B. ... MAIS DEMEURE PERFECTIBLE : LES APPORTS DES PROPOSITIONS DE LOI

En dépit des dispositions pénales sanctionnant les violences au sein du couple ainsi que de la mise en place progressive d'une politique globale de lutte contre celles-ci, des marges de progression demeurent, tant en ce qui concerne la répression et la prévention des violences que l'apport d'aides spécifiques aux victimes .

Tel est précisément l'objet des dispositions des deux propositions de loi que le Sénat a inscrites à son ordre du jour réservé et dont votre délégation a été saisie pour avis par la commission des lois.

1. En matière de répression

Le chapitre I er de la proposition de loi n° 62 (2004-2005) de notre collègue Roland Courteau et de plusieurs de ses collègues est relatif à l'aggravation des peines et comporte trois articles.

L' article 1 er propose d'insérer dans le code pénal un nouvel article 222-13-1 punissant d'une peine d'emprisonnement de trois ans le fait pour toute personne de se livrer de façon habituelle à des actes de violence physique ou psychologique sur son conjoint, son ex-conjoint, son concubin ou son ex-concubin et, dans le cadre d'un pacte civil de solidarité (PACS), son partenaire ou son ex-partenaire.

Alors que le 6° de l'article 222-13 du code pénal sanctionne déjà les violences commises par le conjoint ou le concubin de la victime, le nouvel article 222-13-1 apporte trois principales innovations :

- d'une part, il incrimine les violences au sein du couple qui se produisent de manière répétée , s'inspirant sur ce point de la législation espagnole ; en effet, il existe des faits, en particulier de nature psychologique, qui peuvent être supportables lorsqu'ils se produisent peu fréquemment, mais qui ne le sont plus quand ils prennent un caractère habituel et répété ;

- d'autre part, il ne vise plus seulement le conjoint ou le concubin de la victime, mais également le partenaire d'un PACS, de manière à prendre en compte l'ensemble des statuts des couples ;

- enfin, il vise les « ex », anciens conjoints, anciens concubins et anciens partenaires d'un PACS, la fin de la vie de couple, quelle que soit les modalités de celui-ci, ne mettant malheureusement pas toujours un terme au cycle de la violence pour les femmes qui en sont victimes.

Sur ce dernier point, votre rapporteur note que Mme Sabrina Bellucci, coordinatrice du pôle « Animation Réseau » à l'INAVEM, qu'il a rencontrée lors de son déplacement au commissariat central de Tours, a insisté sur l'importance des violences commises par les « ex », estimant nécessaire une modification de la législation afin de prendre en compte ce cas de figure. En effet, un acte de violence commis par un « ex » n'est pas considéré par le juge comme une violence au sein du couple, qui peut requalifier les faits en violence « légère », passible du tribunal de police et non plus du tribunal correctionnel.

D'ailleurs, dans une décision du 12 février 2002, la Cour de cassation, considérant qu'« il appartient dès lors au juge répressif de vérifier qu'au moment des faits poursuivis, une situation de concubinage perdurait entre auteur présumé et victime des violences », en conclut que le fait que l'auteur des violences étant l'ex-concubin ne constitue pas une circonstance aggravante.

L' article 2 propose de compléter l'article 222-23 du code pénal qui définit le viol et détermine sa sanction (quinze ans de réclusion criminelle), en donnant au viol entre époux un fondement législatif , les auteurs de la proposition de loi estimant, selon l'exposé des motifs, que « certaines interdictions méritent d'être mieux mises en évidence dans notre droit pénal afin de renforcer leur effet dissuasif ».

Actuellement, en effet, la loi reste muette sur le viol entre époux , qui, en revanche, a été reconnu par la jurisprudence de la Cour de cassation .

Celle-ci, dans une décision du 5 septembre 1990, a reconnu que la disposition du code pénal définissant le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise » 31 ( * ) , « n'exclut pas de ses prévisions les actes de pénétration sexuelle entre personnes unies par les liens du mariage lorsqu'ils sont imposés dans les circonstances prévues par ce texte ».

Puis, dans une affaire dans laquelle la cour d'appel avait confirmé l'analyse du juge d'instruction qui avait estimé que le mariage avait pour effet de légitimer les rapports sexuels et que l'épouse ne pouvait invoquer son absence de consentement ou l'agressivité qui a accompagné des actes sexuels normaux pour soutenir avoir été victime de viols, la Cour de cassation, dans une décision du 11 juin 1992, a jugé, au contraire, que « la présomption de consentement des époux aux actes sexuels accomplis dans l'intimité de la vie conjugale ne vaut que jusqu'à preuve contraire ».

Désormais, la loi reconnaîtrait l'existence du viol entre époux.

L' article 3 (article 2 de la proposition de loi n° 95 (2004-2005) de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et de plusieurs de ses collègues) tend à étendre aux partenaires d'un PACS l'application de plusieurs dispositions du code pénal (6° des articles 222-3, 222-8, 222-10, 222-12, 222-13) selon lesquelles la qualité de conjoint ou de concubin de la victime constitue une circonstance aggravante en cas d'atteinte volontaire à l'intégrité de la personne, à savoir :

- tortures ou actes de barbarie (article 222-1) ;

- violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner (article 222-7) ;

- violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (article 222-9) ;

- violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours (article 222-11) ;

- violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail (article 222-13).

Votre délégation est favorable à ces dispositions, et souhaiterait que la mesure prévue à l'article 3 de la proposition de loi n° 62 soit étendue aux ex-conjoints, ex-concubins et ex-partenaires de PACS, car la rupture de la vie de couple ne signifie pas nécessairement la fin des violences pour les femmes, comme l'ont d'ailleurs montré les résultats de l'enquête ENVEFF.

2. En matière de prévention

Le chapitre II de la proposition de loi n° 62 concerne la prévention des violences au sein du couple et la formation des personnels au contact des victimes. Il comporte quatre articles.

L' article 4 propose, dans son I, d'insérer dans le code de l'éducation un nouvel article L. 312-17-1 prévoyant qu'une information sur les violences au sein des couples est dispensée dans les collèges et les lycées à raison d'au moins un séance annuelle. Pourront y être associés, notamment, les personnels contribuant à la répression des violences conjugales et à l'aide aux victimes.

Cette disposition est calquée sur les articles L. 312-16 et L. 312-17 du code de l'éducation qui prévoient une information, respectivement, sur la sexualité et sur les conséquences de la consommation d'alcool par les femmes enceintes sur le développement du foetus.

L'information sur les violences au sein des couples pourra être dispensée, par exemple, par des policiers, des magistrats, des responsables d'associations ou encore des agents des services sociaux.

Elle apparaît d'autant plus importante à votre délégation que la violence est bien souvent un comportement acquis que l'on peut modifier , et qui apparaît dès le jeune âge, notamment à l'adolescence. Les jeunes filles et femmes sont elles-mêmes de plus en plus souvent victimes de violences 32 ( * ) .

En outre, trop d'enfants sont les témoins, voire les victimes des violences entre leurs parents, avec des conséquences parfois dramatiques sur leur développement psychologique. Il est donc essentiel de les sensibiliser à ce fléau de société.

Le II de l'article 4 propose de faire du 25 novembre une journée nationale de sensibilisation aux violences au sein des couples. Cette date a été choisie en référence à la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, célébrée le même jour depuis la résolution 54/134 de l'assemblée générale des Nations Unies du 17 décembre 1999.

Rappelons d'ailleurs que, le 25 novembre 2004, les sénateurs, à l'initiative de Mme Gisèle Gautier, présidente de votre délégation, s'étaient associés à cette Journée internationale, et que le président du Sénat avait signé la « charte des hommes contre les violences faites aux femmes ».

Cette disposition constituerait ainsi une base pour mener des campagnes d'information visant à dénoncer les violences faites aux femmes, qui sont indispensables pour faire évoluer les mentalités.

L' article 5 (article 1 er de la proposition de loi n° 95) pose un principe permettant de dispenser aux médecins, à l'ensemble des personnels médicaux et paramédicaux, aux travailleurs sociaux, aux magistrats et aux personnels de la police nationale et de la gendarmerie nationale, dans des conditions fixées par décret, une formation initiale et continue les mettant à même d'assister les victimes de violences conjugales et de prendre les mesures nécessaires de prévention et de protection.

La formation est en effet essentielle en la matière.

Il a été montré, plus haut, que la qualité de l'accueil des victimes était une condition sine qua non d'un dépôt de plainte par les femmes, voire de la démarche de se rendre dans un commissariat. Or, aujourd'hui encore, cet accueil, de la part des policiers ou des gendarmes, demeure perfectible, même si de réels progrès ont été réalisés depuis quelques années. De même, le traitement judiciaire des affaires de violences conjugales a longtemps été médiocre, les magistrats n'étant pas toujours bien au fait de ces questions. Enfin, et les résultats de l'enquête ENVEFF comme le rapport Henrion l'avaient bien montré, les médecins sont souvent les premiers interlocuteurs des femmes victimes de violences au sein de leur couple.

L' article 6 propose un dispositif visant, selon deux modalités distinctes, à protéger les victimes lors du contrôle judiciaire institué par l'article 138 du code de procédure pénale.

Le contrôle judiciaire, qui peut être ordonné par le juge d'instruction ou par le juge des libertés et de la détention si la personne mise en examen encourt une peine d'emprisonnement correctionnel ou une peine plus grave, astreint la personne concernée à se soumettre à certaines obligations, en particulier, selon le 3° de l'article 138 du code de procédure pénale, ne pas se rendre en certains lieux ou ne se rendre que dans les lieux déterminés par le juge.

Le I (article 3 de la proposition de loi n° 95) de l'article 6 précise que, parmi les lieux où la personne sous contrôle judiciaire ne peut pas se rendre, figure le domicile du couple en cas de violences entre conjoints, concubins ou partenaires liés par un PACS.

Cette disposition permettrait de tenir éloigné le conjoint violent du domicile conjugal. Elle étend en matière pénale le dispositif similaire introduit dans le code civil (3 ème alinéa de l'article 220-1) à l'occasion de la réforme du divorce mise en oeuvre par la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004.

Votre délégation souhaiterait, sur ce point également, que cette disposition soit applicable aux « ex », ex-conjoints, ex-concubins et ex-partenaires d'un PACS.

Une autre obligation énumérée par l'article 138 du code de procédure pénale, cette fois au 10°, consiste à se soumettre à des mesures d'examen, de traitement ou de soins, même sous le régime de l'hospitalisation, notamment aux fins de désintoxication.

Le II (article 4 de la proposition de loi n° 95) de l'article 6 propose que cette obligation de soins poursuive , en plus d'une finalité de désintoxication, un autre objectif, celui de la prévention des violences au sein des couples .

L' article 7 propose d'insérer dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse un nouvel article 48-4 permettant aux associations qui, par leurs statuts, combattent les violences ou les discriminations fondées sur le sexe ou assistent les victimes de violences au sein du couple d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne le délit que constitue la provocation à commettre, notamment, des agressions sexuelles, par l'un des moyens suivants : des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics ; des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics ; des placards ou des affiches exposés au regard du public ; tout moyen de communication au public par voie électronique.

Concrètement, cette disposition doit permettre de lutter plus efficacement contre les images dégradantes de la femme trop souvent véhiculées par la publicité et contre les représentations incitant à la violence ou au sexisme.

3. En matière de prise en charge des victimes

Le chapitre III de la proposition de loi n° 62 est relatif aux aides spécifiques aux victimes de la violence au sein du couple. Il comporte quatre articles.

L' article 8 tend à introduire un nouvel alinéa dans l'article 2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique qui permettrait aux mineurs victimes d'agressions physiques ou sexuelles de bénéficier de l'aide juridictionnelle sans considération des ressources dont disposent leurs parents ou tuteurs légaux. Cette aide deviendrait ainsi automatique pour les victimes mineures.

L' article 9 propose de compléter l'article 25 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique précitée, qui précise que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat.

Désormais, le bénéficiaire, lorsqu'il s'agit d'une victime de violences sexuelles, se verrait garantie la présence d'un avocat formé à l'assistance aux justiciables victimes de ce type de violences.

L' article 10 (article 5 de la proposition de loi n° 92) tend à compléter l'article 706-3 du code de procédure pénale, selon lequel toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne.

L'article 706-3 du code de procédure pénale vise les victimes de faits, soit ayant entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail égale ou supérieure à un mois, soit d'un viol, d'une agression sexuelle, de la traite des êtres humains ou d'un attentat à la pudeur.

Seraient intégrées dans le champ de cette possibilité d'indemnisation les infractions commises au sein du couple suivantes : les tortures et actes de barbarie, les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours, les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail, le meurtre (article 221-1 du code pénal), le meurtre avec préméditation (article 221-3), l'administration de substances nuisibles ayant porté atteinte à l'intégrité physique ou psychique d'autrui (article 222-15), les appels téléphoniques malveillants réitérés ou les agressions sonores (article 222-16), les menaces de commettre un crime ou un délit contre les personnes (articles 222-17 et 222-18), le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence (article 223-1), le fait d'entraver volontairement l'arrivée de secours destinés à faire échapper une personne à un péril imminent ou à combattre un sinistre présentant un danger pour la sécurité des personnes (article 223-5), l'enlèvement ou la séquestration (article 224-1).

Enfin, l' article 11 propose de faire prendre en charge par la solidarité nationale les victimes de violences au sein du couple, qu'elles soient de nature sexuelle, physique ou psychologique, ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à six mois.

Si la victime ne bénéficie plus de ressources suffisantes, elle peut prétendre, dans des conditions déterminées par décret, à une aide financière de l'Etat et à un dispositif facilitant son accès à un emploi public ou salarié adapté.

Cette disposition permettrait aux femmes de se reconstruire, en particulier sur le plan professionnel, en leur donnant les moyens de recouvrer leur autonomie, dont Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, a dit devant votre délégation qu'elle constituait une « notion capitale pour les femmes ».

La ministre a également indiqué que les victimes devaient se voir proposer des aides financières et, à ce titre, l'allocation de parent isolé (API) ou le revenu minimum d'insertion (RMI) seront mobilisés rapidement. Evoquant l'accompagnement professionnel, elle a précisé qu'une femme contrainte à une démission consécutive à des violences conjugales se verrait attribuer des allocations chômage, ce qui n'est pas possible actuellement.

* 31 Cette définition du viol, introduite par l'article 1 er de la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats à la pudeur, ne comportait pas, dans sa version d'origine, le mot « menace ».

* 32 Cf. sur ce point le rapport n° 263 (2003-2004) de Mme Gisèle Gautier sur la mixité dans la France d'aujourd'hui.

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