M. Jean-Michel Rodes, Directeur délégué des Collections de l'INA

Ces questions sont communes à toutes les mémoires. Tout d'abord, je veux préciser que nous n'allons pas numériser que les seuls journaux télévisés, nous le ferons aussi pour les magazines, les documentaires, toutes les émissions existantes. Il existe d'autres complications. Sans revenir sur ce qu'ont brillamment dit Anne Lefort, Jean Varra et Mathieu Gallet, il faut évoquer les difficultés rencontrées sur le plan informatique, c'est-à-dire les transitions d'outils d'une époque vers une autre.

Le moment est très solennel : nous sommes au Sénat, sous les impressionnants ors de la République et nous nous interrogeons sur la manière de faire passer des documents audiovisuels jusqu'ici conservés dans des vidéothèques ou des cinémathèques des territoires d'outre-mer et cela, afin de les transformer en patrimoine. À un moment, « on » décide d'en faire un patrimoine. Et ce « on » est par ailleurs difficile à définir : globalement, il s'agit de l'État, mais on ne sait pas précisément qui. En effet, pour obtenir les financements, il existe une série de ramifications ; ainsi, « l'État » va de Claude Esclatine à Mathieu Gallet, de la Caisse des Dépôts au ministère de la Culture et au Sénat, etc. C'est l'ensemble de ces volontés qui permet, à un moment, de créer un patrimoine, une archive.

J'avais un jour interrogé Jacques Derrida sur la différence entre la trace et l'archive : il m'avait répondu que cela n'avait rien à voir, que l'archive était du côté du pouvoir, du côté des archontes. En effet, c'est le pouvoir qui décide à un moment qu'un matériel compose une archive et qu'il est voué à devenir un patrimoine. Nous en sommes à ce moment précis, mais nous ne savons pas réellement qui décide.

Lorsque nous avons lancé, il y a vingt ans, le dépôt légal de la radio et de la télévision, Régis Debray avait écrit un texte où il disait que lorsqu'on patrimonialise, il y a toujours quelque chose qui meurt. Aujourd'hui, nous pouvons nous interroger de la même façon : quelles sont les choses qui meurent dans cette opération de patrimonialisation ? Il y a tout d'abord le dispositif technique : les supports films ou vidéos sont en train de mourir. Peut-être enterrons-nous RFO aussi, c'est-à-dire ce que cela a été, avec France Régions 3 à un moment, puis indépendamment et enfin en devenant Outre-mer 1 ère et France Ô. Peut-être aussi assistons-nous à la disparition d'un certain type de rapports entre les médias métropolitains et médias de la France d'outre-mer. Et cela aboutira peut-être à la construction de cette nouvelle mémoire dont nous parlions tout à l'heure.

M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :

Merci pour cet éclairage sur la dynamique en marche à l'INA. Monsieur Olivier Pulvar, va-t-on redécouvrir RFO, les mémoires d'outre-mer, la spécificité des audiovisuels dans les outre-mer à travers ce programme de sauvegarde ? Y a-t-il une spécificité ultra-marine de ces images, de cette histoire, de cette télévision, de ces radios dans les mondes ultramarins ?

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