EXAMEN EN DÉLÉGATION

Au cours de sa réunion du mardi 21 juin 2005 , tenue sous la présidence de M. Joël Bourdin, président, la délégation du Sénat pour la Planification a procédé à l'examen du rapport de M. Philippe Leroy, sur l'évaluation de l'impact de la libéralisation de la publicité télévisée et les perspectives ainsi ouvertes pour l'ensemble des acteurs concernés .

M. Philippe Leroy, rapporteur, a indiqué que si, a priori, l'évaluation de la libéralisation de la publicité télévisée intervenue fin 2003 avec une ouverture aux secteurs jusqu'alors interdits (le livre, la presse et la distribution), pouvait sembler concerner une décision de relativement faible portée, les enjeux de cette mesure étaient toutefois apparus très importants par ses impacts sur les différents médias et sur les annonceurs, mais aussi sur la contribution de la publicité au financement des « industries culturelles ».

Il les a illustrés en mentionnant le souci exprimé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de voir préservés, malgré l'ouverture, le pluralisme et la concurrence sur les marchés de la télévision et de la publicité télévisée et a observé que cette préoccupation pouvait être étendue à l'ensemble du secteur des médias.

Il a alors précisé que la décision d'ouverture avait consisté à permettre à certains secteurs d'accéder à la publicité télévisée sous certaines conditions.

Matériellement, l'ouverture n'a été que partielle :

- pour le cinéma, l'interdiction demeure ;

- pour la presse, l'ouverture est totale ;

- pour le livre, la publicité est réservée aux chaînes dites de complément (les chaînes du câble et du satellite) ;

- pour la distribution, les conditions sont plus complexes : les messages publicitaires promotionnels sont interdits ; la publicité n'est permise que sur les chaînes thématiques et locales jusqu'au 1er janvier 2007, puis à partir de cette date sur l'ensemble des chaînes.

Il a souligné que l'ouverture s'était voulue prudente et qu'en cela elle reflétait un compromis, à mettre en relation avec les objectifs économiques poursuivis par la réglementation de la publicité télévisée, de préserver l'équilibre financier des différents médias et des secteurs annonceurs.

M. Philippe Leroy, rapporteur , a indiqué que l'objet de l'évaluation avait été d'identifier les effets de la déréglementation, notamment pour savoir si l'objectif poursuivi de relative neutralité sur l'équilibre financier des médias serait atteint.

Il a indiqué que, quantitativement, on pouvait s'attendre à un supplément de recettes pour la télévision compris entre 130 et 190 millions d'euros, dont l'essentiel viendrait de la distribution.

Il a remarqué que ce résultat était très en deçà de ceux associés à une ouverture sans conditions, qui débouchent sur des chiffres oscillant entre 400 et 600 millions d'euros et a expliqué que cet écart provenait des conditions restrictives du décret, puisque, alors que l'essentiel de la publicité de la distribution est constitué de messages promotionnels, ceux-ci resteraient interdits à la télévision.

Abordant les impacts plus qualitatifs, il a souligné que le résultat principal de l'évaluation tenait dans les conséquences asymétriques de l'ouverture :

- les autres médias perdront des recettes. Si les représentants de la presse quotidienne régionale (PQR) semblent relativement satisfaits du compromis que manifeste le décret, le manque à gagner pour la PQR n'est pas très loin de son résultat annuel et équivaut à une fraction non négligeable (entre le cinquième et le tiers) des aides publiques directes allouées au secteur de la presse dans son ensemble ;

- s'agissant du paysage audiovisuel lui-même, le surplus des recettes devrait être très concentré vers deux opérateurs commerciaux lorsque les chaînes nationales s'ouvriront à la distribution.

Il en a conclu que la concentration des recettes liées à l'ouverture accentuerait les problèmes que connaissent les médias les moins solides.

S'agissant des effets de la déréglementation sur le paysage audiovisuel, il a estimé que, selon toute vraisemblance, ils seraient ceux que le CSA redoutait, l'accroissement du décrochage entre le secteur privé et le secteur public, perspective qui l'avait conduit à demander que le gouvernement envisage les moyens de corriger cette situation.

Remarquant que, jusqu'à présent, cette demande avait été suivie de peu d'effets, il a estimé que l'aggravation du dilemme posé par la situation du secteur public audiovisuel, pouvait rendre compte des difficultés à surmonter.

M. Philippe Leroy, rapporteur, a jugé que le choix avait été fait de promouvoir un secteur public audiovisuel chargé d'objectifs d'intérêt général, sans que le système de financement des chaînes publiques ne soit entièrement adapté à ces exigences :

- à l'inverse de l'Angleterre et de l'Allemagne, le secteur public doit composer avec un système économique mixte où les ressources publiques limitées doivent être complétées par des ressources commerciales, de publicité notamment ;

- par ailleurs, le périmètre du secteur public audiovisuel est constamment élargi, ce qui accroît les difficultés.

Les approches économiques de la publicité et les constats empiriques montrent, en général que respecter les obligations de service public dans le domaine audiovisuel oblige à sacrifier les scores d'audience et les recettes publicitaires associées.

Cette conséquence est d'autant plus inéluctable quand, comme c'est le cas en France, la réglementation de la publicité sur les chaînes du secteur public est plus rigoureuse que sur les chaînes privées, solution qui n'est d'ailleurs pas sans cohérence.

Le secteur public, qui doit trouver auprès des annonceurs le tiers de ses ressources, est donc pris dans un dilemme :

- soit il remplit ses obligations de service public et il sacrifie ses audiences et perd de plus en plus de terrain par rapport à des opérateurs privés avec lesquels il est en concurrence sur l'ensemble des marchés de l'audiovisuel ;

- soit il rentre dans la course à l'« audimat » pour maintenir ses positions, mais alors il perd de son sens.

Les enjeux du dilemme concernent le secteur public audiovisuel lui-même mais aussi la production audiovisuelle, a rappelé M. Philippe Leroy, rapporteur .

En effet, on évoque parfois l'existence d'une crise de la production audiovisuelle française, qui résulterait de l'insuffisance des ressources publicitaires des chaînes, et notamment des chaînes publiques, et on en conclut à la nécessité d'une déréglementation plus importante de la publicité télévisée.

M. Philippe Leroy, rapporteur , ayant indiqué que certaines réserves pouvaient être formulées sur l'existence de cette crise a centré ses réflexions sur les perspectives qu'offrirait l'élargissement de l'accès de la publicité à la télévision pour y répondre et pour combler une partie du retard financier du secteur public.

Il a d'abord insisté sur la nécessité de prendre en compte l'une des leçons de l'évaluation qui conduisait à mettre en garde contre les effets d'une nouvelle déréglementation de la publicité télévisée sur les autres médias si celle-ci devait ne pas être accompagnée.

Puis, il a jugé qu'il était sans doute utile de s'interroger sur les modalités de l'intervention publique au service du pluralisme.

En ce domaine, il a observé qu'il existait un choix entre la réglementation et les systèmes de péréquation articulés autour de mécanismes de taxation-redistribution.

On constate que l'histoire de la réglementation de la publicité télévisée est marquée par une libéralisation, pas à pas, mais qui semble inéluctable, même si notre pays continue de se singulariser par des restrictions globalement plus sévères qu'ailleurs.

Celles-ci peuvent avoir un coût avec le sous-développement du marché de la publicité télévisée, comme le montre a contrario la perspective d'une augmentation de ce marché avec l'ouverture aux secteurs interdits.

L'objectif de préserver l'équilibre financier des autres médias et des différents secteurs de l'audiovisuel, justifié par le souci du pluralisme, pourrait sans doute être atteint en procédant une redistribution, en aval, des recettes générées par le marché publicitaire plutôt qu'en réglementant celui-ci en amont.

M. Philippe Leroy, rapporteur , a d'ailleurs souligné qu'il serait très difficile de déréglementer davantage la publicité télévisée sans prendre des mesures de redistribution entre télévision et autres médias et au sein même du paysage audiovisuel. Il a alors remarqué que le marché de la publicité offrait quelques marges pour que celle-ci contribue davantage et plus uniment au financement des médias et des « industries culturelles » :

- première voie, si la publicité qui se dirige vers les médias est relativement sous-développée en France, avec entre 8 et 10 milliards d'euros selon les statistiques, la publicité dite « hors-média » engendre un chiffre d'affaires de l'ordre de 20 milliards d'euros et il pourrait être intéressant de réfléchir à la réorientation d'une fraction de cette somme vers les médias, plus importante que celle aujourd'hui prélevée au bénéfice de la modernisation de la presse ;

- deuxième voie, si les recettes publicitaires des chaînes entrent dans l'assiette de la taxe affectée au compte de soutien à l'audiovisuel et au cinéma, les recettes de parrainage en sont exclues, ce qui constitue une incitation à l'évasion fiscale, qui entraîne une multiplication des « écrans parrainés » et une inégalité du statut fiscal de recettes comparables ;

- troisième voie, les chaînes de télévision ont beaucoup diversifié leurs sources de chiffre d'affaires sans qu'en aient été tirées toutes les conséquences réglementaires, leurs différentes obligations en matière de contribution à la création restant assises sur la partie de leurs chiffres d'affaires, qui n'est probablement pas la plus dynamique.

M. Philippe Leroy, rapporteur , a jugé qu'il devrait être envisagé de mobiliser ces « gisements » pour, tout à la fois, résoudre les problèmes d'équilibre des médias autres que la télévision, ceux de la production audiovisuelle et les difficultés propres aux chaînes publiques.

Il a toutefois appelé à des expertises complémentaires et reconnu que les besoins à satisfaire pourraient durablement excéder les ressources nouvelles.

Il s'est, tout particulièrement, interrogé sur leur capacité à régler les problèmes du secteur public audiovisuel.

Après avoir estimé que l'augmentation du financement public permettrait d'éviter la banalisation du secteur public audiovisuel mais qu'elle représentait un choix public fort, il a suggéré que des mesures complémentaires puissent être envisagées :

- le retour à une plus grande égalité réglementaire avec le secteur privé permettrait de revenir, au moins un temps, vers un écart de ressources avec le secteur privé moins accusé ;

- une réflexion sur la question du périmètre du secteur public, qui ne serait pas nécessairement axée sur sa réduction, mais, sans doute plutôt sur la modification de sa composition, pourrait s'imposer.

M. Philippe Leroy, rapporteur, a conclu son exposé par une analyse des enjeux de la publicité télévisée pour les annonceurs et l'économie, telle que l'ouverture réalisée en 2003 les avait illustrés.

La consultation préalable à l'adoption du décret d'ouverture de la publicité a permis d'observer que les positions des différentes parties prenantes étaient ordonnées autour de leurs situations respectives sur les marchés concernés et de leurs capacités à profiter de la publicité télévisée.

Des compromis ont pu être trouvés dans les trois secteurs « culturels », les pouvoirs publics ayant dû adopter une solution moyenne pour la distribution qui semble ne satisfaire personne.

Il est normal que la perspective de l'ouverture de la télévision à la publicité ait engendré la crainte de voir se manifester des effets asymétriques entre les différents intervenants des secteurs concernés. En effet, certaines analyses théoriques estiment que la publicité accroîtrait la concentration sur les marchés. Cependant, d'autres approches concluent, au contraire, à une intensification de la concurrence.

L'inquiétude a vraisemblablement été excessive en l'occurrence, compte tenu de la nature des biens concernés : leur demande peut apparaître faiblement élastique aux campagnes promotionnelles ; par ailleurs, les perspectives associées à l'ouverture de la publicité télévisée semblent réduites, sauf pour la distribution ; enfin, les situations de marché existantes, par exemple les parts de marché relatives des grands distributeurs et du commerce indépendant semblent peu susceptibles de connaître de profondes évolutions du fait de la mesure.

En revanche, des opportunités ont été probablement sous-estimées. Ainsi, l'absence prolongée du livre de l'univers télévisuel des jeunes ne contribuera pas à accoutumer ceux-ci à la lecture.

Enfin, les risques liés à l'ouverture semblent plutôt du côté des difficultés de pilotage des coûts publicitaires par les entreprises avec des perspectives en termes de gaspillage économique, de réduction de la rentabilité ou de hausse du niveau général des prix.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Yvon Collin a regretté que l'impact défavorable de l'ouverture sur la presse quotidienne régionale n'ait pas été accompagné de mesures tendant à le compenser.

M. Philippe Leroy, rapporteur , a alors observé que la PQR s'efforçait de répondre à la baisse de son lectorat, et de ses recettes publicitaires, notamment par des mesures de diversification vers les « gratuits » ou les télévisions locales.

A ce propos, il a estimé que, paradoxalement, les conditions de l'ouverture aux secteurs interdits, qui prohibent toute publicité promotionnelle, pouvaient faire obstacle au développement de ces télévisions et, ainsi, gêner les opportunités de diversification de la PQR. Il a enfin ajouté que tout approfondissement de la déréglementation pourrait amplifier les difficultés de la presse et de la radio.

M. Jean-Pierre Plancade s'est d'abord interrogé sur les dynamiques à l'oeuvre sur le marché publicitaire, en particulier sous l'angle de sa répartition entre les médias. Puis, il s'est demandé dans quelle mesure ceux-ci étaient substituables entre eux sur ce marché.

M. Joël Bourdin, président , a souhaité que le rapporteur informe la délégation sur les perspectives du marché publicitaire associées aux nouvelles technologies, dont Internet.

En réponse, M. Philippe Leroy, rapporteur, a observé que le marché publicitaire se développait en ligne avec la croissance générale, connaissant d'ailleurs une étroite corrélation avec la conjoncture. Il a mis en évidence l'augmentation de la part de marché de la télévision et observé que les variations des contingents publicitaires autorisés pouvaient sensiblement affecter les recettes des chaînes comme l'avait montré la loi de 2000 sur le volume de la publicité sur les chaînes publiques. Il a rappelé que les médias n'étaient pas entièrement substituables pour les annonceurs, mais qu'une déréglementation plus complète de la publicité pour la distribution pourrait entraîner des transferts importants entre médias et à partir de la publicité « hors-médias ».

Enfin, il a souligné l'important potentiel des nouvelles technologies, en particulier Internet, les téléphones mobiles et les systèmes d'incrustations, comme vecteurs publicitaires, remarquant que certaines possibilités techniques pourraient en contrepartie brider le marché.

M. Claude Saunier a alors souligné l'intérêt de l'évaluation dont les principaux résultats montrent l'importance des effets négatifs de la mesure sur l'équilibre de la PQR et des chaînes du secteur public. Ayant remarqué la faible contribution du « hors-média » au financement des biens culturels et l'impact environnemental défavorable qu'il recèle, il a manifesté son inquiétude de voir préservée la spécificité du secteur public audiovisuel.

En réponse à une question de M. Joël Bourdin, président, sur l'impact de la publicité sur les contenus des programmes télévisés, M. Philippe Leroy, rapporteur , a d'abord observé que les grilles de programmation comparées des chaînes, avec ou sans financement publicitaire, ne permettaient pas de conclure simplement. Cependant, des nuances qualitatives semblent bien exister, comme le montre le choix des chaînes publiques de ne pas programmer ouvertement d'émissions de « télé-réalité », ou encore les sondages de satisfaction, qui semblent plus favorables au secteur public. Il a estimé que cela n'empêchait pas les chaînes commerciales de disposer d'une audience plus importante, ce qui est conforme aux modèles économiques comparés du secteur public et du secteur commercial. Il a conclu qu'il fallait prendre pleinement en compte ces observations complexes pour définir les objectifs et les moyens de la politique publique de l'audiovisuel.

La délégation a alors donné un avis favorable à la publication du rapport d'information de M. Philippe Leroy, rapporteur .

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