II. L'EXEMPLE D'UNE MENACE ÉMERGENTE : LE PLASTIQUE

Gérard RIOU

L'univers chimique dans lequel nous vivons comprend 37 millions de substances chimiques qui ont été développées par l'industrie depuis de très nombreuses années. Environ 100 000 substances sont utilisées sur le marché européen, et un peu plus de 5 000 sont reconnues comme dangereuses. Ce sont celles que nous retrouvons en priorité dans les directives européennes.

Une grande partie de ces substances, lorsqu'elles auront été utilisées, pourra se retrouver en mer. Il ne s'agit pas d'une photographie statique. Le renouvellement s'effectue de manière continue. Nous devons tenir compte de cette évolution, avec d'une part l'introduction continue de nouveaux produits, et d'autre part la disparition progressive d'autres mais que l'on retrouve encore dans le milieu, notamment parce qu'ils présentent un effet retard. Nous sommes donc obligés de connaître l'histoire pour comprendre la contamination d'un site.

Nous avons extrait deux carottes sédimentaires dans l'étang de Thau. Au C4 (point qui se situe le plus au milieu de l'étang de Thau), la courbe de contamination par le mercure est très faible pour les années anciennes. Elle a augmenté avec la progression de l'industrie à partir du début du XX e siècle, et se trouve à peu près stabilisée aujourd'hui. Une autre courbe, peu distante en termes de carotte sédimentaire, montre quant à elle une explosion du mercure dans les couches moyennes, qui correspond au développement important de l'industrie autour de la ville.

Le mercure qui est piégé dans les sédiments est inactif dans les profondeurs, mais en cas de remaniement de ces sédiments, il sera libéré et repassera dans l'eau. Il sera alors soumis à l'influence de bactéries et pourra se transformer en des formes chimiques plus complexes que le mercure que nous mesurons dans les sédiments, en particulier le méthylmercure, qui comporte un pouvoir toxique très important.

La mesure du plomb dans des moules, effectuée à Ajaccio, montre des fluctuations saisonnières. Globalement, même si la contamination du plomb est en train de disparaître au fur et à mesure des années, il est nécessaire à chaque fois d'en connaître les causes. En tout état de cause, la contamination n'est pas seulement consécutive à un rejet dans la mer, mais peut se faire, pour une part prépondérante, par voie atmosphérique.

La pollution par les plastiques a également globalement tendance à se réduire, au moins sur nos côtes. Les campagnes que nous menons annuellement pour procéder à des évaluations halieutiques nous permettent en effet de comptabiliser les macrodéchets. Ainsi, nous constatons une réduction de leur nombre.

Se pose toutefois la question du vieillissement et de la décomposition des plastiques dans le temps. Après avoir trié le plastique que nous collectons, nous nous intéressons aux morceaux de plastique qui mesurent entre 3 dixièmes de millimètres et 5 millimètres. Nous comptabilisons les morceaux de plastique que nous trouvons par mètre carré à l'hectare.

Nous avons mené plusieurs campagnes récemment, dont certaines ont été effectuées dans le cadre du projet Expédition Med de Bruno Dumontet. Des mesures ont été réalisées aux mois de juillet et d'août ; nous les avons complétées il y a peu par des mesures faites avec des filets à plancton, lors des campagnes d'évaluation halieutiques européennes Medit.

Quelque 90 % des échantillonnages que nous avons réalisés contiennent des microplastiques, dont la taille est inférieure à 5 millimètres.

Lors de l'expédition « Med » de juillet-août 2010, il est apparu que le poids sec de débris de microplastiques représentait la moitié du poids sec de zooplancton. En termes de masse, les petits débris que nous ne voyons pas vraiment à l'oeil nu représentent 116 000 particules par kilomètre carré.

Nous connaissons les effets néfastes des macrodéchets, en particulier des sacs plastiques, sur une partie de la faune (oiseaux qui les prennent pour des poissons, etc.) Ces microplastiques rentrent ensuite dans la chaîne alimentaire. Plusieurs publications en font état. Certaines d'entre elles indiquent en effet que des microplastiques ont notamment été trouvés dans des oiseaux et des poissons qui se nourrissent de plancton. Nous ne connaissons pas encore l'impact de ces déchets sur la santé des écosystèmes, et donc sur la chaîne alimentaire. Toutefois, nous savons que ces microplastiques, par leur composition et leur fabrication, sont à même de relarguer à l'intérieur de l'organisme les produits chimiques qui correspondent à leurs constituants propres.

Ils ont également la faculté d'attirer des polluants chimiques présents dans l'eau, en particulier des polluants organiques persistants, décuplant par là même la toxicité potentielle de ces microplastiques pour la chaîne alimentaire.

Ce type de pollution concerne des contaminants qui sont connus depuis toujours (plastique, etc.). Il est toutefois analysé maintenant en tenant compte du vieillissement, qui n'était que très peu étudié auparavant. C'est donc un nouveau paramètre qui s'impose aux scientifiques, et sur lequel nous commençons à travailler pour mieux comprendre l'impact et la diffusion de ces microplastiques dans la chaîne alimentaire.

Échanges

Roland COURTEAU

Merci Monsieur Riou. J'avais qualifié ce type de pollution de « bombe à retardement ». Nous avons le plaisir de bénéficier de la présence de Monsieur Dumontet, qui participe chaque année à des expéditions en Méditerranée, notamment à l'expédition MED.

Bruno DUMONTET, chef de l'expédition « Med »

Malheureusement, les constats se poursuivent et deviennent de plus en plus alarmants. De nouvelles pollutions émergent dans lesquelles ces microplastiques - et notamment les microfibres provenant des vêtements - sont toujours impliqués. Le largage de ces fibres n'est notamment pas stoppé par les stations d'épuration. Nous en retrouvons donc des quantités phénoménales en mer.

Une étude récente effectuée au mois d'août concerne la pollution des moules de la Mer du Nord. Colin Janssen, toxicologue de l'université de Gand, a démontré qu'une portion de ces coquillages contenait 300 morceaux de plastique.

Il serait ainsi intéressant d'aller vérifier la situation des moules en Méditerranée. Malheureusement, tous les ans, nous découvrons de nouvelles pollutions liées à la fragmentation du plastique, qu'il s'agisse des microfibres ou des microbilles (que nous retrouvons dans les produits de gommage cosmétique).

Je souhaite également évoquer le problème du sac oxofragmentable. Ce dernier nous est en effet présenté comme 100 % biodégradable. Malheureusement, 1 ou 2 % d'additifs lui sont ajoutés, lesquels favorisent sa fragmentation lorsqu'il se retrouve dans l'environnement. Il est donc pire que les sacs traditionnels.

Roland COURTEAU

Comment le différencier des autres sacs ?

Bruno DUMONTET

Les sacs 100 % biodégradables et compostables présentent un logo « compost ».

Christophe DOUKHI DE BOISSOUDY, président du club Bio-plastiques

Le plastique biodégradable existe depuis une vingtaine d'années. Les sacs qui en sont composés comprennent des additifs fragilisant à terme la molécule de polyéthylène, et permettant sa fragmentation. Le polyéthylène devient friable, perd totalement son élasticité et se décompose en petits morceaux. Dès lors que ce sont des petits morceaux, nous avons l'impression que le plastique est biodégradé, alors que ce n'est pas du tout le cas.

L'utilisation de nouvelles molécules plastiques vraiment biodégradables a permis de mettre au jour le leurre qu'étaient ces sacs, lesquels étaient motivés par des raisons de coûts. Le plasturgiste réalise en effet une belle marge en vendant ces sacs comme biodégradables alors qu'ils ne le sont pas.

Maurice HERAL, responsable du département environnement et recherches biologies de l'Agence nationale de la recherche (ANR)

La Commission européenne s'est alarmée de ce problème, ce qui s'est traduit par un appel d'offres sur les microplastiques.

Par ailleurs, la directive-cadre de la « Stratégie pour le milieu marin » qui a été mise en place l'année dernière prend pour descripteur, en matière de bon état écologique, les matières plastiques et les microplastiques.

Les États membres mais aussi l'ensemble des pays riverains de la Méditerranée devront ainsi suivre ces matières plastiques quelle que soit leur forme. Trois cas d'étude ont été mis en place, le premier portant sur les microplastiques et leur devenir en termes de contamination des poissons.

Bruno DUMONTET

Si les pays du Sud ne sont pas associés à la directive-cadre, cela ne servira à rien. Ce sont les courants qui sont les maîtres du jeu et répartissent les microplastiques dans toute la Méditerranée. Dès lors, l'implication des pays riverains de la Méditerranée est impérative.

Hugues RAVENEL, directeur du Plan Bleu

La directive-cadre « Stratégie pour le milieu marin » est étendue à travers le projet écosystème Partenariat international d'action sur le carbone (ICAP). Notre association Plan Bleu développe des liens avec les pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée. L'objectif est de définir des objectifs et des marges d'amélioration afin de choisir des mesures ayant le moindre impact socio-économique.

Roland COURTEAU

Merci. Nous allons passer à la première table ronde, que j'introduirai.

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