4. Réalisme : un groupe coopératif agricole et agroalimentaire

Si nous avons pu donner une idée de ce qu'était l'agriculture des années 50 en décrivant une ferme, dans l'introduction, cela n'est plus possible aujourd'hui, à la suite de toutes les évolutions dont nous avons traité. On peut malgré tout avoir une idée relativement précise de l'agriculture d'une région en décrivant un groupe coopératif : les activités qui ont été externalisées se retrouvent encore au niveau régional. Mais on n'aura pas de modèle de la « ferme France ». Cela est instructif et donne une image concrète des nécessités de l'organisation économique : il faut s'adapter sans cesse.

S'adapter sans cesse

Agrial se définit comme un groupe coopératif agricole et agroalimentaire. Dans son rapport moral 2005, le projet Horizon 2010 est évoqué : il vise à faire évoluer l'organisation et les missions sur le périmètre de la coopérative, la société mère du groupe. Celle-ci a surtout un rôle d'organisation de la production de ses adhérents, dont le nombre décroît rapidement : les frais de structure doivent être ajustés sans tarder, en même temps que les compétences ; l'activité de conseil aux adhérents devient très « pointue », les adhérents eux-mêmes ayant souvent le niveau de technicien supérieur ou ayant été eux-mêmes... techniciens de la coopérative ; et l'activité de conseil devra être rémunérée... en affrontant la concurrence des techniciens des chambres d'agriculture, financées par des taxes parafiscales. Aussi, les dirigeants de la coopérative, en même temps qu'ils traitent leurs problèmes de gestion, seraient prêts à recommander que les taxes prélevées auprès de leurs propres adhérents soient réduites (voilà un aspect concret de la vie de l'agriculture : tous les agriculteurs contribuent aux chambres d'agriculture, 90 % sont adhérents d'au moins une coopérative).

L'image d'une région

L'autre rôle de la société-mère est celui, directement ou par le canal de « sous-holdings », de porter les titres de ses filiales et participations qui constituent le groupe Agrial.

Les adhérents de la coopérative Agrial sont ainsi présents sur 7 filières : les céréales, le lait, les volailles, la viande bovine, le porc, les légumes et les boissons (cidre). La coopérative a aussi une activité d'agrofourniture (engrais, semences, phytosanitaires) et une activité agroindustrielle (aliment du bétail). Elle a filialisé pour des raisons fiscales son activité de distribution « Point vert » (elle fait son activité avec plus de 20 % de clients qui ne sont pas adhérents de la coopérative, notamment en jardin et bricolage) et son activité de distribution de machinisme agricole. Elle traite en direct la valorisation des récoltes de céréales. Pour le lait, elle dispose d'un contrat de fourniture avec la Compagnie laitière européenne [CLE, ex-Union laitière normande (ULN), réussite exceptionnelle, avant de connaître un grave échec], filiale du groupe Bongrain (la coopérative Agrial a une participation très minoritaire dans la CLE). A l'exception de l'activité « conditionnement d'oeufs », pour laquelle elle détient une participation minoritaire, toutes les autres activités de valorisation sont le fait de filiales regroupées dans Agrial-entreprise : Secoué et Socadis pour les volailles de chair, Socopa pour la transformation de la viande bovine et des porcs (Socopa est une société de capitaux détenus uniquement par des coopératives dont Agrial est un des leaders), Prim'co pour la première gamme de légumes et Florette (qui est lui-même un groupe dont le « vaisseau amiral » est Soleco) pour la quatrième gamme, Cidrerie du Calvados La fermière (CCLF), enfin, qui transforme les fruits à cidre. On vient ainsi de décrire l'agriculture rencontrée sur le périmètre de cette coopérative (entreprise territoriale sous contrôle du ministère en charge de l'agriculture), à savoir : la Basse-Normandie, la Mayenne et l'Ille et Vilaine. Tout le monde peut comprendre les difficultés qu'il y a à faire entendre à des agriculteurs, dont l'entreprise est territorialement limitée, qu'il faut s'implanter et fonder des sociétés en Angleterre, en Espagne ou en Tunisie pour réussir dans les légumes. Et quand on sait que le cash-flow d'Agrial-entreprise est généré essentiellement par l'activité espagnole de Soleco, les choses sont encore moins simples. Pourtant, tout cet ensemble fonctionne et draine la vie économique rurale par ses activités agricoles et son réseau très développé de 180 magasins ruraux : le rôle de ce groupe dans l'aménagement du territoire est évident. Ajoutons enfin que les producteurs de légumes sont une très petite minorité des adhérents de la coopérative ; tout le monde imagine alors l'importance -et la difficulté- de la vie coopérative pour que cet ensemble reste viable et cohérent. « Le conseil d'administration de la coopérative compte 31 membres qui sont tous agriculteurs. Ils sont élus par les délégués lors de l'assemblée générale annuelle pour un mandat de quatre ans renouvelable. Les membres du conseil d'administration représentent les régions territoriales ou les filières de productions animales et végétales qui ont elles-mêmes des structures de représentation : ce sont les conseils de région et de filière qui sont en charge du suivi des activités et de l'élaboration des orientations dans le cadre du budget annuel et du plan à trois ans. (...). Le Conseil s'appuie également sur les commissions. (...). Il intervient également, au travers de ses représentants, dans les comités de contrôle ou conseils d'administration des filiales qui composent le groupe ».

Lentement, vers le marché et la prise de risque en capital

Cet exemple pourrait être détaillé à l'infini. Son histoire, commencée avec celle des premiers syndicats agricoles, est édifiante : notons que c'est la tendance « vendre pour produire » qui l'a emportée de peu en ... 1972, contre la tendance « production ». Constatons en 2005 qu'il demeure encore très « agricolo centré », même si l'aventure Florette, initiée par Emile Ryckeboer, un agriculteur-créateur d'entreprise très indépendant, est mise en avant pour souligner la réussite coopérative dans l'agroalimentaire et à l'international. Soulignons aussi que 450 des 10.000 sociétaires sont entrés directement au capital d'Agrial-entreprise : « Cette orientation illustre bien la volonté du groupe (1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires) de conforter ses activités aval, plus que jamais indispensables pour accéder aux marchés et aux consommateurs ».

Actuel en technique et en gestion

Quelques traits du rapport d'activité donnent des indications sur les orientations qui sont prises. On observe que l'utilisation des fertilisants continue de diminuer et que les pratiques agronomiques et les suivis de cultures sont de plus en plus précis (utilisation de Farmstar pour le conseil à la parcelle à partir d'images satellites) ; que les surfaces de maïs diminuent parallèlement à l'intensification laitière qui entraîne la diminution du cheptel laitier ; que les surfaces en colza augmentent très significativement (« Agrial met en oeuvre tous les moyens pour accompagner les producteurs dans le développement de cette culture promise à un bel avenir avec les biocarburants ») ; ou que le dispositif logistique à partir des installations portuaires de Caen permet une livraison directe chez l'agriculteur (le réseau magasins permettra de garder le contact avec les agriculteurs n'ayant pas les volumes suffisants).

Remarquons le lancement de l'utilisation des marchés à terme pour permettre aux éleveurs qui le souhaitent de fixer à moyen terme les prix de l'aliment. Notons que le marché des robots de traite se développe rapidement avec les augmentations de taille des cheptels laitiers suite aux restructurations d'exploitations. Observons que les avantages fiscaux amènent les agriculteurs à faire le choix du neuf plutôt que de l'occasion alors que la disparition des petites exploitations porte un coup très dur à ce marché de l'occasion.

Soulignons la complémentarité des bassins de production en légumes frais, qui permet de limiter les effets des aléas climatiques et le fait que le réseau Internet est utilisé pour optimiser la récolte des salades en fonction des besoins du marché et de la charge des outils industriels : au total, la marque Priméale conforte ses positions en mettant en avant sa démarche de développement durable. Tandis que Florette, avec plus de 300 millions d'euros de chiffre d'affaires cherche en Europe des zones de croissance sur un marché de plus en plus concurrentiel.

Par ailleurs, la remise à plat des relations contractuelles entre les producteurs des vergers « basse tige » qui a été impulsée par la filiale cidre CCLF d'une part et, d'autre part la communication sur les marques « Ecusson » et « Loïc Raison », ont permis le redressement des performances.

Le rapport d'activité souligne que 2005 « a été marquée par des tensions très vives au sein de l'interprofession laitière avant d'aboutir à un accord sur les modalités de paiement du prix du lait. (...). Le prix du lait, jusqu'alors unique, devait mieux prendre en compte la situation des marchés et c'est ce qui a été acté dans le nouveau dispositif de recommandation du prix du lait avec le mécanisme de flexibilité qui permet d'adapter le prix du lait (payé au producteur) au mix produit de chaque entreprise (de transformation) ».

Avec les gains de productivité de la production laitière, les vaches indispensables pour approvisionner les outils de transformation ne sont plus assez nombreuses, alors que les achats des ménages sont en progression malgré les prix et avant la crise aviaire de fin 2005. Agrial encourage la production de jeunes bovins, « seule alternative à la diminution structurelle de l'offre d'animaux dits de réforme et à la demande du marché, non seulement en France mais aussi en Europe. L'évolution du contexte économique, qui résulte de la réforme de la PAC, nous conduit à appréhender cette production dans des conditions nouvelles autour de trois axes majeurs : produire du jeune bovin de type laitier, avoir des lots de taille suffisante et enfin améliorer les performances technico-économiques en élevage ».

De son côté, le pilotage très avisé et très professionnel de la branche volaille a permis d'obtenir des résultats en contraste avec l'ensemble de la filière française. Cette performance est due au positionnement dans les produits frais et les produits élaborés, avec un développement régulier dans les différents segments de la distribution (rapprocher de la stratégie dans les légumes : un flux tendu tiré par le consommateur de produits/services frais ou vivants -volailles découpées, salade épluchée et mélangée- sous logistique de froid). Par contre, l'activité oeuf de consommation a souffert, sauf en label. Pour les oeufs embryonnés, qui sont destinés à la vaccination contre la grippe, le choix a été de réduire l'activité en raison des aléas de production, sanitaires notamment, et par conséquent d'une gestion de risques qu'il est difficile d'assurer.

La coopération agricole : beaucoup plus que production agricole et industrie alimentaire

Le portrait de cette coopérative polyvalente pourrait être complété par ceux de bien d'autres, qui montreraient que les coopératives sont un instrument d'organisation de la production (atomisée entre de très nombreux producteurs agricoles) extrêmement précieux. Cependant, certaines d'entre elles sont spécialisées dans l'utilisation en commun des facteurs de production, comme les coopératives d'utilisation du matériel agricole (CUMA) -et l'on sait l'importance de la motorisation dans les gains de productivité- ou les coopératives d'insémination artificielle -et l'on connaît leur rôle déterminant dans la diffusion de la génétique animale-. Au total selon Coop de France, les 3.500 coopératives françaises et leurs 1.500 filiales, soit un total de 150.000 salariés principalement en zone rurale, répartissent leur chiffre d'affaires entre les céréales (26 %), la viande (21 %), le lait (20 %), la vitiviniculture (7 %, avec de très nombreuses coopératives très anciennes), l'alimentation animale (7 %), la distribution et les services (6 %), les fruits et légumes (5%), le sucre (3 %) et les autres activités (5 %). Si la fonction de collecte représente un peu plus de la moitié de l'activité totale, la transformation industrielle correspond à plus du quart. Dans ce dernier domaine, la part de marché des coopératives est de 80 % pour le cidre, 75 % pour le vin de table, 60 % pour l'alimentation animale et le sucre, presque la moitié dans le porc, 40 % dans le maïs et le malt, le tiers ou plus dans les vins de qualité, l'industrie laitière ou de la viande bovine, la meunerie et le champagne.

Citons-en quelques unes avec quelques marques : Terena (Gastronome, Paysan breton), In vivo (Gamm vert), Socopa (Valtero), Sodiaal (Yoplait, Candia), Téreos (Beghin-Say), Coopagri (Prince de Bretagne), Cecab (D'Aucy), Agrial (Florette), Unicopa (Brocéliande), Alliance (Pilpa), Champagne-céréales (Banette, Francine), Limagrain (Vilmorin, Clause, Pain Jacquet) ...

On a compris le rôle essentiel et multiple de ces entreprises dans l'organisation des producteurs. Il demeure fondamental, même lorsqu'elles atteignent des tailles importantes et qu'elles deviennent internationales. Elles ne peuvent s'échapper ni de l'agriculture, ni du territoire, même si elles lancent des pseudopodes dans l'agroalimentaire et à l'étranger ! Et, bien qu'elles n'échappent pas à la restructuration et à la concentration du secteur agroalimentaire, elles sont par essence liées à l'acte de production des matières agricoles. Nul doute qu'elles auront à ce titre un rôle énorme à jouer dans la pérennisation de l'activité de production, en prenant sûrement part à l'installation des jeunes (elles sont une école à la formation économique et à la prise de responsabilité des jeunes) et en garantissant une agriculture durable. Les industries privées, qui n'ont pas ce lien « organique » avec la production agricole, multiplient les actions, sous la pression des consommateurs notamment, pour s'assurer une liaison explicite avec cette activité vitale : l'agriculture.

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