, et Pascal Caumont , président de la commission Opérateurs de proximité.

Mercredi 6 mai 2015 :

- Mission sur la transition vers les réseaux à très haut débit et l'extinction du réseau de cuivre : M. Paul Champsaur , président, Mme Faustine Antoine , chef de l'unité fibre optique à la direction de l'accès fixe et des relations avec les collectivités territoriales de l'ARCEP, et MM. Romain Delassus , chargé de mission coût et tarifs à l'ARCEP, et Gabriel Ferriol , conseiller référendaire à la première chambre de la Cour des comptes ;

- TACTIS : M. Stéphane Lelux , fondateur et président.

Mercredi 13 mai 2015 :

- Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) : MM. Marc-Etienne Pinauldt , directeur du développement des capacités des territoires, et Marc Laget , responsable aménagement numérique des territoires.

Mercredi 20 mai 2015 :

- Orange : MM. Pierre Louette , directeur général adjoint, et Laurentino Lavezzi , directeur des affaires publiques, et Mme Florence Chinaud , directrice des relations institutionnelles ;

- Fédération française des télécoms (FFT) : MM. Yves Le Mouël , directeur général, et Alexandre Galdin , responsable des études économiques et affaires parlementaires.

Jeudi 21 mai 2015 :

- ACOME : M. Jacques de Heere , président-directeur général.

Jeudi 28 mai 2015 :

- Association française des utilisateurs de télécommunications (AFUTT) : M. Alain Lenoir , vice-président.

- Iliad-Free : Mme Ombeline Bartin, responsable des relations institutionnelles, et M. Laurent Laganier , directeur des affaires réglementaires ;

- Caisse des dépôts et consignations : Mme Gabrielle Gauthey , directrice des investissements et du développement local, M. Christophe Genter , chef du service financement infrastructures et services numériques, et Mme Brigitte Laurent , directrice des relations institutionnelles.

Jeudi 25 juin 2015 :

- Bouygues Telecom : M. Didier Casas , secrétaire général et porte-parole ;

- Numericable-SFR : MM. Jérôme Yomtov , secrétaire général, et Thomas Puijalon , responsable des affaires publiques ;

- Eutelsat : M. Bruno Jambon , directeur commercial Internet par satellite grand public France, et Mme Alexandra Pocholle , responsable des relations institutionnelles France ;

- UFC-Que choisir : M. Antoine Autier , chargé de mission technologies de l'information et de la communication.

Jeudi 2 juillet 2015 :

- Axione : MM. Pierre-Eric Saint-André , directeur général, et Eric Jammaron , directeur général délégué ;

- Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) : MM. Gilles Quinquenel , premier vice-président du syndicat mixte Manche, et Jean-Luc Sallaberry , chef du département numérique ;

- Covage : MM. Pascal Emond , directeur commercial et développement, et Clément Verhille , directeur des concessions.

Mardi 29 septembre 2015 :

- Direction générale des entreprises (DGE) : Mme Cécile Dubarry , chef du service Economie numérique, et M. Antoine Darodes , directeur de l'Agence du numérique.

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Lundi 22 juin 2015 :

Déplacement dans le département de la Manche.

- présentation de la Société ACOME par MM. Jacques de Heere , président-directeur général, Jean-Luc Rochefort , directeur de recherche et d'établissement, et Marc Busnel , directeur branche data télécom et infrastructures, suivie d'une visite de l'usine ;

- présentation de l'action de Manche numérique par MM. Serge Deslandes , président du syndicat mixte, Roland Courteille , directeur, et Morgan Hervé , directeur adjoint ;

- présentation de NOVEA et du projet Innovance par MM . Jean-Luc Rochefort , président de NOVEA, et Gérard Leraisnable , président d'Innovance, et Mme Marie-Françoise Dujarrier , directrice de NOVEA et directrice générale de la SEM Innovance.

ANNEXES

I. ANNEXE 1 : ARCHITECTURE DES RÉSEAUX

Hiérarchie des réseaux de communications électroniques

Source : CEREMA

Réseau FttH

Source : Mission très haut débit

Réseaux de câble modernisés

Source : ARCEP

Montée en débit

Source : Mission très haut débit

II. ANNEXE 2 : LEXIQUE DES PRINCIPAUX TERMES UTILISÉS

ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line) : service d'accès à internet basé sur les lignes téléphoniques classique, en utilisant une bande de fréquence plus élevée que celle utilisée pour le téléphone. Le débit offert par l'ADSL est asymétrique. L'ADSL2+ est une évolution de l'ADSL, permettant d'augmenter le débit maximal. C'est la technologie déployée majoritairement en France à ce jour pour apporter un accès fixe à internet.

Affermage : forme de DSP confiant au cocontractant la gestion d'un service public à ses risques et périls, contre une rémunération versée par les usagers. Le fermier verse une redevance à la personne publique propriétaire pour l'amortissement des investissements qu'elle a réalisés.

Appel à manifestations d'intentions d'investissement (AMII) : procédure organisée dans le cadre du PNTHD afin d'identifier les projets d'investissement des opérateurs pour le déploiement d'une boucle locale très haut débit à l'horizon de 5 ans, hors des zones très denses.

Concession : forme de DSP confiant au cocontractant à la fois les frais d'exploitation et d'entretien mais également les investissements. Le concessionnaire se rémunère directement auprès de l'usage. La durée de la concession est généralement plus longue que celle de l'affermage.

Débit : quantité de données transmises par unité de temps, lors d'une connexion. Exprimée en bits par seconde ou bit/s, le bit étant la quantité élémentaire d'information numérique, un 0 ou un 1. On distingue le débit descendant (du réseau vers l'usager), du débit montant (de l'usager vers le réseau).

Dégroupage : processus par lequel un opérateur alternatif à Orange peut offrir ses propres services aux abonnés sur la boucle locale de cuivre. Le dégroupage consiste notamment pour l'opérateur dégroupeur à installer son propre équipement actif (DSLAM) au NRA. Le dégroupage est une condition de la concurrence par les services sur le réseau de cuivre.

Délégation de service public (DSP) : ensemble des contrats par lesquels une personne de droit public confie la gestion d'un service public à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée au résultat d'exploitation du service. Les trois principales formes de DSP sont l'affermage, la concession et la régie intéressée.

DSLAM : équipement actif, généralement mis en place au NRA, ou au sous-répartiteur (SR) en cas de montée en débit, et raccordant les lignes de cuivre d'abonnées situés en aval afin de fournir un service de données de type ADSL ou VDSL.

Équipement actif : élément électronique du réseau (modem, DSLAM, répéteur...) générant et traitant des signaux électriques, radioélectriques ou lumineux, suivant le type de réseau.

Équipement passif : élément du réseau dédié à l'acheminement des signaux (câble, tableau de brassage, connecteur, coupleur...)

FttE (Fiber to the Entreprise) : désigne un raccordement dédié à l'entreprise concernée, en liaison point-à-point, à partir de la boucle locale grand public.

FttH (Fiber to the Home) : ou « fibre jusqu'au domicile », désigne le raccordement de bout en bout en fibre optique, par une boucle locale optique intégrale jusqu'à l'utilisateur final. Le FttH « pro » correspond à une offre FttH résidentielle, commercialisée avec des services supplémentaires à destination des professionnels et reposant intégralement sur la boucle locale optique grand public.

FttLA (Fiber to the Last Amplifier) : réseau câblé modernisé où la fibre arrive à l'entrée de la rue ou du quartier et se termine par un noeud optique qui dessert environ 100 logements ou locaux, permettant d'offrir un débit supérieur à 30 Mbit/s, voire à 100 Mbit/s si le segment optique est suffisamment dimensionné et si des équipements actifs de dernière génération (DOCSIS 3.0) sont installés.

FttO (Fiber to the Office) : désigne un raccordement spécifique de l'entreprise depuis le noeud de raccordement optique (NRO) le plus proche, indépendamment de la boucle locale grand public.

FttX (Fiber to the...) : ou « fibre jusqu'à... », désigne différentes architectures de la boucle locale reposant sur le déploiement de la fibre optique sur une partie du réseau, plus ou moins proche de l'utilisateur final. Le « X » correspond au point de terminaison de la partie optique. On distingue plusieurs architectures FttX : FttH (domicile), FttO (bureau), FttN (quartier), FttLA (dernier amplificateur), FttB (bâtiment).

Haut débit : débit de données correspondant, par convention, à un débit minimum descendant supérieur à 512 kbit/s et inférieur à 30 Mbit/s.

HFC (Hybrid Fiber Coaxial) : réseau câblé modernisé dans lequel la zone couverte par chaque noeud optique est plus large (de l'ordre de 500 logements ou locaux) et des amplificateurs sont présents sur la partie en câble coaxial, permettant d'offrir des débits plus faibles qu'en FttLA mais supérieurs à 30 Mbit/s.

Logement abonné : logement dont l'occupant a souscrit un abonnement à une offre de service basée sur un réseau FttH auprès d'un opérateur commercial.

Logement éligible : logement situé dans la zone arrière d'un point de mutualisation, avec un PBO raccordé par au moins un opérateur à son noeud de raccordement optique (NRO), et pour lequel il ne manque que le raccordement final (segment PBO-PTO).

Logement/local raccordable sur demande : logement/local pour lequel un opérateur de réseau a déployé un réseau lui permettant de le rendre raccordable (installation du PBO) dans un délai maximal de six mois à compter de toute commande de raccordement final (segment PBO-PTO) d'un opérateur de service FttH.

Logement/local raccordable : logement/local pour lequel il existe une continuité optique entre le PM et le PBO.

Marché de détail : marché sur lequel les opérateurs de services proposent aux utilisateurs finals, particuliers ou entreprises, des offres de services de communications électroniques.

Marché de gros : marché sur lequel les opérateurs de réseaux proposent aux opérateurs de services des offres d'accès passif ou activé à leurs réseaux, afin de permettre aux opérateurs de services de proposer des offres de services sur ces réseaux.

MeD : ou montée en débit  sur cuivre, opération de réaménagement de la boucle locale cuivre qui vise à réduire la longueur du segment NRA-prise terminale, en déployant un NRA opticalisé (NRA-MeD) plus bas dans la boucle locale, souvent au même endroit que le sous-répartiteur du réseau cuivre. Il s'agit d'installer un équipement actif (DSLAM) plus proche de l'utilisateur final. La MeD améliore l'accès haut débit par l'ADSL, et peut rendre possible un accès au très haut débit en cas de recours au VDSL2.

NGA (Next Generation Access) : qualifie les réseaux de « nouvelle génération » dans la terminologie utilisée par le droit européen, et désigne toutes les technologies permettant de proposer un très haut débit.

NRA : noeud de raccordement d'abonnés, également appelé central téléphonique ou répartiteur, c'est généralement le point qui permet de relier la boucle locale au réseau de collecte.

NRA-MeD : nouveau NRA installé plus en aval dans la boucle locale cuivre, afin de réduire la distance entre le NRA et l'utilisateur final afin d'améliore le débit.

NRA-xy : ensemble des nouveaux NRA installés par Orange dans le cadre du réaménagement et de la modernisation de la boucle locale de cuivre (NRA-ZO, NRA-Med).

NRA-ZO : nouveau NRA installé dans le cadre d'une offre d'Orange pour la résorption des zones inéligibles au haut débit lorsque les utilisateurs finals sont trop éloignés de leur NRA d'origine.

NRO : noeud de raccordement optique, point qui permet de relier la boucle locale optique au réseau de collecte, et au niveau duquel sont installés les équipements actifs à partir desquels un opérateur active les accès de ses abonnés.

Opérateur commercial : également appelé opérateur de services, ou fournisseur d'accès internet (FAI) pour les réseaux fixes, il s'agit de l'opérateur commercialisant des services de communications électroniques à destination des utilisateurs finals.

Opérateur d'immeuble : notion utilisée par l'ARCEP, pour désigner l'entité à laquelle est confiée la responsabilité de certaines opérations, en particulier l'établissement du segment du réseau de desserte entre le PM et le PBO. Il ne déploie pas nécessairement dans un immeuble.

Opérateur de réseau conventionné (ORC) : opérateur ayant signé une convention de programmation et de suivi des déploiements (CPSD) avec une collectivité afin de préciser ses intentions de déploiement FttH sur le territoire concerné par la convention.

Opérateur de réseau : entité, privée ou publique, chargée de l'exploitation et de la maintenance du réseau, ainsi que généralement de la commercialisation du réseau sur le marché de gros auprès d'opérateurs commerciaux.

PBO : point de branchement optique, point d'attente à proximité des logements, qui regroupe généralement une demi-douzaine de logements. Le PBO est situé dans un boîtier sur le palier de chaque étage dans les immeubles collectifs, et dans une chambre de génie civil pour les habitations individuels. Un logement est considéré comme éligible, lorsque son PBO est mis en place et relié au PM.

PM : point de mutualisation, en aval duquel la boucle locale optique est mutualisée. Son dimensionnement est en principe de 1 000 lignes minimum, mais ce seuil peut être abaissé à 300 lignes dans les zones moins denses. Le PM est le lieu où l'opérateur exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique est en capacité de fournir à d'autres opérateurs un accès passif aux lignes installées en aval de celui-ci.

Poche de basse densité : zones géographiques identifiées par l'ARCEP dont la moindre densité en termes d'habitat nécessite une architecture spécifique des déploiements, notamment une remontée du point de mutualisation en amont du réseau.

PTO : prise terminale optique, point final d'arrivée de la boucle locale optique dans le logement ou le local à usage professionnel.

Raccordement final : segment restant entre le PBO et le PTO, généralement réalisé lorsque l'abonné souscrit à un abonnement FttH auprès d'un opérateur commercial.

Régie intéressée : forme de DSP confiant au cocontractant la gestion d'un service public, et par laquelle la personne publique conserve la responsabilité de l'exploitation, les risques associés, et un droit de regard important sur la gestion du service concerné. Le régisseur bénéficie d'une rémunération sous forme d'intéressement aux résultats.

Régie simple : gestion par la collectivité elle-même du service public dont elle a la responsabilité, aussi bien en termes de personnel que de prise en charge des dépenses et de la facturation aux usagers.

Réseau de collecte : réseau intermédiaire permettant de recueillir les données transmises par les réseaux de desserte pour les relayer vers le réseau de transport, et dont l'échelle est le plus souvent régionale, départementale ou métropolitaine pour les grandes agglomérations.

Réseau de desserte : également appelé boucle locale, réseau d'accès établi entre l'utilisateur final et le point d'entrée du réseau de collecte appelé noeud de réseau. La technologie du réseau de desserte varie : ADSL, Fttx, hertzien terrestre, mobile...

Réseau de transport : également appelé dorsale ou backbone, réseau permettant d'acheminer les grands volumes de données sur de longues distances, à l'échelle est inter-régionale, nationale et internationale.

Réseaux d'initiative publique (RIP) : réseaux de communications électroniques établis et exploités par des collectivités territoriales ou leurs groupements, dans le cadre de la compétence prévue à l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales.

Très haut débit : débit de données défini comme un débit crête minimum descendant supérieur à 30 Mbit/s et ascendant supérieur à 5 Mbit/s selon la définition de l'ARCEP, modifiée en 2012 pour s'ajuster à celle utilisée par la Commission européenne. Désigne par extension les infrastructures et les technologies permettant de proposer des services de communications électroniques offrant ce niveau de débit.

VDSL2 : technologie sur paire de cuivre, mise en place au niveau du NRA, permettant lorsque la distance jusqu'à l'utilisateur est relativement faible (entre 1 et 1,5 km) de bénéficier d'un très haut débit.

Zone blanche : zone dépourvue de couverture, fixe ou mobile, compte tenu de l'absence de tout opérateur ayant déployé un réseau. Cette notion est essentiellement utilisée pour les centres-bourgs dépourvus de téléphonie mobile, et pour les territoires sans accès ADSL.

Zone grise : zone pourvue d'une couverture par un seul opérateur de services. L'absence d'offres alternatives fait obstacle à une dynamique concurrentielle sur le territoire concerné. La mutualisation pour le mobile et le dégroupage pour le fixe visent à résorber les zones grises.

Zone moins dense : communes situées hors de la ZTD définie par l'ARCEP, où la mutualisation est favorisée par des recommandations de l'ARCEP.

Zone très dense : communes dont la liste est définie par la décision n°2009-1106 du 22 décembre 2009 de l'ARCEP, modifiée par la décision n°2013-1475 du 10 décembre 2013. Ces communes sont caractérisées par une forte concentration de population, rendant viable le déploiement par plusieurs opérateurs de leurs propres infrastructures.

Sources : AVICCA, CEREMA, ARCEP


* 1 Rapport au Premier ministre remis le 26 octobre 2010 - « Réussir le déploiement du Très Haut Débit : une nécessité pour la France » - Hervé Maurey.

* 2 L'économie numérique et la croissance, Poids, impact et enjeux d'un secteur stratégique, Coe-Rexecode, mai 2011.

* 3 Les termes suivis d'un astérisque sont explicités en annexe 2 du rapport.

* 4 Étude sur l'économie des télécoms 2014, Arthur D. Little pour la Fédération française des télécoms, 27 novembre 2014.

* 5 Étude sur l'impact territorial des réseaux d'initiative publique, Caisse des dépôts et consignations et IDATE, novembre 2013.

* 6 La troisième révolution industrielle : Comment le pouvoir latéral va transformer l'énergie, l'économie et le monde, Jérémy Rifkin, Les liens qui libèrent, 2012.

* 7 Rapport n° 2013-073 de l'IGEN, de l'IGAENR, de l'IGF et du CGEIET sur la structuration de la filière du numérique éducatif : un enjeu pédagogique et industriel.

* 8 Rapport de l'OCDE, « Students, Computers and Learning: Making The Connection », 15 septembre 2015.

* 9 Chiffres-clés 2015 de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance.

* 10 Rapport d'information du Sénat n°335 - Session ordinaire 2012-2013 - « Déserts médicaux : agir vraiment » - Hervé Maurey.

* 11 Rapport du Conseil national du numérique « Citoyens d'une société numérique - Accès, Littératie, Médiations, Pouvoir d'agir: pour une nouvelle politique d'inclusion », octobre 2013.

* 12 Rapport d'information du Sénat n° 364 - Session ordinaire 2012-2013 - « État, opérateurs, collectivités territoriales : le triple play gagnant du très haut débit » - Yves Rome et Pierre Hérisson.

* 13 Next generation access (NGA)

* 14 Article 115 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

* 15 Résolution européenne du Sénat n°122 du 30 juin 2015 pour une stratégie européenne du numérique globale, offensive et ambitieuse.

* 16 Rédaction de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

* 17 Article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques.

* 18 Rapport d'information du Sénat n°495 - Session ordinaire 2014-2015 - Bilan annuel de l'application des lois au 31 mars 2015- Claude Bérit-Débat.

* 19 Rédaction de la loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique.

* 20 Proposition de loi n° 118 (2011-2012) visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, de MM. Hervé Maurey et Philippe Leroy, déposée au Sénat le 17 novembre 2011.

* 21 Rapport au Premier ministre remis le 26 octobre 2010 - « Réussir le déploiement du Très Haut Débit : une nécessité pour la France » - Hervé Maurey.

* 22 Rapport d'information du Sénat n°730 - Session ordinaire 2010-2011 - « Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes » - Hervé Maurey.

* 23 Décision n° 2009-1106 du 22 décembre 2009 précisant, en application des articles L. 34-8 et L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et les cas dans lesquels le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée.

* 24 Décision n° 2010-1312 du 14 décembre 2010 précisant les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sur l'ensemble du territoire à l'exception des zones très denses.

* 25 Recommandation du 14 juin 2011 relative aux modalités de l'accès aux lignes à très haut débit en fibre optique pour certains immeubles des zones très denses, notamment ceux de moins de 12 logements.

* 26 Average revenue per user (ARPU)

* 27 Rapport d'information de l'Assemblée nationale n°704 - Session ordinaire 2012-2013 - « L'impact de la régulation des télécoms sur la filière télécom» - Corinne Erhel et Laure de la Raudière.

* 28 Circulaire n° 5412/SG du 31/07/2009 du premier ministre aux préfets de régions et de départements.

* 29 Rapport à la secrétaire d'État en charge du numérique de juillet 2015 - Gouvernance des Politiques Numériques dans les Territoires - Akim Oural.

* 30 On compte 3,77 millions de prises sur le câble modernisé situées hors des zones très denses.

* 31 Proposition de loi n° 802 relative au diagnostic de performance numérique , de MM. Hervé Maurey et Bruno Sido, déposée au Sénat le 22 septembre 2011.

* 32 Rapport d'information du Sénat n°730 - Session ordinaire 2010-2011 - « Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes » - Hervé Maurey.

* 33 Communiqué de l'Autorité de la concurrence du 30 juillet 2015 : « L'Autorité ne donnera pas de délai supplémentaire pour prolonger les discussions entre  Orange et Numericable-SFR sur l'échange de zones de déploiement ».

* 34 Article 12 de la proposition de loi n°118 visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, adoptée par le Sénat le 14 février 2012.

* 35 Article 11 de la proposition de loi n°118 visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, adoptée par le Sénat le 14 février 2012

* 36 Recommandations de l'ARCEP du 14 juin 2011 relative aux modalités de l'accès aux lignes à très haut débit en fibre optique pour certains immeubles des zones très denses, notamment ceux de moins de 12 logements, et du 21 janvier 2014 relative aux modalités de l'accès aux lignes à très haut débit en fibre optique pour les immeubles de moins de 12 logements ou locaux à usage professionnel des zones très denses.

* 37 Consultation publique sur le projet de recommandation de l'ARCEP sur la mise en oeuvre de l'obligation de complétude des déploiements des réseaux en fibre optique jusqu'à l'abonné en dehors des zones très denses ouverte du 29 juin au 18 septembre 2015.

* 38 Une étude de piquetage est une pré-étude technique et économique pour l'établissement d'un réseau en fibre optique sur un territoire.

* 39 Consultation publique sur le projet de recommandation de l'Autorité sur la mise en oeuvre de l'obligation de complétude des déploiements des réseaux en fibre optique jusqu'à l'abonné en dehors des zones très denses.

* 40 Point 2.6 « Mise en oeuvre des financements » du cahier des charges des demandes de subvention

* 41 Décret n° 2015-113 du 3 février 2015 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « Agence du numérique ».

* 42 Rapport au Premier ministre remis le 26 octobre 2010 - « Réussir le déploiement du Très Haut Débit : une nécessité pour la France » - Hervé Maurey.

* 43 Indefeasible rights of use (IRU)

* 44 Article 126 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

* 45 Au Japon, des chercheurs ont ainsi réussi à atteindre en 2011 un débit de 109 000 Gbit/s dans une fibre sur une distance de 17 km.

* 46 Article 114 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

* 47 L'AVICCA développe notamment le modèle GR@CE THD, afin d'assurer l'interopérabilité des systèmes d'information mis en place par les différents opérateurs de réseaux.

* 48 Recommandations portant sur la conception et la topologie de la boucle locale optique mutualisée, 9 juillet 2015.

* 49 Décision de l'ARCEP n° 2015-0776 en date du 2 juillet 2015 sur les processus techniques et opérationnels de la mutualisation des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique.

* 50 Recueil de spécifications fonctionnelles et techniques sur les réseaux en fibre optique jusque l'abonné en dehors des zones très denses élaboré par le comité d'experts fibre optique de l'ARCEP.

* 51 Intervention de Sébastien Soriano, président de l'ARCEP au colloque de l'AVICCA du 2 avril 2015.

* 52 Article 8 de la proposition de loi n°118 visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, adoptée par le Sénat le 14 février 2012.

* 53 Annexe de l'observatoire des marchés.

* 54 En cas de multiplexage, plusieurs abonnés sont desservis par un même câble téléphonique partagé.

* 55 En proposant une liaison spécifique du noeud de réseau vers le site final, l'architecture point-à-point se distingue de l'architecture PON qui transporte le trafic de plusieurs utilisateurs sur une même fibre.

* 56 Ainsi la bande 800 MHz utilisée pour la 4G s'étend de 790 à 862 MHz, et a été attribuée par blocs de 10 MHz aux différents opérateurs ayant remporté l'appel à candidatures.

* 57 Article 119 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

* 58 Décision de l'ARCEP n° 2009-0328 du 9 avril 2009 fixant la mesure et les conditions dans lesquelles sera mis en oeuvre un partage d'installations de réseau mobile de troisième génération en métropole.

* 59 Article L. 42-2 du code des postes et des communications électroniques.

* 60 Décision de l'ARCEP n° 2015-1117 du 22 septembre 2015 attribuant une autorisation d'utilisation de fréquences à la société Orange pour une expérimentation technique à Belfort.

* 61 Proposition de loi n° 800 visant à inclure la téléphonie mobile dans le service universel, de M. Hervé Maurey, déposé au Sénat le 15 septembre 2014.

* 62 Article 129 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

* 63 Arrêté du 5 novembre 2015 fixant la liste complémentaire des centres-bourgs de communes bénéficiant de l'extension du programme de couverture du territoire en services mobiles.

* 64 Revue stratégique du spectre pour le très haut débit mobile, consultation publique du 16 décembre 2014 au 16 février 2015

* 65 Rapport du Sénat n° 626 - Session ordinaire 2014-2015 - Avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur la proposition de loi relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre - Patrick Chaize.

* 66 Article 20 du projet de loi de finances pour 2016.

* 67 Rapport du Sénat n° 348 - Session ordinaire 2010-2011 - « 2G, 3G, 4G : vers une couverture optimale du territoire en téléphonie mobile » - Bruno Sido.

* 68 Article 5 de la proposition de loi n° 118 visant à assurer l'aménagement numérique du territoire, adoptée par le Sénat le 14 février 2012.

* 69 Article D.98-6-2 du code des postes et des communications électroniques.

* 70 Article L. 33-12 du code des postes et des communications électroniques.

* 71 Article L. 36-6 du code des postes et des communications électroniques

* 72 Rapport du Sénat n° 626 - Session ordinaire 2014-2015 - Avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur la proposition de loi relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre - Patrick Chaize.

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