3. Vulnérabilité de l'investisseur ou vulnérabilité du démarché ?

Dans le contexte du démarchage, l'investisseur confronté au prestataire professionnel est placé dans une double position de faiblesse , qui réside à la fois dans sa condition de profane et de personne sollicitée sans l'avoir demandé. Le régime du démarchage est toutefois davantage axé sur la seconde caractéristique, c'est-à-dire sur la vulnérabilité « contextuelle ». Il s'agit donc de « prendre en compte l'état de vulnérabilité particulier dans lequel se trouvent les personnes sollicitées sans leur autorisation et non pas compenser la position de faiblesse structurelle qui est celle de tout investisseur profane », ainsi que le rappelle le professeur Stéphane Torck dans son article précité.

Les deux dimensions demeurent néanmoins intimement mêlées , de telle sorte qu'il est apparu difficile de ne traiter juridiquement que l'état de vulnérabilité procédant de la seule prise de contact par voie de démarchage. Cette « contamination » potentielle de la faiblesse conjoncturelle du démarché par la vulnérabilité structurelle de l'investisseur non averti ne permettait sans doute pas de réaliser un arbitrage et une distinction juridiques suffisamment clairs, par le truchement du seul critère explicite de la « prise de contact non sollicitée » (cf. infra ).

Le nouveau régime du démarchage paraît donc effectivement poursuivre deux objectifs distincts, mais qui ressortissent tous deux à la nécessité de renforcer la relation de confiance entre prestataires et investisseurs, critère structurant de cette loi.

Nous ne reviendrons ci-après que sur les principales controverses que ce nouveau régime soulève.

4. La définition du démarchage

La difficulté de la définition de l'opération de démarchage vient de ce qu'elle procède en premier lieu d'une situation a priori claire, lisible et neutre au regard des moyens techniques utilisés, prévue par le premier alinéa de l'article L. 341-1 du code monétaire et financier : « une prise de contact non sollicitée, par quelque moyen que ce soit, avec une personne physique ou une personne morale déterminée, en vue d'obtenir, de sa part, un accord » sur la réalisation d'une opération ou la fourniture d'un service à caractère financier. Cette définition globale est toutefois compliquée par une altération du principe de non-sollicitation, dès le septième alinéa de l'article L. 341-1 précité 68 ( * ) , puis par l'adjonction de nombreux critères d'exclusion , parfois par le jeu des double négations, portant sur les personnes habilitées à démarcher, les caractéristiques des personnes démarchées, le lieu de la prise de contact, la nature des opérations ou le niveau de risque des produits proposés. Cette complexification s'est en partie effectuée par strates durant l'examen par le Parlement, ainsi qu'en témoigne la liste des exclusions prévue par l'article L. 341-2 du code monétaire et financier, alors que le corps principal du dispositif procédait pour une large part d'un projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, déposé au Sénat le 30 mai 2001 (mais qui n'a jamais été discuté), et avait donc fait déjà l'objet d'une concertation avec les professionnels.

Les aménagements apportés en cours d'examen n'ont certes pas toujours contribué à améliorer la lisibilité du texte, mais n'en manifestent pas moins une volonté de cohérence et d'équilibre entre la protection de l'épargnant et un certain pragmatisme quant au formalisme pesant sur les professionnels . L'assouplissement du régime pour certains salariés des personnes habilitées à recourir au démarchage, prévu au deuxième alinéa de l'article L. 341-6 du code précité, ou la non-soumission au régime du démarchage pour certaines opérations financières, tels que les contrats de crédit affecté, participent de ce pragmatisme. Parmi les points qui ont fait l'objet de débats doctrinaux, relevons :

a) Le démarchage sollicité par le prospect

La possibilité d'un démarchage sollicité par les personnes physiques , précédemment évoqué, a pu apparaître contradictoire avec le principe général du démarchage (une prise de contact non sollicitée), et peu cohérente avec l'exclusion du démarchage pour les prises de contact dans les locaux professionnels des établissements financiers (2° de l'article L. 341-2 du même code 69 ( * ) ).

Si ces réserves peuvent sembler justifiées, votre rapporteur général considère néanmoins que la question du lieu de la prise de contact n'est pas neutre , et qu'une entrevue, même sollicitée par le prospect, qui a lieu au domicile de ce dernier, introduit un élément de vulnérabilité emportant assimilation à du démarchage à domicile.

Les cas de démarchage sollicité ne visent que les situations impliquant la présence physique du démarcheur, et non les contacts réalisés par des moyens de communication à distance et en particulier par Internet, ce qui a également été contesté. Il reste que les contacts sollicités à distance, du fait de leur moindre interactivité, préservent sans doute mieux les capacités de réflexion et de recul du prospect, en particulier au moment de la signature de l'acte d'achat, ce qui peut justifier cette différence de régime.

b) Les contacts dans les locaux professionnels d'une personne morale, à son initiative

Selon les dispositions du 3° de l'article L. 341-2 du code monétaire et financier, les prises de contact sollicitées par une personne morale et réalisées dans ses locaux professionnels ne ressortissent pas au démarchage . Cette différenciation entre personnes physique et morale, s'agissant du démarchage sollicité, a été contestée, de même qu'a été relevé le risque d'une possible exclusion du régime du démarchage pour toute personne physique se trouvant dans ces locaux professionnels 70 ( * ) .

La première observation semble recevable ; il eût donc sans doute été préférable d'aligner les personnes morales sur le régime des personnes physiques , en les soumettant aux mêmes dispositions relatives au démarchage sollicité, dès lors qu'elles se situent en deçà des seuils quantitatifs d'exclusion des personnes morales 71 ( * ) (cf. infra ). La seconde crainte , qui contribuerait à faire de ces locaux professionnels des « zones de non droit » (en l'absence de la modification précédemment évoquée), paraît en revanche devoir être écartée : le critère de la personne démarchée devrait l'emporter sur celui du lieu, dès lors que cette personne physique est manifestement étrangère à la prise de contact sollicitée par la personne morale (et donc à sa « renonciation » au bénéfice du régime du démarchage), c'est-à-dire, par exemple, qu'elle n'est pas un salarié directement concerné par le rendez-vous que la direction financière de la société a sollicité auprès du prestataire.

c) Les lieux non destinés à la commercialisation de produits et services financiers

Certains professionnels considèrent que la notion de « lieux non destinés à la commercialisation de produits, instruments et services financiers », prévue par le septième alinéa de l'article L. 341-1 précité, est trop floue pour être réellement opérationnelle. Votre rapporteur général estime cependant que cette expression, certes large, demeure suffisamment explicite et s'articule avec le 2° de l'article L. 341-2, précité : les lieux de commercialisation peuvent naturellement être les locaux professionnels des démarcheurs ou de leurs mandants, mais aussi des lieux dont la vocation commerciale temporaire ne souffre pas de réelle ambiguïté, tels que les salons de l'investissement et de l'épargne.

d) Le démarchage dans les locaux des magasins de grande surface

A contrario , le fait que les prises de contact dans les locaux professionnels, que sont ceux des établissements financiers liés aux grands distributeurs et implantés dans les mêmes locaux que les magasins de grande surface, emporte soumission au démarchage, a parfois été interprété comme une nouvelle source d'incohérence. Votre rapporteur général reconnaît que cette disposition constitue une entorse au principe d'exclusion du démarchage du 2° de l'article L. 341-2 du code monétaire et financier, précédemment évoqué, mais considère qu'elle est pleinement légitime. Il tient à rappeler qu'il avait suscité, en première lecture, un débat sur l'insertion croissante de la grande distribution dans les domaines du crédit et de l'épargne .

Il ne s'agit certainement pas de jeter l'opprobre sur un secteur dont on connaît l'importance vitale pour l'économie française (considérant en particulier sa compétitivité à l'échelle internationale) et qui permet à nos concitoyens d'accéder à un grand nombre de biens à moindre coût, mais de bien mesurer et encadrer les risques que créent certaines situations. Il convient en effet de garder à l'esprit que l'achat d'un produit de placement ou de nature bancaire, s'il constitue aujourd'hui un acte courant, ne procède pas de la même logique et n'emporte pas les mêmes conséquences que les achats réalisés quotidiennement dans les magasins de grande surface . En termes plus brefs, on n'achète pas des parts d'un fonds de gestion alternative comme une bouteille de soda. Or la présence de locaux financiers dans l'enceinte ou à proximité immédiate de ces magasins introduit une continuité temporelle et géographique dans ces deux types d'achat, a fortiori lorsque l'opération de crédit permanent revêt les habits attractifs de la ristourne dans une optique de fidélisation, et peut donc placer le consommateur dans les mêmes dispositions psychologiques pour l'un et l'autre achats. Si la stratégie de certains grands distributeurs, qui créent leur propre établissement de crédit, se conçoit aisément 72 ( * ) et est facteur d'amélioration bienvenue de la rentabilité, elle ne doit pas donner lieu à des comportements peu responsables où affleure parfois la mauvaise foi.

Les propositions de services et produits financiers, dès lors qu'ils comportent une interface commune avec la grande consommation, que ce soit par l'intermédiaire du lieu ou des employés impliqués dans la commercialisation, doivent donc être soumises au régime protecteur du démarchage, tout en tenant compte des contraintes de gestion et d'organisation des entreprises de grande distribution 73 ( * ) . En outre, l'exonération du régime du démarchage, au même titre que les autres prises de contact dans des locaux professionnels, aurait pu accroître les risques de réclamation et de contentieux initiés par les consommateurs, et donc procéder d'une logique de courte vue. Une telle disposition n'a donc pas pour objet d'empêcher les entreprises de grande distribution de développer leur activité bancaire et financière, mais rend cette dernière plus conforme aux exigences de protection du consommateur qu'emporte leur activité principale.

Certaines remarques ont enfin été formulées sur le contenu précis de l'expression « contractuellement liées (...) aux sociétés exploitant des magasins de grande surface ». Votre rapporteur général rappelle que ce critère du contrat est juridiquement fondé et permet de couvrir plusieurs types de relations entre une entreprise de grande distribution et un prestataire financier, en particulier le partenariat commercial et la filialisation.

e) Les critères quantitatifs d'exclusion des personnes morales

Le principe de critères quantitatifs (alternatifs), retenus par le 1° de l'article L. 341-2, emportant exclusion du démarchage pour les personnes morales, a été approuvé par la plupart des observateurs. Certains 74 ( * ) , à l'instar de votre rapporteur général, qui avait proposé d'introduire un critère qualitatif d' « investisseur professionnel », plus cohérent mais peut-être moins opératoire, émettent toutefois des doutes sur leur pertinence. Outre les effets pervers traditionnellement attribués aux seuils, qui impliquent de les fixer à un niveau bas (ce qui de fait sera le cas, cf. première partie), les critères d'effectifs et de recettes ne semblent en particulier pas constituer une garantie fiable de connaissance et de maîtrise des instruments financiers, et peuvent contribuer à évincer des entreprises de petite taille, mais dont la nature de l'activité ou la forte internationalisation leur ont permis de bénéficier d'une rapide « courbe d'expérience ».

Votre rapporteur général rappelle que sa proposition entendait faire reposer la présomption de compétence du prospect - et donc l'exclusion du régime du démarchage - sur sa pratique et sa compétence réelles plutôt que sur des critères rigides.

f) La sollicitation de personnes déjà clientes

Le 5° de l'article L. 341-2 du code précité dispose que les règles du démarchage ne s'appliquent pas « lorsque la personne visée est déjà cliente de la personne pour le compte de laquelle la prise de contact a lieu, dès lors que l'opération proposée correspond, à raison de ses caractéristiques, des risques ou des montants en cause, à des opérations habituellement réalisées par cette personne ». Ces dispositions sont parfois apparues insuffisamment claires . Il semblait néanmoins difficile, sans dénaturer l'esprit de la loi, de se montrer plus précis, et votre rapporteur général juge que ces dispositions ne donnent en l'état guère de prise à l'ambiguïté . Les critères évoqués pour l'opération sont clairement alternatifs, et le terme « habituellement » implique récurrence et analogie dans les offres passées. Dès lors, toute proposition de produit ou service atypique qui n'entrerait pas dans les habitudes du client, et qui nécessiterait donc de sa part un effort de compréhension et d'acclimatation, doit requérir la pédagogie qu'emporte le démarchage.

* 68 « Constitue également un acte de démarchage bancaire ou financier , quelle que soit la personne à l'initiative de la démarche , le fait de se rendre physiquement au domicile des personnes, sur leur lieu de travail ou dans les lieux non destinés à la commercialisation de produits, instruments et services financiers, en vue des mêmes fins ».

* 69 « (Les règles concernant le démarchage bancaire ou financier ne s'appliquent pas) (...) aux prises de contact dans les locaux des personnes mentionnées à l'article L. 341-3 (...) ».

* 70 Ce qui contreviendrait aux dispositions de l'article L. 341-1, qui, rappelons-le, intègre dans le démarchage les prises de contact avec les personnes physiques se déroulant sur leur lieu de travail ou dans des lieux non destinés à la commercialisation de produits et services financiers.

* 71 Critères qui impliquent donc qu'une personne morale peut se révéler aussi vulnérable qu'une personne physique au regard du démarchage, et ce, que la prise de contact ait ou non lieu à sa demande.

* 72 L'étendue de la clientèle de la grande consommation offre des perspectives très attrayantes pour les services financiers, qui peuvent eux-mêmes être proposés comme des instruments de facilitation de l'acte d'achat d'un quelconque bien (paiement fractionné, crédit permanent associé ou non à des réductions tarifaires...).

* 73 A cet égard, votre rapporteur général a accepté le compromis proposé en seconde lecture et a admis certaines critiques formulées sur son amendement de première lecture.

* 74 En particulier le professeur Stéphane Torck, dans son article précédemment cité.

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