INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Dans quelques jours, le Sénat va débattre en séance plénière du second rapport annuel de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, réitérant en présence du Gouvernement la procédure originale institutionnalisée pour la première fois le 7 février 2012 dans le prolongement immédiat de la création de cette commission nouvelle fin 2011.

La question de l'application des lois n'a rien d'académique ou de formel, car elle touche à une exigence essentielle au bon fonctionnement de notre démocratie . Aujourd'hui, chacun a bien conscience qu'une bonne application des lois est à la fois un gage de crédibilité de l'activité législative du Parlement et un élément indispensable à la sécurité juridique.

C'est pourquoi le Parlement ne peut pas se contenter de voter des lois, et qu'il doit contrôler en aval la manière dont ces lois sont appliquées par le Gouvernement sous l'autorité du Premier ministre.

Contrôler l'application des lois est bien une des modalités à part entière de la mission de « contrôle de l'action du Gouvernement » telle qu'elle est désormais explicitement énoncée dans les compétences du Parlement, même si les assemblées n'ont pas attendu la révision constitutionnelle de 2008 pour développer et diversifier des techniques très variées et performantes du contrôle parlementaire.

Bien entendu, contrôler l'application des lois ne saurait se résumer à vérifier si les décrets d'application ont été publiés à la date prévue. Ce suivi est certes indispensable mais il ne représente qu'une phase d'une démarche qualitative globale et plus ambitieuse, consistant pour les assemblées parlementaires à s'interroger sur le « bon rendement législatif »des textes qu'elles votent.

Dans ce questionnement, le Parlement ne se situe plus simplement dans le traditionnel face à face « pouvoir législatif / pouvoir exécutif », mais il y ajoute une dimension nouvelle d'introspection, tournée vers sa propre activité normative : la loi qu'il a votée était-elle réellement applicable et comment est-elle effectivement appliquée ? A-t-elle répondu aux attentes placées en elle, et a-t-elle permis d'atteindre les objectifs assignés ?

Cette démarche répond aux préoccupations les plus quotidiennes de nos concitoyens et s'inscrit pleinement dans la logique de la révision constitutionnelle de 2008, qui a assorti la mission de contrôle d'une mission nouvelle d'évaluation des politiques publiques.

Dans cette optique, la création en 2011 d'une « commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois » représente une avancée significative renforçant la capacité du Sénat dans sa mission d'évaluation des politiques publiques, dont la loi est un des instruments privilégiés.

Cette nouvelle commission sénatoriale, composée de 39 membres selon une clé de répartition assurant à la fois la représentation proportionnelle des groupes politiques et une représentation équilibrée des commissions permanentes, s'est vu confier par le Bureau du Sénat un double mandat : « informer le Sénat sur la mise en oeuvre des lois » et « veiller à la publication des textes réglementaires nécessaires à leur application ».

S'agissant de la mise en oeuvre des lois, la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, dès sa mise en place effective début 2012, s'est lancée avec le concours précieux des commissions permanentes compétentes dans un travail d'évaluation d'un certain nombre de législations en vigueur, pour s'assurer si elles avaient produit les effets qu'on en attendait et, le cas échéant, pour formuler des observations et des préconisations susceptibles d'éclairer la réflexion du législateur au moment de leur remise en chantier.

Ces travaux, confiés le plus souvent à des binômes de rapporteurs de sensibilité politique différente, ont déjà donné lieu à la présentation de dix rapports d'information, dont plusieurs ont déjà fait l'objet d'intéressants débats de contrôle en séance plénière, en présence des ministres responsables. La liste de ces rapports montre l'importance et la diversité des thèmes traités :

1. « Lutte contre la piraterie maritime : une loi utile, une mission sans fin » (rapport de MM. Jean-Claude Peyronnet et François Trucy) ;

2. « Communication audiovisuelle et nouveau service public de la télévision : la loi du 5 mars 2009 à l'heure du bilan » (rapport de MM. David Assouline et Jacques Legendre) ;

3. « Crédit à la consommation et surendettement : une réforme ambitieuse à compléter » (rapport de Mmes Muguette Dini et Anne-Marie Escoffier) ;

4. « Le droit au logement opposable à l'épreuve des faits » (rapport de MM. Claude Dilain et Gérard Roche) ;

5. « Loi Handicap : des avancées réelles, une application encore insuffisante » (rapport de Mmes Claire-Lise Campion et Isabelle Debré) ;

6. « Loi pénitentiaire : de la loi à la réalité de la vie carcérale » (rapport de M. Jean-René Lecerf et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat) ;

7. « Contrôle et évaluation des dispositifs législatifs relatifs à la sécurité intérieure et à la lutte contre le terrorisme » (compte-rendu des travaux effectués par M. David Assouline) ;

8. « Du Grenelle à la Conférence environnementale : à la recherche d'un nouveau souffle » (rapport de Mme Laurence Rossignol et M. Louis Nègre) ;

9. « État, opérateurs, collectivités territoriales : le triple play gagnant du très haut débit » (rapport de MM. Yves Rome et Pierre Hérisson) ;

10. « L'autonomie des universités depuis la loi LRU : le big-bang à l'heure du bilan » (rapport de Mme Dominique Gillot et M. Ambroise Dupont) ;

(s'y ajoutent plusieurs autres rapports en cours d'élaboration, dont deux qui devraient être présentés d'ici à la fin juillet 2013 sur, d'une part le statut de l'auto-entrepreneur (rapport de M. Philippe Kaltenbach et Mme Muguette Dini), d'autre part sur l'industrie du tourisme (rapport de MM. Luc Carvounas, Louis Nègre et Jean-Jacques Lasserre).

En comparaison, la mission de veille juridique sur la publication des règlements d'application représente un travail plus obscur, pour ne pas dire moins gratifiant, mais pourtant indispensable compte tenu des équilibres du système constitutionnel français.

En effet, la délimitation assez nette de deux domaines de compétence normative -celui de la loi et celui du règlement- a pour conséquence que le législateur doit souvent s'en remettre au pouvoir réglementaire pour définir ou préciser un certain nombre de modalités de mise en oeuvre des lois qu'il vote. En pareil cas, les décisions du Parlement, bien que juridiquement en vigueur à compter de leur promulgation, restent donc suspendues à la capacité ou à la volonté du Gouvernement de publier les textes d'application correspondants. Or la pratique révèle que cette capacité ou cette volonté ne se vérifient pas toujours...

La question n'est pas nouvelle, et le Sénat a commencé à y répondre de manière spécifique dès 1971, avec la mise en place d'un outil informatique original, la base APLEG, permettant aux commissions permanentes de suivre pour chaque article de loi la publication des décrets et arrêtés attendus (ces informations sont désormais accessibles à tous sur le site Internet du Sénat dans le dossier récapitulant le parcours législatif de chaque loi).

Dans sa mission de veille juridique sur la publication des textes d'application, la commission sénatoriale a donc tout de suite pu s'appuyer sur l'expertise développée de longue date par les commissions permanentes du Sénat.

C'est ainsi qu'à partir des statistiques récapitulatives de la base APLEG et des bilans annuels établis par chaque commission permanente sur l'application des lois relevant de son propre domaine de compétence, la commission a pu présenter au Sénat, dès février 2012, un premier rapport annuel (n° 323) sur l'application des lois au 31 décembre 2011, et qu'elle présente aujourd'hui ce second rapport couvrant cette année les lois promulguées du 14 juillet 2011 au 30 septembre 2012 (le choix de ces dates ayant été arrêté en fonction du changement de Gouvernement et du début de la nouvelle législature à l'Assemblée nationale, consécutifs aux élections intervenues en mai-juin 2012).

On constatera à la lecture de ce document que tout en restant fondé sur une approche quantitative des principaux indicateurs classiques de la mise en application des lois , notamment le nombre des décrets d'application publiés par le Gouvernement, les délais de leur parution et le rythme de remise au Parlement des rapports d'information prévus par différentes lois, le rapport pour l'année parlementaire 2011-2012 laisse moins de part aux tableaux purement statistiques (qui figurent déjà en détail dans les bilans de chaque commission permanente reproduits en troisième partie du présent rapport), pour insister sur les tendances fortes qui s'en dégagent .

Dans l'idéal, il pourrait paraître tentant de s'intéresser au contenu même des textes d'application, car la manière dont une loi s'applique réellement peut aussi dépendre des choix et des solutions retenus par les rédacteurs des décrets.

Cette question, évoquée à plusieurs reprises lors des réunions de votre commission, soulève néanmoins des difficultés de toute sorte, à commencer par le nécessaire respect de la séparation des pouvoirs (en l'occurrence, la compétence réglementaire exclusive du Gouvernement) et par l'insuffisance évidente des moyens humains et techniques dont dispose le Parlement s'il souhaitait s'aventurer dans cette voie.

Mais elle fait bien ressortir la différence de degré, voire de nature, entre ce qu'il conviendrait d'appeler le simple « contrôle de l'applicabilité » (ayant pour but de s'assurer que les règlements conditionnant la mise en oeuvre effective de la loi ont bien été publiés dans les délais requis), et un « contrôle de l'application » proprement dit , intégrant l'idée que les règlements d'application doivent être conformes à l'intention du législateur et que le Parlement, sans aller jusqu'à co-rédiger des décrets, doit au moins pouvoir s'assurer de leur conformité.

On pourrait même aller plus loin dans cette direction, en ne s'intéressant plus simplement à la question de conformité des textes d'application aux lois qu'ils sont censés appliquer, mais en tentant d'évaluer la qualité intrinsèque de cette réglementation, c'est-à-dire sa capacité à répondre efficacement aux situations qu'elle régit.

En effet, comme le Secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lasvignes, l'avait souligné dès 2008 : « la production spontanée de textes pose la question de la qualité et oblige les prescripteurs à mener une réflexion plus globale : le train de décrets s'apparente à une machine qui tourne sans contrôle de qualité ». Un enjeu qui, selon lui, passe par « davantage de contrôle, de contrainte, de vérification, et qui au final participe à l'élaboration de textes de meilleure qualité ».

Depuis quelques années, l'enjeu du « mieux réglementer » semble en effet faire l'objet d'une prise de conscience croissante dans les instances publiques nationales comme internationales . Les normes étant liées les unes aux autres, le Parlement et le Gouvernement, tout en exerçant des missions constitutionnelles distinctes, sont directement impliqués dans cette réflexion d'ensemble, car ils sont partie intégrante du « circuit normatif » qui va de l'initiative à l'élaboration puis à l'évaluation en passant par le contrôle.

Une des illustrations les plus pertinentes de cette dynamique est à chercher dans ces fameuses « études d'impact » désormais produites à l'appui de tout projet de loi : outil de décision ex ante , censé permettre au Parlement d'apprécier la nécessité de légiférer et la pertinence des dispositifs qu'on lui demande d'adopter, ces études pourraient aussi représenter un excellent instrument de contrôle et d'évaluation ex post , pour peu qu'elles incluent des critères permettant de vérifier après coup si, oui ou non, les objectifs poursuivis par le législateur ont été atteints.

Aussi votre commission a-t-elle cru intéressant de consacrer quelques développements à ces questions dans une seconde partie entièrement nouvelle du présent rapport.

En outre, la commission pour le contrôle de l'application des lois a tenu à accompagner les réflexions actuelles du Gouvernement en vue d'une simplification et d'une modernisation de notre environnement normatif.

Depuis une vingtaine d'années, le droit est en effet l'objet de critiques récurrentes, parfois excessives mais pas toujours infondées. Il faut bien admettre qu'au fil des lois et des décrets, la législation tend à devenir de plus en plus touffue, complexe, parfois instable et souvent difficile à démêler, en dépit des efforts entrepris par les pouvoirs publics pour en faciliter l'accès aux usagers du droit.

Simplifier les normes et les rendre plus performantes est une démarche particulièrement salutaire pour restaurer ou renforcer la confiance dans l'État et dans ses institutions , car le droit, censé protéger et sécuriser les citoyens, ne doit jamais devenir en lui-même un facteur supplémentaire d'insécurité juridique...

Les avancées gouvernementales dans cette direction , qui prolongent l'effort initié à la fin de la précédente législature avec la mise en place, en mars 2011, d'un Comité de suivi de l'application des lois, se sont déjà traduites par plusieurs décisions de première importance dont il est rendu compte dans la seconde partie du présent rapport, notamment dans le cadre du nouveau Comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (CIMAP) réuni par le Premier ministre le 18 décembre 2012.

À l'issue de sa réunion du 2 avril 2013, le CIMAP a rendu public un relevé de décisions constituant une véritable feuille de route mobilisant l'ensemble des ministères en vue d'une modernisation et d'une simplification de l'action publique.

Plusieurs de ces décisions entrent très précisément dans le champ des préoccupations de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, en particulier les mesures très novatrices prévues pour endiguer l'inflation normative sur la base du principe « 1 pour 1 : une norme créée = une norme supprimée » (décision n° 16), pour renforcer l'efficacité des études d'impact (décision n° 17) et pour limiter l'instabilité législative moyennant une évaluation préalable à toute modification des normes existantes (décision n° 19), etc...

Dans ce contexte, la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois a souhaité établir le meilleur climat de confiance possible entre elle et les instances gouvernementales plus particulièrement en charge d'orchestrer et de rationnaliser la production normative, notamment le ministère chargé des Relations avec le Parlement et le Secrétariat général du Gouvernement.

Depuis sa mise en place effective début 2012, votre commission a ainsi déjà entendu à trois reprises le Secrétaire général du Gouvernement, M. Serge Lasvignes, et elle a procédé en décembre 2012 à une très intéressante audition du nouveau ministre chargé des Relations avec le Parlement, M. Alain Vidalies, au cours de laquelle il a présenté les grandes orientations retenues par le nouveau Gouvernement en matière d'application des lois et de simplification du droit.

Le 15 avril 2013, la commission a également organisé au Sénat un « Forum sur l'application des lois » ouvert à tous les sénateurs et qui a réuni autour du Secrétaire général du Gouvernement un panel d'élus, de praticiens et d'experts de haut niveau dans une série d'interventions du plus grand intérêt (le compte rendu de cette rencontre, qui figure en annexe du présent rapport, relate notamment les propos brillants et énergiques de l'éminent constitutionnaliste Guy Carcassonne, dont ce fut sans doute la dernière intervention devant une commission parlementaire avant sa disparition soudaine à Saint-Pétersbourg le 26 mai dernier).

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Tel est le cadre général dans lequel votre commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois a travaillé cette année.

Cette commission est, certes, bien trop récente dans le paysage institutionnel du Sénat pour prétendre apporter des réponses définitives à toutes les questions qu'elle a rencontrées, mais capitalisant l'expérience acquise par le Sénat depuis quatre décennies en matière de contrôle d'application des lois, elle est fière de faire part au Sénat des quelques premières réflexions d'ensemble figurant dans le présent rapport d'information.

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