Rapport d'information n° 369 (2001-2002) de M. Paul BLANC , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 24 juillet 2002

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N° 369

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 24 juillet 2002

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la politique de compensation du handicap ,

Par M. Paul BLANC,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Joël Billard, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Alain Joyandet, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mme Valérie Létard, M. Serge Mathieu, Mmes Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Handicapés.

LISTE DES ENCADRÉS

75 propositions et orientations pour une politique de compensation du handicap

7

Les avatars de la loi de 1975

17

Les attributions des COTOREP et des CDES

20

Composition des COTOREP et des CDES

24

Le jeu de cache-cache des acteurs locaux du handicap

28

Liste des annexes informatives « jaunes » (PLF 2002)

47

Les principales prestations ou aides concourant à la prise en charge des frais
liés à la compensation du handicap

52

Principaux avantages fiscaux accordés au titre du handicap ou de l'infirmité

53

Les conditions d'attribution de l'allocation d'éducation spéciale (AES)

58

Les services médico-sociaux d'accompagnement pour les enfants handicapés

63

Principaux organismes financeurs des aides techniques

70

Principaux organismes financeurs des adaptations du cadre individuel de vie

71

Les transports accessibles aux personnes handicapées à Ottawa (Canada)

86

Les transports spécialisés

88

Les personnes handicapées et l'emploi : une insertion professionnelle difficile

107

Les différents types d'orientation vers la formation professionnelle

109

La loi du 10 juillet 1987

113

Le réseau Cap Emploi

116

L'AGEFIPH (Association pour la gestion du fonds pour l'insertion
professionnelle des personnes handicapées)

120

Le protocole d'accord du 9 octobre 2001

123

L'emploi en milieu protégé

126

Le « cas suédois »

127

Cinémas pour aveugles et malentendants : l'exemple du Paramount Famous
Players de Toronto (Canada)

135

Les mesures de protection des majeurs incapables

137

Les principales propositions du rapport Favard

139

Plan après plan : l'effort de création de places en établissement spécialisé

149

L'accueil en établissement des adultes handicapés

151

Le handicap : une notion qui varie au gré des modèles retenus

161

Combien de personnes handicapées ?

163

Les centres d'action médico-sociale précoce

173

Le réseau fédératif de recherche sur le handicap

177

Les actions concertées incitatives dans le domaine de la recherche

179

75 PROPOSITIONS ET ORIENTATIONS
POUR UNE POLITIQUE DE COMPENSATION DU HANDICAP

SIMPLIFIER LE SYSTÈME INSTITUTIONNEL AFIN DE RÉPONDRE À LA DEMANDE DES PERSONNES HANDICAPÉES DE « MAÎTRISER LEUR CHOIX DE VIE »

1. Définir, avec la personne handicapée, un « parcours de vie », dans le cadre de procédures individualisées et simplifiées ;

2. Remplacer l'évaluation administrative des « déficiences » par une analyse personnalisée des potentiels et des besoins des personnes handicapées ;

3. Donner une place accrue aux représentants des personnes handicapées au sein des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) et des commissions départementales de l'éducation spéciale (CDES)  ;

4. Généraliser, au vu d'un premier bilan, l'expérience de fusion des deux sections de COTOREP ;

5. Rendre aux COTOREP et aux CDES leur rôle de pilote dans la mise en oeuvre de ces « parcours de vie » et renforcer en conséquence leurs moyens ;

6. Ériger les sites pour la vie autonome en « guichets uniques » du droit à compensation ;

7. Réaffirmer le rôle d'impulsion de l'Etat, par une programmation pluriannuelle de ses engagements au titre de la solidarité nationale, intervenant à l'issue d'une « conférence nationale du handicap » ;

8. Favoriser une gestion de proximité en donnant au département un rôle de « chef de file » pour tout le volet « vie quotidienne » ;

9. Dépasser les cloisonnements administratifs et institutionnels préjudiciables à la personne handicapée notamment par l'assouplissement de la sectorisation des établissements par département ;

GARANTIR À LA PERSONNE HANDICAPÉE UNE RÉELLE COMPENSATION POUR LUI PERMETTRE DE RÉALISER PLEINEMENT SON CHOIX DE VIE

10. Créer une « allocation compensatrice individualisée », garantissant la compensation effective du handicap et se substituant aux allocations partielles existantes ;

11. Autoriser, à titre transitoire, le cumul de l'AAH avec des revenus d'activité ;

12. Inscrire la question de la revalorisation de l'AAH dans le cadre d'une réflexion d'ensemble sur les minima sociaux ;

13. Donner un véritable statut aux auxiliaires de vie et clarifier leur financement ;

14. Accroître l'offre des services d'aide et de soins à domicile afin notamment de garantir la continuité de la présence auprès de la personne handicapée ;

15. Moderniser les procédures et les conditions de remboursement des aides techniques par l'assurance maladie, afin d'accélérer la prise en compte des progrès technologiques ;

16. Appliquer la TVA à taux réduit à un plus grand nombre d'aides techniques.

REFONDER LES POLITIQUES D'INTÉGRATION SUR
UNE APPROCHE GLOBALE DU HANDICAP

L'accessibilité des bâtiments

17. Etendre l'obligation d'accessibilité, posée par le code de la construction et de l'habitation, à tous les bâtiments recevant du public ;

18. Restreindre les possibilités de dérogation à cette obligation de mise en accessibilité ;

19. Systématiser les contrôles d'accessibilité des bâtiments recevant du public avant leur ouverture ;

20. Autoriser les bailleurs privés à déduire de leur taxe foncière les dépenses engagées pour la mise en accessibilité des logements locatifs ;

21. Instaurer un quota de logements aménagés et adaptés d'origine dans les logements HLM, quota déterminé, en fonction des besoins locaux, par un Observatoire national du logement des personnes handicapées ;

22. Créer un fonds d'accessibilisation de la cité , qui aurait pour mission de contribuer au financement des travaux de mise en accessibilité des bâtiments recevant du public ;

23. Introduire une sanction financière au non-respect de l'obligation de mise en accessibilité par le versement d'une cotisation au fonds d'accessibilisation ;

L'accessibilité des transports

24. Affirmer, dans la loi, l'obligation d'accessibilité des transports en commun ;

25. Élaborer un programme pluriannuel de mise en accessibilité totale des transports en commun à un horizon de dix ans, l'Etat participant sur une base contractuelle au financement des surcoût occasionnés ;

26. Instituer une obligation d'achat de matériel accessible à l'occasion de tout remplacement ou de toute acquisition de nouveau matériel ;

27. Encourager le développement de transports spécialisés, notamment en zone rurale ;

28. Définir et mettre en oeuvre, dans chaque agglomération, un plan d'accessibilisation de la voirie et des transports ;

29. Majorer les amendes pour non-respect des emplacements de stationnement réservés aux personnes handicapées.

L'obligation éducative

30. Substituer, dans la loi, le principe d'« obligation scolaire » à celui d'« obligation éducative » ;

31. Réaffirmer avec force la priorité de l'intégration scolaire individuelle en milieu ordinaire ;

32. Accroître le nombre de classes d'intégration collective (CLIS et UPI), notamment dans le second degré ;

33. Programmer une augmentation substantielle du nombre de postes d'enseignants spécialisés au vu d'une évaluation précise des besoins ;

34. Renforcer la formation initiale et continue des enseignants dans le domaine du handicap ;

35. Favoriser le recrutement d'auxiliaires d'intégration scolaire , dans le cadre de conventions entre les associations et l'Éducation nationale, par l'amélioration de leur prise en charge financière par l'Etat ;

36. Rapprocher l'éducation spéciale de l'école ordinaire par une mise en réseaux des établissements.

L'accès à la formation professionnelle

37. Moderniser les conditions de fonctionnement des centres de rééducation professionnelle au vu de leur évaluation individuelle et d'une généralisation des « bonnes pratiques » ;

38. Favoriser le développement des contrats de qualification adultes par une majoration significative de l'aide de l'Etat ;

39. Actualiser la convention conclue entre l'AFPA et l'AGEFIPH (adaptation des formations proposées, augmentation du nombre de places).

Le travail en milieu ordinaire

40. Assurer l'implantation effective du réseau Cap Emploi dans chaque département et mieux l'associer au service public de l'emploi en révisant la convention le liant à l'ANPE ;

41. Clarifier les règles de financement, en confiant à l'Etat le soin de financer les actions d'accompagnement ;

42. Prévoir, dans le cadre de la prochaine loi de finances, une augmentation du nombre de contrats aidés destinés aux personnes handicapées ( contrats initiative emploi et contrats emploi consolidé ) ;

43. Relever, au moins temporairement, le montant de l'aide de l'Etat pour ces contrats et le montant de la prime d'insertion versée par l'AGEFIPH ;

44. Introduire une obligation quinquennale de négocier sur l'emploi des personnes handicapées dans les branches et, le cas échéant, dans les entreprises ;

45. Recentrer l'AGEFIPH sur ses missions initiales en réattribuant à l'Etat la charge du financement de la garantie de ressources des travailleurs handicapés en milieu ouvert ;

46. Majorer progressivement la cotisation AGEFIPH des établissements n'employant aucun travailleur handicapé et ne recourrant à aucune forme de sous-traitance.

Les fonctions publiques

47. Améliorer l'information statistique sur l'emploi des personnes handicapées dans les fonctions publiques ;

48. Instaurer, dans chaque fonction publique, un fonds d'insertion visant à favoriser l'emploi, la formation, le reclassement ou l'aménagement des lieux de travail des travailleurs handicapés ;

49. Définir, dans chaque fonction publique, des plans triennaux fondés sur des objectifs quantitatifs visant à permettre le respect de l'obligation d'emploi ;

50. Introduire des sanctions, prenant la forme de versements aux fonds d'insertion, en cas de non-respect des objectifs à l'issue des plans ;

51. Aménager les conditions de recrutement par concours des personnes handicapées.

Le travail en milieu protégé

52. Créer un nombre substantiel de places en centre d'aide par le travail (CAT)  et clarifier leur mode de financement ;

53. Moderniser le statut des ateliers protégés pour permettre aux structures les plus dynamiques d'évoluer vers une formule plus adaptée ;

54. Favoriser, au besoin par des incitations financières, la création d'ateliers protégés par les entreprises ;

55. Faciliter également par des incitations financières, le rapprochement entre CAT et ateliers protégés ;

56. Autoriser l'AGEFIPH à participer financièrement, dans un cadre contractuel, à tout projet professionnel visant à faire évoluer un travailleur handicapé du milieu protégé au milieu ouvert ;

L'accès à la citoyenneté et à la vie sociale

57. Mettre à disposition des électeurs des bulletins de vote en braille ;

58. Assurer, dans le cadre de la politique générale d'accessibilité, la mise en conformité prioritaire des bâtiments accueillant des bureaux de vote ;

59. Rendre obligatoire le sous-titrage des émissions télévisées aux heures de grande écoute ;

60. Réaffirmer les principes de nécessité et de subsidiarité des mesures de protection des majeurs incapables.

MODERNISER LES CONDITIONS D'ACCUEIL DES PERSONNES HANDICAPÉES EN PRIVILÉGIANT PROXIMITÉ ET AUTONOMIE

61. Généraliser, sur le modèle des équipes de préparation et de suite du reclassement , l'accompagnement des personnes handicapées, tout au long de leur « parcours de vie » ;

62. Recenser précisément les besoins de places en établissement non satisfaits, dresser un bilan exhaustif du plan pluriannuel 1999-2003 et du plan triennal 2001-2003 et créer le nombre de places nécessaires au vu de ce constat ;

63. Donner la priorité à la création de places pour adultes, afin de résoudre les difficultés liées à l'amendement Creton ;

64. Cibler l'effort de création de places sur les handicaps les plus lourds (autistes, polyhandicapés et traumatisés crâniens) ;

65. Développer les structures d'accueil temporaire permettant d'assurer la transition entre établissement et domicile ;

66. Accompagner l'adaptation des établissements aux nouveaux besoins, en particulier ceux des personnes handicapées vieillissantes ,

67. Renforcer le contrôle de la qualité de l'hébergement et la lutte contre la maltraitance en institution.

CONNAÎTRE, PRÉVENIR ET SOULAGER LE HANDICAP

68. Améliorer l'outil statistique de connaissance de la population handicapée, y compris au niveau local, pour en faire un instrument d'aide à la décision ;

69. Etablir le « budget social du handicap », dans une annexe budgétaire spécifique (« jaune budgétaire ») ;

70. Etendre, sous l'autorité du Haut conseil de la santé, le champ des dépistages précoces systématiques à de nouvelles formes de déficiences ;

71. Assurer une meilleure implantation et renforcer les moyens des centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP) ;

72. Elargir à de nouvelles branches professionnelles le champ des conventions d'objectifs en matière de prévention des risques professionnels ;

73. Elever le handicap au rang de priorité de la recherche publique ;

74. Assurer, par l'intermédiaire de l'ANVAR, le passage de la recherche fondamentale à la recherche appliquée en matière d'aides techniques ;

75. Permettre aux personnes handicapées d'accéder à des formations diplômantes dans le domaine de la conception et du développement des aides techniques.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Dans le débat ouvert sur la jurisprudence Perruche, lors de l'examen du projet de loi relatif aux droits des malades 1 ( * ) , certains ont cru voir un affrontement entre médecins et juristes.

En réalité, le Parlement a dû débattre, il est vrai dans l'urgence d'une fin de législature, d'une question autrement fondamentale : celle de notre regard sur le handicap.

Peut-être la compassion a-t-elle été, en l'espèce, du côté des juristes qui n'entendaient pas que les parents puissent être privés de l'indemnisation du préjudice matériel subi lorsque leur enfant est né handicapé à la suite d'une erreur de diagnostic prénatal.

Mais l'exigence, que traduit en définitive la loi du 4 mars 2002, se trouvait probablement du côté de ceux qui ne se sont pas résignés à ce que la seule voie ouverte à des parents, pour garantir une vie décente à leur enfant, soit de rechercher une faute qui les aurait empêchés d'interrompre la grossesse, et de compter en définitive sur l'impéritie des laboratoires, le talent des avocats ou l'ingéniosité des juges.

Chacun sera toutefois d'accord pour constater que, face à la souffrance des parents, la réponse du Parlement n'en est pas une s'il n'entreprend pas parallèlement de donner un contenu effectif à la solidarité nationale. Il n'aurait fait, en réalité, que la moitié du chemin.

Telle a bien été la position de votre commission des Affaires sociales depuis l'origine. Aussi, dès le lendemain du vote de la loi du 4 mars 2002, a-t-elle entrepris un vaste travail d'auditions et de réflexion qui s'est poursuivi au cours des derniers mois, en dépit des échéances électorales.

Aujourd'hui elle se sent pleinement confortée dans sa démarche, tant par les déclarations du Président de la République, le 14 juillet dernier, faisant de la place des personnes handicapées l'un des trois grands chantiers du quinquennat, que par l'engagement pris par le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, de « répondre à une légitime attente, celle du droit à la compensation du handicap ».

Nul doute que les débats passionnés de février 2002 ont accéléré puissamment la prise de conscience qu'une nouvelle étape devait être franchie dans l'expression de la solidarité nationale.

*

* *

Le présent rapport rassemble le compte rendu intégral des trois journées d'auditions publiques que la Commission a organisées les 27 mars, 10 avril et 22 mai derniers ; il recense les premiers enseignements d'une mission qu'elle a conduite au Canada du 17 au 24 juin dernier sur la politique menée en direction des personnes handicapées, tant au niveau fédéral qu'au niveau des provinces ; il comporte une étude réalisée à sa demande par le service des affaires européennes du Sénat, consacrée à l'examen comparé des prestations servies aux adultes handicapés dans quatre pays européens et au Québec.

A partir de cette masse d'informations et de témoignages, que votre rapporteur a complétée en recueillant tous les points de vue qui souhaitaient s'exprimer, le présent rapport avance un certain nombre de propositions et d'orientations, permettant d'aller dans le sens d'une véritable politique de compensation du handicap.

Votre Commission n'a pas pour autant la prétention, à ce stade, d'en décréter unilatéralement les voies et moyens.

Ses propositions et orientations, qui ne sont pas figées, ont pour ambition de poursuivre et de nourrir le dialogue avec les nombreux acteurs d'une telle politique, et en premier lieu, avec les intéressés eux-mêmes. Aussi sera-t-elle très attentive aux observations qu'elle attend en retour.

Car la deuxième étape qu'elle souhaite franchir est celle du dépôt d'une proposition de loi dont elle espère qu'elle sera l'instrument d'une réforme de la loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées que le Gouvernement pourrait enrichir de ses propres réflexions.

On ne dira jamais assez combien cette loi fondatrice a modifié en profondeur le regard de notre société sur le handicap.

Plus d'un quart de siècle plus tard, il est cependant naturel de réfléchir à son adaptation aux évolutions qui marquent la situation des personnes handicapées et leur environnement. Mme Simone Veil qui, avec M. René Lenoir, a joué un rôle essentiel dans la genèse et le vote de cette loi, a souligné devant votre Commission les défis nouveaux que constituent, par exemple, le vieillissement des personnes en situation de handicap, l'impact des progrès de la médecine, les aspirations légitimes des intéressés à plus d'autonomie.

*

* *

Dans le cadre qu'elle s'est fixé, votre commission n'a pas pris le parti de chiffrer chacune de ses propositions.

Elle n'a pas pour autant choisi de résumer ou d'additionner les demandes formulées par les uns ou les autres.

Elle a bien conscience que la définition d'une politique du handicap, qui s'inscrit nécessairement dans le temps et dans la logique du possible et du souhaitable, impose, de surcroît, des choix et donc des renoncements.

Ainsi a-t-elle privilégié, par exemple, une refonte ambitieuse de l'ACTP 2 ( * ) , de préférence à une revalorisation massive de AAH 1 .

Il reste que le franchissement d'une nouvelle étape ne se fera pas sans un effort financier supplémentaire et conséquent, et posera donc la question plus large des priorités que se donne notre pays et celle des ressources qu'il compte leur affecter, aux dépens nécessairement d'autres actions qui ne sont pas dépourvues pour autant de légitimité.

Il est toutefois navrant de constater qu'entre 1985 et 2001, les moyens publics consacrés au handicap sont passés de 2,1 à 1,7 point du PIB, ce relâchement étant imputable pour l'essentiel à l'Etat. Un rattrapage s'impose donc à tout le moins.

A cet égard, les déclarations du Président de la République le 14 juillet dernier sont des indications fortes et rassurantes, puisque la question du handicap figure désormais au rang des trois grands chantiers du quinquennat.

LES AVATARS DE LA LOI DE 1975

La loi d'orientation du 30 juin 1975 a profondément modifié le regard de notre société sur le handicap.

Aussi n'est-il guère étonnant que, 27 ans plus tard, cette loi fondamentale soit restée un texte de référence.

Aujourd'hui, au moment où chacun reconnaît la nécessité d'une nouvelle étape, c'est une « réforme de la loi de 1975 » qui est communément évoquée.

Or, la loi du 30 juin 1975 a été purement et simplement abrogée par l'ordonnance du 21 décembre 2000 relative à la partie législative du code de l'action sociale et des familles (article 4, § II, 7°) .

Désormais, les dispositions de la loi se trouvent pour l'essentiel dispersées dans sept codes différents :

- le code de l'action sociale et des familles,

- le code de l'éducation,

- le code de la sécurité sociale,

- le nouveau code de la santé publique,

- le code du travail,

- le code rural,

- le code de la construction et de l'habitation

Chaque code aborde ainsi la question du handicap sous un angle particulier, mais il revient au code de l'action sociale et des familles, dans ses articles L. 114-1 et L. 114-2, de comporter les déclarations de principe de l'article premier de la loi d'orientation.

C'est cet article L. 114-1 que la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 dite « de modernisation sociale », dans son article 53, a réécrit et développé pour lui donner une portée nouvelle :

« La prévention et le dépistage du handicap et l'accès du mineur ou de l'adulte handicapé physique, sensoriel ou mental aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens, notamment aux soins, à l'éducation, à la formation et à l'orientation professionnelle, à l'emploi, à la garantie d'un minimum de ressources adapté, à l'intégration sociale, à la liberté de déplacement et de circulation, à une protection juridique, aux sports, aux loisirs, au tourisme et à la culture constituent une obligation nationale.

« La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie, et à la garantie d'un minimum de ressources lui permettant de couvrir la totalité des besoins essentiels de la vie courante. »

De fait, les avatars de la loi d'orientation de 1975 sont significatifs des réserves qu'appelle parfois la marche forcée vers la codification. Deux cohérences s'opposent en effet : celle consistant à présenter dans une seule loi l'ensemble des dispositions traitant des différents aspects d'une politique, en l'espèce la politique en direction des personnes handicapées ; l'autre conduisant à « sectoriser » la législation sous forme de codes.

La première cohérence présente le mérite d'ordonner, autour d'un objectif, la diversité des moyens nécessaires pour l'atteindre et place en l'espèce les personnes handicapées au coeur du dispositif.

La seconde relève d'une logique de moyens qui semble recouvrir en réalité les structures des administrations qui émettent la norme. Dans le cas présent, on s'efforcera de voir dans la cohérence de la codification un souci de non-discrimination, le code de l'éducation ayant vocation, par exemple, à s'appliquer à tous, y compris aux personnes en situation de handicap.

Déjà, à sa promulgation, la loi de 1975 avait dû se plier pour partie à la logique de la codification. Nombreux sont ses articles qui modifiaient le code de la santé publique, le code de la sécurité sociale ou le code du travail ou y introduisaient des articles nouveaux.

Nombreux ont été les textes qui, depuis lors, ont modifié directement les articles de codes. Ainsi en a-t-il été de l'importante loi du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés , ou de la loi du 13 juillet 1991 portant diverses mesures destinées à favoriser l'accessibilité aux personnes handicapées des locaux d'habitation, des lieux de travail et des installations recevant du public , cette dernière loi reprenant et développant, dans le code de la construction et de l'habitation, les principes posés par l'article 49 de la loi d'orientation.

Il reste que l'intervention récente et successive du code de l'action sociale et des familles (ordonnance n° 2000-1249 du 21 décembre 2000) se substituant au code de la famille et de l'action sociale, du code de l'éducation (ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000) et du nouveau code de la santé publique (ordonnance n° 2000-548 du 15 juin 2000) n'a pas facilité la tâche de l'usager de la loi d'orientation du 30 juin 1975.

Car l'abrogation globale de cette loi à laquelle procède l'ordonnance n° 2000-1249 du 21 décembre 2000, non sans y laisser survivre trois articles, une phrase d'un quatrième et un alinéa d'un cinquième 3 ( * ) a été elle-même précédée d'une série d'abrogations « dans le détail » par les deux ordonnances du 15 juin 2000 visant son article 2 (ordonnance n° 2000-548) et ses articles 4 et 5, le I de son article 6 et le premier alinéa de son article 8 (ordonnance n° 2000-549) .

De surcroît, un certain nombre d'initiatives récentes du législateur n'ont pas trouvé grâce aux yeux du codificateur. Ainsi, le premier alinéa de l'article 52 de la loi du 30 juin 1975 a été modifié par l'article 95 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain . Quelques jours plus tard, cet article 52 était abrogé par l'ordonnance du 21 décembre 2000 qui ne procédait pas pour autant à son insertion dans la partie législative du code de l'action sociale et des familles.

Nul doute que la codification devra se doubler un jour de la publication systématique de recueils transversaux 4 ( * ) regroupant les dispositions de multiples codes contribuant à l'édification d'une même politique.

I. SIMPLIFIER LE SYSTÈME INSTITUTIONNEL AFIN DE RÉPONDRE À LA DEMANDE DES PERSONNES HANDICAPÉES DE « MAÎTRISER LEUR CHOIX DE VIE »

S'ajoutant à la lutte menée au jour le jour contre la souffrance physique et morale, un véritable « parcours du combattant » attend aujourd'hui les personnes handicapées dans leur vie quotidienne pour faire valoir leurs droits, tant le législateur et le pouvoir réglementaire ont compliqué à l'envie les structures administratives et les procédures de prise en charge du handicap, jusqu'à ignorer la personne handicapée elle-même.

Une remise à plat de ce système est aujourd'hui nécessaire. Elle doit se donner comme objectif de mettre la personne handicapée au coeur d'un dispositif, non plus de « prise en charge », qui ôte toute responsabilité à la personne, mais d'accompagnement pour lui permettre d'exprimer un véritable choix de vie.

Cela passe à la fois par une meilleure association des personnes à leur orientation, par une offre de service personnalisée et adaptée aux besoins et aux capacités de chacun et par une simplification des structures et des relations entre les différents acteurs, afin que la personne handicapée n'ait plus le sentiment, trop répandu aujourd'hui, de n'être qu'un dossier à traiter.

A. AMÉLIORER LE FONCTIONNEMENT DES STRUCTURES DE RECONNAISSANCE ET D'ORIENTATION

Créées par la loi d'orientation du 30 juin 1975, les commissions départementales d'éducation spéciale (CDES) et les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) sont au coeur du dispositif d'insertion des personnes handicapées.

Comme le soulignait M. Patrick Gohet, directeur général de l'UNAPEI, lors de son audition, « ce dispositif législatif a mis en place un système d'évaluation du handicap et d'orientation de la personne qui a été souvent critiqué mais dont l'importance reste fondamentale pour répondre aux besoins de la personne handicapée ».

LES ATTRIBUTIONS DES COTOREP ET DES CDES

Les attributions des COTOREP

La loi du 30 juin 1975 a créé, dans chaque département, une « commission technique d'orientation et de reclassement » (COTOREP), placée sous l'autorité du préfet, et compétente pour les adultes à partir de 20 ans, et par dérogation pour les jeunes à partir de 16 ans s'ils ne sont plus pris en compte au titre des prestations familiales.

Les attributions des COTOREP sont regroupées essentiellement autour de deux pôles, professionnel et médico-social . En conséquence, les COTOREP sont organisées en deux sections spécialisées :

- la première traite des questions d'insertion professionnelle des personnes handicapées : à ce titre, elle apprécie l'aptitude au travail, reconnaît la « qualité de travailleur handicapé » et oriente soit vers un emploi en milieu ordinaire, soit vers un stage de réadaptation ou de formation, soit vers un emploi en milieu protégé (atelier protégé ou centre d'aide par le travail).

- la seconde est compétente pour les autres cas et relève d'une logique « médico-sociale » : elle apprécie le taux d'invalidité, oriente éventuellement les demandeurs vers un établissement spécialisé, ouvre le bénéfice de l'allocation aux adultes handicapés et de l'allocation compensatrice pour tierce personne.

Les attributions des CDES

Créées par la même loi du 30 juin 1975, les « commissions départementales de l'Education spéciale » (CDES) sont compétentes pour les enfants jusqu'à 20 ans, à condition que ceux-ci ne soient pas entrés dans la vie active.

Les CDES ont deux missions principales :

- elles sont chargées de l'évaluation du taux d'incapacité de l'enfant et d'en déterminer les conséquences (attribution de l'allocation d'éducation spéciale et de la carte d'invalidité) ;

- elles orientent les enfants , en leur proposant soit un projet d'intégration en établissement scolaire ordinaire, soit une prise en charge en établissement d'éducation spéciale (Institut médico-éducatif, Institut médico-professionnel...), soit une prise en charge par un service d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD).

Malgré ce rôle essentiel, ces commissions, et plus particulièrement les COTOREP, connaissent aujourd'hui de multiples dysfonctionnements, ainsi que l'ont souligné de nombreux rapports. Dès 1990, M. Bruno Rémond 5 ( * ) notait que « la COTOREP n'est pas un véritable outil d'exploitation des capacités de la personne en vue de bâtir avec elle un parcours de formation et d'insertion qui soit autre chose qu'un classement entre des solutions d'orientation administratives classiques » .

Un rapport de l'IGAS de 1993 6 ( * ) estimait quant à lui que : « près de vingt ans après leur création, les COTOREP éprouvent de grandes difficultés à remplir leur mission de service public auprès des usagers ».

Il semble que la situation ait peu évolué depuis cet état des lieux.

Le rapport de la mission d'évaluation et de contrôle de la commission des finances de l'Assemblée nationale 7 ( * ) résumait ainsi, en juillet 2000, les difficultés des COTOREP : « les COTOREP travaillent, le plus souvent, loin des demandeurs (...). Elles ne disposent que de peu d'informations sur les débouchés concrètement offerts aux personnes qu'elles orientent, entretiennent des relations trop lointaines avec les organismes de sécurité sociale, prennent leurs décisions dans l'ignorance de la jurisprudence les concernant et manquent de statistiques sur les populations dont elles ont la charge ».

1. Les procédures doivent être revues pour assurer une réelle participation des personnes handicapées

a) Une procédure où la personne est trop souvent oubliée

Malgré des efforts engagés depuis quelques années, les COTOREP continuent de cristalliser les mécontentements :

- l'accueil des personnes handicapées et de leurs familles reste insuffisant . Votre commission a recueilli un certain nombre de témoignages édifiants dans ce sens : convocations du jour pour le lendemain, accueil téléphonique déficient, locaux inaccessibles. Concernant plus particulièrement l'accessibilité des locaux, qui devrait être une priorité compte tenu de la mission des commissions, il est paradoxal qu'une douzaine d'opérations de relogement soient encore à l'étude, sachant que le problème est signalé depuis le début des années 1990.

- les délais de traitement des dossiers restent excessifs. Selon la Cour des comptes 8 ( * ) , en 1993, dans un département de la région parisienne, 27 % des dossiers ont une ancienneté comprise entre 6 et 12 mois. Les objectifs fixés depuis par le ministère (en 1994), au demeurant modestes puisqu'ils prescrivent des délais d'examen des dossiers entre 3 et 6 mois, sont loin d'être atteints dans bon nombre de départements. Ainsi le « bilan de l'activité des COTOREP en 2000 », publié par la DREES, fait état d'un stock de dossiers en attente de traitement représentant un an d'activité ;

- l'absence d'entretien individuel reste trop souvent la règle , ou, quand il a lieu, il s'agit d'un entretien devant une « équipe pluridisciplinaire » réduite à sa plus simple expression (un médecin et une assistante sociale) : tel était le constat en juillet 2000 de la mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale précitée.

Au cours de son audition, M. Marcel Royez, secrétaire général de la FNATH, concluait en affirmant : « Les COTOREP orientent en effet souvent les personnes handicapées par défaut, c'est-à-dire en prenant en compte le milieu local et non les aspirations et les besoins des personnes handicapées ».

Concernant les CDES , si les rapports sont moins nombreux, les dysfonctionnements n'en sont pas moins multiples :

- elles ne disposent le plus souvent pas d'informations à jour sur les places disponibles dans les établissements vers lesquels elles orientent les enfants, contribuant ainsi à un allongement des listes d'attentes, difficilement supportable pour les familles. Ce dysfonctionnement est symptomatique de l'insuffisante coordination entre les différents acteurs, en particulier avec les groupes « Handiscol », dont la vocation de « centre de ressources » est largement sous-exploité ;

- le suivi des personnes est réduit a minima . Il se limite le plus souvent au réexamen obligatoire de la décision d'orientation tous les cinq ans. Lors de ces réexamens, l'orientation est généralement simplement confirmée et les familles rarement entendues 9 ( * ) ;

- les solutions proposées laissent peu de choix aux familles. L'obligation faite aux commissions d'inscrire sur la liste des établissements proposés l'institution choisie par les parents, lorsque celle-ci correspond aux besoins de l'enfant, est très inégalement appliquée. L'éventail des solutions proposées par la CDES, quand il existe, se limite à une liste d'établissements du même type, au détriment de parcours alternatifs, au besoin hors établissement.

La sévérité de cette appréciation mérite, sauf à être injuste, d'être nuancée au regard de l'ampleur de la charge de travail de ces commissions et de la modestie des moyens, notamment financiers, qui leur sont alloués : 1.387.900 décisions en 2000 pour les COTOREP, 270.000 pour les CDES, pour un budget estimé à 22 millions d'euros 10 ( * ) en loi de finances pour 2002.

b) Un recentrage nécessaire sur les choix de la personne

Les nombreux rapports précités ont, depuis longtemps, avancé des propositions pour améliorer le fonctionnement des COTOREP et des CDES. Ces propositions vont dans le bon sens et c'est pourquoi votre rapporteur ne les développera pas toutes à nouveau.

Il reviendra simplement sur les mesures qui lui paraissent indispensables pour atteindre l'objectif fondamental qui est de mettre la personne au coeur du dispositif :

- garantir d'abord à chaque demandeur la possibilité d'être entendu par la commission : cette possibilité correspond à une attente très forte des personnes handicapées. M. Vincent Assante 11 ( * ) , lors de son audition, en appelait au bon sens en remarquant : « Il faut arrêter de ne traiter les personnes que sur dossier, il faut les recevoir ou aller les voir le cas échéant. On n'imagine pas un conseil de classe sans que les professeurs soient en contact avec leurs élèves ».

Il s'agit non seulement d'assurer une procédure contradictoire en cas de décision négative, principe général qui est déjà largement respecté, mais aussi de systématiser les entretiens individuels préalables à la décision, dans des conditions satisfaisantes de délais et de composition de l'équipe pluridisciplinaire, en particulier pour les décisions les plus importantes comme l'orientation professionnelle, le placement en établissement ou l'attribution d'une allocation compensatrice.

- organiser l'orientation des personnes autour de plans individualisés, conçus par les équipes pluridisciplinaires avec la personne concernée : votre rapporteur considère qu'à tout le moins, les commissions doivent proposer un panel de solutions hiérarchisées , laissant les personnes à même d'exercer un choix. D'une manière générale, la qualité de l'orientation par les COTOREP doit être améliorée. Evoquant la plate-forme de recherche « Saphir » qui se propose d'analyser l'adéquation aux besoins des personnes des orientations en atelier protégé prononcées par les COTOREP, M. Hervé Knecht, président du GAP-UNETA 12 ( * ) , insistait sur les erreurs fréquentes d'orientation des COTOREP : « Sur 90 personnes concernées, 50 % ne relèvent pas de l'atelier protégé, 20 % relèvent de l'emploi ordinaire avec un accompagnement-formation et 30 % relèvent vraiment de l'atelier protégé ».

- renforcer la représentation des personnes handicapées dans ces commissions et prévoir explicitement leur association au sein des équipes pluridisciplinaires : les personnes handicapées demandent, légitimement, à participer elles-mêmes aux commissions. Cependant la mise en oeuvre de cette solution de bon sens est difficile à envisager, sauf à confier aux préfets le soin de désigner les personnes handicapées aptes à siéger sur une liste départementale. Or la représentativité des personnes désignées selon cette méthode prêterait largement le flanc à la critique. C'est pourquoi votre rapporteur estime qu'il faut faire confiance aux associations pour désigner elles-mêmes, en leur sein, des personnes handicapées pour siéger dans les commissions.

COMPOSITION DES COTOREP ET DES CDES

Les COTOREP

Elle sont composées de 24 membres nommés par le préfet pour une durée de 3 ans renouvelables ( art. D.323-3-1 du code du travail ) :

- 3 conseillers généraux désignés par leur assemblée,

- 4 personnes proposées conjointement par le directeur départemental de l'emploi et par l'inspection du travail (dont au moins un représentant de l'ANPE et un médecins du travail),

- 2 personnes compétentes désignées par le président du Conseil général (dont un médecin),

- 2 personnes (dont un médecin) désignées par la DDASS,

- 1 personne désignée par l'ONAC,

- 1 médecin-conseil de la sécurité sociale,

- 4 représentants des organismes de sécurité sociale et des organismes débiteurs des prestations familiales,

- 2 représentants des organismes gestionnaires de structures de travail protégé,

- 1 représentant des organismes gestionnaires de foyers d'hébergement,

- 2 représentants des associations de personnes handicapées,

- 1 représentant des syndicats d'employeurs,

- 1 représentant des syndicats de salariés.

Les CDES

Elles sont composées de 12 membres, nommés comme pour les COTOREP, pour 3 ans renouvelables par le préfet :

- 3 personnes proposées par la DDASS (dont au moins un médecin) ;

- 3 personnes proposées par l'inspecteur d'académie ;

- 3 représentants des organismes d'assurance maladie et des organismes débiteurs des prestations familiales ;

- 1 représentant des établissements privés accueillant des enfants handicapés ;

- 2 représentants des associations de parents d'élèves et des associations de familles d'enfants et adolescents handicapés.

Actuellement, seules 2 personnes sur 24 membres des COTOREP, et 2 sur 12 pour les CDES, représentent directement les personnes handicapées . Ce nombre restreint ne permet pas aux personnes handicapées de faire valoir valablement un point de vue concret et vécu lors des décisions des commissions. Dès lors qu'il n'y a que deux représentants des personnes handicapées, les associations sont conduites à aller à l'essentiel, donc à désigner un représentant des personnes handicapées physiques et un représentant pour les personnes handicapées mentales, ce qui, chacun en conviendra, n'épuise pas la diversité des handicaps qu'abordent les commissions.

Votre rapporteur propose donc de doubler le nombre de représentants des associations de personnes handicapées au sein des commissions 13 ( * ) .

Au niveau des équipes pluridisciplinaires, dont la composition relève du préfet et du président du Conseil général, les personnes handicapées sont en général totalement absentes : compte tenu du poids de l'avis de cette équipe technique, il apparaît nécessaire à votre rapporteur d'y prévoir la représentation des associations de personnes handicapées qui disposent souvent à la fois d'une expertise et d'une vision plus pratique du handicap.

- rapprocher les commissions des usagers : ce rapprochement doit être à la fois géographique et qualitatif, géographique car une proportion non négligeable des usagers des COTOREP et des CDES connaît une mobilité réduite et le déplacement jusqu'à la préfecture (dans un contexte général de manque d'accessibilité des transports en commun) peut relever du « parcours du combattant » ; qualitatif car la population de certains départements est trop importante pour que la commission puisse connaître suffisamment le tissu local.

La déconcentration au niveau infra-départemental des COTOREP et des CDES devrait donc être favorisée, en prenant bien entendu en compte les particularités et les besoins de chaque département. Elle permettrait d'améliorer l'accessibilité de ces structures et favoriserait également une meilleure appréciation par les commissions des solutions de proximité envisageables dans l'intérêt de la personne.

2. La réorganisation des COTOREP doit être poursuivie

a) La fusion des deux sections des COTOREP : une expérience à suivre

Le fonctionnement en deux sections des COTOREP, la première compétente pour l'orientation professionnelle des personnes handicapées, la seconde pour l'admission en établissement spécialisé et l'attribution des différentes allocations, n'est qu'une simple faculté ouverte par l'article L. 323-11 du code du travail. Il est pourtant le mode de fonctionnement systématiquement choisi par l'ensemble des COTOREP.

Or, cette division du travail conduit à deux démarches très différentes : démarche d'insertion professionnelle ou démarche de prise en charge, voire d'assistance. L'absence de coordination entre les deux sections, soulignée par de nombreux rapports, empêche les commissions d'avoir une vue globale de la situation de la personne et oblige cette dernière, dans le meilleur des cas, à mener deux démarches parallèles, ou plus généralement à devoir se limiter à l'une d'entre elles.

Une circulaire du 27 février 2002 14 ( * ) a engagé une expérience de fusion des deux sections dans 10 départements-pilotes et 2 millions de francs ont été dégagés par le ministère pour cette expérience. Son but est de permettre aux COTOREP d'assurer une analyse globale de la situation des personnes. Il apparaît en effet qu'une unification des secrétariats, des équipes techniques et des médecins coordonnateurs (chargés de s'assurer de l'homogénéité des décisions et de la cohérence des prises en charge, en matière d'allocation, d'hébergement et d'orientation) serait à même de permettre un suivi plus harmonieux des demandes et de construire un parcours personnalisé avec les personnes concernées.

Votre rapporteur s'inscrit dans cette démarche de modernisation des COTOREP : il convient de suivre cette expérience pour envisager sa généralisation , tout en prenant en compte l'inquiétude des associations devant une trop grande médicalisation de ces commissions.

D'une manière générale, la fusion des deux sections doit donner les moyens aux COTOREP de favoriser la mobilité entre les différents dispositifs de prise en charge de façon à inciter à l'autonomie ceux qui en sont capables, avec éventuellement un accompagnement .

b) Des moyens à renforcer, à la mesure des missions confiées

L'activité des commissions a crû de 40 % sur la période 1991-1999. En dépit de ce fort accroissement d'activité, le nombre d'agents affectés aux secrétariats des COTOREP a stagné, voire diminué, passant de 1.090 en 1991 à 1.019 en 1999, en « équivalent temps plein ». Concernant les CDES, les effectifs sont passés de 565 agents pour l'année scolaire 1994-1995 à 532 pour l'année 1998-1999 (derniers chiffres connus).

Ce manque d'effectif conduit les commissions à négocier au cas par cas avec les conseils généraux, des personnels supplémentaires, embauchés sous « contrats emploi-solidarité » et mis à disposition, selon des procédés à la limite de la légalité.

Le nombre de médecins, dans les équipes techniques, stagne autour de 300, avec un « turn-over » très important, qui est un obstacle à l'acquisition d'une véritable expertise et à l'homogénéité des décisions de chaque commission. Malgré un effort en loi de finances pour 2002, le nombre de médecins coordonnateurs reste inférieur au nombre de départements.

Un rapport de l'IGAS en 1993 15 ( * ) souligne enfin la rotation également importante des personnels techniques (psychologues, assistantes sociales...) et l'instabilité des effectifs mis à disposition des commissions.

Il semble nécessaire à votre rapporteur de donner aux commissions un effectif stable et prévisible , à travers par exemple des conventions de mise à disposition entre les DDTEFP 16 ( * ) et les organismes employeurs (sécurité sociale, collectivités locales, AFPA 2 , hôpitaux). Ce type de convention est déjà prévu par les textes mais reste peu appliqué. A moyen terme, un effort substantiel doit être fait pour amener le nombre de médecins coordonnateurs à un par département.

D'autre part, le système informatique des COTOREP a vieilli et n'est plus adapté aux besoins. Il reste un système de gestion et ne peut en aucun cas constituer un outil de suivi et d'aide à la décision pour les commissions. De fait, il a fallu attendre 1995 pour que soit mise en place une centralisation des statistiques en matière de décisions. Ces dernières restent au demeurant élémentaires et reposent sur une nomenclature souvent dépassée (40 % des cas traités sont classés « autres maladies », faute de mieux, dans la base de données des COTOREP).

Il semble indispensable d'achever de doter les COTOREP et CDES de matériels et d'applications informatiques performants , à la fois pour assurer aux commissions l'accès à une information utile, voire nécessaire, à la prise de décision et pour donner à l'Etat les moyens de mesurer, à travers l'activité de ces commissions, l'étendue des besoins de la population handicapée.

3. Le rôle de pilote des CDES et des COTOREP dans la prise en charge des personnes handicapées doit être restauré

Depuis la loi du 30 juin 1975, le législateur et le Gouvernement ont multiplié les intervenants dans le domaine du handicap : à la structure originelle des COTOREP et des CDES se sont ajoutés les « conseils consultatifs départementaux des personnes handicapées » (CCDPH), les « plans départementaux d'insertion des travailleurs handicapés » (PDITH) et les groupes « Handiscol ».

LE JEU DE CACHE-CACHE
DES ACTEURS LOCAUX DU HANDICAP

Face à l'explosion de l'activité des structures d'orientation et de suivi que sont normalement les COTOREP et les commissions départementales de l'éducation spéciale (CDES), des instances nouvelles ont été ajoutées au fur et à mesure des années, visant tacitement à soulager les commissions de la charge de travail représentée par le suivi des orientations décidées et par la coordination des acteurs.

- Les plans départementaux d'insertion des travailleurs handicapés (PDITH) créés en 1998 et généralisés en 2000 : leur objectif est d'assurer un suivi de l'insertion professionnelle des personnes orientées vers l'emploi par la COTOREP, en définissant des parcours d'embauche et de maintien dans l'emploi.

Pour cela, ils jouent un rôle de coordonnateur avec l'ANPE, l'AFPA, le réseau Cap Emploi ou encore l'AGEFIPH.

- Les groupes Handiscol (1999) : ils jouent à la fois un rôle de coordination et de suivi de l'état des besoins et des modalités de scolarisation. D'une composition sensiblement similaire aux CDES, ils en suivent l'activité ;

- Les conseils départementaux consultatifs des personnes handicapées (CDCPH) : créés par la loi du 17 janvier 2002 dite de « Modernisation sociale », ces conseils sont chargés de faire des propositions pour mettre en oeuvre au niveau local la politique en direction des personnes handicapées.

Chargés eux-aussi de coordonner les acteurs et les interventions, ils suivent l'activité des COTOREP, des CDES, des plans départementaux d'insertion, des schémas d'équipement et d'accompagnement des personnes handicapées...

Ils sont également chargés d'effectuer dans les deux ans de leur création, un recensement de la population handicapée du département et de l'offre de prise en charge.

Ces multiples acteurs sont souvent redondants : chargés, chacun pour leur part, de coordonner d'autres acteurs, ils restent incapables de travailler ensemble ou de partager l'information, malgré des compositions sensiblement identiques. Pourtant ces intervenants, auxquels on peut ajouter les organismes de sécurité sociale et les organismes qui orientent vers les COTOREP et les CDES, conservent une mission importante de veille et de recensement des besoins, les capacités d'accueil que les commissions ne peuvent et n'ont pas à assurer. La remontée d'information à laquelle ils doivent participer est essentielle pour la qualité et la cohérence des décisions d'orientation prises par les commissions.

Sans remettre en cause l'existence de ces différents intervenants, votre rapporteur estime que le rôle de pilote des COTOREP et des CDES doit être réaffirmé, en particulier dans un contexte de prise en charge plus individualisée où le rôle d'orientation est central pour la personne.

B. ORGANISER LE SYSTÈME DE PRISE EN CHARGE AUTOUR DES BESOINS DE LA PERSONNE

Actuellement, l'organisation concrète de la prise en charge de la personne handicapée relève trop souvent d'une appréciation dévalorisante de sa situation, fondée sur l'évaluation administrative de ses « déficiences », et non d'une démarche positive visant à lui permettre, comme pour toute autre personne, de réaliser la totalité de ses potentialités.

Elle aboutit, dans la plupart des cas, à une prise de décision « subie » par la personne handicapée et qui, parfois, l'engage pour toute sa vie dans une filière prédéterminée.

Elle contraint, compte tenu de la diversité des acteurs concernés, l'intéressé à entamer un véritable « parcours du combattant » pour obtenir l'aide, les conseils et les prestations auxquels il a pourtant droit.

Selon votre rapporteur, deux axes majeurs de réforme doivent donc être engagés en ce domaine.

Il s'agit tout d'abord de remplacer l'évaluation administrative des « déficiences » par une analyse personnalisée des potentiels et des besoins de la personne handicapée.

Il convient ensuite d'envisager la création de « guichets uniques » afin, d'une part, de simplifier dans toute la mesure du possible les démarches administratives et, d'autre part, d'améliorer l'information des personnes handicapées.

1. L'évaluation administrative des « déficiences » doit être remplacée par une analyse personnalisée des potentiels et des besoins de la personne handicapée

a) Une « orientation » aujourd'hui déterminée par une évaluation administrative des déficiences et des incapacités de la personne handicapée

Au-delà de l'adaptation des structures institutionnelles, il convient également de modifier l'objectif et les règles d'appréciation, au sein desdites structures, du cas individuel de chaque personne handicapée.

En effet, aujourd'hui, l'orientation d'une personne handicapée est essentiellement décidée sur la base d'une évaluation de ses « déficiences », et non de ses potentiels ou de ses aspirations.

Elle est largement « contrainte » par les lacunes et les insuffisances du système actuel de prise en charge.

Elle est, trop souvent, décidée « une fois pour toute », sans laisser à la personne handicapée ce droit élémentaire pourtant reconnu à chaque citoyen : choisir et déterminer librement sa vie, compte tenu de ses ambitions et de ses capacités.

b) La nécessité de définir, avec la personne handicapée, un véritable « parcours de vie » prenant en compte ses potentiels et ses projets personnels

Votre rapporteur estime qu'une nouvelle logique doit donc être impérativement mise en oeuvre au sein des structures compétentes afin :

- de donner véritablement à la personne handicapée (ou à sa famille) un rôle actif et déterminant dans l'évaluation de ses besoins et des réponses qu'il convient d'y apporter ;

- de lui fournir les moyens d'une évaluation personnalisée, prenant en compte les divers aspects nécessaires à la compensation de son handicap, sous la forme d'une équipe pluridisciplinaire constituée au sein de la COTOREP et de la CDES ;

- de lui proposer des solutions fondées sur une analyse « positive » de ses potentialités, et non pas limitée, comme aujourd'hui, à « l'étalonnage » de ses déficiences à partir d'un quelconque « guide-barème » ;

- de permettre à la personne handicapée de déterminer, en fonction de ses propres choix, un véritable « parcours de vie » .

La compensation du handicap définie sur cette base sera susceptible d'être modifiée dans le temps et pourra, ainsi, être constamment adaptée à l'évolution des conditions de vie de la personne handicapée (ou de ses projets).

Bien entendu, cette procédure devra être adaptée en fonction des capacités dont dispose la personne handicapée pour déterminer, elle-même, ses choix de vie. Le cas échéant et si nécessaire, ces choix pourront être exprimés par les familles ou les proches de la personne handicapée.

2. La création de « guichets uniques » contribuerait à la simplification des procédures administratives

a) Le « guichet unique » : une solution de bon sens

La prise en charge de la personne handicapée (information, conseils, prestations sociales, aides humaines, aides techniques...) est aujourd'hui « éclatée » entre une grande diversité d'acteurs (Etat, sécurité sociale, COTOREP, CDES, collectivités locales, mutuelles, associations...). Cet éclatement se traduit, pour l'intéressé, par une complexité incompréhensible et, dans certains cas, des blocages institutionnels.

Votre rapporteur juge donc indispensable de simplifier ces procédures et cette organisation en favorisant, dans toute la mesure du possible, l'émergence de « guichets uniques » qui seraient :

- des structures de proximité aisément accessibles (ce qui suppose un « maillage » relativement dense du territoire) ;

- compétents pour traiter, avec la personne handicapée, la totalité des questions et des démarches liées à la compensation de son handicap et à la réalisation de son projet de vie (et non plus, comme aujourd'hui, limitée à la détermination des conditions de sa « prise en charge ») ;

- le lieu privilégié de l'action coordonnée, au service de la personne handicapée, des différents acteurs et financeurs concernés ;

- « cogérés » par les personnes handicapées (ou leurs représentants) et les autres partenaires institutionnels . En effet, qui, mieux qu'une personne handicapée, peut apprécier efficacement les besoins (et les moyens d'y répondre) d'une autre personne handicapée ?

S'agissant de la mise en oeuvre concrète et efficace de ces principes, et plutôt que de créer une nouvelle structure administrative, votre rapporteur estime préférable de s'appuyer sur ce qui existe déjà, même à un stade encore limité, à savoir les « sites pour la vie autonome » .

b) Une solution pragmatique : l'élargissement des missions des « sites pour la vie autonome »

Inspiré des « Independant living centers », créés dès le début des années 1970 aux Etats-Unis 17 ( * ) , des « sites pour la vie autonome » ont été mis en place, à titre expérimental, dans plusieurs départements au cours de ces dernières années. Leur généralisation à l'ensemble des départements est d'ailleurs prévue dans le cadre du plan triennal (2001-2003) d'action en faveur des personnes handicapées .

Pour l'heure, la mission de ces sites est limitée à la coordination et la simplification de la prise en charge des aides techniques. Il conviendrait donc d'élargir cette mission à l'ensemble des éléments nécessaires à une compensation effective et intégrale du handicap . Cet élargissement des missions des sites pour la vie autonome, notamment aux aides humaines, a, d'ailleurs, déjà été évoqué à l'occasion d'une table ronde nationale organisée le 17 janvier 2002 par les autorités ministérielles compétentes.

Les règles d'organisation et de fonctionnement existantes répondent, du moins dans leur principe, aux besoins d'une analyse coordonnée et globale de la demande de la personne handicapée (comité de suivi, commission des financeurs, fonds départementaux de compensation). Un éventuel « changement d'échelle » des sites pour la vie autonome nécessitera toutefois des aménagements en ce qui concerne , principalement, la participation effective des personnes handicapées à leur fonctionnement .

Votre rapporteur est bien conscient que le succès de cette mutation dépendra également des ressources financières que la collectivité nationale consacrera aux sites pour la vie autonome. A cet égard, la mobilisation, autour de ces sites, des moyens destinés au service de la nouvelle allocation compensatrice individualisée , dont la création est proposée dans le cadre du présent rapport ( cf. II - A ci-après ), serait susceptible d'apporter une réponse appropriée.

c) Des difficultés de mise en oeuvre qui ne doivent pas être sous-estimées et qui rendent nécessaires des expérimentations préalables dans un cadre décentralisé

Il convient, toutefois, de ne pas sous-estimer les nombreux obstacles à la mise en place de « guichets uniques », même à partir des « sites pour la vie autonome » rénovés.

Certains de ces obstacles sont d'ordre institutionnel ou administratif : comment des administrations ou des institutions dont les procédures, les réglementations, les ressources et les « usages » sont profondément différents, parviendront-elles à collaborer efficacement, et ce en dépit de la bonne volonté et de l'implication de leurs personnels ? La « centralisation », au guichet unique, de l'ensemble des démarches et des procédures ne risque-t-elle d'aboutir à l'effet inverse de ce qui est recherché, à savoir des blocages administratifs accrus ?

D'autres tiennent à des questions de principe : comment concilier la liberté  individuelle de la personne handicapée, son autonomie et sa liberté de choix en l'obligeant à s'adresser à un nouveau « guichet » qui remplacerait, le cas échéant, ses interlocuteurs habituels (et même si cette obligation devait se traduire par une simplification des démarches et la possibilité d'aides plus personnalisées) ?

De nombreux ajustements seront donc nécessaires avant de répondre, dans ce cadre, et de manière totalement satisfaisante, aux attentes des personnes handicapées. Dans un premier temps, il paraît donc indispensable à votre rapporteur de « tester » les conditions de la mise en place du guichet unique dans le cadre d'expérimentations :

- conduites dans plusieurs départements volontaires ;

- développées à partir des « sites pour la vie autonome » existants ;

- associant étroitement les personnes handicapées (ou leurs représentants) ;

- et organisées autour d'une double exigence d'efficacité et de proximité.

Ces expérimentations n'interdisent pas, toutefois, d'inscrire, dès maintenant , dans une loi de 1975 « révisée », le principe de la compensation du handicap, fondée sur l'analyse des besoins de la personne handicapée, de ses capacités et de ses projets, et organisée autour de procédures administratives simplifiées .

C. REVOIR LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES DANS UNE LOGIQUE DE PROXIMITÉ

La volonté originelle de clarification des compétences dans le domaine de la politique en faveur des personnes handicapées -comme du reste pour l'ensemble du domaine de l'aide sociale- a été rapidement dévoyée : l'héritage de statuts d'établissements multiples, l'explosion des nouvelles demandes de prise en charge, l'apparition de besoins non prévus lors de la répartition effectuée par les lois de décentralisation ont contribué à faire de la politique du handicap un système opaque où l'usager se perd et où les moyens sont mal utilisés.

C'est pourquoi votre rapporteur insiste pour que, dans le cadre de la relance de la décentralisation annoncée par le Premier ministre à l'occasion de son discours de politique générale, une clarification des compétences ait lieu, avec deux objectifs : une cohérence accrue dans le partage des interventions et des financements entre les différents acteurs et une simplification des procédures pour la personne handicapée.

1. Le partage des compétences entre les différents acteurs génère des difficultés de mise en oeuvre

a) La prise en charge des personnes handicapées : un « bateau sans pilote »

La loi du 22 juillet 1983 qui a modifié certains transferts en matière d'action sociale, a conféré aux départements une compétence de droit commun en matière d'aide sociale (qui inclut les mesures en faveur des personnes handicapées). Ainsi, dans le domaine du handicap, les compétences de l'Etat se limitent au financement :

- de l'allocation aux adultes handicapés ;

- des frais d'hébergement, d'entretien et de formation professionnelle des personnes handicapées dans les établissements de rééducation professionnelle ;

- des frais de fonctionnement des centres d'aide par le travail ;

- des cotisations d'assurance maladie des adultes handicapés.

Cependant, au titre de « l'obligation nationale », mentionnée à l'article 1 er de la loi d'orientation du 30 juin 1975, l'Etat conserve un rôle fondamental de coordination des interventions des différents acteurs.

Mais dans la mesure où l'Etat s'est déchargé dès l'origine ou très rapidement de compétences primordiales pour le pilotage de la politique en direction des personnes handicapées , l'efficacité de cette coordination est largement compromise.

La compensation du handicap, à travers l'ACTP, a été laissée aux départements, sans que ceux-ci aient les moyens, notamment financiers, de la mettre en oeuvre à un niveau satisfaisant.

Une part importante de la compétence de l'Etat en matière d'emploi des personnes handicapées a été rapidement abandonnée à l'AGEFIPH, qui s'est vue confier le financement du placement des travailleurs handicapés (à travers le réseau Cap Emploi) et même le financement de la garantie de ressources accordée à tout travailleur handicapé.

Au niveau local, les services de l'Etat, et en particulier les commissions d'orientation (CDES et COTOREP) ont été déchargées des actions de suivi et de coordination au profit de diverses instances de consultation qui ne parviennent pas à collaborer de manière satisfaisante. Au total, le pilotage des acteurs n'est pas assuré.

Quant aux départements, ils n'ont guère les moyens de prendre le relais de cette coordination défaillante .

Leur action est contrainte dans la mesure où les décisions des COTOREP et des CDES (dont votre rapporteur a déjà souligné les faiblesses, en particulier en matière de coordination) s'imposent à eux.

Leur influence au sein même des COTOREP est restreinte : compte tenu du rôle du département et en particulier des financements qu'il apporte, le nombre de conseillers généraux au sein de ces commissions est sans doute insuffisant (3 représentants sur 24 membres dans les COTOREP, aucun représentant dans les CDES).

b) Les établissements : des financements totalement enchevêtrés

Les régimes juridiques des différentes catégories d'établissements ont laissé perdurer des modes de financement qui sont venus brouiller la répartition des compétences, telle qu'elle résultait de la loi du 22 juillet 1983.

Le financement des établissements accueillant des personnes handicapées est réparti à l'heure actuelle entre les différents acteurs à la fois selon le public accueilli et selon le type d'établissement :

- les établissements pour enfants et adolescents handicapés sont intégralement financés par l'assurance maladie. Seule l'intégration scolaire en milieu ordinaire est prise en charge par le budget de l'Education nationale ;

- concernant les établissements pour adultes handicapés , le financement est partagé : les structures d'hébergement sont financées par les départements, les soins éventuels sont pris en charge par l'assurance maladie, tandis que les structures d'aide par le travail relèvent d'un financement de l'Etat ;

- cette répartition des compétences connaît des frontières variables selon les catégories d'établissement : ainsi les maisons d'accueil spécialisées (MAS), qui reçoivent des adultes handicapés dont l'état nécessite une surveillance médicale et des soins constants, sont financées à 100 % par l'assurance maladie alors que les foyers à double tarification (FDT), dont la vocation est similaire, voient leur financement pris en charge par l'assurance maladie pour les dépenses afférentes aux soins tandis que l'hébergement reste à la charge des départements.

Cette répartition complexe des compétences est surtout préjudiciable aux départements dont la part dans le financement des établissements ne cesse d'augmenter , du fait de l'insuffisance de l'action de l'Etat. En témoigne la création des FDT qui relèvent au départ d'une démarche expérimentale, visant à pallier le retard pris par l'Etat dans la création de places en MAS. Concernant les établissements d'aide par le travail, le rapport de la mission commune du Sénat sur la décentralisation 18 ( * ) soulignait pour sa part que : « la prise en charge de droit des frais d'hébergement par le département est souvent utilisée par les gestionnaires d'établissements comme variable d'ajustement pour pallier la couverture incomplète des dépenses d'insertion professionnelle insuffisamment financée par l'Etat ».

La mise en oeuvre de l'amendement Creton 19 ( * ) a également suscité des difficultés supplémentaires : pour responsabiliser les organismes chargés de l'offre de places en établissement, l'article 22 de la loi du 13 janvier 1989 prévoit que la décision de maintien « s'impose à l'organisme ou à la collectivité compétente pour prendre en charge les frais d'hébergement et de soins dans les établissements pour adultes désigné par la COTOREP ».

Ce mécanisme est critiquable dans la mesure où il fait entrer dans le financement des établissements pour enfants, jusqu'ici très simple, des acteurs qui n'y avaient pas leur place. D'autre part, rien n'est prévu concernant les dépenses d'insertion professionnelle : ainsi l'Etat est-il exonéré financièrement de sa part de responsabilité dans l'engorgement des établissements pour enfants, du fait du manque de places en CAT.

Votre rapporteur regrette d'autant plus cette dérive du financement vers une place prépondérante du département que celle-ci est préjudiciable aux personnes handicapées : elle engendre en effet un effort financier supplémentaire de la part de ces dernières car l'aide sociale départementale a un caractère subsidiaire : la participation financière de l'intéressé est davantage sollicitée et l'aide accordée peut être récupérable. L'adoption, à l'initiative du Sénat, de l'article 2 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des maladies et à la qualité du système de santé , qui a interdit les recours en récupération de l'aide sociale versée aux personnes handicapées en cas de retour à meilleure fortune, a heureusement limité l'incidence de cette dérive sur les ressources des personnes handicapées, sans toutefois pouvoir totalement l'empêcher.

c) Les aides à la personne : une stratification de compétences au cas par cas

La prise en charge des aides à la personne a été presque totalement oubliée dans le dispositif originel de la loi d'orientation du 30 juin 1975. Elles se sont développées, en fonction de la demande des personnes handicapées, sur des bases uniquement réglementaires, la compétence et le financement étant prévus au cas par cas, sans pérennité.

L'exemple des auxiliaires de vie est particulièrement significatif à cet égard : ces personnels ont été créés par simple circulaire en 1981 et leur financement initial était un financement forfaitaire de l'Etat. Mais l'accroissement de la demande d'aide humaine, consécutive à la volonté accrue des personnes handicapées de demeurer à leur domicile, n'a pas été suivie d'un effort supplémentaire de l'Etat et les postes créés au-delà de la dotation initiale de l'Etat ont dû l'être sur les crédits d'aide sociale du département.

Votre rapporteur regrette que l'adoption en 2001 du plan triennal en faveur des enfants, adolescents et adultes handicapés , qui a prévu la création de nouveaux postes financés par l'Etat, n'ait pas été l'occasion d'une clarification, le plan prévoyant toujours une participation complémentaire du département en cas de besoin.

La situation des auxiliaires d'intégration scolaire est encore plus paradoxale : alors que leur mission les rattache directement au service public de l'Education nationale, ceux-ci doivent être financés au cas par cas, par des associations, qui embauchent ces personnels sous contrat « emploi-jeune ».

2. La nécessaire clarification doit concilier cohérence pour les financeurs et simplicité pour la personne

a) Des blocs de compétences fondés non plus sur des types de publics ou d'établissements mais sur des catégories de besoins

Avant toute redéfinition des rôles de chaque acteur, votre rapporteur considère comme indispensable une réaffirmation du rôle d'impulsion de l'Etat, en tant que garant de la solidarité nationale due aux personnes handicapées, ainsi que l'a solennellement proclamé l'article premier de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : « Toute personne handicapée a droit, quelle que soit la cause de sa déficience, à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale ».

Ce rôle moteur doit se traduire par la définition de priorités nationales, dans le cadre d'une programmation pluriannuelle . Pour faire droit à la demande légitime des personnes handicapées d'être associées à la définition des actions qui les concernent, il pourrait être envisagé, en préalable à cette programmation, une consultation obligatoire du Conseil consultatif national des personnes handicapées (CNCPH) ou, mieux encore, la tenue solennelle d'une « Conférence nationale du handicap ».

Dans une logique de proximité, il importe toutefois de donner au département un rôle de « chef de file » dans la mise en oeuvre locale des actions décidées . Il semblerait particulièrement pertinent de lui confier un rôle central sur le volet « vie quotidienne  et accompagnement social », c'est-à-dire dans la mise en oeuvre concrète du « parcours de vie » de la personne.

Cela suppose, d'une manière plus générale, une répartition des compétences non plus par public particulier ou par catégorie d'établissements mais par fonction correspondant à un besoin. A ce titre, votre rapporteur rejoint totalement les propositions de la mission commune d'information du Sénat sur la décentralisation 20 ( * ) , qu'il rappellera ici brièvement :

- le département se verrait confier la responsabilité de « chef de file » pour un volet « vie quotidienne » recouvrant l'hébergement, l'organisation de l'aide à l'autonomie et les loisirs ;

- l'Etat continuerait à assurer la fonction « emploi », laquelle recouvrirait sans ambiguïté toute activité assimilable à l'insertion par l'économique ;

- l'assurance maladie conserverait la fonction « soins », celle-ci comprenant au sens large les soins eux-mêmes, mais aussi les frais de personnel médical ou para-médical ainsi que le financement des aides techniques à caractère plus médical, à travers un tarif interministériel des prestations sanitaires (TIPS) rénové.

b) Une clarification des financements qui offrirait la possibilité d'un décloisonnement institutionnel et administratif

Une nouvelle répartition des compétences par catégorie de besoin doit impérativement être accompagnée de la définition de clés de répartition des financements, déterminées en fonction d'une appréciation exacte de la réalité de la nature des dépenses .

C'est pourquoi votre rapporteur estime qu'une réforme de la présentation des comptes des établissements doit être engagée. Ceux-ci devraient individualiser clairement ce qui relève de chacune des fonctions, de façon à répartir sans contestation possible la part de chaque financeur. Cette clarification permettrait un développement des structures du type « foyers à double tarification » sur des bases juridiques et financières stables.

Votre rapporteur insiste également pour que cette réforme permette un assouplissement de la sectorisation des établissements par département , pour mettre fin à des situations intolérables de refus d'accueil de personnes handicapées dans un département limitrophe de son domicile, pour des raisons de différence de calcul des prix de journée.

D. CONSOLIDER ET CLARIFIER LES CONDITIONS ACTUELLES DE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE DU HANDICAP

L'enchevêtrement des compétences a inévitablement d'importantes répercussions financières : le maquis des financements croisés est aujourd'hui tel qu'il est impossible d'évaluer avec précision l'ensemble des dépenses de la Nation effectuées dans le cadre de la politique du handicap.

1. En dépit de l'importance des masses financières, le financement du handicap demeure particulièrement opaque

a) Des estimations qui restent approximatives

L'importance des masses financières en jeu nécessiterait pour le moins une vision claire et exhaustive de ce qu'il est convenu d'appeler le « budget social du handicap ».

Certes, des estimations sont régulièrement avancées, sans pour autant qu'elles s'accompagnent des indispensables précisions sur leurs sources et sur leur méthodologie.

Ainsi, en 1993, la Cour des comptes 21 ( * ) indiquait-elle, sans autre forme d'analyse, que « selon une estimation officieuse mais vraisemblable émanant du secrétariat d'Etat aux handicapés, l'ensemble des dépenses de l'Etat, des organismes de sécurité sociale et des collectivités locales aurait été, en 1992, de l'ordre de 115 milliards de francs », tout en observant avec une prudence bien compréhensible, que ces chiffres comportaient « une inévitable marge d'incertitude ».

Plus récemment, lors de la réunion du 25 janvier 2000 du CNCPH, le précédent Gouvernement a fait état, dans un dossier de presse, d'un « budget social du handicap », « estimé à près de 160 milliards de francs ».

Le dossier de presse comportait notamment le tableau suivant :

Budget social du handicap

Estimé à près de 160 milliards de francs en l'an 2000

Etat : 48 milliards, dont :

- Etablissements : CAT

6,5

CRTH

5,0

- Prestations : AAH

25,5

AES

1,9

- Action sociale

9,1

Sécurité sociale : 49 milliards, dont :

- Invalidité-régime général

16,0

- Etablissements

33,0

Départements : 15 milliards :

(foyers et services + ACTP moins de 60 ans)

- dont ACTP (moins de 60 ans)

3,0

Divers : 48 milliards :

(dont pensions militaires d'invalidité et rentes d'accidents du travail)

Source : dossier de presse du 25 janvier 2000

Cette estimation est, depuis lors, régulièrement reprise et semble devenue la référence en la matière. Ainsi, M. Vincent Assante n'a pas manqué de la reprendre telle quelle dans son rapport précité au Conseil économique et social.

b) Des imprécisions regrettables

Votre rapporteur ne peut pourtant se satisfaire de ces estimations bien imprécises.

Cette présentation du « budget social du handicap » lui paraît en effet quelque peu étrange. Il constate ainsi qu'aucune indication de méthodologie ou de source n'a été fournie. Il observe aussi que cette estimation des masses financières pour 2000 a été publiée dès le 25 janvier de cette même année et qu'il ne peut donc s'agir à l'évidence que de simples prévisions pour 2000 ou de premières estimations pour l'année 1999. Il s'étonne également que l'AES soit curieusement considérée comme une prestation de l'Etat alors même qu'elle est financée par la sécurité sociale. Il regrette également que les postes de dépenses classés dans la rubrique « Divers » ne soient pas précisés alors même qu'ils constituent environ 30 % des dépenses totales.

2. Les moyens consacrés demeurent importants, mais sont en diminution relative

a) Des montants élevés

Votre rapporteur a souhaité procéder ici à une évaluation plus précise et plus exhaustive du « budget social du handicap ».

A cette fin, il croit nécessaire de se référer aux comptes de la protection sociale, publiés chaque année par la DRESS, qui constituent le seul cadre d'analyse disponible des prestations sociales consacrées au handicap, à l'intérieur duquel il est en outre possible de mener des comparaisons inter-temporelles.

Le tableau ci-après présente les prestations sociales consacrées au handicap : elles regroupent l'ensemble des transferts effectifs attribués personnellement à des ménages ainsi que la prise en charge totale ou partielle des biens et services consommés au titre de l'invalidité ou des accidents du travail.

PRESTATIONS SOCIALES CONSACRÉES AU HANDICAP

(en millions d'euros)

Catégories et listes des prestations sociales

Régime(s) financeur(s)

Nature juridique de la dépense

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001(p)

INVALIDITE (1)

16.132

17.129

17.468

18.107

18.616

19.214

19.884

Remplacement de revenu permanent

5.156

5.501

5.600

5.821

6.012

6.139

6.413

Rentes d'invalidité (y compris charges techniques)

Sécurité sociale (maladie-invalidité)

Assurances sociales

4.467

4.771

4.850

5.062

5.196

5.300

5.529

Garantie de ressources aux travailleurs handicapés

Etat

Assurances sociales

690

730

749

769

816

839

885

Compensation de charges sans conditions de ressources

268

276

288

299

311

329

353

Allocation d'éducation spéciale (AES)

Sécurité sociale (famille)

Assurances sociales

268

276

288

299

311

329

348

Compensation de charges avec conditions de ressources

414

424

467

456

472

488

502

Allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) versée aux personnes de moins de 60 ans

Départements

Aide sociale légale

414

424

467

456

472

488

502

Autres prestations en espèces sans conditions de ressources périodiques

1.825

1.793

1.733

1.680

1.616

1.538

1.481

Congés d'invalidité, prestations d'invalidité

Sécurité sociale (maladie-invalidité)

Assurances sociales

2

3

2

3

2

2

2

Allocation aux handicapés

Départements (sécurité sociale, divers régimes)

Assurances sociales

68

71

73

66

58

49

51

Pensions militaires d'invalidité

Etat

Assurances sociales

1.749

1.704

1.644

1.593

1.535

1.479

1.420

Allocations spéciales

Etat

Assurances sociales

6

15

14

18

21

8

7

Autres prestations en espèces avec conditions de ressources périodiques

3.367

3.604

3.764

3.922

4.130

4.284

4.356

Allocation aux adultes handicapés (AAH), y compris allocation forfaitaire ou complément d'AAH

Etat

Minima sociaux

3.137

3.365

3.524

3.680

3.878

4.028

4.095

Allocations et prestations du fonds de solidarité invalidité

Sécurité sociale (maladie-invalidité)

Minima sociaux

230

239

240

242

252

256

262

Autres prestations en espèces sans conditions de ressources occasionnelles

50

66

61

57

56

33

36

Prestations diverses

Sécurité sociale (divers régimes)

Action sociale facultative

50

66

61

57

56

33

36

Action sociale sans conditions de ressources

4.983

5.398

5.485

5.794

5.952

6.340

6.681

Prestations de nature médico-sociale correspondant à l'hébergement des personnes handicapées

Sécurité sociale (maladie-invalidité)

Assurances sociales

3.520

3.868

3.937

4.180

4.187

4.398

4.697

Frais d'hébergement et aide sociale aux personnes handicapées

Départements (et résiduellement Etat)

Aide sociale légale

1.376

1.439

1.455

1.527

1.675

1.840

1.885

Centres d'aide par le travail (frais de placement)

Départements

Aide sociale légale

44

47

47

48

48

41

41

Prestations extra-légales diverses des caisses de sécurité sociale

Sécurité sociale (divers régimes)

Action sociale facultative

44

45

47

40

42

61

58

Action sociale avec conditions de ressources

2

2

3

1

0

0

0

Prestations extra-légales diverses des caisses de sécurité sociale

Etat

Action sociale facultative

2

2

3

1

0

0

0

Autres prestations en nature sans condition de ressources

4

1

1

1

1

0

0

Prestations diverses

Etat

Action sociale facultative

4

1

1

1

1

0

0

Autres prestations en nature sans condition de ressources

62

65

65

76

66

62

62

Prestations diverses

Départements (et résiduellement Etat et CCAS)

Action sociale facultative

62

65

65

76

66

62

62

ACCIDENTS DU TRAVAIL (2)

5.106

5.167

5.220

5.244

5.348

5.515

5.715

Remplacement de revenu permanent

3.694

3.713

3.673

3.613

3.678

3.711

Rentes d'accidents du travail

Sécurité sociale (accidents du travail)

Assurances sociales

3.694

3.713

3.673

3.618

3.598

3.587

3.620

Allocations du FCAATA

Sécurité sociale (accidents du travail)

Assurances sociales

0

0

0

3.618

14

91

91

Remplacement de revenu temporaire

1.412

1.454

1.547

0

1.736

1.837

2.005

Indemnités journalières

Sécurité sociale (accidents du travail)

Assurances sociales

1.412

1.454

1.547

1.626

1.736

1.837

2.005

PRESTATIONS SOCIALES « HANDICAP » (1+2)

21.238

22.297

22.687

23.351

23.964

24.729

25.600

ENSEMBLE DES PRESTATIONS DE PROTECTION SOCIALE (3)

342.710

356.999

365.963

377.443

388.224

400.302

417.500

PART DES PRESTATIONS SOCIALES « HANDICAP » (1+2/3)

6,2 %

6,2 %

6,2 %

6,2 %

6,2 %

6,2 %

6,1 %

Source : comptes de la protection sociale 1995 à 2001 (données 2001 provisoires), en base comptabilité nationale 1995

A la lecture de ce tableau, il apparaît que les prestations sociales consacrées au handicap sont passées de 21,2 milliards d'euros (139,3 milliards de francs) en 1995 à 24,7 milliards d'euros (soit 162,2 milliards de francs) en 2000 et devraient sans doute atteindre 25,6 milliards d'euros en 2001 selon les premières prévisions .

Votre rapporteur observe toutefois que ces séries statistiques restent encore largement insuffisantes pour apprécier, dans son ensemble, l'effort public global en faveur des personnes handicapées.

A ces données, il conviendrait en effet de rajouter d'autres interventions financières. Il faut notamment citer :

- les financements de l'AGEFIPH (412 millions d'euros en 2001) ;

- les prestations d'assurance vieillesse versées au titre du handicap 22 ( * ) . Il s'agit notamment des pensions d'invalidité versées par la CNAVTS qui s'élevaient à 4.442 millions d'euros en 2001. Il peut s'agir également des pensions d'inaptitude au travail qui représentaient 7.107 millions d'euros en 2001 ;

- les autres prestations d'assurance maladie engagées au titre du handicap (soins de ville, hospitalisation). Elles ne peuvent être individualisées, mais la CNAM évalue les remboursements effectués dans le cadre du TIPS à 21 millions d'euros 23 ( * ) ;

- les dépenses fiscales visant la compensation du handicap qui atteignaient sans doute au moins 1,5 milliard d'euros en 2001.

Ces dépenses fiscales 24 ( * ) sont, elles aussi, très difficiles à évaluer dans la mesure où une même dépense fiscale peut viser à la fois la compensation du handicap et un autre objet. Il convient toutefois de signaler :

la demi-part supplémentaire pour les contribuables invalides (coût évalué à 320 millions d'euros en 2001) ;

la demi-part supplémentaire au titre d'une personne invalide résidant dans le foyer fiscal (coût évalué à 78 millions d'euros en 2001) ;

l'application du taux réduit de TVA à l'appareillage (175 millions d'euros en 2001) ;

l'exonération d'imposition sur le revenu des prestations sociales versées au titre du handicap (671 millions d'euros en 2001) ;

l'abattement pour les personnes âgées ou invalides de condition modeste (244 millions d'euros en 2001).

- les dépenses engagées par les collectivités territoriales autres que les départements. Il s'agit principalement des financements des communes, notamment en aide sociale et en accessibilité, qui ne peuvent, eux non plus, être individualisés.

Au total, en prenant également en compte ces autres dépenses, on peut supposer que le « budget social du handicap » au sens large devait être de l'ordre de 35 à 40 milliards d'euros en 2001.

a) Des évolutions sensibles

Plus précisément, et pour s'en tenir aux seules prestations sociales recensées par les comptes de la protection sociale sur longue période, votre rapporteur tire trois principales conclusions de l'analyse de ces données :

une très légère diminution de l'effort de la Nation

En 1995 et 2001, les prestations sociales consacrées au handicap ont augmenté de plus de 20 % en francs courants.

Cette évolution nominale masque en réalité une relative stabilité de ces dépenses parmi l'ensemble des dépenses de protection sociale : elles ont représenté, chaque année, 6,2 % de l'ensemble des dépenses de protection sociale sur la période 1995-2000 25 ( * ) .

Toutefois, si on se rapporte à la richesse nationale, les prestations sociales consacrées au handicap ont tendance à diminuer légèrement sur longue période . Ainsi, alors qu'elles atteignaient 2,1 % du PIB en 1985 26 ( * ) , elles ne représentaient plus que 1,8 % du PIB en 1995 et 1,7 % en 2000 et 2001.

une évolution non négligeable de la part respective des financeurs, caractérisée principalement par un désengagement de l'Etat

Le principal financeur de la politique du handicap est aujourd'hui la sécurité sociale. Elle finance à elle seule près des deux tiers des prestations sociales consacrées au handicap. L'Etat ne supporte qu'un quart de la charge, tandis que les départements en assument 10 %.

Evolution des prestations sociales consacrées au handicap
selon la catégorie de financeur

1995

2001 (p)

en millions d'euros

en %

en millions d'euros

en %

Etat

5.586

26,3 %

6.407

25,0 %

Sécurité sociale

13.689

64,5 %

16.652

65,1 %

Départements

1.964

9,2 %

2.541

9,9 %

Total

21.238

100 %

25.600

100 %

Source : commission des Affaires sociales (sur la base des comptes de la protection sociale).

Surtout, on assiste ces dernières années à une modification de la répartition de la charge financière.

Ainsi, l'intervention de l'Etat tend à diminuer : l'Etat ne prend plus en charge que 25 % de l'ensemble de ces dépenses en 2001, contre 26,3 % en 1995.

A l'inverse et fort logiquement, les contributions de la sécurité sociale et surtout des départements occupent une place croissante dans le « budget social du handicap ». La sécurité sociale, qui finançait 64,5 % des prestations en 1995, en finance 65,1 % en 2001 , tandis que, sur la période, la part des départements est passée de 9,2 % à 9,9 %.

Cette évolution a deux causes principales.

D'une part, ce sont les prestations relatives à la prise en charge en établissement qui ont le plus augmenté entre 1995 et 2001 : + 34 % contre + 20 % en moyenne pour l'ensemble des dépenses. Or, ce sont justement des dépenses à la charge de la sécurité sociale et des départements.

D'autre part, l'Etat bénéficie de la diminution sensible du poids des pensions militaires d'invalidité qui représentaient encore près du tiers de ses financements consacrés au handicap en 1995. Les dépenses relatives à ces pensions ont ainsi diminué de 19 % entre 1995 et 2001.

une évolution sensible de la nature des dépenses, qui accorde une place croissante à l'aide sociale

Si les prestations sociales consacrées au handicap relèvent toujours largement des assurances sociales 27 ( * ) , les dépenses d'aide sociale représentent une part en nette augmentation , tandis que les dépenses d'action sociale facultative demeurent extrêmement marginales.

Evolution des prestations sociales consacrées au handicap
selon la nature de la dépense

1995

2001 (p)

en millions d'euros

en %

en millions d'euros

en %

Assurances sociales

15.875

74,7 %

18.659

72,9 %

Minima sociaux

3.367

15,9 %

4.356

17,0 %

Aide sociale légale

1.834

8,6 %

2.428

9,5 %

Action sociale facultative

162

0,8 %

156

0,6 %

Total

21.238

100 %

25.600

100 %

Source : commission des Affaires sociales (sur la base des comptes de la protection sociale).

Ces évolutions, lourdes de significations, ne peuvent être ignorées à l'heure d'une révision en profondeur de notre politique de compensation du handicap.

2. Les modalités de financements actuelles doivent être améliorées

a) Une nécessaire clarification

Votre rapporteur regrette que, malgré une exploitation approfondie des statistiques disponibles, il ne soit pas possible d'apprécier dans son intégralité l'effort public global en faveur des personnes handicapées. Il considère qu'une telle ignorance des moyens qui leur sont déjà consacrés relève en définitive d'une évidente cécité des politiques publiques qui ne permet pas d'évaluer le bilan des mesures existantes et risque même de compromettre l'efficacité des politiques mises en oeuvre.

C'est d'ailleurs ce que laissait entendre M. Jean-Louis Segura devant votre commission lorsqu'il déclarait : « Nous consacrons tout de même deux points de PIB au secteur du handicap, ce qui est considérable compte tenu des autres priorités que la France doit également affronter. Pour autant, je ne suis pas sûr que nous tirions le meilleur effet de cet effort ».

Dans ces conditions, votre rapporteur juge urgent d'améliorer l'information disponible sur le financement de la politique du handicap.

Dans ces situations où les sources de financement sont multiples et où les états législatifs annexés à la loi de finances ne peuvent reproduire l'intégralité de l'effort de la Nation dans un domaine particulier, il existe la possibilité d'annexes informatives (les « jaunes budgétaires »), qui présentent une vision consolidée des moyens consacrés à une politique particulière. C'est notamment déjà le cas pour l'aménagement du territoire, pour les relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, pour l'effort financier de l'Etat dans le domaine culturel, pour les crédits consacrés au droit des femmes ou encore à la politique de la ville.

LISTE DES ANNEXES INFORMATIVES « JAUNES » (PLF 2002)

Agences de l'eau

Aménagement du territoire

Bilan des relations financières entre l'Etat et la protection sociale

Budget coordonné de l'enseignement supérieur

Départements et collectivités territoriales d'Outre-Mer

Effort de la Nation en faveur de la sécurité routière

Effort financier de l'Etat dans le domaine culturel

Effort financier de l'Etat en faveur des collectivités locales

Effort financier de l'Etat en faveur des petites et moyennes entreprises

Environnement (Etat récapitulatif de l'effort financier consenti en 2001 et prévu en 2002 au titre de l'environnement)

Etat de la recherche et du développement technologique

Etat des crédits qui concourent aux actions en faveur des droits des femmes

Etat récapitulatif de l'effort financier consacré à la politique des villes et du développement social urbain

Etat récapitulatif des crédits concourant à la coopération avec les Etats en voie de développement

Etat récapitulatif des crédits de fonds de concours (2000/2001/2002)

Etat récapitulatif de crédits de toute nature qui concourent à l'action extérieure de la France

Formation professionnelle

Impositions des plus-values

Liste des commissions et instances consultatives ou délibératives placées directement auprès du Premier ministre ou des ministres

Personnels affectés dans les Cabinets ministériels

Rapport du Gouvernement sur la gestion des autorisations de programme - Exercice 2000

Rapport relatif aux budgets des assemblées parlementaires

Rapport sur la gestion 2000 du fonds de solidarité

Rapport sur les taxes parafiscales

Récapitulation des crédits civils qui concourent à la défense de la Nation

Relations financières avec l'Union européenne

Secteur public de la communication audiovisuelle

Territoires d'Outre-Mer et Nouvelle-Calédonie

Liste des associations régies par la loi du 1 er juillet 1901 ayant reçu directement sur le plan national au cours de 1999 ou de 2000 une subvention à quelque titre que ce soit.

Source : Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, 12/2001.

C'est pourquoi votre rapporteur réitère sa demande, déjà formulée dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2002, d'une annexe spécifique (« jaune budgétaire ») à la loi de finances, qui rassemblerait les informations sur les moyens financiers consacrés par la collectivité à la politique en faveur des personnes handicapées.

b) La possibilité d'un « rattrapage »

En quinze ans, l'effort que la Nation a consenti en faveur des personnes handicapées est passé de 2,1 % à 1,7 % du PIB. Il a donc progressé moins vite que la richesse nationale.

Votre rapporteur considère qu'il n'est pas aujourd'hui irréaliste de se fixer comme objectif un « rattrapage » de ces 0,4 points de PIB 28 ( * ) ou, à tout le moins, la fin de ce « décrochage » progressif.

Un tel objectif apparaît d'autant plus légitime que le franchissement attendu d'une nouvelle étape en ce domaine exigera nécessairement un effort financier supplémentaire. Celui-ci pourra certes sembler conséquent, mais il devra aussi s'apprécier au regard du décrochage observé ces dernières années.

c) Une nouvelle répartition de la charge financière

Votre rapporteur observe enfin que ses propositions en matière de répartition des compétences auront à l'évidence une répercussion financière directe sur les différents financeurs.

Les modalités actuelles de financement de la politique du handicap laissent manifestement une place à une telle révision de la place respective de chaque financeur.

Ainsi, la diminution relative de la place de l'Etat observée ces dernières années rend aujourd'hui possible un renforcement de son rôle comme financeur principal au titre de la solidarité nationale. Ce renforcement permettrait alors d'alléger la charge pesant sur la sécurité sociale et les départements, dont on connaît les difficultés actuelles de financement. Un tel allégement leur permettrait alors d'améliorer, par redéploiement, leur implication dans les fonctions qui relèvent du premier chef de leurs responsabilités et qui méritent souvent une meilleure intervention de leur part. On peut penser ici notamment au financement des établissements.

Les différentes propositions formulées par votre rapporteur dans le présent rapport d'information reposent d'ailleurs sur cette logique : elles se traduisent le plus souvent par un renforcement de la charge financière pour l'Etat, au titre de la solidarité nationale, et par un allégement de celle de la sécurité sociale et des départements.

II. GARANTIR À LA PERSONNE HANDICAPÉE UNE COMPENSATION INTÉGRALE AFIN DE LUI PERMETTRE DE RÉALISER PLEINEMENT SES CHOIX DE VIE

Tout en reconnaissant les acquis de la loi d'orientation du 30 juin 1975, les personnes handicapées revendiquent, aujourd'hui, leur pleine et entière citoyenneté. Elles ne veulent plus être des citoyens « par défaut » , contraints, en raison des insuffisances actuelles de la solidarité nationale, à mener une existence « subie » plutôt que choisie et largement déterminée par les contraintes des prises en charge existantes.

« L'obligation nationale », posée par la loi du 30 juin 1975 à l'égard des personnes handicapées, ne peut donc plus être satisfaite par des prestations a minima définies dans le cadre d'un régime d'assistance. Cette obligation doit se traduire, aujourd'hui, par la compensation des désavantages liés au handicap, afin de rétablir l'égalité entre citoyens « valides » et citoyens « handicapés » et de favoriser, dans toute la mesure du possible, le maintien de ces derniers en milieu de vie ordinaire.

Selon votre rapporteur, la mise en oeuvre concrète de ce droit à compensation ne nécessite pas de remettre en cause les fondations de la loi du 30 juin 1975. Elle rend, toutefois, indispensable l'engagement de réformes prioritaires visant à :

- recentrer les allocations existantes autour de la compensation intégrale du handicap ;

- favoriser la vie en milieu ordinaire par un accès simplifié aux aides humaines ;

- améliorer la prise en charge des aides techniques comme moyen d'intégration sociale et de compensation du handicap.

A. RECENTRER LES ALLOCATIONS EXISTANTES AUTOUR DE LA COMPENSATION INTÉGRALE DU HANDICAP

En son chapitre III, 29 ( * ) la loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées a défini le cadre général des prestations et allocations susceptibles d'être servies aux adultes handicapés :

- un revenu minimum garanti , qu'il s'agisse de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), pour ceux d'entre eux qui ne peuvent exercer une activité professionnelle, ou de la garantie de ressources, pour les autres ;

- une allocation compensatrice (Allocation compensatrice pour tierce personne) accordée, sous certaines conditions, au handicapé « soit que son état nécessite l'aide effective d'une tierce personne pour les actes essentiels de l'existence, soit que l'exercice d'une activité professionnelle lui impose des frais supplémentaires ».

A l'occasion des auditions organisées par votre commission, peu de voix ont contesté, dans leur principe, ces « deux étages » de la solidarité financière de la Nation à l'égard des personnes handicapées. En revanche, toutes ont unanimement dénoncé :

- l'insuffisance dramatique des ressources ainsi « garanties » aux personnes handicapées , compte tenu des nombreuses charges auxquelles elles doivent faire face du fait même de leur handicap ;

- le caractère excessivement restrictif des conditions d'attribution de l'AAH qui dissuade, notamment, bon nombre de personnes handicapées de s'engager dans la voie de l'intégration professionnelle et sociale, de peur de perdre les avantages associés au service de cette allocation ;

- la juxtaposition de diverses prestations sociales ayant parfois un objet similaire et qui, résultant de l'accumulation des strates successives de notre système de protection sociale, aboutit à une « sectorisation » complexe de la prise en charge des déficiences en fonction de leur fait originel (accidents du travail, invalidité, inaptitude médicale, handicap, dépendance des personnes âgées).

Ces critiques, sévères mais justifiées, traduisent le désarroi (et, parfois, le désespoir) des personnes handicapées et de leur famille, à qui les prestations légales ne permettent pas, en l'état, de faire face aux multiples « surcoûts » du handicap. D'où le sentiment, largement répandu et humiliant pour les bénéficiaires de ces prestations, selon lequel « l'obligation nationale en faveur des personnes handicapées » se réduit, dans les faits, à une aumône .

La première réponse devant être apportée, en ce domaine, à nos concitoyens handicapés, est donc de leur garantir les moyens financiers d'une compensation effective et personnalisée de leur handicap en milieu ordinaire, par le biais d'une refonte ambitieuse de l'ACTP.

Parallèlement, il convient de favoriser davantage l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées, en assouplissant les règles de cumul de l'AAH avec leurs revenus d'activité.

Enfin, et dès lors que les moyens financiers de la compensation seront garantis dans le cadre d'une allocation compensatrice profondément rénovée, il sera possible d'envisager la revalorisation éventuelle de l'AAH et de la garantie de ressources, à la faveur d'une réflexion plus générale portant sur l'ensemble des minima sociaux.

1. Les moyens financiers d'une compensation effective et personnalisée de son handicap doivent être garantis à chaque personne handicapée

a) Diverses prestations et aides légales n'assurant qu'un financement partiel des frais liés à la compensation du handicap

La compensation du handicap prend plusieurs formes : les aides humaines , assistant la personne handicapée pour l'accomplissement des actes de la vie quotidienne (ou dans le cadre de l'exercice de son activité professionnelle), les aides techniques , assurant la compensation fonctionnelle des déficiences et, enfin, l'aménagement du logement ou des locaux professionnels .

La prise en charge de cette compensation résulte, actuellement, du « jeu croisé » de plusieurs prestations et de différents acteurs (Etat, sécurité sociale, départements, AGEFHIP, associations...), comme l'illustre l'encadré ci-après.

LES PRINCIPALES PRESTATIONS OU AIDES CONCOURANT À LA PRISE EN CHARGE DES FRAIS LIÉS À LA COMPENSATION DU HANDICAP

1) Les aides humaines auxquelles recourent les personnes handicapées peuvent ouvrir droit à plusieurs prestations, à savoir :

- la majoration pour aide d'une tierce personne d'une rente d'accidents du travail, d'une pension d'invalidité (de troisième catégorie), ou d'une pension de vieillesse pour inaptitude médicale. Cette majoration, servie par la sécurité sociale, est accordée aux personnes ayant travaillé et affiliées, de ce fait, à un régime de sécurité sociale ;

- l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) servie, par le département, aux personnes atteintes d'une incapacité d'au moins 80 % et qui ne bénéficient pas d'un avantage analogue au titre d'un régime de sécurité sociale.

2) Par ailleurs, l'allocation compensatrice pour frais professionnels peut être servie, également par le département, sur avis de la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP), au travailleur handicapé atteint d'une incapacité d'au moins 80 % et dont l'activité professionnelle est source de frais supplémentaires liés au handicap.

3) S'agissant du maintien à domicile , l'adulte handicapé percevant l'AAH à taux plein (ou en complément d'un avantage vieillesse ou d'invalidité ou d'une rente d'accidents du travail), ayant un taux d'incapacité égal ou supérieur à 80 %, touchant une aide personnelle au logement (allocation de logement familiale ou sociale, aide personnalisée au logement) et disposant d'un logement indépendant, peut bénéficier du « complément autonomie » de l'allocation aux adultes handicapés , servi par les caisses d'allocations familiales pour le compte de l'Etat.

Pour l'adaptation de leur logement , les personnes handicapées ont, en outre, droit à une subvention de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, si elles sont locataires, ou, si elles sont propriétaires, à une prime pour l'amélioration de l'habitat attribuée par le préfet et, dans tous les cas, à des avantages fiscaux.

4) Enfin, les appareillages et aides techniques inscrits au « Tarif interministériel des prestations sanitaires » (TIPS) sont pris en charge par l'assurance maladie, dans la limite de son tarif d'autorité et du taux de remboursement applicable.

En outre, l'effort de la collectivité nationale en direction des personnes handicapées se traduit par la définition de divers avantages fiscaux spécifiques ( cf. encadré ci-après ).

PRINCIPAUX AVANTAGES FISCAUX ACCORDÉS
AU TITRE DU HANDICAP OU DE L'INFIRMITÉ

1) Revenus non imposables :

- pensions militaires d'invalidité et pensions de victimes de guerre ;

- majoration pour assistance d'une tierce personne ;

- indemnités temporaires, prestations et rentes viagères servies pour accident du travail ou maladies professionnelles ;

- allocations versées aux invalides civils en application des lois d'assistance et d'assurance, en particulier l'allocation aux adultes handicapés et l'allocation d'éducation spéciale.

2) Revenus exonérés :

- pensions d'invalidité dont le montant ne dépasse pas celui de l'allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS) et si les ressources du bénéficiaire ne dépassent pas les plafonds de ressources prévus pour l'attribution de l'AVTS.

3) Impôts sur le revenu : majoration du nombre de parts pour invalidité

a) Demi-part supplémentaire accordée :

- aux titulaires d'une pension d'invalidité pour accident du travail d'au moins 40 %, d'une carte d'invalidité civile d'au moins 80 %, d'une pension militaire (invalidité d'au moins 40 %), ou d'une pension de veuve de guerre ;

- aux personnes âgées de plus de 75 ans et titulaires (ou veuf ou veuve d'un titulaire) d'une carte du combattant, d'une pension d'invalidité ou de victime de guerre ;

- au titre d'une personne infirme résidant en permanence sous le toit du contribuable, autre que son conjoint ou ses enfants à charge, titulaire de la carte d'invalidité civile (incapacité d'au moins 80 %), et dont les revenus figurent sur la déclaration de l'hébergeant ;

- au couple dont l'un des deux conjoints est invalide ;

- au célibataire, divorcé ou veuf invalide.

b) Une part supplémentaire accordée aux couples dont les deux conjoints sont invalides.

c) Une ou une et demie part supplémentaire au titre d'un enfant handicapé à charge, quel que soit son âge, titulaire de la carte d'invalidité civile (incapacité d'au moins 80 %) ; le nombre de parts est déterminé en fonction de la situation des parents et de leurs charges de famille.

4) Réduction d'impôts au titre de l'emploi d'un salarié à domicile, des frais de garde d'un enfant et des primes versées dans le cadre des rentes-survie ou des contrats épargne handicap.

5) Exonération totale de la taxe d'habitation au profit des titulaires de l'AAH ou des invalides ou infirmes ne pouvant subvenir à leurs besoins par leur travail, habitant leur résidence principale, et sous conditions de ressources. En outre, un abattement est accordé au titre des ascendants à charge, infirmes, dont le revenu fiscal ne dépasse pas un certain seuil.

6) Exonération de la redevance télévisuelle pour les personnes infirmes ou invalides, ayant un taux d'incapacité d'au moins 80 %, et dont le revenu fiscal de référence ne dépasse pas un certain seuil.

7) Taux réduit (5,5 %) de TVA sur certains appareillages inscrits au tarif interministériel des prestations sanitaires ou certaines aides techniques figurant sur une liste arrêtée par le ministre chargé du budget.

8) Abattement sur les droits de donation et de succession au profit des infirmes incapables de travailler dans des conditions normales de rentabilité et des invalides de guerre frappés d'une incapacité d'au moins 50 %.

Source : www.service-public.fr

Toutefois, et en dépit de leur diversité, ces prestations ou aides légales ne permettent pas aux personnes handicapées de faire face à l'intégralité des frais liés à la compensation de leur handicap.

Leurs montants sont notoirement insuffisants. Ainsi, la majoration pour tierce personne et l'ACTP ne permettent de financer les services d'une auxiliaire de vie que trois à quatre heures par jour.

« Il ressort également (de l'enquête Handicap-Invalidité-Dépendance de l'INSEE) que si les deux tiers des personnes en situation de handicap qui recourent à une aide ne rémunèrent pas celle-ci (cas, en règle générale, de l'aide familiale et cas également de 1/3 de l'aide professionnelle), le tiers restant doit participer au financement de l'aide fournie. Or, ce tiers représente 1,6 million de personnes environ, soit un chiffre bien supérieur à celui des bénéficiaires des diverses prestations actuelles de compensation (...). En fait, une très large majorité de personnes en situation de handicap doit assumer elle-même le financement des aides professionnelles dont elle a besoin, en plus de l'investissement de la famille qui n'est généralement pas comptabilisé » 30 ( * ) .

L'insuffisance des prestations légales contraint donc les personnes handicapées à un véritable « parcours  du combattant » afin de trouver les financements complémentaires (fonds d'action sanitaire et social des caisses, collectivités locales, associations, mutuelles, etc.) qui leur sont indispensables, avec toutes les difficultés, aléas et inégalités pouvant résulter de cet état de fait.

En outre, cette insuffisance des prestations de compensation nourrit largement la revendication, quasi-unanime, d'une revalorisation significative du revenu minimum garanti aux personnes handicapées et, plus particulièrement, du montant de l'AAH.

A la réflexion, il apparaît que la réponse la plus appropriée, en ce domaine, est de s'attaquer directement à l'origine du problème en garantissant aux personnes handicapées, par le biais d'une allocation compensatrice profondément rénovée, les moyens nécessaires à la compensation effective et personnalisée de leur handicap.

b) La mise en place d'une nouvelle prestation à vocation générale garantissant une compensation adaptée aux besoins de chacun

Afin de garantir une compensation effective et personnalisée des frais liés à la compensation du handicap, votre rapporteur propose donc une nouvelle « allocation compensatrice individualisée » .

Elle remplacerait la totalité des prestations préexistantes ( complément d'AAH, majoration pour tierce personne, allocation compensatrice pour tierce personne et allocation compensatrice pour frais professionnels ). Cette nouvelle allocation serait ainsi servie quel que soit le fait originel du handicap, et quelle que soit, par ailleurs, la prestation « principale » (AAH, mais, également, rente d'accidents du travail, pension d'invalidité). La création de cette nouvelle allocation permettrait, ainsi, de poser le premier jalon d'une simplification administrative des prises en charge de l'invalidité et du handicap dans notre pays.

Elle garantirait aux invalides et aux personnes handicapées les moyens financiers d'une compensation intégrale de leur handicap . A l'évidence, la création de cette nouvelle « allocation compensatrice individualisée » ne présenterait aucun intérêt si elle se limitait au regroupement, à moyens équivalents, des prestations déjà existantes. Cette création doit donc s'accompagner d'une revalorisation significative du « budget de compensation » dont disposeraient, dans ce nouveau cadre, les personnes handicapées. Le montant de ce budget variant selon les situations individuelles, « l'allocation compensatrice individualisée » devra donc obéir à une règle simple, mais essentielle : garantir à chaque personne handicapée la prise en charge intégrale des frais liés à la compensation de son handicap .

Elle assurerait le financement, non seulement des aides humaines, mais, également, des frais liés à l'aménagement des locaux et, le cas échéant, du coût des aides techniques non prises en charge par l'assurance maladie ou d'autres financeurs.

« L'allocation compensatrice individualisée » pourrait ainsi, par exemple, se décomposer en deux parties:

- d'une part, une allocation mensuelle correspondant, notamment, à la rémunération des aides humaines ;

- d'autre part, un « droit de tirage » de la personne handicapée sur les fonds départementaux de compensation 31 ( * ) (dont les missions seraient, à cette occasion, élargies et le statut consacré par voie législative), au titre du financement des travaux d'aménagement des locaux ou des aides techniques non prises en charge par d'autres financeurs.

La nouvelle allocation serait calculée sur la base des besoins individuels de chaque personne handicapée. A la différence des prestations existantes, le montant de « l'allocation compensatrice individualisée » ne serait donc pas uniforme, mais serait déterminé en fonction de la situation et des besoins individuels de chacun. Ces besoins individuels pourraient être évalués, dans le cadre d'une démarche pluridisciplinaire, par les équipes de la COTOREP. Le montant de l'allocation serait ensuite calculé sur la base de l'évaluation réalisée par la COTOREP, (le montant de cette allocation pouvant être modulée sur la base d'une échelle comparable, dans son principe, aux compléments de l'allocation d'éducation spéciale). Bien entendu, la personne handicapée devra être étroitement associée à l'évaluation de ses besoins et même, dans toute la mesure du possible, en assurer le « pilotage ». De même, elle pourra demander, à tout moment, la révision du montant de son « allocation compensatrice individualisée » en fonction de l'évolution de son handicap et des frais nécessaires à sa compensation.

Elle serait financée par l'Etat dans le cadre de la solidarité nationale, des crédits budgétaires assurant, d'une part, le paiement des allocations mensuelles et, d'autre part, venant abonder les fonds départementaux de compensation.

Elle serait cumulable avec l'AAH, un revenu d'activité ou une bourse d'études et servie sans condition de ressources même si, bien entendu, les moyens propres dont dispose le demandeur seraient l'un des éléments pris en compte, par la COTOREP, dans l'appréciation de sa situation personnelle et la détermination du montant de l'allocation.

c) La nécessité d'une réflexion complémentaire en vue d'une insertion harmonieuse de la nouvelle prestation dans le cadre légal et administratif existant

La présentation, ci-dessus, de la nouvelle « allocation compensatrice individualisée » ne saurait être exhaustive. A l'évidence, sa mise en oeuvre nécessitera une réflexion complémentaire sur un certain nombre de points.

Devront être ainsi précisées les règles de cumul de la nouvelle allocation avec d'autres aides déjà existantes, et ayant un objet sensiblement similaire (par exemple : aides versées par les fonds d'action sociale des caisses de sécurité sociale ou aides au logement).

Les modalités du passage, à l'âge de 60 ans, de « l'allocation compensatrice individualisée » (ACI) à l'allocation personnalisée à l'autonomie (APA) , ne devront pas entraîner, pour les personnes handicapées, de « rupture » de prise en charge (tant en termes financiers qu'en ce qui concerne l'organisation de leur vie quotidienne). Dans l'hypothèse où « l'allocation compensatrice individualisée » serait supérieure au montant de l'APA à laquelle peut prétendre l'intéressé(e), on pourrait ainsi, par exemple, envisager le maintien d'une « ACI différentielle » versée par l'Etat.

Les transferts financiers résultant, entre les différents acteurs concernés, de la mise en place de la nouvelle allocation devront être arrêtés . D'ores et déjà, deux principes fondamentaux paraissent devoir être posés à ce sujet :

- l'obligation, pour les autres financeurs institutionnels (sécurité sociale, départements...), de consacrer les fonds rendus disponibles par la création de la nouvelle allocation (à la charge de l'Etat) , à des actions en direction des personnes handicapées ou âgées dépendantes . En effet, la création de l'allocation compensatrice individualisée ne doit pas être un « jeu à somme nulle » pour les personnes handicapées ou dépendantes, mais contribuer, au contraire, à améliorer le niveau global de la compensation de leurs déficiences ;

- la possibilité, pour l'Etat, de s'associer aux actions en réparation engagées par la personne dont le handicap résulte directement de la faute d'un tiers, afin d'obtenir le remboursement, par la compagnie d'assurances du tiers, de l'allocation compensatrice individualisée versée du fait même de cette faute. La garantie, par la collectivité nationale, d'une compensation intégrale du handicap ne saurait être perçue, sur ce point, comme un encouragement à l'irresponsabilité.

d) Le droit à compensation des enfants handicapés : les voies d'une réforme progressive de l'allocation d'éducation spéciale

Les insuffisances de la solidarité nationale affectent, non seulement les handicapés adultes mais, également, les enfants handicapés et leurs familles. L'actualité récente a d'ailleurs montré dans quelle situation dramatique se trouvaient certaines de ses familles, et à quelle solution extrême elles étaient, de ce fait, acculées.

La garantie, par la solidarité nationale, des moyens financiers nécessaires à la compensation effective et personnalisée du handicap, ne saurait donc se limiter aux adultes, par le biais de la nouvelle « allocation compensatrice personnalisée » dont votre rapporteur propose, par ailleurs, la création.

Une garantie similaire doit donc être fournie aux enfants handicapés et à leurs familles. La prestation concernée en ce domaine, est, bien évidemment, l'allocation d'éducation spéciale (AES) qui est servie par les caisses d'allocations familiales.

LES CONDITIONS D'ATTRIBUTION DE L'ALLOCATION
D'ÉDUCATION SPÉCIALE (AES)

- Résider en France ou dans un département métropolitain ;

- justifier de la charge effective et permanente de l'enfant handicapé. Cette condition est considérée comme réalisée si l'enfant placé en externat ou semi-externat dans un établissement d'éducation spéciale ou dans une famille d'accueil, revient en fin de semaine au foyer et si la pension versée à la famille d'accueil ou à la structure d'hébergement est suffisante pour couvrir son entretien ;

- l'enfant handicapé est âgé de moins de 20 ans ;

- Il est atteint d'une incapacité permanente d'au moins 80% ;

- En cas d'incapacité comprise entre 50% et 80%, l'AES peut être servie si l'enfant :

* fréquente un établissement d'éducation spéciale ;

* a recours, conformément à la décision de la CDES, à une éducation spéciale, à une rééducation ou à des soins à pratiquer au titre de l'éducation spéciale, dispensés notamment en établissements de soins, en établissement scolaire ordinaire, par un service de soins à domicile ou en cure ambulatoire.

L'allocation d'éducation spéciale n'est pas soumise à condition de ressources.

Le montant maximum de l'AES (sixième catégorie de complément) est égal à celui de la majoration pour tierce personne servie par la sécurité sociale .

Source : www.handidroit.fr

Une réforme de l'allocation d'éducation spéciale vient d'être récemment engagée 32 ( * ) , selon des voies qui correspondent, dans ses principes, aux lignes directrices retenues par votre rapporteur pour « l'allocation compensatrice individualisée » :

- une évaluation plus proche des besoins de l'enfant et de sa famille , à l'aide d'un guide devant permettre aux CDES d'apprécier le lien entre le handicap de l'enfant et, d'une part, la nécessité de recourir à une tierce personne et, d'autre part, les dépenses supplémentaires en résultant pour sa famille (ou les personnes qui en assument la charge) ;

- une prestation dont le montant est « modulé » (une allocation de base à laquelle peuvent s'ajouter six catégories de complément) selon la gravité du handicap de l'enfant et l'importance des charges financières qui en résultent pour sa famille .

Avant d'envisager l'extension aux enfants handicapés de moins de 20 ans, de « l'allocation compensatrice individualisée » (dont il propose la création pour les adultes), votre rapporteur estime nécessaire de « faire vivre », au préalable, cette réforme de l'allocation d'éducation spéciale . Il est à craindre, en effet, que les problèmes spécifiques à la compensation du handicap des enfants soient moins bien appréhendés dans le cadre d'une prestation « universelle », servie indépendamment de l'âge du bénéficiaire. En outre, cette extension, si elle devait être réalisée de manière irréfléchie, pourraient aboutir, d'une part, à une confusion inefficace, entre enfance et âge adulte, des critères d'évaluation du droit à compensation du handicap et, d'autre part, à une « concurrence » malsaine, sur ce point, entre CDES et COTOREP.

Dans un premier temps, votre rapporteur propose donc « d'accompagner » l'actuelle réforme de l'allocation d'éducation spéciale, en étant plus particulièrement vigilant sur deux points essentiels :

- d'une part, le montant de l'AES ne doit pas « décrocher » de manière excessive par rapport à celui de l'allocation compensatrice individualisée servie aux adultes (et si tel est le cas, l'AES devra être revalorisée en conséquence) ;

- d'autre part, la mise en oeuvre des nouveaux compléments d'AES doit se traduire, concrètement, par des réponses adaptées à la situation particulière de chaque enfant et chaque famille (à défaut, il conviendra d'y apporter, sans tarder, les modifications utiles).

Au regard de l'évolution comparée de l'allocation d'éducation spéciale et de « l'allocation compensatrice individualisée » , leur rapprochement éventuel (et nécessairement progressif) pourrait être ensuite envisagé, dès lors que cette solution répondrait aux souhaits des intéressés, et s'avérerait, à l'usage, la plus adaptée pour garantir le droit à compensation des enfants handicapés.

2. Le cumul, à titre transitoire, de l'allocation aux adultes handicapés avec des revenus d'activité doit être autorisé

a) Des conditions générales d'attribution qui dissuadent les personnes handicapées de s'engager dans la voie de l'insertion professionnelle

Toute personne handicapée qui, ayant été reconnue dans l'impossibilité de se procurer un emploi en raison de son handicap, perçoit l'AAH, doit rester maître de son destin. Elle doit donc pouvoir tenter, si elle s'en estime désormais capable, l'aventure professionnelle.

Or, « les modalités d'attribution de l'allocation aux adultes handicapés, notamment l'interdiction de cumuler un salaire avec les allocations diverses et avantages fiscaux liés au handicap, ne facilitent pas la recherche d'un emploi alors même que chacun s'accorde à reconnaître que le travail demeure le vecteur idéal d'intégration sociale (...). Le choix d'entrer dans un processus en vue d'atteindre un objectif professionnel suppose (donc) un goût du risque certain pour de très nombreuses personnes handicapées » 33 ( * ) .

Les règles actuelles d'attribution de l'AAH condamnent ainsi un grand nombre de personnes handicapées à survivre dans le cadre d'un régime de subsistance, sans qu'elles puissent réaliser, sous peine d'une prise de risque excessive, leur choix de vie.

Cette situation est d'autant plus incompréhensible que le cumul de revenus d'activité avec d'autres prestations similaires est, en revanche, autorisé sous certaines conditions . Ainsi, par exemple, la pension d'invalidité peut continuer à être servie à un salarié dans le cas où, six mois après sa reprise du travail, le cumul de sa pension et de son salaire ne dépasse pas le salaire perçu avant son invalidité (pour les non-salariés : si le cumul de la pension et de la rémunération ne dépasse pas un plafond fixé par décret).

b) Des aménagements nécessaires afin d'autoriser le cumul, à titre transitoire, de l'AAH et d'un revenu d'activité

Le droit, pour les personnes handicapées, de déterminer librement leur choix de vie, au même titre que les autres citoyens, conduit donc votre rapporteur à proposer l'aménagement des règles d'attribution de l'AAH afin d'autoriser son cumul, à titre transitoire, avec le revenu d'une activité professionnelle.

Plutôt que d'augmenter les plafonds de ressources applicables (un « effet de seuil » étant toujours, dans ce cas, à redouter), il parait plus efficace, en ce domaine, de s'inspirer du dispositif mis en oeuvre pour le revenu minimum d'insertion.

Ce dispositif vise, en effet, à accompagner la reprise d'activité du bénéficiaire du RMI en autorisant, pendant une période transitoire, le cumul total (pendant les six premiers mois de reprise d'une activité professionnelle), puis partiel (abattement de 50 % pendant les trois trimestres suivants), du RMI avec un revenu d'activité. Cette logique paraît donc correspondre au but recherché en ce qui concerne l'AAH, à savoir « accompagner » la personne handicapée pendant la période de reprise d'activité professionnelle, la suppression définitive de l'allocation n'intervenant qu'au terme du délai jugé nécessaire pour apprécier si cette activité professionnelle lui permet désormais de vivre de son travail.

3. Une éventuelle revalorisation de l'allocation aux adultes handicapés s'inscrit nécessairement dans le cadre d'une réflexion d'ensemble sur les minima sociaux.

L'insuffisance du montant actuel de l'AAH a été unanimement dénoncée lors des auditions organisées par votre commission, compte tenu, notamment, des sujétions particulières supportées par les personnes handicapées du fait de leur handicap. La question de la revalorisation de l'AAH est donc aujourd'hui posée.

a) L'AAH : une allocation dont le montant est déterminé par référence au minimum vieillesse

Aux termes de l'article D. 821-3 du code de la sécurité sociale, son montant mensuel est égal à celui du minimum vieillesse (allocation aux vieux travailleurs salariés + allocation supplémentaire du fonds national de solidarité). Les plafonds de ressources applicables aux deux prestations sont, à quelques euros près, identiques.

En conséquence, la revalorisation du montant de l'AAH ne relève pas d'une mesure spécifique mais résulte, mécaniquement, de la révision périodique du montant du minimum vieillesse qui lui sert de référence.

Ainsi, l'AAH n'est pas une prestation « ex nihilo » mais traduit, en fait, l'extension aux personnes handicapées du « minimum vital » par ailleurs garanti aux inactifs (par exemple, les retraités ou les titulaires de pensions d'invalidité) dont les ressources sont particulièrement modestes.

b) Une revalorisation de l'AAH qui, en équité, et dans l'hypothèse d'une compensation préalable et intégrale du handicap, ne pourrait dès lors être envisagée que dans le cadre d'une réflexion d'ensemble sur les minima sociaux

Dès lors que la nouvelle « allocation compensatrice individualisée » fournirait aux personnes handicapées les moyens nécessaires à une compensation intégrale de leur handicap, il apparaît donc souhaitable à votre rapporteur, en équité, d'envisager une éventuelle revalorisation de l'AAH dans le cadre d'une réflexion plus large portant sur l'ensemble des minima sociaux.

En effet, le problème posé par l'insuffisance du « minimum vital garanti » à certains de nos concitoyens ne peut pas être résolu en opposant les unes aux autres les différentes catégories de bénéficiaires, voire en établissant entre eux une hiérarchie (pour le moins indécente) des priorités.

Comment pourrait-on, par exemple, justifier que la création de la nouvelle « allocation compensatrice individualisée » puisse s'accompagner d'une forte revalorisation de ce « minimum vital » limitée à la seule AAH ? Comment pourrait-on, dans ce cas, faire admettre aux veuves âgées, parfois dépendantes, et titulaires d'une maigre pension de réversion, qu'elles doivent, quant à elles, continuer à survivre avec un minimum vieillesse au montant inchangé ?

Les personnes handicapées qui revendiquent, à juste titre, leur égalité de traitement avec les autres citoyens, pourraient-elles d'ailleurs l'accepter ?

En équité, il paraît donc préférable de réfléchir, simultanément, aux modalités d'une revalorisation éventuelle du montant de l'AAH et du minimum vieillesse, sinon des autres minima sociaux.

Bien entendu, ce raisonnement ne vaut que dans la mesure où la création de la nouvelle « allocation compensatrice individualisée » fournira déjà, aux personnes handicapées, les moyens d'une compensation intégrale et effective de leur handicap au titre de la solidarité nationale.

B. FAVORISER LE MAINTIEN À DOMICILE ET L'INTÉGRATION EN MILIEU ORDINAIRE PAR UN ACCÈS SIMPLIFIÉ AUX AIDES HUMAINES

La compensation du handicap n'est pas, uniquement, une question de moyens financiers. Encore faut-il que la personne handicapée puisse recruter les aides humaines (et organiser elle-même leur travail) qui lui sont indispensables pour son maintien à domicile ou son intégration sociale dans le milieu ordinaire.

1. L'effort en faveur du maintien à domicile est insuffisant

La réussite de l'intégration de la personne handicapée en milieu ordinaire repose largement sur l'appui de dispositifs d'accompagnement et de soutien. Ces dispositifs, compte tenu d'une préférence pour l'institutionnalisation née de l'application conjuguée des deux lois de 1975, ont connu un développement tardif et offrent un panorama passablement bigarré.

a) Les services médico-sociaux d'accompagnement pour les enfants handicapés

Les enfants handicapés peuvent bénéficier de l'accompagnement de services médico-sociaux, essentiellement financés par l'assurance maladie, qui assurent un accompagnement à la fois éducatif et thérapeutique.

LES SERVICES MÉDICO-SOCIAUX D'ACCOMPAGNEMENT POUR LES ENFANTS HANDICAPÉS

• SESSAD ( service d'éducation spéciale et de soins à domicile ) : déficiences intellectuelles et motrices, troubles du caractère et du comportement ;

• SSAD ( service de soins et d'aide à domicile ) : polyhandicap, qui associe une déficience motrice et une déficience mentale sévère ou profonde ;

• SAFEP ( service d'accompagnement familial et d'éducation précoce ) : déficiences auditives et visuelles des enfants de 0 à 3 ans ;

• SSEFIS ( service de soutien à l'éducation familiale et à l'intégration scolaire ) : déficiences auditives des enfants de plus de 3 ans ;

• SAAAIS ( service d'aide à l'acquisition de l'autonomie et à l'intégration scolaire ) : déficiences visuelles des enfants de plus de 3 ans.

Composés d'équipes pluridisciplinaires, ces services mettent en oeuvre un projet individualisé comprenant soutien à l'intégration scolaire en milieu ordinaire (quand elle est possible), acquisition de l'autonomie, accompagnement des familles et aide au développement psychomoteur.

Si les services médico-sociaux se sont fortement développés ces dernières années, pour prendre désormais en charge 14,2 % des enfants handicapés, le nombre de places existantes est encore très insuffisant au regard du nombre d'enfants handicapés qui ne peuvent, de ce fait, être scolarisés.

Par ailleurs, tous les SESSAD n'ont pas à leur disposition de manière permanente un enseignant spécialisé, ce qui leur enlève une part de leur vocation qui est le soutien scolaire à domicile. Il paraît donc souhaitable d'envisager la présence continue d'au moins un de ces enseignants dans ces structures.

Il faut enfin souligner que les SESSAD n'interviennent pas dans l'établissement lui-même : ils n'ont pas pour mission d'assurer le rôle de tierce personne auprès de l'enfant intégré en milieu scolaire ordinaire, d'où l'importance du développement d'un autre type de services, les auxiliaires d'intégration scolaire.

Dans le cadre du dispositif « emploi-jeune » de 1997, des postes d'« auxiliaires d'intégration scolaire » ont été créés : ils ont un rôle collectif (au sein des classes d'intégration collective, CLIS et UPI) ou individuel (affectés auprès d'un élève). On évalue à moins de 2.000 le nombre d'auxiliaires de type associatif. En outre, environ 6.000 aides éducateurs de l'Education nationale contribuent, au cas par cas, à l'accompagnement des élèves handicapés.

Ces dispositifs restent encore largement insuffisants, tant sur le plan quantitatif que qualitatif.

Au regard du nombre d'enfants scolarisés en milieu ordinaire ou en attente de l'être (faute justement d'un accompagnement adapté), le nombre d'auxiliaires d'intégration reste insuffisant.

En outre, le recrutement de ces auxiliaires relève souvent d'une procédure trop complexe pour être satisfaisante : ils sont en général recrutés par une association qui doit ensuite les mettre à disposition de l'établissement scolaire fréquenté après conclusion d'une convention entre les trois intervenants (parents, école et association). Si ce système peut permettre un recrutement de candidats mieux formés au handicap, on peut néanmoins s'étonner que l'Etat ne prenne pas à sa charge ces auxiliaires, dans le cadre de l'obligation éducative dont doivent bénéficier tous les enfants.

b) Les aides humaines aux handicapés adultes

Les personnes handicapées adultes peuvent tout d'abord bénéficier, sous condition de ressources et au même titre que d'autres publics (personnes âgées dépendantes notamment), des services d'aide ménagère financés par l'aide sociale facultative du département et des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), financés par l'assurance maladie et assurés sur prescription du médecin, par des infirmières et des aides-soignants.

S'adressant uniquement aux bénéficiaires de l'allocation compensatrice pour tierce personne, les services d'auxiliaire de vie apportent de plus aux personnes handicapées l'aide nécessaire pour accomplir un ou plusieurs actes essentiels de l'existence. Ils sont relayés par des expériences locales associatives de services d'« auxiliaires de vie sociale », qui assurent un accompagnement pour diverses activités (courses, loisirs, démarches administratives...). Le nombre de postes créés au 1 er janvier 2000 était de 1862.

Deux limites importantes de ce dispositif méritent d'être soulignées :

- sachant que 90 % de la population handicapée vit à domicile, le nombre de postes d'auxiliaires de vie reste largement insuffisant par rapport aux besoins ;

- les personnes handicapées regrettent l'instabilité du personnel qui leur est affecté : en effet, le rôle des auxiliaires de vie exclut, en principe, les actions de soutien et d'accompagnement à temps complet. Le fait, pour les auxiliaires, de travailler pour diverses personnes, et pour des durées hebdomadaires faibles, réduit leur disponibilité à l'égard des personnes.

c) Des lacunes qui expliquent le recours limité à des aides professionnelles

Les effets conjugués de l'insuffisance du nombre de personnels qualifiés et de la modestie du montant des prestations légales (ACTP, notamment) expliquent le recours limité, par les personnes handicapées, à des aides humaines qualifiées.

Ainsi, « l'aide exclusivement familiale concerne 71,4 % des jeunes de 0-19 ans. Elle se situe autour de 60 % pour les adultes dans les tranches 20-39, 40-59 et 60-79 ans, puis chute à 32 % dans la tranche des 80 ans et plus.

« L'intervention des professionnels concerne 27,3 % des jeunes de 0-19 ans, 40 % environ des adultes dans les tranches 20-39, 40-59 et 60-79 ans, puis s'élève à 67,20 % dans la tranche des 80 ans et plus » 34 ( * ) .

Par ailleurs, « au sein des aidants professionnels, le personnel domestique (femme de ménage, aide-ménagère) concerne deux fois plus de personnes (1.452.800) que le personnel paramédical (auxiliaire de vie, garde à domicile) (723.300) et près de quatre fois plus que le personnel social et éducatif (396.600) .

« Ces données viennent confirmer l'idée selon laquelle les suivis existants touchent une partie limitée de la population (handicapée) qui recourt à une aide » 35 ( * ) .

2. L'amélioration du volume et de la qualité des services d'aides humaines est indispensable

a) La définition de moyens financiers adaptés

Il s'agit, tout d'abord, de veiller, en loi de finances, au respect des engagements déjà pris par l'Etat en ce domaine, soit dans le cadre du plan triennal (2001-2003) en faveur des personnes handicapées (notamment, la création sur trois ans d'environ 3.150 postes supplémentaires d'auxiliaires de vie), soit dans le cadre du plan « Handiscol » (création de 1.000 postes supplémentaires d'auxiliaires d'intégration scolaire à la rentrée 2002). En outre, cet engagement de l'Etat devra fournir l'occasion d'une clarification définitive, sur ce point particulier, de la répartition des compétences entre l'Etat et les départements .

Il apparaît ensuite nécessaire de déterminer un plan pluriannuel visant à accroître les possibilités de prise en charge des personnes handicapées par les services de soins hospitaliers à domicile.

Enfin, la nouvelle « allocation compensatrice individualisée » devrait donner aux personnes handicapées les moyens de recourir à des aides humaines adaptées à leur situation personnelle et non, comme c'est le cas actuellement, prédéterminées et uniformes pour tous les allocataires, sur la base d'un budget insuffisant.

b) L'exigence d'aides humaines qualifiées et respectueuses de la dignité des personnes handicapées

Selon votre rapporteur, cette amélioration « qualitative » des services d'aides aux personnes handicapées pourrait être réalisée sur les bases suivantes :

- définir un véritable « statut » officiel et des référentiels de formation pour les différentes aides concernées ;

- développer des formations diplômantes avec, notamment, des volets spécifiques concernant l'aide et l'accompagnement des personnes handicapées 36 ( * ) ;

- accroître les moyens financiers consacrés à la formation de ces différents personnels .

Mais cette « professionnalisation » accrue des aides devra, nécessairement, être conçue comme une garantie supplémentaire fournie aux personnes handicapées et ne devra, en aucun cas, devenir une contrainte administrative supplémentaire dont le respect serait, par exemple, exigé pour l'attribution de la nouvelle « allocation compensatrice individualisée » .

En effet, la compensation personnalisée du handicap doit s'adapter aux besoins ou aux souhaits de chacun. Il ne faudrait donc pas pénaliser, par une exigence administrative de qualification professionnelle, une personne handicapée qui souhaiterait recourir au service d'une aide non qualifiée, mais néanmoins compétente, efficace et dévouée.

c) Une meilleure coordination de la gestion des aides humaines

L'augmentation des moyens consacrés aux aides humaines, l'amélioration de leur qualification doivent, pour être efficaces, s'accompagner d'une meilleure coordination des différents acteurs concernés.

Nécessairement définie dans le cadre de la réflexion d'ensemble sur la répartition optimale des compétences entre les différents acteurs concernés, cette meilleure coordination devrait s'attacher prioritairement :

- à garantir la continuité de l'aide fournie aux personnes handicapées (ou à leur famille). En effet, la plupart des aides sont actuellement organisées dans un cadre imparfait et instable, que le moindre événement imprévu (ex. : maladie de l'aide) peut durablement perturber. Il convient donc de mieux coordonner l'intervention des diverses structures compétentes afin de permettre aux personnes handicapées de faire face, avec le minimum d'aléas et de tracasseries administratives, à ce genre de situation 37 ( * ) ;

- à proposer, en fonction des besoins individuels de la personne, une « panoplie » de services plus diversifiée et mieux adaptée ;

- à soulager les familles qui, on l'a vu, assurent, aujourd'hui encore, une grande part de l'aide aux personnes handicapées.

Les « sites pour la vie autonome », dont les missions seraient confortées et élargies, constitueraient le cadre idéal d'une telle coordination.

C. AMÉLIORER LA PRISE EN CHARGE DES AIDES TECHNIQUES COMME MOYEN D'INTÉGRATION ET DE COMPENSATION DES DÉFICIENCES

L'autonomie des personnes handicapées passe également par la garantie d'une prise en charge des aides techniques visant à compenser les déficiences.

1. La prise en charge des aides techniques demeure partielle et excessivement dispersée

a) Une prise en charge partielle au titre de l'assurance maladie

Selon la norme internationale « ISO 9999 », « est considérée comme aide technique, tout produit, équipement ou système technique utilisé par une personne handicapée, fabriqué spécialement ou existant sur le marché, destiné à prévenir, compenser, soulager ou neutraliser la déficience, l'incapacité ou le handicap ».

Au sens de cette définition, les aides techniques regroupent ainsi un grand nombre d'instruments, appareillages, dispositifs ou aménagements qui permettent à la personne handicapée d'être plus autonome dans sa vie de tous les jours et de « compenser » ainsi, au sens propre du terme, son handicap.

Or, si le progrès technologique autorise aujourd'hui la conception d'aides techniques de plus en plus diversifiées et perfectionnées, leurs modalités actuelles de prise en charge, dans notre pays, sont loin de permettre à nos concitoyens handicapés d'y avoir véritablement accès.

Le principal acteur institutionnel est, en ce domaine, l'assurance maladie qui assure, sur la base du tarif d'autorité et du taux de remboursement applicables à chaque type de matériel, le financement des appareillages inscrits au Tarif interministériel des prestations sanitaires (TIPS).

En l'état actuel du TIPS et de la réglementation applicable, ce financement est malheureusement très partiel. D'une part, les procédures d'inscription des nouvelles aides techniques au TIPS sont longues et inadaptées à l'évolution des technologies, les matériels remboursables ne représentant ainsi qu'une fraction de l'offre disponible sur le marché. D'autre part, le niveau de remboursement garanti, à ce titre, par l'assurance maladie, ne représente qu'une partie du prix d'acquisition des aides techniques inscrites au TIPS (et ce, en dépit, pour certaines d'entre elles, de l'application d'un taux de TVA réduit à l'achat).

b) Une prise en charge complémentaire excessivement dispersée

En conséquence, « la prise en charge automatique par la collectivité du coût des aides techniques n'est pas assurée. D'où la nécessité (pour les personnes handicapées) de rechercher, au cas par cas, des financements non obligatoires auprès des multiples organismes susceptibles d'apporter un concours à la prise en charge. D'où l'incertitude et des variations importantes possibles en ce qui concerne le degré de couverture des aides. D'où également des délais plus ou moins importants pour essayer d'obtenir ces financements potentiels des aides techniques. Il en va d'ailleurs de même pour ce qui concerne les actions complémentaires d'adaptation du cadre de vie des personnes en situation de handicap pour lesquels interviennent, généralement sans coordination, de multiples financeurs. » 38 ( * ) .

Les deux encadrés ci-après donnent une idée du « maquis administratif » dans lequel doit s'engager, aujourd'hui, une personne handicapée pour obtenir le financement des aides techniques ou de l'aménagement de son cadre de vie, nécessaires à son autonomie.

PRINCIPAUX ORGANISMES FINANCEURS DES AIDES TECHNIQUES

Aides techniques inscrites au TIPS

coût correspondant au TIPS

- organismes : sécurité sociale (CPAM, MSA, régime des Mines, régimes particuliers) dans le cadre de leurs prestations légales ;

- procédures : prescription médicale et facture si l'entente préalable n'est pas nécessaire ; pour les matériels nécessitant une entente préalable : prescription médicale, devis par fournisseur agréé, avis du contrôle médical.

coût supérieur au TIPS

- organismes et procédures : idem pour la partie prise en charge dans le cadre du TIPS

- pour le restant à charge : mutuelles ou assurances privées complémentaires et autres organismes ( cf. aides non inscrites au TIPS )

Aides techniques non inscrites au TIPS : prise en charge possible dans le cadre :

de certaines prestations spécifiques : CDES (complément AES), COTOREP (ACFP)

de prestations contractuelles par l'AGEFIPH ;

d'indemnisation assurantielle ou juridique ;

de prestations extra-légales ou fonds de secours, fonds divers des :

- Caisses de sécurité sociale (procédure comme pour les aides inscrites au TIPS, refus de la caisse dans le cadre du TIPS, transmission de la demande au fonds de secours, enquête sociale nécessaire dans le cas de prise en considération des ressources, ce qui est généralement le cas) ;

- Fonds de secours des mutuelles ou assurances privées complémentaires ;

- Caisses de retraite complémentaires, caisses de prévoyance ;

- Caisse d'allocations familiales ;

- Conseil général, CCAS ;

- Autres organismes privés qui interviennent subsidiairement : comités d'entreprise, fondations, associations...

Ces multiples organismes utilisent des critères peu transparents, prennent en compte généralement les ressources des demandeurs (ce qui les amène à demander une enquête sociale ou à faire remplir des imprimés spécifiques) et plafonnent les aides en fonction de l'importance de leurs fonds disponibles. La complexité du système rend souvent indispensable l'intervention d'un professionnel pour aider les usagers à s'y retrouver et à faire les démarches requises.

Source : Mission de réflexion sur la réforme de la loi du 30 juin 1975. Rapport du groupe de travail : « Accessibilité, accompagnement, conditions de vie autonome, regard ». (avril 2002)

PRINCIPAUX ORGANISMES FINANCEURS DES ADAPTATIONS
DU CADRE INDIVIDUEL DE VIE


Direction Départementale de l'Equipement

- pour les propriétaires occupants : prime à l'amélioration de l'habitat (P.A.H.), dossier instruit auprès de la DDE par le PACT, le CDHR ou le particulier, les ressources doivent être inférieures à 100 % du plafond prêt PAP, 50 % du montant des travaux peuvent être financés dans la limite d'un plafond ;

- pour les propriétaires bailleurs ou occupants du secteur privé : subvention possible de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH), dossier instruit auprès de la DDE par le PACT, le CDHR ou le particulier, financement possible de 70 % du montant des travaux dans la limite de 8000 euros ; si logement locatif pas de conditions de ressources, si logement de propriétaire occupant, conditions de ressources.


Conseil régional (dans certaines régions)

- pour les locataires ou propriétaires du parc privé, pour les personnes handicapées ou retraitées de plus de 60 ans : prime du Conseil régional, dossier instruit par le PACT ou le CDHR, conditions de ressources, financement possible dans certaines limites ;

- pour les locataires du secteur public, les personnes handicapées titulaires d'une carte d'invalidité ou personnes retraitées de plus de 60 ans, financement possible dans certaines limites.


Caisse régionale d'assurance maladie (CRAM)

- pour les bénéficiaires d'une pension de retraite, dossier instruit par le PACT ou par le service social de la CRAM, conditions de ressources et prime avec plafond.


Conseil général, CCAS


Caisses de retraite complémentaires : conditions de ressources et plafond de l'aide variables.


CPAM (extra-légal) : sur dossier présenté par une assistante sociale, conditions de ressources, prise en charge variable.


Assurances volontaires : contribution contractuelle possible.


Mutuelles : prestations contractuelles ou sur fonds de secours.


Caisse des Allocations familiales : pour les allocataires avec priorité aux titulaires de l'AAH, critères d'attribution variables.


AGEFIPH pour des adaptations du cadre de travail.


Association pour le logement des grands infirmes (ALGI) : Subvention ou prêt, en fonction des travaux, pas de condition de ressources, montant de l'aide plafonné.


1 % employeur


Autres organismes privés qui interviennent subsidiairement : comités d'entreprise, fondations, associations... : possibilités et critères très variables.

Source : Mission de réflexion sur la réforme de la loi du 30 juin 1975. Rapport d'étape du groupe de travail « Accessibilité, accompagnement, conditions de vie autonome, regard » (avril 2002)

2. La prise en charge intégrale des aides techniques dans le cadre des sites pour la vie autonome doit être garantie

La compensation du handicap rend donc nécessaire une révision profonde des mécanismes actuels de prise en charge des aides techniques, fondée sur l'exigence de procédures simplifiées garantissant une prise en charge intégrale des dépenses correspondantes. Selon votre rapporteur, plusieurs pistes pourraient être explorées en ce domaine.

a) L'amélioration de la prise en charge des aides techniques par l'assurance maladie : un souhait légitime, mais dont les effets pratiques risquent d'être limités par ses actuelles contraintes financières

L'amélioration des conditions de prise en charge des aides techniques par l'assurance maladie devrait se traduire, en priorité, par :

- une refonte et une modernisation des procédures et des conditions d'inscription au TIPS des aides techniques ouvrant droit à remboursement, permettant ainsi aux personnes handicapées de bénéficier des progrès de la technologie ;

- une révision des tarifs d'autorité et des taux de remboursement applicables visant à améliorer le niveau de prise en charge assuré par la sécurité sociale.

L'aboutissement effectif de ces réformes suppose, d'une part, que l'assurance maladie abandonne une conception excessivement « médicale » du handicap (qui limite à l'excès le champ de sa prise en charge des « appareillages » ) et, d'autre part, qu'elle dispose des marges de manoeuvre financières autorisant une revalorisation significative de ses remboursements.

Or, même si la création proposée de « l'allocation compensatrice individualisée » devrait permettre à la sécurité sociale de faire des économies au titre de la suppression de la majoration pour tierce personne ( cf. A ci-dessus ), il serait irresponsable, et peu opérant, d'oublier, par ailleurs, la situation difficile dans laquelle se trouvent, aujourd'hui, les finances de l'assurance maladie (qui limitera, du moins dans l'immédiat, les progrès pouvant être accomplis en ce domaine).

En conséquence, il convient de définir dans l'immédiat, et selon d'autres modalités, les conditions d'une prise en charge complémentaire garantissant à nos concitoyens handicapés la compensation intégrale des déficiences.

b) La prise en charge intégrale des aides techniques, par la généralisation et la consolidation financières des « sites pour la vie autonome »

Pour votre rapporteur, la solution la plus efficace, en ce domaine, paraît être la généralisation des «sites pour la vie autonome » , ainsi que la mobilisation autour d'eux des moyens financiers nécessaires au versement de la nouvelle « allocation compensatrice individualisée ».

Après une première expérience dans quatre sites pilotes, l'extension progressive des « sites pour la vie autonome » a été annoncée dans le cadre du plan triennal d'action en faveur des personnes handicapées (2001-2003). Ces sites ont pour vocation de développer l'accès aux solutions de compensation fonctionnelle des incapacités quelle que soit l'origine du handicap, de simplifier les procédures de financement et, ainsi, de réduire les délais nécessaires à leur obtention.

Une commission des financeurs , constituée en leur sein, a pour fonction de définir les modalités de coordination des interventions financières des différents partenaires (sécurité sociale, Etat, collectivités locales, mutuelles, associations...) pour chaque dossier individuel et de désigner, éventuellement, une « caisse pivot » afin de faciliter la mobilisation des financements autour du projet de la personne handicapée qui a sollicité un plan d'aide individualisé. Parallèlement, l'Etat peut abonder un fonds départemental de compensation assurant, en complément des autres financeurs et des dispositifs légaux, le financement des aides techniques.

Pour garantir à nos concitoyens handicapés la prise en charge intégrale des aides techniques, il conviendrait donc de conforter ce dispositif :

- en généralisant les 43 sites existants à l'ensemble du territoire national ;

- en consacrant les « sites pour la vie autonome » par un véritable statut législatif (notamment à la faveur d'une réforme de la loi du 30 juin 1975) et réglementaire ;

- en « solvabilisant » les fonds départementaux de compensation, afin de leur donner les moyens d'une véritable prise en charge complémentaire, tous financeurs confondus, des aides techniques et de l'aménagement du cadre de vie des personnes handicapées .

Les abondements de l'Etat s'ajoutant aux autres sources de financement, auraient ainsi pour objet de garantir le financement intégral des « droits de tirage » sur les fonds départementaux de compensation qui seraient reconnus, au titre des aides techniques, aux personnes handicapées ( cf. A ci-dessus ).

Bien entendu, ces aménagements devront être apportés dans le respect des principes fondamentaux d'organisation des « sites pour la vie autonome », notamment l'unicité et la simplification des procédures.

c) A titre complémentaire, l'extension de la TVA à taux réduit à un plus grand nombre d'aides techniques doit être envisagée

Le niveau de prise en charge des aides techniques ne dépend pas seulement, du montant des prestations légales mais, également, de leur prix initial.

Afin d'en limiter le coût pour les personnes handicapées, l'article 278 quinquies du code général des impôts dispose ainsi que la TVA « est perçue au taux de 5,5 % en ce qui concerne les opérations d'achat, d'importation, d'acquisition intracommunautaire, de vente, de livraison, de commission, de courtage ou de façon, portant sur les appareillages pour handicapés (certains, et non la totalité, des appareillages visés au TIPS) , ainsi que sur les équipements spéciaux, dénommés aides techniques et autres appareillages, dont la liste est fixée par arrêté du ministre chargé du budget et qui sont conçus exclusivement pour les personnes handicapées en vue de la compensation d'incapacités graves ».

Afin de ne négliger aucun atout dans la mise en oeuvre d'une compensation intégrale du handicap, il paraît donc nécessaire à votre rapporteur que l'augmentation du nombre des aides techniques ouvrant droit à une TVA à taux réduit soit envisagée en étroite concertation avec les personnes handicapées afin, notamment, de mieux prendre en compte les nouvelles possibilités offertes par le progrès technologique.

III. REFONDER LES POLITIQUES D'INTÉGRATION SUR UNE APPROCHE GLOBALE DU HANDICAP

Si la mise en oeuvre d'un véritable droit à compensation passe avant tout par une révision profonde du régime actuel des prestations, une réelle intégration des personnes handicapées exige également une réponse adaptée aux difficultés qu'elles rencontrent encore trop souvent dans leur vie quotidienne. C'est à cette condition seulement que leur intégration sera effectivement possible et que leur dignité sera pleinement reconnue.

Traditionnellement, et la loi d'orientation du 30 juin 1975 en témoigne, l'intégration sociale des personnes handicapées se concevait prioritairement sous la forme d'une intégration scolaire, d'une intégration professionnelle, voire d'une « intégration citoyenne ». Ce schéma, par trop segmenté, se fondait sur une approche très « institutionnelle » du handicap. Il ne peut plus résister à l'épreuve des faits.

L'intégration doit désormais relever d'une approche globale, reposant sur la recherche d'une accessibilité au quotidien.

A. GARANTIR L'ACCESSIBILITÉ DES BÂTIMENTS ET DES TRANSPORTS : UN PRÉALABLE INDISPENSABLE À L'INTÉGRATION SOUS TOUTES SES FORMES

Votre rapporteur considère qu'une réelle intégration dans la cité passe d'abord par l'accessibilité du cadre de vie.

C'est uniquement si la société tout entière devient accessible que l'intégration sera véritablement possible. A quoi sert de favoriser l'ouverture de l'école si les enfants handicapés ne peuvent y accéder ? Comment permettre aux personnes handicapées d'exercer une activité professionnelle si elles ne peuvent se rendre sur leur lieu de travail ?

Mais cette accessibilité globale de la cité reste aujourd'hui largement illusoire.

La sévérité du constat amène donc votre rapporteur à formuler en ce domaine des propositions fortes qu'il soumet au débat public avec la ferme conviction qu'une réforme d'ampleur est désormais nécessaire pour assurer un réel contenu au principe d'accessibilité.

1. L'accessibilité de la cité reste encore illusoire

a) Une réglementation toujours à l'état d'ébauche

La question de l'accessibilité de la cité n'a pas été totalement occultée par la loi d'orientation du 30 juin 1975.

Ainsi, en matière d'adaptation des bâtiments, son article 49 39 ( * ) , apparaissait ambitieux dans ses objectifs, mais réaliste pour la mise en oeuvre. Il disposait que « les dispositions architecturales et aménagements des locaux d'habitation et les installations ouvertes au public, notamment les locaux scolaires, universitaires et de formation doivent être tels que ces locaux et installations soient accessibles aux personnes handicapées » et prévoyait que « les modalités de mise en oeuvre progressive de ce principe sont définies par voie réglementaire dans un délai de six mois à dater de la promulgation de la présente loi ».

De même, en matière de transports, son article 52 s'inscrivait également résolument dans une démarche de mise en accessibilité progressive. Il disposait notamment qu'« afin de faciliter les déplacements des handicapés, des dispositions sont prises par voie réglementaire pour adapter les services de transport collectif ou pour aménager progressivement les normes de construction des véhicules de transport collectif, ainsi que les conditions d'accès à ces véhicules ou encore pour faciliter la création et le fonctionnement de services de transport spécialisés pour les handicapés ou, à défaut, l'utilisation des véhicules individuels ».

Cette démarche de renforcement progressif de la réglementation voulue par la loi d'orientation a cependant tardé à se concrétiser, même si elle n'a jamais été totalement abandonnée. Elle a fait l'objet de déclinaisons successives qui restent encore loin d'être abouties.

S'agissant des transports, la loi d'orientation du 30 décembre 1982 sur les transports intérieurs , a décliné, non sans ambiguïté, cette démarche. Son article 2 précise ainsi que « la mise en oeuvre progressive du droit au transport permet aux usagers de se déplacer dans des conditions raisonnables d'accès, de qualité et de prix ainsi que de coût pour la collectivité » et que « dans cet esprit, des mesures particulières peuvent être prises en faveur des personnes à mobilité réduite ».

S'agissant des bâtiments 40 ( * ) , la loi du 13 juillet 1991 portant diverses mesures destinées à favoriser l'accessibilité aux personnes handicapées des locaux d'habitation, des lieux de travail et des installations recevant du public a également vocation à mettre en oeuvre le principe posé par la loi d'orientation. La publication des décrets d'application de cette loi ne s'est pourtant pas caractérisée par sa rapidité : elle s'est échelonnée entre le 16 juin 1992 et le 31 août 1999.

Pourtant, cette évolution progressive de notre réglementation témoigne en définitive moins d'un souci d'approfondir la mise en oeuvre des principes de la loi de 1975 que d'une tentative d'adaptation progressive des dispositions « dont l'application n'était pas effective » comme l'a souligné M. Hasni Jeridi, chargé de mission auprès du délégué ministériel à l'accessibilité, devant votre commission.

Dans ces conditions, on ne peut guère s'étonner du bilan très modeste de cette réglementation.

b) Un bilan décevant

Plusieurs rapports ont récemment souligné l'insuffisante accessibilité de la cité dans notre pays.

M. Vincent Assante, dans un avis du Conseil économique et social 41 ( * ) , a bien mis en relief les limites de cette politique en dressant un bilan sévère de « l'inaccessibilité au quotidien ». M. Michel Fardeau, dans un rapport plus récent 42 ( * ) , insiste pour sa part sur l'important retard de notre pays, notamment en matière d'accessibilité des transports, et sur la « mise en oeuvre laborieuse » des principes de la loi de 1975.

Votre rapporteur ne s'étendra donc pas sur un constat désormais bien établi et se permet de renvoyer le lecteur à ces rapports ou, plus simplement, à une rapide visite de nos villes et de nos réseaux de transports en commun.

Il se contentera ici d'insister sur quelques points qui donnent un éclairage particulier sur une situation souvent édifiante.

S'agissant du cadre bâti , votre rapporteur relève que la réglementation est lacunaire et que son application est défaillante.

Une réglementation lacunaire

Le principe d'accessibilité posé par l'article L. 117-1 du code de la construction et de l'habitation vise théoriquement les locaux d'habitation, les lieux de travail et les bâtiments recevant du public. Il est censé s'appliquer lors de la construction mais aussi lors d'opérations de rénovation.

En pratique toutefois, les règlements d'application ne concernent que les bâtiments d'habitation collectifs neufs et les bâtiments recevant du public. Et encore faut-il observer que la plupart des bâtiments recevant du public en sont largement exonérés 43 ( * ) , comme l'indiquait M. Hasni Jeridi à votre commission : « les établissements de 5 ème catégorie, c'est-à-dire les commerces, ne sont pas concernés par cette obligation, ce qui constitue une grave lacune ».

En outre, ils prévoient de larges possibilités de dérogations à ce principe d'accessibilité, dérogations qui sont d'ailleurs très largement accordées, comme l'observait là encore M. Hasni Jeridi toujours devant votre commission : « Nous constatons que ces demandes de dérogations interviennent presque systématiquement : la dérogation devient la règle et la mise aux normes l'exception ».

Un contrôle défaillant

Le décret du 26 janvier 1994 a institué un contrôle du respect de cette obligation d'accessibilité à la fois a priori (pour la délivrance du permis de construire ou pour l'autorisation des travaux) et a posteriori (pour l'autorisation d'ouverture au public). Ce contrôle est confié à la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité (CCDSA) qui est chargée de donner un avis préalable à la décision de l'autorité compétente (maire ou préfet).

Or ce contrôle, en apparence strict, se révèle défaillant dans les faits.

Ainsi, il n'est pas prévu de contrôle a posteriori pour les établissements de 5 ème catégorie qui sont pourtant de loin les plus nombreux.

Plus fondamentalement, comme l'a souligné M. Hasni Jeridi, les règles de contrôle ne sont pas appliquées : « le contrôle a posteriori des logements neufs reposait sur un tirage au sort et représentait 7 % des opérations réalisées. Or, sur ces 7 %, le taux d'irrégularité était de 40 %, ce qui est énorme ».

Et, quand bien même ces irrégularités sont avérées, il est encore loin d'être évident que les mises en conformité soient ensuite réalisées. M. Hasni Jeridi constate ainsi que « nous ne disposons d'aucun chiffre concernant la remise aux normes de ces aménagements non conformes ».

S'agissant de la voirie , l'article 2 de la loi du 19 juillet 1991 pose le principe de son accessibilité aux personnes handicapées. Mais force est de « déplorer sa très inégale et très imparfaite application ». 44 ( * )

Là encore, notre réglementation apparaît en effet lacunaire et mal appliquée. Lacunaire, car elle vise principalement les handicaps moteurs et ignore largement les autres handicaps, notamment sensoriels. Mal appliquée également, comme chacun peut le constater.

S'agissant des transports , le bilan est également bien sombre. Les analyses de MM. Vincent Assante et Michel Fardeau ont ainsi mis en évidence le « retard considérable » en matière d'accessibilité des transports.

Ce retard concerne en premier chef les transports en commun urbains.

Une enquête d'avril 1999 de l'Association des paralysés de France a montré que, sur les 38 villes de plus de 60.000 habitants hors région Ile-de-France, 25 n'offraient aucun transport adapté.

Une enquête de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région Ile-de-France de 1998, concluait, de son côté, que seules 9 villes de plus de 60.000 habitants de la région parisienne étaient équipées d'au moins un transport en commun accessible aux personnes à mobilité réduite. Ainsi, à Paris, le réseau de transport en commun reste difficile pour environ 20 % de la population et impraticable pour 5 à 7 % de la population.

A contrario , on rappellera qu'en Suède existait, en 1998, un service spécialisé de transport pour personnes handicapées dans 279 des 284 communes.

Ce retard concerne également le transport ferroviaire et le transport aérien.

Les trains restent, pour la très grande majorité, inaccessibles de plain-pied et ne disposent, pour les TGV et les grandes lignes, que d'une seule place pour les personnes handicapées.

Si les aéroports sont, pour la plupart, largement accessibles, l'accès à bord des avions reste encore très discriminant, notamment en raison du coût et des formalités imposées.

Au total, l'accessibilité de la cité reste donc aujourd'hui largement illusoire.

Votre rapporteur y voit principalement un manque de volonté politique.

S'abritant derrière une réglementation ambiguë et mal appliquée, les pouvoirs publics ont jusqu'à présent privilégié des solutions quelque peu dilatoires fondées sur la création de multiples structures de réflexion et de proposition 45 ( * ) , sur l'élaboration de « codes de bonne conduite » 46 ( * ) dépourvue de portée normative ou sur des mesures incitatives dénuées d'efficacité et à la logique incertaine 47 ( * ) .

Ainsi, par exemple, le Fonds interministériel pour l'accessibilité aux personnes handicapées des bâtiments anciens ouverts au public qui appartiennent à l'Etat (FIAH) ne peut apparaître comme une solution crédible. Il a vocation à compléter les efforts consentis par les différents ministères en co-finançant les travaux de mise en accessibilité. Mais, en 2001, seules 30 opérations devaient faire l'objet d'un tel cofinancement pour un montant total dérisoire au regard des enjeux : 1,3 million d'euros...

2. Une politique plus volontariste est désormais indispensable

Au regard de la situation actuelle, votre rapporteur juge indispensable de revoir notre politique d'accessibilité dans un sens plus volontariste pour parvenir à une réelle accessibilité de la cité dans les meilleurs délais.

Certes, votre rapporteur n'ignore pas les difficultés, notamment financières, d'une telle démarche en particulier pour la voirie, le cadre bâti et les réseaux de transports.

Il propose donc d'afficher dès aujourd'hui des objectifs ambitieux, mais d'inscrire leur réalisation dans des délais réalistes . Pour autant, il considère qu'il est nécessaire de rompre avec la logique de la loi d'orientation de 1975 pour laquelle la progressivité est rapidement devenue synonyme d'inachèvement. Il importe donc de fixer un délai raisonnable au-delà duquel toute entorse à l'accessibilité ne serait plus tolérée. Un délai de dix ans lui semble a priori raisonnable.

a) Poser une obligation d'accessibilité du cadre bâti qui serait réellement contrôlée et sanctionnée

La loi du 19 juillet 1991, qui reprend d'ailleurs l'article 49 de la loi d'orientation du 30 juin 1975, pose déjà le principe d'accessibilité des locaux d'habitation, des lieux de travail et des bâtiments recevant du public.

Il apparaît nécessaire de lui garantir enfin une réelle effectivité par une révision profonde de ses modalités d'application.

Élargir le champ d'application de l'obligation

Le champ d'application de l'obligation souffre d'une triple limite :

- il ne prend qu'imparfaitement en compte les commerces et les lieux de travail ;

- il autorise trop de dérogations ;

- il ne concerne que les bâtiments neufs et ne vise les bâtiments anciens qu'à l'occasion de leur rénovation.

Votre rapporteur juge nécessaire d'intervenir à ces trois niveaux.

Il semble d'abord souhaitable d'étendre aux établissements de 5 e catégorie (et donc aux commerces) et à tous les lieux de travail (quel que soit l'effectif concerné) le régime applicable aux autres bâtiments recevant du public.

S'agissant des lieux de travail, votre rapporteur rappelle en outre que l'AGEFIPH peut verser des aides à la mise en accessibilité des lieux de travail. Il regrette que ce dispositif soit mal utilisé. Ainsi, en 2001, seules 202 aides ont été versées à ce titre (contre 328 en 2000) pour un montant global de 2,7 millions d'euros (soit 0,6 % des financements de l'AGEFIPH). Il suggère en conséquence de donner une plus grande lisibilité à ce dispositif pour qu'il soit plus fréquemment employé.

Il semble aussi souhaitable d'appliquer certaines des règles actuelles d'accessibilité aux bâtiments d'habitation collectifs neufs de moins de cinq étages (qui constituent environ la moitié des bâtiments d'habitation collectifs neufs construits chaque année) 48 ( * ) .

A défaut d'une accessibilité immédiate de tous les locaux d'habitation neufs, il n'est pas inutile de prévoir, dès la construction, la possibilité d'une mise en accessibilité ultérieure. Votre rapporteur partage en effet, sur ce point, l'observation de Michel Fardeau devant votre commission : « Quand les problèmes d'accessibilité sont prévus au départ, cela coûte à peine plus cher. Ce qui coûte cher, ce sont les aménagements ultérieurs, les reconstructions, c'est, par exemple, de construire un petit ascenseur. »

Il est ensuite indispensable de revoir drastiquement les conditions dans lesquelles des dérogations à cette obligation d'accessibilité peuvent être accordées .

Actuellement, le code de la construction et de l'habitation prévoit toute une série de dérogations, interprétées de manière extensive et accordées de manière bien trop souple : difficultés matérielles graves, caractéristiques du terrain ou présence de constructions existantes qui font obstacle à son application pour les bâtiments neufs, difficultés liées à leurs caractéristiques ou à la nature des travaux pour les bâtiments anciens...

Au minimum, il apparaît souhaitable de limiter cette liste de dérogations aux seules impossibilités techniques insurmontables.

Il convient enfin de s'interroger sur une meilleure prise en compte de l'obligation d'accessibilité pour les bâtiments anciens, et notamment des locaux d'habitation .

Les conditions de logement des personnes handicapées apparaissent en effet souvent particulièrement difficiles. Ainsi, l'Association des paralysés de France (APF) a fait réaliser, de septembre 1996 à janvier 1997, une enquête auprès de 654 personnes handicapées motrices résidant en Ile-de-France. Ses résultats soulignent avec force leurs difficultés d'accès à un logement adapté : 43 % des personnes interrogées souhaitent une adaptation de leur logement mais ne peuvent l'effectuer pour des raisons principalement financières.

Cette situation s'explique notamment par le fait que les normes d'accessibilité ne concernent aujourd'hui que les logements neufs ou rénovés (56 % des personnes interrogées étaient entrées dans leur logement dans les années 1970 et donc dans des constructions achevées avant l'édiction des normes). Or, les rénovations sont trop peu fréquentes pour garantir, à elles seules, une mise en accessibilité progressive des logements.

Votre rapporteur considère qu'un important effort d'adaptation des logements existants est nécessaire.

Idéalement, il aurait été souhaitable d'étendre l'obligation d'accessibilité à l'ensemble des locaux d'habitation, hors travaux de rénovation, dans les conditions prévues par le code de la construction et de l'habitation (aménagement des parties communes des bâtiments d'habitation collectifs, adaptabilité des logements eux-mêmes). Mais cette voie risque d'être difficilement praticable.

Aussi, votre rapporteur suggère, dans un premier temps, d'explorer une voie alternative.

En l'absence de toute enquête exhaustive au niveau national sur la situation de logement des personnes handicapées, il serait d'abord souhaitable de créer un « Observatoire national du logement des personnes handicapées ». Cet observatoire, qui pourrait être directement rattaché au Conseil national consultatif des personnes handicapées, serait chargé de recenser les logements adaptés actuellement existants, d'évaluer les besoins non couverts et d'en suivre l'évolution.

Au vu de ces résultats, il pourrait être nécessaire de compléter la législation existante en s'inspirant des dispositions de la loi du 21 décembre 2001 dite « loi Bachelot-Chérioux » 49 ( * ) .

Cette loi a introduit une double innovation. D'une part, elle accorde légitimement une priorité aux personnes handicapées et à leur famille pour l'attribution des logements sociaux. D'autre part, elle permet aux organismes HLM de bénéficier d'une déductibilité de la taxe foncière pour les dépenses engagées pour l'accessibilité et l'adaptation des logements 50 ( * ) .

Cette loi offre de premières solutions, mais mériterait sans doute d'être complétée.

Ainsi, il serait possible d'étendre l'incitation fiscale à l'ensemble du parc privé : les dépenses réalisées par les bailleurs privés pour mettre en accessibilité et pour adapter les logements seraient déductibles de la taxe foncière , la perte de recettes pour les collectivités locales étant naturellement compensée par une majoration de la dotation globale de fonctionnement dans une logique de solidarité nationale. En effet, selon l'enquête de l'APF précitée, 63 % des personnes handicapées motrices sont locataires (dont 30 % d'entre elles dans le parc privé). Il importe donc de privilégier d'abord les logements locatifs et, en conséquence, d'étendre le régime accordé aux organismes HLM aux bailleurs privés.

De même, au regard notamment des premiers résultats de la loi du 21 décembre 2001 dans les HLM, il pourrait être nécessaire, le cas échéant, de renforcer la démarche incitative par des obligations plus contraignantes. La législation actuelle se contente en effet d'exiger des logements adaptables (et non adaptés) et d'inciter à l'accessibilité et à l'adaptation des logements. Dès lors, compte tenu des besoins qui seront déterminés par l'Observatoire national du logement des personnes handicapées, il pourrait être demandé aux organismes HLM de prévoir un minimum de logements aménagés et adaptés d'origine pouvant accueillir immédiatement les personnes handicapées . Ce minimum pourrait éventuellement être demandé lors de toute construction ou réhabilitation et déterminé par bassin de vie.

Améliorer les contrôles

Pour faire face à la défaillance des contrôles, il est nécessaire d'en redéfinir le champ et d'assurer leur effectivité.

S'agissant du champ des contrôles, il importe de les rendre systématiques pour l'ensemble des bâtiments visés par la législation . Cela signifie donc d'en finir avec le système aléatoire actuel, fondé sur un tirage au sort. Cela signifie également d'étendre le champ du contrôle a posteriori à l'ensemble des bâtiments avant leur ouverture au public et, en conséquence, de soumettre les bâtiments de 5 e catégorie à cette même obligation.

Mais il importe aussi de garantir la réalité de ces contrôles en dotant les commissions consultatives départementales de sécurité et d'accessibilité des moyens nécessaires pour réaliser pleinement leurs missions .

Ces commissions, chargées d'émettre un avis à l'autorité compétente, doivent participer à l'instruction préalable des demandes et, théoriquement, effectuer une visite de contrôle de conformité des bâtiments avant leur ouverture au public.

Or, à l'heure actuelle, elles n'en ont pas les moyens. Ces commissions fonctionnent en effet largement grâce aux représentants des personnes handicapées qui siègent en leur sein, mais ne peuvent assurer qu'imparfaitement la plénitude de leur mission comme l'a indiqué M. Hasni Jeridi lors de son audition :

« L'Etat a demandé à ces associations de participer à l'instruction préalable et aux visites de conformité, donc de réaliser une véritable mission de service public, ce dont elles n'ont pas les moyens. En effet, la formation de leurs membres n'est pas assurée, alors que l'Etat devrait, selon moi, prendre ces formations à sa charge, ainsi que les frais de déplacement, ce qui n'est pas rien en raison de toutes les visites de contrôle nécessaires. De ce fait, nous constatons qu'au moment des contrôles de conformité, bon nombre de ces associations fonctionnent essentiellement sur la base du bénévolat. Il serait donc très important d'aider les associations à remplir cette mission que l'Etat leur assigne ».

Il conviendrait donc d'assurer à leurs membres une meilleure formation et un défraiement minimal.

Prévoir des sanctions

En cas de constat de non-conformité aux règles d'accessibilité, des sanctions sont actuellement prévues. Il est possible aux autorités compétentes d'engager une procédure de demande de mise en conformité et, dans l'attente, d'interdire l'ouverture du bâtiment au public.

Ces sanctions sont toutefois trop rarement mises en oeuvre, en particulier du fait du constat très tardif de la non-conformité qui intervient souvent après l'ouverture au public en l'absence de contrôle.

Dans ces conditions, votre rapporteur souhaite qu'une amélioration du contrôle permette au dispositif actuel de jouer à plein.

Si tel n'était pas le cas, il n'écarterait pas deux voies plus audacieuses de renforcement des sanctions.

Une première voie concerne les bâtiments neufs et les opérations de rénovation. Il serait ici envisageable d'instituer un système de mise en demeure et d'astreintes financières, prononcées par le juge, tant que l'obligation de mise aux normes n'est pas effective après ouverture au public .

Une autre voie concerne les bâtiments anciens . Il serait envisageable, au terme d'une période de transition d'une dizaine d'années, d'instaurer un système de versement d'une cotisation à un fonds d'accessibilisation de la cité pour les bâtiments accueillant du public ne respectant pas l'obligation d'accessibilité .

Un tel fonds se substituerait à l'actuel FIAH et aurait une vocation bien plus large : contribuer au financement des travaux de mise en accessibilité des bâtiments anciens recevant du public (et non plus des seuls bâtiments de l'Etat).

Cette seconde solution n'aurait bien entendu vocation à être mise en oeuvre que si les mesures incitatives précédemment évoquées ne produisaient pas les effets escomptés. Mais il ne serait pas pour autant inutile de le prévoir dès à présent, ne serait-ce que pour afficher très clairement les objectifs des pouvoirs publics en ce domaine et pour permettre aux différents acteurs d'anticiper pleinement les conséquences d'une évolution de la législation.

b) Adapter nos transports à tous

Dans la mesure où « les transports constituent un maillon indispensable au sein de la chaîne de l'accessibilité », il convient de rattraper d'urgence le retard français en ce domaine.

LES TRANSPORTS ACCESSIBLES AUX PERSONNES HANDICAPÉES
À OTTAWA (CANADA)

Lors de leur déplacement au Canada, les membres de la délégation de la commission ont pu mesurer les effort accomplis par la ville d'Ottawa (Ontario) pour faciliter l'accessibilité aux transports des personnes handicapées.

Le dispositif mis en place à Ottawa conjugue l'utilisation d'autobus conventionnels à plancher surbaissé et celle de véhicules adaptés grâce au service « Para Transpo ».

Le service de transport conventionnel fonctionne sur une base régulière le long d'un parcours fixe et offre aux personnes handicapées la liberté de se déplacer comme bon leur semble Les autobus à plancher surbaissé peuvent accueillir la plupart des fauteuils roulants. Ils comportent à l'avant une rampe d'accès télescopique, que le chauffeur actionne, et deux places réservées aux fauteuils roulants.

Les personnes handicapées doivent toutefois être en mesure de se rendre à l'arrêt et d'en revenir et être capable de monter à bord de l'autobus par elles-mêmes. Elles peuvent se faire accompagner d'une personne qui les aide.

30% des autobus sont aujourd'hui entièrement accessibles ; ce pourcentage devrait augmenter rapidement au fur et à mesure du renouvellement de la flotte.

« Para Transpo » offre quant à lui un service porte-à-porte aux personnes atteintes d'une invalidité permanente ou de courte durée, qui sont incapables de se rendre à pied à l'arrêt d'autobus ou d'emprunter le transport en commun régulier. Le service est subventionné par la Ville d'Ottawa et géré par la Commission de transport en commun d'Ottawa-Carleton (OC Transpo). Il s'effectue grâce à un large parc de voitures et de minibus équipés de rampes.

Les personnes intéressées doivent être inscrites et avoir réservé leur trajet à l'avance. Elles sont aidées au moment de monter à bord et de descendre des véhicules. Les tarifs sont modestes puisque le trajet coûte entre 1,50 et 2,50 euros selon les périodes.

Comme ont pu le constater les membres de la délégation, un dispositif assez analogue existe à Toronto, qui conjugue des bus accessibles et un service spécifique intitulé « Wheel-Trans ». En outre, certaines stations du métro sont équipées d'ascenseurs pour personnes handicapées ; elles restent cependant rares.

Votre rapporteur juge ici nécessaire d'affirmer très solennellement le principe d'accessibilité des transports en commun et le principe de non-discrimination entre leurs usagers. Cela passe alors par une modification de notre législation qui est doublement nécessaire.

D'une part, votre rapporteur déplore que les hasards de la codification ont fait que les dispositions de l'article 52 51 ( * ) de la loi d'orientation du 30 juin 1975 ont aujourd'hui disparu de notre arsenal législatif (pour être probablement reléguées au simple rang de mesures réglementaires), et ce quelques jours seulement après que le législateur eut pourtant rappelé son attachement à ces dispositions et en étendant leur champ d'application (cf. encadré plus haut : les avatars de la loi de 1975).

D'autre part, votre rapporteur considère qu'il est nécessaire de lever les ambiguïtés de la loi d'orientation du 30 décembre 1982 sur les transports intérieurs. Celle-ci ne pose qu'un objectif de mise en accessibilité, pouvant a fortiori n'être mis en oeuvre que progressivement. En aucun cas, et à la différence de la législation du code de la construction et de l'habitation, elle ne pose une quelconque obligation d'accessibilité des transports.

Il convient donc d'inscrire clairement dans la loi l'obligation d'accessibilité des transports en commun.

Mais reste alors à en assurer la mise en oeuvre.

Tout comme pour l'accessibilité du cadre bâti, votre rapporteur suggère ici de privilégier une méthode progressive, dans le cadre d'un échéancier strict, visant à atteindre une pleine accessibilité des transports en commun d'ici une dizaine d'années .

Cette méthode progressive suppose néanmoins une mobilisation rapide des différents acteurs à tous les niveaux.

Au niveau national

Votre rapporteur est favorable à l'élaboration d'un programme pluriannuel de mise en accessibilité des réseaux et des transports en commun . Il n'ignore pas les difficultés liées à une telle mise en accessibilité qui suppose notamment des investissements financiers considérables. Aussi, préconise-t-il que ce programme soit l'occasion d'une contractualisation entre les acteurs. Les collectivités locales et les opérateurs de transports en commun (publics mais aussi privés) s'engageraient sur les objectifs à atteindre, tandis que l'Etat participerait à la prise en charge -pour tout ou partie- du surcoût 52 ( * ) .

Cette contractualisation doit, dans l'esprit de votre rapporteur, poursuivre un triple objectif.

- la mise en accessibilité du matériel de transport proprement dit

Ce premier volet est sans doute le moins délicat dans la mesure où le surcoût pour l'achat d'un matériel accessible est souvent marginal.

Dès lors, votre rapporteur considère qu'il est d'ores et déjà possible d'instituer une obligation d'achat de matériel accessible (train, bus, tramway, bateau...) à l'occasion de toute acquisition de nouveau matériel ou de tout remplacement . L'Etat pourrait alors, le cas échéant, par voie contractuelle participer au financement du surcoût. Cette participation pourrait d'ailleurs n'être que temporaire.

Ce volet impose néanmoins une coordination avec les constructeurs de matériel. Actuellement, tous les moyens de transports ne sont pas toujours accessibles car l'accessibilité n'est pas prise en compte dans le processus de fabrication. C'est le cas notamment pour les avions.

- la mise en accessibilité des infrastructures de transport

Ce second volet est plus délicat compte tenu des coûts d'investissement. L'essentiel de l'effort financier devrait donc y être consacré.

- le développement des transports spécialisés

Dans l'attente d'une accessibilité totale des transports en commun, il est nécessaire d'encourager le développement des transports spécialisés, notamment en zone rurale. Des actions en ce sens sont déjà actuellement menées par des associations ou des collectivités locales. On pense notamment à l'affrètement de taxis. Là encore, la contractualisation devrait permettre à l'Etat de prendre en charge une part du coût de ce service, parallèlement à des engagements de développement de celui-ci.

LES TRANSPORTS SPÉCIALISÉS

« Il existe une extrême diversité de formules. Sur les trajets réguliers (scolaires, consultations médicales, ateliers de travail protégé) des conventions existent avec le conseil général, la sécurité sociale ou les établissements, et l'usager n'avance aucun frais (un quart seulement des communes interrogées ont confié ce service à l'opérateur de transport en commun urbain). Le chauffeur joue, en général, le rôle d'accompagnateur. Pour les transports dits « occasionnels », les prix sont variables et souvent libres, en particulier en Ile-de-France. Quant aux taxis, le nombre de véhicules adaptés, en Ile-de-France, est inférieur à 10, malgré une politique de subvention de l'aménagement du véhicule par le conseil régional. »

Source : rapport Fardeau.

Au niveau local

Votre rapporteur est favorable à la généralisation des expériences initiées par certaines collectivités locales. Ainsi, il propose que, dans les agglomérations dépassant une « taille critique » qu'il restera à fixer, soit rendue obligatoire l'élaboration d'un « plan d'agglomération » en matière d'accessibilité , à laquelle seraient associées les associations représentant les personnes handicapées. Ce plan pourrait être défini soit à l'échelle de la commune, soit à celle du groupement de communes lorsque les compétences en matière de voirie et de transport ont été transférées à l'échelon intercommunal.

L'accessibilité des transports exige en effet une réflexion plus profonde sur l'aménagement de l'espace urbain dans la mesure où elle suppose la levée des obstacles de voirie. Ces « plans d'agglomération » doivent alors avoir pour vocation d'éliminer les obstacles et d'assurer la continuité des trajets. Cela passe notamment par :

- l'adaptation de la voirie avec l'installation de bandes rugueuses, de signaux sonores, de signalisation en gros caractères, avec la généralisation des trottoirs rabaissés ;

- la mise aux normes du mobilier urbain ;

- la définition des localisations des places de stationnement réservées aux personnes handicapées.

Mais il convient également d'assurer que ces plans d'agglomération permettront effectivement d'éliminer les obstacles. Votre rapporteur suggère donc d'assortir la mise en oeuvre de ces plans de mesures d'accompagnement. Il lui semble notamment nécessaire de majorer les amendes en cas de non-respect des emplacements de stationnement réservés aux personnes handicapées . Un triplement de leur montant ne lui paraît pas déraisonnable. Cette majoration pourrait en outre s'accompagner du versement du produit de ces amendes au fonds d'accessibilisation de la cité précédemment évoqué.

B. FAIRE ENFIN DU DROIT À L'ÉDUCATION DES ENFANTS ET ADOLESCENTS HANDICAPÉS UNE OBLIGATION NATIONALE

L'accès à l'éducation constitue, pour chaque enfant, un droit fondamental et un moyen d'épanouissement et de socialisation. C'est aussi -et peut-être même plus encore- le cas pour les enfants et les adolescents handicapés.

La loi d'orientation du 30 juin 1975 a consacré ce droit à l'éducation pour les enfants et adolescents handicapés en fixant comme objectif prioritaire leur intégration en milieu scolaire ordinaire. Son article 4 53 ( * ) dispose en effet que « les enfants et adolescents handicapés sont soumis à l'obligation éducative. Ils satisfont à cette obligation en recevant soit une éducation ordinaire, soit, à défaut, une éducation spéciale, déterminée en fonction des besoins particuliers de chacun d'eux par la commission départementale d'éducation spéciale ».

Cette démarche intégrative, maintes fois réaffirmée depuis lors, n'en est pourtant aujourd'hui encore qu'à ses premiers balbutiements : non seulement l'intégration scolaire reste encore largement minoritaire, mais surtout de très nombreux enfants et adolescents handicapés n'accèdent toujours pas à l'éducation.

1. L'obligation éducative n'est toujours pas respectée

a) Un paysage complexe et éclaté

La mise en oeuvre de l'obligation éducative, dont les conditions sont définies par les CDES, passe aujourd'hui par des formes variées. Elle peut prendre la forme d'une intégration scolaire en milieu ordinaire, individuelle ou collective, dans une classe ordinaire ou spécialisée, voire dans un établissement d'enseignement spécialisé, soit à temps plein, soit à temps partiel, avec ou sans soutien particulier. Elle peut aussi être organisée au sein d'établissements médico-sociaux d'éducation spéciale, spécialisés par type de déficience selon des modalités d'accueil là encore très variées (internat, semi-internat, externat, placement familial) et éventuellement avec le soutien de services spécialisés.

Des structures trop cloisonnées

Cette diversité devait initialement permettre des processus dynamiques de passage d'une structure à une autre, en fonction de l'évolution des handicaps. Mais elle conduit plutôt à figer les situations en multipliant des cloisonnements souvent infranchissables.

Le paysage apparaît en effet aujourd'hui singulièrement éclaté.

L'éducation ordinaire -c'est-à-dire l'intégration scolaire en milieu ordinaire- est normalement la règle. Deux solutions sont ici possibles :

- une intégration individuelle dans une classe « ordinaire », avec d'autres enfants ou adolescents du même âge, avec, le cas échéant, un soutien spécifique qui peut être fourni par les réseaux d'aide spécialisée aux élèves en difficulté (RASED) ou les services de type SESSAD, voire par des auxiliaires d'intégration scolaire ou par des enseignants spécialisés itinérants ;

- une intégration collective dans une classe « spéciale » située dans un établissement scolaire « ordinaire ». Il s'agit ici des classes d'intégration scolaire (CLIS) à l'école élémentaire et des unités pédagogiques d'intégration (UPI) au collège. Les enfants et adolescents handicapés y suivent un enseignement adapté à leurs capacités et délivré en principe par des enseignants spécialisés. Mais ils participent également aux activités des autres élèves de l'établissement et les côtoient quotidiennement. Là encore, ils peuvent bénéficier des mêmes soutiens qu'en cas d'intégration individuelle. Il existe également, dans certains collèges, les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) qui accueillent les enfants et les adolescents handicapés en vue de les aider à atteindre le niveau du certificat d'aptitude professionnelle.

A côté de l'éducation ordinaire, intervient l'éducation spécialisée.

Celle-ci peut d'abord relever du ministère de l'Education nationale . Il s'agit notamment des établissements régionaux d'enseignement adapté (EREA) qui sont chargés d'assurer un enseignement adapté au type de handicap, en proposant si nécessaire un internat éducatif. Il s'agit également, mais plus rarement, des centres de formation d'apprentis spécialisés (CFAS) qui accueillent les jeunes handicapés ne pouvant être intégrés dans un CFA « ordinaire ».

Mais l'éducation spéciale relève principalement du ministère des Affaires sociales au travers des établissements médico-sociaux des « annexes XXIV ». Ceux-ci sont spécialisés par type de handicap et ont vocation à organiser une prise en charge globale de l'enfant ou de l'adolescent et notamment en matière éducative. Il convient notamment de rappeler le rôle des instituts médico-éducatifs (IME) qui sont de deux sortes : les instituts médico-pédagogiques (IMP) et les instituts médico-professionnels (IMPro) . Les premiers ont vocation d'assurer l'éducation générale et pratique des enfants dès l'âge de 3 ou 6 ans, tandis que les seconds visent à dispenser, parallèlement à un complément d'éducation générale, une formation professionnelle adaptée au handicap à partir de 14 ans.

On observera enfin que des passerelles peuvent exister entre l'éducation ordinaire et l'éducation spécialisée. Ainsi, les enfants ou adolescents accueillis comme internes ou demi-pensionnaires dans un établissement spécialisé peuvent, le cas échéant, suivre une scolarité, à temps plein ou à temps partiel, dans un établissement scolaire ordinaire.

Des processus d'orientation déficients

Cet éclatement du paysage éducatif est encore renforcé par la complexité, voire l'opacité des processus d'orientation, perçue comme un véritable « parcours du combattant » 54 ( * ) par de nombreux parents.

En application de la loi d'orientation du 30 juin 1975, l'orientation éducative des enfants et adolescents handicapés relève de la compétence de la CDES dont les décisions s'imposent aux différents établissements. En pratique, sa compétence s'arrête aux établissements et services relevant du secteur médico-éducatif, voire à l'école ordinaire si cette orientation s'accompagne de mesures complémentaires d'intégration. Les CDES délèguent largement leurs compétences à des commissions de circonscription spécialisées : les commissions de circonscription pour l'enseignement préscolaire et élémentaire (CCPE) et les commissions de circonscription pour l'enseignement du second degré (CCSD). Les CDES deviennent alors de simples instances de recours.

Votre rapporteur a souligné précédemment les dysfonctionnements de ces commissions. Il observe cependant que ceux-ci apparaissent particulièrement sensibles en matière d'orientation.

Alors que la procédure d'orientation est censée permettre l'élaboration en commun d'un projet éducatif individuel, elle se résume à une simple procédure administrative d'où sont exclus les enfants et leur famille.

Votre rapporteur tient ici à faire deux remarques.

La première tient à la complexité de la procédure qui conduit à dessaisir les familles de leur participation à la décision et parfois à aboutir à des situations totalement inadmissibles.

Ainsi, M. René Bernard observait avec justesse devant votre commission : « Pour les familles, c'est un véritable parcours du combattant dans lequel les plus démunis ont beaucoup de mal à être acteurs du projet de leur enfant. Encore faut-il qu'elles aient trouvé le bon interlocuteur. Or, lorsque les familles se trouvent devant un aréopage de professionnels, même les plus aguerris ont bien du mal à analyser l'offre qui leur est faite et à juger de sa corrélation avec les besoins de leur enfant . »

Et cette complexité peut, in fine , se traduire par des résultats absurdes.

Ainsi, le médiateur de l'Education nationale relevait, dans son dernier rapport annuel, que « parfois la solution à apporter à un problème d'intégration est compliquée par des propositions contradictoires émanant d'organismes officiels » 55 ( * ) , citant le cas de décisions antinomiques entre une commission de circonscription pour l'enseignement préscolaire et élémentaire et une commission de circonscription pour l'enseignement du second degré pour l'orientation d'un même enfant.

La seconde remarque est un simple rappel 56 ( * ) : durée insuffisante d'examen des dossiers, absence trop fréquente des parents et manque de prise en compte des besoins et des capacités de l'enfant sont encore le lot commun du fonctionnement des structures d'orientation.

Au total, on ne s'étonnera pas que « l'intégration scolaire s'apparente à une sorte de loterie dans laquelle les enfants et les parents sont bien souvent les perdants » 57 ( * ) .

b) Des moyens manifestement insuffisants et inadaptés

Les carences du système institutionnel sont encore renforcées par l'insuffisance des moyens mis en oeuvre.

Des perspectives d'accueil trop limitées 58 ( * )

Votre rapporteur constate ainsi que le développement des solutions d'intégration scolaire, très fortement souhaité par les parents, est bien trop lent pour faire face à la raréfaction de places en établissements spécialisés.

L'intégration scolaire en milieu ordinaire ne progresse que lentement.

Ainsi , l'intégration individuelle reste rare.

Intégration individuelle en milieu ordinaire (1999-2000)

en unités

Premier degré

Second degré

Total

Intégration à temps plein

19.323

15.358

34.681

Intégration à temps partiel

7.218

1.702

8.920

Total

26.541

17.060

43.601

Source : MEN - France métropolitaine

L'intégration collective se développe progressivement, mais ne concerne que marginalement le second degré.

Intégration collective en milieu ordinaire

en unités

Rentrée 2000

Rentrée 2001

Nombre de CLIS

3.170

3.381

Nombre d'élèves en CLIS

28.459

31.290

Nombre d'UPI

202

303

Nombre d'élèves en UPI

1.735

2.867

Source : MEN - France métropolitaine

Au total, en 2000, environ 75.000 enfants ou adolescents handicapés fréquentaient l'école « ordinaire ».

De fait, l'éducation spéciale reste plus fréquente.

Ainsi, les établissements du secteur médico-éducatif accueillaient, pour l'année scolaire 2000-2001, environ 100.000 enfants et adolescents handicapés dont moins de 7.000 étaient scolarisés à l'extérieur de l'établissement.

Scolarisation dans les établissements du secteur médico-éducatif (2000-2001)

(en unités)

Nombre d'établissements

Effectifs accueillis

Effectifs scolarisés en permanence

Effectifs scolarisés temporairement

Effectifs scolarisés hors de l'établissement

1.572

101.565

69.473

901

6.914

Source : MEN - France métropolitaine

De plus, on estime qu'en 2000, environ 18.000 enfants ou adolescents handicapés étaient scolarisés dans des établissements spécialisés de l'éducation nationale (notamment les SEGPA et les EREA).

Parallèlement, se développent les services d'éducation spéciale et de soins à domicile . Ainsi, à la rentrée 2001, on comptabilisait 20.809 places en SESSAD contre 17.347 en 2000 et 13.466 en 1998.

Au total, en 2000, on comptait donc environ 135.000 enfants ou adolescents handicapés relevant de l'éducation spéciale.

Des moyens humains inadaptés

A cette faiblesse du cadre d'accueil, s'ajoute une inadaptation évidente des moyens humains, tant à l'éducation nationale que dans le secteur médico-éducatif.

Votre rapporteur constate d'abord un manque important d'enseignants spécialisés.

Ainsi, dans l'éducation nationale, pour l'année scolaire 1999-2000, sur les 19.164 enseignants exerçant dans l'enseignement spécialisé et adapté du premier degré public, seuls 3.645 d'entre eux étaient des instituteurs spécialisés, soit environ 20 %.

De même, dans le secteur médico-éducatif, la carence en enseignants est patente. M. René Bernard indiquait à cet égard : « Il y a effectivement un certain nombre d'établissements dans lesquels on ne trouve aucun ou très peu d'enseignants. Il arrive que, dans certains de ces établissements, le ratio soit d'un instituteur public pour soixante enfants en grande difficulté ! »

Votre rapporteur déplore également la faiblesse de la formation des enseignants sur le handicap .

Il considère en effet qu'une formation adaptée des enseignants est indispensable et que le développement des aides à la scolarisation ne peut s'y substituer. Or, cette formation, qu'elle soit initiale ou continue, n'est guère effective. M. René Bernard estimait ainsi qu' « environ 20 % des enseignants affectés dans les établissements ou les services spécialisés n'ont pas de formation ad hoc ».

Certes, votre rapporteur prend acte de l'annonce d'un nouveau plan de formation dans les IUFM, visant à introduire une formation initiale adaptée dans les programmes.

Mais, en attendant la mise en service effective de cette exigence, il lui semble aussi nécessaire de veiller à l'amélioration de la formation continue en la matière, car, comme l'observait M. René Bernard, « une simple formation initiale au niveau de l'IUFM ne suffit pas lorsqu'un enseignant se retrouve confronté pour la première fois, cinq ans après cette formation, à l'arrivée d'un enfant handicapé dans sa classe ».

Votre rapporteur rappelle 59 ( * ) enfin l'insuffisance des aides à l'accompagnement.

L'aide humaine à l'insertion scolaire repose aujourd'hui sur deux dispositifs parallèles, qui relèvent tous deux des contrats emplois-jeunes :

- les auxiliaires d'intégration scolaire , d'origine associative, qui sont encore moins de 2.000 ;

- les aides-éducateurs qui, pour environ 6.000 d'entre eux, peuvent participer, souvent à temps très partiel, à l'intégration.

Ces moyens apparaissent quelque peu dérisoires au regard des quelque 75.000 enfants ou adolescents handicapés accueillis par l'éducation nationale.

Dans ces conditions, votre rapporteur considère que c'est très largement l'inadaptation et l'insuffisance des moyens mis en oeuvre qui expliquent les réticences encore fortes des enseignants, des directeurs d'établissements et des parents d'élèves à une plus grande intégration scolaire. On peut légitimement comprendre qu'ils estiment que l'institution n'est pas suffisamment adaptée pour permettre l'accueil des jeunes handicapés à l'école dans les meilleures conditions.

c) Une obligation éducative malmenée

Ces analyses amènent votre rapporteur à dresser un bilan sévère des conditions de mise en oeuvre de l'obligation éducative.

Il en tire deux principales conclusions.

L'intégration scolaire reste l'exception

Si la mise en oeuvre du plan « Handiscol » a certes permis, dans certains départements, une amélioration de la situation, l'intégration scolaire reste encore l'exception.

Le poids du secteur spécialisé demeure en effet prépondérant dans la mise en oeuvre de l'obligation éducative : il prend en charge près des deux tiers des enfants et adolescents handicapés.

A l'inverse, l'intégration scolaire individuelle en milieu ordinaire reste l'exception. Tout se passe en effet comme si le développement de l'intégration collective se faisait peu ou prou au détriment de l'intégration individuelle. De fait, moins de 20 % des jeunes handicapés sont ainsi scolarisés. Aussi, comme le déplorait M. Michel Fardeau dans son rapport précité et sur la base d'estimations différentes, « 7 % seulement des jeunes handicapés sont scolarisés en milieu ordinaire, ce qui signifie que plus de 90 % sont accueillis dans des structures plus ou moins ségrégatives ».

Cet état de fait tient sans doute, votre rapporteur l'a déjà souligné, beaucoup moins aux difficultés rencontrées par les jeunes handicapés en raison de leur handicap qu'à l'inadaptation persistante du système éducatif dans l'accueil des jeunes handicapés.

L'absence de toute scolarisation reste encore trop fréquente

Compte tenu des freins existants à l'intégration scolaire et des difficultés rencontrées par le secteur médico-éducatif, l'obligation éducative n'est pas toujours effective.

Votre rapporteur déplore alors très vivement que l'absence de toute scolarisation demeure encore trop fréquente.

Celle-ci reste néanmoins difficile à évaluer. Les auditions organisées par votre commission ont ainsi mis en évidence de forts clivages entre le ministère de l'Education nationale et le monde associatif.

Le monde associatif, se fondant sur une enquête réalisée par un collectif d'associations à l'initiative de l'ANCE, avance le chiffre de 38.000 enfants et adolescents handicapés non scolarisés. Selon cette enquête, fondée sur une extrapolation au plan national d'observations locales, 25.000 enfants accueillis dans des établissements du secteur médico-social ne seraient pas scolarisés et 13.000 autres enfants seraient en attente de solutions éducatives et de soins.

Le ministère de l'Education nationale infirme cette estimation et fait état d'une enquête conjointe des inspecteurs d'académie et des directeurs départementaux des affaires sanitaires et sociales qui conclut à un manque de 6.636 places d'intégration collective dans les écoles et dans les établissements médico-éducatifs à la rentrée 2001.

Il n'appartient pas à votre commission de trancher ce débat statistique. Votre rapporteur observe toutefois que ces évaluations divergentes ne sont pas pour autant contradictoires. L'une se fonde sur la réalité de la scolarisation, tandis que l'autre se borne à évaluer le manque de places. Or, ce n'est pas forcément parce que l'enfant est accueilli que sa scolarisation est effective.

Il n'en demeure pas moins que l'absence de scolarisation est trop souvent une réalité.

Il s'avère ainsi que les jeunes handicapés pris en charge par un établissement ou un service spécialisé ne sont pas toujours scolarisés.

Scolarisation des enfants handicapés pris en charge par un établissement
ou service d'éducation spécialisée (au 1 er janvier 1998)

en unités

Etablissement spécialisé

Service autonome

TOTAL

Non scolarisés

23.869

2.145

26.014

Scolarisés en établissement spécialisé

72.267

488

72.755

Intégration partielle dans un établissement de l'Education nationale

3.956

1.171

5.127

Scolarisation à temps plein dans un établissement de l'Education nationale

8.146

8.330

16.476

TOTAL

108.238

12.134

120.372

Source : Mission d'étude en vue de la révision de la loi d'orientation du 30 juin 1975, avril 2002.

Ces données, certes un peu anciennes, montrent que près de 22 % des enfants pris en charge dans le cadre de l'éducation spéciale ne sont pas scolarisés.

Certes, la possibilité de scolarisation diffère profondément selon le type de déficience. L'idée d'une scolarisation obligatoire peut ainsi apparaître assez illusoire, notamment pour les jeunes les plus gravement handicapés et, en particulier, les polyhandicapés.

Mais il semble pourtant que ce déficit de scolarisation aille bien au-delà de cet éventuel « minimum incompressible » comme l'a montré l'enquête conjointe de l'IGEN et de l'IGAS.

Scolarisation des enfants et adolescents handicapés accueillis
en établissement d'éducation spéciale en 1996

en unités

Types d'établissements d'éducation spéciale

Pour déficients intellectuels

Pour polyhandicapés

Instituts de rééducation

Pour déficients moteurs

Pour déficients visuels

Pour déficients auditifs

Pour sourds et aveugles

Nombre d'enfants ou d'adolescents pris en charge

72.559

2.515

15.068

7.583

2.337

6.593

1.454

Non scolarisés

23.036

2.314

593

1.848

296

379

112

Scolarisés :

49.523

201

14.475

5.735

2.041

6.214

1.342

dont à temps plein dans l'établissement

45.425

104

11.233

4.373

1.465

3.924

905

dont à temps plein ou partiel dans un établissement de l'éducation nationale

4.098

97

3.242

1.362

576

2.290

437

Source : Enquête IGEN/IGAS, mars 1999.

Cette enquête concluait ainsi à la non-scolarisation de 26 % des jeunes handicapés accueillis en établissement, mais mettait surtout en évidence le fait que certains jeunes qui pourraient être scolarisés ne l'étaient pas. De fait, 24 % des jeunes handicapés moteurs et 8 % des jeunes handicapés sensoriels ne l'étaient pas.

On peut dès lors en conclure que « les modalités de scolarisation dans les établissements spécialisés, en particulier dans le secteur médico-social, sont unanimement considérées comme extrêmement hétérogènes, parfois inexistantes ou très insatisfaisantes » 60 ( * ) .

Votre rapporteur juge cette situation inadmissible.

Certes, il relève que la non-scolarisation tient aussi pour une large part aux dysfonctionnements du système d'orientation qui laissent un grand nombre d'enfants ou d'adolescents dans l'attente d'une place dans une école, un service ou un établissement.

Certes, il observe également que, comme le soulignait M. René Bernard, les conditions de prise en charge dans le secteur spécialisé évoluent : « On observe (...) ces dernières années, une double évolution qui consiste à réduire les établissements spécialisés pour créer des SESSAD en procédant à des redéploiements, à réduire les internats au profit des demi-internats. Or, nous nous rendons compte que la demande n'a pas suivi la modification de l'offre et qu'aujourd'hui, nous devons faire face à des difficultés dans bien des cas ». Ainsi, depuis 1999, 342 nouveaux SESSAD auraient été créés, portant leur nombre à 942.

Mais, paradoxalement, cette évolution récente n'est pas non plus sans soulever de nouvelles difficultés.

D'abord, le développement des services se heurte à des limites. M. François Martin, secrétaire général adjoint de l'ANCE, observait ainsi devant votre commission : « En ce qui concerne les services, il est globalement possible de dire qu'ils sont en phase avec les demandes des familles. Ils permettent l'accompagnement et constituent l'outil technique médico-éducatif et pédagogique indispensable à la réalisation de la politique d'intégration scolaire. A nos yeux, ils présentent toutefois trois insuffisances : ils sont globalement en nombre insuffisant ; ils sont beaucoup trop inégalement répartis géographiquement ; ils devraient comporter obligatoirement des enseignants spécialisés ».

Ensuite, la transformation progressive des établissements en services ne règle pas tous les problèmes. Subsistent notamment une très grande disparité géographique dans l'implantation des structures et une très grande disparité de la prise en charge selon les handicaps.

Toujours est-il que les graves difficultés actuellement constatées pour la mise en oeuvre de l'obligation éducative appellent aujourd'hui des réponses fortes.

2. L'accès à l'éducation passe par une profonde adaptation de l'école, mais aussi par une amélioration des conditions de scolarisation en établissement

Constatant les retards de l'intégration scolaire et la persistance de trop nombreux cas de non-scolarisation, de nombreuses voix s'élèvent aujourd'hui pour demander la révision en profondeur du principe d'obligation éducative posée par la loi d'orientation du 30 juin 1975 pour en faire une obligation d'intégration scolaire en milieu ordinaire.

Ainsi, M. Michel Fardeau 61 ( * ) déclarait devant votre commission :

« Le problème de l'intégration scolaire est le point-clé que vous devez mettre en priorité absolue, par lequel il faut commencer si l'on veut que dans vingt ans, la situation ait profondément changé dans ce pays. Il faut intégrer tous les enfants dans le cycle primaire de l'école ordinaire ».

De même, dans son dernier rapport, le médiateur de l'Education nationale écrivait :

« Il semblerait temps peut-être d'aller au-delà et de considérer que tous les enfants étant soumis à l'obligation scolaire de 6 à 16 ans, ceux d'entre eux atteints de handicaps doivent être systématiquement inscrits dans l'établissement de leur secteur, comme les autres. Certains dont les difficultés sont avérées pourraient se voir autorisés à être pris en charge dans d'autres structures, à l'intérieur du système éducatif ou, exceptionnellement, à l'extérieur. Ce renversement de principe constituerait une véritable révolution mais il correspond à une grande attente sociale ».

La position du monde associatif est moins tranchée.

Devant votre commission, M. François Martin, au nom de l'ANCE, déclarait : « Nous ne considérons pas l'intégration scolaire de la personne comme un dogme, mais comme un objectif. La scolarisation en milieu normal est un premier palier en vue de l'intégration scolaire. La situation de l'intégration scolaire est parfois, malheureusement, le résultat de la volonté forcenée d'une famille. Il ne s'agit pas de juger ces familles, mais de les comprendre et de les aider. Toutefois, les enfants, quels qu'ils soient, ne doivent pas faire les frais de cette intransigeance (...). Cette situation d'intégration vaut la peine d'être vécue à deux conditions. Que l'enfant se sente bien car il y a, en situation d'intégration scolaire, des enfants qui souffrent du rythme, du regard des autres et des conditions qui leur sont données, ce qui est inacceptable. Que l'enfant soit en situation de progresser ».

De son côté, l'UNAPEI milite en faveur de « la possibilité, pour tout enfant handicapé mental, de bénéficier, selon ses possibilités, d'une intégration individuelle ou collective en milieu scolaire ordinaire ou en établissement d'accueil spécialisé, ce qui exige la multiplication des services d'aide à l'intégration scolaire individuelle, la normalisation du statut des auxiliaires d'intégration scolaire, l'adaptation des classes d'intégration scolaire à la spécificité du handicap mental, la reconnaissance des classes spéciales et l'obligation pour l'Education nationale d'exercer ses responsabilités envers les enfants et les adolescents accueillis dans les établissements d'éducation spéciale en créant les postes d'instituteurs spécialisés nécessaires ».

Pour sa part, votre rapporteur privilégierait plutôt une approche pragmatique : rendre obligatoire l'intégration scolaire n'est sans doute pas toujours souhaitable et reste en tout cas prématurée. Il estime en revanche que l'intégration scolaire doit être favorisée au maximum, compte tenu des besoins et des capacités de l'enfant, mais doit aussi s'accompagner d'un effort conséquent pour garantir une scolarisation aux enfants qui ne peuvent être accueillis à l'école ordinaire.

a) Privilégier systématiquement l'insertion scolaire en milieu ordinaire

Le plan « Handiscol », lancé en 1999 à la suite du sévère rapport conjoint de l'IGEN et de l'IGAS sur l'intégration scolaire, a apporté de premières réponses, mais il mérite à l'évidence d'être amplifié et approfondi.

Votre rapporteur observe ainsi que son application est encore très inégale et connaît d'importants retards . Le tableau ci-après en témoigne clairement : au niveau national, huit des vingt mesures annoncées sont toujours en attente de réalisation.

M. François Martin, lors de son audition, formulait d'ailleurs le même constat en soulignant les difficultés souvent rencontrées pour sa mise en oeuvre au niveau départemental : « La principale difficulté pour « Handiscol » consiste en l'inégale mise en place et en l'inégal fonctionnement des groupes « Handiscol » en France. Dans certains départements, cette mise en place est purement formelle et ne présente donc que peu d'intérêt ».

ÉTAT D'APPLICATION DU PLAN « HANDISCOL »

Principes

Mesures

Etat d'application

I - RÉAFFIRMER LE DROIT A LA SCOLARISATION DES ENFANTS ET ADOLESCENTS HANDICAPES ET FAVORISER SON EXERCICE

1. Publier un texte d'orientation générale

Réalisé

2. Revoir et unifier la réglementation

En attente

3. Diffuser un guide pratique à destination des familles

Réalisé

4. Développer la cellule d'écoute « Handiscol »

Réalisé

II - CONSTITUER DES OUTILS D'OBSERVATION

5. Rapprocher les outils statistiques des deux ministères

En attente

6. Achever et optimiser l'informatisation des commissions départementales de l'éducation spéciale

En cours

III - AMÉLIORER L'ORIENTATION ET RENFORCER LE PILOTAGE

7. Améliorer le fonctionnement des CDES

En attente

8. Installer, dans le cadre des Comités Départementaux Consultatifs des Personnes Handicapées, les groupes départementaux « Handiscol »

En cours

9. Tenir annuellement au plan national une réunion du CNCPH et au plan régional une réunion des CROSS consacrées à la scolarisation des enfants et adolescents handicapés

En attente

IV - DÉVELOPPER LES DISPOSITIFS ET LES OUTILS DE L'INTÉGRATION

10. Développer les dispositifs collectifs d'intégration

En cours

11. Développer les dispositifs médico-sociaux d'accompagnement

En cours

12. Développer et rationaliser les dispositifs d'auxiliaires d'intégration scolaire

En attente

13. Promouvoir le pôle handicap du Centre national d'enseignement à distance (CNED)

En cours

14. Renforcer le rôle du centre de formation des enseignants spécialisés de l'Education nationale (CNEFEI) et produire des guides pédagogiques pour les enseignants

En cours

15. Rechercher des modes de financement pour les matériels pédagogiques spécialisés

En cours

16. Rechercher les moyens d'aider les collectivités locales à mettre en accessibilité les établissements

En attente

17. Améliorer l'accès à la formation professionnelle et la qualification professionnelle

En attente

V - AMÉLIORER LA FORMATION DES PERSONNELS DE L'ÉDUCATION NATIONALE

18. Développer la formation initiale et continue des personnels enseignants et des personnels de direction du premier et du second degré

En cours

19. Sensibiliser les personnels d'inspection aux enjeux et dispositifs de l'intégration scolaire

En cours

20. Rapprocher les certifications des enseignants pour déficients sensoriels des deux ministères

En attente

Aussi, votre rapporteur estime prioritaire d'agir dans deux directions.

La modernisation du système d'orientation

Votre rapporteur ayant déjà abordé ce point dans la première partie du présent rapport, il ne juge pas nécessaire d'y revenir en détail.

Tout juste se contente-t-il ici d'insister, une fois encore, sur l'importance d'un réel examen individuel de la situation de chaque enfant au regard de ses besoins spécifiques et de souligner la nécessité pour les CDES d'assumer pleinement leur mission.

La nécessaire poursuite de l'ouverture de l'école

L'ouverture de l'école au handicap suppose sa profonde adaptation qui passe par sa capacité de répondre à trois enjeux.

Le premier enjeu concerne le développement des classes d'intégration collective (CLIS et UPI).

Même si certains y voient un substitut à une intégration individuelle, votre rapporteur est favorable à leur développement. Il considère en effet que ces classes participent à la démarche d'ouverture de l'école dont on a vu la fragilité.

Il importe donc de favoriser leur développement, encore trop lent (notamment pour les CLIS destinés aux handicapés moteurs), mais à certaines conditions.

Ces classes peuvent en effet apparaître comme des « leurres » si elles se traduisent par une absence totale de relations avec les classes ordinaires et si elles n'ont pas pour perspective, dans la mesure du possible, une intégration ultérieure dans les classes ordinaires.

Dans l'immédiat, il semble que l'effort prioritaire doit porter sur la création d'UPI, encore trop peu nombreuses pour garantir une filière complète d'intégration scolaire de la maternelle jusqu'au baccalauréat . Car les carences actuelles conduisent bien souvent des jeunes handicapés, ayant bénéficié d'une intégration collective dans le premier degré, à se diriger vers l'éducation spécialisée faute de places dans le second degré ordinaire.

Le deuxième enjeu porte sur les moyens humains .

Votre rapporteur formule, sur ce point, trois propositions :

- programmer dès à présent une augmentation du nombre de postes d'enseignants spécialisés au vu d'une évaluation précise et prospective des besoins qui prenne en compte la poursuite de l'ouverture de l'école ;

- renforcer la formation initiale et continue des enseignants afin que l'accueil et la scolarisation des élèves handicapés ne relèvent plus seulement des bonnes volontés individuelles, mais d'une démarche professionnelle reconnue ;

- favoriser le recrutement d'auxiliaires d'intégration scolaire , dans le cadre de conventions entre les associations et l'Education nationale, en améliorant leur prise en charge financière par l'Etat.

Le dernier enjeu touche à l'évolution des modalités de l'enseignement.

D'une manière générale, alors que certains pays ont fait le choix de programmes adaptés pour les enfants et adolescents handicapés, la France a retenu l'option d'un même contenu d'enseignement pour tous les élèves mais « avec une pédagogie adaptée aux possibilités de chacun ».

Ce choix soulève néanmoins certaines difficultés, qu'il s'agisse de sa mise en oeuvre ou de sa conciliation avec la lourde logistique de l'Education nationale.

Ainsi, il paraît désormais nécessaire de mieux encourager les modes d'enseignement adapté (et en particulier en langue des signes française).

Il est également souhaitable d'harmoniser les dispositions prises aujourd'hui par chaque académie pour l'accès aux examens et concours des personnes handicapées.

b) Garantir l'accès à l'éducation pour les enfants ne pouvant accéder à l'école ordinaire

Si l'intégration scolaire doit être favorisée, il reste indispensable d'accorder une extrême attention au secteur de l'éducation spéciale.

Mettre fin aux cas de non-scolarisation

Votre rapporteur a déjà souligné l'extrême hétérogénéité des modes de scolarisation dans le secteur médico-social. Il considère qu'il est impératif d'y assurer, avec la plus stricte vigilance, le respect effectif de l'obligation éducative.

A cette fin, il n'est pas opposé à un remplacement du principe « d'obligation éducative » posé par la loi d'orientation par celui, plus strict, « d'obligation scolaire ».

Cette question avait d'ailleurs fait l'objet de vifs débats lors des travaux préparatoires de la loi d'orientation. Alors que le projet de loi initial prévoyait à l'origine une obligation scolaire, le Gouvernement avait en définitive choisi de retenir, par amendement, une simple obligation éducative.

A l'époque, votre commission avait jugé que la notion d'obligation scolaire était sans doute plus protectrice pour l'enfant :

« Votre commission s'est longuement interrogée sur la portée de cette notion d'obligation éducative qui lui est apparue extrêmement ambiguë : où commence-t-elle ? Où finit-elle ? Dure-t-elle de six à seize ans comme l'obligation scolaire proprement dite (...) ? Comment sera-t-elle sanctionnée ?

« A ces questions, le texte n'apporte aucune réponse précise.

« Telles sont les raisons pour lesquelles votre commission souhaite abandonner la notion d'obligation éducative, trop floue, pour revenir à celle d'obligation scolaire, claire, connue, définie par les textes » 62 ( * ) .

Votre rapporteur juge désormais que le temps est peut-être venu de revenir à une définition plus stricte de l'obligation éducative, qui permettra un meilleur contrôle de sa mise en oeuvre.

Rapprocher l'éducation spéciale de l'école ordinaire

L'éclatement du paysage institutionnel en matière d'éducation des enfants et des adolescents handicapés conduit encore trop souvent à un enclavement préjudiciable du secteur de l'éducation spéciale.

Certes, les transformations actuelles de ce secteur, qui se caractérisent par un développement des services au détriment des établissements, offrent déjà de meilleures possibilités pour instaurer des passerelles entre éducation ordinaire et éducation spéciale, les SESSAD permettant sans doute mieux aux enfants de suivre une scolarité, au moins à temps partiel, en école ordinaire.

Il ne s'agit pourtant pas ici d'opposer services et établissements. Votre rapporteur partage sur ce point la position exprimée par M. François Martin devant votre commission.

« La complémentarité s'impose. Certains enfants ont besoin, à un certain moment, d'un établissement spécialisé, avant de pouvoir accéder à une scolarisation ordinaire par l'intermédiaire d'un SESSAD. A l'inverse, un enfant pour lequel l'intégration serait quelque chose d'irréaliste doit pouvoir bénéficier à tout moment d'un institut spécialisé. Les passerelles sont quelque chose d'extrêmement important et la souplesse du fonctionnement doit être la règle ».

Il reste que l'accueil en établissement conduit encore trop souvent l'enfant à s'inscrire dans une logique de filière, au détriment d'une intégration ultérieure en milieu ordinaire, comme l'a souligné M. Michel Fardeau : l'IME conduit naturellement à l'IMPro, qui même à son tour au CAT.

Aussi, votre rapporteur se prononce-t-il fermement en faveur de la mise en place de passerelles entre établissements scolaires et établissements d'éducation spéciale qui trop souvent s'ignorent.

Ainsi, lors de son audition, M. Jean-Louis Brison, chargé de mission auprès du précédent ministre de l'Education nationale, reconnaissait à la fois l'utilité d'un rapprochement et la faiblesse des passerelles existantes :

« Il est inimaginable qu'un institut médico-éducatif qui accueille des adolescents ne soit pas associé à la vie d'un collège. Il y a des activités culturelles, pédagogiques et sociales qui sont inscrites dans la vie du collège que l'établissement spécialisé voisin peut partager. L'intégration scolaire ne se limite pas à l'intégration individuelle pour sa propre formation intellectuelle dans tel établissement scolaire de droit commun. C'est aussi le rapprochement de ces deux systèmes de formation pour faire en sorte qu'il n'y en ait plus qu'un seul et que les parents aient le sentiment d'une logique de parcours ».

Des expériences existent déjà qu'il s'agisse de temps partagé, d'échanges ponctuels ou réguliers, de délocalisations de classes.

Il conviendrait d'aller plus loin et de chercher à systématiser, par conventions, les relations entre établissements dans une dynamique d'échanges forcément épanouissants pour les jeunes. On peut notamment penser à des conventions de mise à disposition de locaux et de matériels entre lycées professionnels et IMPro, qui permettraient aux jeunes des deux milieux de mieux se connaître.

C. RENDRE EFFECTIVE L'INSERTION PROFESSIONNELLE DURABLE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Dès 1975, votre commission soulignait avec force toute l'importance de favoriser l'accès des personnes handicapées au monde du travail, tant il est vrai qu'un tel accès constitue une condition essentielle de leur insertion sociale, mais aussi de leur autonomie financière.

« La nécessité de donner à tous les handicapés la possibilité d'exercer une activité professionnelle dans des conditions aussi proches que possible de celles du reste de la population apparaît aujourd'hui incontestée. Pour les intéressés, la participation à la production est un moyen privilégié d'intégration ou de réintégration sociale » 63 ( * ) .

Cette nécessité apparaît aujourd'hui tout aussi impérieuse dans la mesure où subsistent encore des difficultés persistantes d'accès à l'emploi.

Certes, ces difficultés sont pour beaucoup intrinsèquement liées aux spécificités de la population des travailleurs handicapés. Votre commission observe ainsi que tous les intervenants qu'elle a entendus lors de ses auditions publiques ont souligné que le vieillissement des travailleurs handicapés et leur faible niveau de formation constituent autant d'obstacles à leur insertion professionnelle .

LES PERSONNES HANDICAPÉES ET L'EMPLOI :
UNE INSERTION PROFESSIONNELLE DIFFICILE

Une population importante, mais un taux d'activité faible

622.000 personnes handicapées occupaient un emploi en 2001 pour une population active estimée à 840.000 personnes :

- 498.000 salariés dans les secteurs public et privé, soit 148.000 dans le secteur public et 350.000 dans les entreprises du secteur privé. Dans ce dernier secteur, 122.000 personnes travaillaient dans les établissements de moins de vingt salariés et 228.000 dans les établissements assujettis à l'obligation d'emploi.

- 107.000 travailleurs handicapés dans le milieu de travail protégé, dont 18.000 en ateliers protégés et 89.000 en centres d'aide par le travail (CAT) ;

- 17.000 travailleurs indépendants.

A la fin 1999, le taux d'activité des bénéficiaires de l'obligation d'emploi posée par la loi de 1987 était de 25 points inférieur à celui de la population française totale en âge de travailler : 45 % contre 70 %.

Une population vieillissante

En 1999, 26 % des travailleurs handicapés avaient 50 ans ou plus, alors que cette classe d'âge ne représentait que 19 % de l'ensemble de la population active.

Un taux de chômage élevé

Fin 2001, le taux de chômage des travailleurs handicapés était proche de 26 % contre 9 % pour la population française totale.

A cette date, on comptait 218.000 personnes handicapées demandeurs d'emploi dont :

- 143.000 personnes handicapées recherchaient un emploi en CDI à temps plein (catégorie 1), soit 5,8 % de l'ensemble des demandeurs d'emploi de cette catégorie.

- 63.000 demandeurs d'emploi handicapés recherchaient un emploi à temps partiel (catégorie 2). Ils représentent 13 % de l'ensemble des demandeurs d'emploi de cette catégorie ;

- 12.000 demandeurs d'emploi handicapés recherchaient un emploi à durée déterminée ou saisonnier.

En outre, il s'agit souvent d'un chômage de longue durée : fin 2000, 47 % des demandeurs d'emploi handicapés étaient au chômage depuis plus d'un an (contre 36 % pour les autres publics).

Un niveau de qualification souvent faible

Le niveau de formation des travailleurs handicapés est significativement inférieur à la moyenne nationale : un tiers n'a aucun diplôme (contre 15 % pour l'ensemble de la population active) et 12 % seulement ont un diplôme de l'enseignement supérieur (contre 26 % de la population active dans son ensemble).

Le fort taux de chômage des personnes handicapées s'explique alors notamment par la faiblesse de leur qualification. Ainsi, en 2000, 85 % des travailleurs handicapés inscrits à l'ANPE avaient un niveau de formation inférieur ou égal au CAP/BEP.

Sources : AGEFIPH, ANPE, DARES

Il n'en reste pas moins que ces difficultés tiennent aussi pour partie aux insuffisances de la politique de l'emploi des personnes handicapées qui, en dépit des progrès intervenus -et votre rapporteur tient ici à insister sur l'importance de la loi du 10 juillet 1987-, n'a pas pleinement atteint ses objectifs.

Le constat dressé par la Cour des comptes en 1993 64 ( * ) demeure en effet largement d'actualité : « un dispositif de formation insuffisant » , « une insertion professionnelle figée en milieu protégé », « un accès encore difficile à l'emploi en milieu ouvert » constituent toujours autant d'obstacles à une insertion professionnelle durable des personnes handicapées.

Votre rapporteur estime donc nécessaire d'essayer de lever ces trois obstacles afin de rendre plus effective l'insertion professionnelle des personnes handicapées.

1. Un meilleur accès à la formation professionnelle est une condition essentielle à une insertion durable

a) Un dispositif de formation professionnelle inadapté

Ce sont les COTOREP qui sont chargées, dans le cadre de leur mission d'orientation professionnelle, de diriger les personnes handicapées vers les dispositifs de formation. Toutefois, on observe que les orientations vers la formation demeurent largement minoritaires. Ainsi, en 2000, les décisions d'orientation vers la formation n'ont constitué que 9,2 % des décisions d'orientation des COTOREP 65 ( * ) , soit seulement 17.000 décisions, 41,2 % des décisions concernant le milieu ordinaire et 27 ,6 % le milieu protégé.

Or, la réussite d'une insertion professionnelle repose largement, notamment en milieu ouvert de travail, sur une formation adaptée.

LES DIFFÉRENTS TYPES D'ORIENTATION
VERS LA FORMATION PROFESSIONNELLE

Les COTOREP peuvent orienter les personnes handicapées vers trois types de dispositifs :

Le centre de pré-orientation

Les centres de pré-orientation accueillent, sur décision des COTOREP, des travailleurs reconnus handicapés dont l'orientation professionnelle présente des difficultés particulières non solutionnées. Le centre de pré-orientation a pour objectif de donner les informations et les motivations nécessaires à l'élaboration d'un projet professionnel en liaison avec les intervenants des stages, les services des psychologues de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et l'Equipe de préparation et de suite du reclassement (EPSR).

L'apprentissage

L'âge maximum d'admission en apprentissage pour les personnes handicapées est de 25 ans (26 ans sur décision de la COTOREP), et la durée peut dépasser d'un an la durée normale de tout apprentissage. Ces aménagements peuvent porter également sur les modalités de l'apprentissage (enseignement théorique par correspondance). L'employeur recevant en formation un apprenti handicapé peut bénéficier de primes visant à compenser le manque à gagner ou les dépenses supplémentaires.

La rééducation professionnelle et la réadaptation au travail

La rééducation professionnelle consiste à réinsérer tout bénéficiaire de l'assurance maladie devenu inapte à exercer sa profession du fait d'une maladie ou d'un accident professionnel ou non. Le travailleur handicapé peut bénéficier d'une rééducation et réadaptation, ou d'une éducation professionnelle, soit dans un centre spécialisé public ou privé, soit dans un centre de formation professionnelle collectif ou d'entreprise, soit directement chez un employeur.

Cette faiblesse des orientations vers la formation souligne alors l'insuffisante prise en compte de cet impératif et témoigne en réalité de l'insuffisance des dispositifs existants.

Ces dispositifs se caractérisent avant tout par la prépondérance des centres de rééducation professionnelle et la faible ouverture des dispositifs ordinaires de formation aux personnes handicapées.

Un dispositif spécialisé en retrait

Les centres de rééducation professionnelle (CRP) sont des institutions médico-sociales, financées par l'assurance maladie, qui ont pour objet de dispenser une formation qualifiante aux personnes handicapées en vue de leur insertion ou réinsertion professionnelle soit vers le milieu de travail ordinaire, soit vers le milieu protégé. Ils concernent avant tout les personnes dont le handicap nécessite une pédagogie ou un accompagnement médico-social personnalisé. Ils proposent des formations d'une durée variant généralement entre 10 et 30 mois dans un environnement adapté. On compte aujourd'hui 87 CRP, offrant environ 10.000 places.

Or, ce dispositif spécialisé apparaît encore loin d'être à la hauteur des besoins et des attentes en la matière.

Depuis plus de 15 ans, les CRP font l'objet de critiques récurrentes 66 ( * ) sans pour autant que leur situation se soit améliorée :

- ils offrent trop souvent des formations anciennes et inadaptées au monde du travail ;

- ils présentent des capacités d'accueil insuffisantes, ce qui provoque d'interminables listes d'attente ;

- leur répartition géographique demeure très inégale ;

- ils ne font l'objet d'aucune évaluation approfondie ;

- ils peuvent contribuer à une médicalisation excessive de la réadaptation professionnelle.

Une trop faible ouverture des dispositifs « ordinaires »

Les limites des dispositifs spécialisés ne sont pas compensées par l'ouverture des dispositifs « ordinaires », qu'ils visent les demandeurs d'emploi ou les salariés.

Ainsi, l'AFPA n'a accueilli en 1999 que 4.961 travailleurs handicapés, soit environ 1 % du public accueilli par l'AFPA. Et encore, sur ces 4.961 personnes, seule la moitié a bénéficié d'une action de formation professionnelle stricto sensu, les autres n'ayant accédé qu'à des actions en amont de la formation (orientation notamment) ou à un enseignement à distance.

Certes, la convention signée entre l'AFPA et l'AGEFIPH, qui prend en charge le financement de la formation et de la rémunération de quelques 2.500 stagiaires, a sans doute facilité l'accès des personnes handicapées à ces formations. Mais les formations dispensées dans ce cadre se révèlent moins longues que prévues. Votre rapporteur y voit là le signe d'une certaine inadaptation de celles-ci aux besoins des travailleurs handicapés.

Quant à la formation en entreprise, elle reste toujours marginale. Et, si les employeurs peuvent légitimement déplorer le faible niveau de qualification des personnes handicapées, force est de constater la modicité de l'effort de formation qu'ils consentent en leur faveur.

Certes, là encore, l'AGEFIPH a mobilisé des ressources. Mais les résultats demeurent en demi-teinte. En 2001, seuls 1.156 contrats d'apprentissage et 727 contrats de qualification adultes ont été primés par l'AGEFIPH.

b) Des propositions d'amélioration

Le soutien public à la formation des personnes handicapées apparaît donc aujourd'hui encore très mesuré.

En 2000, les financements publics en la matière n'ont bénéficié qu'à 44.000 personnes handicapées. Il s'agit des actions de formation dispensées par les CRP, des actions financées sur le Fonds national de l'emploi et par les conseils régionaux dans les centres de formation de droit commun et des formations réalisées par l'AFPA au titre de la commande publique et de la convention avec l'AGEFIPH. Ces actions ont représenté une dépense de 216 millions d'euros (un quart étant à la charge des régions).

La même année, l'AGEFIPH avait accordé un soutien à 24.000 personnes handicapées pour leur permettre de suivre une formation.

Votre rapporteur estime nécessaire de mieux mobiliser les moyens en faveur de la formation professionnelle.

L'accès à la formation professionnelle est d'abord largement conditionné par la formation initiale .

L'amélioration des conditions de scolarisation des enfants handicapés est donc un préalable indispensable. Mais celle-ci doit sans doute s'accompagner d'un effort particulier en direction des formations professionnelles initiales. Votre rapporteur considère ici qu'il est sans doute souhaitable de favoriser le développement des IMPro et des CFAS, encore trop peu nombreux, qui peuvent être en mesure de favoriser l'insertion professionnelle ultérieure des jeunes en les familiarisant de manière précoce avec le monde du travail.

Cette mobilisation des moyens doit également concerner les dispositifs de formation professionnelle spécialisés.

Sur ce point, votre rapporteur partage l'analyse de la mission d'étude sur la révision de la loi d'orientation : les centres de pré-orientation sont des dispositifs sous-exploités alors qu'ils pourraient utilement favoriser l'accès à la formation en permettant d'élaborer avec la personne un projet professionnel correspondant à ses capacités.

Mais votre rapporteur insiste surtout sur la nécessité d'une modernisation des CRP . Ils constituent encore trop souvent des « voies de garage » . L'hétérogénéité de leurs activités et de leurs résultats appelle sans aucun doute une réflexion de fond sur leur rôle, qui devrait s'inspirer d'une évaluation et d'une généralisation des « bonnes pratiques ».

Cette mobilisation doit enfin viser principalement les dispositifs de formation ordinaire afin de garantir leur ouverture effective aux personnes handicapées.

Une telle ouverture passe aujourd'hui sans doute par une intervention croissante de l'AGEFIPH dans le domaine de la formation professionnelle.

En 2001, le soutien à la formation professionnelle ne représentait que 13 % des engagements de l'AGEFIPH, qu'il s'agisse du montant des financements ou du nombre de bénéficiaires de ses interventions.

Si la formation semble bien être désormais devenue une priorité de l'AGEFIPH, votre rapporteur n'en regrette pas moins que cette mobilisation ait été tardive.

Il appartient à l'AGEFIPH de déterminer les conditions d'une telle mobilisation. Mais, d'ores et déjà, certaines pistes apparaissent intéressantes. Votre rapporteur considère notamment que le contrat de qualification adulte constitue un instrument adapté d'acquisition d'une qualification et d'insertion dans l'entreprise et mériterait donc de bénéficier d'un soutien particulier. Il observe également que la convention entre l'AGEFIPH et l'AFPA offre un cadre sans doute utile à une telle mobilisation : une augmentation du nombre de formations serait sans doute souhaitable, après évaluation du programme et, si nécessaire, adaptation des formations en conséquence.

En tout état de cause, il lui apparaît primordial que la prochaine convention d'objectifs entre l'Etat et l'AGEFIPH accorde une place centrale à ce nécessaire effort de formation.

2. L'insertion en milieu ordinaire de travail doit demeurer prioritaire

Le milieu ordinaire de travail doit être considéré comme le lieu naturel d'insertion professionnelle des personnes handicapées. C'est pourtant toujours loin d'être le cas, tant la constatation de la déficience a encore tendance à prévaloir sur la valorisation des compétences.

L'importante loi du 10 juillet 1987 avait pourtant, à l'issue d'une analyse approfondie des timidités de la loi d'orientation du 30 juin 1975 en matière d'insertion professionnelle, dressé un cadre cohérent et ambitieux pour favoriser l'accès à l'emploi en milieu ouvert.

LA LOI DU 10 JUILLET 1987

L'emploi des personnes handicapées est principalement régi par les dispositions de la loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés . Ces dispositions sont codifiées aux articles L. 323-1 à L. 323-8-8 du code du travail.

S'inscrivant dans la continuité de la loi d'orientation du 30 juin 1975, cette loi reposait sur quatre idées principales :

- le remplacement de l'obligation de procédure par une obligation de résultats ;

- la fusion des législations sur les mutilés de guerre et les travailleurs handicapés ;

- l'association des partenaires sociaux à la politique de l'emploi des personnes handicapées ;

- l'extension de l'obligation de résultat au secteur public.

En application de cette loi, les établissements d'au moins 20 salariés sont assujettis à une obligation d'emploi des travailleurs handicapés, tels que définis à l'article L. 323-3 du code du travail, à hauteur de 6 % de leurs effectifs.

Ces établissements peuvent s'acquitter de cette obligation de quatre manières :

- en embauchant effectivement des bénéficiaires de l'obligation d'emploi dans les proportions prévues par la loi ;

- en passant des contrats de fourniture de sous-traitance avec des établissements de travail protégé (ateliers protégés, centres d'aide par le travail, centre de distribution de travail à domicile) ;

- en concluant un accord de branche, d'entreprise ou d'établissement prévoyant la mise en oeuvre d'un programme pluriannuel en faveur des bénéficiaires de l'obligation d'emploi ;

- en versant une contribution à un fonds de développement pour l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés (AGEFIPH).

Mais, quinze ans après sa publication et après des premiers résultats encourageants, son bilan aujourd'hui en demi-teinte invite votre rapporteur à dresser les lignes directrices de sa révision.

a) Revoir la réglementation applicable au secteur privé

Le taux d'emploi des travailleurs handicapés stagne depuis plusieurs années autour de 4 %, alors que la loi du 10 juillet 1987 fixe une « obligation de résultats » de 6 %.

Il ne s'agit pas ici pour votre rapporteur de stigmatiser l'attitude des entreprises en la matière. Elles restent en effet légalement fondées à s'acquitter de leur obligation sous d'autres formes que l'emploi direct. Elles peuvent également rencontrer des difficultés à recruter des travailleurs handicapés :

- soit en raison de la spécificité de leur activité ;

- soit en raison des caractéristiques de la population des travailleurs handicapés (faiblesse des qualifications, vieillissement qui entraîne un taux de départ en retraite assez élevé et qui conduit à un effort d'embauche important pour seulement maintenir le taux d'emploi) ;

- soit en raison des incohérences du système d'aide aux personnes handicapées, qui peut conduire à une désincitation au travail, comme le soulignait M. Jean-Louis Segura, alors directeur général de l'AGEFIPH, lors de son audition.

Les entreprises assujetties à l'obligation d'emploi s'acquittent d'ailleurs de manière très variée de cette obligation, comme en témoigne le tableau ci-après.

Modalités de mise en oeuvre de l'obligation d'emploi

En pourcentage

1996

1997

1998

Recours au seul emploi direct

34,1

32,7

30,9

Recours à l'emploi direct et à la sous-traitance

8,1

8,0

8,0

Contribution AGEFIPH et emploi direct

20,4

19,6

20,7

Etablissements n'employant pas de travailleurs handicapés

34,2

36,0

37,0

Accords d'entreprise ou de branche

3,3

3,7

3,4

Total

100,0

100,0

100,0

Source : MES-DARES, enquête sur l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés.

Il reste que 37 % des entreprises assujetties à l'obligation d'emploi n'emploient aucun travailleur handicapé et ne recourent à aucune forme de sous-traitance . Cela représente, en 2001, 25.694 établissements de plus de 20 salariés, cette proportion étant stable depuis plusieurs années.

Votre rapporteur considère qu'on ne peut se satisfaire de ce résultat et qu'il demeure d'importantes marges de progrès.

Plusieurs pistes méritent ainsi d'être explorées.

La première piste concerne les conditions de placement et de maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés.

Il apparaît en effet que, dans le cadre du dispositif actuel, les actions de placement des travailleurs handicapés « ont atteint aujourd'hui un palier » , comme le soulignait M. Jean-Louis Segura. Votre rapporteur considère prioritaire de renforcer les dispositifs actuels de placement des travailleurs handicapés, l'expérience montrant que les difficultés principales tiennent plus à l'accès à l'emploi qu'au maintien dans l'emploi 67 ( * ) .

Ce renforcement pourrait prendre une double forme.

Réaffirmer le rôle du réseau « Cap emploi »

Le réseau « Cap Emploi » est un acteur essentiel de la politique d'insertion professionnelle des personnes handicapées, qu'il s'agisse de la préparation à l'emploi, du placement ou du suivi de ces personnes.

LE RÉSEAU CAP EMPLOI

Le réseau Cap Emploi est constitué des EPSR (Equipes de préparation et de suite du reclassement) et des OIP (Organismes d'insertion et de placement), organismes régis par la convention du 15 février 1994 signée entre l'Etat et l'AGEFIPH.

La mission essentielle des structures du réseau Cap Emploi est de favoriser l'insertion durable en milieu de travail ordinaire des personnes bénéficiaires de la loi du 10 juillet 1987. Parallèlement, ces structures ont également des fonctions d'accueil et d'information, de préparation et d'adaptation à l'emploi, ainsi que d'accompagnement et de suivi du placement.

Le réseau est, en 2001, composé de 119 structures, qui emploient 1.036 personnes (en équivalent temps plein). Il est quasi intégralement financé par l'AGEFIPH.

En 2001, il a accueilli 74.359 personnes handicapées et réalisé 42.258 placements.

Son action apparaît pourtant aujourd'hui fragilisée.

D'une part, la dégradation du marché du travail se traduit par une stabilisation de son activité de placement. En 2001, le nombre de placements réalisés n'a augmenté que de 0,4 %.

D'autre part, au moment même où le réseau renforce ses liens avec le service public de l'emploi 68 ( * ) , ses modalités de financement ne lui garantissent plus la possibilité d'exercer dans les meilleures conditions la plénitude de ses missions. Il s'avère que la fonction d'accompagnement social dans l'emploi n'est plus financée.

L'AGEFIPH, qui finance le réseau à hauteur de plus de 95 %, n'est en effet pas habilitée à financer un tel accompagnement. Or, c'est justement celui-ci qui constitue la spécificité du réseau. Dès lors, le risque est grand que le réseau ne se concentre sur son activité de placement au détriment de l'accompagnement.

Les nouvelles modalités de collaboration avec l'ANPE soulèvent également de nouvelles difficultés. Elles se traduisent en effet par un afflux de population que le réseau n'est pas en mesure d'accueillir de manière approfondie et par la prédominance des objectifs plus quantitatifs que qualitatifs. Cette évolution risque de dénaturer profondément la nature du réseau fondé sur un suivi très personnalisé des travailleurs handicapés.

Enfin, le réseau Cap Emploi n'est toujours pas implanté dans l'ensemble des départements français.

Dans ces conditions, votre rapporteur formule ici plusieurs propositions afin de consolider et de réaffirmer le rôle du réseau :

- assurer son implantation effective dans tous les départements ;

- clarifier ses règles de financement afin que le réseau soit en mesure d'assurer sa mission d'accompagnement, complément indispensable à sa fonction de placement. Sur ce point, votre rapporteur considère qu'il revient à l'Etat de prendre à sa charge le financement de l'accompagnement ;

- mieux associer le réseau Cap Emploi au service public de l'emploi.

Deux solutions sont ici envisageables : soit le réseau a vocation à prendre en charge tous les travailleurs handicapés demandeurs d'emploi si ceux-ci en font bien entendu la demande, et il doit alors être doté des moyens suffisants pour exercer cette mission, soit il garde sa vocation à ne s'occuper que des personnes handicapées les plus éloignées de l'emploi, et la nature de sa relation avec l'ANPE doit être adaptée en conséquence.

Remobiliser les aides à l'emploi

On constate depuis quelques années une tendance à la baisse des aides à l'emploi en faveur des personnes handicapées.

Ainsi, les contrats aidés en faveur des personnes handicapées (CES, CEC, CIE) sont devenus moins nombreux, et sont désormais moins attractifs pour les employeurs 69 ( * ) . Pourtant, ces contrats constituent un moyen d'accès privilégié à l'emploi des personnes handicapées. En 2001, ils représentaient 55 % des contrats conclus après l'intervention du réseau Cap Emploi (23 % de CIE, 15 % de CEC, 12% de CES), alors qu'ils en représentaient encore 67 % en 1999. Cette diminution de la proportion des contrats aidés tient à la diminution des contrats aidés financés par l'Etat.

De même , les primes à l'insertion des personnes handicapées, versées par l'AGEFIPH, ont été révisées à la baisse en 2001 70 ( * ) , alors même qu'elles contribuent fortement à l'insertion professionnelle : en 2001, 33.700 contrats de travail ont ainsi été primés pour 107.000 personnes handicapées ayant accédé à l'emploi.

Si ces révisions à la baisse pouvaient, à la limite, se justifier au moment où le chômage diminuait fortement, elles ne sont plus d'actualité quand celui-ci augmente, cette augmentation touchant alors en premier chef les travailleurs handicapés qui sont souvent en bout de la « file d'attente » des demandeurs d'emploi.

Les employeurs considèrent d'ailleurs que ces aides à l'emploi peuvent constituer « une bonne méthode » 71 ( * ) pour favoriser l'embauche des personnes handicapées.

Dès lors, votre rapporteur propose de remobiliser ces aides de deux manières :

- augmenter le nombre de contrats aidés (principalement les CIE et les CEC) ;

- relever, du moins transitoirement, le montant de ces aides . Il serait notamment souhaitable de ramener le niveau de la prime à l'insertion à son niveau de mai 2001 et, compte tenu de la suppression de l'exonération de charges sociales pour le CIE, de majorer le montant de l'aide pour les personnes handicapées.

Une deuxième piste concerne l'approfondissement du dialogue social pour favoriser l'emploi des personnes handicapées.

Le code du travail prévoit en effet que les employeurs peuvent s'acquitter totalement de l'obligation d'emploi par la conclusion d'un accord de branche ou d'entreprise, prévoyant la mise en oeuvre d'un programme annuel ou pluriannuel en faveur des travailleurs handicapés. Ce programme doit 72 ( * ) nécessairement comprendre un plan d'embauche et au moins deux des trois actions suivantes :

- plan d'insertion et de formation ;

- plan d'adaptation aux mutations technologiques ;

- plan de maintien dans l'entreprise en cas de licenciement.

Or, le dialogue social reste encore peu développé dans ce domaine. En 2000, on ne comptait ainsi que 118 accords de branche, d'entreprise ou d'établissement couvrant au total moins de 3.000 établissements.

Il est vrai que les modalités d'agrément de ces accords apparaissent pour le moins tatillonnes. M. Dominique Tellier, directeur des relations sociales au MEDEF, considérait, devant votre commission, que « l'Etat met des conditions et des contraintes à l'agrément des accords, qui ne font que décourager les entreprises les plus impliquées ».

Mais votre rapporteur observe également que les partenaires sociaux semblent encore peu désireux d'intensifier leurs négociations dans ce domaine. A cet égard, M. Dominique Tellier indiquait que « les organisations syndicales ne manifestent pas un enthousiasme forcené pour aborder ces questions dans le cadre du dialogue social ».

Votre rapporteur le regrette. Il considère, en effet, que le dialogue social constitue un cadre tout particulièrement adapté pour aborder la question de l'emploi des personnes handicapées, puisqu'il permet de prendre en compte les spécificités de chaque branche et de chaque entreprise.

Aussi votre rapporteur appelle très fortement de ses voeux une reprise effective du dialogue social sur ce sujet.

Il lui paraît notamment envisageable, en l'absence de toute reprise du dialogue, d'introduire une obligation de négocier 73 ( * ) sur l'emploi des personnes handicapées . Cette obligation de négocier, qui pourrait avoir lieu tous les cinq ans, s'appliquerait aux branches professionnelles mais pourrait aussi viser, le cas échéant, les entreprises.

Une telle proposition, qui repose sur une obligation de moyens et non de résultats, lui semble de nature à dynamiser significativement le dialogue social en la matière.

Une troisième piste concerne bien évidemment l'AGEFIPH.

Celle-ci, compte tenu notamment de l'ampleur de ses financements, occupe une place centrale parmi les acteurs travaillant à l'insertion professionnelle des personnes handicapées en milieu ordinaire.

Longtemps décriée pour son « trésor de guerre », l'AGEFIPH est en effet devenue le partenaire obligé, parfois même trop sollicité, de toute politique d'emploi des travailleurs handicapés.

L'AGEFIPH
(Association pour la gestion du fonds pour l'insertion
professionnelle des personnes handicapées)

L'AGEFIPH gère le fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées. Issue de la loi du 10 juillet 1987, elle a pour mission de favoriser l'accès et le maintien dans l'emploi des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail. Son budget est abondé par les contributions des entreprises qui ne satisfont pas à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés.

Les financements de l'AGEFIPH s'adressent :

- aux entreprises privées et aux employeurs du secteur privé ;

- aux personnes handicapées bénéficiaires de la loi du 10 juillet 1987 faisant l'objet d'une insertion dans le secteur privé ;

- aux opérateurs de terrain (Cap Emploi, organismes de formation et de bilan, milieu protégé...).

L'AGEFIPH intervient à toutes les étapes de l'insertion professionnelle : placement et maintien dans l'emploi, création d'activité, conseil, formation, aménagement des postes de travail...

L'AGEFIPH est gérée par un conseil d'administration paritaire composé de quatre collèges : le collège des employeurs, le collège des salariés, le collège des associations, le collège des personnalités qualifiées.

Elle est liée à l'Etat par une convention d'objectifs pour cinq ans qui couvre la période 1999-2003.

Les financements de l'AGEFIPH se sont montés à 411,7 millions d'euros en 2001, pour une collecte de 349 millions d'euros.

Votre rapporteur craint pourtant que l'activité de l'AGEFIPH ne soit amenée à être plus contrainte dans les années à venir.

Depuis plusieurs années, l'Etat s'est, en effet, déchargé de plusieurs de ses responsabilités envers les travailleurs handicapés en transférant le poids de leur financement sur l'AGEFIPH . On peut ainsi citer :

- le financement de la garantie de ressources des travailleurs handicapés, qui a représenté 34,3 millions d'euros en 2001, transférée à l'AGEFIPH en 1997 ;

- le financement du réseau Cap Emploi transféré à l'AGEFIPH en 1999 pour un coût de 50,7 millions d'euros en 2001 ;

- le financement de l'aménagement des situations de travail et de l'accessibilité des lieux de travail, qui s'est élevé à 33 millions d'euros en 2001.

Certes, ces transferts de charges, qui atteignent aujourd'hui 118 millions d'euros, pouvaient, à l'extrême limite, se justifier du fait de l'existence d'un « trésor de guerre », sous forme de trésorerie dormante.

Il n'en reste pas moins qu'ils ont concerné des missions qui relevaient largement pour l'Etat de ses prérogatives régaliennes et de sa mission de garant de la solidarité nationale.

C'est à l'évidence le cas pour le financement de la garantie de ressources qui constitue une prestation légale.

L'employeur est autorisé à procéder à un abattement de salaire lorsque la COTOREP constate une diminution notoire du rendement ou reconnaît la nécessité d'un emploi de travail protégé en milieu ordinaire.

Selon le rendement du travailleur handicapé, son salaire peut être réduit dans la limite de 20 % du SMIC pour un abattement de salaire simple, ou de 50 % dans le cas d'un emploi de travail protégé. Indexée sur le SMIC, la garantie de ressources comprend d'une part le salaire direct à la charge de l'employeur et, d'autre part, un complément de rémunération remboursé trimestriellement à l'employeur par l'AGEFIPH.

C'est aussi largement le cas pour le financement du réseau Cap Emploi, le placement des travailleurs constituant une prérogative de service public.

Votre rapporteur considère qu'il est désormais nécessaire de recentrer l'AGEFIPH sur ses missions fondamentales.

Un tel recentrage permettrait en effet à l'AGEFIPH d'intensifier ses actions en faveur de l'insertion en milieu de travail ordinaire, notamment en matière de formation professionnelle.

Il apparaît d'autant plus nécessaire que les réserves de l'AGEFIPH sont actuellement en voie d'extinction, comme l'indiquait M. Jean-Louis Segura à votre commission : « Les réserves de l'AGEFIPH n'ont pas disparu, même s'il est exact qu'elles sont en régression. Le niveau des réserves nécessaires à la couverture des engagements pluriannuels pris par l'organisme a été évalué à environ 800 millions de francs par la Cour des comptes. Or, nous n'en sommes pas très loin. Nous allons donc normalement, en fin d'année 2002 ou à mi-année 2003 au plus tard, atteindre cet objectif. Nous serons donc revenus à un équilibre emplois-ressources définitivement stabilisé. »

En conséquence, votre rapporteur suggère de réattribuer à l'Etat le financement de la garantie de ressources.

Votre rapporteur suggère enfin d'explorer une dernière piste, au cas où les mesures précédemment exposées ne permettraient pas une amélioration significative de l'emploi des personnes handicapées en milieu ordinaire.

Dans ce cas, il lui semble souhaitable d'étudier l'instauration d'un alourdissement de la cotisation AGEFIPH pour les quelques 26.000 établissements qui n'emploient aucun travailleur handicapé et qui ne recourent à aucune forme de sous-traitance. Cet alourdissement pourrait par exemple prendre la forme d'une majoration progressive au bout de trois ans de la cotisation, dès lors que l'établissement n'a pas embauché de personnes handicapées ou n'a pas fait appel à la sous-traitance.

Une telle mesure aurait incontestablement un rôle dissuasif et inciterait fortement les employeurs à réexaminer en profondeur leur politique d'emploi des travailleurs handicapés.

b) Faire que les fonctions publiques ne soient plus les « mauvais élèves »

Si le respect de l'obligation d'emploi n'est guère effectif dans le secteur privé, la situation est pire encore dans les fonctions publiques.

Votre rapporteur juge cette situation d'autant plus inadmissible que les fonctions publiques devraient être pour le moins exemplaires en ce domaine.

Certes, les situations sont très hétérogènes selon les différentes fonctions publiques.

Incontestablement, la fonction publique de l'Etat apparaît comme la « lanterne rouge ». Fin 1997 74 ( * ) , le nombre de personnes handicapées dans la fonction publique de l'Etat s'élevait à 3,07 % des effectifs (4 % hors éducation nationale).

Votre rapporteur observe que ce taux est très en retrait par rapport aux deux autres fonctions publiques qui respectaient presque les quotas. Il était de 5,68 % dans la fonction publique hospitalière en 1999 1 et de 5,12 % dans la fonction publique territoriale en 1998 1 .

Cet état des lieux appelle donc des mesures fortes, dans la fonction publique de l'Etat notamment.

Le protocole d'accord, conclu avec cinq organisations syndicales le 9 octobre dernier pour favoriser l'emploi des travailleurs handicapés dans la fonction publique de l'Etat, apporte déjà des premiers éléments de réponse.

LE PROTOCOLE D'ACCORD DU 9 OCTOBRE 2001

Le ministère de la fonction publique a signé, le 9 octobre 2001, avec la CFDT, la FSU, l'UNSA, la CFTC et la CGC un protocole qui vise à simplifier et à améliorer le recrutement, la carrière et les conditions de travail des agents handicapés.

Des plans triennaux pour atteindre l'objectif de 6 %

Ce plan comportera des objectifs annuels chiffrés et, au bout de trois années, le taux de recrutement des travailleurs handicapés devra atteindre 6 %. A défaut, l'administration concernée verra une partie des emplois prévus pour les travailleurs handicapés mis en réserve ou reportés et se verra imposer une contribution au fonds interministériel d'insertion des travailleurs handicapés.

Des accès aux concours adaptés

Parallèlement à l'amélioration de l'accès aux concours, le recrutement contractuel direct, prévu par la loi, sera développé, et remplacera la procédure dite des « emplois réservés ». Le passage obligatoire devant une COTOREP spécialisée « fonction publique » sera supprimé (ces COTOREP spécialisées sont d'ailleurs supprimées elles aussi). Après une année d'emploi, le contractuel sera titularisé, éventuellement après un examen professionnel.

Des moyens accrus

Les moyens du fonds interministériel pour l'insertion des travailleurs handicapés seront triplés en 2002 : ils passeront de 15 à 43 millions de francs. En outre, les signataires s'accordent à favoriser le reclassement des fonctionnaires devenus inaptes en cours de carrière, à pratiquer la concertation et la transparence au niveau local sur les recrutements ou reclassements effectués, à améliorer la formation continue et les conditions de travail, à faciliter les autorisations d'absences pour les parents d'enfants handicapés. Ces crédits viennent compléter les actions ministérielles, sans se substituer à elles. Le fonds est placé auprès du Premier ministre.

Votre rapporteur observe cependant que ce protocole, si tant est que sa mise en oeuvre soit effective, ne suffira sans doute pas à améliorer substantiellement la situation dans des délais raisonnables.

Il rappelle, à ce titre, que le plan précédent, présenté en 1995, n'avait pas abouti aux résultats escomptés.

En 1995, des décisions avaient été prises pour améliorer les résultats : tout d'abord, le recrutement des travailleurs handicapés par la voie contractuelle, avait été étendu à toutes les catégories statutaires (décret n° 95-680 du 25 août 1995) ; ensuite, un correspondant « handicap » a été nommé dans chaque ministère afin de définir et de coordonner la politique générale à mener au sein de l'administration concernée en matière d'insertion des handicapés ; enfin, une augmentation des aides techniques ainsi que des actions de sensibilisation, d'information et de formation a été prévue.

Il suggère donc d'accompagner la mise en oeuvre de ce protocole par d'autres mesures.

Améliorer l'information statistique

Votre rapporteur souhaite d'abord une meilleure actualisation et une clarification des statistiques disponibles , afin que l'action des autorités publiques puisse s'appuyer sur des données fiables.

Le système d'information actuel souffre en effet de deux insuffisances :

- il est tardif, les données actuellement disponibles remontant à 1997 pour la fonction publique de l'Etat, à 1998 pour la fonction publique territoriale et à 1999 pour la fonction publique hospitalière ;

- il est lacunaire ; ainsi, pour la fonction publique de l'Etat, l'agrégation des données de l'ensemble des administrations ne prennent pas en compte tous les fonctionnaires et notamment ceux du ministère de l'Education nationale. De même, pour la fonction publique territoriale, l'enquête ne prenait en compte que les collectivités ayant répondu.

Dynamiser et étendre le protocole d'accord

Le protocole d'accord du 9 octobre apporte d'incontestables améliorations :

- suppression de la procédure inefficace des « emplois réservés » pour accéder à la fonction publique de l'Etat ;

- mise en place de plans triennaux pour atteindre l'objectif de 6 % ;

- introduction de sanctions sous la forme d'une contribution au fonds interministériel des travailleurs handicapés.

Mais il souffre cependant d'une limite évidente : il ne s'applique qu'à la fonction publique de l'Etat.

Aussi, votre rapporteur ne peut que souhaiter que les autres fonctions publiques engagent au plus vite une démarche analogue, prenant bien entendu en compte leurs spécificités.

Votre rapporteur est ainsi favorable, pour chaque fonction publique, à :

- la création d'un fonds d'insertion spécifique ;

- la définition de plans triennaux ;

- l'introduction de sanctions, prenant la forme de versement au fonds d'insertion, en cas de non-respect de l'objectif à l'issue des plans triennaux.

Revoir les conditions d'accès aux fonctions publiques

L'un des obstacles majeurs à l'emploi des personnes handicapées dans les fonctions publiques tient notamment aux règles d'accès qui reposent sur le concours et qui apparaissent largement inadaptées aux personnes handicapées.

Certes, des aménagements existent déjà. Ainsi, la limite d'âge est supprimée pour les travailleurs handicapés reconnus par la COTOREP.

Mais la procédure du concours, qui accorde une large place à l'écrit et qui exige des conditions d'aptitude physique, apparaît très discriminante pour les personnes handicapées, qu'elle tend en pratique à exclure.

Dès lors, celles-ci relèvent principalement des emplois contractuels, ce qui entretient une différence de traitement avec le droit commun de la fonction publique.

Votre rapporteur ne peut donc qu'être favorable à une profonde révision du système des concours afin que ceux-ci puissent également constituer une réelle voie pour l'intégration des personnes handicapées dans la fonction publique.

3. La modernisation du milieu protégé doit enfin être mise en oeuvre

Si l'insertion du travailleur handicapé en milieu ordinaire de travail doit être considérée comme prioritaire, il n'en reste pas moins que, bien souvent, la personne handicapée ne peut s'insérer dans un cadre professionnel dont elle ne peut affronter les exigences. Elle doit alors être orientée, au moins pour un temps, vers le milieu protégé.

L'EMPLOI EN MILIEU PROTÉGÉ

Les personnes handicapées pour lesquelles l'orientation en milieu ordinaire de travail s'avère impossible peuvent être admises, sur décision de la COTOREP, soit dans un atelier protégé ou un centre de distribution de travail à domicile (CDTD), soit dans un centre d'aide par le travail (CAT).

Les ateliers protégés et les CDTD constituent des unités économiques de production dépendant d'associations ou d'entreprises ordinaires. Ils permettent aux travailleurs handicapés d'exercer une activité professionnelle dans des conditions adaptées à leurs possibilités. Seuls les travailleurs handicapés dont la capacité de travail est au moins égale au tiers de la capacité de travail d'un travailleur valide peuvent être admis en atelier protégé ou en CDTD.

Au 31 décembre 2000, on comptait 18.264 travailleurs handicapés employés dans 548 ateliers protégés.

Les CAT offrent aux personnes handicapées qui ne peuvent travailler dans le milieu ordinaire, en atelier protégé ou en CDTD (en raison de leur capacité de travail inférieure à 33 %), des possibilités d'activités diverses à caractère professionnel, un soutien médico-social et éducatif et un milieu de vie favorisant théoriquement l'épanouissement personnel et l'intégration sociale.

Au 31 décembre 2000, il existait 1.336 CAT offrant 95.811 places effectivement financées.

Or, si l'intégration en milieu ordinaire a fait l'objet d'une réelle attention depuis une quinzaine d'années, le milieu protégé apparaît en revanche durablement « à la traîne » et quelque peu oublié.

Votre rapporteur ne reviendra pas ici en détail sur les difficultés du secteur protégé qui sont désormais bien connues. Tout juste se contentera-t-il d'insister sur les deux points saillants :

- les structures sont en nombre insuffisant et restent inégalement réparties sur le territoire : les CAT sont engorgés à tel point que les associations de personnes handicapées estiment qu'il manque au moins 20.000 places, les ateliers protégés souffrent d'un manque de compétitivité et se heurtent encore à de nombreux obstacles pour leur création ;

- leur vocation de filière d'intégration progressive vers le milieu de travail ordinaire tarde à se concrétiser : les ateliers protégés, ne disposant pas des compensations nécessaires pour garantir le caractère concurrentiel de leur activité, sont conduits à retenir leurs salariés les plus productifs tandis que les CAT apparaissent de plus en plus comme de simples institutions d'accueil dans lesquelles les travailleurs handicapés demeurent, à titre permanent, sans perspective de sortie.

Des expériences étrangères montrent pourtant qu'une modernisation du secteur protégé peut réussir tout en préservant sa spécificité. A cet égard, M. Michel Fardeau a notamment évoqué le « cas suédois ».

LE « CAS SUÉDOIS »

« L'emploi « protégé » représente en Suède un phénomène très important. Il est vrai qu'il est ouvert à toute personne victime d'un « handicap professionnel », « rapport entre déficiences physiques, mentales et socio-médicales d'un individu et la composition du milieu de travail pris au sens large ». Pour l'essentiel, le secteur protégé est représenté par le groupe SAMHALL qui depuis 1992 est une société à responsabilité limitée entièrement détenue par l'Etat suédois. Le groupe est la 2 ème entreprise suédoise par le nombre de salariés et la plus grande entreprise nationale de sous-traitance. Elle comprend environ 30.000 salariés (1995), possède 28 succursales, couvre tout le pays, ses bureaux et représentations sont implantés dans le monde entier : 16 % de la production est exportée. Le groupe développe activement le secteur des services, en particulier de formations professionnelles de courte durée et des activités de conseil dans ce domaine. 45 % des salariés sont des femmes ; 20 % sont d'origine immigrée. Les travailleurs sont affiliés à un syndicat, les salaires sont légèrement inférieurs, mais proches de ceux pratiqués sur le marché du travail (86,2 % en moyenne en 1995).

« L'Etat suédois verse une aide annuelle, sur la base d'un contrat d'objectifs parmi lesquels le personnel de SAMHALL doit comprendre 40 % de personnes handicapées mentales ou « à handicaps multiples », et 3 % au moins doivent passer en milieu ordinaire de travail dans l'année. De plus, l'aide doit aller en décroissant chaque année et ne devrait pas dépasser le montant des charges salariales en 1996-1997. »

Source : Michel Fardeau, rapport précité

Sans aller jusqu'à la reproduction des modèles étrangers, votre rapporteur considère qu'une profonde modernisation du travail protégé est aujourd'hui nécessaire.

Elle doit viser d'abord à améliorer les conditions de fonctionnement des ateliers protégés et des CAT, mais aussi favoriser autant que possible les passages vers le milieu de travail ordinaire.

a) Améliorer les conditions de fonctionnement du secteur protégé

Le secteur protégé est loin de former un ensemble cohérent.

Il existe d'abord un déséquilibre évident entre les 1.336 CAT offrant 95.811 places et les 548 ateliers protégés qui n'emploient que 18.264 travailleurs handicapées en 2000.

Il existe surtout une profonde différence de vocation, qui explique les différences importantes de statut dont témoigne le tableau ci-dessous :

RÉGIME COMPARATIF DES ATELIERS PROTÉGÉS ET DES CAT

Ateliers protégés

CAT

Les personnes handicapées

Taux d'activité (par rapport à l'activité normale)

Supérieur à 1/3

Inférieur à 1/3

Statut

Salarié, soumis au code du travail ou aux conventions collectives

Accueilli, relevant du code de la famille

Rémunération

90 % à 130 % du SMIC

55 % à 110 % du SMIC

La structure

Nature

Insertion professionnelle

Accompagnement médico-social

Financement principal

Les clients

L'état

Financement public (montant annuel moyen)

9.000 F/salarié handicapé

65.000 F/personne handicapée

Administration de référence

DDTEFP et DRTEFP (travail, emploi et formation)

DDASS et DRASS (affaires sociales)

Source : GAP-UNETA

Ces différences apparentes peuvent toutefois s'estomper très fortement dans la pratique, les deux structures tendant alors à devenir concurrentes et non plus complémentaires.

Cela tient notamment aux insuffisances du processus d'orientation des COTOREP. M. Hervé Knecht, président du GAP-UNETA, constatait ainsi devant votre commission que, sur 100 personnes orientées vers un atelier protégé, « 50 % ne relèvent pas de l'atelier protégé, 20 % relèvent de l'emploi ordinaire avec un accompagnement-formation et 30 % relèvent vraiment de l'atelier protégé ».

Ces orientations inappropriées tiennent avant tout à l'engorgement des CAT.

Dès lors, votre rapporteur considère qu'il est prioritaire de créer un nombre de places substantiel en CAT afin de rétablir un certain équilibre dans la structuration du secteur protégé, en redonnant à chaque type de structure sa vocation initiale.

Mais cet effort quantitatif doit s'accompagner d'une amélioration des conditions de fonctionnement en secteur protégé.

Celui-ci connaît en effet de nombreux dysfonctionnements qui limitent sa capacité à assumer pleinement ses missions.

S'agissant des ateliers protégés, il apparaît urgent de résoudre enfin les difficultés qu'ils rencontrent du fait de la délicate combinaison entre dispositions générales du code du travail et dispositions particulières liées à leur mission spécifique d'insertion.

M. Hervé Knecht décrivait ainsi ces difficultés devant votre commission :

« La difficulté majeure que nous rencontrons aujourd'hui tient à ce qu'il est urgentissime que nous redéfinissions les missions et les moyens pour le secteur adapté, et notamment l'atelier protégé. Nous vivons coincés entre un secteur médico-social et une entreprise ordinaire, avec des difficultés importantes, notamment sur le plan juridique. Nous déplorons également un certain nombre d'aberrations, notamment la garantie de ressources, qui nécessitent d'être sérieusement revisitées ».

Votre rapporteur insiste ici notamment sur les difficultés de financement d'aménagement de postes de travail et de mise à disposition des salariés.

Dans ces conditions, il juge désormais souhaitable de permettre l'évolution des structures les plus dynamiques qui en ont la volonté vers une formule plus adaptée. Il considère notamment qu'une plus grande diversification des ateliers protégés permettrait un meilleur passage des travailleurs handicapés entre le milieu protégé et le milieu ordinaire.

Il observe qu'une proposition de loi en ce sens 75 ( * ) a été déposée sur le bureau du Sénat, qui s'inspire largement des propositions du GAP-UNETA.

Cette proposition de loi apporterait en effet trois intéressantes précisions :

- application à l'atelier protégé du droit commun des sociétés ;

- compensation des surcoûts liés à sa mission d'insertion et de promotion des travailleurs handicapés ;

- élargissement de l'application du droit du travail dans la relation entre l'entreprise et le salarié handicapé (en matière notamment de prévoyance, de salaire minimum conventionnel et de retraite).

Il considère qu'elle constitue un support intéressant et mériterait en conséquence d'être soumise au débat par une inscription rapide à l'ordre du jour de nos travaux.

S'agissant des CAT, votre rapporteur considère que leur adaptation exige sans doute de renouer pleinement avec leur vocation médico-sociale d'insertion professionnelle et sociale 76 ( * ) plutôt qu'elle ne passe par l'intensification du travail et la recherche d'une « compétitivité » illusoire pour des personnes dont la capacité de travail est souvent très largement inférieure à un tiers de la normale. Et cela exige au préalable une nécessaire clarification du mode de financement de ces établissements et, notamment, de la garantie de ressources.

b) Favoriser le passage des travailleurs handicapés en secteur protégé vers le milieu ouvert

Le travail en milieu protégé a été conçu, non seulement, comme moyen pour les personnes handicapées d'accéder à une vie sociale et professionnelle dans des conditions spécifiques liées à leur handicap, mais surtout et autant que possible comme filière d'insertion progressive vers le milieu ordinaire de travail.

Cet objectif a cependant largement été perdu de vue. Le taux de sortie vers le milieu ordinaire de travail n'a cessé de se dégrader : évalué globalement à 10 % au début des années 1970, il est maintenant estimé à à peine 1 %.

Il convient désormais de réaffirmer avec force cet objectif et surtout de mettre en place les instruments adaptés.

Il semble d'abord souhaitable de favoriser le rapprochement entre les différents intervenants , afin de rétablir un continuum cohérent entre l'entreprise, l'atelier protégé et le CAT.

Dans ce cadre, votre rapporteur rappelle que les entreprises sont habilitées à créer des ateliers protégés. Cette possibilité est très largement ignorée. Il serait pourtant utile de la développer, au besoin par des incitations financières.

De la même manière, votre rapporteur constate que les formules de rapprochement entre ateliers protégés et CAT (création d'une section d'atelier protégé dans un CAT et vice versa ) demeurent extrêmement rares, les coupures institutionnelles engendrant souvent l'ignorance réciproque.

Ce rapprochement exige cependant une évolution très importante des pratiques et des habitudes. Dès lors, votre rapporteur considère qu'elle risque d'être fort hypothétique si elle ne s'accompagne d'incitations financières substantielles à la mise en oeuvre de telles passerelles.

Aussi, votre rapporteur estime que le moment est sans doute venu de poser la question d'une éventuelle intervention de l'AGEFIPH en milieu protégé . Il ne serait pas inenvisageable d'autoriser la possibilité d'une contribution financière contractuelle de l'AGEFIPH à tout projet professionnel visant à faire évoluer, sur une période définie, un travailleur handicapé du milieu protégé au milieu ordinaire.

D. FAIRE DES PERSONNES HANDICAPÉES DES CITOYENS À PART ENTIÈRE

« Je suis myopathe, mais je n'en suis pas moins citoyen et étonné de vivre dans un pays qui proclame la liberté de circuler, de s'instruire, de voter, mais qui ne l'applique qu'à une catégorie de citoyens. J'ai souvent l'impression d'être un exilé dans mon propre pays. » 77 ( * )

« Je suis fatigué d'être un assisté avant d'être un citoyen. Alors que je veux être un citoyen à part entière. » 78 ( * )

Ce cri du coeur, extrait de témoignages de personnes handicapées devant votre commission, illustre une demande, toujours réitérée, des personnes handicapées : ne plus être assimilées à leur handicap, avoir accès à l'ensemble de la vie de la cité.

Votre rapporteur considère comme une priorité de rendre leur dignité de citoyens aux personnes handicapées, en leur donnant les moyens de participer à la vie démocratique et de s'insérer dans la vie culturelle et sociale.

1. La société doit offrir aux personnes handicapées les moyens de participer pleinement à la vie démocratique

Le premier des droits du citoyen est de pouvoir exprimer ses choix et participer à la vie de la Nation par le vote.

Actuellement, seules les dispositions concernant le vote par procuration ont pris en compte la dimension spécifique du handicap : alors que la possibilité de vote par procuration n'est en général ouverte qu'au cas par cas, en raison de circonstances particulières (impossibilité d'être présent dans la commune le jour du scrutin, vacances), les titulaires d'une pension militaire d'invalidité ou d'une rente d'accident du travail correspondant à un taux supérieur ou égal à 85 % et les personnes bénéficiant d'une prise en charge pour tierce personne peuvent toujours voter par procuration sans justifier d'aucune de ces circonstances. Le code électoral prévoit également que l'officier de police judiciaire compétent se déplace à leur domicile et que, par dérogation au droit commun, les procurations peuvent être valables pour une année entière (art. R. 72 et R. 74 du code électoral).

Si ces dispositions permettent aux personnes touchées par des handicaps sévères et confinées au domicile d'accomplir leur devoir civique, la situation reste largement insatisfaisante pour les personnes handicapées qui veulent exercer elles-mêmes leur droit de vote :

- l'accès aux bureaux de vote reste conditionné par l'accessibilité des locaux -mairies, écoles- où ils sont implantés, locaux dont on a déjà constaté l'insuffisante accessibilité ;

- l'accès aux isoloirs est, en pratique, impossible pour une personne en fauteuil roulant, compte tenu de leur étroitesse et leur instabilité.

D'autre part, si l'article 3 de la Constitution précise que le suffrage est « toujours universel, égal et secret » , les non voyants ne peuvent, en pratique, bénéficier de la confidentialité du vote, dans la mesure où, ne disposant pas de bulletins en braille, ils sont tenus d'être accompagnés par une tierce personne pour accomplir leur devoir civique.

Votre rapporteur considère comme anormal que tout ne soit pas mis en oeuvre pour permettre aux personnes handicapées de participer à la vie démocratique.

C'est pourquoi il juge nécessaire, que, dans le cadre de la politique générale d'accessibilité, une priorité soit donnée à la mise en accessibilité des bâtiments accueillant des bureaux de vote. Des recommandations doivent également être données aux communes pour choisir l'implantation des bureaux, et dans les bureaux, pour revoir l'aménagement de l'espace : agrandir les isoloirs, les fixer convenablement au sol, prévoir des rideaux plus longs, implanter les isoloirs de manière à ce qu'ils soient facilement accessibles n'est pas demander un effort insurmontable aux communes.

Concernant la question des bulletins de vote en braille, votre rapporteur est conscient que la solution idéale serait que tous les bulletins comportent la double mention, en caractères ordinaires et en braille, du nom du ou des candidats. Un amendement dans ce sens avait été déposé par notre collègue, Nicolas About, lors du débat sur la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

Lors des débats au Sénat, le 31 janvier 2002, le président de votre commission s'exprimait en ces termes :

« Les personnes non voyantes ne bénéficient toujours pas de la confidentialité du vote (...). En ne respectant pas les principes édictés par la Constitution, ce sont les fondements mêmes de notre démocratie que nous mettons en péril. Offrir aux électeurs des bulletins portant une mention en braille permettrait de mettre un terme à cette inégalité. Tout à l'heure, on nous a opposé l'inconstitutionnalité de certaines mesures. Nous sommes là dans une inconstitutionnalité totale.

« On m'a dit que cette disposition coûterait horriblement cher : faute d'informations suffisantes sur son coût, je retire l'amendement. Cette prise en compte du handicap aurait pourtant été bien perçue à la veille de l'élection présidentielle.

« Au demeurant, la considérant comme importante, d'autant qu'elle est déjà appliquée en d'autres pays, je souhaite qu'elle revienne en discussion lors du débat sur le handicap. »

La « solution idéale » reste aujourd'hui difficilement praticable en raison des coûts très élevés qu'elle engendrerait.

Il s'agit donc de trouver un moyen terme permettant tout à la fois à la personne non voyante de voter seule et de préserver, lors du dépouillement, le secret de son vote. Cela pourrait prendre la forme de bulletins en braille, en nombre suffisant, comportant un volet détachable en caractères ordinaires .

2. La participation à la vie de la cité dépasse la simple question des droits politiques

a) La réaffirmation d'un droit à l'information et à la culture

Participer à la vie de la cité, à la manière de n'importe quel citoyen, suppose également de pouvoir accéder à l'ensemble de la vie sociale, donc aux médias, à la culture, aux sports ou encore aux loisirs.

La mise en oeuvre du droit à l'information

Le droit à l'information reste encore aujourd'hui lettre morte pour la grande majorité des déficients sensoriels : la publication d'ouvrages en braille est découragé par des coûts prohibitifs, l'enregistrement sur cassettes initié par les associations demeure artisanal, le sous-titrage à la télévision, épisodique.

En témoigne le bilan dressé par Mme Nicole Gargam, présidente de l'Union nationale pour l'insertion sociale des déficients auditifs (UNISDA) devant votre commission : « Les émissions sous-titrées systématiquement sont en nombre insuffisant et nous avons l'impression qu'on progresse peu dans ce domaine. Nous avons l'impression qu'il en a de moins en moins. Les personnes sourdes en sont souvent réduites à ne regarder que les films étrangers sous-titrés en version originale. Ce qui leur manque, ce sont en fait des émissions en direct sous-titrées. »

Concernant le sous-titrage, l'article 3 de la loi n° 2000-719 du 1 er août 2000 relative à la liberté de communication a inscrit, parmi les missions de service public imposées aux chaînes publiques, celle de « favoriser, par des dispositifs adaptés, l'accès des personnes sourdes et malentendantes aux programmes qu'elles diffusent » . Dans son article 42, la même loi place l'accès des personnes malentendantes aux programmes parmi les thèmes devant être abordés par la convention conclue entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et chaque opérateur.

Il semble à votre rapporteur qu'un effort doit être fait en la matière. Il pourrait prendre la forme d'une obligation de sous-titrage de certaines émissions (comme les journaux télévisés) ou à certaines heures de la journée (heures de grande écoute).

Si cette option est retenue, elle conduirait, compte tenu du type d'émissions concernées, au développement de la technologie de sous-titrage en direct, réclamé par de nombreuses associations, technologie qui aurait de nombreuses autres applications, en matière de scolarisation notamment : cette technologie permettrait en effet de développer une assistance technique pour des étudiants malentendants ou encore les systèmes de visio-conférence, pour les élèves confinés au domicile.

De la même manière, le développement de l' audiodescription 79 ( * ) serait un progrès considérable pour les personnes malvoyantes. Sa mise en oeuvre est actuellement prise en charge par des associations qui doivent trouver les financements nécessaires, et se heurte à la réticence des établissements, théâtres et cinémas. Pour développer un tel système, ces associations plaident pour une réduction des coûts, plus que pour une démarche obligatoire et coercitive. Votre rapporteur partage cette analyse. C'est pourquoi il pourrait être proposé une démarche incitative, par le biais d'une aide à l'investissement, pour les salles qui accepteraient de mettre en oeuvre l'audiodescription.

CINÉMAS POUR AVEUGLES ET MALENTENDANTS :
L'EXEMPLE DU PARAMOUNT FAMOUS PLAYERS DE TORONTO (CANADA)

Lors de leur déplacement au Canada, les membres de la délégation de la commission ont pu visiter à Toronto (Ontario), le 21 juin 2002, une salle de cinéma appartenant à la société Famous Players, dont certains sièges sont équipés de dispositifs conçus pour les personnes aveugles ou malentendantes.

Ces sièges sont ainsi dotés de casques d'écoute qui retransmettent le son du film grâce à un système infrarouge et qui permettent aux personnes malentendantes de suivre celui-ci grâce à un volume amplifié.

Pour les personnes aveugles, ces casques permettent également l'écoute d'une bande son spécifique qui conjugue les dialogues du film et une description extrêmement vivante du déroulement de l'action.

Pour les personnes sourdes, ces sièges sont en outre équipés de petits écrans réfléchissants qui permettent de superposer, dans le champ de vision de la personne, les images du film et un sous-titrage adapté qui rend compte des dialogues et décrit l'environnement sonore du film.

Les membres de la délégation ont pu tester ces dispositifs pendant la projection des dix premières minutes d'un film d'action et ont jugé l'expérience très probante.

Ces dispositifs sont en voie de généralisation dans l'ensemble des salles du Canada appartenant à la société Famous Players.

La participation à l'ensemble de la vie sociale

Plus largement, les personnes handicapées veulent, comme tout citoyen, pouvoir développer leur potentiel sportif, artistique ou intellectuel et, pour cela, ils veulent, légitimement, avoir accès aux infrastructures sportives et culturelles.

Mais si « l'accès aux sports et aux loisirs (...) constitue une obligation nationale », ainsi que l'affirme solennellement l'article premier de la loi d'orientation du 30 juin 1975 80 ( * ) , cet accès reste difficile : alors même que l'accessibilité des établissements sportifs et culturels demeure inégale, d'autres problèmes se posent, d'adaptation de la pratique sportive, de manque de structures associatives, d'aide à l'accès aux oeuvres culturelles (en particulier pour les déficients sensoriels).

Le ministère de la Culture et le secrétariat d'Etat aux Personnes handicapées ont installé, en mai 2001, une commission commune « Culture-Handicap » dont les travaux ont consisté jusqu'ici à nommer des correspondants au niveau des directions centrales et régionales des affaires culturelles, à imposer une obligation d'étudier la possibilité d'une mise en accessibilité avant toute nouvelle construction ou rénovation et à élaborer une charte des établissements culturels, fixant le minimum à exiger en termes d'accueil des personnes handicapées.

Votre rapporteur s'étonne cependant qu'il ait fallu un an et demi entre l'annonce de la création de cette commission, en janvier 2000, et son installation effective. Il regrette aussi que rien ne soit encore prévu pour financer les actions annoncées et souligne en conséquence le risque de démobilisation des directions régionales, deux ans et demi après cette annonce.

Il lui paraît également souhaitable d'orienter l'action des directions régionales des affaires culturelles vers le soutien et la formation des professionnels de la culture et des loisirs à la problématique spécifique du handicap. Ainsi que le soulignait devant votre commission M. André Fertier, président de CEMAFORRE et d'EUCREA France, « il convient de prendre conscience du fait que l'accès aux loisirs et à la culture requiert, dans certains cas, un professionnalisme adapté, à l'instar d'exemples comme l'emploi de la langue des signes lors des conférences ; l'apprentissage de la danse en fauteuil roulant ; l'utilisation de l'outil informatique pour la pratique de la musique par les personnes tétraplégiques ou l'accueil de personnes aveugles dans les musées au moyen de documents en relief ».

Un premier développement de ces services a été tenté par les associations, sur la base d' « emplois-jeunes ». Le choix d'un dispositif conçu dès l'origine comme devant être limité dans le temps fragilise à l'évidence cette expérience.

Votre rapporteur considère que ces emplois sont au nombre de ceux qui gagneraient à être pérennisés, conformément à l'annonce de M. François Fillon, ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, lors de son audition devant votre commission 81 ( * ) .

Dans le domaine du tourisme également, beaucoup de choses restent à faire : le parc et les équipements sont assez largement inadaptés et inaccessibles et l'accueil de la clientèle handicapée pose trop souvent problème aux professionnels qui manquent d'un savoir-faire en la matière.

Votre rapporteur tient cependant à saluer l'initiative, prise par Mme Michelle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme sous le précédent Gouvernement, de créer un label destiné à informer les personnes handicapées sur l'accessibilité des lieux de vacances et de loisirs . Ce label, encore récent, devrait permettre de donner une visibilité et une cohérence aux actions déjà engagées par les associations dans ce domaine.

b) L'amélioration de la situation des personnes protégées

Lorsque l'accent est mis, à juste titre, sur l'autonomie des personnes handicapées, la question peut être posée de la légitimité des mesures de protection -tutelles et curatelles- qui limitent la capacité juridique d'un grand nombre d'entre elles.

LES MESURES DE PROTECTION DES MAJEURS INCAPABLES

Les mesures de protection prévues par le code civil

Ces mesures reposent sur quatre principes :

- une altération des facultés personnelles (mettant la personne dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts) doit être constatée par un médecin ;

- la mesure doit être nécessaire et subsidiaire compte tenu de l'incapacité civile qu'elle entraîne et de sa légitimité au regard des libertés individuelles ;

- un rôle central est dévolu à la famille et la priorité doit lui être conférée dans l'attribution de la tutelle ;

- l'objet de la mesure doit être la protection de la personne et des biens de l'incapable.

Trois régimes de protection sont prévus par la loi du 3 janvier 1968 82 ( * ) :

- la sauvegarde de justice : il s'agit d'une mesure temporaire, médicale ou judiciaire, dont l'objectif est préventif. Elle permet à la personne de conserver l'exercice de ses droits mais les actes qu'elle passe sont susceptibles de révision a posteriori ;

- la curatelle : elle concerne les personnes qui, sans être hors d'état d'agir par elles-mêmes, ont besoin d'être conseillées ou contrôlées dans les actes de la vie civile. La personne sous curatelle peut accomplir seule les actes d'administration mais ne pourra effectuer d'acte qui engage son patrimoine sans l'assistance de son curateur. La curatelle peut, sur décision du juge des tutelles, être allégée ou aggravée ;

- la tutelle : elle est ouverte lorsque la personne a besoin d'être représentée de manière continue dans les actes de la vie civile . La personne sous tutelle est déchargée de l'exercice de ses droits (y compris le droit de vote) et ne peut plus passer aucun acte seule.

La tutelle aux prestations sociales

Il ne s'agit pas, sur le plan juridique, d'un régime d'incapacité. Cette mesure temporaire a un caractère éducatif et social : son objectif est l'amélioration, via un accompagnement social adapté, des conditions de vie du majeur.

Cette mesure permet au juge des tutelles d'ordonner qu'une personne qualifiée perçoive elle-même, au lieu et place des bénéficiaires, tout ou partie des allocations qui leur sont dues, lorsqu'ils ne les utilisent pas eux-mêmes dans leur intérêt ou vivent dans des conditions d'alimentation, de logement ou d'hygiène précaires en raison de leur état mental ou d'une déficience physique.

Le rapport du groupe de travail interministériel sur le dispositif de protection des majeurs, présidé par M. Jean Favard 83 ( * ) , souligne « l'utilisation devenue abusive des diverses mesures de protection des majeurs lorsqu'elles pallient les insuffisances des dispositifs d'accompagnement social ». Pour un nombre important de personnes, c'est le besoin d'aide sociale qui motive la décision, bien plus que le besoin de protection juridique, qui est pourtant la raison d'être de ces dispositifs.

Celui-ci connaît également d'autres dérives :

- le principe de priorité familiale est de plus en plus souvent battu en brèche , au profit d'une attribution de la tutelle à l'Etat, alors même que la famille ne se désintéresse pas de la personne ;

- la possibilité, pour le juge, de se saisir d'office de dossiers simplement signalés par les services sociaux conduit à une multiplication des décisions, sans réelle nécessité, au détriment de la priorité conférée aux requêtes familiales par l'article 493 du code civil dont certaines restent sans réponse ;

- le traitement du dossier par le juge est souvent sommaire , se limitant à un contrôle formel des procédures. Les personnes concernées et les familles sont rarement entendues dans une procédure qui reste largement écrite ;

- les mesures sont très rarement réexaminées et les changements qui peuvent se produire dans la situation de la personne protégée ne sont pas pris en compte, dans la mesure où le juge n'a pas d'obligation de renouveler sa décision dans un délai légal ;

- la qualité de la gestion des comptes des majeurs protégés est inégale : certaines pratiques, comme celle des « comptes pivots », qui consiste à rassembler sur un seul compte l'ensemble des avoirs des personnes protégées dont la tutelle est confiée à une association, sans individualisation possible des intérêts produits, sont plus particulièrement critiquées par le rapport.

Votre rapporteur regrette la lenteur avec laquelle l'amélioration du dispositif de protection a été envisagée ces dernières années. Il estime que les propositions du rapport Favard restent d'actualité et que leur mise en oeuvre, dans le cadre d'une réforme de la politique en faveur des personnes handicapées mettant l'accent sur l'autonomie des personnes, donnerait un signal fort aux personnes protégées et à leurs familles.

LES PRINCIPALES PROPOSITIONS DU RAPPORT FAVARD

Renforcer la protection de la personne

Ce renforcement passe par la participation de la personne à la mise en oeuvre de sa protection, dans la mesure de ses facultés.

Réaffirmer les principes de nécessité et de subsidiarité de la mesure

Le rapport propose de supprimer, ou de rendre exceptionnelle, la saisine d'office du juge et d'organiser en amont une évaluation médico-sociale des situations individuelles, par une équipe pluridisciplinaire. Une meilleure connaissance du terrain serait favorisée par la déconcentration au niveau local de ces équipes.

Il propose également la création d'une « mesure de gestion budgétaire et sociale » , afin d'assurer un accompagnement social aux personnes en difficulté mais qui ne présentent pas d'altération de leurs facultés personnelles, les empêchant de pourvoir seules à leurs intérêts.

Assurer un meilleur contrôle des comptes rendus par les tuteurs

Cette amélioration passe d'abord par une meilleure formation des tuteurs et par une aide fournie aux tuteurs familiaux pour formaliser ces comptes.

Le rapport propose d'autre part d'améliorer les outils de contrôle à la disposition des juges (inventaire initial du patrimoine, interdiction des « comptes pivots », moyens d'expertise supplémentaires).

Revoir le financement des mesures de protection

Il s'agit surtout d'harmoniser les rémunérations des gérants de tutelle et les prélèvements sur les revenus des majeurs protégés et de mettre en place un financement par dotation globale calculée en fonction de la réalité et de la qualité du service rendu.

IV. MODERNISER LES CONDITIONS D'ACCUEIL DES PERSONNES HANDICAPÉES EN PRIVILÉGIANT PROXIMITÉ ET AUTONOMIE

L'objectif premier d'une politique en faveur des personnes handicapées doit être d'assurer leur pleine intégration dans la société, intégration qui passe par la possibilité de choisir de rester à domicile. Cependant, ainsi que le soulignait Mme Marie-Thérèse Boisseau lors de son audition devant votre commission, parmi les 90 % de personnes handicapées vivant actuellement à domicile, « un certain nombre de personnes handicapées, sans que le chiffre puisse être précisé à ce jour, restent chez leurs parents, le plus souvent faute de mieux ».

Ainsi, pour que le choix soit réellement ouvert, il faut non seulement que le maintien à domicile ne relève plus du parcours du combattant mais aussi que le nombre de places en établissement et l'existence de passerelles entre les deux systèmes de prise en charge permettent une alternative véritable.

A. ORGANISER DES PASSERELLES ENTRE L'ÉTABLISSEMENT ET LE DOMICILE

1. Etablissements et domicile restent deux mondes souvent étanches

a) Des orientations presque irréversibles

L'absence de suivi des décisions des commissions (CDES et COTOREP) et les délais nécessaires pour en obtenir une révision, en cas de changement dans la situation médicale, familiale ou sociale de la personne donnent à la première orientation prononcée par ces commissions un poids considérable qui peut vite devenir une contrainte.

Un principe de révision périodique des décisions des CDES et des COTOREP est inscrit dans la loi 84 ( * ) . Il est fixé à 5 ans maximum pour les deux commissions et peut être porté à 10 ans pour les personnes atteintes d'un handicap irréversible ou non susceptible d'évoluer favorablement. La révision peut d'autre part être demandée par la personne handicapée ou par sa famille avant l'échéance fixée, en cas de changement significatif de sa situation.

En pratique, le délai « butoir » de 5 ans est considéré comme une règle par les commissions . Or, un délai de 5 ans peut déjà être considéré comme excessif, en particulier en ce qui concerne les enfants handicapés, pour lesquels un établissement adapté à l'enfance peut se révéler totalement inadapté à l'adolescence.

D'autre part, lors de ces réexamens, les décisions prises sont, en l'absence d'une instruction approfondie, le plus souvent confirmatives .

C'est pourquoi lors de son audition devant votre commission, M. Jean-Louis Brison, chargé de mission auprès du précédent ministre de l'Education nationale, insistait sur la nécessité d'une révision plus fréquente des orientations et sur celle d'un changement de mentalité des commissions lors de ces réexamens : « Il faut que la révision de l'orientation de l'enfant dans un établissement médico-éducatif, contrairement à ce que dit la loi, n'excède pas les deux années et que les maintiens dans les établissements médico-éducatifs ne soient plus administrés par les commissions départementales comme allant de soi ».

b) Des transitions oubliées

Compte tenu du caractère figé des orientations ainsi décidées, peu de transitions ont été organisées, que ce soit dans le sens établissement-domicile ou dans le sens domicile-établissement :

- le retour à domicile, après une période d'accueil en établissement est difficile : l'accompagnement de la réinsertion en milieu ordinaire reste inexistant, hors l'expérience des « sites pour la vie autonome » qui ne concernent que les aides techniques et les aménagements d'accessibilité. Il manque en particulier un accompagnement humain du retour à l'autonomie ;

- les entrées tardives en établissement , souvent liées à une perte d'autonomie de la personne handicapée ou de ses parents qui en assumaient jusque-là la charge, ont été oubliées : le manque de places a pour conséquence que les personnes handicapées vieillissantes demeurées à domicile ont de grandes difficultés à obtenir une place lorsque le placement s'avère nécessaire. Rien n'est prévu non plus pour ménager à cette occasion une transition -psychologique et affective- pour la personne handicapée, en particulier pour préserver le lien avec la famille.

2. L'amélioration des passerelles suppose la définition de parcours individualisés

Devant ce constat, et face à la demande toujours renouvelée des personnes handicapées et de leurs familles, votre rapporteur souhaite que l'action du Gouvernement se concentre sur deux points principaux à même d'améliorer les passages entre domicile et établissement.

a) Le développement d'équipes de suivi

La mise en place d'équipes de suivi doit permettre aux COTOREP et aux CDES d'améliorer la révision périodique de leurs décisions.

Cette problématique de suivi n'est pas nouvelle : il existe déjà, en matière d'emploi, des équipes de préparation et de suivi du reclassement (EPSR), chargées d'élaborer un parcours d'accès à l'emploi avec la personne orientée par la COTOREP vers le milieu ordinaire de travail. De même, un embryon de suivi a vu le jour en matière de scolarisation avec la création des groupes « Handiscol », dont l'une des missions est le suivi des mesures d'intégration scolaire.

Le travail de ces structures comporte cependant deux lacunes :

- le suivi est limité aux personnes orientées en « milieu ordinaire » , ce qui semble supposer qu' a contrario , la prise en charge en établissement est toujours adéquate et ne demande aucun suivi spécifique ;

- la courroie de transmission d'information avec les COTOREP et les CDES semble fort distendue , puisque le suivi assuré n'a, apparemment, pas de conséquence sur la révision des décisions.

Votre rapporteur estime que la création au sein des commissions d'équipes de suivi dotées d'une compétence plus générale est nécessaire, même s'il est conscient que celles-ci n'ont pas actuellement les moyens, notamment humains, d'affecter des personnels de façon permanente à cette tâche.

Il est donc indispensable, dans l'immédiat, de raccourcir les délais de révision des décisions des commissions, en particulier des décisions d'orientation qui demandent sans doute une « mise à jour » plus fréquente que les décisions de fixation du taux d'invalidité ou d'attribution de telle ou telle allocation. Votre rapporteur estime qu'un réexamen tous les deux ans est un minimum pour assurer une prise en compte de l'évolution de la situation de la personne.

Une amélioration de la procédure d'instruction des demandes doit également être engagée. Elle pourrait notamment prévoir un examen plus approfondi lorsque la révision intervient avant le délai légal à la demande de la personne ou de sa famille.

b) L'ouverture des établissements vers le milieu ordinaire

Une plus grande ouverture sur le milieu ordinaire des établissements doit offrir la possibilité pour les personnes hébergées d'acquérir plus d'autonomie. A ce titre, votre rapporteur se félicite des expériences de « CAT hors les murs » ou encore de partage de locaux et de matériel pédagogique menées dans certaines communes entre écoles et établissements spécialisés (IME ou IMPro) et souhaite qu'on leur donne les moyens de se développer. 85 ( * ) Ceci passe par des conventions négociées entre établissements « ordinaires » et spécialisés et par un encadrement renforcé pour assurer la sécurité des personnes les plus fragiles en milieu ouvert.

Les solutions offertes par les structures d'accueil temporaire sont d'autre part encore trop largement ignorées. Il s'agit des structures offrant un accueil de jour ou encore de la possibilité pour les familles de confier leur enfant pour quelques jours. Leur développement permettrait d'assurer de meilleurs transitions entre établissement et domicile, par une insertion progressive dans l'établissement. Un parcours de ce type pourrait notamment être envisagé pour les personnes handicapées vieillissantes, restées toute leur vie à leur domicile.

B. AMÉLIORER L'ACCUEIL EN ÉTABLISSEMENT

La plupart des associations estiment que, malgré le plan triennal engagé par le précédent gouvernement, les prévisions de création de places restent bien en deçà des besoins à satisfaire : pour les seuls enfants handicapés mentaux, les listes d'attente s'élèveraient à 20.000 demandes.

Les attentes des personnes handicapées et de leurs familles ont évolué depuis la mise en place du système créé par les deux lois du 30 juin 1975 86 ( * ) : elles demandent aujourd'hui davantage de solutions de proximité et la prise en compte de nouveaux besoins comme le vieillissement.

Votre rapporteur estime donc que l'amélioration de l'accueil en établissement doit aller au-delà du rattrapage d'un manque objectif de places ; elle doit également assurer une meilleure adéquation entre les institutions de prise en charge et les demandes des personnes handicapées.

1. Une augmentation sensible de la capacité d'accueil en établissement est nécessaire

a) Combler le manque, devenu patent, de places en établissement

L'évaluation du nombre de places manquantes se heurte, comme souvent dans le cadre de la politique en faveur des personnes handicapées, à l'absence de statistiques et d'études de besoins, de la part des services publics.

Les inconnues du nombre de places effectivement installées et pourvues

Ainsi que le notait devant votre commission Mme Monique Rongières, présidente du groupe Polyhandicap France, « les CDES, les COTOREP, les CREAI, l'Etat ou les départements ne disposent pas des outils permettant de réaliser des études de besoins sur quelque sujet que ce soit. Ce sont donc les associations qui les réalisent ». Les seuls chiffres officiels disponibles sont donc ceux du nombre de places dans les structures existantes. Et encore faut-il souligner l'ancienneté de ces derniers : ne sont aujourd'hui disponibles que les données au 1 er janvier 1998.

Nombre de structures, places installées et personnes accueillies au sein des établissements pour enfants handicapés
(au 1 er janvier 1998)

Etablissements pour enfants handicapés

Nombre d'établissements

Nombre de places installées

Nombre de personnes accueillies

Etablissements d'éducation spéciale pour déficients intellectuels

1.194

73.518

73.090

Etablissements d'éducation spéciale pour enfants polyhandicapés

132

4.057

3.937

Instituts de rééducation

345

16.880

16.657

Etablissements d'éducation spéciale pour enfants déficients moteurs

125

7.767

7.745

Instituts d'éducation sensorielle pour enfants déficients visuels

33

2.235

2.065

Instituts d'éducation sensorielle pour enfants déficients auditifs

87

7.606

6.479

Instituts d'éducation sensorielle pour sourds-aveugles

18

1.936

1.723

Services autonomes d'éducation spéciale et de soins à domicile*

563

13.466

13.804

TOTAL

2.497

127.465

125.500

Source : DREES.

* Les services d'éducation spéciale et de soins à domicile rattachés à un établissement d'éducation spéciale ne sont pas comptabilisés ici.

Nombre de structures, places installées et personnes accueillies au sein des établissements pour adultes handicapés
(au 1 er janvier 1998)

Etablissements

Nombre d'établissements

Nombre de places installées

Nombre de personnes accueillies

Maisons d'accueil spécialisées

297

11.774

11.618

Foyers à double tarification

191

6.222

6.325

Foyers de vie ou foyers occupationnels

892

30.022

29.533

Foyers d'hébergement

1.236

39.497

38.589

TOTAL

2.616

87.515

86.065

Source : DREES.

Pour actualiser ces données, les informations issues du répertoire des établissements sanitaires et sociaux (FINESS) sont disponibles. Cependant les chiffres qui en résultent ne sont pas tout à fait comparables à ceux de l'« enquête ES » de 1998.

Votre rapporteur regrette l'absence d'information plus précises, concernant particulièrement le nombre de places installées et le nombre de personnes accueillies 87 ( * ) , nécessaires à une estimation de l'effort supplémentaire à fournir en matière de création de places.

Le tableau ci-après présente ainsi l'évolution du nombre d'établissements depuis cette dernière enquête.

Nombre d'établissements et services

(série chronologique de 1999 à 2002)


Catégories d'établissements et de services

Nombre d'établissements et de services au 01/01

Evolution
2002/1999

1999

2000

2001

2002 au 01/07

En unités

en %

ETABLISSEMENTS ET SERVICES POUR ENFANTS HANDICAPES

Etablissements d'éducation spéciale pour enfants déficients intellectuels

1 183

1.175

1.175

1.189

6

0,5

Instituts de rééducation

340

341

343

348

8

2,4

Etablissements pour enfants polyhandicapés

139

147

152

154

15

10,8

Etablissements d'éducation spéciale pour enfants déficients moteurs

122

121

122

121

- 1

- 0,8

Instituts d'éducation sensorielle pour enfants déficients visuels

34

35

37

35

1

2,9

Instituts d'éducation sensorielle pour enfants déficients auditifs

89

95

94

108

19

21,3

Instituts d'éducation sensorielle pour sourds-aveugles

17

17

14

13

- 4

- 23,5

Centres de placement familial spécialisé

57

56

79

78

21

36,8

Foyers d'hébergement pour enfants et adolescents handicapés

26

27

27

25

- 1

- 3,8

Services autonomes d'éducation spéciale et de soins à domicile

580

607

656

922

342

59,0

ETABLISSEMENTS POUR ADULTES HANDICAPES

Centre d'aide par le travail

1.294

1.319

1.332

1.360

66

5,1

Centres de rééducation, réadaptation et formation professionnelle

87

89

88

87

0

0,0

Foyers d'hébergement pour adultes handicapés

1.229

1.243

1.269

1.292

63

5,1

Foyers de vie pour adultes handicapés (foyers occupationnels)

911

953

993

1.075

164

18,0

Maisons d'accueil spécialisées

306

316

330

362

56

18,3

Foyers à double tarification

202

220

234

294

92

45,5

Centres de placement familial pour adultes handicapés

14

116

20

19

5

35,7

Source FINESS

Ces statistiques mettent en lumière une évolution contrastée de l'effort de création de places en établissements :

- l'accroissement du nombre de SESSAD (+ 59 % entre 1999 et 2002) traduit un début de prise en compte par les pouvoirs publics de la volonté des personnes handicapées de rester davantage à leur domicile ;

- l'augmentation du nombre de foyers de vie, de MAS et de FDT montre l'amorce de la mise en oeuvre du plan pluriannuel de création de places pour adultes lourdement handicapés.

Cet effort est surtout porté par les départements puisque les seules progressions significatives (+ 45,5 % pour les FDT, + 35,7 % pour les centres de placement familiaux) concernent des établissements dont la création ressort des départements. Cet effort contraste avec la stagnation de l'effort de l'Etat (+ 5,1 % seulement en 5 ans pour les CAT).

Les difficultés d'estimation des listes d'attente

Les estimations des associations, qui portent essentiellement sur la population d'âge scolaire, font état d'entre 13.000 et 20.000 enfants en liste d'attente pour accéder à des instituts spécialisés 88 ( * ) . Ces résultats sont fortement contestés par le ministère de l'Education nationale qui estime que les bases statistiques sur lesquelles ils s'appuient se recoupent partiellement et fusionnent au sein d'une même évaluation des situations qui ne sont pas comparables.

Une autre enquête, conduite auprès des inspecteurs d'académie et des DDASS et fondée sur les listes d'attente d'enfants orientés en CDES qui n'ont pas de place en établissement, aboutit à un chiffre plus restreint de 6.600 places manquantes à la rentrée scolaire 2001 en établissements spécialisés ou en classes d'intégration collective (CLIS et UPI) 1 .

Ces discordances viennent encore une fois renforcer le sentiment que notre système d'information est dans l'incapacité de fournir des statistiques fiables.

Le précédent gouvernement s'était engagé sur un plan pluriannuel de création de places couvrant la période 1999-2003 et prévoyant 16.500 places supplémentaires pour adultes handicapés et un plan de rattrapage en faveur des autistes et des traumatisés crâniens. Une insuffisante évaluation des besoins à l'ouverture de ce plan a abouti au lancement d'un plan triennal venant s'ajouter au premier, visant plus particulièrement les personnes handicapées vieillissantes et les personnes les plus lourdement handicapées.

PLAN APRÈS PLAN : L'EFFORT DE CRÉATION DE PLACES EN ÉTABLISSEMENT SPÉCIALISÉ

• Le plan pluriannuel de création de places pour adultes lourdement handicapés 1999-2003

Il a un triple objectif :

- mettre un terme à la situation des jeunes adultes maintenus, faute de places, dans les établissements d'éducation spéciale ;

- absorber, tout en le régulant, le flux de sortie des établissements médico-sociaux d'éducation spéciale vers les établissements pour adultes ;

- faire bénéficier les personnes inscrites sur les listes d'attente des places nouvelles et des places libérées.

Il prévoit la création sur 5 ans de 5.500 places supplémentaires de maisons d'accueil spécialisées et de foyers à double tarification, de 8.500 places de centres d'aide par le travail et de 2.500 places en ateliers protégés.

Le coût cumulé de ce plan est évalué à 206 millions d'euros sur les crédits d'assurance maladie et 95 millions sur le budget de l'Etat.

• Le plan triennal 2001-2003 en faveur des enfants, adolescents et adultes handicapés

Pour un financement total de 116,65 millions d'euros sur trois ans, le plan prévoit trois séries de mesures :

- favoriser le maintien ou le retour des personnes handicapées en milieu ordinaire, grâce au développement des services d'aide et de soin à domicile (SESSAD), des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) et à la généralisation des « sites pour la vie autonome » ; la création de 3.000 emplois supplémentaires d'auxiliaires de vie est prévue, pour un coût pour l'Etat de 30 millions d'euros ;

- amplifier les efforts de création de places en établissements, pour les handicaps les plus lourds (polyhandicap, autisme, traumatisés crâniens) ou les plus spécifiques (personnes handicapées vieillissantes) ; un financement de 23 millions d'euros est prévu sur la durée du plan ;

- moderniser et renforcer les ateliers protégés (15 millions d'euros sur 3 ans).

Votre rapporteur ne peut qu'approuver la prise de conscience des manques qu'illustrent ces plans et les efforts engagés pour y remédier. Il constate néanmoins que ceux-ci sont à peine suffisants pour rattraper le déficit constaté. Il convient de poursuivre cet effort pour absorber le flux normal des nouvelles demandes.

Au-delà du développement du nombre de places, votre rapporteur insiste également sur leur répartition : il est indispensable d'assurer une répartition des places plus harmonieuse sur l'ensemble du territoire national, pour mettre en rapport le nombre de places avec la population totale.

b) Résoudre enfin les difficultés nées de l'amendement Creton

L'adoption de l'article 22 de la loi du 13 janvier 1989 portant diverses mesures d'ordre social -couramment désigné sous l'appellation « amendement Creton »- procédait de l'intention généreuse, de garantir une continuité de prise en charge aux jeunes handicapés confrontés à l'insuffisance des capacités d'accueil des établissements pour adultes.

Cet article instaure donc un dispositif transitoire permettant à un jeune adulte handicapé, orienté par la COTOREP vers un établissement où aucune place n'est disponible, de bénéficier d'un prolongement du placement au sein de l'établissement d'éducation spécialisée où il se trouvait.

Selon le ministère des Affaires sociales, 3.920 jeunes adultes bénéficiaient de ces dispositions au 31 décembre 1998, ce qui représente 3,1 % de l'effectif total des établissements pour enfants ou adolescents handicapés.

L'enquête HID de l'INSEE évalue, quant à elle, la population de plus de 20 ans hébergée dans des établissements pour enfants à 5 % de leur effectif. Ce chiffre s'élève jusqu'à 8,8 % en moyenne dans les établissements pour enfants handicapés moteurs.

Le maintien de jeunes adultes dans des structures pour enfants génère nécessairement des perturbations dans l'activité de ces structures. Elle est aussi, et surtout, à l'origine de listes d'attente pour les enfants et adolescents qu'elles ont pourtant vocation à accueillir, en particulier pour les petites structures et pour celles, déjà rares, accueillant des pathologies plus lourdes ou mal connues.

Dans ce contexte, votre rapporteur insiste sur la nécessité de mettre l'accent sur le développement des structures pour adultes handicapés, de manière à « désengorger » les établissements pour enfants . Le précédent gouvernement s'était engagé sur un plan pluriannuel de créations de places pour les adultes les plus lourdement handicapés, chiffré à hauteur de 300 millions d'euros sur la durée du plan.

Votre rapporteur approuve bien entendu cette démarche, mais il souligne cependant la nécessité d'un suivi, en particulier en termes de créations effectives de places. En effet, les éléments sur l'exécution réelle de ces deux plans successifs sont rares : 2.784 places réalisées sur les crédits du plan triennal (lequel fixait une dotation sans fournir d'objectifs en termes de nombre de places créées) et des crédits ouverts pour 12.500 places, concernant le plan pluriannuel (sans évaluation du nombre de places effectivement créées).

Il lui paraît également indispensable d'améliorer les passerelles, à la sortie de l'éducation spécialisée, à la fois vers les établissements pour adultes et vers le milieu ordinaire, donc de mettre en oeuvre le plus en amont possible des parcours personnalisés pour éviter les impasses et les ruptures de prise en charge.

c) Mettre en place un plan de rattrapage pour les structures accueillant les pathologies les plus lourdes

Les personnes auditionnées par votre commission ont été nombreuses à souligner une méconnaissance particulièrement importante des besoins en matière de prise en charge et de structures pour des pathologies lourdes, comme le polyhandicap, l'autisme ou les traumatismes crâniens. L'exemple, souvent cité, des familles obligées de placer leur enfant autiste dans un établissement spécialisé en Belgique est significatif à cet égard.

Ces pathologies nécessitent des structures adaptées à la fois à leur gravité et à leurs particularités. Elles requièrent en particulier des soins et une surveillance constants que, seules, parmi les structures traditionnelles, pouvaient jusqu'à présent offrir les « maisons d'accueil spécialisées » (MAS).

L'ACCUEIL EN ÉTABLISSEMENT DES ADULTES HANDICAPÉS

Les foyers d'hébergement pour travailleurs handicapés assurent l'hébergement et l'entretien des travailleurs handicapés exerçant une activité pendant la journée en centres d'aide par le travail, en ateliers protégés ou en milieu ordinaire. Ils peuvent être publics ou privés.

Une équipe composée de travailleurs sociaux assure l'encadrement, le soir et le week-end, des travailleurs hébergés au foyer. Les prestations médicales sont assurées par des médecins libéraux rémunérés à l'acte.

Les dépenses d'exploitation du foyer d'hébergement sont prises en charge par l'aide sociale départementale sous forme de prix de journée. Les travailleurs handicapés sont appelés à contribuer à leurs frais d'hébergement et d'entretien.

Les foyers occupationnels ou foyers de vie pour personnes handicapées sont des établissements médico-sociaux accueillant toute la journée des personnes qui ne sont pas en mesure de travailler mais qui, disposant d'une certaine autonomie physique ou intellectuelle, ne relèvent pas des maisons d'accueil spécialisées (MAS). En général, les foyers de « vie » sont ouverts toute l'année et peuvent offrir un accueil à la journée ou à temps complet.

Une équipe composée, en majorité, de travailleurs sociaux et éventuellement de personnel médical et paramédical assure le fonctionnement de la structure.

Les dépenses d'exploitation des foyers de vie sont prises en charge par l'aide sociale départementale sous forme de prix de journée.

Les foyers expérimentaux à double tarification pour adultes lourdement handicapés (FDT) sont destinés à accueillir des personnes lourdement handicapées dont la dépendance totale ou partielle, constatée par la COTOREP, les rend inaptes à toute activité à caractère professionnel, leur fait obligation de recourir à l'aide d'une tierce personne pour la plupart des actes essentiels de l'existence, et nécessite une surveillance médicale et des soins constants.

Les FDT sont financés par :

- les régimes d'assurance maladie, qui prennent en charge, de manière forfaitaire, l'ensemble des dépenses afférentes aux soins, personnels et matériels médicaux et paramédicaux. Le montant maximum du forfait-soins a été fixé primitivement à 250 francs, dans la limite de 45 % du prix de journée global net. Pour 1998, son montant est de 362,77 francs ;

- l'aide sociale départementale, qui assume le coût de l'hébergement et l'animation des établissements.

Les maisons d'accueil spécialisées (MAS) sont des établissements médico-sociaux recevant des adultes handicapés qui ne peuvent effectuer seuls les actes essentiels de la vie et dont l'état nécessite une surveillance médicale et des soins constants.

Les soins constants, dont la personne admise dans une maison d'accueil spécialisée a besoin, ne sont pas des thérapeutiques actives ni des soins intensifs qui ne pourraient être dispensés que dans un établissement de soins.

Il s'agit essentiellement d'une surveillance médicale régulière avec recours au médecin, en cas d'urgence, et de la poursuite des traitements et des rééducations d'entretien, des soins de maternage et de nursing requis par l'état des personnes accueillies.

Compte tenu de la lourdeur du handicap, le taux d'encadrement dans ce type d'établissement est de un pour un. Il comprend du personnel médical et paramédical permettant d'assurer la surveillance médicale, du personnel nécessaire pour les aides et les soins quotidiens d'entretien et de rééducation ainsi que du personnel d'animation pour les activités occupationnelles et d'éveil.

Les MAS sont financées à 100 % par les organismes de sécurité sociale, et par le biais d'un prix de journée.

Ces structures restent peu nombreuses (362 en tout en France métropolitaine) et leurs capacités d'accueil sont insuffisantes : elles offraient, au 1 er janvier 1998, 11.700 places, alors que la seule population autiste est évaluée à 30.000 personnes.

Le développement de structures susceptibles d'accueillir ce type de pathologies demande donc un effort particulier et des solutions inventives.

Il paraîtrait opportun de s'inspirer des structures mixtes, comme les foyers à double tarification, qui offrent l'avantage d'une plus grande souplesse de création tout en préservant un service de soins constants nécessaires à ces pathologies. Si cette solution était privilégiée, il faudrait toutefois clarifier les relations entre les deux financeurs (départements et assurance maladie) et s'assurer d'une certaine homogénéité de la prise en charge à travers le territoire.

d) Permettre aux établissements de fonctionner au mieux de leurs capacités d'accueil

• Améliorer la gestion des listes d'attente

Les listes d'attentes que connaissent la majorité des établissements ne résultent que pour partie du manque de places et la création de places supplémentaires n'est pas, de ce fait, la panacée.

Deux facteurs contribuent plus particulièrement à leur allongement :

- l'absence d'information sur les disponibilités des différents établissements, au niveau des CDES et des COTOREP : la mise en place de réseaux d'information entre établissements et commissions d'orientation devrait permettre d'accélérer le placement de certaines personnes, en évitant l'inscription sur la liste d'attente d'un établissement alors que son voisin n'a pas pourvu toutes ses places ;

- les défauts d'orientation en COTOREP et en CDES, qui dirigent souvent les personnes vers le secteur institutionnel au lieu de chercher des solutions de prise en charge à domicile.

C'est pourquoi, conformément à l'objectif d'intégration revendiqué par les personnes handicapées et leurs familles, votre rapporteur estime que les créations de places doivent être précédées d'une évaluation des besoins et qu'une orientation ferme doit être prise pour le développement des structures en milieu ouvert.

Eviter le fonctionnement en sous-régime de certains établissements

Au vu de ces listes d'attente et même si des mesures sont prises pour les résorber, on peut légitimement considérer comme anormal qu'un certain nombre d'établissements soient contraints de fonctionner en sous-régime et ne puissent pourvoir toutes leurs places, par manque de personnel.

Un besoin important de personnel supplémentaire a en effet été créé du fait de la réduction du temps de travail, car la faiblesse des gains de productivité dans ce secteur a empêché une compensation par le biais d'une réorganisation du travail : la durée de l'assistance requise par une personne handicapée reste en effet la même quels que soient les horaires des travailleurs sociaux et la réorganisation du temps de travail est limitée compte tenu des seuils d'encadrement des publics accueillis.

Or, le passage au 35 heures a également renchéri le coût du recrutement et les établissements, financés largement par l'aide sociale départementale et par l'assurance maladie, n'ont pas vu pour autant leurs ressources augmenter.

Les particularités du travail en établissement, et notamment la question des heures d'équivalence en chambre de veille, et des retards dans l'agrément des accords de passage aux 35 heures ont achevé d'amputer les marges de manoeuvre des établissements en matière de recrutement.

Votre rapporteur souhaite que, dans le cadre de l'assouplissement des 35 heures envisagé par le gouvernement, la question particulière des établissements sociaux et médico-sociaux trouve une solution.

Cependant les difficultés de recrutement des établissements ne tiennent pas uniquement aux problèmes de financement de ces postes supplémentaires.

Le recrutement est également rendu difficile par le manque de candidats peu attirés par des professions tout à la fois exigeantes et peu valorisées.

Les professions sociales dans les établissements pour personnes handicapées
(situation au 1 er janvier 1998 - France entière)

Professions sociales selon le lieu de travail en nombre d'emplois

Etablissements et services pour enfants handicapés

Etablissements
pour adultes handicapés

Assistant de service social

1.334

719

Conseiller en économie sociale et familiale*

235

262

Educateur de jeunes enfants

915

111

Educateur spécialisé

16.434

7.372

Moniteur éducateur

6.673

5.979

Aide médico-psychologique

4.254

14.294

Educateur technique spécialisé

2.362

1.397

Educateur technique

1.429

788

Moniteur d'atelier

472

8.987

Animateur socioculturel

126

754

Assistante maternelle

1.566

56

Autres personnels éducatifs et sociaux

1.266

1.837

TOTAL

37.066

42.556

Sources : DRESS, INSEE, DARES, MSA, UNCANSS, Caisse des mines.

* Les moniteurs d'enseignement ménager et les conseillers conjugaux et familiaux sont comptabilisés avec les CESF.

Votre rapporteur se félicite de la volonté affichée par le précédent gouvernement de revaloriser ces formations et d'en relever le numerus clausus.

Il observe néanmoins qu'un retard important a été pris dans la mise en oeuvre de cette volonté, puisque trois ans ont été nécessaires, depuis la loi du 29 juillet 1998 de lutte contre les exclusions , pour mettre en place le « schéma national des formations sociales » . Lorsque ce schéma a enfin pu procéder à une évaluation des besoins et servir de base à un plan pluriannuel de développement des formations en travail social, ce dernier n'a pu prévoir une augmentation substantielle des places de formation qu'à compter de la rentrée 2002.

Il appartiendra au nouveau gouvernement à tout le moins d'achever le nécessaire rattrapage prévu et d'évaluer les besoins nouveaux. Votre rapporteur insiste également sur la nécessité de prévoir, dans le cadre de ce plan, des perspectives d'évolution et de carrière pour ces personnels, pour accroître la stabilité des effectifs dans les établissements.

2. L'émergence de nouveaux besoins demande une adaptation de l'offre des établissements

a) Privilégier les solutions de proximité

Le manque de places, leur mauvaise répartition, la qualité inégale des orientations effectuées par les COTOREP contribuent souvent à donner aux personnes handicapées l'impression qu'elles sont de simples dossiers à traiter.

En l'absence de système d'information sur les places disponibles, les personnes sont orientées, soit vers des listes d'attente, soit vers des établissements à l'autre extrémité du département (quand ce n'est pas à l'autre extrémité du pays) obligeant les familles à des trajets souvent longs. Ce placement se fait de l'intérêt de la personne handicapée qui sortira moins souvent de l'établissement, recevra moins de visites, rentrera moins souvent dans sa famille.

Les frontières administratives entre départements rendent parfois impossibles des placements qui privilégieraient pourtant la proximité : Mme Monique Rongières, devant votre commission, s'indignait d'une situation qu'elle qualifiait d'« ubuesque » : « L'un des établissements dont je préside le conseil d'administration est situé dans l'Eure, à trois kilomètres de l'Eure-et-Loir. Or, un enfant provenant de ce département n'a pu être admis dans l'établissement ! En revanche, on accepte en tant qu'externe un enfant qui se trouve à Pont-Audemer dans l'Eure, l'obligeant à faire des dizaines de kilomètres de route par jour. ».

Votre rapporteur souligne l'importance des solutions de proximité dans la prise en charge des personnes handicapées. Dans cette perspective, renforcer les possibilités de choix des familles permettrait, dans la mesure où celles-ci disposent souvent d'informations sur les disponibilités et la localisation des établissements que n'ont pas les COTOREP, un accueil de meilleure qualité.

Parmi les solutions de proximité à développer, figure également l'accueil familial. Si la loi dite de « modernisation sociale » du 17 janvier 2002 a permis d'améliorer le statut des accueillants, leur formation et les garanties pour les familles, il paraît nécessaire d'améliorer l'information sur ce type d'accueil pour en développer l'offre.

b) Améliorer la prise en charge des personnes handicapées vieillissantes

Une proportion croissante de la population handicapée atteint aujourd'hui l'âge de 60 ans : ainsi parmi la population accueillie aujourd'hui en établissement, la population de moins de 30 ans ne représente plus qu'un tiers des personnes accueillies alors que les plus de 40 ans regroupent près de 30 % des effectifs. Ce vieillissement des personnes handicapées se caractérise par sa précocité et par des pathologies surajoutées qui demandent une prise en charge spéciale.

Or, les concepteurs de la loi de 1975 n'avaient pas anticipé que ces personnes, comme le reste de la population, bénéficieraient dans une telle proportion de l'allongement de l'espérance de vie. Par conséquent, cet aspect a été très mal pris en compte et peu d'établissements offrent des services adaptés à ce problème particulier.

L'insuffisance du nombre de places adaptées a des répercussions non négligeables, ainsi que l'analysait, en 1998, Mme Janine Cayet dans son rapport devant le Conseil économique et social 89 ( * ) :

- les structures d'accueil ne peuvent plus absorber les flux des nouveaux entrants, du fait du maintien, dans des établissements pourtant souvent inadaptés, de personnes handicapées vieillissantes ;

- la gestion des entrées tardives de personnes handicapées demeurées jusque là à leur domicile devient problématique ;

- les taux d'occupation des structures d'accueil sont particulièrement élevés, ce qui ne facilite pas les travaux d'adaptation nécessaires à ce nouveau type de population ;

- la pénurie conduit une grande majorité des personnes handicapées vieillissantes à accepter un placement en structures sanitaires ou en maisons de retraite classiques, inadaptées à leurs particularités.

Dans le cadre du plan triennal 2001-2003 de création de places, le précédent gouvernement avait prévu une enveloppe de 45 millions de francs (6,9 millions d'euros) pour le développement de places adaptées aux personnes handicapées vieillissantes.

Votre rapporteur craint que cette mesure reste largement insuffisante, moins dans son montant que du fait de l'absence de réflexion sur les modalités de ce développement.

La solution de facilité serait en effet d'accepter une multiplication des places en maisons de retraite. L'avantage avancé est celui d'une mixité favorisant l'insertion. Cependant la prise en charge en maison de retraite serait largement moins adaptée et moins stimulante pour la personne handicapée. Par ailleurs, la différence d'âge entre les deux populations peut atteindre 40 ans, compte tenu de la précocité du vieillissement chez les personnes handicapées, ce qui implique une prise en charge très différente.

Le développement de places en maison de retraite ne doit pas non plus servir d'alibi aux structures spécialisées pour ne pas s'adapter à ce changement démographique qui modifie à long terme le profil de la population handicapée prise en charge.

Votre rapporteur tient à rappeler que la « barrière des 60 ans » souvent opposée par les établissements spécialisés résulte uniquement de contraintes issues des agréments passés avec les départements pour l'accès à l'aide sociale. Cette barrière peut donc, par une négociation avec les départements, être aménagée et l'a déjà été au cas par cas, pour des établissements « pilotes ».

La solution du développement de sections adaptées au sein des établissements pour adultes handicapés semble, en effet, la plus cohérente , dans la mesure où elle permet une stabilité, à la fois matérielle et affective, pour la personne ainsi qu'une prise en charge adaptée au handicap. Des solutions de transition sur le modèle des accueils de jour doivent également être développées , pour faciliter l'entrée en établissement des personnes demeurées toute leur vie à leur domicile et qui sont contraintes, du fait de leur propre vieillissement ou de celui de leurs aidants, à en faire la demande.

3. L'accent doit être mis sur la qualité de l'hébergement assuré

a) Le maintien de la qualité de vie des personnes hébergées en institution

Plusieurs responsables d'associations gestionnaires ont insisté, devant votre commission, sur le fait que le manque de personnel et des contraintes accrues en terme de temps de travail conduisaient à une baisse de la qualité de vie pour les personnes accueillies et avaient pour conséquence une réduction des vacances organisées, des sorties et des loisirs extérieurs, par manque d'encadrement.

Comment, en effet, assurer à un moniteur qui emmène en excursion ou en vacances un petit groupe d'enfants handicapés sa pause obligatoire légale de 20 minutes toutes les 6 heures sans risquer de mettre en danger les enfants dont il a la charge ? Comment respecter la durée maximale légale du travail quand on accompagne en vacances  un groupe de personnes handicapées nécessitant une présence de nuit, lorsque la définition du temps de travail inclut le temps de présence de nuit ?

Il paraît donc urgent à votre rapporteur de parvenir, dans le respect des droits légitimes des salariés, à un assouplissement des règles en matière de définition et de décompte du temps de travail, en particulier sur le régime des heures de récupération et des heures d'équivalence en chambre de veille pour permettre un maintien de la qualité de la prise en charge.

b) La lutte contre la maltraitance en institution : une priorité

La qualité de l'hébergement suppose enfin et surtout le respect fondamental de la dignité des personnes accueillies. L'émotion suscitée par la multiplication et la médiatisation récente de cas de maltraitance dont auraient été victimes des personnes handicapées hébergées dans des établissements spécialisés doit inciter le législateur à renforcer le contrôle et l'évaluation de ces structures.

La loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale a, d'ores et déjà, adopté, en particulier sous l'impulsion du Sénat, des dispositions visant à renforcer ce contrôle : élaboration d'une charte déontologique, renforcement des prérogatives du préfet en matière de dissolution d'une association après des agissements fautifs, mise en oeuvre de mesures conservatoires.

Votre rapporteur insiste sur la nécessité de prendre rapidement les décrets d'application de cette loi, de façon à conforter la base légale des actions entreprises par les préfets. Il souligne également la nécessité d'une formation et d'une sensibilisation des personnels à ces questions, de manière à ce qu'ils puissent, le cas échéant, jouer leur rôle d'alerte.

V. CONNAÎTRE, PRÉVENIR ET SOULAGER LE HANDICAP

La mise en oeuvre d'une politique en direction des personnes handicapées serait fort incomplète si elle ne comportait pas un important volet de recherche et de prévention. Pour cela, la connaissance du handicap (population concernée et origine du handicap) est un préalable nécessaire.

Force est cependant de constater qu'en France, l'information statistique sur le handicap reste dispersée, la recherche désorganisée et sans axe directeur.

La prévention se heurte, quant à elle, aux limites du dépistage et au manque d'efficacité des campagnes visant à décourager les comportements à risque.

Votre rapporteur estime donc que ces trois axes (connaissance, prévention et recherche) doivent être redynamisés.

A. CONNAÎTRE LE HANDICAP : UN PRÉALABLE TROP LONGTEMPS NÉGLIGÉ

Promouvoir la conduite d'une politique en direction des personnes handicapées sans connaître la population à laquelle elle s'adresse relève de la gageure. Pourtant, à la simple question -combien de personnes handicapées en France ?- il n'y a pas de réponse ou en réalité il y a une pluralité de réponses, qui recouvre des réalités différentes et varie selon la définition retenue du handicap : on passe ainsi de 1,8 million de personnes handicapées pour les uns à plus de 22 millions selon d'autres.

La multiplicité de sources statistiques déconnectées les unes des autres et, plus grave, l'impossibilité de parvenir à une définition consensuelle de la notion même de handicap expliquent en grande partie la mauvaise connaissance de la population handicapée en France.

Mieux connaître cette population est un impératif pour adapter les moyens de notre politique en faveur des personnes handicapées. Ce doit aussi être le moyen de s'assurer que notre système ne laisse pas de côté une population aujourd'hui ignorée et qui devrait recevoir des aides spécifiques liées au handicap.

1. La connaissance du handicap se heurte à une absence de définition commune

a) Les silences de la loi du 30 juin 1975

La loi du 30 juin 1975, dans son article premier 90 ( * ) , confère solennellement à la prévention, aux soins et à l'intégration sociale sous toutes ses formes de la personne handicapée le caractère d'une « obligation nationale ».

Mais elle reste muette quant à la définition même qu'elle retient de la notion de handicap, renvoyant celle-ci à l'appréciation de commissions ad hoc , les COTOREP et les CDES.

Encore convient-il de préciser que son article 13 91 ( * ) n'aborde que la question du « travailleur handicapé » dont la « qualité (...) est reconnue » par la COTOREP

Cette absence volontaire de définition légale qui recouvre en réalité une absence de consensus quant à la définition du handicap ne pose pas qu'une question théorique, elle emporte des conséquences en termes d'égalité de traitement des personnes handicapées. Devant votre commission, M. Patrick Segal, délégué interministériel aux personnes handicapées, soulignait les différences d'appréciation du taux d'invalidité d'une COTOREP à l'autre qui résultent de cette absence de définition commune du handicap : « On passe du simple au double sur les évaluations. On voit bien que les familles aujourd'hui n'hésitent pas à changer de département, car elles auront un meilleur traitement dans le département voisin ».

Il faut également souligner l'absence totale de lisibilité du système de reconnaissance du handicap, qui, fondé sur un éparpillement des régimes en fonction de l'origine du handicap (accident du travail, accident de la vie quotidienne, blessure de guerre...) et non de sa nature, contribue à une appréciation différenciée du handicap et à des différences de traitement difficilement explicables.

Ces inégalités sont soulignées par les concepteurs de l'enquête « Handicap-Incapacité-Dépendance » (HID) de l'INSEE : « Une même personne peut compter jusqu'à quatre ou cinq taux ou catégories d'incapacité ou d'invalidité différents attribués par la sécurité sociale, les COTOREP, une assurance, l'armée... ».

LE HANDICAP : UNE NOTION QUI VARIE AU GRÉ
DES MODÈLES RETENUS

Dénombrer la population handicapée demande un préalable minimum : un accord sur la définition du handicap. Cet accord semble, à ce jour, introuvable en France :

- Le modèle de l'inadaptation qui a inspiré la genèse du système de prise en charge du handicap en France et qui insiste sur des données naturelles, individuelles, semble aujourd'hui restrictif : il cantonne le handicap dans une définition strictement médicale et occulte les efforts que doit faire la société elle-même pour intégrer les personnes handicapées. Il aboutit de plus, en termes de prise en charge, à un raisonnement en termes de seuil qui minimise l'étendue des besoins.

- Le modèle environnemental , développé en réaction à cette approche strictement individuelle, a pour particularité de ne faire référence ni à la déficience ni à l'incapacité et renvoie à une conception la plus extensive imaginable du handicap. Il s'appuie sur une définition du handicap issue des « règles pour l'égalisation des chances des personnes handicapées » des Nations-Unies publiées en 1982 : « Le handicap est fonction des rapports des personnes handicapées avec leur environnement. Il surgit lorsque ces personnes rencontrent des obstacles culturels, matériels et sociaux qui sont à la portée de leurs concitoyens. Le handicap réside donc dans la perte ou la limitation des possibilités de participer, sur un pied d'égalité avec les autres individus, à la vie de la communauté ». Cette définition extensive a pour conséquence d'assimiler les personnes handicapées, au sens ordinaire du terme, à des « exclus parmi d'autres ».

Du renvoi aux COTOREP et aux CDES résulte en définitive une préférence pour le « dénombrement administratif » de la population handicapée, à travers le nombre de bénéficiaires des mesures d'aide en faveur des personnes handicapées, méthode qui prend mal en compte les besoins insatisfaits et les besoins nouveaux ainsi que leur évolution.

b) Une clarification nécessaire par l'adoption de la « classification internationale »

La France a adopté, en 1988, la « Classification internationale des handicaps » de l'OMS 92 ( * ) . Cette classification, élaborée en 1980 par le Britannique Philipp Wood, (et complétée depuis à plusieurs reprises) s'appuie sur une nomenclature « déficiences, incapacités, désavantages » et présente l'avantage d'associer les paramètres individuels (les « déficiences ») et sociaux (les « désavantages ») pour offrir un point de vue plus global sur le handicap. Elle devrait servir de base aux guides méthodologiques des COTOREP et des CDES, sur lesquels ces commissions s'appuient pour apprécier le handicap.

Cependant, elle reste mal prise en compte, ou de façon parcellaire : en témoigne le fonctionnement en deux sections des COTOREP. La première, dans la logique environnementale, apprécie le handicap dans ses conséquences sur l'intégration professionnelle de la personne handicapée, tandis que la seconde s'attache presque exclusivement aux déficiences dont souffre l'individu, à travers la définition d'un taux d'invalidité.

Cette classification internationale a, en outre, connu, à l'initiative de l'OMS, des modifications qui approfondissent encore l'analyse de l'interaction entre les déficiences individuelles et le milieu 93 ( * ) . Or, ces modifications sont largement ignorées en France, où l'outil statistique se fonde toujours sur une appréciation très individuelle et médicale du handicap.

La différence de périmètre retenu pour la définition du handicap rend les comparaisons internationales impossibles. Revenant ainsi, au cours de son audition, sur la nécessité de mieux connaître la population handicapée, M. Patrick Segal, délégué interministériel aux personnes handicapées, faisait part de ce paradoxe : « si l'on regarde les chiffres européens, où les méthodes d'évaluation et de comptage ont été totalement différentes, nous sommes passés du simple au double : la France est à 5 %, le reste de l'Europe est à peu près à 10 %. Comment, par quel miracle de la médecine, de la prise en charge, n'aurions-nous que la moitié des personnes handicapées dans notre pays ? »

Or, la possibilité d'utiliser des comparaisons internationales est un outil de connaissance nécessaire tant pour la description que pour la conception des modalités de prise en charge de la population handicapée.

Au-delà de l'utilité de cette classification pour permettre des comparaisons internationales et européennes, l'analyse sous-jacente de la CIF emporte des conséquences pratiques pour la politique en faveur des personnes handicapées. Elle renforce en particulier la légitimité des politiques d'accessibilité, en mettant l'accent sur les obstacles élevés par la société qui aggravent le handicap.

Il apparaît donc nécessaire à votre rapporteur d'adopter la « classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé » , et d'en intégrer les enseignements dans les grilles de traitement des demandes de reconnaissance de la qualité de personne handicapée utilisées par les COTOREP et les CDES et dans la mise en oeuvre des politiques d'accessibilité.

Il s'agit néanmoins d'être rigoureux dans l'application de cette classification, pour en éviter la dérive vers une appréciation abusivement sociale du handicap, qui nierait sa spécificité.

2. L'information statistique sur le handicap reste insuffisante et perfectible

a) La multiplicité des dénombrements

L'information statistique sur le handicap est dans une situation paradoxale en France : elle ne fait pas défaut, elle est au contraire multiple et diverse. Mais cette information est partielle et émane d'organismes dont les objectifs ne sont pas les mêmes et qui retiennent par conséquent des critères de dénombrement différents. Aussi, les estimations de la population handicapée varient aujourd'hui de 1,8 million de personnes à plus de 22 millions.

COMBIEN DE PERSONNES HANDICAPÉES ?

Les évaluations actuellement disponibles sont à la fois anciennes et contradictoires

Les évaluations existantes jusqu'en 1997 ont emprunté deux méthodes :

- La méthode des enquêtes statistiques : l'enquête INSEE « Conditions de vie » de 1987 fait ressortir un chiffre de 3,2 millions de personnes se déclarant handicapées, soit environ 6 % de la population française . Cette estimation semble confirmée par l'étude du CTNERHI menée en 1994 qui aboutit au chiffre voisin de 3,4 millions de personnes.

L'enquête décennale Santé de l'INSEE de 1991 donne quant à elle une estimation beaucoup plus large du handicap, puisque, selon elle, 5,5 millions de personnes déclarent un handicap ou une gêne dans la vie quotidienne .

- Le dénombrement par les « seuils administratifs » : cette méthode donne une estimation plus faible du nombre de personnes handicapées car elle s'attache aux personnes touchées par un handicap suffisamment sévère pour bénéficier de mesures de reconnaissance et de protection.

On dénombre ainsi 2.387.000 personnes de plus de 20 ans atteintes d'un handicap entraînant un taux d'incapacité supérieur à 80 % (enquête CTNERHI-DASES Paris 1995, auprès d'un échantillon de demandeurs de la carte d'invalidité).

Une méthode plus restrictive consiste à dénombrer les personnes dont le handicap restreint significativement l'autonomie et affecte l'intégration scolaire, sociale ou professionnelle, à travers :

- les bénéficiaires de l'abattement spécial pour le calcul de l'impôt sur le revenu ou ouvrant droit à une majoration du nombre de parts fiscales (1,58 million de personnes) ;

- les bénéficiaires de l'AAH souffrant d'une incapacité comprise entre 50 et 80 % qui les met dans l'impossibilité, reconnue par la COTOREP, de trouver un emploi (139.000 personnes) ;

- les enfants et adolescents accueillis en établissements ou services d'éducation spéciale dont le taux d'incapacité est compris entre 50 et 80 % (et qui n'entrent pas de ce fait dans la première catégorie) : leur nombre est évalué au tiers environ de la population accueillie dans ces services, soit 44.000 enfants ;

- une partie des personnes touchant une pension d'invalidité de la sécurité sociale, à savoir celles qui ont une réduction des 2/3 de leur capacité professionnelle et une incapacité de travailler reconnue par le médecin-conseil mais qui n'ont pas pu prétendre à une carte d'invalidité (55.000 personnes).

Cette méthode aboutit à un chiffre d'environ 1.814.000 personnes (à partir d'estimations base 91, dernière série statistique complète disponible).

Les résultats définitifs d'une évaluation plus récente ne sont toujours pas disponibles

Les faiblesses des deux méthodes précédentes ont conduit l'INSEE à lancer, en 1998, l'enquête « Handicap-Incapacité-Dépendance », dont l'objectif est à la fois de compter et de décrire la population concernée. Elle vise toutefois une cible très large puisqu'elle tend à établir une estimation du nombre de personnes touchées par divers types de handicaps, y compris ceux liés à l'âge .

Cette enquête est effectuée auprès de deux échantillons (le premier issu de la population vivant en institution, le second constitué de personnes vivant à domicile).

A l'heure actuelle, les seuls résultats définitifs disponibles concernent la population vivant en institution . Les établissements pris en compte regroupent à la fois les établissements pour personnes handicapées, les établissements psychiatriques de long séjour et les établissements pour personnes âgées. Cette population est estimée à 660.000 personnes . Parmi elles, 629.000 déclarent au moins une déficience et 573.000 considèrent que celle-ci n'a pas pour origine le vieillissement.

Les premiers résultats de l'enquête à domicile font ressortir un chiffre de 2 ,3 millions de personnes percevant une allocation ou un autre revenu au titre d'un handicap ou d'un problème de santé. Ils permettent enfin d'estimer à plus de 5 millions les personnes bénéficiant d'une aide régulière pour accomplir certaines tâches de la vie quotidienne.

Il n'existe pas non plus en France d'organisme chargé de recenser les personnes recevant une aide au titre d'un handicap : chaque système d'aide (notamment celui géré par les COTOREP et les CDES) ou d'assurance (au titre des accidents du travail, des invalides de guerre) dispose d'un fichier séparé et parfois redondant.

Concernant plus particulièrement les COTOREP, le système d'information existant ne permet actuellement que de présenter des statistiques concernant le volume des demandes et l'ancienneté du stock. Il reste donc largement insuffisant pour fournir des informations précises sur la population rencontrée.

b) Les ambiguïtés de l'enquête HID

L'enquête Handicap-Incapacité-Dépendance, effectuée sous la direction de l'INSEE, couvre la période 1998-2002. Elle a été réalisée auprès de deux échantillons : un échantillon tiré de la population hébergée en institution et un échantillon, présélectionné grâce au recensement de 1999, vivant à domicile. Le questionnaire comportait trois volets de questions (déficiences, incapacités, désavantages).

Elle apporte sans aucun doute des améliorations au système d'information sur le handicap :

- elle fait tout d'abord référence à la classification internationale des handicaps et permet, de ce fait, de produire une information statistique comparable au niveau international et européen ;

- elle adopte ensuite une grille de lecture qui s'apparente à la grille « AGGIR » mise en place pour la prestation spécifique dépendance (PSD) et prend donc en compte à la fois les déficiences (qui touchent à l'intégrité physique), les incapacités (qui touchent la vie quotidienne) et les désavantages (qui limitent l'intégration sociale) ;

- elle permet à la fois un premier dénombrement global et une première description précise de la population handicapée et dépendante ; ainsi c'est la première enquête à pouvoir donner le nombre d'aveugles et de mal-voyants en France ;

- elle s'inscrit enfin dans une perspective d'évaluation des flux, en prévoyant, pour chaque échantillon, un deuxième passage, à deux ans d'intervalle, qui permet de mesurer les changements intervenus tant dans l'état de santé que dans la prise en charge ou dans l'intégration sociale des personnes handicapées.

L'exploitation des résultats de cette enquête reste pour l'instant très parcellaire. Seuls les résultats en institutions ont pour l'instant pu faire l'objet d'une analyse. Ils montrent une prévalence plus importante des déficiences intellectuelles ou mentales que des déficiences motrices (surtout chez les pensionnaires de moins de 60 ans). Ils font d'autre part ressortir qu'un peu moins d'un tiers des pensionnaires ne peuvent se mouvoir sans aide et que plus de la moitié a besoin d'assistance pour la toilette et l'habillement. Ils donnent enfin une appréciation sur l'intégration sociale de ces personnes.

Cependant l'enquête HID présente plusieurs faiblesses importantes.

Concernant le dénombrement des personnes handicapées, l'enquête adopte une conception extrêmement extensive du handicap, puisqu'elle aboutit à un chiffre de 22,5 millions de personnes déclarant un handicap ou une gêne dans la vie quotidienne (soit 40,4 % de la population).

Diverses approches du handicap dans l'ensemble de la population

Part en % de personnes déclarant :

Hommes

Femmes

Ensemble

Etre affecté d'une déficience

38,3

42,4

40,4

Etre titulaire d'un taux d'incapacité (1)

8,3

5,3

6,8

Rencontrer un problème d'emploi (2)

13,6

14,1

13,9

Suivre un enseignement adapté (3)

5,7

4,3

5,0

Recourir à des aides techniques

10,2

13,0

11,6

Recourir à une aide humaine

7,7

12,7

10,3

Etre aidé pour sortir

3,4

5,5

4,4

Etre confiné au lit

0,3

0,7

0,5

Recevoir une allocation

5,9

3,2

4,5

Note : ce tableau concerne les personnes à domicile et celles en institution.

( 1) RINVAL : proportion de personnes pour lesquelles on a reconnu officiellement un taux d'incapacité.

(2) Parmi les 20 ans et plus, : les personnes inaptes à l'emploi, ou ayant dû l'abandonner, ou devant avoir un emploi aménagé, pour raison de santé.

(3) Parmi les 6-16 ans scolarisés.

Source : Enquêtes HID 98 et 99

Elle se caractérise d'autre part par le choix de confondre dans une seule et même analyse les personnes handicapées au sens strict et les personnes âgées dépendantes. La mise en place de mesures prenant en compte la spécificité du handicap par rapport à la dépendance liée au vieillissement se heurte donc toujours à l'absence d'une estimation fiable de la population visée, en particulier de celle des personnes handicapées vieillissantes.

c) La nécessité d'améliorer encore l'outil statistique

Il est très difficile, à l'heure actuelle, de tirer un véritable bilan de l'enquête HID, dans la mesure où les premiers chiffres (et a fortiori leur analyse) ne sont pas encore tous publiés.

Votre rapporteur aurait souhaité une démarche davantage intégrée dans le recensement général de la population, moins lourde à mettre en oeuvre et dont les résultats auraient été exploitables plus rapidement.

Il lui apparaît néanmoins indispensable d'encourager autant que possible l'exploitation de la base de données alimentée au cours de l'enquête afin que celle-ci ne reste pas stérile et ne connaisse pas le même sort que les systèmes d'information précédents.

L'exploitation des résultats doit d'ores et déjà être poursuivie dans deux directions :

un approfondissement consacré à des thèmes spécifiques

L'INSERM et la DREES ont déjà lancé des appels d'offre visant à susciter de nouvelles recherches utilisant la base de données « HID » de l'INSEE. Les axes proposés évoquent les thèmes de la participation sociale, des aides techniques et humaines, des inégalités face au handicap ou encore celui des parcours individuels. Votre rapporteur souhaite attirer l'attention sur d'autres axes qui mériteraient une étude approfondie, en particulier la question des personnes handicapées vieillissantes et de leur prise en charge.

L'enrichissement de la connaissance sur le handicap demande également la mise en place de moyens d'information sur des pathologies particulièrement mal connues et mal évaluées telles que l'autisme ou le polyhandicap. Pour cela, il faut aller au-delà de l'enquête HID dont l'objectif n'était pas d'entrer dans ce niveau de détail.

un affinement des données locales

Parmi les exploitations envisagées de la base de données HID, il apparaît enfin indispensable à votre rapporteur de prévoir un affinement à l'échelon local des différentes caractéristiques de la population handicapée. M. Patrick Segal, lors de son audition, a souligné l'importance de ce point pour la réussite de la décentralisation : « Nous aurions souhaité connaître d'une manière générale la répartition du handicap dans les départements. Puisqu'on a parlé de décentralisation, c'est vrai que, pour l'Etat, pour les collectivités, il eût été intéressant de connaître la répartition, la spécificité des handicaps, de façon à ce que nous ayons des réponses plus fines, plus adaptées aux besoins. Je crois que l'on est passé à côté ».

Le besoin d'information des acteurs locaux n'a cependant été que partiellement pris en compte par les concepteurs de l'enquête HID :

- à la demande de 7 conseils généraux et d'un conseil régional, des extensions locales de la « pré-enquête » ont été réalisées. Cependant l'enquête complète n'a pas pu être réalisée, compte tenu du coût très élevé de l'opération. Il a été fourni en retour aux collectivités locales concernées le fichier complet de l'enquête, assorti de pondérations spécifiques au département ou à la région concernés, ainsi qu'un « kit de calcul » de la précisions des estimations ;

- des opérations d'estimation régionale ont été conduites par la suite à la demande de la CNAV, sans qu'une opération analogue ait pu être réalisée pour l'ensemble des départements et des régions.

En réponse aux interrogations légitimes de votre rapporteur quant à l'existence des données nécessaire à l'affinement départemental de l'enquête HID, les concepteurs de l'enquête s'accordent à dire qu'une « édition ultérieure devrait systématiser ou au moins élargir cette production d'estimations locales » .

Votre rapporteur regrette vivement que cet outil indispensable à la prise de décision ait été négligé dans une enquête qui se veut la première enquête exhaustive et de grande ampleur sur le handicap en France . Il est inconcevable qu'on doive encore attendre dix ans avant d'obtenir des données utiles à la planification de l'effort en faveur des personnes handicapées. Il paraît en particulier nécessaire de connaître, dans chaque département, le nombre de personnes handicapées, leur âge et la nature de leur handicap afin que les acteurs locaux puissent ainsi disposer d'un instrument pertinent d'aide à la décision.

B. AMÉLIORER LA PRÉVENTION

A l'évidence, la prévention doit jouer un rôle primordial dans toute politique du handicap.

Dans son rapport fondateur, M. François Bloch-Lainé insistait déjà avec force sur cette dimension. Prévenir les handicaps, c'était, selon lui « tantôt agir sur les faits, sur les circonstances qui les produisent, tantôt les déceler à temps pour empêcher qu'ils ne s'aggravent alors qu'ils peuvent demeurer bénins et même disparaître » 94 ( * ) .

L'article premier de la loi d'orientation du 30 juin 1975 95 ( * ) élevait d'ailleurs la prévention et le dépistage du handicap au rang d'« obligation nationale ».

Cette analyse reste d'actualité, et peut-être aujourd'hui plus que jamais.

Les déficiences à l'origine du handicap peuvent, en effet, avoir deux origines. Soit une origine génétique qui rend alors nécessaire tout à la fois un dépistage précoce et un traitement spécifique. Soit une origine accidentelle qui impose alors de limiter les facteurs de risques.

Mais si ce rôle central de la prévention a très vite été reconnu, la mise en oeuvre des politiques de prévention n'aboutit aujourd'hui qu'à des résultats trop modestes.

1. Les politiques de prévention restent aujourd'hui ambivalentes

a) Des progrès indéniables

Notre réglementation prévoit un dispositif de prévention du handicap en apparence assez complet.

Ainsi, en matière sanitaire, les services départementaux de protection maternelle et infantile (PMI) occupent une place centrale. Ils interviennent notamment pour la surveillance des grossesses et le dépistage chez les jeunes enfants. Plus spécialisés, les centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP), institués en application de la loi d'orientation du 30 juin 1975, réalisent des dépistages précoces, tout en assurant la rééducation des enfants de moins de six ans présentant des déficits sensoriels, moteurs ou mentaux, et en accompagnant leur famille.

De même, s'agissant des accidents, le cadre réglementaire insiste largement sur leur prévention. C'est notamment le cas pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. Ainsi, le code du travail accorde une large place à la prévention. De son côté, la Caisse nationale d'assurance maladie gère un fonds de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles . Ce fonds, doté de 348 millions d'euros en 2002, finance les actions de prévention des caisses régionales, mais aussi, par exemple, l'Institut national de recherche de sécurité (INRS).

Au-delà du strict cadre juridique d'ordre public, l'effort de prévention relève également très largement de l'implication croissante des associations.

Cette implication a notamment le mérite d'inciter les différents acteurs de la prévention à développer leurs interventions en ce domaine. C'est le cas notamment pour l'assurance maladie qui consacre un budget croissant à la prévention des maladies handicapantes pour lesquelles elle s'impliquait traditionnellement plus faiblement qu'en matière de prévention des accidents du travail, comme l'a souligné M. Daniel Lenoir, lors de son audition par votre commission : « L'assurance maladie intervient de plus en plus dans la prévention des maladies handicapantes, et notamment des maladies génétiques, par le dépistage et l'information des familles. Cela représente environ 740.000 euros ». Elle vient par exemple de financer un dépistage de la mucoviscidose qui reste aujourd'hui la maladie génétique la plus fréquente chez les enfants (avec chaque année un cas pour environ 3.500 naissances).

Votre rapporteur ne peut que se féliciter de cette meilleure implication des acteurs de la politique de prévention. Il considère néanmoins que cette mobilisation ne peut suffire à masquer les faiblesses actuelles de notre politique de prévention du handicap.

b) Des insuffisances pourtant évidentes

Selon votre rapporteur, la politique de prévention souffre aujourd'hui de deux insuffisances principales.

Le cloisonnement des actions

La politique de prévention apparaît largement éclatée. Elle relève le plus souvent d'acteurs, travaillant de manière cloisonnée et trop largement focalisés sur le seul risque qu'ils cherchent à prévenir, sans toujours s'inscrire dans une démarche globale et coordonnée.

Une telle segmentation conduit alors nécessairement à une dilution des moyens ou à un maillage approximatif de la population. Ainsi, les CAMSP, souvent d'origine associative, ne sont toujours pas implantés dans chaque département, en dépit de leur utilité reconnue.

Un manque de réactivité

La prévention, notamment lorsqu'elle prend la forme de dépistage précoce, repose largement sur les progrès de la recherche. Or, il importe que les résultats de la recherche se concrétisent rapidement sur le plan de la prévention.

Tel n'est pourtant pas toujours le cas, comme en témoignent deux exemples : l'un dans le domaine sanitaire, l'autre dans le champ des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Alors que le dépistage de la mucoviscidose existe depuis plusieurs années, la décision de rendre celui-ci systématique n'a été prise qu'en 2000. Ce dépistage systématique ne sera d'ailleurs mis en oeuvre que progressivement à partir de cette année pour n'être opérationnel que fin 2003 sur l'ensemble du territoire.

Votre rapporteur estime qu'une telle décision aurait dû être prise plus rapidement et mise en oeuvre dans de meilleurs délais. Un dépistage précoce de la maladie permet en effet d'améliorer sensiblement, sous réserve d'un protocole thérapeutique approprié, les conditions de vie de l'enfant et d'augmenter son espérance de vie, dans l'attente notamment d'une éventuelle thérapie génique. Or, actuellement, environ 40 % des maladies sont détectées après l'âge d'un an.

Le second exemple concerne la tragédie de l'amiante . Votre rapporteur se bornera ici à citer la conclusion d'un récent rapport de la Cour des comptes sur ce sujet :

« Tout au long de la période très longue qui a précédé l'interdiction de l'usage de l'amiante et malgré les certitudes scientifiques établies, pour certaines, de longue date, l'institution prévention ne s'est pas démarquée d'une ligne qui visait à défendre une utilisation contrôlée de ce produit.

« Elle ne s'est mobilisée ni pour diagnostiquer l'ampleur des risques, ni pour faire prévaloir la nécessité d'une interdiction, ni pour développer une prévention suffisamment proportionnée aux conséquences humaines et financières lourdes et durables. L'action s'est développée tardivement et les risques liés à l'amiante n'ont été inscrits comme une priorité que dans le programme à moyen terme de 1997, c'est-à-dire après l'interdiction décidée par les pouvoirs publics. » 96 ( * )

Au total, votre rapporteur considère, à l'instar de la Cour des comptes, que « l'efficacité d'une politique de prévention ne se mesure pas seulement à l'importance des moyens humains et financiers qu'elle met en oeuvre, mais aussi aux délais dans lesquels elle apporte les réponses aux risques. ».

A cette aune, la politique de prévention dans le champ du handicap apparaît donc perfectible.

2. Les voies d'une efficacité accrue se doivent d'être explorées

Lors de son audition par votre commission, Mme Simone Veil estimait que « la prévention doit être une priorité ». Votre rapporteur partage cette conviction.

Selon votre rapporteur, la prévention des handicaps doit répondre à deux exigences complémentaires : une action continue et déterminée pour en réduire le nombre et la gravité, une action pour en atténuer les conséquences personnelles et sociales. La prévention du handicap doit donc s'inscrire dans une démarche globale : elle doit viser tout à la fois la prévention des incapacités, mais aussi la prévention de l'exclusion trop souvent liée au handicap par un meilleur accompagnement des personnes et de leurs familles.

Au regard de ces exigences, deux voies semblent devoir être explorées en priorité pour améliorer notre politique de prévention.

a) Systématiser un certain nombre de dépistages précoces

S'agissant des handicaps d'origine génétique, un dépistage précoce des déficiences, parfois même au stade anténatal, est le plus souvent le meilleur moyen de prévenir, au-delà de la simple possibilité pour les parents de choisir d'interrompre la grossesse, l'apparition -ou l'aggravation- d'un handicap puisqu'il permet la mise en oeuvre d'une démarche thérapeutique dans les meilleurs délais.

Or, les programmes actuels de dépistage apparaissent encore très parcellaires et largement inadaptés à la prévention des handicaps.

C'est en particulier le cas pour les handicaps sensoriels, comme l'a notamment souligné Mme Nicole Gargam, présidente de l'UNISDA devant votre commission : « Actuellement, les tests pour les petits enfants sourds ne sont pas systématiques, ce qui a pour conséquence que la surdité est souvent dépistée tardivement ».

De la même manière, l'INSERM, dans une étude sur les déficits visuels rendue publique le 26 juin dernier, constate que « la découverte des déficits visuels est souvent fortuite car ils ne sont pas recherchés de façon approfondie » et recommande en conséquence « la mise en place d'un dépistage systématique des anomalies visuelles à l'échographie de la vingtième semaine, à la naissance, au quatrième mois, entre neuf et douze mois, et en première année de maternelle à travers un aménagement des examens médicaux déjà existants ».

Dans ces conditions, votre rapporteur préconise de multiplier ces démarches de dépistage systématique des déficiences .

Bien entendu, ce n'est pas à votre rapporteur qu'il appartient de déterminer quels dépistages doivent ainsi être systématisés. En revanche, il suggère d'examiner dès à présent, de manière exhaustive, les conditions d'un tel élargissement du champ du dépistage systématique au regard des travaux scientifiques actuellement disponibles. Il pourrait alors, par exemple, revenir au Haut conseil de la santé, qui a pour mission de contribuer à la définition des priorités pluriannuelles de santé publique, le soin de définir les priorités de cette démarche de systématisation des dépistages précoces.

Il reste qu'une telle démarche impose parallèlement une adaptation de notre dispositif institutionnel pour être véritablement opérationnelle.

Actuellement, les CAMSP occupent une place centrale dans le dispositif, non seulement pour la réalisation des dépistages, mais aussi pour le nécessaire accompagnement des familles. Mais, alors même qu'ils constituent pourtant un instrument adapté, ils restent trop peu nombreux pour couvrir de manière satisfaisante le territoire : certains départements n'ont toujours pas de CAMSP.

LES CENTRES D'ACTION MÉDICO-SOCIALE PRÉCOCE

Les centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP) ont pour principale mission d'établir un dépistage et un diagnostic précoce, aussi précis que possible, des troubles du développement du jeune enfant. Une fois le diagnostic établi, ils assurent la rééducation de l'enfant et l'accompagnement parental, dans les locaux du CAMSP ou à domicile. Selon la nature du handicap, ils peuvent également orienter la famille vers d'autres services et équipes spécialisées compétents.

Les CAMPS disposent, pour ce faire, d'une équipe pluridisciplinaire associant diverses professions : pédiatre, pédopsychiatre, psychologue, kinésithérapeute, orthophoniste, éducateur spécialisé, enseignant spécialisé pour faciliter la coordination avec l'école maternelle.

Gérés le plus souvent par des associations, les CAMSP perçoivent une enveloppe budgétaire globale financée à hauteur de 20 % par le département et de 80 % par l'assurance maladie.

Aussi, votre rapporteur suggère de renforcer les moyens qui leur sont consacrés et, en priorité, d'assurer l'implantation d'au moins un CAMSP dans chaque département.

b) Mieux cibler les actions de prévention et mieux associer les acteurs

Il apparaît également nécessaire de garantir une meilleure adéquation entre l'orientation de la politique de prévention et la probabilité de survenance des risques.

On ne soulignera jamais assez le poids des accidents du travail et des « accidents de la vie » (vie domestique, sports, loisirs et surtout circulation). Une enquête du CTNERHI 97 ( * ) estimait ainsi que ces accidents étaient à l'origine de 21,5 % des handicaps (au sens strict du terme). A ce titre, votre rapporteur se félicite que le Président de la République ait choisi de faire de la sécurité routière l'un des trois grands chantiers du quinquennat.

Votre rapporteur considère qu'un nombre important de ces accidents pourrait être évité par une politique de prévention digne de ce nom. Jusqu'à présent, la prévention a surtout pris la forme de grandes campagnes de sensibilisation du public (à l'efficacité plus ou moins avérée) et d'amélioration de la sûreté du cadre de vie ou de travail. Votre rapporteur préconise, pour sa part, d'aller plus loin dans cette démarche par une responsabilisation plus contractuelle des acteurs. Certes, une telle démarche n'est pas nouvelle mais elle reste aujourd'hui de trop faible ampleur pour des résultats pourtant relativement encourageants.

Deux types d'initiatives, dans des domaines distincts, mériteraient notamment d'être encouragées.

La première concerne la prévention des accidents de la circulation dans le cadre professionnel.

En 2001, 7.720 personnes ont perdu la vie et 26.192 ont été gravement blessées dans un accident de circulation. Parmi elles, 1.194 sont mortes et 4.192 ont été gravement blessées dans le cadre d'une mission professionnelle ou d'un trajet entre le domicile et le lieu de travail. Ces accidents constituent aujourd'hui la première cause d'accidents mortels au travail.

Il existe pourtant des démarches partenariales visant à prévenir et limiter ce risque. Ainsi, les entreprises peuvent souscrire à une charte proposée par la sécurité routière visant à mettre en place un plan de prévention dans l'entreprise sur une durée de trois ans. Mais, en dépit des résultats plutôt encourageants 98 ( * ) de cette démarche, seules 37 entreprises ont adhéré à cette charte en 10 ans...

La seconde concerne directement les accidents du travail.

Depuis 1987, existe un dispositif conventionnel entre les entreprises et les caisses d'assurance maladie visant principalement à développer la prévention au sein des petites et moyennes entreprises. Ce dispositif est à deux étages : au niveau national (ou régional), des conventions d'objectifs sont conclues entre les caisses et les branches professionnelles, puis au niveau local des contrats de prévention peuvent être signés avec les entreprises. Ces contrats prévoient le versement d'avances remboursables aux petites et moyennes entreprises qui mettent en oeuvre des actions de prévention, avances qui demeurent acquises à leurs bénéficiaires sauf inexécution du programme de prévention.

La Cour des comptes a dressé, dans son rapport précité, un bilan de ce dispositif contractuel. Elle conclut, certes avec prudence, à un impact positif du dispositif. Mais elle observe parallèlement que celui-ci tend à s'essouffler progressivement.

Votre rapporteur juge souhaitable de relancer ces démarches partenariales de responsabilisation des acteurs . Des dispositifs existent. Ils ont fait la preuve de leur efficacité. Mais ils demeurent trop peu utilisés.

A défaut, il ne serait pas opposé à une inflexion de notre politique de prévention dans un sens plus coercitif. Ainsi, en matière d'accidents du travail, notre réglementation fait de la tarification un instrument de prévention : le montant de la cotisation de l'employeur est en effet pour partie déterminé en fonction du niveau des risques de l'entreprise. Il reste donc possible, en l'absence de réforme plus profonde, d'individualiser davantage les cotisations et, in fine , de majorer celles des entreprises qui connaissant les risques les plus importants.

C. SOULAGER LE HANDICAP PAR LA RECHERCHE

La réflexion relative à la compensation du handicap ne peut négliger les perspectives d'avenir, et les espoirs, que les progrès scientifiques et technologiques permettent d'envisager en ce domaine.

Avancées de la recherche génétique, développement des « neurosciences », nouvelles applications de l'informatique et de la domotique, autant d'aspects de la recherche moderne qu'il convient de développer afin de pouvoir en faire bénéficier, dans les meilleurs délais et les meilleures conditions, nos concitoyens handicapés.

Or, « la situation de la recherche sur le handicap dans notre pays a été dénoncée de façon récurrente pour la pauvreté des moyens mis à sa disposition et la dispersion administrative et géographique de ses acteurs. » 99 ( * )

Selon votre rapporteur, la recherche sur le handicap doit donc, désormais, être définie en tant que priorité de l'action publique.

1. La recherche actuelle « n'est ni organisée, ni coordonnée »

La recherche sur le handicap n'est « ni organisée, ni coordonnée » 100 ( * ) , et ce en dépit de quelques tentatives encore limitées.

a) Une recherche mobilisant une grande diversité d'acteurs confrontés à une insuffisance partagée de moyens financiers

Plusieurs raisons expliquent les insuffisances actuelles de la recherche sur le handicap dans notre pays :

- le caractère nécessairement pluridisciplinaire des travaux effectués : « ceux-ci font en effet appel simultanément à des champs disciplinaires distincts, par exemple épidémiologie et sociologie, psychologie et sociologie, physiologie et technologie, médical et social, qui relèvent dans notre pays de structures décisionnelles, de commissions et de sections universitaires différentes (CHU, INSERM, CNRS) » 101 ( * ) ;

- la dispersion administrative et géographique des acteurs de la recherche publique sur le handicap , qui mobilise tout à la fois les universités et divers organismes de recherche (CNRS, INSERM, CTNERHI, DREES...). Or, le caractère pluridisciplinaire de cette recherche suppose un partage des connaissances, une confrontation des expériences et une coordination des programmes de recherche qui s'avèrent aujourd'hui difficiles, compte tenu de cette dispersion ;

- une insuffisance partagée de moyens financiers , la modestie des crédits publics aboutissant, d'une part, à un « financement généralement très contractuel (des) travaux, ce qui tend à les « limiter » à de simples « études » effectuées à la demande de commanditaires, sans permettre tous les développements théoriques ou expérimentaux nécessaires » 1 et expliquant, d'autre part, l'investissement croissant des associations de personnes handicapées dans le domaine de la recherche ;

- l'absence d'une véritable légitimité . De ce fait, le « réflexe handicap », c'est-à-dire la prise en compte du handicap parmi les paramètres d'une recherche (ou lors de l'analyse des applications possibles de ses résultats), est encore largement ignoré par beaucoup de chercheurs.

b) Des tentatives encore limitées d'organisation et de coordination

Le caractère pluridisciplinaire de la recherche sur le handicap a, bien entendu, déjà conduit les acteurs concernés à s'engager dans des démarches partenariales, que ce soit, par exemple :

- entre les divers organismes publics de recherche. On citera ainsi le « Réseau fédératif de recherche sur le handicap », créé en 1994 à l'initiative de l'INSERM (cf. encadré ci-après), qui regroupe 24 laboratoires, équipes ou unités de recherche (INSERM, CNRS, CNAM, universités et CHU) ;

- entre des organismes publics de recherche (ex : l'INSERM) et certaines associations de personnes handicapées (ex : l'Association française contre les myopathies), autour d'objectifs scientifiques précis et déterminés en commun.

Toutefois, et en dépit de ces collaborations nées du bon sens et de la nécessité, aucune vision d'ensemble ne préside véritablement à la recherche sur le handicap dans notre pays.

LE RÉSEAU FÉDÉRATIF DE RECHERCHE SUR LE HANDICAP

Créé conjointement en 1994 par l'INSERM, le CNRS et des universités sous l'égide du ministère de la recherche, le Réseau fédératif de recherche sur le handicap (RFRH) vise à apporter une réponse fonctionnelle aux particularités de la recherche en ce domaine (caractère pluridisciplinaire, diversité des acteurs).

Il associe par l'intermédiaire d'une convention :

- l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ;

- le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ;

- le Conservatoire national des Arts et métiers (CNAM) ;

- douze universités (Bordeaux, Bourgogne, Lyon Nord, Nancy, universités de Paris, Rennes, Saint-Etienne) ;

- le Centre technique national d'études et de recherches sur les handicaps (CTNERHI) ;

- La fondation de l'Institut Garches.

Le Réseau fédératif de recherche sur le handicap est organisé autour de trois axes de recherche entre lesquels se répartissent les équipes, unités ou laboratoires de recherche et services hospitaliers participant :

- un axe « Recherches en santé publique » (épidémiologie, psychologie, sociologie, économie de la santé) ;

- un axe « Recherche clinique » (thérapeutique et rééducation des déficiences) ;

- un axe « Recherches technologiques » (compensation technique des déficiences).

Les principales missions du réseau sont les suivantes :

- animer la recherche sur le handicap ;

- générer des synergies et favoriser la collaboration entre les différentes équipes de chercheurs ;

- soutenir l'émergence de nouvelles structures de recherche dans le domaine du handicap ;

- développer des actions de formation à (et par) la recherche.

c) Une recherche pénalisée par l'absence d'une demande « solvable » d'aides techniques

S'agissant plus particulièrement des aides techniques, le passage de la recherche fondamentale à la recherche appliquée, pourtant déterminant pour les personnes handicapées, se révèle également insatisfaisant.

En effet, l'insuffisance de la prise en charge, par la solidarité nationale, des aides techniques freine à l'excès la diffusion des progrès technologiques au profit des personnes handicapées . Faute d'un marché « solvable », les coûts d'investissement, de production et de commercialisation s'avèrent ainsi trop dissuasifs pour les industriels éventuellement intéressés.

2. La recherche sur le handicap doit être définie en tant que priorité de la recherche publique

a) L'indispensable mobilisation de la recherche publique dans le cadre d'une démarche partenariale associant tous les acteurs concernés

Au regard du constat précédemment exposé, votre rapporteur estime donc nécessaire de définir la recherche sur le handicap en tant que priorité de la recherche publique .

Pour mettre en oeuvre cette priorité, il estime préférable, dans un premier temps, de s'appuyer sur les institutions et organismes existants, plutôt que de créer une nouvelle structure administrative 102 ( * ) .

Les axes prioritaires de la recherche sur le handicap seraient définis par le ministère de la recherche ou, plus particulièrement, par le Comité interministériel de la recherche scientifique et technologique (CRST), après consultation des organismes de recherche, des associations et de l'industrie. Ces axes prioritaires pourraient ainsi faire l'objet d' une nouvelle action concertée incitative, s'ajoutant à celles déjà définies par les pouvoirs publics depuis 1999 (cf. encadré ci-après).

LES ACTIONS CONCERTÉES INCITATIVES
DANS LE DOMAINE DE LA RECHERCHE

Les actions concertées incitatives orientent les efforts de la recherche vers des domaines choisis comme prioritaires par le Comité interministériel de la recherche scientifique et technologique (CIRST), après avis du Conseil national de la science. Elles visent à soutenir les équipes de la recherche publique (établissements d'enseignement supérieur et organismes de recherche), et sont complémentaires de l'animation scientifique menée, dans le cadre de leurs missions, par ces organismes.

Ces actions permettent :

- l'élaboration de programmes de recherche destinés à favoriser de nouvelles collaborations disciplinaires ;

- l'émergence de disciplines nouvelles ;

- la formation de nouveaux spécialistes ;

- le renouvellement de l'approche scientifique des grandes questions posées à notre société.

Les actions concertées incitatives sont :

- financées principalement par le Fonds national de la science et, dans certains cas, par une contribution du Fonds de la recherche technologique ;

- pilotées par un directeur de programme, assisté d'un Conseil scientifique.

Chaque action mobilise un certain nombre de moyens :

- des crédits « fléchés » sur avis du Conseil scientifique ;

- des opérations de mise en réseau ;

- l'attribution d'allocations de recherche ;

- des « aides à projets innovants », attribuées à des jeunes chercheurs ou enseignants chercheurs appartenant à des disciplines différentes et s'associant pour la réalisation d'un projet.

Six actions concertées incitatives prioritaires ont déjà été définies dès 1999 (sciences du vivant, technologies de l'information et de la communication, sciences humaines et sociales, environnement, physico-chimie des matériaux, soutien aux jeunes chercheurs).

Pour être efficace, la mise en oeuvre de cette nouvelle action concertée incitative en faveur de la recherche sur le handicap devra satisfaire à trois exigences fondamentales :

- se traduire par la définition, dans le budget du ministère de la recherche, des moyens financiers adaptés ;

- veiller à la bonne coordination des travaux des organismes publics de recherche , notamment en confortant le rôle et les missions du Réseau fédératif de recherche sur le handicap ;

- associer pleinement, dans le cadre d'une démarche partenariale, les associations de personnes handicapées et les entreprises.

b) L'encouragement de la recherche appliquée en matière d'aides techniques par une action spécifique de l'Agence française de l'innovation (ANVAR)

En aval de la recherche fondamentale, il convient également d'assurer la diffusion concrète et rapide des ses résultats au profit de nos concitoyens handicapés.

A cet égard, la création de la nouvelle « allocation compensatrice individualisée » proposée par votre rapporteur devrait, en garantissant la compensation intégrale du handicap, « solvabiliser » la demande de nos concitoyens handicapés en matière d'aides techniques ou d'aménagement du cadre de vie. Le marché ainsi créé ne pourra donc qu'encourager, en ce domaine, la diffusion des progrès scientifiques et techniques.

Parallèlement, et afin de répondre efficacement à cette nouvelle demande, le passage de la recherche fondamentale à la recherche appliquée en matière d'aides techniques devra être encouragé par une mobilisation accrue de l'Agence française de l'innovation (ANVAR) . Cette mobilisation se traduirait par :

- la définition d'un axe prioritaire d'action dans le cadre du prochain contrat quadriennal (2004-2007) conclu entre l'Agence et l'Etat 103 ( * ) ;

- la prise en compte de cette nouvelle action prioritaire dans la détermination des budgets annuels d'intervention de l'ANVAR ;

- le développement actif, à l'aide de ces nouveaux moyens, d'une politique de partenariat avec les chercheurs, les entreprises et les associations de personnes handicapées.

c) Le nécessaire accès des personnes handicapées à des formations diplômantes dans le domaine de la conception et du développement des aides techniques.

Enfin, l'efficacité de la recherche sur le handicap et le succès de ses applications dépendent, en grande partie, de leur adaptation aux besoins des personnes handicapées.

Il apparaît donc indispensable à votre rapporteur d'ouvrir à des jeunes handicapés la possibilité d'accéder, tant dans le second degré que dans l'enseignement supérieur, à des formations diplômantes dans le domaine de la conception et du développement des aides techniques. L'Éducation nationale devra donc procéder aux adaptations nécessaires, ces formations garantissant, à l'évidence, que les progrès réalisés en matière d'aides techniques bénéficient dans les meilleures conditions à nos concitoyens handicapés.

*

* *

Telles sont les principales réflexions que souhaite formuler votre rapporteur à l'issue de trois journées d'auditions publiques particulièrement denses.

Les orientations et les propositions qui en découlent appellent pour certaines d'entre elles une évolution de la loi, d'autres relèvent d'une modification du cadre réglementaire ou de l'organisation administrative, voire encore de la pratique sur le terrain.

Votre rapporteur souhaite que ces pistes suscitent à leur tour des réactions et des observations de la part de l'ensemble des parties prenantes de la politique du handicap et en premier lieu des intéressés eux-mêmes. C'est de cette façon que pourra se réaliser la « nouvelle étape » que votre commission appelle de ses voeux et qu'elle entend promouvoir activement.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DES MINISTRES104 ( * )

Réunie le mardi 9 juillet 2002, sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l'audition de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées et de Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées.

Evoquant la politique envers les personnes handicapées, M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, a estimé qu'il fallait adapter notre système d'aide pour le « tourner vers la personne », et non le service ou l'institution qui intervient auprès de lui. Il a souligné que c'était le sens du droit à compensation pour les personnes handicapées. Jusqu'ici les personnes handicapées bénéficiaient d'un minimum social, l'allocation aux adultes handicapés, de même nature que le revenu minimum d'insertion (RMI), mais de montant différent parce que les besoins de base sont différents. Le handicap lui-même n'était pris en compte qu'à travers l'allocation compensatrice de tierce personne (ACTP), les services d'auxiliaires de vie et le placement en institution. Mais ces services et ces institutions montraient aujourd'hui leurs limites face aux personnes handicapées lourdement dépendantes.

M. Jean-François Mattei a jugé que notre législation ne favorisait pas l'insertion des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail. Qu'il s'agisse des modalités d'attribution de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) (notamment l'interdiction de cumul avec un salaire) ou de la proximité des minima sociaux et du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), les personnes handicapées n'étaient guère incitées à se risquer dans le monde du travail. Au surplus, aucune disposition n'existait pour orienter efficacement les personnes handicapées vers l'emploi. Enfin, l'obligation d'emploi des personnes handicapées était encore mal respectée.

Evoquant les axes communs à ces deux politique (N.B. : politique familiale et politique en direction des personnes handicapées), M. Jean-François Mattei a estimé que la simplification de la législation était une nécessité pour faciliter l'accès aux droits. Il a jugé qu'il fallait rapprocher la décision de la personne, dans le cadre de la décentralisation et que, s'agissant des handicapés, des clarifications étaient possibles, en particulier pour les responsabilités respectives de l'Etat et des départements. De même, des expérimentations de nouveaux transferts de compétences étaient envisageables sur la base des responsabilités des régions en matière de formation professionnelle.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, a tout d'abord fait part de son intention de s'inscrire dans la continuité des travaux de la commission sur le handicap.

Rappelant la part prise, à l'époque, par l'actuel Président de la République dans la rédaction de la loi du 30 juin 1975, et l'attention qu'il porte aujourd'hui à cette question, elle a insisté sur l'immense progrès qu'a constitué cette loi et sur sa volonté de mener à bien sa révision, conformément à la mission que lui avait confiée le Premier ministre.

Mme Marie-Thérèse Boisseau a estimé nécessaire de rappeler les convictions sur lesquelles se fonde son action : le caractère unique et irremplaçable de chaque être humain et le devoir de la société de l'accueillir, de le respecter et de l'intégrer. Pour donner corps à ces convictions simples, mais exigeantes, elle a souligné la nécessité de l'engagement de tous, pour justifier une large consultation des différents acteurs de la politique en faveur du handicap.

Evoquant ses objectifs, Mme Marie-Thérèse Boisseau a souhaité insister sur deux priorités : la liberté du choix du mode de vie et la participation de la personne handicapée à la vie en société.

Concernant le choix du mode de vie, elle a indiqué que 90 % des personnes handicapées vivent actuellement à domicile et souligné que, dans ce contexte, l'accent devait être mis sur le développement des services de soins et d'aide à domicile, ainsi que sur celui des structures d'accueil temporaire, pour répondre à la demande, largement insatisfaite, d'une plus grande autonomie pour les personnes handicapées.

Elle a néanmoins précisé que, parmi ces 90 %, beaucoup restaient à domicile, faute d'une solution adaptée en établissement et insisté sur le fait qu'il était inadmissible d'obliger ces personnes à faire face à des listes d'attente de plusieurs années ou à aller chercher des solutions à l'étranger, notamment en Belgique, en raison du manque chronique de places dans nos établissements.

S'agissant de la participation à la vie sociale, Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, a énuméré les quatre domaines où un effort particulier devait être engagé : l'accessibilité des transports, des lieux publics et des logements ; l'intégration scolaire, dans la mesure des capacités de l'enfant et en portant une attention particulière aux aides humaines qui la facilitent ; l'intégration professionnelle, en concertation avec le ministère des affaires sociales, les partenaires sociaux et l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés (AGEFIPH) ; l'accès aux loisirs, aux sports, à la culture et aux voyages.

Soulignant l'immensité de la tâche et la nécessité de revenir plus longuement sur chacun de ces sujets, Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, a réaffirmé que sa préoccupation première était d'assurer une prise en charge personnalisée de chaque personne, au plus près du terrain. C'est pourquoi elle a insisté sur l'intérêt d'un cadre plus décentralisé et mis l'accent sur sa volonté de simplifier financement et système de prise en charge, tant au profit des personnes handicapées elles-mêmes que des autres acteurs, familles, associations et élus.

Prenant comme exemple de simplification la réforme des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) et des commissions départementales de l'éducation spéciale (CDES), Mme Marie-Thérèse Boisseau a indiqué qu'elle comptait poursuivre l'expérience de fusion des deux sections des COTOREP et la réduction des délais de traitement des dossiers. Elle a surtout insisté pour que les décisions prises par ces commissions s'inscrivent dans l'organisation de véritables parcours individualisés.

En concluant, Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, a tenu à réaffirmer que l'objectif de toute révision de la loi d'orientation du 30 juin 1975 serait de définir un véritable droit à compensation, qui donne un sens à la vie des personnes handicapées.

La commission a ensuite abordé les questions relatives à la politique en faveur des personnes handicapées.

M. Paul Blanc, rapporteur pour avis des crédits de la « solidarité », a tout d'abord rappelé que, suite au débat sur la jurisprudence « Perruche », la commission, consciente des lacunes dramatiques de la solidarité nationale, avait engagé une vaste réflexion et organisé plusieurs journées d'auditions publiques sur la nécessaire révision de la loi d'orientation n° 75-534 du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées et qu'elle lui avait fait l'honneur de le désigner pour présenter, le 23 juillet prochain, le rapport, résultant de ces travaux, portant sur la politique de compensation du handicap. Puis il a interrogé Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, sur son appréciation générale de la situation actuelle des personnes handicapées dans notre pays, notamment au regard des exemples étrangers, sur l'état d'application, d'une part, du plan triennal (2001-2003) d'action en faveur des enfants et adultes handicapés et, d'autre part, du programme quinquennal (1999-2003) de création de places en établissements pour les handicapés adultes et sur les aménagements possibles de la répartition des compétences entre les différents acteurs institutionnels. Enfin, il a souhaité obtenir des précisions sur la création d'un fonds d'indemnisation des personnes victimes de faute commise lors du diagnostic prénatal, dont l'éventualité a été récemment évoquée.

En réponse, Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées , a souligné les lacunes de l'information statistique relative à la population des personnes handicapées, avant d'estimer que la politique mise en oeuvre dans notre pays supportait la comparaison avec celle des pays étrangers, qu'il s'agisse, notamment, des moyens financiers qui lui sont consacrés, le « budget du handicap » représentant 2 % du produit intérieur brut, de la garantie d'un revenu minimum par le biais de l'allocation aux adultes handicapés ou des structures d'accueil pour enfants handicapés. Mme Marie-Thérèse Boisseau a toutefois souligné les insuffisances de cette politique et, notamment, les retards constatés en matière d'intégration scolaire des enfants handicapés, question qu'elle entend, dès la rentrée prochaine, traiter en concertation avec M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation et de la recherche.

Puis Mme Marie-Thérèse Boisseau a indiqué que, sur les 14.000 places devant être créées en établissements, en centres d'aide par le travail et en ateliers protégés dans le cadre du programme quinquennal (1999-2003) en faveur des handicapés adultes, seulement 7.248 d'entre elles étaient effectives à la fin de l'année 2001. Il reste donc un peu moins de deux ans, aujourd'hui, pour créer la moitié des places initialement prévues. Elle a, en outre, souhaité une simplification des procédures et des répartitions de compétences, la complexité administrative pénalisant toujours nos concitoyens les plus vulnérables.

S'agissant de la création éventuelle d'un fonds d'indemnisation, M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées , a notamment indiqué qu'après mûre réflexion, il en était venu à la conclusion que la réponse apportée par le législateur dans le cadre du débat sur l'arrêt « Perruche » était toujours fondée, car la logique « assurantielle » n'était pas la solution. Il a constaté en revanche que le Parlement n'avait encore fait que la moitié du chemin et qu'il appartenait, désormais, à l'Etat d'assumer pleinement, au titre de la solidarité nationale, ses responsabilités à l'égard des personnes handicapées et de leurs familles. En conséquence, il ne lui a pas semblé utile de créer, sur ce point particulier, une nouvelle structure administrative ou financière.

M. André Lardeux s'est interrogé sur la réalité et l'étendue du droit à l'expérimentation qui pourrait être reconnu aux départements, à l'occasion d'une nouvelle répartition des compétences entre les différents acteurs institutionnels de la politique en faveur des personnes handicapées.

Mme Michelle Demessine a pris acte des déclarations d'intention du nouveau Gouvernement, avant de rappeler les nombreuses lacunes et insuffisances de l'action publique en faveur des personnes handicapées, au regard de la revendication, par ces dernières, de leur citoyenneté et de leur droit au libre choix. Elle a également estimé que la décentralisation n'était pas, en ce domaine, une « solution miracle » car elle pourrait aboutir, dans les faits, à remettre en cause l'égalité de traitement entre les personnes handicapées, égalité que, seule, la solidarité nationale peut véritablement garantir. Elle a également rappelé son soutien personnel à la réponse fournie par le législateur au problème posé par l'arrêt « Perruche » qui permet, notamment, d'éviter que le montant de l'indemnisation obtenue par une personne handicapée puisse dépendre de l'origine de son handicap.

Répondant aux intervenants, Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées :

- s'est déclarée favorable à l'expérimentation de solutions concrètes par les collectivités locales, avant leur extension éventuelle au plan national. Elle a estimé, à cette occasion, que la décentralisation pourrait favoriser la mise en oeuvre d'une politique de proximité en faveur des personnes handicapées ;

- a confirmé la volonté du Gouvernement de concrétiser, dans les meilleurs délais, ses engagements à l'égard des personnes handicapées ;

- a regretté les retards pris par le précédent Gouvernement, tant dans la réalisation des objectifs du plan quinquennal 1999-2003 qu'en matière d'intégration scolaire des enfants handicapés ;

- a indiqué que l'action publique en direction des personnes handicapées devait, en toute hypothèse, être respectueuse du libre choix de leur mode de vie.

II. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mardi 23 juillet 2002, sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Paul Blanc sur la politique de compensation du handicap.

M. Paul Blanc, rapporteur, a présenté les grandes lignes de son rapport (cf. voir exposé général).

M. Paul Blanc, rapporteur, a ensuite fait part de quelques considérations générales sur le déplacement qu'une délégation de la commission avait effectué au Canada, du 17 au 24 juin 2002, afin d'étudier comment ce pays répondait au défi que constitue l'intégration des personnes handicapées. Il a expliqué que le choix du Canada s'imposait naturellement dans la mesure où ce pays est souvent présenté comme un exemple de politique ambitieuse et volontariste en la matière.

Il a rappelé que la délégation de la commission était composée de M. Nicolas About, président, de M. Gilbert Barbier, Mmes Annick Bocandé, Sylvie Desmarescaux, MM. Guy Fischer, André Lardeux, Jean-Louis Lorrain et de lui-même. Il a souligné qu'elle s'était rendue successivement à Montréal, à Ottawa et à Toronto, où elle avait pu rencontrer des parlementaires, les responsables des ministères compétents en matière de personnes handicapées tant au niveau fédéral que provincial, des professionnels de santé ainsi que des personnes handicapées et leurs représentants associatifs. La délégation avait également visité des établissements de réadaptation ainsi que des centres de travail adapté.

M. Paul Blanc, rapporteur, a jugé qu'il était bien difficile, à l'occasion d'une mission nécessairement de courte durée, d'émettre un jugement global sur la politique canadienne en direction des personnes handicapées. Il a souligné qu'il serait d'ailleurs sans doute plus exact de parler « des politiques canadiennes »: le Canada est en effet un pays fédéral où la prise en charge des personnes handicapées relève d'une compétence partagée entre l'Etat fédéral, les provinces et les territoires. Les droits des personnes handicapées sont garantis par l'Etat fédéral, qui s'efforce de dégager les grandes lignes d'une politique globale, mais les programmes d'aides et les services offerts relèvent de la seule compétence des provinces et des territoires. Certaines provinces -le Québec, par exemple- ont fait de la politique en direction des personnes handicapées une véritable priorité ; d'autres, en revanche, se limitent au strict minimum.

M. Paul Blanc, rapporteur, a estimé que cette situation conduisait à un système complexe, caractérisé par une très grande hétérogénéité des situations et une fragmentation extrême de l'action publique. Il a relevé que les interlocuteurs de la délégation avaient d'ailleurs rencontré les plus grandes difficultés à dresser un tableau d'ensemble de la situation des personnes handicapées au Canada et des politiques qui leur sont consacrées. Il n'existait ainsi, par exemple, pas de revenu minimum garanti pour ces personnes. De fait, la condition et les droits effectifs des personnes handicapées dépendaient avant tout de la province où elles vivent. En outre, les réductions budgétaires drastiques imposées dans les années 90 avaient souvent fragilisé les programmes sanitaires et sociaux dont elles bénéficient.

M. Paul Blanc, rapporteur, a considéré que les politiques canadiennes en direction des personnes handicapées n'étaient donc pas exemptes de faiblesses et que le « modèle canadien » n'avait peut-être pas les vertus qu'on lui prête trop souvent en Europe.

Il a cependant relevé que les efforts accomplis depuis de nombreuses années, tant au niveau fédéral que provincial, avaient à l'évidence porté leurs fruits : grâce notamment à une prise en charge communautaire remarquable, le regard de la société canadienne sur les personnes handicapées avait incontestablement changé, l'intégration sociale était désormais une réalité et l'accession à une véritable citoyenneté, une perspective qui n'avait plus rien d'utopique. Les membres de la délégation avaient ainsi été frappés de constater la place qu'occupaient les personnes handicapées dans les préoccupations quotidiennes des responsables et des citoyens canadiens. Le milieu urbain avait par exemple été systématiquement adapté, chaque lieu public mais également la plupart des commerces accomplissant de réels efforts en matière d'accessibilité. Dans les grandes villes, les réseaux publics de transport avaient mis en place des services spécifiques destinés aux personnes handicapées.

M. Paul Blanc, rapporteur, a souligné que ces éléments avaient donné aux membres de la délégation le sentiment d'une insertion plutôt exemplaire des personnes handicapées dans la société canadienne alors même que les politiques et les programmes qui leur sont destinés méritent à l'évidence d'être amplifiés.

M. Francis Giraud a tenu à féliciter M. Paul Blanc, rapporteur, pour la clarté et le réalisme du bilan qu'il tirait de la situation des personnes handicapées dans notre pays et a insisté sur la nécessité, avant toute autre mesure, de modifier l'état d'esprit de la société vis-à-vis des personnes handicapées.

Il a rappelé que la question fondamentale, qui avait suscité l'engagement de la réflexion de la commission sur la politique en direction des personnes handicapées, était celle de leur indemnisation et, plus largement, des moyens qui leur étaient donnés pour améliorer leur vie quotidienne. Il a, malgré tout, noté que la simple application des lois existantes constituerait déjà une avancée pour les personnes handicapées, sans pour autant alourdir le coût de la politique du handicap : une meilleure intégration dans le monde du travail, en particulier dans la fonction publique, est par exemple possible, sans modifier les textes existants. Une prévention accrue, notamment des accidents de la route qui font chaque année des milliers de victimes, une meilleure surveillance de la grossesse et de la naissance, la poursuite d'un certain nombre de dépistages pré et post-natals sont également des pistes à suivre. M. Francis Giraud a enfin rejoint le rapporteur pour déplorer le retard de la France en matière d'accessibilité.

M. Louis Souvet a salué les positions courageuses du rapporteur dans la perspective du dépôt d'une proposition de loi et la somme de travail que représentait déjà ce rapport. Il a estimé que les sanctions financières en cas de non-respect de l'obligation d'embauche instaurée par la loi du 10 juillet 1987 devaient être également appliquées à l'Etat.

M. Jean-Louis Lorrain a relevé la diversité des positions des associations sur la question de la réforme de la loi d'orientation du 30 juin 1975. Il a souligné l'ampleur des contraintes financières pesant notamment sur les départements au titre de la mise en place de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Il a considéré qu'il était du ressort de l'Etat et, en premier lieu, de l'Education nationale, de faire entrer la société dans une « culture du handicap » qui doit concerner l'ensemble de la vie sociale. Dans le domaine particulier de l'emploi, M. Jean-Louis Lorrain a insisté sur la nécessité, pour la fonction publique, de montrer l'exemple de l'intégration.

M. Jean-Louis Lorrain a également souligné l'importance de la recherche et du dépistage, en rappelant que ces démarches devaient s'appuyer sur une réflexion éthique afin d'éviter l'écueil, toujours présent, de l'eugénisme. Il a enfin estimé que la personne handicapée ne devait plus être réduite à son handicap mais prise dans sa globalité, dans son environnement, en particulier familial. Il a insisté sur la nécessité de choisi,r dans un premier temps, les mesures les plus significatives pour engager une réforme de la politique du handicap sans risque de se disperser.

M. Jean Chérioux a constaté que la politique actuelle en direction des personnes handicapées aboutissait davantage à assister qu'à assurer la dignité des personnes. Il a souhaité que tout soit mis en oeuvre, que ce soit en matière d'aides techniques, humaines ou d'intégration scolaire, pour que la personne handicapée soit une personne comme les autres. Il a insisté sur la nécessité de sortir du « tout établissement » et d'assurer au maximum une insertion dans un cadre de vie ordinaire.

Après avoir souligné l'important travail du rapporteur et l'importance des auditions dans sa démarche, Mme Michelle Demessine a fait part de sa perplexité devant des propositions certes intéressantes mais qui ne semblaient pas remettre en cause fondamentalement le système existant. Elle a souligné l'importance d'une démarche centrée sur la personne et sur la prise en compte de ses aspirations, qui ont considérablement évolué depuis l'entrée en vigueur de la loi d'orientation du 30 juin 1975. Elle a déploré l'absence de toute statistique fiable qui empêche une évaluation satisfaisante des besoins et a proposé de demander en urgence au Gouvernement de s'atteler à cette tâche indispensable.

Mme Michelle Demessine a regretté que, dans le cadre des auditions publiques organisées par la commission, seuls les gestionnaires des établissements aient été entendus et que le point de vue des salariés de ces établissements, qui sont au contact quotidien des personnes handicapées, n'ait pas pu être pris en compte. Elle s'est interrogée sur la nature exacte de l'«  allocation compensatrice individualisée » (ACI), proposée par le rapporteur ; elle a partagé son point de vue sur l'importance de ne pas séparer la question de la revalorisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) d'une réflexion sur l'ensemble des autres minima sociaux.

Concernant l'accessibilité des transports, Mme Michelle Demessine a salué la volonté de raisonner en termes d'accès global aux différents réseaux et a souligné qu'une telle démarche ne demanderait pas de moyens supplémentaires, mais supposait simplement une meilleure coordination des différents acteurs. Elle a également insisté sur la nécessité d'ouvrir davantage l'emploi aux personnes handicapées, en regrettant l'attitude de certaines entreprises qui n'acceptent d'embaucher des personnes handicapées que lorsqu'elles sont aussi productives que des travailleurs « ordinaires ».

Reprenant les estimations du « budget social du handicap », Mme Michelle Demessine a déploré le retour en arrière intervenu dans l'effort de solidarité nationale. Elle a cependant souligné que la mise en oeuvre d'une politique ambitieuse d'intégration des personnes handicapées n'aurait pas nécessairement un coût exorbitant car l'amélioration de l'autonomie et de l'intégration ferait du handicap une charge acceptée par la société elle-même. Elle s'est néanmoins interrogée sur le financement de la réforme envisagée et s'est inquiétée de ce que l'absence de moyens pourrait compromettre la réalisation du programme proposé par le rapporteur.

M. André Vantomme a tenu à saluer le travail de M. Paul Blanc, rapporteur, ainsi que la démarche de M. Nicolas About, président. Il s'est félicité du nombre et de la diversité des auditions effectuées par la commission qui ont permis d'entendre des personnes proches du terrain. Il lui a semblé que l'exposé du rapporteur faisait apparaître trois questions : celle des mentalités et des trop nombreuses réticences de la société face à l'intégration des personnes handicapées, celle du manque d'information sur la réalité de leur situation et celle de l'importance des moyens à mettre en oeuvre pour mener à bien la réforme envisagée. Il s'est ensuite interrogé sur le sort qui serait réservé aux propositions des rapporteurs ainsi que sur les moyens à mobiliser pour donner une réalité à cette réforme, en insistant sur la nécessité de ne pas décevoir les attentes.

M. Nicolas About, président , a fait part de sa volonté de ne pas voir ce rapport « rester dans un placard ». Il a souligné que la question du handicap était sans doute un des rares domaines pour lesquels un accord pouvait être trouvé entre les différentes sensibilités politiques. Il s'est déclaré prêt à un travail en commun dans la perspective du dépôt d'une proposition de loi.

Soulignant le fait que le handicap figurait explicitement au rang des trois grands chantiers du quinquennat du Président de la République, M. Nicolas About, président , a admis que l'éventualité d'un projet de loi gouvernemental ne pouvait pas être écartée. Il a néanmoins estimé que, compte tenu du travail fourni, la commission avait un devoir de proposition.

Après avoir félicité le rapporteur pour le souci de pragmatisme avec lequel il avait abordé un sujet difficile, M. André Lardeux a fait part des réticences rencontrées à l'encontre de la création d'un établissement pour adultes handicapés sur sa commune, pour illustrer le regard encore négatif porté par la société française sur les personnes handicapées. Il a évoqué, par contraste, l'attitude de la société canadienne, qu'il avait pu apprécier lors de la mission effectuée par la commission au mois de juin dernier.

M. André Lardeux a ensuite évoqué deux défis : celui du vieillissement des personnes handicapées, qui demande une adaptation des établissements existants, et celui de la prise en charge des polyhandicapés qui, du fait d'une espérance de vie désormais plus longue, ne trouvent plus de solution en établissement au-delà de 20 ans. Soulignant la nécessaire implication des collectivités locales dans la politique du handicap, il a insisté sur la nécessité de permettre, dans le cadre de la décentralisation, une expérimentation dans le domaine de la création d'établissements pour personnes handicapées.

Revenant également sur la question de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), M. André Lardeux a rappelé que sa gestion posait moins de problème depuis que la mise en oeuvre de l'APA évitait son détournement au profit des personnes âgées dépendantes. Il a par ailleurs souligné que les personnes touchant une pension d'invalidité de la sécurité sociale, au demeurant souvent modeste, ne devaient pas être tenues à l'écart de la réforme.

M. André Lardeux est ensuite revenu sur les différents aspects de l'accès à la cité : concernant les transports, il a indiqué que le surcoût de la mise en accessibilité n'était sans doute pas aussi important que certains acteurs voulaient bien le laisser croire. En matière d'emploi, il a insisté sur la nécessité de changer le regard des fonctionnaires sur le handicap. Il a également émis des doutes sur l'adaptation du statut de la fonction publique à la question de l'emploi de personnes handicapées.

S'agissant des établissements, il a regretté la multiplicité de leurs statuts et s'est prononcé pour leur harmonisation. Evoquant également la question de l'outil statistique, il s'est interrogé sur l'existence réelle des moyens de faire une enquête et a souligné la difficulté liée à l'absence d'une véritable définition du handicap.

Faisant part de son souci d'une véritable intégration des personnes handicapées dans l'emploi, M. Michel Esneu a rappelé que la sanction financière du non-respect de l'obligation d'emploi n'avait pas pour objectif d'alimenter un fonds, mais d'inciter à l'embauche. Il a plaidé pour une restauration de la solidarité au sein des entreprises ; ces dernières devraient normalement considérer l'intégration des personnes handicapées comme une charge normale et non comme un surcoût. Il a, par ailleurs, estimé que le département était l'échelon le plus pertinent pour la mise en oeuvre de la politique en direction des personnes handicapées, mais que l'efficacité de son action était liée à un renforcement de ses moyens, notamment financiers.

M. Alain Vasselle a d'abord tenu à saluer le consensus qui entourait la présentation du rapport. Il a rappelé que la réforme de la loi d'orientation du 30 juin 1975 était attendue depuis longtemps et s'est félicité de l'avancée que constituaient les propositions du rapporteur.

Rappelant que M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, avait élevé la prévention au rang de priorité, M. Alain Vasselle a proposé d'en étendre le principe à la prévention du handicap. Il a souligné plus particulièrement la difficulté liée au dépistage du handicap mental : il a estimé qu'une sensibilisation des familles à risque devait être engagée, sans toutefois porter atteinte à leur libre choix.

Il a ensuite souligné les différences sensibles de prise en charge d'un département à l'autre, insistant sur le fait que, dans certains départements, la participation demandée aux personnes handicapées était telle qu'elles ne disposaient plus que de 500 francs (environ 75 euros) par mois. Il s'est également interrogé sur les difficultés engendrées par l'exigence désormais imposée d'une utilisation effective de l'ACTP à la rémunération d'une tierce personne.

Concernant le maintien à domicile, M. Alain Vasselle a plaidé pour la multiplication des solutions de transition et des passerelles entre domicile et établissement que représentent, par exemple, les accueils de jour.

Il a approuvé, par ailleurs, la répartition des compétences consistant à confier à l'Etat la garantie de la solidarité nationale et au département la mise en oeuvre locale de l'action en direction des personnes handicapées. Il s'est interrogé sur le chiffrage des propositions du rapporteur : s'il a admis qu'une telle évaluation était sans doute prématurée dans un rapport d'orientation, il a estimé que celle-ci serait nécessaire à moyen terme, dans la perspective du dépôt d'une proposition de loi.

M. Alain Vasselle a enfin fait part de deux préoccupations : celle d'étendre à terme aux personnes handicapées le dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise récemment voté et celle de faire un bilan complet de la question du recours sur succession et des apports, salués par les personnes handicapées, du Sénat en la matière.

M. Bernard Seillier a d'abord tenu à encourager M. Paul Blanc, rapporteur, pour la mise en oeuvre de ses propositions, dont l'objectif avoué est d'aboutir à une réforme de la loi d'orientation du 30 juin 1975. Il est ensuite revenu sur les circonstances qui ont amené la commission à entreprendre une réflexion approfondie sur la question du handicap. Il a également souligné qu'un lien important existait entre société et handicap, et que notre société de compétition révélait et même accentuait sans doute le handicap.

Concernant la réforme de la loi d'orientation de 1975, M. Bernard Seillier a proposé de s'inspirer de la démarche retenue pour la mise en oeuvre de la loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998, caractérisée par une approche individualisée et une réévaluation permanente de l'efficacité des dispositifs.

M. Jean-Claude Etienne a salué la tonalité générale du rapport qui faisait apparaître une démarche nouvelle, consistant à prendre en compte, non seulement les besoins de la personne handicapée, mais aussi ses capacités, pour construire avec elle un parcours de vie.

Revenant sur la mission au Canada effectuée par la commission, Mme Annick Bocandé en a souligné les nombreux enseignements. Elle a ainsi pu constater que la politique française présentait un certain nombre de points largement positifs, concernant notamment la garantie de ressources accordée aux personnes handicapées. Elle a cependant insisté sur l'avance prise par le Canada dans l'amélioration de la vie quotidienne et la reconnaissance des personnes handicapées.

Mme Annick Bocandé a, par ailleurs, souligné les insuffisances notables de la politique d'intégration scolaire des enfants handicapés : elle a estimé qu'il était anormal que l'Education nationale laisse à la charge des familles et des associations une part prépondérante du financement des aides humaines nécessaires à l'intégration de ces enfants dans l'école ordinaire. Elle a rappelé que l'intégration avait d'autant plus de chances de réussir qu'elle était précoce et qu'elle apportait au moins autant aux autres élèves qu'aux enfants handicapés eux-mêmes.

Mme Sylvie Desmarescaux a souligné les enseignements qu'elle avait tirés tant des auditions que de la mission au Canada. Soulignant les disparités de prise en charge d'un département à l'autre, voire d'un établissement à l'autre, elle a insisté sur la nécessité d'assurer une égalité de traitement aux personnes handicapées.

Après avoir entendu les réponses de M. Paul Blanc, rapporteur , la commission a décidé d'autoriser la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information .

GLOSSAIRE DES SIGLES

AAH

Allocation aux adultes handicapés

ACTP

Allocation compensatrice pour tierce personne

AES

Allocation d'éducation spéciale

AFPA

Agence pour la formation professionnelle des adultes

AGEFIPH

Association nationale de gestion du Fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés

AGGIR

Autonomie-gérontologie-groupes-iso-ressources

ANAH

Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat

ANPE

Agence nationale pour l'emploi

ANVAR

Agence nationale pour la valorisation de la recherche

APA

Allocation personnalisée à l'autonomie

BAPU

Bureau d'aide psychologique universitaire

CAMPS

Centre d'action médico-sociale précoce

CAT

Centre d'aide par le travail

CAUE

Conseil en architecture, urbanisme, environnement

CCAS

Centre communal d'action sociale

CCDSA

Commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité

CCPE

Commission de circonscription pour l'enseignement préscolaire et élémentaire

CCSD

Commission de circonscription pour l'enseignement du second degré

CDCPH

Conseil départemental consultatif des personnes handicapées

CDES

Commission départementale de l'éducation spéciale

CDHR

Comité départemental de l'habitat rural

CDTD

Centre de distribution de travail à domicile

CEC

Contrat emploi consolidé

CES

Contrat emploi solidarité

CFAS

Centre de formation d'apprentis spécialisé

CFHE

Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes

CIAS

Centre intercommunal d'action sociale

CIE

Contrat initiative emploi

CIF

Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé

CIH

Classification internationale des handicaps

CLIS

Classe d'intégration scolaire

CMP

Centre médico-psychologique

CMPP

Centre médico-psycho-pédagogique

CNAM

Conservatoire national des arts et métiers

CNCPH

Conseil national consultatif des personnes handicapées

CNED

Centre national d'enseignement à distance

CNEFEI

Centre national d'études et de formation pour l'enfance inadaptée

CNRH

Comité national français de liaison pour la réadaptation des handicapés

CNRS

Centre national de la recherche scientifique

COLIAC

Comité de liaison pour l'accessibilité des transports et du cadre bâti

COTOREP

Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel

CPAM

Caisse primaire d'assurance maladie

CREAI

Centre régional pour l'enfance et l'adolescence inadaptées

CRP

Centre de rééducation professionnelle

CSRPSTH

Conseil supérieur pour le reclassement professionnel et social des travailleurs handicapés

CTNERHI

Centre technique national d'études et de recherches sur le handicap

DDASS

Direction départementale des affaires sanitaires et sociales

DDE

Direction départementale de l'équipement

DDTEFP

Direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle

DGAS

Direction générale de l'action sociale

DGEFP

Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle

DRASS

Direction régionale des affaires sanitaires et sociales

DREES

Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques

DRTEFP

Direction régionale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle

EPSR

Équipe de préparation et de suite du reclassement

EREA

Établissement régional d'enseignement adapté

FDT

Foyer à double tarification

FIAH

Fonds interministériel pour l'accessibilité aux personnes handicapées des locaux recevant du public

GIC

Grand invalide civil

GIG

Grand invalide de guerre

GRTH

Garantie de ressources des travailleurs handicapés

IGAS

Inspection générale des affaires sociales

IGEN

Inspection générale de l'éducation nationale

IME

Institut médico-éducatif

IMP

Institut médico-pédagogique

IMPRO

Institut médico-professionnel

INSERM

Institut national de la santé et de la recherche médicale

IUFM

Institut universitaire de formation des maîtres

MAS

Maison d'accueil spécialisée

MSA

Mutualité sociale agricole

OIP

Organisme d'insertion et de placement

PACT

Plan (programme) d'aménagement concerté du territoire urbain

PAP

Prêt aidé d'accession à la propriété

PDITH

Programme départemental d'insertion des travailleurs handicapés

PMI

Protection maternelle et infantile

RASED

Réseau d'aide spécialisée aux élèves en difficulté

RFRH

Réseau fédératif de recherche sur le handicap

RMI

Revenu minimum d'insertion

SAAAIS

Service d'aide à l'acquisition de l'autonomie et à l'intégration scolaire

SAFEP

Service d'accompagnement familial et d'éducation précoce

SEGPA

Section d'enseignement général et professionnel adapté

SESSAD

Service d'éducation spéciale et de soins à domicile

SSAD

Service de soins et d'aide à domicile

SSEFIS

Service de soutien à l'éducation familiale et à l'intégration scolaire

SSIAD

Service de soins infirmiers à domicile

TIPS

Tarif interministériel des prestations sanitaires

UPI

Unité pédagogique d'intégration

A N N E X E S

ANNEXE I
-
COMPTE RENDU DES AUDITIONS PUBLIQUES SUR LA POLITIQUE EN FAVEUR DES PERSONNES HANDICAPÉES

I. AUDITIONS DU MERCREDI 27 MARS 2002

M. Nicolas ABOUT, président - Cette première journée d'auditions publiques sur la politique en faveur des personnes handicapées sera consacrée aux personnalités « qualifiées ». La deuxième journée, le 10 avril prochain, sera plus thématique : seront abordées les questions du handicap en milieu ouvert, de l'insertion scolaire, de l'insertion professionnelle et de l'accessibilité. La troisième journée, le 22 mai prochain, permettra d'entendre les grandes associations, ainsi qu'une série de témoignages, par tous les moyens possibles en fonction des personnes que nous entendrons (je pense à de la vidéoconférence pour de grands handicapés ne pouvant se déplacer). Nous recevrons aussi alors une très haute personnalité en la personne de Mme Simone Veil.

Ces trois journées ont été programmées, car nous estimons nécessaire la réforme de la loi du 3 juin 1975, qui avait été voulue par le Président Giscard d'Estaing et conduite par Mme Simone Veil. Nous pensons en effet que cette réforme a pris une acuité nouvelle à l'occasion du débat riche et très passionné qui s'est ouvert à propos de l'arrêt Perruche. En définitive, le Parlement a souhaité clairement, et quasiment unanimement, privilégier la solidarité nationale. Encore faut-il que cette solidarité soit effective et efficace. Il serait donc incohérent et injuste de notre part de dissuader les parents d'intenter des actions individuelles fondées sur la faute de l'un ou de l'autre, sans veiller à ce que la solidarité nationale puisse assurer à leurs enfants, comme à toute personne, une vie « ordinaire », c'est-à-dire sans faire en sorte que notre société s'adapte aux déficiences les plus graves d'un certain nombre de ses membres, afin que cette société, par sa non-réponse, ne crée pas elle-même le handicap. Voilà pourquoi nous sommes réunis. Nous sommes tous particulièrement heureux, dans cette période de promesses et de paroles, de donner la preuve que la commission des Affaires sociales préfère, quant à elle, passer aux actes. Un rapport sera remis fin juin et une proposition de réforme mise sur pied pour l'automne prochain.

A. AUDITION DE MME MARIE-THÉRÈSE HERMANGE, DÉPUTÉE EUROPÉENNE, VICE-PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION DE L'EMPLOI ET DES AFFAIRES SOCIALES DU PARLEMENT EUROPÉEN, AUTEUR DU RAPPORT « VERS UNE EUROPE SANS ENTRAVES POUR LES PERSONNES HANDICAPÉES »

M. Nicolas ABOUT, président - Madame la députée, je vous remercie d'avoir bien voulu accepter notre invitation et d'inaugurer cette première journée d'auditions publiques sur un thème qui, je le sais, vous tient particulièrement à coeur : la situation des personnes handicapées et la politique en leur direction.

Vous êtes actuellement vice-présidente de la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen. A ce titre, vous avez présenté l'an passé un important rapport : « Vers une Europe sans entraves pour les personnes handicapées ».

Pouvez-vous nous présenter les actions de l'Union européenne en faveur des personnes handicapées et mettre en perspective la politique menée en France par rapport à celles que conduisent les autres pays européens ? Pouvez-vous nous rappeler les principales recommandations de votre rapport ?

Mme Marie-Thérèse HERMANGE - J'ai organisé ici même, il y a deux mois, un colloque avec la Société européenne de neurologie pédiatrique sur « éducation et handicap ». Ce colloque avait lieu dans cette même salle Clemenceau. Il m'a donné l'occasion d'écrire au Président du Sénat au sujet de l'accessibilité des salles du Sénat : j'ai en effet recueilli un certain nombre d'observations de handicapés qui avaient des difficultés à venir au Sénat.

Une personne sur dix, dans l'Union européenne, est affectée par l'une ou l'autre forme de handicap. Ceci représente, à l'heure actuelle, environ 37 millions de personnes. Les personnes handicapées, dans tous les pays européens, forment un groupe hétérogène. Plusieurs classifications ont été établies en France : coexistent un certain nombre de classifications indiquées par l'INSERM et des classifications internationales énoncées par l'OMS.

Toutes considèrent que les personnes handicapées forment un groupe hétérogène, avec des problèmes divers et variés ; que les handicaps peuvent être visibles ou cachés, profonds, légers, uniques ou multiples, chroniques ou intermittents ; et que, parmi les types de handicaps, figurent aussi des troubles moteurs, mentaux, cognitifs, des troubles de l'audition, de la parole et de la vue.

Il est enfin communément admis, dans tous les pays européens, que les personnes handicapées forment l'une des catégories les plus défavorisées de notre société (l'UNAPEI a coutume de parler d'« exclus parmi les exclus »), et que de nombreux obstacles continuent à leur barrer l'accès à tous les aspects de la vie sociale.

En ce qui concerne les statistiques, la comparaison de la situation au niveau de l'Union européenne est rendue compliquée par le fait que chaque Etat membre a son propre système de définition de la population handicapée, comme le pointait la Commission européenne dans un document de travail de 1998. Nous retrouvons le même problème en France. Je l'ai d'ailleurs indiqué dans un domaine très spécifique, l'enfance handicapée, dans un rapport qui vient d'être publié à la Documentation française, « Cent propositions pour une nouvelle politique de l'enfance » . J'ai en effet été chargée par le Président de la République, en accord avec le Gouvernement, d'être la représentante de la France pour la préparation du sommet mondial de l'enfance (qui devait se tenir le 19 septembre dernier et qui aura finalement lieu le 8 mai prochain à New- York) et de faire un état des lieux. Dans ce document, vous pourrez trouver les différentes catégories énoncées par tous les organismes.

M. Paul BLANC, rapporteur - Pensez-vous que l'on parviendra à adopter une définition commune du handicap sur l'ensemble de l'Europe ?

Mme Marie-Thérèse HERMANGE - On s'efforcera, au cours de l'Année européenne des personnes handicapées, de définir une notion commune du handicap. Je voudrais quand même dire que, même si nous parvenons à une définition commune du handicap, celle-ci ne recouvrira pas la diversité du handicap. Je voudrais d'ores et déjà indiquer que je me méfie des définitions qui tendent à standardiser des problématiques totalement diverses, pour arriver ensuite à des mesures, des recommandations, voire des directives, voire encore des prestations, qui, demain, pourraient être uniformes sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne. Je suis aujourd'hui très perplexe sur l'ensemble des cadres normatifs que nous essayons de construire, tant au niveau national qu'au niveau européen, comme si, à chaque fois que se posait un problème d'ordre sociologique, éducatif, psychologique ou médical, nous légiférions en imposant une norme, qui devient un standard, pour répondre à un problème spécifique et pointu, créant quelque part un paradigme au moment où la norme a été construite. Ceci fait qu'elle est tellement mathématisée, pour nous sécuriser, qu'elle éclatera au moment où elle connaîtra des dysfonctionnements, parce qu'elle n'aura pas répondu à tous les éléments de la problématique.

Je peux en prendre un exemple, très particulier, qui concerne à la fois l'enfance, l'hôpital et le handicap : lorsque, dans les années 1980-85, la norme hospitalière qui s'appelle « l'indice synthétique d'activité » (« le point ISA », qui permet d'attribuer des moyens à l'hôpital) a été créée, celle-ci l'a d'abord été à partir d'un outil destiné à faire faire des économies à l'hôpital. Cet outil a été créé en prenant en compte exclusivement l'hôpital d'adultes, et pas l'hôpital d'enfants, ce qui fait qu'aujourd'hui, les pathologies et handicaps très spécifiques ne sont pas comptabilisés (et, donc, ne permettent pas de fournir les moyens adéquats), à tel point que les pathologies orphelines sont comptabilisées dans les groupes homogènes de malades, ce qui est totalement paradoxal, et que, deuxièmement, les pathologies d'enfants, contrairement aux mêmes pathologies d'adultes, ont des comptabilisations trois fois moindres.

Je suis favorable à une définition européenne, demain, mais celle-ci doit aussi permettre aux politiques nationales, avec leurs cultures et leurs regards propres, de mettre en place une politique adéquate. Ceci ne veut pas dire que, dans la mesure où il y a liberté de circulation des marchandises, il ne doit pas aussi y avoir une véritable liberté de circulation pour les hommes et les femmes qui circulent dans l'Union européenne. Or il est évident que lorsqu'un handicapé (comme il y a d'autres exemples en la matière en ce qui concerne la libre circulation des hommes et des femmes sur le territoire de l'Union européenne) passe d'un territoire à un autre, il peut, selon les cas, être favorisé ou défavorisé, selon la politique conduite sur le territoire ou par tel partenaire européen.

M. Paul BLANC, rapporteur - La déclaration n° 22 annexée au Traité d'Amsterdam dispose que, lors de l'élaboration de mesures établissant le marché unique, « les besoins des personnes handicapées seront pris en compte ». Cette exigence vous paraît-elle aujourd'hui satisfaite ? Et, à ce sujet, la diversité des prestations servies, qui demeurent de la compétence de chaque Etat membre, n'aboutit-elle pas à priver, dans les faits, les personnes handicapées du droit de libre circulation reconnu à tout citoyen européen ?

Mme Marie-Thérèse HERMANGE - En ce qui concerne la déclaration n° 22 annexée au Traité d'Amsterdam, cette exigence ne me paraît pas aujourd'hui satisfaite. Je voudrais indiquer, à cet égard, que les besoins des personnes handicapées sont désormais intégrés dans tous les programmes, puisque nous avons un programme d'action contre la discrimination, qui remplace les programmes « Hélios » uniquement dédiés aux personnes handicapées. Pour des raisons de base légale, il est compréhensible qu'il y ait maintenant un programme communautaire qui couvre toutes les formes de discrimination mentionnées dans l'article 13. Il y a eu une certaine émotion, de la part d'un certain nombre d'associations, lorsque les programmes « Hélios » ont été supprimés, mais il faut bien comprendre qu'en l'absence de base légale, les programmes dotés de financements construits par l'Union européenne peuvent parfois, au gré des circonstances, être amenés à disparaître. C'est la raison pour laquelle nous avons pensé qu'il était préférable qu'un large programme d'action contre la discrimination remplace ces programmes « Hélios » uniquement dédiés aux personnes handicapées.

En ce qui concerne la diversité des prestations, elle aboutit en effet quelquefois à priver les personnes handicapées du droit de libre circulation reconnu à tous les citoyens. Je voudrais indiquer, à cet égard, que la Commission est en train d'élaborer une étude comparative des définitions du handicap utilisées dans les différents Etats membres.

M. Paul BLANC, rapporteur - Quelles sont les principales recommandations de la résolution adoptée par le Parlement européen en 2001 parmi celles de votre rapport ? Quelles actions concrètes la Commission européenne a-t-elle déjà engagées suite à l'adoption de cette résolution ? A-t-elle notamment présenté la proposition de programme spécifique en faveur des personnes handicapées demandée par le Parlement européen ? Et si oui, quelles sont vos observations concernant cette proposition ?

Mme Marie-Thérèse HERMANGE - Il s'agit, tout d'abord, d'une résolution pour avis et non pas d'une instruction législative sur une proposition de directive. Deuxièmement, les principales recommandations de la résolution, qui a d'ailleurs été votée à l'unanimité, demandaient que l'année 2003 soit consacrée « Année européenne des personnes handicapées » , insistant sur le fait que créer une Europe sans entraves nécessite aussi bien des mesures spécifiques en faveur des personnes handicapées que des mesures d'approche intégrées, et que ces mesures soient assorties de dispositifs opérationnels de mise en oeuvre et d'évaluation.

Je demandais à la Commission, dans mon rapport, de présenter une proposition de programme d'action spécifique, permettant de poursuivre le travail entrepris durant l'Année européenne des personnes handicapées, de promouvoir la coordination entre les Etats membres. Par ailleurs, j'indiquais qu'il me paraissait aussi important, en l'absence de base légale, qu'on puisse appliquer de la même façon en matière de handicap ce qui a été pratiqué dans le domaine de l'emploi lors du sommet du Luxembourg dans les années 1990 : faisons en sorte que les chefs d'Etat et de gouvernement débattent du sujet une ou deux fois par an, lors d'un conseil, en élaborant des lignes directrices et des plans annuels, permettant ainsi à tous les Etats membres d'indiquer l'action conduite.

Dans le même temps, l'idée d'une ligne directrice induit l'impulsion d'une volonté politique. L'ensemble des pays européens étaient confrontés à la problématique du chômage depuis le début des années 1980. C'est lorsque celui-ci a pris trop d'ampleur que les chefs d'Etat et de gouvernement ont cessé de déclarer que ce n'était pas une politique de la compétence de l'Union européenne, et qu'une politique du marché, de l'économie, de la monnaie n'était pas envisageable sans une politique de l'emploi en la matière. A cette époque fut inventée l'idée de « ligne directrice ».

L'idée essentielle de ce rapport est de proposer à l'espace européen et à ses dirigeants que chacun puisse se mobiliser et faire en sorte que ces lignes directrices puissent voir le jour un jour ou l'autre. Huit Français sur dix souhaiteraient aujourd'hui que les candidats à l'élection présidentielle parlent du handicap, de l'enfance et des personnes âgées : il serait important aussi que les plus hautes autorités de l'Etat, à tous les niveaux, puissent également faire cette démarche.

La Commission n'a toujours pas, à ce jour, présenté de proposition de programme d'actions spécifiques au handicap tel que je le demandais au point 5 de ma résolution. Elle a, en revanche, présenté, le 29 mai 2000, la proposition de décision relative à l'Année européenne des personnes handicapées, qui avait été adoptée par le Conseil le 3 décembre. Je pense qu'il serait important que cette Année européenne des personnes handicapées puisse, à l'occasion des rencontres, des manifestations, des campagnes d'information, de la réalisation d'enquêtes, être l'occasion d'une sensibilisation de l'ensemble des partenaires au plus haut niveau.

M. Paul BLANC, rapporteur - Au regard des autres pays européens, quelle est votre appréciation générale sur la politique menée en France en faveur des personnes handicapées ? Dans quels domaines particuliers vous paraît-il plus particulièrement utile ou nécessaire de nous inspirer des expériences étrangères ?

Mme Marie-Thérèse HERMANGE - En ce qui concerne la France (et c'est la raison pour laquelle nous sommes ici réunis), deux lois, du 30 juin 1975, ont fondé la politique française en la matière, complétées par une loi de 1987.

Je pense, à la fois par ma connaissance du dossier et mon expérience du terrain que j'ai pu avoir à Paris, que nous avons une intégration insuffisante, avec :

• premièrement, une offre éducative insuffisante, alors que l'obligation d'éducation et de formation figure dans nos textes depuis 1975, comme elle figure, au niveau européen, dans la charte du Luxembourg, avec « une éducation pour tous » ; on considère en effet aujourd'hui, selon la classification adoptée au départ, qu'il y a près de 20.000 enfants handicapés qui n'ont pas de solution éducative ;

• deuxièmement, un monde du travail encore trop peu ouvert, puisque le quota de 6 % imposé pour les entreprises privées de plus de vingt salariés par la loi de 1987 s'applique à 90.000 établissements en France ; et que sur leurs 7 millions de salariés, 200.000 sont des travailleurs handicapés, soit 4 %. Or aujourd'hui 1 million de personnes handicapées sont jugées aptes à occuper un emploi ;

• enfin, une intégration à la vie sociale, culturelle et sportive, trop souvent oubliée, également insuffisante.

D'autre part, notre dispositif institutionnel a vieilli : il est devenu très complexe et impose aux associations des délais de traitement de dossiers incroyables (en CDES, en COTOREP, voire aussi au niveau des associations lorsqu'elles suppléent les insuffisances institutionnelles des collectivités). En raison d'une incohérence des dispositifs, il faut non seulement pouvoir penser à la réforme de la loi de 1975, mais cette loi de 1975 est devenue d'autant plus complexe qu'il y a eu la loi de 1983 sur la décentralisation : les deux dispositifs viennent se surajouter les uns aux autres.

A ce dispositif incohérent s'ajoutent des difficultés qui ne sont pas dans les textes, mais qui sont vécues concrètement sur le terrain. Par exemple, quand j'ai présenté à Paris un deuxième contrat enfance pour créer des crèches et haltes-garderies pour enfants handicapés, je me suis heurtée à la caisse d'allocations familiales, qui ne peut financer des crèches et haltes-garderies que pour enfants handicapés jusqu'à l'âge de trois ans. Au-delà de cet âge, la prise en charge des enfants handicapés revient à l'Education nationale. Concrètement, il a fallu trois ans pour faire comprendre à la caisse d'allocations familiales qu'un petit amendement pouvait être prévu dans son contrat d'objectifs, afin que l'enfant handicapé puisse être pris en charge jusqu'à l'âge de cinq ou six ans. Nous avons réussi à mettre en place ce dispositif. Quand, cinq ou six ans après, j'ai voulu créer une seconde halte-garderie pour handicapés, j'ai affronté les mêmes difficultés, parce que finalement la caisse d'allocations familiales, au niveau national, n'avait pas changé son contrat d'objectifs dans son dispositif. A côté de la réforme de la loi de 1975 (qui doit être pensée parallèlement à la réforme de l'Etat et, notamment, des lois de décentralisation de 1983), il faut aussi réfléchir aux organismes satellites partenaires de ces dossiers (notamment les trois caisses de la sécurité sociale).

Troisièmement, en ce qui concerne la France, à côté de l'intégration insuffisante et d'un dispositif institutionnel qui a mal vieilli, je pense que certaines mutations ont été mal appréhendées : le vieillissement, les progrès de la recherche et les avancées technologiques. Il serait tout à fait opportun, pour mener une grande politique du handicap, de lancer un plan d'urgence sur le handicap et, pour lancer ce plan d'urgence, je crois tout à fait nécessaire de pouvoir bénéficier, sur notre sol, d'une conférence annuelle du ou des handicaps (de la même façon qu'on a une conférence annuelle de la famille), qui permettrait de symboliser le droit à la participation des personnes handicapées à la décision des pouvoirs publics.

En ce qui concerne les expériences d'autres pays, il peut être toujours intéressant de comparer des dispositifs en la matière. Je ne sais pas s'il est opportun de comparer des dispositifs au niveau des prestations, mais je pourrais vous donner un certain nombre de comparaisons en ce qui concerne la politique de l'éducation.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous indiquez, dans votre rapport, que « les premières barrières aux personnes handicapées s'érigent pendant l'enfance ». Quelles sont, selon vous, les principales mesures qu'il reviendrait de mettre en oeuvre, notamment en France, afin, d'une part, de rendre effective l'intégration scolaire des enfants handicapés et, d'autre part, de permettre aux parents d'assumer pleinement leurs responsabilités en ce qui concerne l'éducation et la prise en charge de leur enfant handicapé ? Pourriez-vous, à ce niveau, nous indiquer les mesures prises dans les pays étrangers et dont nous pourrions nous inspirer ?

Mme Marie-Thérèse HERMANGE - Il est important, sur toute la politique de l'enfance, d'améliorer d'abord la connaissance du handicap. Celle-ci passe par trois axes.

D'abord, toujours mieux dépister

En limitant par exemple les accidents à la naissance, et en facilitant l'accès au dépistage anténatal à visée thérapeutique. Il ne faut pas ignorer, en ce qui concerne notre politique de périnatalité, le nombre de femmes qui, aujourd'hui, méconnaissant leurs droits médicaux et sociaux, n'ont pas accès à toutes les visites médicales adéquates. Il me semble qu'il y a là un certain nombre de dispositifs à mettre en place avec le secteur de la PMI à l'intérieur même des hôpitaux, au lieu que les PMI soient souvent à l'extérieur des hôpitaux, afin de faire en sorte que toutes les femmes qui ont une grossesse puissent systématiquement recouvrer leurs droits médicaux et sociaux. Un certain nombre d'études faites par l'INSERM montrent très bien en effet qu'un moins bon suivi périnatal est facteur de risques, physiques, psychologiques et psychosociaux, pouvant entraîner des troubles cognitifs, voire des troubles de la personnalité.

Mieux dépister me semble l'un des axes majeurs d'une politique de prévention susceptible de diminuer le risque du handicap. Il m'apparaît opportun de spécialiser des centres de protection maternelle et infantile, de renforcer les services de santé scolaire, d'augmenter le nombre de centres d'action médico-sociale précoce, qui sont des lieux de dépistage, de soins, de rééducation du jeune enfant comme de soutien pour ses parents.

Ensuite, mieux connaître la population concernée

Il faut connaître cette population tant au niveau départemental qu'au niveau national.

Enfin, mieux former

Il s'avère actuellement de plus en plus difficile de trouver des vocations d'éducateur pour travailler auprès des enfants handicapés. Une des raisons de cette désaffection est l'absence de formation et, simplement, d'information sur le handicap.

Tout d'abord, je crois qu'il serait utile d'introduire un temps obligatoire de formation médicale et paramédicale afin d'initier les futurs éducateurs et toutes celles et tous ceux qui ont, de près ou de loin, vocation à s'occuper d'enfants, à la connaissance des handicaps, des pathologies infantiles courantes et des soins élémentaires.

Ensuite, la place de l'orthophonie et de l'ergothérapie dans le suivi des enfants handicapés est de plus en plus importante. Or les orthophonistes et les ergothérapeutes ne semblent pas toujours avoir la place qui leur revient, alors qu'ils sont bien souvent un soutien non seulement pour les enfants, mais aussi pour les parents.

Enfin, je souhaiterais revenir sur une disposition qui a été prise récemment par le Gouvernement et, notamment, la création d'auxiliaires de vie. Il me semble que ces auxiliaires de vie ne devraient pas être financés exclusivement par le soutien associatif, même si celui-ci est nécessaire et indispensable. En effet, ce financement est rendu, de ce fait, aléatoire. La présidente de l'Association des paralysés de France dit que le financement des auxiliaires de vie devrait être effectué par la structure qui les emploie, à savoir l'Education nationale.

Mais il faut aussi faciliter l'accueil des jeunes enfants handicapés dans les structures de la petite enfance

Tout d'abord, offrir un libre choix à la famille, c'est-à-dire lui offrir une prestation de soutien adéquate sous la forme d'une allocation d'accueil de la petite enfance, qui pourrait être servie jusqu'à l'âge de six ans, leur permettant de choisir le mode d'accueil le plus adapté à leur enfant et à leurs souhaits. Cette allocation serait versée mensuellement par les collectivités locales et financée dans le cadre d'un contrat-enfant élargi en partenariat avec la caisse d'allocations familiales.

Ensuite, apporter un soutien financier aux dépenses de fonctionnement des collectivités locales, lorsqu'elles affectent une auxiliaire de puériculture, ce qui est le cas systématiquement en présence d'un enfant handicapé dans une crèche ou une halte-garderie.

Enfin, décloisonner les barrières institutionnelles entre les structures de la petite enfance relevant de l'Education nationale, celles relevant de la caisse d'allocations familiales et celles relevant de collectivités locales, c'est-à-dire :

- améliorer la scolarisation des enfants handicapés et développer l'école à l'hôpital, en évaluant l'accessibilité des établissement scolaires et sa mise en oeuvre ;

- développer un nombre de places en centre de rééducation adéquat ;

- accroître les places en classes d'intégration scolaire, notamment celles de type quatre pour les handicapés moteurs ;

- créer des places en instituts médico-professionnels ;

- inventer des solutions innovantes et originales en créant des dispositifs transitoires pour les enfants handicapés de six à dix ans (comme, par exemple, les classes « Mélanie », initiées par le mouvement « élan pour l'intégration des enfants en Seine-et-Marne ») ;

- établir un chiffrage exact des postes d'enseignants nécessaires pour couvrir les besoins et une analyse exacte des élèves par type de handicap.

Voilà les quelques outils que je proposerais volontiers. Deux autres outils me semblent importants.

Tout d'abord, faire prendre en charge par la sécurité sociale la rééducation psychomotrice et l'ergothérapie.

Ensuite, créer des fonds d'équipements départementaux pour mieux financer les aides techniques. Nous comptons actuellement en Europe 35 matériels disponibles en aide technique. En France, le faible nombre des matériels homologués par les pouvoirs publics (moins de 700) ne permet pas de couvrir la totalité du coût financier par les familles, et une grande partie du coût de ces aides techniques reste à la charge des familles. Or, dans le même temps, le prix des matériels tend à augmenter : de 1994 à 1999, le prix des fauteuils a augmenté de 25 %, tandis que celui des remboursements ne s'est accru que de 7 %. Il serait important de pouvoir redéfinir tout ce qui concerne la politique d'aide aux moyens techniques.

En ce qui concerne l'éducation, je voudrais indiquer que trois grands modèles d'organisation de l'enseignement pour les enfants à besoins éducatifs spécifiques coexistent en Europe.

Une première catégorie de pays, appelés pays « à option unique », regroupe les pays qui développent une politique et des pratiques orientées vers l'intégration de la quasi-totalité des élèves dans l'enseignement ordinaire (Grèce, Espagne, Italie, Portugal, Suède, Norvège) ;

Un deuxième groupe de pays, appelés pays « à deux options », regroupe les pays qui organisent deux systèmes d'enseignement distinct. Leur législation est double, avec des lois séparées (Belgique, Pays-Bas, Bulgarie, Lettonie, Roumanie) ;

Une troisième catégorie regroupe les pays qui ont une politique d'intégration plurielle, qui ne proposent pas une solution, mais plusieurs solutions.

En fonction de la façon dont est pensée la politique, nous avons une politique de formation des enseignants totalement différente : dans les pays du nord, sont systématiquement imposées une à deux heures hebdomadaires de formation à tous les enseignants qui se consacrent aux métiers de l'éducation.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez évoqué le nombre de travailleurs handicapés en référence à la loi de 1987 : qu'en est-il dans les autres pays européens ? Y-a-t-il davantage de personnes handicapées qui exercent une activité professionnelle ? Quelles sont les politiques nationales qui vous paraissent les plus efficaces dans ce domaine ? Des actions sont-elles définies au niveau européen afin de favoriser l'emploi de personnes handicapées ?

Mme Marie-Thérèse HERMANGE - Au niveau statistique, nous considérons que 26 millions de personnes handicapées sont actuellement en âge de travailler. Seuls 14 % de la population concernée ont actuellement une occupation ou un travail. Une étude vient d'être publiée par la DG Emploi et Affaires sociales de la Commission sur la situation en matière d'emploi des personnes handicapées.

Nous estimons aujourd'hui que c'est un des points majeurs pour développer une politique d'intégration et que les pays les plus avancés en la matière sont, comme bien souvent, les pays nordiques (Norvège, Danemark et Suède). Ces pays présentent un certain nombre d'autres inconvénients, puisqu'ils ne disposent pas de politique de prestations individuelles d'accompagnement personnalisé plus performante que dans d'autres pays.

Il est quand même difficile d'établir des comparatifs qui permettent une bonne appréhension du dossier. La définition de deux ou trois thèmes permettrait de dresser une comparaison par rapport aux outils qui existent dans tous les pays. J'ai particulièrement travaillé sur la question de l'éducation et de l'enfance. Je pourrai vous fournir un document conséquent en la matière. Je peux, si vous le souhaitez, vous procurer les coordonnées des personnes référentes en matière d'emploi à la DG Emploi et Affaires sociales.

M. Alain GOURNAC - Au-delà de tous les aspects techniques, je crois que les réponses que nous devons apporter au handicap sont en ligne directe avec la perception que les pays se font du handicap. Vous avez cité les pays nordiques. Je voudrais ajouter le Canada, en particulier le Québec, où règne un état d'esprit particulier : il y est considéré que le handicap fait partie de la vie. Je considère qu'on est encore, en France, dans une période où le handicap est un peu caché, mis de côté, tenu secret. Je crois beaucoup que si l'on ne parvient pas à ouvrir ce verrou, à dépasser ce blocage, nous ne prenons pas réellement en compte le problème. A cet égard, l'histoire de la caisse d'allocations familiales ne me surprend pas du tout. Avez-vous des informations, dans les études que vous avez réalisées, sur une ouverture plus large dans certains pays à l'approche du handicap ?

M. Jean CHERIOUX - On a pu constater qu'un député européen doté d'une longue expérience d'élu local pouvait répondre à toutes nos questions avec une connaissance du problème absolument étonnante. Au fond, il semble que lorsqu'on parle de « handicap », nous parlons de handicap mental dans la plupart des cas. Il est vrai que la loi de 1975 avait été faite, au départ, pour les trisomiques et les handicapés mentaux. Il y a tout de même trois grandes catégories de handicapés : les mentaux, les moteurs, les sensoriels. Votre expérience des législations étrangères, en particulier des pays toujours très pragmatiques comme les pays anglo-saxons, vous a-t-elle permis de constater que l'on pouvait poursuivre plusieurs politiques adaptées spécialement, l'une aux handicapés mentaux, l'autre aux handicapés moteurs, la troisième aux handicapés sensoriels ? Dans notre système actuel, notamment sur le plan des équipements, mais aussi des procédures, les grands perdants sont quand même les handicapés moteurs, et surtout les handicapés sensoriels.

M. Francis GIRAUD - J'ai été frappé, comme mes collègues, par votre connaissance parfaite de ce problème immense et difficile.

Permettez-moi tout d'abord d'exprimer une remarque en ce qui concerne la prévention, le dépistage et, surtout, la surveillance de la grossesse. Nous avons été amenés, au sein de la commission des Affaires sociales, à aborder ces problèmes et il faut dire qu'il y a, dans notre pays, une inquiétude grave : la diminution du nombre des obstétriciens, la diminution de la possibilité pour la surveillance avant et au moment de la naissance sont une source considérable de handicaps. Parmi les mesures, non pas de doctrine, mais d'application, ceci aurait une énorme importance.

La classification et la quantification restent bien difficiles. Chaque handicap est toujours une souffrance, quelle que soit la manière de s'exprimer. Certaines souffrances sont choquantes et difficiles : la présence, dans une famille, d'un enfant polyhandicapé, avec déficit cérébral lourd. Nous savons bien qu'il manque, dans notre pays, des places d'accueil pour ce genre de handicaps profonds. Existe-t-il encore, dans les pays nordiques que vous avez évoqués, des gens à qui on ne peut pas proposer un accueil ou bien existe-t-il des pays où l'on arrive quand même à accueillir tous ces enfants ? Y-a-t-il, dans ces pays, une politique plus structurante du point de vue de l'accueil des enfants polyhandicapés ?

Mme Anne PAYET - J'aimerais connaître votre sentiment concernant ce qui s'est passé dernièrement en Angleterre : je fais ici référence à cette jeune femme qui a eu l'autorisation de se suicider. La même décision aurait-elle été possible en France ?

M. Nicolas ABOUT, président - Je voudrais poser une petite question, en citant un cas particulier : une Française, handicapée, était partie travailler en Suède toute sa vie et elle a essayé de prendre sa retraite en France. Elle s'est alors rendu compte, à peine rentrée en France, qu'il était impossible de vivre à domicile quand on était handicapé, qu'il n'y avait rien pour vous aider, pour vous soutenir. Elle est partie revivre sa retraite et terminer sa vie en Suède. Alors il existe bien des différences d'approche de handicap en milieu ouvert et je pense que, dans ce domaine, il y a certainement aussi beaucoup à faire.

Mme Marie-Thérèse HERMANGE - Monsieur le président, je voudrais rebondir sur votre dernière question, car il est vrai que s'il y a libre circulation des marchandises, il n'y a pas libre circulation des hommes et des femmes pour circuler, travailler et vivre sur le territoire européen. Ces difficultés sont rencontrées dans la vie de tous les jours. Quand je présidais le conseil d'administration de l'Assistance publique, la société de neurologie a voulu faire venir à l'Assistance publique Hôpitaux de Paris un grand pédiatre belge. Et lorsque celui-ci est arrivé il y a six ans, il a quasiment retrouvé un statut d'interne. Nous nous sommes battus pendant trois à quatre ans avec la direction des hôpitaux pour qu'il puisse retrouver son statut. Ces difficultés existent d'autant plus en cas de situations d'exclusion.

Je crois, pour ma part, qu'à côté des politiques qui ont été pensées de façon collective et qui nécessitent bien évidemment des places en maisons d'accueil spécialisées, dans les structures adéquates, il est important, à certains âges de la vie (petite enfance, retraite, etc.), de pouvoir bénéficier d'allocations plus spécifiques. C'est la raison pour laquelle, lorsque j'étais adjointe au Maire de Paris, j'ai initié une « allocation de présence parentale », qui a d'ailleurs été reprise au niveau gouvernemental. Celle-ci permet, lorsque l'on est touché par le handicap, de pouvoir bénéficier d'un soutien adéquat, notamment lorsque l'on doit arrêter de travailler pour faire face au handicap. Je pense qu'à tous les âges de la vie, on doit avoir suffisamment de souplesse, dans nos systèmes et nos dispositifs, pour pouvoir bénéficier d'un soutien financier et psychologique adéquat lorsque l'on a un enfant accueilli dans une structure collective.

L'Europe, c'est effectivement des directives, des normes, mais c'est aussi des hommes et des femmes qui ont des cultures. Un certain nombre de pays (et notamment les pays nordiques) ont, dans de nombreux domaines, des cultures nettement moins discriminantes que les nôtres. C'est la raison pour laquelle, sans aucun doute, les concepts européens étant le fruit d'une pensée anglo-saxonne, on a remplacé un programme comme le programme « Hélios » pour avoir des programmes d'actions de non-discrimination dans un certain nombre de domaines. Ceci ne veut pas dire qu'à terme, cela ne pose pas quelquefois quelques problèmes, lorsque l'on a fixé des concepts qui peuvent devenir très standardisés. Il est évident que les pays comme les pays du Nord (et vous avez cité aussi le Canada) n'ont pas peur de dire : « il y a des discriminations et nous devons les traiter ! ». Or, aujourd'hui, il y a quand même encore quelques obstacles. Si demain, dans votre commune, dans votre département, vous construisez un établissement public, malgré les normes fixées au niveau national, au niveau européen, si vous ne faites pas visiter votre établissement par une personne qui souffre d'un drame du handicap, il y a un certain nombre d'éléments qui ne vous apparaîtront pas sur le terrain.

Je pense que l'on souffre, en France, de notre esprit très cartésien, qui fait qu'à chaque type de problème, il faut une structure, une compétence et un financement distincts. Beaucoup de pays n'ont pas notre complexité administrative. Si vous prenez un pays comme l'Allemagne, les répartitions entre la compétence fédérale et celle des Länder sont quand même beaucoup plus lisibles que les nôtres. Les complexités administratives et les complexités institutionnelles font que notre esprit cartésien se traduit dans cette politique du handicap, et que d'autres pays (je pense aussi à la Belgique) prennent beaucoup mieux en charge le polyhandicap que la France.

Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit en matière de prévention. Il m'apparaît totalement fondamental que nous puissions, à côté d'une politique de périnatalité strictement technico-médicale, développer une politique de « périnatalité sociale » qui permette une véritable politique de prévenance et de prévention à tous les niveaux, social, mais aussi à celui du handicap lui-même. Cela me paraît totalement fondamental aujourd'hui. Les gynécologues, les obstétriciens, les anesthésistes, tous les métiers qui touchent de près ou de loin à l'enfance et à la naissance et qui manquent actuellement, mériteraient aussi une large revalorisation.

En ce qui concerne la question de l'euthanasie, je pense que, dans la mesure où il s'agit d'une décision qui a été rendue par la Cour de Justice européenne, les attendus de la Cour de Justice pourraient s'appliquer de la même façon en France si demain une situation française se présentait. Il est à noter que le récent arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, Pretty contre Royaume-Uni du 29 avril 2002, qui a refusé à une Britannique atteinte d'une maladie incurable le droit de se faire assister pour mettre fin à ses jours, a relancé le débat sur l'euthanasie dans plusieurs pays européens Nous n'allons pas ouvrir aujourd'hui ce vaste débat. J'ai noté les propos du Saint-Père la semaine dernière sur la souffrance d'un certain nombre de personnes en fin de vie, indiquant « qu' il ne fallait pas que la technique, quelquefois, s'obstine sur la personne humaine ».

B. AUDITION DE M. PATRICK RISSELIN, AUTEUR DU LIVRE « HANDICAP ET CITOYENNETÉ AU SEUIL DE L'AN 2000 »

M. Nicolas ABOUT, président - Voilà plus de dix ans que vous participez, au sein du ministère de la Solidarité, au pilotage et à la mise en oeuvre de la politique en faveur des personnes handicapées. A cette expérience de praticien s'ajoute un important travail de recherche et de prospective. Vous avez publié, il y a maintenant trois ans, un ouvrage fort instructif intitulé « Handicap et citoyenneté au seuil de l'an 2000 ». Dans cet ouvrage, vous dressiez un bilan très critique des politiques sociales du handicap menées depuis l'adoption de la loi d'orientation de 1975, qui a maintenant vingt-sept ans. Vous exploriez également quelques pistes pour leur rénovation. Pourriez-vous revenir, en les actualisant, sur les grandes lignes de votre ouvrage ?

M. Patrick RISSELIN - Mon expérience est une expérience administrative. Je suis administrateur civil au ministère de l'Emploi et de la Solidarité, donc un fonctionnaire. J'ai été effectivement amené, à travers mon cursus professionnel, à découvrir, puis à travailler et à réfléchir sur cette question du handicap, dans des postures finalement assez variées : à la fois comme responsable d'un bureau, en charge des politiques du handicap à la Direction de l'action sociale ; ensuite comme responsable également d'un bureau chargé des études, ce qui m'a donné des éclairages intéressants (et je souscris tout à fait à ce qui a été dit par l'intervenant précédent, notamment sur nos carences en matière de connaissance du handicap) ; plus récemment également, dans des fonctions un peu plus décisionnelles, puisque j'ai été conseiller technique auprès de la ministre de l'Emploi, puis des ministres délégués à la santé, Bernard Kouchner et Dominique Gillot, pour les questions de handicap.

Il est vrai qu'en 1995, j'avais été amené à réfléchir au bilan de cette fameuse loi d'orientation du 30 juin 1975, à la demande de la ministre de l'époque, Simone Veil, qui souhaitait que la Direction de l'action sociale se penche sur cette question, qu'elle établisse non pas un bilan exhaustif, mais qu'elle soulève plutôt un certain nombre de questions, porte un certain nombre d'éclairages sur cette loi. Je l'avais fait sous forme de rapport, qui a été repris ensuite dans une édition un peu plus accessible, publiée par l'Observatoire d'action sociale décentralisée.

Même si j'ai été bien évidemment conduit à évoluer sur tel ou tel point (je ne dirais pas tout à fait la même chose aujourd'hui dans les mêmes termes), je crois que, globalement, le constat que je dressais il y a quatre ans me semble assez largement d'actualité et que j'y souscris encore assez largement.

M. Paul BLANC, rapporteur - Quel bilan général peut-on dresser de la loi d'orientation de 1975 ? Quels sont ses principaux succès et ses principaux échecs, et quelles en sont les raisons ? Compte tenu de ce bilan, les objectifs fixés et le cadre défini par la loi d'orientation demeurent-ils encore valables aujourd'hui ?

M. Patrick RISSELIN - Tout d'abord, je crois qu'il faut rappeler que cette loi a été un grand moment, historiquement et conceptuellement. Un renversement un peu copernicien de la question du handicap a eu lieu : nous sommes passés d'une logique de la réadaptation (où, très schématiquement, c'était à la personne handicapée de faire l'effort de se réadapter à la société) à une inversion de la charge de la preuve (c'est-à-dire que c'est à la société d'intégrer et d'inclure, cette intégration se déclinant dans tous les registres de la vie collective, de l'éducation à l'emploi, en passant par la vie sociale, le loisir, etc.).

Cette loi fixait un certain nombre de grands objectifs (sur lesquels on pourra effectivement s'interroger quant à leur pertinence actuelle), réorganisait ou créait un certain nombre d'outils ou d'instruments (les prestations notamment) pour mettre en oeuvre cette politique. De multiples rapports ont dressé au fur et à mesure l'état des lieux de cette loi.

La loi de 1975 a effectivement permis un certain nombre d'avancées essentielles.

Elle a d'abord été un formidable amortisseur social (la France a quand même traversé, dans les années 1980, une crise sociale extrêmement profonde). A travers notamment le dispositif des ressources, elle a assez largement constitué, pour cette catégorie de population, un amortisseur social, avec les éventuelles dérives qui ont d'ailleurs été dénoncées quant aux attributions d'allocations d'adultes handicapés pour des personnes qui n'étaient pas spécifiquement handicapées. Le dispositif de prestations établi par la loi de 1975 a constitué, pour toute une frange de la population, une dimension de « filet de sécurité ».

La loi de 1975 a ensuite permis des avancées considérables dans la diversification des modes de réponse et, tout particulièrement, des réponses institutionnelles. La France s'est dotée d'une panoplie assez exemplaire d'institutions tant pour les enfants que pour les adultes handicapés, ce qui n'est pas d'ailleurs sans poser un certain nombre de problèmes. Je crois qu'il y a peu d'équivalents dans d'autres pays. Cette panoplie a permis, au moins pour l'enfance, de façon très globale, une prise en charge relativement acceptable, même si des trous énormes subsistent. Cette prise en charge est beaucoup moins acceptable pour l'âge adulte, du fait d'évolutions démographiques qui ont été insuffisamment anticipées. Cet appareil, dont le secteur associatif est très largement, sinon quasi exclusivement, à l'origine, a constitué une réponse tout à fait pertinente.

Autre succès de la loi : sa plasticité, c'est-à-dire le fait qu'elle ait pu être complétée dans ses aspects sur lesquels elle offrait un certain nombre d'ouvertures : l'accès à l'emploi (sur la loi de 1975 s'est greffée la loi du 10 juillet 1987 sur l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés), les dispositifs relatifs à la lutte contre les discriminations (loi du 12 juillet 1990), la loi relative a l'accessibilité (loi du 13 juillet 1991). Elle a dressé un cadre qui n'était pas refermé et qui a pu être complété au fur et à mesure comme il convenait.

Pourtant, je crois qu'on est très loin d'avoir atteint l'objectif essentiel (la question reste de savoir s'il était explicitement posé dans la loi ou non) d'intégration, c'est-à-dire de faire en sorte que les personnes handicapées participent de la vie collective comme tout un chacun, comme des citoyens à part entière. Cette intégration n'a pas été réalisée. Les limites sont connues : il s'agit de tout ce qui touche à l'intégration dans la vie ordinaire :

- intégration scolaire des enfants handicapés ;

- intégration dans l'emploi ;

- maintien à domicile (aménagement du cadre de vie et de proximité) ;

- intégration dans les transports ;

- intégration dans les loisirs.

Toute cette dynamique d'intégration a été ratée.

Au-delà de ce constat sommaire, quelles explications peut-on donner à cette situation ? Je pense que les explications ne sont pas monovalentes, qu'il y a un certain nombre de raisons.

Est-ce le fait de la loi elle-même ? On ne peut pas ne pas se poser la question. Si cette loi a connu un certain unanimisme, il n'empêche qu'elle a aussi un certain nombre de détracteurs, au motif qu'en désignant, qu'en sériant les personnes handicapées pour les intégrer, celles-ci sont exclues et « ghettoïsées » de ce fait même. L'existence même d'une loi spécifique pour les personnes handicapées pose-t-elle problème ? Ne faut-il pas plutôt privilégier la déclinaison de la préoccupation du handicap dans toutes les politiques publiques ?

Cette loi était-elle, dans son essence, volontairement intégrative ? Le mot « intégration » apparaît pour l'intégration sociale, mais l'intégration constitue-t-elle le leitmotiv de cette loi explicitement formulé par le législateur ? Si tel n'est pas le cas, telle était bien la lecture qui en a été faite par l'ensemble des parties, qu'il s'agisse des personnes, qu'il s'agisse de leurs associations, qu'il s'agisse des pouvoirs publics.

La logique de la loi de 1975 est un petit peu différente des attentes et des logiques qui sont en oeuvre aujourd'hui. Je crois qu'en 1975, on privilégiait les grands dispositifs collectifs d'intégration sociale. La loi de 1975 ne définit pas ce qu'est la personne handicapée. Elle s'en remet explicitement au constat fait par les commissions chargées d'évaluer les personnes handicapées (les CDES ou les COTOREP). Cette logique d'intégration collective vise à gommer la différence de la personne handicapée dans une norme illusoire. Cet aspect collectif n'est plus tout à fait en résonance avec les attentes très individualisées d'aujourd'hui. Nous sommes passés d'une logique de l'intégration à une logique de l'insertion, qui est un processus beaucoup plus individuel, qui appelle des stratégies beaucoup plus ciblées, beaucoup plus proches de la personne, beaucoup plus difficiles à mettre en oeuvre, car elles font intervenir une multitude d'acteurs aux légitimités et aux compétences différentes.

La loi de 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées est née en même temps que la loi relative aux institutions sociales et médico-sociales. Dès sa naissance, cette loi d'orientation a été marquée par cette accroche institutionnelle. La réponse institutionnelle, consciemment ou inconsciemment, a été privilégiée : elle était la plus facile à mettre en oeuvre et, en même temps, correspondait à de très fortes attentes, en particulier associatives.

Les objectifs qui ont été posés ne sont pas fondamentalement à remettre en cause. Il conviendrait sans doute d'affirmer beaucoup plus explicitement dans la loi la volonté d'intégration et surtout la prise en compte de la citoyenneté et de la liberté, du libre choix de la personne. Cela correspond à une évolution très forte des attentes des personnes handicapées.

M. Paul BLANC, rapporteur - La révision de cette loi de 1975 devrait peut-être, en priorité, favoriser davantage l'autonomie individuelle des handicapés, plutôt que développer des structures spécialisées. L'effort financier actuellement consenti par la nation en faveur des personnes handicapées vous paraît-il adapté aux ambitions de la loi de 1975 ? Et par rapport à ce qui devrait être une nouvelle orientation ?

M. Patrick RISSELIN - Les chiffres ont dû sensiblement évoluer, mais j'en étais resté à une dépense sociale de l'ordre de 160 milliards de francs, ce qui peut paraître une somme non négligeable, cumulant tous les efforts de toutes les parties, qu'il s'agisse des crédits de l'Etat, de la sécurité sociale, des collectivités territoriales. C'est donc un effort incontestablement important.

J'avoue que l'administration, en particulier l'administration sociale, est restée pendant très longtemps dans une position mentale d'autocensure, où nous avions honte de demander, de négocier les crédits nécessaires, qu'il s'agisse de création d'institutions, spécialisées ou d'autres actions. J'avoue très objectivement qu'avec le recul pris depuis lors, cet effort n'est pas suffisant. Je pense qu'il y a des choses aujourd'hui totalement inadmissibles dans un pays développé. Nous avons des absences ou des dénis de réponses absolument scandaleux, envers des personnes qui sont dans des situations absolument dramatiques. Il n'y a pas de honte à ce que la collectivité se mobilise. Je me souviens du cas de cette mère d'enfant autiste, seule pour l'élever sans aucun soutien, qui passait tous ses week-ends lorsqu'elle récupérait son enfant à la sortie de l'institut, à tourner sur le périphérique, parce c'était la seule activité qui permettait de calmer son enfant. A l'aune de ces exemples, je crois qu'il ne faut pas être indécent et que l'effort n'est pas suffisant.

Je pense qu'il faut être aussi beaucoup plus rigoureux dans l'utilisation des deniers publics. Je crois que le secteur du handicap est un secteur sous-contrôlé. Nous avons tous en tête un certain nombre de scandales, d'affaires qui ont défrayé la chronique, et qui montrent que nos services ne sont pas suffisamment armés pour demander des comptes tout à fait légitimes auprès des opérateurs associatifs sur la façon dont ces crédits sont utilisés. J'ai parfois l'impression que le secteur du handicap est aussi un « fromage » pour un certain nombre de personnes. Je pense que les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités, mais qu'une meilleure rationalisation des moyens mis en oeuvre est possible. Ces moyens me paraissent devoir être amplifiés, mais sans aucun doute dans une optique de gestion beaucoup mieux maîtrisée.

M. Paul BLANC, rapporteur - On arrivera peut-être à avoir un meilleur contrôle, dans le cadre de la loi du 2 janvier 2002 qui vient d'être promulguée, dans la mesure où nous avons mis en place ces expertises externes et internes. C'est en tout cas ce que nous avons souhaité quand nous avons élaboré le texte. Aujourd'hui, on constate que la vie des personnes handicapées paraît moins déterminée par leur libre choix que les aléas et contraintes d'un système de prise en charge tout à la fois complexe et lacunaire. Quels aménagements ou réformes pourrait-on engager en priorité afin de garantir ce libre choix ?

M. Patrick RISSELIN - Je crois qu'il faut d'abord, en priorité, un peu inverser le mouvement du pendule. Pendant vingt-cinq ans, nous avons axé les réponses, tout au moins les réponses publiques, sur l'effort institutionnel. Il était nécessaire et le reste encore pour une large part. Mais en termes d'approche, il faut d'abord privilégier toutes les réponses les plus intégratives, notamment tout ce qui a trait au maintien à domicile.

Ce serait une erreur de poser l'institution contre le domicile. Il ne faut pas les opposer, mais plutôt chercher leur complémentarité et sortir de tous les cloisonnements. Ce dont nous avons fondamentalement besoin, c'est de souplesse dans les dispositifs, de les faire communiquer et de mieux les articuler. Il s'agit, non pas de désintégrer pour ensuite essayer de réintégrer, mais d'essayer dès l'amont de maintenir la personne handicapée dans son milieu de vie ordinaire auprès de sa famille, à son domicile. La première réponse est vraiment de faire un effort prioritaire sur le soutien à domicile. C'est ce que l'on a essayé de faire à l'époque à travers le plan Jospin, qui a été présenté au Conseil national consultatif des personnes handicapées en janvier 2000, en essayant de remettre l'accent sur le soutien à domicile, en développant et en localisant un certain nombre de compétences. Il existe un fantastique développement des aides techniques, du potentiel technologique, qui est d'une part souvent méconnu des personnes handicapées, et d'autre part souvent inaccessible, inabordable pour des raisons de coût financier. Il faut essayer d'avoir un lieu qui mutualise à la fois les savoirs et les compétences, en permettant aux personnes handicapées d'avoir le conseil adapté sur l'utilisation de telle ou telle aide technique, sur l'aménagement de son domicile, sur le type d'aide humaine qui lui serait nécessaire, et qui lui permette par ailleurs d'accéder à ces aides, d'abord en la dispensant de cette quête aux financeurs (une étude montrait que, pour une aide technique, on peut avoir jusqu'à quatorze financeurs différents, avec une moyenne de l'ordre de quatre financeurs). Ce plan visait aussi à développer tous les emplois de maintien, de soutien à domicile, que ce soient les dispositifs d'auxiliaires de vie, les emplois jeunes et à favoriser l'accessibilité des transports, des lieux collectifs.

Par ailleurs, il convient de ne pas délaisser les institutions, car nous en avons encore un besoin fort, d'abord pour des raisons démographiques (nous vivons toujours sous l'emprise de l'amendement Creton : nous avons toujours des jeunes adultes qui sont maintenus dans des établissements pour enfants handicapés, ce qui témoigne bien qu'il y a quand même des ruptures de prise en charge, et qu'il faudra bien les combler), mais aussi pour mieux prendre en compte les « délaissés » du handicap, qui sont malheureusement les cas les plus lourds, -polyhandicapés, personnes autistes, traumatisés crâniens, personnes malades mentales dites « stabilisées »-, qui, étant à la croisée des deux dispositifs, le dispositif médico-social et le dispositif sanitaire, ont beaucoup de difficultés à se faire entendre.

M. Paul BLANC, rapporteur - Nous avons évoqué la question de l'intégration scolaire, des problèmes financiers et administratifs qu'elle soulevait. Cette intégration ne se heurte-t-elle pas, à votre sens, à des résistances d'ordre culturel ou sociologique ? Et si oui, comment faire éventuellement évoluer les mentalités ?

M. Patrick RISSELIN - Cette intégration n'est bien évidemment pas qu'un problème d'obstacles financiers. C'est aussi, comme vous le soulignez, un problème d'obstacles psychologiques.

D'abord, peut-être, un certain nombre de parents d'enfants handicapés sont encore réticents à mettre leur enfant dans une école ordinaire, même si de plus en plus souvent la tendance est de privilégier cette solution.

Le corps enseignant est lui aussi réticent et craintif pour des raisons que l'on peut également comprendre : l'instituteur a peur de ne pas être en capacité de suivre et d'accompagner un enfant handicapé.

Enfin, les autres parents, craignant pour le niveau de la classe, sont eux aussi souvent très réservés.

Les solutions sont des solutions à long terme, qui nécessitent un effort de pédagogie qui doit se développer dans tous les champs. D'abord, je crois qu'il faut qu'il y ait pour tous les professionnels, et en premier lieu les professeurs des écoles, une sensibilisation dès leur formation à la question du handicap. Au jour d'aujourd'hui, tout enseignant, au cours de sa carrière, sera confronté à ce problème. Je ne sais si c'est aujourd'hui prévu ou non dans les IUFM, mais il faudrait qu'il y ait au moins un module de sensibilisation à l'accueil de l'enfant handicapé dans une classe. Cela vaut également pour le corps médical. Au-delà des problèmes de dépistage, il faut également parler des problèmes d'annonce du handicap aux familles par les professionnels de santé, qui ne sont généralement pas formés pour cela. Cette connaissance du handicap doit être intégrée dans tous les cursus de formation des professionnels qui, peu ou prou, auront à rencontrer cette question.

Il faut aussi parfois user de la contrainte : on doit pouvoir imposer à des enseignants de prendre un enfant handicapé. Cela fait partie de leurs obligations éducatives. Il faut parfois aussi aller au-delà d'une certaine frilosité, de certains corporatismes syndicaux. La contrepartie est bien évidemment de leur en donner les moyens. L'intégration scolaire se prépare, se travaille, s'accompagne. L'enseignant ne peut seul y faire face. Il doit s'appuyer sur un réseau, sur des auxiliaires d'intégration, sur un certain nombre de professionnels beaucoup plus spécialisés que lui dans cette problématique.

M. Paul BLANC, rapporteur - Aujourd'hui, le financement de la politique en faveur des personnes handicapées fait intervenir différents acteurs (Etat, collectivités locales, associations, caisses d'assurance maladie, etc.). Certains disent qu'il faut décentraliser. Vous parlez, dans votre ouvrage, « d'effets pervers de la décentralisation ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Patrick RISSELIN - Ce ne sont pas des propos que je reprends à mon propre compte. Lorsque j'en parle dans ce rapport, l'effet pervers est celui qui nous est abondamment décrit par les associations sur le thème du déni de compétences, entre l'Etat, les départements, les caisses d'assurance maladie. Il y a une réalité derrière. Souvent, les associations sont contraintes de jouer les médiateurs et de faire l'interface entre ces différents représentants des pouvoirs publics ou d'organismes publics ou parapublics.

Je crois qu'il faut nuancer ce constat : il y a eu des réalisations tout à fait remarquables dans le cadre de la décentralisation. L'effort consenti par les conseils généraux, dans les créations institutionnelles (foyers de vie, foyers d'hébergement, etc.), est, globalement, quasiment égal, sinon légèrement supérieur, à ce qu'a fait l'Etat sur une période de dix ans. La vraie question est le manque de règles du jeu en l'espèce. Je ne pense pas qu'il faille revenir sur la décentralisation. Je crois que, si l'on veut véritablement construire la citoyenneté des personnes handicapées, celle-ci se construit dans ses rapports les plus quotidiens, les plus immédiats. A ce titre-là, les collectivités territoriales (les départements, mais aussi les communes) me paraissent le plus à même d'apporter ce type de réponse.

Nous sommes effectivement dans des dispositifs complexes, qui n'ont pas été au bout de leur logique, au moment même de l'adoption des lois de décentralisation. Très schématiquement, tout ce qui était vie à domicile et hébergement a été transféré aux départements. Je crois qu'il faut quand même, à défaut d'un acteur unique, au moins un chef de file bien clairement identifié sur chacune des compétences. Il est bien évident que l'on ne reviendra pas sur la décentralisation, ce que je ne souhaite pas personnellement. On ne pourra pas, comme cela a été avancé par certains, dire « à nous les personnes âgées ; à vous les handicapés ».

En revanche, je pense que l'on peut certainement amender, clarifier un certain nombre de compétences, très précisément sur le champ du soutien à domicile. Tout ce qui est emploi à domicile (auxiliaires de vie) ressort très largement de la compétence départementale. Or je constate aujourd'hui que l'Etat est le premier financeur des postes d'auxiliaires de vie et que, dans le cadre du plan Jospin, 5.000 postes d'auxiliaires de vie ont été recréés. Nous étions en effet à 2.000 postes depuis dix ans, stabilisés et jamais augmentés.

Par ailleurs, il ne faut pas avoir des découpages institutionnels qui en arrivent à opposer le domicile et l'institution. C'est pourquoi je serais assez favorable à ce que l'Etat conserve une compétence générale de définition des grands axes politiques de solidarité nationale.

Il ne serait pas illégitime que les conseillers généraux « récupèrent » l'ensemble des institutions (y compris les centres d'aide par le travail, compte tenu de l'étroite corrélation entre le centre d'aide par le travail et le foyer d'hébergement), l'ensemble du champ des emplois de proximité et puis, sans aucun doute, une allocation compensatrice de tierce personne qui devrait être complètement remise à plat, rénovée, qui devrait être beaucoup plus souple dans son utilisation. Elle est aujourd'hui délivrée à partir d'un taux d'invalidité de 80 % ; or nous savons très bien que, pour des personnes handicapées à 50 % d'incapacité, un suivi et un accompagnement sont également nécessaires. Ses deux extrêmes pourraient être beaucoup plus larges, à la fois vers le bas et vers le haut, en termes de montant financier. Quant à son utilisation, il conviendrait qu'elle soit laissée à libre discussion de la personne, qu'elle puisse servir à financer des aides techniques, si tel est le besoin de la personne, ou un accompagnement humain, mais qu'elle soit clairement recentrée sur sa vocation d'aide à domicile.

Mme Sylvie DESMARESCAUX - L'intégration au niveau des centres de loisirs m'intéresse particulièrement. Pour la première fois aux vacances qui vont commencer chez nous dans le Nord la semaine prochaine, on va intégrer dans notre centre de loisirs deux enfants handicapés, un petit garçon handicapé moteur et une petite fille handicapée sensorielle. Nous avons beaucoup de difficultés pour sensibiliser les animateurs. Il s'agissait plus d'inquiétude que de mauvaise volonté. Ils ne sentent pas prêts. Vous parliez du travail au niveau du corps enseignant pour l'intégration dans les écoles, mais je pense aussi qu'au niveau du BAFA, du BAFD, il serait peut-être bon de prévoir une formation adaptée. C'est à nous, maires, d'accueillir ces enfants. Si on peut les intégrer en milieu scolaire, il est bien normal qu'on puisse les intégrer ensuite dans nos centres de loisirs.

Mme Annick BOCANDE - J'ai beaucoup travaillé, dans mon département, avec les associations de handicapés, puisque j'étais présidente de la commission des Affaires sociales de mon département. J'ai toujours été étonnée de voir comment était abordée la prise en compte du handicap (dans les années 1980-1985, après les lois de décentralisation), de façon réparatrice, par ces associations, auxquelles je rends hommage pour leur dévouement et leur dynamisme (car je crois qu'elles ont effectivement porté le progrès en matière de réponse à ce douloureux problème du handicap). On avait l'impression qu'il s'agissait d'une réparation de la société vis-à-vis d'une injustice qui était quelque part imposée à des familles et qu'il fallait que la société répare. J'ai l'impression que, de cette approche, a découlé la prise en compte du handicap et peut-être le pseudo échec, que l'on constate aujourd'hui, sur l'intégration individuelle des handicapés dans notre société.

On parle beaucoup de la réforme de la loi de 1975 : une réforme des autres textes serait également très importante, notamment celle des lois de décentralisation, qui, aujourd'hui, posent d'énormes difficultés aux acteurs de ces politiques dans les conseils généraux. Nous avons fait de gros efforts. La Seine-Maritime a été particulièrement remarquable, je crois, sur ce sujet-là. Mais c'est vrai que nous nous heurtons à la complexité de textes. Les associations de handicapés composées de familles, de parents d'enfants ou de jeunes adultes handicapés, se tournent vers la collectivité qui leur paraît la plus proche et la plus apte à leur apporter des réponses rapides. Cette collectivité est souvent d'abord bien sûr la commune (mais elle n'a pas toujours les moyens) et le conseil général. La réponse aujourd'hui en termes financiers est surtout là. C'est cette demande que les conseils généraux, qui ont essayé de répondre tant bien que mal à ces difficultés, doivent aujourd'hui toujours mieux prendre en compte, mais ils arrivent un peu au bout de leurs possibilités financières. Il est dommage que cette réponse ait été surtout financière, plutôt qu'individuelle et intégrative du handicapé dans notre société.

Vous parliez des auxiliaires de vie. Pour m'être beaucoup penchée sur le sujet, les textes, ceux de 1983 notamment, ne sont pas clairs du tout. Il n'est prévu nulle part que les auxiliaires de vie sont, par exemple, à la charge des conseils généraux. Je pense que si l'on veut vraiment résoudre ces problèmes, il faut tout reconstruire, tout rebâtir, redéfinir des textes extrêmement clairs. Mais j'ignore comment nous parviendrons à définir des limites. On voit bien aujourd'hui que les foyers occupationnels sont contestés dans certains départements considérant qu'ils relèvent de la compétence de l'Etat ; que les maisons d'accueil spécialisées, qui devraient relever complètement de la compétence des organismes sociaux, de la sécurité sociale notamment, sont créées par les conseils généraux (c'est le cas en Seine-Maritime) avec une modeste participation des organismes sociaux, parce qu'il n'y avait pas les réponses financières.

Si nous voulons réellement nous emparer de ce problème, il faut le reprendre complètement à l'origine. Il faut abandonner cette logique réparatrice et adopter une logique d'intégration dans la société de ces personnes handicapées. Il faut avoir un regard global sur le handicap (il y a des quantités de handicaps) et sûrement arrêter de cloisonner les handicapés. Il s'agira alors d'un début de réponse certainement beaucoup plus souhaitable.

M. Nicolas ABOUT, président - Quand on parle de la réforme de la loi de 1975, c'est un raccourci : il s'agit de mieux répondre désormais, vingt-sept ans après cette loi, à cette insertion individuelle avec tous ses défis (en particulier maintien à domicile, insertion professionnelle). Nous aimerions connaître la réponse de la fonction publique au travail du handicapé par exemple (comment l'Etat, à son propre niveau, peut déjà remplir sa tâche), avant de voir comment les autres collectivités vont pouvoir le faire un peu mieux.

M. Patrick RISSELIN - Je me retrouve dans les propos qui ont été rapportés. Il faut essayer de mieux faire dialoguer tous les intervenants. Une multitude de réponses ont été inventées au fil de l'eau ; et c'est là le mérite de cette loi de 1975, qui a offert un cadre suffisamment souple pour permettre de développer des réponses assez variées. Mais tout ceci reste trop cloisonné, chacun agissant dans son coin sans que l'on sache ce qui est fait ailleurs, sans que les compétences soient mutualisées, sans que l'on partage les expériences.

Concernant les centres de loisirs, la nécessité de préparer ceux qui vont intervenir implique que l'on puisse aussi localiser les lieux de compétences. Des choses remarquables se font, sans que cela se sache. Il faut mettre du liant dans tous ces dispositifs.

C. AUDITION DE M. PATRICK SEGAL, DÉLÉGUÉ INTERMINISTÉRIEL AUX PERSONNES HANDICAPÉES

M. Nicolas ABOUT, président - Voici maintenant près de sept ans que vous occupez les fonctions de délégué interministériel aux personnes handicapées. Vous êtes, à ce titre, chargé de coordonner l'action de tous les ministères concernés. Compte tenu de votre expérience et de votre place au sein de la politique en faveur des personnes handicapées, nous avons bien entendu souhaité vous auditionner. Pourriez-vous nous présenter, en quelques mots, le rôle du délégué interministériel et aussi nous faire part de votre appréciation générale sur la politique du handicap et son évolution depuis votre entrée en fonctions ?

M. Patrick SEGAL - Je dresserai un bref rappel historique, avant d'exposer le contenu de la fonction du délégué.

La création du poste de délégué interministériel est intervenue le 3 août 1995. Cette nomination à un poste nouveau (il n'y avait jamais eu, jusqu'à présent, un poste de délégué ; il y a eu un secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, mais jamais de délégué) a eu lieu suite à une interrogation du chef de l'Etat sur la politique à mettre en place en faveur du handicap durant ce septennat. J'avais eu l'occasion de co-rédiger le discours de Bort-les-Orgues sur le handicap et j'avais émis l'idée que la coordination restait quand même le maître mot en matière de handicap et qu'au fond, les associations souhaitaient une coordination des ministères, une action interministérielle ; et qu'il était plus intéressant d'avoir de la transversalité plutôt que de la verticalité. Cette idée a été suivie des faits, puisque j'ai été nommé, peu de temps après ma proposition, délégué interministériel, fonction que j'occupe encore dans un deuxième gouvernement, ce qui veut dire que la transversalité a également traversé les courants politiques. On ne peut que s'en féliciter.

Ma fonction est de coordonner l'action des ministères dans tous les secteurs du handicap, en sachant que la personne handicapée est une personne pleine et entière, qui émarge dans toutes les cases de la société, qui a des tropismes multiples et qui, au fond, n'a pas plus d'appétence pour le secteur sanitaire que l'éducation, les loisirs ou l'emploi. Les personnes handicapées sont multiples, comme toutes les personnes. Ce qui les caractérise, ce sont leurs besoins spécifiques. Le délégué interministériel a pour vocation de pénétrer dans toutes les directions, tous les ministères, de monter des réunions, de faire en sorte qu'un sujet devienne transversal, afin qu'il trouve un jour son aboutissement.

D'autre part, il a pour autre mission d'activer le CICAR (Conseil interministériel de coordination sur l'adaptation et la réadaptation), qui, à mon arrivée en 1995, n'avait jamais été réuni, alors que c'est un des dispositifs de la loi de 1975. Je l'ai réuni entre 1995 et 1997 et il n'a plus été réuni depuis 1997. Ce CICAR avait un intérêt : demander à tous les ministères d'avoir une réponse sur un sujet donné (intégration scolaire, emploi, accessibilité, etc.). Cela permettait de faire travailler les ministères, d'obtenir des réponses et de pouvoir en référer ensuite au Premier ministre. Je déplore donc que ce CICAR n'ait duré que deux ans.

Aujourd'hui, sept ans après, les choses ont évolué dans tous les sens : la société a évolué ; le monde associatif a mieux pris conscience du rôle qu'il avait à jouer, notamment au sein du CNCPH. L'Etat a répondu sur un certain nombre de points. J'ai eu le privilège, en arrivant en 1995, de reprendre des dossiers qui avaient été élaborés par d'autres, et je rends hommage à ceux qui, dans les années 1985 (je pense au rapport de Michel Comte, au rapport Teulade, au rapport de Mme Rouche), ont nourri ma réflexion et m'ont permis, dès 1995, de proposer au gouvernement de l'époque une réflexion profonde sur la façon dont la problématique du handicap pourrait être abordée. Cela a donné naissance aux « sites de vie autonome », qui commencent à s'implanter dans les départements ; à la réflexion en amont sur « Handiscol », puisque ce sont des commandes qui m'ont été faites dès 1995 ; et puis, bien entendu, in fine , à une réflexion plus générale sur la révision de la loi de 1975 à venir.

Cela m'a permis, à l'arrivée du gouvernement de M. Jospin en 1997, de transmettre ces dossiers aux nouveaux ministres, qui ont su, pour certains, les porter. On commence aujourd'hui, en 2002, à avoir une vision plus sereine de ce que doivent être les sites de vie autonome et la responsabilité départementale, donc une autre vision de la décentralisation. On se demande également comment magnifier ce grand projet « Handiscol » ; et, in fine , comment réviser la loi de 1975.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous venez de nous préciser le rôle du délégué. Pourriez-vous nous indiquer la répartition des compétences entre les différentes administrations de l'Etat ? Vous avez fait allusion à l'Education nationale, mais vous devez coordonner d'autres administrations de l'Etat. Cette coordination se heurte-t-elle à des difficultés ? Si oui, lesquelles ?

M. Patrick SEGAL - On peut dire, schématiquement, qu'il y a des grands pans en faveur du handicap : le volet sanitaire, le volet médico-social, le volet éducatif, la formation professionnelle, l'emploi et l'accessibilité. Il y a donc un lien étroit avec des ministères phares qui sont les interlocuteurs privilégiés (ministère de la Santé, ministère de l'Emploi et de la Solidarité, ministère des Transports, ministère du Logement, ministère de l'Education nationale) et, bien entendu, des relations tout à fait fondamentales avec la DGAS.

Les écueils sont inhérents à l'action extrêmement large et à la responsabilité du délégué, qui doit pouvoir coordonner l'action de tous les ministères, y compris Bercy, ce qui n'est pas chose simple, mais aussi interpeller les Directions (directeurs de cabinets, ministres) sur certains sujets et essayer collectivement de monter des projets.

Demander à certains de travailler en totale coordination, alors qu'il y a parfois des ambitions politiques pour essayer de briller au travers d'un sujet déterminé, n'est pas chose simple. J'ai tenté, dans deux gouvernements, de rassembler les acteurs sur des projets très concrets, ce qui est difficile.

Je pense, au bout de sept ans, que nous aurions pu faire mieux.

Tout d'abord, le sujet du handicap est un sujet qui va bien au-delà de la frontière de la déficience, des définitions plus ou moins bonnes données par les CDES et les COTOREP.

Ensuite, c'est un enjeu de société : nous sommes tous concernés, car nous avons tous en tête la courbe exponentielle du vieillissement, qui fait que si nous ne savons pas aujourd'hui répondre spécifiquement à des besoins concrets, patents, afférents au handicap, nous ne serons pas en mesure, à l'horizon 2020, 2030, de gérer une population dans laquelle il y aura des personnes qui auront perdu des degrés de liberté, tout simplement parce que le vieillissement induit des pertes sensorielles, physiques, voire mentales ?

Enfin, nous ne sommes plus sur la frange étroite des quelques pourcentages définis.

J'ai fait partie de ceux, avec les associations, qui se sont étonnés que l'on n'ait pas utilisé, dans le recensement de la population, l'occasion rêvée de poser une question, qui aurait pu d'ailleurs être élaborée par l'ensemble des associations pour être formulée de la sorte : « si vous êtes concerné par une situation de handicap et si vous souhaitez répondre, nous pourrions vous envoyer un questionnaire complémentaire sur les écueils et les difficultés ». Cela aurait eu un intérêt certain.

D'abord, tous les foyers auraient reçu ce questionnaire au sein d'un questionnaire général. On a parlé d'intégration. Je suis plus favorable à l'inclusion. Il n'y a pas de honte à dire que l'on est handicapé, en situation de handicap, ou que l'on a un enfant ou un adulte handicapé à la maison, ou un parent âgé qui est en situation de handicap.

D'autre part, en tant que personne, citoyen, contribuable, électeur, j'ai été choqué qu'on ne me pose pas la question, mais qu'on me demande la surface de ma cuisine et de mon garage. J'aurais préféré qu'on me dise : « citoyen Ségal, êtes-vous concerné par le handicap ? Quelles sont vos relations lorsque vous emmenez vos enfants à l'école ? Quelles sont vos relations dans le travail ? Comment se passera votre vieillissement ? Etes-vous inquiet de savoir qu'un jour, vous ne pourrez plus répondre à vos obligations ? ». J'ai le privilège d'avoir des enfants, et ils sont très jeunes. Que se passera-t-il quand je serai soumis aux affres de la vieillesse et de quarante ou cinquante ans de paraplégie. J'ai trente ans de paraplégie aujourd'hui, cela se passe encore bien, mais je suis conscient que cela va se dégrader.

Enfin, nous aurions souhaité connaître d'une manière générale la répartition du handicap dans les départements. Puisqu'on a parlé de décentralisation, c'est vrai que pour l'Etat, pour les collectivités, il eût été intéressant de connaître la répartition, la spécificité des handicaps, de façon à ce que nous ayons des réponses plus fines, plus adaptées aux besoins.

Je crois que l'on est passé à côté. J'ai tout fait pour avoir cette question. L'INSEE s'y est opposé, la DREES s'y est opposée. Aujourd'hui, si on lit le projet socialiste présenté par Martine Aubry à l'Assemblée nationale lors de la journée sur le handicap, Martine Aubry dit à la première ligne : « en l'absence de statistiques sur le handicap, il est plus difficile aujourd'hui d'avoir une politique fine et adaptée ». Quand j'ai posé cette question, elle était précisément suffisamment pointue pour qu'aujourd'hui nous ne soyons pas là comme de mauvais élèves en train de dire : « ne connaissant pas la nature du handicap, sa diversité et sa localisation, il est plus difficile de pouvoir nourrir des projets décentralisés ». Mieux connaître la population sera une des actions phares à mettre en place à l'avenir. Ce n'est pas infamant ni discriminant que de pouvoir poser la question et de savoir à qui l'on a affaire. Car il est trop facile de dire : « aujourd'hui, il y a tant de pourcentages » , alors que si l'on regarde les chiffres européens, où les méthodes de comptage et d'évaluation ont été totalement différentes, nous sommes passés du simple au double : la France est à 5 %, le reste de l'Europe est à peu près à 10 %. Comment, par quel miracle de la médecine, de la prise en charge, nous n'aurions que la moitié des personnes handicapées dans notre pays ? Je ne peux pas adhérer à cette vision.

M. Paul BLANC, rapporteur - Aujourd'hui, vous ne pourriez donc pas répondre à la deuxième question que je voulais vous poser : « Quel est le nombre de personnes handicapées dans notre pays ? ». Pourquoi pensez-vous que vos propositions ont été refusées ?

M. Patrick SEGAL - Il s'agit d'une question qui risque d'être polémique. Le problème peut être vu sous différents aspects. Est-ce que l'on souhaitait avoir 5 % ou 10 % de population handicapée affichés ? A partir de là, cela permet effectivement de couper les budgets en deux et cela répond à une question que vous avez posée : est-ce que 160 milliards de francs répondent aux besoins des personnes handicapées ? Ma réponse est non. Donc si l'on souhaitait avoir 5 %, il suffisait effectivement d'interroger les CDES et les COTOREP : la remontée CDES-COTOREP nous donne 5 %. Mais, si l'on avait fait un questionnaire un peu plus fin, nous aurions sans doute eu 10 %, comme le reste de l'Europe.

Je crois qu'on s'est privé d'une donnée statistique importante et qui n'augure pas du reste de la population en situation de handicap que sont les personnes âgées en perte d'autonomie, car ces dernières n'entrent pas dans le champ des 5 et des 10 %.

M. Paul BLANC, rapporteur - Quelles sont, d'après vous, les principales causes de handicap ?

M. Patrick SEGAL - Les causes du handicap, multiples, sont relativement bien connues.

Tout d'abord, il y a le handicap congénital. Je ne vais pas revenir sur l'arrêt Perruche et toute son histoire, mais celui-ci a quand même permis de souligner une problématique importante, même si, à un moment donné, cela a été une très mauvaise réponse à une bonne question (et je fais un parallèle avec l'amendement Creton, qui est en soi une très mauvaise réponse à une excellente question ; et je crois que si aujourd'hui les enfants n'entrent plus dans les établissements, c'est parce que les établissements gardent les adultes, en l'absence de suffisamment d'établissements pour adultes handicapés). On est confronté aujourd'hui à une approche des handicaps qui n'est pas très bonne, dans la mesure où, sur le secteur de prévention (j'ai une formation de rééducateur), on s'est exonéré d'un certain nombre de choses. Ceci fait qu'on a les personnes handicapées existantes et un « flux », que l'on pourrait réguler, en ayant moins de personnes handicapées avec une meilleure prévention (prévention des accidents de la route, prévention des accidents domestiques).

Quelques chiffres au passage : 9.000 morts pour les accidents de la route, 14 à 15.000 morts pour les accidents domestiques. Ne pourrait-on pas mieux travailler sur la prévention, pour éviter ces morts et ces personnes qui vont rester lourdement handicapées ? 10.000 morts en maladies nosocomiales. Sur la prévention, je crois qu'il y a encore un effort à mener.

Il y a ensuite les problèmes afférents à certaines maladies, dont les maladies professionnelles.

Il y a, enfin, avec le vieillissement, des prises en charge qui vont être de plus en plus lourdes. Il y a d'ailleurs une similitude entre l'action en faveur des personnes handicapées et l'action en faveur des personnes âgées en perte d'autonomie. Une réflexion a été menée sur les sites de vie autonome, c'est-à-dire sur la possibilité, dans chaque département, de trouver un guichet unique qui réponde à la problématique de la situation de handicap et du handicap. Je distingue bien « situation de handicap » et « handicap », car ramener le handicap à une notion environnementale est, à mon sens, une erreur fondamentale, non seulement sémantique, mais aussi de vision politique assez grave, car ce n'est pas que l'environnement qui fait le handicap : il y a quand même une nature, quelque chose d'inhérent. On voit bien que les personnes âgées en perte d'autonomie trouvent, au travers du site de vie autonome, des réponses pour les aides techniques, les aides humaines, les aides animalières, l'aménagement du logement. C'est pour cela que nous nous sommes battus furieusement pour l'existence des sites de vie autonome, dont sont aujourd'hui dotés quarante-trois départements, avec des fonctionnements plus ou moins heureux, puisque quinze de ces départements fonctionnent bien, les autres végétant un peu.

L'Etat n'a pas eu la sagesse d'organiser une table ronde des financeurs, ce qui nous aurait considérablement aidés pour savoir qui paie quoi, qui répond. Cela montre la disparité de traitement d'un département à l'autre, de l'analyse que l'on fait d'un handicap d'une CDES et d'une COTOREP à l'autre, et on passe du simple au double sur les évaluations. On voit bien que les familles aujourd'hui n'hésitent pas à changer de département, car elles auront un meilleur traitement dans le département voisin. Je suis assez favorable à une meilleure décentralisation, à condition que l'on donne un petit peu d'harmonie et que les personnes handicapées ne soient pas les victimes des organismes CDES, COTOREP, des organismes de placement ou de certains conseils généraux et qu'il faille changer de département pour trouver une réponse.

M. Paul BLANC, rapporteur - Pouvez-vous nous préciser la répartition par grand poste budgétaire du budget global de 160 milliards de francs ?

M. Patrick SEGAL - Je vais reprendre les données établies dans un rapport du Conseil économique et social. 160 milliards de francs sont très insuffisants, à mon sens, parce qu'il y a des carences importantes, en particulier sur les établissements, même si nous sommes aujourd'hui sur une vision beaucoup plus inclusive (on parle plus de la promotion de la personne handicapée, ce que défendent les associations) et même si la loi de 1975 était une loi de protection qui s'était voulue proche des familles et des personnes dans la difficulté et ayant besoin d'établissements (les établissements n'étaient pas légion en 1975). Je ne peux pas accepter que 2.800 Français adultes -dont de nombreux Martiniquais- soient en Belgique Quand on dit « la personne handicapée au coeur du dispositif » , celui-ci doit être aussi local : l'environnement géographique naturel de la personne handicapée est quand même son département. On ne peut pas dire à un Martiniquais : « l'avenir, c'est la Belgique » .

Sur les besoins financiers, 160 milliards de francs peuvent paraître beaucoup, mais sont très insuffisants, car ils ne peuvent pas répondre aux besoins actuels d'hébergement, aux aides techniques et aux aides humaines, ni au volet des allocations. Sur les allocations, il y a effectivement une refonte à effectuer, tant de l'AAH que de l'allocation compensatrice, car ce sont des modèles assez anciens.

L'AAH a été créée pour des personnes dans l'incapacité de travailler. Si la personne n'était pas handicapée, elle pourrait travailler. Si elle pouvait travailler, son minimum serait le SMIC. Si elle ne peut pas travailler, elle a un petit peu plus de la moitié du SMIC. Mais quand elle achète la baguette de pain, elle ne la paie pas la moitié ! C'est un problème de logique.

Ensuite, à qui donne-t-on cette AAH ? C'est là que l'on a commencé à dériver : on a commencé à distribuer de l'AAH à des gens qui n'en relevaient pas d'une manière très spécifique, afférente au handicap. Cette dérive est aujourd'hui telle que certaines attributions d'AAH ne sont pas justifiées et, qu'au contraire, des gens qui devraient avoir l'AAH ne l'ont pas ou l'ont à des taux minorés.

Sur l'allocation compensatrice de tierce personne, j'ai fait partie de ceux qui ont bataillé contre l'article 146 du code de la famille. Je suis heureux de voir que l'on a pu faire sauter ce verrou sur le retour à meilleure fortune. Je rends hommage à ceux qui ont su, à un moment donné, alertés par le monde associatif et les familles, prendre la mesure du problème.

Les 160 milliards sont très insuffisants. Ils ne sont pas à la hauteur des réponses institutionnelles, des réponses sur les allocations, des réponses sur l'intégration scolaire. Bien sûr, « Handiscol » a fait faire des progrès formidables, puisque 4.000 élèves supplémentaires sont intégrés chaque année dans le milieu scolaire, mais ce n'est pas suffisant. En ce qui concerne l'inclusion universitaire (j'ai travaillé avec le recteur de l'université de Rouen, M. Gibert, dont le rapport sur l'intégration universitaire va sortir sous peu), c'est pathétique : les étudiants choisissent les universités en fonction de leur accessibilité, c'est-à-dire en fonction des moyens que l'on va leur donner pour pouvoir devenir un jour des professionnels, pas du tout par tropisme. C'est totalement inacceptable.

En ce qui concerne l'environnement, 160 milliards sont peu au regard de ce que la collectivité devrait faire sur tous les problèmes d'accessibilité des bâtiments, sur les formations.

En ce qui concerne les formations, 80 % des médecins n'ont aucune formation sur le handicap, parce que cela ne fait pas partie du cursus, mais d'une spécialité. Nous allons retrouver ces mêmes médecins dans la pratique quotidienne, où, à un moment donné, il y aura des orientations, des préconisations, des conseils. On va les retrouver en médecine du travail, en COTOREP. C'est la même chose pour les architectes, pour les urbanistes, pour une foultitude de gens.

Qu'en est-il alors des métiers de l'altérité, des métiers de la prise en charge de l'autre ? Dans la sphère du sanitaire, la situation des ergothérapeutes est pathétique (4.000 ergothérapeutes en France ; 40.000 en Angleterre pour une même population à traiter). Lorsque nous voulons inclure la personne dans le tissu social, il faut des passerelles, il faut accompagner la personne (c'est le métier de l'ergothérapeute, de passer du sanitaire médico-social au social). Comment cela est-il possible avec 4.000 praticiens, quand la pratique libérale est pour l'instant impossible ? Le même problème se rencontre avec les orthoptistes, avec des tas de gens. Quand on commence à redescendre sur les auxiliaires de vie, les auxiliaires ménagères, les auxiliaires de vie scolaire, on est alors dans un vide total.

Le 25 janvier 2000, j'étais très heureux, comme les associations, d'entendre le Premier ministre dire : « Nous allons créer 5.000 postes d'auxiliaires de vie ». Il n'y en avait en effet que 1 . 864 et ce chiffre n'avait pas varié depuis 1983. Nous étions tous alors sur un petit nuage. Nous avons interpellé nos collègues de l'administration pour savoir si des groupes de travail s'étaient montés sans que nous le sachions réellement sur la formation de l'auxiliaire de vie (et de l'auxiliaire de vie scolaire), la grille de salaire et le statut pour ces personnes. Nous sommes aujourd'hui en mars 2002 et personne n'a travaillé sur ces questions. Ces 5.000 auxiliaires de vie sans formation, sans grille de salaire, sans statut seront des personnes pas forcément compétentes, pas forcément adaptées aux besoins, qui ne voient pas de pérennité dans leur emploi et qui risquent de reproduire les dérives que l'on connaît : maltraitances, vols par des personnes qui font cela temporairement et qui n'ont absolument pas l'idée qu'au-delà du geste altruiste et de la mission de l'auxiliaire de vie, il s'agit d'un vrai métier.

Il y a donc aujourd'hui une insatisfaction importante dans le tissu associatif sur ces métiers de l'altérité.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous venez d'évoquer plusieurs plans (« Handiscol », auxiliaires de vie). Avez-vous été associé à la définition et la mise en place de ces plans d'action ?

M. Patrick SEGAL - En ce qui concerne « Handiscol », oui, parce que la mission m'avait été confiée par le ministre de l'Education nationale de l'époque, M. Bayrou, qui me l'avait demandé, avec, bien entendu, les fonctionnaires de l'Education nationale (auxquels je rends un hommage gigantesque et sans lesquels nous n'aurions pas pu élaborer ce grand projet « Handiscol », que Mme Royal a supporté avec beaucoup d'efficacité.)

Pour les sites de vie autonome, j'en suis, bien sûr, le porteur. Je suis déçu de voir que la table ronde des financeurs n'a pas eu lieu.

J'ai été l'un des présidents de groupe sur le rapport Gillot sur la surdité et la malentendance, qui se voulait très important et qui n'a finalement pas donné les résultats escomptés. En tout cas, le tissu associatif attendait autre chose d'une année de travail. J'ai organisé 23 réunions de toutes les associations de sourds en France.

Je finalise aujourd'hui un rapport sur la cécité et la malvoyance, où la problématique est très lourde, pour une population à peu près équivalente. Il y a en France 1.000.000 de malentendants, comme il y a 1.000.000 de personnes malvoyantes.

M. Paul BLANC, rapporteur - Avez-vous été associé au programme expérimental d'actions pour l'aide à domicile des personnes handicapées et en situation de grande dépendance, qui a été présenté le 11 mars dernier ? Pourriez-vous nous en indiquer les objectifs ?

M. Patrick SEGAL - On entre là dans les détails un peu épineux. D'abord, les sites de vie autonomes sont censés répondre aux problèmes d'aides techniques et d'aides humaines.

Pour ce qui est des aides techniques, 700 produits sont inscrits au TIPS, alors qu'il en existe 35.000 sur le marché. Quand l'aide technique correspond à la spécificité du handicap et aux besoins spécifiques de la personne, il va falloir le payer de sa poche, dans un grand nombre de cas, ou trouver un tiers financeur (on se retourne alors vers les conseils généraux, les clubs-services, etc.).

Pour ce qui est des aides humaines, j'ai décrit le pathétique dossier des auxiliaires de vie, sur lequel nous ne sommes pas satisfaits.

Des personnes lourdement handicapées se sont récemment tournées vers l'Etat en disant : « Qu'en est-il de notre quotidien ? Nous avons besoin d'auxiliaires de vie pour vivre décemment » . Or, nous sommes tombés à trois heures et quart par jour, totalement insuffisantes, de prestation d'auxiliaire de vie pour une personne lourdement handicapée. Certaines, parmi ces personnes d'un collectif de revendications, ont menacé l'Etat de grèves de la faim. Marcel Nuss a obtenu un rendez-vous avec la ministre et un financement personnalisé, non pérenne. 28 autres personnes se sont manifestées et ont obtenu la promesse de 28 autres financements personnalisés. Puis un collectif étendu à 200 grands handicapés français s'est formé.

La France compte 600 nouveaux tétraplégiques par an et, en gros, 15.000 personnes lourdement handicapées à la suite d'accidents. 200 ont été choisies pour l'année 2002-2003 sur des fonds publics. Je vous laisse juges.

M. Paul BLANC, rapporteur - Avez-vous été associé à la consultation publique sur la réforme de cette loi de 1975 ? Pourriez-vous nous indiquer, en synthèse, le bilan général que l'on pourrait dresser de la loi d'orientation initiale avec les ambitions qui ont initialement été les siennes ?

M. Patrick SEGAL - J'ai bien sûr été consulté,... il y a un mois ! On m'a demandé ma vision de la loi de 1975 rénovée. Je passe sur tout le vocabulaire que l'on a pu lire autour du handicap, sur la notion « validocentrique », des mots un peu abscons qui ne vont pas au fond du problème. Ne cherchons pas aujourd'hui à définir ce qu'est le handicap, la situation de handicap. Il existe des besoins spécifiques aux personnes qui sont frappées, soit de manière congénitale, soit par la maladie ou l'accident. Je pense qu'il faut traiter les personnes à égalité, quel que soit l'âge, quelle que soit l'origine du handicap. Or je pense qu'aujourd'hui le traitement est tout à fait différencié, selon que l'on relève d'un régime ou d'un autre. C'est parfaitement inégal et les parents d'enfants handicapés le vivent cruellement.

Sur le fond, faut-il une loi ? J'ai interrogé mes collègues européens, car j'ai siégé un peu plus de six ans à la commission des Affaires sociales à Bruxelles en tant que représentant français. L'ensemble de mes collègues européens disent que c'est indispensable d'avoir une loi spécifique, parce que si l'on fait entrer la personne handicapée dans le droit commun, elle risque alors d'y perdre beaucoup, car elle ne sera jamais suffisamment défendue. J'adhère bien à cette idée que l'on retrouve chez nos collègues québécois. Je suis effectivement pour une loi spécifique. Je plaiderais plutôt pour une loi-cadre, plutôt qu'une loi d'orientation, et sa grande modernité repose, à mon sens, sur le droit à compensation. Il est urgent d'affirmer que, pour chaque nature de handicap, il existe un droit à compenser, que ce soit de manière technique, humaine, d'accompagnement, et que ce droit existe dans le temps, c'est-à-dire jusqu'à la fin de la vie de la personne concernée. Pour que ce soit efficace, on retrouvera, dans chaque département, les sites de vie autonome, les outils qui permettent cette inclusion et cette citoyenneté. C'est le droit à compensation qui nourrira profondément la révision de la loi de 1975.

M. Francis GIRAUD - J'ai d'abord été très impressionné par la manière dont vous exposez ces problèmes, avec une franchise et une clarté qui méritent, je pense, d'être soulignées. Dans votre propos, vous avez évoqué tous les problèmes du handicap, la manière dont notre pays appréhende cette question, mais vous avez ajouté les problèmes liés à l'allongement de la vie. Mon inquiétude, sur le fond, est la suivante : très franchement, pour moi médecin qui me suis beaucoup impliqué dans les problèmes de malformation, de handicaps chez l'enfant, j'ai, peut-être culturellement, quelques difficultés à rapprocher la situation d'une personne de 98 ans, qui voit et entend moins bien, qui aura évidemment quelques difficultés à se déplacer, de celle d'un jeune de 15 ans qui est victime d'un accident de la route, de handicaps congénitaux. Ma crainte -mais elle est peut-être mal fondée-, si l'on étend cette philosophie du handicap aux problèmes, qui seront de plus en plus fréquents, dus à l'allongement de la vie, est que cette dilution soit peut-être un prétexte, pour des raisons financières, à un peu tout mélanger et noyer la prise en compte réelle du handicap.

M. Patrick SEGAL - Permettez-moi de relever plusieurs points.

Les aides techniques sont aujourd'hui réservées à une micro-population. Se pose alors le problème de l'offre et de la demande. Prenons le cas, que je connais bien, d'un fauteuil roulant manuel, fabriqué, comme la plupart d'entre eux, à Taiwan, où il est vendu 800 francs. Il sera revendu sur le marché français à 17.000 francs à la personne handicapée, qui ne bénéficie que d'un remboursement de 3.500 francs. Si ce même fauteuil était mis à disposition de l'ensemble des personnes en perte d'autonomie (dont les personnes âgées, qui ont bien entendu besoin de ce produit), nous aurions peut-être des fauteuils moins chers, de meilleure qualité technique, avec un observatoire des prix et de la qualité, des sites de vie autonome et en faisant travailler le monde adapté. L'ensemble de la population y trouverait son compte.

Sur le problème des métiers de l'altérité, le problème de la personne tétraplégique ou de la personne âgée qui a besoin d'un auxiliaire de vie est exactement le même. C'est en pérennisant les emplois que l'on répondra aux besoins. Accepteriez-vous que nous finissions, chacun d'entre nous, notre vie dans un établissement collectif, dans neuf mètres carrés, alors que certains d'entre nous préféreraient peut-être vivre et finir leurs jours à la maison, avec les aides techniques, les aides humaines, la domotique. Est-ce que ce n'est pas cela le respect du choix de la vie ?

Sur l'enjeu économique, il y a une chose qu'on ne dit pas et qui est au coeur du débat : combien coûte et combien rapporte le handicap ? Aujourd'hui, l'INSERM estime qu'« une personne handicapée en fait vivre quatre ». Nous avons l'impression, et je me fais l'avocat des associations dont je fais partie, d'être des individus qui coûtons à la société et de prendre l'argent de la collectivité. Je dois m'inscrire en faux. Nous sommes productifs et nous pourrions l'être infiniment plus si nous avions les bons outils et les bons moyens pour le faire.

Je ne pense pas que l'on noiera le handicap dans la masse des personnes concernées. Je pense que la part du handicap restera toujours liée à la spécificité, mais une spécificité qui saura se doter des outils qui auront été conçus pour le plus grand nombre. La télécommande pour les télévisions a été inventée pour les personnes qui, ne pouvant se déplacer pour appuyer sur le bouton de télévision, pouvaient le faire depuis leur lit ou leur fauteuil. Je crois aujourd'hui que c'est en multipliant les aides à destination des produits de grande consommation que l'on permettra à des gens qui sont dans le spécifique et la difficulté, de vivre normalement.

J'ai eu le privilège de créer des produits actifs pour une grande enseigne pour éviter tout simplement que des distributeurs de matériel médical ne gonflent leurs marges à l'excès. J'y ai acheté 49 francs un pneu. Le même, pour mon fauteuil roulant, chez un revendeur médical du quinzième arrondissement, est à 170 francs. On utilise la détresse et la difficulté de personnes handicapées pour leur revendre bien des fois plus cher des produits, pour mieux les faire basculer dans la dépendance. C'est inacceptable, ce n'est pas citoyen, ce n'est pas républicain. Notre rôle est de tordre le cou à ces pratiques, car on ne saura pas gérer le problème du plus grand nombre, des gens qui, avec le vieillissement, basculeront dans la dépendance et la perte de l'autonomie.

M. Alain VASSELLE - J'ai été très impressionné par votre intervention, votre compétence, votre connaissance du sujet et vos avis tout à fait pertinents.

Pourquoi avoir mis autant de temps (je suis parlementaire depuis 1992 ; j'ai entendu Mme Veil nous dire que l'on allait mettre en chantier la loi de 1975 ; j'ai entendu la déclaration de Mme Aubry allant dans le même sens ; j'ai entendu Mme Guigou le confirmer), avec un délégué interministériel doté de votre compétence et qui a votre pouvoir de conviction, à persuader les membres du gouvernement pour qu'enfin ce dossier soit mis en chantier ? Pourquoi en sommes-nous là ?

Sur l'AAH, pensez-vous que nous pourrons avancer dans le sens de ce que vous avez présenté ? Nous sommes à une AAH d'environ 3.600 francs. Le minimum serait quand même l'équivalent du SMIC. J'ai aujourd'hui, dans ma commune, un foyer occupationnel pour handicapés mentaux, qui reçoit des adultes. Lorsque la famille fait le compte de ce que perçoit la personne handicapée et le reversement qu'elle doit accorder au département qui demande le forfait journalier (celui-ci est, dans mon département, l'équivalent de 100 francs par jour), il ne lui reste quasiment rien. Ainsi, un adulte qui y reste plus de 30 jours, en l'absence de famille, se verra retirer 3.000 francs sur les 3.600 versés. Il lui reste donc 600 francs pour sa mutuelle, ses loisirs, ses déplacements, toutes les autres dépenses qui correspondent à des besoins essentiels et courants de la vie. Il est incompréhensible que nous puissions laisser perdurer aujourd'hui ce type de situation. Pensez-vous que l'on peut espérer une évolution ?

Sur l'allocation compensatrice de tierce personne (ACTP), on a décidé, ici au Sénat, l'effectivité de l'emploi de cette ACTP. Je prends l'exemple d'un couple en complète cécité qui a bénéficié de l'ACTP et qui l'utilisait sans qu'il y ait à justifier de l'effectivité de l'emploi de cette demande. Ce couple faisait appel à des membres de sa famille qu'il indemnisait. Du jour où le Conseil général a exigé l'effectivité, ces personnes ont perdu en temps horaire de mise à disposition pour elles, parce qu'une bonne partie est partie dans le financement des charges sociales, non pas patronales car elles en sont exemptées, mais pour le salarié. C'est autant de temps en moins dont a pu bénéficier la personne. Y a-t-il une réflexion en cours à ce sujet pour essayer d'améliorer les choses ?

M. Patrick SEGAL - Tout d'abord, sur l'AAH, je crois effectivement que l'ensemble du tissu associatif plaide pour une programmation pluriannuelle, pour une remontée vers le SMIC. Je crois qu'il est aujourd'hui indécent d'être autour de 60 % du SMIC pour l'AAH, à condition que cette AAH soit bien redistribuée. Certains plaident pour une nouvelle allocation, une nouvelle prestation pour les personnes handicapées qui soit plus conforme à leurs besoins. 3.600 francs ne permettent pas de vivre dignement.

Ensuite, sur l'ACTP, je pense qu'une réflexion devrait avoir lieu, dans la mesure où elle est, d'une part, différente d'un département à l'autre et, d'autre part, conditionnée par un de plafond de ressources. Cela veut dire que si la personne, qui a besoin de son ACTP (finançant quelqu'un qui vous aide à vous préparer à l'inclusion sociale et professionnelle), travaille, elle va perdre cette ACTP. C'est complètement antinomique. Pour entrer dans l'entreprise, il faut quelqu'un qui vous aide à vous préparer. Donc si vous n'avez pas la personne, vous n'entrerez pas dans l'entreprise. Et si vous n'entrez pas dans l'entreprise, vous rejoindrez le bataillon des gens qui sont dans la dépendance et qui ponctionnent l'argent public. On veut à la fois que les gens soient inclus dans l'emploi et, en même temps, on ne s'en donne pas les moyens.

Je pense à nos collègues italiens. Ceux-ci ont moins de pudeur sur allocation et emploi. Ils estiment que cela peut marcher de pair, car, au fond, l'allocation n'a-t-elle pas une vocation de compensation du handicap ? Quelqu'un dans cette salle échangerait-il une fonction vitale pour 3.675 francs par mois ? J'ai posé cette question au Président de la République, je l'ai posée à tous les ministres, je n'ai pas eu beaucoup de réponses... Je ne vois pas quelqu'un échanger une fonction vitale pour 3.675 francs. Ce que j'ai perdu il y a trente ans n'a pas de prix. Je n'ai pas cherché à devenir paraplégique, je fais avec. « Nous fûmes contraints à l'héroïsme » , disait Shakespeare. Nous souhaitons l'équité, aider des gens qui sont dans la difficulté. Le handicap est lourd. Plus on vieillit, plus cela devient lourd. Il y a aujourd'hui une vraie révolution à faire sur les allocations. Il s'agit de mieux les attribuer, de les rendre plus fines, plus personnalisées, plus adaptées aux besoins, cumulatives avec de l'emploi. Cumuler de l'emploi et des allocations permet d'être contributif à un effort de solidarité et d'être participatif à un effort économique de consommation. La personne handicapée n'est pas simplement là pour quémander des miettes pour survivre. Elle est là aussi pour s'inclure dans la société et la faire tourner.

Vous vous êtes enfin interrogés sur la lenteur des réformes. J'y verrais plusieurs facteurs.

Certains parlent d'abord d'une éducation judéo-chrétienne (ce qui est faux). Si l'on compare avec les pays du nord qui sont des pays plutôt calvinistes, plutôt protestants, l'appréhension du handicap n'est pas la même : les calvinistes voient dans le handicap une spécificité et, au fond, chacun porte son handicap, sa différence, sur laquelle on n'a pas à juger une personne. Nous avons, nous, pour des raisons plus catholiques et plus bourgeoises, introduit des notions de protection, de rédemption, de charité, de prise en charge de la personne et cela a pesé longtemps. On est en train de tourner la page aujourd'hui. Nous sommes des Européens. Il y a donc une synthèse qui s'esquisse. Il y a maintenant entre l'Europe du nord, l'Espagne, le Portugal et l'Italie, des convergences importantes dans le secteur du handicap.

Le deuxième volet est celui de l'économie. Mon rêve serait que Bercy soit constamment à la table des discussions. Combien coûte, combien rapporte le handicap ? Combien de personnes le handicap fait-il vivre ? N'est-ce pas là le noeud du problème de notre avenir collectif ? N'arriverons-nous pas au grand âge fiers et heureux de voir qu'en amont, des gens ont pensé à mettre bout à bout des allocations, des aides technique, des aides humaines, de l'aménagement et le tout dans un environnement décent ? Ne sommes-nous pas en train de traiter de la dignité de l'homme ? On a mal positionné le problème, il a été vu sous un aspect macro-économique de mauvais goût, on a vu ce que cela allait coûter et on a jeté l'anathème sur les familles, sur les personnes. On a dû, à un moment donné, parce que cela ne fonctionnait pas, faire la loi de 1987 et forcer les entreprises à embaucher, forcer les trois fonctions publiques à embaucher, avec des résultats qui ne sont pas satisfaisants, car ce n'était pas inclus dans une disposition naturelle. Il faut saluer ce qui a été fait par M. Sapin, il faut saluer l'accord qui a été conclu dans la fonction publique d'Etat pour porter à 6 % l'inclusion des personnes handicapées dans la fonction publique d'Etat. Je souhaite qu'il en soit de même pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière.

Enfin, cela a mis du temps, peut-être aussi parce que nous ne sommes pas un groupe de pression dangereux. Les 10 % de personnes handicapées, trop tendres, trop gentilles, ne vont pas demain bloquer tout le système économique.

D. AUDITION DE M. MICHEL MERCIER, SÉNATEUR, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL DE L'ASSEMBLÉE DES DÉPARTEMENTS DE FRANCE (ADF)

M. Nicolas ABOUT, président - C'est bien entendu en tant que Président de la Commission du développement social de l'assemblée des départements de France (ADF) que nous avons souhaité vous auditionner. Nous savons tous que les départements sont aujourd'hui un acteur essentiel de la politique du handicap. Pourriez-vous nous rappeler les modalités d'intervention des départements en la matière et leur évolution ? Pourriez-vous nous faire part des propositions de l'ADF concernant la rénovation de la politique du handicap ? Pourriez-vous enfin nous préciser la place des départements dans ce processus ?

M. Michel MERCIER - Il est probablement assez difficile, pour les départements, de s'exprimer après M. le délégué chargé des handicapés, car il a pu le faire avec beaucoup de passion, beaucoup d'engagement personnel. L'exercice des compétences que la loi confie aux départements pour l'accueil des personnes handicapées est aussi une compétence qui a été, qui est, à la fois importante, prenante, et que les départements essaient d'exercer de la meilleure façon.

Il y a plusieurs façons de mesurer l'engagement des départements. L'instrument budgétaire ou financier est le premier instrument de mesure. Les budgets des départements consacrés aux personnes handicapées sont supérieurs à 20 milliards de francs. Nous avions fait un chiffrage il y a quelques années lorsqu'on parlait de partage ou de redistribution des compétences. M. Perben était alors chargé de mener ces réformes. Le but de l'opération consistait à chercher des compétences qui coûtaient à peu près le même prix pour l'Etat et les départements, pour voir ce qui pouvait être échangé. On s'est alors aperçu que les départements consacraient 20 milliards de francs à l'accueil des personnes handicapées. Les choses ont naturellement évolué assez fortement dans ce domaine-là.

Il s'agit d'une compétence que les départements n'exercent pas seuls. Ils l'ont longtemps exercée sous l'angle « tarification », puisque la charge effective de l'accueil a été confiée, pratiquement partout dans notre pays, à des associations. Il y a donc eu la nécessité de trouver les bons modes de vie en commun, d'exercice de cette compétence, entre les départements et les associations. Cela ne s'est pas d'ailleurs fait toujours très facilement. Je crois que c'est quelque chose qui a beaucoup progressé. On a aujourd'hui trouvé, sur le terrain, dans les départements, de bons modes d'action, de bons modes opératoires. La mise au point des schémas départementaux d'accueil des personnes handicapées a permis aux acteurs de mieux se connaître. Il est tout à fait normal qu'une association de parents d'enfants handicapés demande de l'aide, puis que, de l'autre côté, on réponde : « Cela coûte tant. On ne peut pas faire plus » . Les procédures des schémas ont été d'excellentes procédures. La façon dont les départements ont pu appréhender ces questions est quelque chose de nouveau et d'important.

Petit à petit, cette rencontre et le poids financier de ces opérations menées en faveur des personnes handicapées ont amené à changer l'état d'esprit des élus. Dans un département comme celui que j'ai l'honneur de présider, pendant longtemps, lorsque les communes payaient le contingent communal d'aide sociale, les maires se plaignaient que cela coûtait trop cher. Les maires me disent maintenant : « J'aimerais bien que tu installes chez moi dans ma commune un foyer d'accueil pour les personnes handicapées » .

Ce que disait tout à l'heure le délégué interministériel est tout à fait vrai : nous devons insister sur la dimension économique de la prise en charge du handicap. On peut faire revivre des cantons avec des maisons d'accueil pour les personnes handicapées. On avait des cantons qui se dépeuplaient et, pour leur redonner vie, dans un département comme le Rhône, on a créé des maisons d'accueil pour les personnes handicapées. J'ai moi-même, dans mon canton, présidé un conseil de maison pendant très longtemps. On a créé 200 emplois bien rémunérés. Il n'y a pas, du point de vue de l'acteur départemental, de remise en cause de sa compétence, au contraire. Il y a un mode d'exercice de la compétence départementale qui n'est pas seulement dans une vision sociale, mais qui est dans une vision plus globale.

On voit qu'à travers l'exercice d'une compétence sociale, on peut faire du développement global. Il faut insister sur cette dimension. Bien entendu, cela coûte assez cher (800 millions de francs dans un département comme le mien), mais on s'aperçoit que cela fait revivre : création d'emplois, maintien des personnes sur des territoires. Il faut que les collectivités locales aient une vision globale du sujet. En abordant cette question sous cet angle global, on sort le social du ghetto du social et on donne un tout autre sens à la dépense sociale, qui a été pendant trop longtemps vécue comme une dépense improductive ou obligatoire. Dès lors que l'on s'aperçoit que la dépense sociale est la meilleure dépense d'intervention économique qu'une collectivité locale puisse faire, cela change beaucoup la vision des choses.

Il est totalement faux de parler de « la » personne handicapée, parce qu'il y a divers types de handicaps. Si on n'a pas une vision personnalisée, individualisée du handicap, cela ne marche pas. Il y avait, pendant très longtemps, tellement de choses à faire qu'il fallait répondre aux plus grandes masses. Il y a toujours des personnes qui échappent aux catégories. Il faut donc aller vers des traitements plus individualisés. L'organisation de la famille a changé. Les parents peuvent avoir plus de loisirs et éprouver la nécessité, l'envie de garder chez eux leur enfant, même quand celui-ci a trente ou quarante ans. Ils ont aussi de temps en temps l'envie de souffler, de partir en vacances. Il faut que l'on ait des institutions qui puissent accueillir temporairement et que l'on traite avec beaucoup plus de souplesse toutes les questions du handicap.

Des questions n'étaient pas traitées : dans le Rhône, nous avons dû répondre au problème des traumatisés crâniens, dont s'occupent maintenant deux établissements, alors que l'on n'en parlait pas il y a quinze ou vingt ans. Le fait que ce soit une collectivité territoriale qui soit chargée de l'accueil des personnes handicapées adultes est quelque chose d'important, parce que cela permet une grande souplesse, dès lors que l'on a compris que la dépense sociale pouvait servir à beaucoup de choses et contribuer au développement. Le fait que les choses soient traitées localement dans des relations souvent franches avec les associations permet de déboucher sur des prises en charge différenciées des personnes handicapées, parce que c'est ce qui est nécessaire.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez commencé à nous indiquer les masses financières. La répartition actuelle des compétences entre l'Etat et les collectivités locales vous donne-t-elle aujourd'hui satisfaction ? Ou pensez-vous que l'on pourrait aménager ces domaines de compétences ?

M. Michel MERCIER - Il serait complètement faux de dire que c'est parfait. Le problème est qu'il n'y a pas une seule division. Il y a tout une série de divisions secondaires qui viennent largement polluer la division principale. La règle aujourd'hui est que l'Etat s'occupe des enfants et que les départements s'occupent des adultes. Par exemple, les personnes handicapées peuvent tomber malades, attraper la grippe, se casser une jambe, souffrir de diverses maladies, etc. Si c'est très grave, elles vont à l'hôpital, mais quand elles sont dans une institution prise en charge par le département, celui-ci doit payer les soins courants, ce qui n'est pas très normal. La personne handicapée a bien un droit aux soins comme tout Français. Or ce n'est pas le cas actuellement.

M. Nicolas ABOUT, président - C'est ce qu'on a fait justement pour les maisons de retraite au cours de la loi sur le droit des malades et la qualité du système de santé, dans lequel la personne âgée n'était pas prise en charge du point de vue médical de la même manière si elle était chez elle ou si elle était en maison de retraite. Le problème est exactement le même. Il est anormal qu'aujourd'hui, ce soit les conseils généraux qui paient, alors qu'il y a une assurance maladie.

M. Michel MERCIER - Ce non-respect des compétences normales fait que si les départements doivent payer des soins, alors qu'ils devraient être pris en charge autrement, ils ne peuvent contribuer à d'autres actions. Il y a alors un détournement de moyens.

Autre exemple : celui de l'intégration scolaire des personnes handicapées. La CDES, présidée par l'inspecteur d'académie, dans laquelle siègent des représentants d'associations, mais pas d'élus (bien que l'argent de leur budget soit engagé), se borne à faire des bouts de papier sans savoir quel est leur avenir, sans savoir si une école sera capable de prendre en compte sa préconisation, sans savoir où est cette école par rapport au domicile du handicapé. Le département du Rhône, grâce à la CDES, est aujourd'hui le premier client de taxis du département ! L'année dernière, nous avons en effet consacré 29 millions de francs à payer des taxis à des gamins qui d'ailleurs parfois ne le demandent pas et n'en ont pas besoin. Cette commission a une vision complètement technocratique sans voir quel est l'état réel des personnes, celles qui pourraient prendre les transports en commun normaux, les transports scolaires en présence d'accompagnateurs.

Il faudrait vraiment que chacun aille au bout de ses compétences normales. Tout changer est très coûteux. Changer les compétences implique de changer les financements. Comme l'Etat, les collectivités territoriales, la sécurité sociale n'ont pas beaucoup de marge de financement, on ne pourra pas tout bouleverser. Toutefois, beaucoup de travail pourrait être fait pour rendre plus efficaces les compétences de chacun en supprimant toutes les pollutions. Même si ce n'était pas la grande révolution, cela permettrait de donner aux personnes handicapées l'argent qui leur est destiné.

M. Paul BLANC, rapporteur - On a évoqué longuement le problème de l'insuffisance du montant de l'allocation compensatrice de tierce personne. Quelle solution vous paraîtrait la plus appropriée à ce problème ? Cette allocation devrait-elle être versée par l'Etat ?

M. Michel MERCIER - L'AAH est versée par l'Etat. On peut bien sûr discuter le montant de l'ACTP. Il faut surtout faire en sorte qu'elle corresponde à une vraie prise en charge. Je pense que pour certains, elle est parfois trop importante ; et pour d'autres, pas assez. C'est un problème de personnalisation de l'allocation. Nous n'avons pas assez personnalisé aujourd'hui cette allocation, versée de façon un peu aveugle et donc peu effective. Cela aboutit à l'indemnisation « au noir », par une personne handicapée, d'un membre de sa famille. Il faut veiller à ce que le système n'encourage pas la perte de cotisations ou de recettes dans les systèmes voisins.

Il faudrait que l'on ait un système plus fin, plus nuancé, de mesure du handicap. Aujourd'hui, on ne mesure pas assez les conséquences du handicap dans la vie quotidienne. Il faudrait aller vers une personnalisation de l'allocation qui soit fondée sur une mesure des conséquences du handicap dans les actes de la vie de tous les jours et avoir une allocation qui soit ainsi beaucoup plus différenciée.

Faudra-t-il globalement augmenter le montant des prestations ? Certainement. Le seul problème (il n'est pas très difficile d'augmenter, c'est même relativement facile), c'est de trouver le moyen de financer l'augmentation. On voit bien ce qui se passe : l'Etat baisse ses impôts dans la période actuelle de promesses. Tout le monde promet une baisse des impôts, de 33 à 10 %. Je ne vois pas alors comment on pourra augmenter des dotations si on diminue des recettes, surtout si on diminue les meilleures recettes, car il reste aux collectivités locales les plus mauvaises recettes. On va financer l'allocation pour les personnes âgées dépendantes, l'accueil des personnes handicapées, avec des impôts datant de la révolution. Ces impôts-là ne sont pas les plus productifs ni les mieux adaptés pour financer de nouvelles dépenses. Si on doit financer de nouvelles dépenses sociales (et ces dépenses qui sont un facteur vrai et très fort de développement global dans ce pays), on doit mettre en face quelques vraies recettes. Si on devait augmenter considérablement les dépenses, il faudrait rechercher de nouvelles recettes, peut-être sur un meilleur partage de la CSG entre l'Etat et les collectivités locales. On ne peut pas souhaiter augmenter l'ACTP. On peut mieux la personnaliser, la rendre plus fine et efficace. Peut-être faut-il l'augmenter, mais il faut avoir des ressources en face.

M. Paul BLANC, rapporteur - Tout le monde a souligné le manque de structures d'accueil, en particulier pour les personnes atteintes d'un handicap sévère et les polyhandicapés. Avez-vous une idée des mesures immédiates que l'on pourrait prendre et de la répartition des compétences qui s'appliquerait alors ?

M. Michel MERCIER - Il ne faut pas faire prendre aux gens des vessies pour des lanternes. Les mesures immédiates n'existent pas. Elles peuvent faire l'objet d'un discours, mais quelles que soient les mesures, les décisions que l'on prenne, il faut un certain temps pour leur donner une réalité, une effectivité. Aujourd'hui, ce qui est absolument nécessaire, c'est un très bon dialogue entre les institutions publiques, les handicapés et les associations qui s'en occupent. Les personnes handicapées et les associations qui s'occupent de leur accueil n'ont pas toujours la même vision des choses. Il faut mettre en place localement ce dialogue. Je suis plutôt favorable au maintien des compétences actuelles, mais on pourrait imaginer un autre système.

Même si c'était l'Etat, il faudrait répondre localement. On ne va pas avoir une gestion centralisée de l'accueil des personnes handicapées. Celles-ci ont le droit de vivre où elles veulent, dans telle ou telle partie du territoire, de vivre chez elles totalement, partiellement ou en institution, parce que les conditions de leur entourage familial ou humain ou leur handicap les y obligent. Il faut une grande souplesse des choses. Il n'y aura pas toujours la même solution pour la même personne handicapée pendant toute sa vie.

Par exemple, on a mis en place depuis trois ans, dans notre département, une petite mesure qui est très importante : on a accepté qu'une personne travaillant en CAT soit employée à mi-temps, c'est-à-dire que la personne handicapée soit à mi-temps en CAT et à mi-temps en foyer ou en institution d'accueil de jour. On a accepté qu'on nous facture un mi-temps. Cela nous a permis d'offrir à des personnes handicapées beaucoup plus de potentialités de travail, parce que c'était à mi-temps. Auparavant, on était soit en CAT, soit en foyer de vie. Moins on regarde ce que dit la COTOREP, mieux c'est !

M. Nicolas ABOUT, président - Loin de faire les 35 heures, on nous fait souvent remarquer que les CAT en font 39, pendant que le personnel est, lui, mis aux 35 heures. Il y a là aussi un paradoxe.

M. Michel MERCIER - Je crois donc qu'il faut une grande souplesse, un dialogue. La procédure des schémas revus périodiquement est une bonne procédure.

On doit sortir de l'idée que tous les établissements d'accueil sont les mêmes : chaque établissement a sa spécificité par type de handicap. Il faut qu'on ait, dans chaque département ou sur une aire territoriale un peu plus vaste pour certains types de handicap, des réponses locales.

Il faut aussi bien faire reconnaître le droit à l'expérimentation. Celui-ci a pour première conséquence de remettre en cause les compétences. Dès lors que vous sortez des règles, vous expérimentez et vous ne savez pas qui va payer. Mais il faut véritablement que ce droit à l'expérimentation soit reconnu par la loi et qu'il repose sur un accord entre les divers financeurs qui en tireront ensuite les conséquences, au bout de quatre à cinq ans, et diront « cela relève du financement de l'Etat, du département ou de l'assurance maladie » . J'ai le souvenir d'institutions créées sur la base d'expérimentations et qui ont apporté de vraies réponses. On a notamment fait cela pour l'autisme et cela s'est plutôt bien passé.

Si on devait donner une mesure immédiate, ce serait d'encourager le droit d'expérimenter localement.

M. Paul BLANC, rapporteur - Le problème des auxiliaires de vie a été évoqué plusieurs fois. Les auxiliaires de vie sont normalement payées par l'Etat. Tout le monde se plaint de l'insuffisance de leur rémunération et dit qu'il vaudrait mieux que ce soit de la compétence des départements à cause de la proximité, mais se pose le problème du financement. Quelle est votre vision sur ce sujet ?

M. Michel MERCIER - Je ne sais pas si c'est à cause de la proximité, c'est plutôt à cause de la disette. Dans le département qui est le mien, quand nous avons créé les auxiliaires de vie, c'était moitié financement de l'Etat, moitié financement du département. Puis, au fil du temps, on est passé maintenant à 78 % pour le département et 22 % pour l'Etat. On a encore plus besoin des auxiliaires de vie pour les personnes âgées dépendantes. On peut se dire que la dépendance et le handicap sont des choses différentes, il n'empêche que quelques actes sont les mêmes. La différence n'existe pas vraiment. Ce qu'il faut vraiment pour les auxiliaires de vie, c'est avoir des allocations qui permettent de les payer. Il y a l'APA pour les personnes âgées. L'ACTP doit nous permettre de faire correctement les choses.

Le problème rencontré est d'abord d'avoir des auxiliaires de vie et de les former. Quand on connaît le numerus clausus qui existe au niveau de tous les travailleurs sociaux dans ce pays, tous les discours que l'on peut faire tombent par terre. Plusieurs centaines de postes ne sont pas pourvus actuellement dans tous les départements. Cela fait des milliers nationalement, parce que les travailleurs sociaux ne sont pas formés. La première chose à faire est de demander à l'Etat d'ouvrir les écoles de formation et les emplois. Ensuite, il faut aménager des carrières pour les candidats. La rémunération des auxiliaires de vie est peu attrayante, alors que c'est un métier difficile. Il faut ensuite distinguer, lors du paiement, la part qui rémunère l'auxiliaire de vie et la part qui va dans la structure de l'association qui emploie les auxiliaires de vie. Il y a souvent deux conventions collectives, une qui n'est pas mauvaise pour la structure et une qui est bien moins bonne pour les travailleurs à domicile. Il faut regarder de près cette dichotomie pour faire du travail près des personnes handicapées ou âgées un vrai métier, une vraie carrière attractive. Tous nos problèmes de maintien à domicile, des personnes handicapées ou des personnes âgées, butent sur l'absence de candidats. L'APA marche très bien. 16.500 dossiers ont été retirés dans mon département. On a déjà accordé 5.000 allocations. Les infirmières, ayant rempli leurs quotas, devraient reverser de l'argent à la CRAM si elles intervenaient en tant qu'auxiliaires de vie. La loi doit organiser les métiers d'aide à domicile. Tous les discours seront vains en l'absence d'aidants. La loi de 1975 revue doit comprendre un chapitre, à côté de l'expérimentation, sur le développement de l'aide à domicile.

M. Paul BLANC, rapporteur - Les collèges sont de la compétence des départements. Connaissez-vous, au niveau de l'ensemble des départements, les moyens financiers et les actions engagées pour favoriser l'intégration des jeunes handicapés dans les collèges ?

M. Michel MERCIER - Deux types d'actions ont été entrepris.

Tout d'abord, au niveau de l'équipement des locaux (largeur des portes, ascenseurs nécessaires) pour rendre accessibles les collèges. Il en existe plusieurs dans chaque département qui sont complètement accessibles, d'autres moyennement accessibles. Il y a maintenant entre les départements et l'Education nationale la détermination d'aires territoriales dans lesquelles il doit y avoir des collèges accessibles. Tout cela fonctionne plutôt bien.

Ensuite, se posent les problèmes de l'accueil, de l'accompagnement des personnes à l'intérieur des collèges par des auxiliaires. Quelques expériences intéressantes permettent à l'association d'accueil de continuer à travailler à l'intérieur du collège : une ou deux personnes sont placées dans le collège par convention avec le département. C'est donc le département dans ce cas qui prend en charge cet accompagnement, alors que c'est une période, dans la vie du handicapé, où il relève de la scolarité.

Mme Annick BOCANDÉ - J'ai un regard un peu plus critique sur la répartition des compétences. Il faut savoir qu'en dehors des enfants, qui relèvent clairement de la compétence de l'Etat, à partir du moment où le jeune est adulte (la limite doit-elle être fixée à 16 ou 18 ans ?), les ateliers protégés et les centres d'aide par le travail relèvent de la compétence de l'Etat ; les foyers de vie, foyers occupationnels et foyers d'hébergement relèvent de la compétence des conseils généraux et que les maisons d'accueil spécialisées relèvent logiquement de la compétence des organismes de sécurité sociale. Tout cela montre qu'à l'intérieur de toutes ces différentes compétences, il est quand même bien difficile d'arrêter exactement les limites et que tout cela peut se faire au détriment de l'intérêt des personnes handicapées.

Les associations, qui sont les grands acteurs de la défense du handicap sur le terrain, ont des difficultés et viennent alors voir plutôt les conseils généraux qu'elles connaissent. C'est moins compliqué d'aller négocier avec les représentants des conseils généraux qu'avec éventuellement les représentants de l'Etat au travers de la DDASS ou des DRASS, ou des organismes de sécurité sociale.

On sait très bien que les conséquences sur nos départements sont éminemment financières. Aujourd'hui les départements, en particulier ceux qui se sont lancés très rapidement sur le sujet, s'essoufflent, au détriment des handicapés et de leurs familles, puisque nous n'arrivons plus à créer de nouveaux établissements, de nouvelles prestations ou de nouvelles actions en faveur de ces personnes handicapées.

L'ADF, consciente de ces problèmes et représentative de l'ensemble des départements, a-t-elle lancé une étude pour évaluer, qualitativement et quantitativement, les limites de ses compétences et les conséquences financières des transferts de ses compétences ?

M. Alain VASSELLE - Je tiens à relever dans vos propos que le discours est généreux, que les propos sont pragmatiques sur la politique à mener en faveur des personnes handicapées, mais je n'ai pas le sentiment de vivre, sur le terrain, les propos que vous tenez en tant que représentant de l'ADF. J'aimerais bien qu'il y ait un début d'harmonisation, au niveau national, de l'action des conseils généraux en faveur des handicapés parce que, suivant le département où l'on se trouve, on note malheureusement des différences de traitement ou de moyens mis à la disposition des associations et des établissements, qui varient sensiblement.

Ne faudrait-il pas inverser la vapeur au plan national ? Car, aujourd'hui, on constate que souvent l'Etat ouvre des droits nouveaux, décide d'actions nouvelles, mais se garde bien d'en assurer le financement et transfère celui-ci aux collectivités territoriales. N'est-ce pas un niveau de solidarité nationale (c'est-à-dire un financement national) qui devrait jouer dans le domaine des handicapés, comme je pense qu'il devrait en être ainsi en ce qui concerne les secours ou la sécurité des personnes et des biens ? Certes les collectivités territoriales sont des acteurs sur le terrain compte tenu de la proximité, et on sait qu'elles sont de meilleurs gestionnaires que ne l'est l'Etat au niveau national (la preuve en a été faite lorsque le transfert de compétences d'aide sociale s'est effectué avec les lois de décentralisation), mais n'y a-t-il pas là une véritable révolution culturelle à mener chez les élus politiques dans ce domaine ?

Arriver à changer les habitudes et les comportements suppose un comportement responsable au plan local des conseils généraux dans un cadre préalablement défini, ce que les conseils généraux n'aiment pas trop d'ailleurs (je l'ai vécu lorsqu'il y avait la prestation spécifique dépendance, où une majorité de gauche actuelle dénonçait le fait qu'il n'y avait pas une équité de traitement des personnes âgées entre elles). Le risque serait qu'on se trouve dans la même situation en ce qui concerne les handicapés. Quelle est la réflexion de l'ADF à ce niveau ? Peut-on espérer des évolutions qui aillent dans ce sens ? On pourrait éviter des effets pervers du type de certains qui ont une approche financière et comptable. Il vaut mieux, en définitive, qu'un handicapé reste à la charge de sa famille. Cela coûtera moins cher à la collectivité territoriale que de lui trouver une place dans un établissement (700 francs par jour).

On a un autre problème dans mon département : certaines familles handicapées gardent le bénéfice de l'allocation logement. Des conseillers généraux étaient d'accord pour construire un foyer occupationnel, en confiant à un organisme social le soin de construire le bâtiment. Les différences sensibles pour les familles des personnes handicapées, c'est que lorsqu'elles touchaient l'allocation logement, elles l'utilisaient également pour faire face à des besoins tout à fait autres, alors qu'avec l'APL, elles n'ont plus rien du tout et se retrouvent dans une situation particulièrement difficile. Il faudrait que des évolutions permettent d'aller effectivement vers la souplesse.

La personne handicapée et sa famille sont aujourd'hui prisonnières du système. Un enfant ou un adulte handicapé est obligé de rester un nombre de jours minimum dans un établissement pour permettre à cet établissement de garder une enveloppe financière venant du conseil général qui lui permette de tourner et de ne pas être en déséquilibre. J'ai aujourd'hui des exemples de familles qui viennent me voir en me disant : « Je ne peux pas prendre mon enfant ou mon jeune adulte handicapé chez moi pour des périodes de vacances ou de détente suffisamment longues, parce que dans ce cas, l'établissement nous dit qu'il part trop longtemps et que cela lui fera un manque à gagner » . Donc il n'y a pas la souplesse que vous évoquiez tout à l'heure. L'enfant handicapé est prisonnier d'un système. Ce n'est ni admissible, ni compréhensible et il faut le dénoncer. Il s'agit peut-être de comportements inadmissibles de la part de certains conseils généraux. Je ne dis pas que c'est le cas du Rhône, puisque le Rhône semble exemplaire en la matière, mais il y a peut-être une réflexion à mener sur toutes ces questions au niveau de l'ADF.

M. Michel MERCIER - Cette dernière position est complètement idiote : si l'établissement est déficitaire, la réglementation actuelle oblige le département à reprendre le déficit l'année suivante.

S'il y a un travail à effectuer, il est en revanche tout à fait fondé de dire que tous les départements ne font pas la même chose et n'ont pas la même ouverture sur la prise en charge des personnes handicapées. Il faut expliquer à tous qu'on peut faire aujourd'hui, avec l'accueil des personnes handicapées, comme avec l'accueil des personnes âgées, une politique départementale d'aménagement du territoire et de développement économique. Les retombées économiques sont évidentes. Il faut que l'on insiste sur cette affaire, qu'on arrête de faire des discours sur l'obligation de solidarité. Il faut bien sûr accueillir, mais il faut aussi dire que cela a une retombée économique. Les départements auront alors une tout autre vision des choses.

Même quand c'est l'Etat, tout le monde n'est pas traité de la même façon. Il suffit de regarder le nombre de CAT par département et par nombre de handicapés. On verra qu'il y a de très fortes inégalités. L'égalité n'existe qu'à un moment, dans notre pays, c'est quand on est au cimetière ! C'est le seul endroit où tout le monde est égal, couché, avec un certain nombre de mètres de terre au-dessus. Autrement, une égalité stricte n'existe pas.

Il faut aussi simplifier les règles administratives, pour que l'on n'ait pas des réponses comme celle qu'a eue notre collègue Vasselle : « Vous êtes obligés de rester, sinon on est en déficit » . C'est là qu'il faut mettre de la souplesse et ne pas payer à la journée, mais aller vers des prises en charge globales.

L'existence de plusieurs compétences est une très bonne chose : c'est, dans le domaine social, un vrai problème s'il n'y a qu'un seul interlocuteur. Il n'y a alors pas assez d'espace d'autonomie et de liberté pour ceux qui sont demandeurs. Mais, quand vous avez plus d'un interlocuteur possible, vous créez un espace de plus grande liberté. Cette liberté est souvent le soutien de la dignité des gens. C'est plutôt bien, quand on est une association qui s'occupe de personnes handicapées, de pouvoir tirer plusieurs ficelles, parce que c'est plus efficace. Le seul vrai problème qui se pose, ce n'est pas celui de la compétence, mais c'est celui du financement de la compétence.

Il faut, pour les collectivités locales, un impôt plus moderne, productif, par exemple un point de CSG. Cela permettra aux départements de faire de la péréquation, de mettre davantage d'égalité et de financer des compétences, car dire qu'on va augmenter l'ACTP avec une taxe d'habitation dont on nous promet la diminution, avec une taxe professionnelle en voie de disparition, aboutit à l'impasse : des impôts en voie de disparition sont remplacés par des dotations de l'Etat, qui augmentent de 0,1 % par an, comme la formation brute de capital fixe des administrations françaises, ce qui est complètement inadapté au financement de nos compétences. Nos compétences locales ne sont pas à remettre en jeu, mais leur financement est à revoir.

E. AUDITION DE M. MICHEL FARDEAU, PROFESSEUR AU CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET MÉTIERS, AUTEUR DU RAPPORT « PERSONNES HANDICAPÉES : ANALYSE COMPARATIVE ET PROSPECTIVE DU SYSTÈME DE PRISE EN CHARGE »

M. Nicolas ABOUT, président - Vous avez remis, en juillet 2001, au ministre de l'Emploi et de la Solidarité, un rapport très complet, très instructif, intitulé « Personnes handicapées : analyse comparative et prospective du système de prise en charge ». C'est à ce titre que nous avons souhaité vous auditionner.

Lorsque j'ai eu besoin de trouver des inspirations, je me suis plongé dans ce rapport et j'y ai trouvé la plupart des choses que je cherchais. Je regrette que ce rapport si intéressant ait été conservé sous le boisseau, soit aussi confidentiel et que personne n'en ait assuré la promotion depuis la remise au ministre en juillet 2001. Nous allons essayer de réparer cet oubli.

Pourriez-vous nous présenter les principales conclusions et propositions de votre rapport ? Pourriez-vous nous faire part, au regard des politiques menées dans les pays étrangers, de votre appréciation générale sur la politique française en faveur des personnes handicapées ? Pourriez-vous insister sur les expériences étrangères les plus abouties, qui pourraient inspirer une réforme de notre politique ?

M. Michel FARDEAU - Permettez-moi de me présenter. Je suis un personnage hybride. Je suis médecin et biologiste fondamental. Je suis sorti du CNRS et, par un concours de circonstances, je me suis retrouvé pendant dix ans en charge d'une chaire d'insertion sociale des personnes handicapées au Conservatoire national des arts et métiers. J'ai enseigné pendant dix ans, en parallèle à ma vie de chercheur, les problèmes de prise en charge des personnes handicapées, non pas sous un angle médical, mais sous un angle pluridisciplinaire et essentiellement social. Ceci était un défi considérable. J'ai eu de grandes responsabilités, dès le départ dans une association qui a fait beaucoup parler d'elle, l'Association française de lutte contre les myopathies ; j'en ai été le premier Président, fondateur du conseil scientifique. J'ai, depuis, continué à travailler dans ce sens. Je dirige toujours l'Institut de myologie, dédié aux maladies musculaires, à l'hôpital de la Salpétrière. Cet institut a pour vocation de prendre en charge les problèmes de maladies musculaires sur le plan somatique et biologique, et également sur le plan social.

Ce rapport m'a été initialement demandé par le cabinet du Premier ministre, ensuite relayé par les différents ministres des Affaires sociales ou des ministres dédiés aux personnes handicapées. J'avais accepté ce rapport sans doute assez imprudemment, que j'ai dû faire avec très peu de moyens. J'ai utilisé les ambassades, les conseillers d'ambassade des pays qui m'intéressaient, conseillers de ces pays en France et conseillers français dans les différentes ambassades étrangères. Je me suis beaucoup promené dans le monde en tant que scientifique. J'ai découvert facilement que les conditions qui étaient faites aux personnes handicapées n'avaient rien à voir, dans certains pays, avec la condition qui leur était faite en France. L'idée-force était donc de tenter de comprendre ce qu'il y avait derrière cette différence de prise en charge entre certains pays, pays du nord et pays anglo-saxons, par rapport aux pays latins et germaniques.

Je ne mets aucun jugement de valeur dans cette constatation : chaque pays a réagi en fonction de sa culture et de son histoire. Des pays, comme la France et l'Allemagne, qui ont connu des guerres terribles et qui ont donc eu une quantité très importante de personnes à prendre en charge, ont été amenés à mettre en place des dispositions législatives adaptées à cette population nouvelle ; celles-ci se sont étendues secondairement aux accidentés du travail, aux invalides de la sécurité sociale, et, depuis 1975, à l'ensemble des personnes handicapées reconnues par les commissions compétentes pour notre pays.

Ce système s'est donc construit par appositions successives et de façon très spécifique pour les personnes qu'on reconnaît comme handicapées. Le titre même de la loi d'orientation est très éloquent : « l'ensemble des dispositions en faveur des personnes handicapées ». Cela montre bien que les personnes handicapées sont reconnues comme une population à part et qu'il faut faire des choses pour leur formation, leur éducation, leur prise en charge, leur vie quotidienne, tout en les gardant soigneusement à l'écart du mouvement de la population ordinaire.

Le degré d'insatisfaction existant chez les personnes handicapées me semble très disproportionné de l'aide qu'un pays comme le nôtre consacre effectivement aux personnes handicapées. Le budget consacré aux personnes handicapées et à l'aide sociale est très important dans notre pays, avec des modalités dont on pourrait discuter longuement. Or, dans les associations, il persiste un niveau d'insatisfaction permanent, de lutte, de combat pour obtenir plus de moyens, plus de places, plus de financements et d'aides pour ces personnes.

En fait, mon hypothèse est que le motif de cette insatisfaction n'est pas seulement matériel, mais un motif de reconnaissance et de dignité. Les personnes que nous désignons comme handicapées, en étant à part du mouvement social général, sont finalement regardées comme une population à part, comme dans un ghetto. Elles ne sont pas considérées comme des citoyens ordinaires. Le surtitre de mon rapport est, vous le savez, : « Comme nous, comme vous, tout simplement ».

Ce qui différencie notre attitude et l'attitude des pays voisins de celle de pays comme la Suède, les pays scandinaves voisins et, depuis peu, comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni, c'est cette considération : le mot-clef, dans ces pays, n'est pas « aide », ni « subvention » ; il est « inclusion sans discrimination ». Vous savez que le Traité d'Amsterdam, en 1997, a repris, dans son article 13, cette nécessité de ne pas admettre de discrimination qui soit fondée sur le sexe, les convictions religieuses... et le handicap. Cette norme européenne importante ne s'impose que dans la compétence de la communauté européenne, mais elle est écrite en clair dans le Traité d'Amsterdam : « non-discrimination ».

Ce principe est inscrit dans les Constitutions des pays scandinaves depuis l'après seconde guerre mondiale. Il engendre des attitudes qui sont évidemment très remarquables pour nous et dont les conséquences dans la vie quotidienne des personnes handicapées sont impressionnantes. Si l'on veut se faire une idée de ce qu'est l'accessibilité physique, allez à l'aéroport de Stockholm et vous verrez immédiatement ce qu'est une vraie accessibilité, c'est-à-dire une accessibilité qui n'est pas seulement pour les personnes à mobilité réduite, mais aussi pour les personnes déficientes visuelles et auditives. Cette philosophie a des conséquences majeures en termes de mise à disposition de la cité pour les personnes déficientes.

C'est aussi un paradoxe, car on pourrait croire que des pays comme la France, l'Allemagne ou l'Autriche, qui ont mis l'accent sur l'aide aux personnes, ont tout fait pour développer l'accessibilité, les transports, l'aménagement des habitats, etc. Or, c'est l'inverse. Ce sont ces pays avec cette philosophie majeure de non-discrimination qui ont rendu la cité accessible, qui se sont penchés sur les problèmes de proximité pour l'aide aux personnes, qui ont rendu accessibles leurs transports, bref, qui ont développé une philosophie d'inclusion des personnes dans la société de tous les jours. Ce sont des oppositions philosophiques très tranchées.

Cette philosophie existe depuis maintenant plus de cinquante ans dans les pays scandinaves. Elle s'est développée beaucoup plus récemment aux Etats-Unis et en Angleterre. Aux Etats-Unis, cela eut lieu à la suite du grand mouvement de protestation développé dans les universités américaines de l'ouest, au temps de la lutte pour les droits civiques. Cela a donné lieu à un mouvement de très grande ampleur de protestation contre la discrimination dont étaient victimes les personnes handicapées en tant que minorités,.

Ceci a eu comme première conséquence de faire modifier la loi : c'est le fameux amendement 504 de 1973, qui ne permettait plus de discriminer des personnes pour tout établissement universitaire qui recevait des fonds fédéraux. C'est le début de la montée en puissance de la législation américaine de non-discrimination, jusqu'à la loi de juillet 1990, l' American with disabilites Act (ADA) . Cette loi, actuellement en vigueur, permet à toute personne victime d'une discrimination en raison d'une déficience, de se porter devant les tribunaux et de demander réparation ou réparation équitable. C'est le magistrat qui juge du caractère raisonnable ou non de l'accommodation demandée par la personne ou l'association qui représente les personnes. La régulation se fait donc par les juges. Ceci concerne les problèmes de transports, de communication, d'emploi. Vous avez remarqué que le titre de la loi est l' American with disabilities Act , et non pas Disabled American Act : le terme « handicapé » a disparu. Ce sont les personnes avec difficultés, incapacités ( disabilities ). C'est donc un concept tout à fait nouveau ; je me suis laissé dire qu'un concours avait été lancé pour savoir comment on appellerait la loi. La formulation qui l'avait emporté ( American with different abilities Act ) n'a finalement pas été retenue.

Les choses ont ainsi évolué dans les esprits en l'espace de moins de deux décennies : il n'était plus question de considérer les personnes handicapées comme des personnes à part, mais comme des personnes ayant droit de pleine citoyenneté ; lorsque les droits de cette pleine citoyenneté étaient bafoués pour une raison ou pour une autre, il s'agissait d'en référer devant les tribunaux. Des arrêts rendus ont coûté tellement cher qu'il n'est plus question désormais qu'un bus, qu'un bâtiment public ne soient pas accessibles. La sanction est financière aux Etats-Unis.

L'Angleterre, qui avait initialement construit son système sur les mêmes bases que le nôtre (on le comprend pour des raisons historiques), a suivi ce courant à partir de 1990. Les pays du Commonwealth ont également suivi la voie initiée par les Etats-Unis. Les choses étant toujours en évolution permanente, nous ne sommes pas encore dans un état stable. Un certain nombre de pays européens sont dans un état hybride, incertain.

Le plus remarquable d'entre eux est notre voisine transalpine, l'Italie, qui a décidé, en 1971, de réaliser une intégration obligatoire des enfants dans l'école ordinaire. C'est une expérience qui a été très brutale, dans le prolongement du mouvement de l'anti-psychiatrie, et qui se déroule encore actuellement dans un pays très comparable au nôtre. Ceci porte essentiellement sur les problèmes d'éducation et, éventuellement, sur les problèmes d'emploi, ( les formules d'emploi protégé sont assez particulières à l'Italie).

Voilà donc un aperçu de la situation à l'étranger Nous ne sommes pas « en retard » en France, mais nous avons une vision différente de celle de ces pays. Or il faut savoir que nous traversons aujourd'hui facilement les frontières. Dans les motifs d'insatisfaction des familles, des personnes qui vivent dans notre pays, c'est cette approche comparative qui domine : dès qu'on a franchi le Rhin, les feux sont sonorisés, les trottoirs et les bus accessibles. Ces pays ne sont pas plus riches que nous, mais ils ont rendu obligatoire cette législation. Et je ne parle pas de l'école.

M. Nicolas ABOUT, président - J'ai vu, quant à moi, au Japon le TGV (le « shinkansen ») parfaitement accessible. Les choses ont donc manifestement évolué très loin.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous insistez sur les principes de non-discrimination et de droit à compensation, qui n'ont pas actuellement de présence suffisante dans nos lois. Comment ces principes pourraient-ils constituer des éléments fondateurs d'une nouvelle politique d'intégration des personnes handicapées ? Comment notre législation pourrait-elle les prendre en compte ?

M. Michel FARDEAU - Je ne suis ni juriste ni parlementaire. Parallèlement au rapport que je faisais, avait été mis en route un autre rapport confié à Mme Lyazid, par les mêmes voies, qui traitait spécifiquement des problèmes de droit à compensation. Il est assez intéressant de voir que, travaillant en parallèle, sans interférences, les deux rapports, partant, l'un du secteur des affaires sociales, l'autre du secteur médical, ont abouti à des conclusions tout à fait semblables.

Les problèmes de non-discrimination et de droit à compensation sont, pour moi, nécessairement couplés. Sans droit à compensation, il n'y a pas de possibilité d'exercice de la pleine citoyenneté. Il faut non seulement reconnaître que toute personne a droit à une pleine citoyenneté, mais encore faut-il lui donner les moyens de l'exercer physiquement, mentalement, c'est-à-dire de lui permettre de remplir sa vie de citoyen.

Pour répondre à votre question, j'aurais suggéré d'introduire deux paragraphes dans l'article premier de la loi de 1975 : l'un sur la non-discrimination, l'autre sur le droit à compensation. Il faut que ces choses soient écrites de façon absolument claire et forte. Il y a, dans ce pays, beaucoup de bonne volonté, des mouvements très importants, associatifs, politiques. Mais on a l'impression de buter sur quelque chose : s'il n'y a pas de votre part, de la part du monde politique, un signal fort, que les choses, que les mentalités doivent changer, rien ne se fera que par addition. On créera plus de places, on fera un peu plus d'aménagements dans les écoles, quelques planchers supplémentaires pour permettre aux fauteuils roulants de passer, mais on n'aura pas transformé les choses. Or nous devons, ne serait-ce que pour la construction d'une Europe sociale, franchir un cap absolument majeur : reconnaître la pleine citoyenneté de toute personne.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous constatez que notre système de prise en charge est essentiellement administratif et bureaucratique, c'est-à-dire trop lointain et impersonnel. Quels pourraient être les axes d'une plus grande proximité et d'une meilleure participation des personnes handicapées ? Quelles expériences étrangères apparaissent sur ce point les plus significatives ? La solution du guichet unique vous paraît-elle pertinente ?

M. Michel FARDEAU - Si je devais choisir un pays, proche du nôtre, où a été mise en place une relation de proximité importante et étroite entre les services d'aide et la personne, ce serait le Royaume-Uni. Les Anglais ont développé une politique d'aide qui peut s'appeler « guidée par les besoins », c'est-à-dire que l'on ne part pas de l'avis d'une commission, si bien intentionnée soit-elle, pour définir les choses auxquelles a droit la personne : on va voir la personne et on lui demande quels sont ses besoins. On met alors cette personne en capacité de gestion personnelle de ses aides. Il s'agit d'une philosophie très différente. Il ne faut pas être utopique, il y a sûrement beaucoup de variantes. Mais voilà une solution de proximité qui implique un développement important des formules associatives. Il s'agit de laisser la personne exprimer elle-même ses besoins, de la faire accompagner par des services sociaux compétents qui pourront chiffrer en termes de temps et d'argent ce que représente cette aide, et de mettre au point des formules qui permettent à la personne d'être en charge de ses propres aides et d'y participer.

La proximité manque énormément dans notre pays. Ce n'est pas tellement une proximité spatiale : la France est un petit pays, encore que pour une personne qui ne se déplace pas, aller au chef-lieu de son département peut représenter une difficulté, surtout quand les autocars ne sont pas accessibles. Le problème le plus important est l'absence de proximité temporelle, c'est-à-dire les délais considérables et dramatiques qui existent entre une demande et la réponse qui lui est faite. Ceci est lié au caractère totalement inaccessible de la législation et des règlements souvent contradictoires qui sont actuellement en vigueur, qui se sont empilés, et sont devenus illisibles. Regardez pas exemple la loi de non-discrimination de juillet 1990 : elle est illisible si on ne connaît pas le code du travail, le code de la famille, le code pénal, etc. Ce ne sont que des mots rajoutés à des articles qui ne sont pas écrits en totalité. Quelqu'un qui n'a pas été formé dans le sérail juridique ne peut pas comprendre quoi que ce soit. La conclusion très simple est que cette loi n'est pas utilisée en France : une loi de non-discrimination, très restrictive dans son champ d'application, existe sur le papier, mais elle est tellement complexe que personne ne se risque à l'utiliser, car elle irait à l'échec.

En ce qui concerne le problème du guichet unique, je pense qu'il faut aller vers une simplification considérable des modalités d'examen des dossiers d'aide des personnes. Il faut surtout que les personnes handicapées soient présentes de façon significative dans toutes les commissions. Or, actuellement, elles ne le sont pas. Je ne vais pas jusqu'à demander la majorité, comme dans certains pays, pour les personnes handicapées, mais il faut que ces personnes, qui, elles, connaissent la vie quotidienne, soient présentes dans ces instances. Si l'on met en place une formule départementale qui serve de guichet unique, il serait souhaitable que les personnes handicapées et leurs représentants soient en nombre significatif (peut-être un tiers, vous jugerez en fonction des problèmes juridiques qui peuvent se poser), aient leur mot à dire et puissent éventuellement bloquer une décision qui leur paraîtrait contraire aux intérêts de la personne.

M. Nicolas ABOUT, président - Pensez-vous qu'au sein même des associations de familles de personnes handicapées, il faudrait que les personnes handicapées soient présentes aux conseils d'administration ?

M. Michel FARDEAU - Elles le sont déjà très largement.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous insistez sur l'accessibilité et notamment l'accessibilité de la cité et des bâtiments. Pensez-vous que des expériences étrangères pourraient être reproduites dans notre pays pour améliorer cette accessibilité ?

M. Michel FARDEAU - Je ne comprends pas qu'un pays comme la France n'ait pas tous ses autobus accessibles. J'ai été très proche de Georges Besse. Peu avant le drame qui l'a frappé, nous étions en train de discuter pour que Renault fabrique des autobus qui soient tous accessibles. Un événement dramatique a cassé cette dynamique.

Je n'ai pas de compétence industrielle, mais je me demande pourquoi les pays voisins ont des autobus qui sont tous accessibles : ils les fabriquent sûrement ! Si on ne les fabrique pas, on peut les acheter. Il ne suffit pas, ceci dit, que l'autobus soit accessible, il faut que le trottoir permette cette accessibilité. Il faut les deux, et il y a encore beaucoup à faire dans notre pays.

M. Paul BLANC, rapporteur - Y a-t-il des expériences beaucoup plus marquantes dans tel ou tel pays ?

M. Michel FARDEAU - Tout est accessible dans le nord de l'Europe. Une rampe du métro de Stockholm arrive jusqu'au trottoir. Le Japon, pays où le centimètre carré est terriblement précieux, a rendu l'accessibilité des transports parfaite, y compris pour les personnes non voyantes.

M. Nicolas ABOUT, président - Des petits compartiments adaptés sont en outre aménagés à l'intérieur des espaces publics et des moyens de transport.

M. Michel FARDEAU - Alors qu'il n'y a qu'une place par train dans un TGV, il existe des pays comme le Danemark où le nombre de places disponibles est très supérieur et où des wagons sont même réservés spécifiquement pour les personnes allergiques. On a mis l'accent jusqu'à la prévention des crises d'asthme.

Nous avons donc beaucoup à faire. C'est à nouveau une question de volonté. Quand les problèmes d'accessibilité sont prévus au départ, cela coûte à peine plus cher. Ce qui coûte cher, ce sont les aménagements ultérieurs, les reconstructions, c'est, par exemple, de construire un petit ascenseur.

M. Nicolas ABOUT, président - Nous savons tous qu'il existe des normes d'accessibilité sur tous les bâtiments. Le gros problème des personnes handicapées est de moins en moins d'entrer dans les bâtiments, c'est surtout d'aller d'un bâtiment à l'autre.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous estimez souhaitable de donner une priorité à l'hébergement à domicile. Cette priorité suppose une révision, une remise à plat des différentes aides. Faut-il notamment accroître la responsabilité des collectivités locales ? Quelles pourraient en être les lignes directrices ?

M. Michel FARDEAU - Le maintien à domicile est le corollaire immédiat d'une philosophie de non-discrimination. Le droit d'être chez soi, dans sa famille, est vraiment la priorité. Toute une culture institutionnelle, le plus souvent en gestion associative, s'est développée dans ce pays, avec de bonnes intentions. C'est une philosophie différente.

Actuellement, vouloir vivre à domicile, pour une personne qui a de très gros problèmes de mobilité, de communication, est quelque chose de vraiment et d'anormalement difficile : il faut mobiliser les aides, recourir aux aides exceptionnelles, à toutes les aides associatives, pour pouvoir tenir. Mon lointain prédécesseur au CNAM, La Rochefoucauld-Liancourt, avait déjà proposé, en 1790, le maintien à domicile des personnes invalides, parce que cela coûterait moitié moins cher à la collectivité.

D'autre part, je suis pour une décentralisation très poussée des décisions, une concertation très grande avec les personnes concernées. La distribution actuelle des aides, tantôt au niveau départemental, tantôt au niveau communal, tantôt au niveau régional, est un des éléments de la complexité que les gens rencontrent. Là encore, une simplification est absolument urgente.

M. Paul BLANC, rapporteur - Le problème de l'intégration scolaire est très important à notre sens. Il provoque actuellement de nombreuses difficultés. Avez-vous des exemples de bonnes pratiques qui pourraient rendre l'intégration scolaire plus effective ?

M. Michel FARDEAU - L'expérience italienne, d'intégration obligatoire de tous les enfants à besoins particuliers dans l'école ordinaire, est très intéressante. Elle date maintenant de trente ans. Lorsque cette décision politique a été prise, elle a suscité des remous considérables, comme en suscitaient l'ouverture des hôpitaux psychiatriques et le fait de demander aux personnes avec grosses difficultés mentales d'être accueillies dans des structures ordinaires.

J'ai, au cours de mes visites, vu beaucoup d'enfants très sévèrement handicapés sur le plan moteur, mental, apparemment bien accueillis dans des écoles ordinaires. Les contraintes semblent avoir été résolues dans ce pays beaucoup plus décentralisé que le nôtre. Les classes sont réduites à 22 élèves, c'est-à-dire qu'il y a 1 ou 2 enfant(s) handicapé(s). Dans une classe ordinaire, il y a un enseignant spécialisé. Son rôle est de s'occuper d'abord de ces enfants, mais aussi de participer à l'enseignement général. Si l'on voulait aujourd'hui revenir en arrière, c'est-à-dire décider que tous les enfants qui sont actuellement dans le système éducatif ordinaire retournent dans des établissements spécialisés, ce serait vraiment la révolution, parce que les parents y sont maintenant extrêmement attachés.

Le problème de l'intégration scolaire est le point-clé que vous devez mettre en priorité absolue, par lequel il faut commencer si l'on veut que dans vingt ans, la situation ait profondément changé dans ce pays. Il faut intégrer tous les enfants dans le cycle primaire de l'école ordinaire.

Je fais partie du Conseil national d'évaluation des universités, entre autres fonctions, et j'ai participé à la réforme du programme des IUFM : il y aura maintenant, je pense, des modules dans les IUFM pour former les futurs maîtres d'écoles et instituteurs à la prise en charge d'enfants différents, avec difficultés sensorielles, motrices, mentales.

Cela ne se passe pas trop mal en maternelle dans notre pays, mais dans le primaire, les parents sont en butte, malgré tous les plans que j'ai vus, à la bonne volonté de l'équipe pédagogique, qui règle ou non l'admission de l'enfant dans l'école. Si cette équipe pédagogique s'y oppose, pour des raisons qui peuvent être parfaitement valables, les parents doivent aller ailleurs. Il faut une loi, simple, qui dise que tout enfant, dans chaque quartier, a droit à l'école de son quartier.

J'ai plaidé cette proposition, auprès de notre ministre, Mme Royal, qui m'a, je crois, bien écouté. Il y a des limites dont je suis pleinement conscient. Je pense, en particulier, au rapprochement de l'enseignement spécialisé de l'enseignement général. Ce sont des mondes clos qui dépendent de ministères différents, qui ne se connaissent pas. Il faudrait faire en sorte que les gens se rapprochent, discutent, aient des initiatives communes, en dehors du seul moment du Téléthon. Sans cet effort, tout ce qu'on construira le sera sur du sable et vous auditionnerez, dans vingt ans, un autre Michel Fardeau, qui viendra et dira la même chose, et cela n'aura pas avancé d'un iota.

M. Paul BLANC, rapporteur - Ne pensez-vous pas qu'il faille, au niveau de cette intégration scolaire, faire évoluer les mentalités, y compris celles des parents des autres élèves ?

M. Jean CHÉRIOUX - Je comprends très bien que le droit à compensation soit la solution, mais il ne suffit pas d'inscrire les choses en lettres d'or, encore faut-il les appliquer. Je ne vois pas, justement, compte tenu de ce que sont nos structures en France, comment on peut l'appliquer. J'ignore comment on fait ailleurs, mais j'ai l'impression que chez nous, alors qu'on a besoin de sur-mesure, on offre de la confection et généralement de la confection qui ne correspond pas au cas des personnes handicapées. On a des structures qui sont sans rapport les unes avec les autres et, face à un cas bien déterminé, on ne sait pas comment le résoudre.

D'une part, qui décide, qui assure cette mise en oeuvre de ce droit à compensation ? Quelle autorité ? Un juge ?

Enfin, cela se fait ailleurs parce qu'on y est plus souple, mais combien cela coûte-t-il ? Les autres pays consacrent-ils plus d'argent que nous à la solution de ces problèmes ? Ne mettons-nous pas suffisamment de moyens ? Ou si on les met, les met-on mal et par conséquent gaspille-t-on, alors qu'on devrait trouver des solutions beaucoup plus souples ?

M. Michel FARDEAU - Je n'ai pas fait l'analyse économique de ces questions. Une difficulté frappante, dans le cadre du droit à compensation, est l'attribution des aides techniques. C'est une des choses qui méritent vraiment des mesures drastiques. Comment font la Suède, la Norvège, pour distribuer gratuitement les aides techniques ? Il y a, dans chaque comté, un centre de vie autonome, où les gens, sur prescription médicale (l'ordonnateur est le médecin), reçoivent tel ou tel type d'adaptation pour la cuisine, la personne elle-même, le véhicule, etc. Cela est délivré gratuitement. Il est vrai que la Suède et la Norvège sont des pays riches. Je ne crois pas que si l'on se livrait à une analyse économique globale, on perdrait beaucoup à avoir une façon plus souple d'attribuer les aides techniques. Même en Allemagne, toutes les aides techniques, d'ordre orthopédique, sont délivrées gratuitement, sur indication médicale, par des centres spécialisés.

M. Francis GIRAUD - Je connaissais parfaitement l'excellence des travaux médicaux scientifiques de Michel Fardeau, un peu moins son implication aussi forte dans le problème social ou médico-social. Vous avez dit qu'il importait que les politiques préparent, avec une volonté très ferme, des textes qui permettent d'améliorer les choses. Mais vous avez dit également que tout cela reposait sur une différence de mentalité très forte d'un pays par rapport à un autre. Vous apportez une réponse en disant que l'intégration scolaire, dès le plus jeune âge, d'enfants handicapés montre aux autres, aux parents des autres, ce qu'est ce problème. C'est une manière de faire évoluer la question.

En dehors de cet aspect très fort de la présence, dans un système éducatif pour tous, d'enfants handicapés, y a-t-il, dans les autres pays, dans la formation des maîtres, dans ce que l'on apprend aux enfants sur les différences, d'autres solutions afin que la discrimination ne joue plus ?

D'autre part, vous savez bien qu'on ne peut pas hélas résoudre le problème de ces enfants en disant « on va les mettre le plus possible à l'école ». Vous savez hélas que pour un très grand nombre, cette possibilité est absolument impossible et ne le sera jamais. Pour ces cas où ni l'intégration, ni quoi que ce soit d'autre n'est possible, pour des raisons médicales, comment envisagez-vous que des législateurs doivent orienter la compensation afin que la solidarité nationale puisse s'exercer ?

M. Michel FARDEAU - Une des premières choses qu'il faut voir, c'est que les cultures, les mentalités, y compris religieuses, sont différentes au nord de l'Europe et chez nous. Il faut bien voir que nous vivons aujourd'hui dans un monde où les échanges sont considérables et où ces cultures s'interpénètrent.

Pourquoi la télévision, un des médias les plus importants et qui pourrait faire des progrès considérables, ne projette-t-elle jamais des films qui concernent les personnes handicapées ? Le laboratoire que je dirigeais au CNAM a produit toute une vidéothèque, très connue dans le milieu des associations. Cela passe en Belgique, au Luxembourg, en Suisse romande, mais jamais sur la télévision française. Voilà des problèmes importants si l'on veut faire évoluer les mentalités. J'avais été très frappé, au Québec, par les émissions enfantines, avec des marionnettes : il y avait, parmi ces marionnettes, des enfants différents. C'est une formation de tous les jours. Nous sommes dans un univers qui bouge, où la communication est très grande, mais nous n'en tirons pas parti.

Vous avez soulevé le problème des enfants très sévèrement handicapés, surtout handicapés mentalement, enfants autistes, enfants épileptiques graves, etc. Ces enfants existent bien sûr en Suède, au Danemark, etc. Il y a des établissements spécialisés pour eux, mais leur implantation se fait en général de manière différente de chez nous : on ne les met ni à Saint-Brieuc ni dans la Drôme, mais au contact des établissements ordinaires, de façon à ce que les enfants se fréquentent, se connaissent. Les personnes démentes existent dans tous les pays, mais la façon de les gérer diffère. Dans les pays scandinaves, les établissements ne doivent pas accueillir plus de vingt personnes et les personnes ont leur chambre, mais aussi une autre pièce pour recevoir leur famille et leurs amis. Le droit à l'intimité est préservé. Cela est fait partiellement dans notre pays. Il faudrait que chaque pays profite de la construction européenne pour s'inspirer des bonnes réalisations qui sont faites dans chaque pays. Des choses merveilleuses ont été faites, c'est vrai, dans notre pays pour certaines catégories d'enfants.

S'il y a enfin une chose à faire, c'est de promouvoir cet échange, pas seulement au niveau des médecins, des éducateurs, des formateurs, mais aussi au niveau des familles, de façon à ce qu'il y ait, au niveau des associations, une bien plus grande connaissance réciproque des réalisations des uns et des autres, par le mixage et la rencontre des personnes. Les gens voient ainsi les réalisations possibles.

M. Paul BLANC, rapporteur - Nous n'avons pas du tout évoqué le problème de l'insertion professionnelle des personnes handicapées. Que pouvez-vous nous en dire par rapport aux pays étrangers ? Comment concilier travail en milieu ouvert et travail en milieu protégé ? La mise en place de passerelles est-elle possible ?

M. Michel FARDEAU - Je ne suis pas le plus compétent pour en parler. Les problèmes de l'emploi sont traités de façon différente dans les pays que j'ai évoqués. Des pays comme la Hollande ou les pays du Nord incluent dans les populations « à besoins particuliers », non seulement les personnes que l'on désigne ici comme « handicapées » pour des raisons de déficiences dans le domaine de la santé, mais également des personnes en difficulté sociale confrontées aux problèmes de précarité, de chômage au long cours, etc. Ceci fait que les populations prises en compte sont bien plus larges que les nôtres.

Les Suédois ont développé une très grande entreprise comparable à celle du travail protégé dans notre pays (Samhall) : cette entreprise se gère elle-même, couvre l'ensemble du territoire et est exportatrice et bénéficiaire. Elle est soutenue par l'Etat, des comptes rendus lui sont demandés régulièrement, des quotas lui sont imposés pour l'emploi.

Mme Sylvie DESMARESCAUX - On pourrait peut-être aussi réfléchir, au niveau des élus locaux que nous sommes, au travail entre les enseignants et les enfants. Vous disiez que vous aviez des films à disposition. Je pense au Conseil municipal des jeunes, puisque j'en ai un sur ma commune. Nous pourrions travailler avec les élèves dans les classes, afin qu'ils aient un autre regard sur les enfants handicapés. Il est bien difficile parfois de faire accepter ces enfants avec un regard qui soit le même pour tous. C'est un sujet que nous avons nous-mêmes abordé avec le Conseil municipal des enfants : avoir le même regard et utiliser des moyens de communication tel un film pour que les enfants puissent mieux appréhender la situation. Cela fait aussi partie de la citoyenneté.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vois le cas aussi des malentendants. J'ai plusieurs classes qui accueillent des enfants présentant des déficiences. Les autres enfants ont appris le langage des signes et les parents des autres enfants s'y sont aussi intéressés, ce qui prouve que l'intégration est possible.

Mme Sylvie DESMARESCAUX - C'est vrai qu'on rapproche souvent maintenant les enfants dans les écoles des personnes âgées. On les amène à passer un après-midi dans des clubs auprès de personnes âgées. Pourquoi pas avec d'autres enfants handicapés ?

M. Alain GOURNAC - C'est aussi une question d'état d'esprit, de positionnement vis-à-vis du handicap, où l'on a pris un retard terrible. On cachait les handicapés, alors que le handicap, c'est une vie tout à fait normale, en fin de compte.

J'ai, chez moi, un établissement, qui va de la maternelle jusqu'au collège, pour les malvoyants et les non-voyants. C'est vrai qu'au contact direct, il y a un état d'esprit qui évolue. L'aide se fait aujourd'hui de façon tout à fait normale. On ne laisse pas seul un enfant handicapé. Il est accompagné lors du déjeuner. Il en manque peu, dans ce pays, pour que l'on change la vue du handicap, l'état d'esprit vis-à-vis du handicap. Vous avez parlé des pays nordiques et du Canada (du Québec en particulier), où il y a un état d'esprit incroyable vis-à-vis du handicap. Un handicapé doit pouvoir évoluer normalement dans la ville.

M. Michel FARDEAU - Un Vice-Premier ministre aveugle, en Suède, était chargé de veiller à ce que tout article de loi ne soit défavorable pour quelque catégorie que ce soit de personnes déficientes.

L'insuffisance de la recherche dans ce domaine est enfin un drame dans notre pays. Mes collègues travaillant dans le domaine psychosocial, dans le domaine psychologique, dans le domaine économique, etc., ont des moyens que je qualifierais de ridicules par rapport aux moyens mis à disposition dans les pays anglo-saxons, qui ne sont pas forcément des pays très riches. Il y a une véritable urgence à promouvoir la recherche dans ce pays. Vous parliez des difficultés d'avoir une épidémiologie correcte dans ce pays pour les personnes handicapées. On ne l'a pas, elle est en train de se construire. Mais il y a une insuffisance criante des programmes de développement de la recherche dans le domaine du handicap.

F. AUDITION DE M. DANIEL LENOIR, DIRECTEUR DE LA CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE MALADIE (CNAMTS), ET DE MME BÉATRICE DE CASSON, RESPONSABLE DE LA MISSION HANDICAP

M. Nicolas ABOUT, président - La sécurité sociale, et en tout premier chef l'assurance maladie, est un acteur essentiel, mais pourtant curieusement quelque peu méconnu du grand public, de la politique en faveur des personnes handicapées. Pour 2000, on estimait qu'elle contribuait à hauteur de près de 7,5 milliards d'euros au budget social du handicap. Dans ce contexte, il nous est apparu indispensable de vous auditionner. Pourriez-vous nous présenter les plus grandes lignes de l'action de la Caisse dans ce domaine, caractérisée par une multiplicité d'intervenants ? Quelle est son évolution et quelles sont ses perspectives pour l'avenir ?

M. Daniel LENOIR - S'il y a une méconnaissance, je vais essayer, très modestement, de répondre à cette carence.

Je viens d'arriver à la direction de la CNAM. Je suis ravi que ce soit aujourd'hui l'occasion de refaire le point sur ce sujet dans lequel je me suis toujours fortement impliqué, y compris à titre personnel. Ce sujet a été peut-être un peu mis au second plan des politiques sociales. J'en sais quelque chose, pour avoir été personnellement le co-auteur d'un ouvrage sur les politiques sociales. La loi de 1975 a été un grand moment, mais d'autres préoccupations ont depuis attiré l'attention de notre société, comme d'ailleurs celle des pouvoirs publics. La prise en charge des personnes handicapées est à nouveau un enjeu majeur et peut-être plus perceptible qu'il ne l'était il y a quelques années, pour plusieurs raisons.

La France apparaît plutôt en retard par rapport à ses voisins européens au niveau de l'intégration des personnes handicapées. La population handicapée augmente du fait des progrès de la médecine, de l'allongement de la durée de la vie, ce qui pose de plus en plus de problèmes de prise en charge, par exemple du fait du décès des parents. Enfin, de nouvelles pathologies très invalidantes apparaissent ou se développent.

Ensuite, les personnes handicapées, qu'on estime à 3,3 millions de personnes, vivent principalement à domicile (pour 90 % d'entre elles). 10 % d'entre elles sont en établissement. Cette situation ne résulte pas nécessairement d'un choix de vie, mais, pour partie, du manque de structures, ce qui explique les « filières belges » ou l'éloignement du handicapé par rapport à sa famille.

Les schémas départementaux, prévus dans la loi du 2 janvier 2002 qui réforme l'autre loi de 1975, prévoient une analyse des besoins. Nous souhaiterions que celle-ci soit conduite plutôt par type de besoin et donc par type de prise en charge que par type de structure d'accueil. La prise en charge dans les établissements coûte 35 milliards de francs (5,33 milliards d'euros), soit près de 25 % du budget total consacré au handicap pour 10 % de la population.

Le secteur médico-social est un secteur en manque d'évaluation, dont on ne connaît pas bien la situation, très complexe. On ne connaît pas précisément le nombre de personnes handicapées en France. L'enquête faite lors du recensement de 1999 ne le donne pas. Les coûts de prise en charge, voire les besoins par pathologie, ne sont pas non plus évalués. L'estimation du nombre de handicapés se fait à partir du dispositif de prise en charge, ce qui illustre bien mon propos.

Les lois récentes du 2 janvier et du 4 mars sur les droits des malades abordent cette nécessité d'évaluer. Mais la participation à cette évaluation du principal financeur que nous sommes n'est pas encore explicitement prévue.

Le système de prise en charge est extrêmement complexe, puisqu'il dépend de dispositifs très différents. Il est donc peu lisible. Il est inégalitaire sur le territoire. Notre préoccupation est de participer à une réelle mise à plat du dispositif, qui permettrait une véritable modernisation. La CNAM n'échappe pas au mouvement général et la préoccupation du handicap, si elle a toujours été présente, n'a pas toujours été organisée. La mission du handicap dont est chargée Béatrice de Casson est de création récente : elle a moins d'un an. Les travaux de la CNAM n'ont pas encore totalement abouti de ce point de vue-là, mais ce sera une des priorités de mon action dans les semaines et les mois qui viennent. Le conseil d'administration de la CNAM n'a pas encore eu à délibérer sur des orientations de l'assurance maladie en matière de handicap.

M. Paul BLANC, rapporteur - L'assurance maladie intervient de manière très diverse en direction des personnes handicapées. Pourriez-vous nous indiquer s'il y a une évolution dans cette intervention au cours de ces dernières années, tant sur le point de vue des orientations générales que sur le point de vue des masses financières ?

M. Daniel LENOIR - Du point de vue des masses financières, il faut souligner que, si l'on met bout à bout l'ensemble des dispositifs, le budget consacré par l'assurance maladie au handicap représente près de la moitié de ce qu'on estime être le budget social du handicap, c'est-à-dire 11 milliards d'euros (72 milliards de francs) sur à peu près 25 milliards d'euros (160 milliards de francs). C'est dire l'urgence qu'il y a à donner, a minima , plus de visibilité à notre action, et si possible à en préciser les contours.

Cette action porte d'abord sur le maintien à domicile des personnes handicapées. Ces prestations extra-légales d'aide au maintien à domicile sont principalement financées par le Fonds national d'action sanitaire et sociale, pour un montant qui est de l'ordre de 11 millions d'euros.

La deuxième partie, moins importante, concerne la prévention. L'assurance maladie intervient de plus en plus dans la prévention des maladies handicapantes, et notamment des maladies génétiques, par le dépistage et l'information des familles. Cela représente environ 740.000 euros.

Le troisième poste concerne la prise en charge des appareillages et autres aides techniques. C'est évidemment pris en charge par l'assurance maladie dans le cadre du TIPS pour un montant de 21 millions d'euros.

Le quatrième poste concerne la prise en charge dans les établissements médico-sociaux. Les institutions pour adultes et pour enfants d'une part, puis, d'autre part, les propres centres de l'assurance maladie gérés par les UGECAM. Cela représente 5,55 milliards d'euros.

Le plus important, pour l'assurance maladie, concerne les prestations en espèces qu'elle verse. La CNAM gère en fait deux branches : la branche assurance maladie, avec la prestation invalidité, et la branche accidents du travail, avec la prise en charge des indemnités journalières et surtout des rentes accidents du travail. Le montant consacré à ces rentes est de 3 milliards d'euros. La part liée à l'invalidité est de 2,4 milliards d'euros.

Au total, 11 milliards d'euros sont consacrés par l'assurance maladie à la prise en charge du handicap.

Cela ne couvre évidemment pas la totalité de ce que prend en charge l'assurance maladie, puisque l'assurance maladie prend bien sûr aussi en charge les prestations maladie des personnes handicapées, c'est-à-dire le remboursement des soins, quelle que soit l'origine de leur handicap.

M. Nicolas ABOUT, président - Même en établissement ?

M. Daniel LENOIR - Oui, bien sûr.

Mme Sylvie DESMARESCAUX - Les soins dispensés aux personnes handicapées en établissement ne semblent pas être pris en charge par l'assurance maladie. Ce serait donc un coût supplémentaire pour l'établissement.

M. Nicolas ABOUT, président - Et donc pour ceux qui les financent, en particulier les départements qui financent les déficits.

Mme Béatrice de CASSON - Mais quel type d'établissement ?

Mme Sylvie DESMARESCAUX - Il s'agit des établissements qui dépendaient d'une double tarification ou d'une prise en charge par le conseil général.

M. Daniel LENOIR - En cas de double tarification, les soins sont, par définition, pris en charge par l'assurance maladie.

Mme Sylvie DESMARESCAUX - La question porte sur les maisons d'accueil spécialisées et les établissements dont le prix-journée est payé par le conseil général.

M. Daniel LENOIR - C'est possible, mais c'est un sujet sur lequel nous manquons d'évaluations. Il est possible que les principes de financement soient ceux que j'indique et que la réalité soit parfois un peu plus hétérogène, pour ne pas dire malléable. En réalité, il peut y avoir des transferts du fait de l'incertitude et de l'imprécision des dispositifs de prise en charge, de ce qui relève de l'hébergement, de ce qui relève des soins de la personne et de ce qui relève des soins au sens de l'assurance maladie.

M. Paul BLANC, rapporteur - Il y a une ambiguïté à ce niveau entre ce qui est pris en charge par la sécurité sociale au niveau du handicap et ce qui relève vraiment de l'assurance : les accidents du travail, assurables, entraînent bien sûr de grandes invalidités, des handicaps. Ils sont pris en compte dans le cadre d'une cotisation qui est payée par les entreprises. Les maisons d'accueil spécialisées accueillent effectivement des handicaps totalement à la charge de la sécurité sociale. Il faudrait que l'on parvienne à une clarification entre ce qui est, d'une part, accident du travail qui entraîne une invalidité et un handicap et, d'autre part, ce qui est un handicap de naissance. C'est aussi la difficulté de définition du handicap. Dans le domaine de l'assurance maladie, les choses mériteraient une clarification.

M. Daniel LENOIR - Vous pointez là l'essentiel de la difficulté de la politique du handicap. On a eu une sédimentation des dispositifs.

On a, d'une part, des dispositifs de prise en charge, de couverture ou de réparation qui s'adressent aux personnes, aux individus. Les dispositifs ont été mis en place en fonction de la couverture des risques. Le premier, historiquement, c'est la loi de 1898 sur les accidents du travail. Ensuite, il y a eu les dispositifs en faveur des invalides de guerre ; puis la mise en place du régime d'invalidité, qui est un régime peu développé dans le domaine de la sécurité sociale ; et ensuite on a harmonisé le régime de prise en charge de droit commun, au travers, pour les adultes, de l'allocation d'adulte handicapé. Ces dispositifs s'étant sédimentés, il y a aujourd'hui une prise en charge très différente selon l'origine du handicap, la nature du handicap lui-même, puisque les barèmes ne sont pas les mêmes, les règles de réparation ou de prise en charge ne sont pas non plus les mêmes. Il me semble pourtant qu'il faudrait que l'on puisse garder une prise en charge qui soit liée à l'origine du handicap, pour deux raisons.

D'abord, parce qu'il s'agit, philosophiquement, des bases mêmes de notre système de protection sociale.

Ensuite, parce que les dispositifs de prise en charge permettent de faire une vraie gestion des risques. Le fait de prendre en charge de façon spécifique les accidents du travail permet de faire une vraie gestion du risque des accidents du travail et donc d'induire une politique de prévention, puisque rien qu'à travers le mode de tarification, on a une incitation à la prévention. Il faut qu'on puisse de la même façon avoir des gestions du risque. Les prises en charge elles-mêmes diffèrent, puisqu'aujourd'hui, la Cour des comptes l'a d'ailleurs noté, on a des différences entre l'invalidité et l'allocation d'adulte handicapé, parfois au profit de l'AAH. Ces différences défavorisent celui qui est devenu handicapé dans le cadre de son activité professionnelle, ce qui est difficilement compréhensible pour les bénéficiaires de prestations.

Une nécessaire harmonisation des dispositifs de prise en charge passe par une harmonisation des barèmes et une meilleure articulation des dispositifs de réparation. L'harmonisation des barèmes réclame que l'on distingue de façon plus précise les éléments médicaux, les déficiences, le retentissement fonctionnel, l'incapacité et le handicap proprement dit, c'est-à-dire le désavantage dans le cadre de la situation.

L'effet de sédimentation est à peu près le même pour les structures : aujourd'hui, les études de la CNAM dont j'ai pris connaissance, montrent qu'il n'y a pas de différences significatives dans les niveaux de handicaps pris en charge, entre les maisons d'accueil spécialisées et les foyers à double tarification, alors que les structures avaient logiquement été créées pour prendre en charge des personnes de niveau de handicap différent.

Ne devrait-on pas aller vers une réforme de la tarification analogue à celle qui a été mise en place pour les établissements pour personnes âgées dépendantes (EPAD), en distinguant ce qui relève de la prise en charge de l'hébergement, ce qui relève de la prise en charge de l'aide à la personne et ce qui relève de la prise en charge des soins proprement dite ? Ceci permettrait aussi de clarifier les financements et les financeurs et d'avoir une meilleure adaptation de la prise en charge des établissements et des structures.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je crois que l'on a instauré ce régime de foyer occupationnel à double tarification, parce que les besoins sur le terrain se faisaient sentir et que les départements ont accepté, pour répondre à un besoin, de participer au financement défaillant de la sécurité sociale en ce qui concernait les MAS.

Comment vous positionnez-vous sur le thème du droit à compensation, qui occupe aujourd'hui une place centrale dans le débat sur le handicap ?

M. Daniel LENOIR - Je constate effectivement l'émergence d'un droit à compensation, un concept un peu nouveau par rapport à l'histoire que je rappelais, qui privilégiait jusqu'alors un droit à réparation en fonction des situations. Ce concept renvoie plus à cette notion de compensation du handicap, c'est-à-dire du troisième niveau de la classification internationale, et de façon plus précise que ne le faisait le droit à réparation.

Cette émergence s'est manifestée dans les deux lois récentes du 17 janvier et du 4 mars, puisque, dans les deux cas, il y a l'affirmation d'un droit à la compensation.

Mais la réalité juridique est probablement encore loin de ce droit à compensation. Cela doit nous inviter à regarder l'ensemble des dispositifs de réparation pour voir comment ils traduisent ou non ce droit à compensation dans la réalité opérationnelle de la protection sociale. Pour chaque type de prise en charge, on doit s'interroger sur les conditions, non pas de réparation ou de prise en charge financière, mais de compensation des handicaps. Ce sont des dispositifs complexes complets à mettre en oeuvre. Les dispositifs de type « sites de vie autonome » sont l'émergence de dispositifs opérationnels qui permettent de prendre en compte la globalité des situations des personnes handicapées. Si on parle d'un droit à compensation, il ne saurait s'exprimer par des prestations extra-légales. Un droit doit, par définition, pouvoir s'exprimer par des prestations légales. Il ne faut pas remettre en cause les dispositifs tels qu'ils sont, mais les harmoniser entre eux, de façon à ce que l'ensemble des dispositifs permette d'assurer la réalité de ce droit à compensation, si telle est évidemment la volonté du législateur.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous venez d'évoquer les sites de vie autonome. Font-ils partie du dispositif annoncé le 11 mars ? Si oui, avez-vous été associé, d'une façon générale, à la préparation de ces mesures annoncées par le Gouvernement ? Avez-vous été associé, dans le cadre de ces conventions expérimentales, au titre de la permanence des soins et des expérimentations d'une prise en charge ambulatoire ?

Mme Béatrice de CASSON - En ce qui concerne les sites de vie autonome, l'assurance maladie, avec la Mutualité française, a été parmi les premiers expérimentateurs de ces sites dans les années 1990. Le ministère a prévu une montée en charge progressive. Il doit y avoir aujourd'hui 43 sites existants. D'autres devraient être créés en 2002. Sur ces 43 sites, seule une dizaine fonctionne réellement. Il aurait dû y avoir une table ronde le 17 janvier 2002 avec l'ensemble des financeurs (l'Etat, les conseils généraux et l'assurance maladie). Cette table ronde a eu lieu, mais n'a pas abordé le problème essentiel du financement des équipes labellisées chargées d'évaluer les besoins de la personne, ni celui de la répartition des compétences et du financement, notamment en mettant en place des règles du jeu. Derrière cette idée se profile celle du guichet unique, mais, chacun voulant garder son autonomie dans la décision, même les sites qui fonctionnent ont de nombreux mois de délais d'attente.

L'assurance maladie a donc été associée. Elle a augmenté, depuis trois ans, dans le cadre de ce dispositif, ses financements : nous allons passer aujourd'hui à 53 millions de francs, alors que nous étions à 47 millions cette année. Il y a donc eu un engagement avec l'Etat dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion qui devra être mise en oeuvre l'année prochaine. Nous sommes prêts à y mettre davantage de moyens dès lors qu'il y a une formalisation et que ce dispositif est normalisé.

En ce qui concerne la table ronde du 11 mars, c'était plutôt quelque chose d'improvisé, lié à une manifestation de handicapés. Le ministère s'est engagé dans le triplement de l'allocation compensatrice, dans des expérimentations des services d'accompagnement. Il n'y a pas eu, pour l'instant, de demande précise faite à l'assurance maladie dans ce domaine. On ne peut aborder le problème du maintien à domicile sans aborder celui des aides humaines, qui est le problème essentiel du maintien à domicile. Or, jusqu'à présent, tous les rapports qui avaient été réalisés parlaient de compensation fonctionnelle, et non pas de compensation tout court. On abordait donc les aides dites « techniques » et les aides au logement. C'est essentiellement cela qu'assure aujourd'hui l'assurance maladie. Le vrai sujet, ce sont les aides humaines, c'est-à-dire les auxiliaires de vie, les services de soins infirmiers à domicile, qui devraient être ouverts aux handicapés par un décret qui devrait paraître d'ici la fin du mois de mars, en faisant sauter la barrière des 60 ans.

Mme Sylvie DESMARESCAUX - Tout est mis en oeuvre, aujourd'hui, pour favoriser le maintien à domicile, tant des personnes âgées que des personnes handicapées. D'un autre côté, tout est mis en oeuvre aussi pour bloquer le système. Pourquoi bloque-t-on le quota, tant des infirmières que des kinésithérapeutes ? On le vit chacun ici tous les jours. Comment peut-on tout mettre en oeuvre pour favoriser le maintien à domicile, quand, par ailleurs, la CNAM bloque le système ?

M. Daniel LENOIR - La négociation avec les infirmières s'est déroulée il y a peu de temps. Ce que vous dites n'est plus tout à fait juste, puisque nous avons ouvert les quotas. Leur suppression n'aurait pas été raisonnable. Cela n'est qu'un calcul mathématique, c'est-à-dire une durée minimale pour effectuer un certain nombre d'actes et un nombre d'heures et de jours maximal pendant lesquels on peut faire des actes. On a donc ouvert ces quotas, mais il importe que les actes soient suffisamment longs pour être de qualité. Au-delà d'un certain nombre, on n'est plus dans cette épure et la qualité des soins ne peut plus être garantie aux patients. Ces quotas ont été ouverts, aussi bien pour les actes médicaux infirmiers que pour les actes infirmiers de soins. Et même nous n'avons pas souhaité, à la différence de certains de nos partenaires conventionnels, exercer une pression déraisonnable sur le nombre d'actes infirmiers de soins dans la répartition des enveloppes. Cela a fait l'objet d'un débat et au moins une des organisations syndicales d'infirmiers n'a pas signé la convention car elle faisait le choix inverse.

C'est une vraie préoccupation, car certains actes infirmiers de soins sont clairement des actes infirmiers. On sait aussi (et l'ancien directeur de la Mutualité sociale agricole que je suis le sait particulièrement) que, dans un certain nombre de zones rurales, ce sont des actes d'aide à la vie courante, et qu'il faut les deux. Sur ce sujet, il y a aussi une carence d'offre. Ce ne sont donc pas des actes infirmiers proprement dits, mais les infirmières assurent une fonction de suppléance, parce que d'autres services à domicile n'existent pas. Une des priorités dans laquelle nous sommes engagés, à l'occasion de cette négociation, c'est de favoriser, dans la mesure du possible (parce que l'aide à la personne ne relève pas forcément de l'assurance maladie), le développement de l'offre d'aide à la personne, notamment dans des zones où elle est notoirement insuffisante, de telle sorte que les infirmières soient recentrées sur leur métier, ce qui est quand même leur souhait, mais qu'en même temps, les personnes handicapées, comme les personnes âgées dépendantes, puissent bénéficier d'aides à la personne dans de bonnes conditions. C'est un sujet tout à fait redoutable, tant du point de vue de cette délimitation un peu subtile (la frontière entre l'acte infirmier de soins et l'aide à la personne est claire pour un certain nombre d'actes, mais pour d'autres, la limite est parfois ténue), que du financement : nous savons que les besoins d'aide à la personne seront considérables dans les années à venir, pour les personnes handicapées comme pour les personnes âgées dépendantes.

Cela rejoint ce que je disais pour les établissements sur la clarification des financements. L'assurance maladie, sauf à ce qu'on élargisse son champ de compétences, n'a pas vocation à prendre en charge l'ensemble des aides à la personne, y compris parce que ses ressources ne sont pas infinies. Il y a donc nécessairement des dispositifs financiers à mettre en place. Si le législateur devait considérer que les aides à la personne relèvent de l'assurance maladie, je n'y verrais, à titre personnel, aucun inconvénient. Il y a un besoin probablement beaucoup plus important que ce que nous pouvons aujourd'hui prendre en charge. Et, pour l'instant, ce ne sont pas des actes de soins au sens où on l'entend dans l'assurance maladie.

M. Paul BLANC, rapporteur - Ces soins, qui ne sont pas véritablement des soins infirmiers, sont pris en compte dans le cadre des soins infirmiers à domicile. Les services de soins à domicile prennent en charge un certain nombre d'actes de « nursing » qui ne sont pas effectués par les infirmières. Pourquoi êtes-vous opposés à les prendre directement en charge sans être obligés de passer par un service de soins à domicile, qui est une structure ?

Mme Béatrice de CASSON - Ces services de soins n'étaient pas ouverts aux handicapés. Ils étaient pour l'instant réservés aux personnes âgées. Un décret doit normalement les ouvrir. Le problème, c'est qu'ils ne sont pas assez nombreux pour l'instant. Ils sont déjà absorbés par les personnes âgées. Il faudra bien créer des postes, ce qu'a commencé à faire l'Etat en augmentant le nombre des auxiliaires de vie ces dernières années.

Concernant les infirmières, une des difficultés auxquelles elles sont confrontées vient du fait que, quand elles assurent la prise en charge d'une personne gravement handicapée, il y a un facteur psychologique très lourd pour elles, une nécessité de soutien. Or on manque jusqu'à présent, sur le plan du terrain, d'une coordination et d'un soutien, de manière à ce qu'elles ne cherchent pas éventuellement à ne pas s'engager dans ce dispositif de prise en charge, préférant faire des choses plus simples, évitant de se retrouver dans la situation de dire à une personne atteinte : « Je ne peux plus m'occuper de vous ».

M. Daniel LENOIR - Trois questions essentielles sont posées à travers cette intervention.

L'offre de services aux personnes est notoirement insuffisante, notamment dans certaines zones, mais presque partout.

La prise en charge de ces aides à la personne doit être garantie.

La frontière entre aides à la personne et soins étant parfois ténue, la question de la coordination se pose. L'assurance maladie a souhaité avancer. Peut-être peut-elle aller plus loin. La « démarche de soins infirmiers » (remplaçant le « plan de soins infirmiers » dans la convention signée il y a quelques semaines) vise justement à assurer cette meilleure coordination entre le médecin généraliste qui intervient et l'infirmière. Il faudrait aller au-delà et aller dans le sens d'une plus grande coordination des personnes intervenant auprès d'une personne handicapée, ne serait-ce que pour éviter les redondances ou les actes contradictoires et mieux appréhender la dimension psychologique de l'intervention.

M. Jean CHERIOUX - On est loin de l'esprit du droit à la compensation dont on parlait tout à l'heure. Il est certain que nous butons sur les cloisonnements et les corporatismes. On a vraiment le sentiment que notre rôle de législateur devrait être non pas de légiférer, mais de révolutionner et tout bouleverser. Tant que nous serons dans des états d'esprit comme ceux-là et dans des structures comme celles-là, nous n'aboutirons jamais à rien, sinon à du gaspillage.

Un problème n'a pas du tout été abordé : celui d'une responsabilité, spécifique à la sécurité sociale, des instituts médico-éducatifs et médico-professionnels. C'est un des domaines pour lequel vous êtes responsables, qui permet l'intégration des jeunes dans le milieu scolaire éventuellement, et peut-être aussi dans le milieu professionnel. Or on s'aperçoit qu'il y a un manque de moyens. Le fameux amendement Creton a tout bloqué dans les instituts médico-éducatifs. On a une absence de moyens dans les instituts médico-professionnels. Avez-vous quelques éclaircissements à nous donner et quelques perspectives d'avenir à nous proposer ?

Mme Béatrice de CASSON - La mission handicap étant relativement récente, j'avoue que je n'ai pas étudié ce problème-là pour l'instant.

M. Jean CHERIOUX - On repart toujours à zéro, si je comprends bien ! Je trouve cela assez attristant et étonnant. Cela fait vingt ans que le problème se pose et il n'a pas été abordé !

M. Nicolas ABOUT, président - Nous avons malheureusement un peu trop le sentiment qu'il y a une sorte de rivalité des institutions. Le problème du handicap devrait être traité face à la personne, en faisant son bilan, en faisant face à ses besoins, en décidant de sa compensation. Que ceux qui ont ensuite envie de se battre par derrière le fassent pour savoir qui paie. La personne a droit à la compensation de sa déficience. Elle doit éventuellement pouvoir demander des comptes si la solidarité nationale ne s'exprime pas conformément à ses besoins.

M. Paul BLANC, rapporteur - Une question préoccupe beaucoup les handicapés : le remboursement des aides techniques. Pensez-vous qu'elles vont évoluer et s'améliorer, qu'il s'agisse de leur nombre et du montant du remboursement ?

M. Daniel LENOIR - Une volonté forte du conseil d'administration d'améliorer cette situation s'est encore manifestée hier sur cette question, en tenant compte de l'accompagnement ou de l'environnement médical. Les aides techniques nécessitent souvent un bon accompagnement et un bon environnement médical.

Il y a, de la part du législateur, une forte interpellation quand on dit au gestionnaire des organismes de protection sociale, « droit à la compensation ». Mon intention est bien d'entendre cette interpellation et de trouver des modalités techniques et financières de mise en oeuvre.

Ensuite, nous devons à l'évidence nous mettre en position d'organiser cette transparence vis-à-vis des personnes handicapées. Cela n'est pas pour résister au profit de je ne sais quelle mécanique institutionnelle ou corporatiste que je rappelais que, dans les circonstances actuelles, l'assurance maladie rembourse des prestations de soins. Il est normal qu'à ce titre, nous remboursions les aides techniques. Mais, sur les sujets que nous évoquons et qui me semblent essentiels, notre volonté d'aboutir nécessite une remise à plat et l'ensemble des organismes doit se mettre autour de la table pour régler les problèmes.

La handicap est une question lourde (et d'abord, évidemment, pour les personnes handicapées), complexe dans les prises en charge. La complexité administrative s'est ajoutée à la complexité des questions qui sont posées aux organismes de prise en charge. Il nous appartient de répondre à cela, mais le cadre législatif et institutionnel actuel n'est pas complètement adapté à la réponse à ces questions.

Mme Béatrice de CASSON - En ce qui concerne les aides techniques, 700 aides sont prises en charge sur 35.000. Il reste à peu près 10 % à la charge de la personne une fois qu'elle a demandé, à travers le site de vie autonome, la couverture de ses besoins. Ce sont ces 10 % sur lesquels il faudrait avancer, car sur un fauteuil qui vaut effectivement 150.000 francs, cela fait 15.000 francs. C'est même parfois plus.

D'autre part, nous sommes sur un secteur qui évolue très vite en termes d'appareillage. Ce sont souvent des matériels étrangers. On a un marché très atomisé et il faudrait sans doute voir comment on pourrait le structurer d'une manière moins atomisée, mais quand la sécurité sociale rembourse quelque chose de mieux, les fabricants augmentent automatiquement leurs prix. C'est ce qu'on a vu sur les lunettes et sur d'autres domaines. On n'a pas de possibilité de passer des conventions avec des opérateurs étrangers. C'est toute la difficulté entre le prix et le tarif. Si la sécurité sociale augmente le remboursement, le prix va augmenter.

M. Nicolas ABOUT, président - Nous vous faisons supporter des lacunes anciennes. Le Sénat ne fait pourtant que répondre à un appel du pied de la Cour de cassation. Nous avons pensé qu'il était urgent, après vingt-sept ans, de faire évoluer les textes concernant la prise en charge du handicap et mieux définir ce qu'est la solidarité nationale. Et nous constatons qu'il y a beaucoup à faire.

G. AUDITION DE M. MARC MAUDINET, DIRECTEUR DU CENTRE TECHNIQUE NATIONAL D'ÉTUDES ET DE RECHERCHES SUR LES HANDICAPS ET LES INADAPTATIONS (CTNERHI), ET DE M. JÉSUS SANCHEZ, DIRECTEUR DE RECHERCHES

M. Nicolas ABOUT, président - Pouvez-vous nous présenter un état des lieux de la recherche sur le handicap ? Quelles sont les missions de votre organisme, les principales conclusions auxquelles vous êtes parvenu, à travers vos études, sur la politique en faveur des personnes handicapées ?

M. Marc MAUDINET - Le Centre technique national d'études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations est une association loi 1901 qui réunit, au sein de son conseil d'administration, à la fois de membres nommés par le ministre en charge des questions du handicap (personnalités qualifiées, représentants d'établissements publics, d'organismes de recherche et de protection sociale), un collège réunissant les associations nationales gestionnaires de personnes handicapées et les centres régionaux pour l'enfance et l'adolescence inadaptée. Il s'agit d'une association « paritaire » regroupant l'ensemble des partenaires institutionnels intéressés à la question du handicap. Le centre a été créé, dans sa forme actuelle, en 1975, juste après la loi d'orientation, avec pour mission à la fois d'accompagner et d'aider à la décision les pouvoirs publics dans le domaine du handicap, à travers des études et des recherches conduites essentiellement à la demande des pouvoirs publics, plus particulièrement de la Direction générale de l'action sociale et de la Direction des études et recherches statistiques ; mais également de conduire un système d'information à l'égard du public. Nous disposons, entre autres, d'un fonds documentaire tout à fait important, puisqu'il recouvre l'ensemble des données sur le handicap depuis 1975, dans le domaine social, économique et juridique..., les questions médicales étant traitées par l'INSERM plus directement.

Nous assurons également un certain nombre de publications concernant, entre autres, les réglementations internationales sur le handicap, de façon à disposer d'une information la plus claire possible de ce qui se fait actuellement dans le monde, que se soit au niveau international ou supranational (Conseil de l'Europe, Union européenne).

Par ailleurs, le centre est centre collaborateur pour l'Organisation mondiale de la Santé, dans le cadre de la Classification internationale des handicaps (CIH), devenue depuis 2001 « Classification internationale du fonctionnement du handicap et de la santé » (CIF).

M. Paul BLANC, rapporteur - Existe-t-il aujourd'hui une définition communément acceptée du handicap ? La notion de handicap a-t-elle évolué ?

M. Marc MAUDINET - Il existe une définition du handicap communément admise au niveau international. Cette définition, partagée par l'ensemble des organismes internationaux, n'est pas forcément partagée par les Etats en tant que tels. Cette définition est issue des règles pour l'égalisation des chances des personnes handicapées, suite au programme des Nations Unies (1982-1993). Cette définition est la suivante : « Le handicap est fonction des rapports des personnes handicapées avec leur environnement. Il surgit lorsque ces personnes rencontrent des obstacles culturels, matériels ou sociaux qui sont à la portée de leurs concitoyens. Le handicap réside donc dans la perte ou la limitation des possibilités de participer, sur un pied d'égalité avec les autres individus, à la vie de la communauté (1982 ).»

En 1993, à la fin du programme mondial, cette définition est précisée et complétée par les éléments suivants : « par handicap, il faut entendre la perte ou la restriction des possibilités de participer à la vie de la collectivité à égalité avec les autres. On souligne ainsi les inadéquations du milieu physique et des nombreuses activités organisées, information , communication, éducation, qui ne donnent pas accès aux personnes handicapées à la vie de la société dans l'égalité. »

Cette définition a pour particularité de ne faire référence ni à la déficience, ni à l'incapacité. Nous sommes dans des processus de compréhension où la notion de handicap met d'abord en avant les interactions entre une personne et son milieu, et non telles ou telles limitations fonctionnelles ou autres incapacités identifiées comme telles ou non.

M. Paul BLANC, rapporteur - Combien de personnes handicapées compte-t-on aujourd'hui en France ?

M. Jésus SANCHEZ - Les estimations dépendent des définitions. Selon que l'on adopte une approche plus ou moins extensive ou au contraire plus ou moins restrictive, on n'obtiendra évidemment pas le même nombre, d'où parfois des variations qui étonnent. On s'interroge du coup sur la fiabilité de ces estimations. Il y a une certaine logique à enregistrer des variations quantitatives si la définition n'est pas la même. Il faut donc rapporter les chiffres à ces différentes définitions.

Si on prend les handicaps « sévères » (on entend en général par là des handicaps de l'ordre de 50 à 100 %), on a une estimation déjà ancienne de l'INED, en 1981, qui proposait pour les 15-59 ans un taux de prévalence de 3,4 %. Une étude réalisée par notre organisme, le CNTERHI, en 1995, auprès de demandeurs de la carte d'invalidité à Paris, fournissait un résultat semblable, même identique : 3,4 %.

Si on prend maintenant une définition moins stricte, non plus celle du handicap sévère, mais celle des personnes qui se déclarent handicapées, que le handicap soit sévère ou non, une enquête « conditions de vie » de l'INSEE, réalisée en 1987 sur un échantillon de 13.154 ménages représentatifs de la population française, avait permis d'estimer à 5,7 % les personnes handicapées. Une enquête réalisée par le CTNERHI en Saône-et-Loire fournissait un taux de prévalence semblable : 6 %.

Si on adopte une approche plus extensive, du genre « Y a-t-il dans le ménage des personnes handicapées ou ayant simplement quelques gênes ou difficultés dans la vie quotidienne ? », nous avons alors plusieurs points de repère. Les enquêtes décennales de l'INSEE sur la santé en 1980-1981 d'une part, en 1991 d'autre part, ont fourni un taux de prévalence de près de 10 % : 9,8 % en 1980-1981, 9,7 % en 1991.

Au niveau international, la proportion de personnes ayant au moins une incapacité oscille entre 9 et 15 %. C'est le cas pour les pays de l'Union européenne, c'est le cas pour le Canada (14 %), pour la province du Québec (11,6 %).

Nous avons aujourd'hui la chance de pouvoir travailler à partir des données recueillies par l'INSEE dans le cadre d'une grande enquête nationale, l'enquête HID (Handicap, Incapacité, Dépendance). On peut considérer que c'est la première grande enquête en France sur le handicap, à la fois par l'ampleur des échantillons qui ont été constitués, et par l'ampleur des questionnements, car jamais autant de questions n'avaient été formulées pour réaliser une enquête : toute une série de modules portant à la fois sur les déficiences, les incapacités, les aides techniques, les aménagements du logement, les situations sociales, familiales, l'éducation, l'emploi, les loisirs, les vacances.

Dans le cadre de cette enquête particulièrement riche, dont le questionnaire a été conçu en référence à la Classification internationale des Handicaps, on a une approche plus extensive que jamais. Cela tient sans doute à l'étendue de la question : on récupère plus de personnes énonçant des difficultés quand on explore davantage la variété des difficultés qu'elles peuvent rencontrer dans leur vie quotidienne et sociale. Ceci fait qu'on fait un bond très important au niveau quantitatif. Celui-ci a surpris. Il convient maintenant de bien l'analyser et de savoir ce qu'il recouvre exactement. Ces analyses sont en cours.

A la question « Rencontrez-vous, dans la vie de tous les jours, des difficultés, qu'elles soient physiques, sensorielles ou mentales, dues au handicap ? », 31,7 % ont répondu « oui » dans la population générale. Parmi les personnes qui ont répondu « non », on trouve une proportion de personnes qui ont ensuite déclaré néanmoins une incapacité dans le questionnaire. On les a finalement récupérées dans le groupe de personnes qui peuvent être qualifiées de « personnes en situation de handicap », au sens où elles sont confrontées à des difficultés en liaison avec un problème de santé. La proportion de ces personnes s'élève à 7,4 %. Si on additionne le tout, on a, au final, 39,1 % de la population qui a déclaré une situation de handicap, soit, pour une population de référence de 57,4 millions de personnes, 22,5 millions de personnes. Il conviendrait d'ajouter les personnes en institution que couvre également l'enquête HID par ailleurs et qui se situent autour de 650.000 personnes.

Les 22,5 millions se distribuent de la façon suivante :

- 3,9 millions pour les jeunes de 0 à 19 ans ;

- 10,0 millions pour les personnes de 20 à 59 ans ;

- 8,6 millions pour les personnes de plus de 60 ans.

M. Paul BLANC, rapporteur - Le délégué interministériel aux personnes handicapées avait proposé, à l'occasion du recensement de 1999, qu'un certain nombre de questions spécifiques sur le handicap soient posées, de façon à avoir un recensement beaucoup plus pointu du nombre de handicapés. Pourquoi a-t-on refusé que ce questionnaire soit pris en compte par l'INSEE ?

M. Marc MAUDINET - Il s'agit essentiellement d'un problème de coût : de mémoire l'enquête HID a coûté 63 millions de francs. Le fait de repérer les gens à travers le recensement et de leur renvoyer un questionnaire par la suite aurait été de l'ordre de 400 millions de francs.

M. Paul BLANC, rapporteur - Mais pourquoi faire un nouveau questionnaire et, à l'occasion de ce recensement général, ne pas avoir pris en compte les demandes qui avaient été faites et les questions qui auraient pu être posées ? Ceci aurait évité de faire deux questionnaires !

M. Jésus SANCHEZ - L'enquête HID a été préparée, après de larges concertations préalables, par un groupe de projet constitué par l'INSEE. Ce groupe, qui comprenait un certain nombre d'experts de différents organismes, a travaillé pendant pratiquement deux ans à l'élaboration du questionnaire et à la méthodologie. Outre le volet « institutions », il y a eu l'enquête « ménages ». Celle-ci a comporté deux phases.

Une première enquête avec un questionnaire filtre comprenant 18 questions qui a été distribué à 400.000 personnes.

Ensuite, en fonction des résultats de ce questionnaire, une sélection a été faite, qui a permis de constituer un échantillon de 22.000 personnes, sur lequel a été appliquée l'enquête lourde avec beaucoup de questions. Les différents partenaires peuvent estimer de façon légitime que telle ou telle question qui les intéresse n'y figure pas. Ce questionnaire fait quand même 80 pages, il faut donc aussi être raisonnable dans l'amplitude qu'on veut donner à cette investigation.

M. Paul BLANC, rapporteur - Un autre axe de recherche du Centre porte sur l'évaluation des besoins des personnes handicapées. Dans quelle mesure estimez-vous que le système actuel de prise en charge répond aujourd'hui à ces besoins ? Quels besoins sont le moins bien pris en compte aujourd'hui ?

M. Jésus SANCHEZ - En ce qui concerne l'évaluation des besoins, nous avons engagé une série de travaux qui permettent d'apporter certains éclairages utiles aux questions soulevées. Nous avons apporté un concours méthodologique aux travaux de la DGAS sur le thème de l'autonomie des personnes handicapées, qui s'est traduit par un travail d'évaluation de l'expérimentation nationale sur l'accès des personnes en situation de handicap aux solutions de compensation fonctionnelle. Celles-ci recoupent les aides techniques, les aménagements individuels de cadre de vie et, en perspective, la question des aides humaines, mais qui n'a pas été vraiment traitée pour l'instant. Suite à cette évaluation qui a duré deux ans, un rapport a été rédigé, sur lequel les pouvoirs publics se sont appuyés pour, entre autres éléments également pris en compte, décider de la généralisation du dispositif qui a été expérimenté et qui est en cours actuellement.

Nous avons en charge un suivi longitudinal d'enfants sourds perlinguaux implantés. Cette question avait suscité de vives polémiques. Le ministère nous a confié un suivi sur 10 ans, pour apprécier le développement et l'enrichissement de la communication des enfants, leur équilibre psychoaffectif, l'intégration familiale et la satisfaction des parents, la prise en charge rééducative et pédagogique, l'intégration scolaire et sociale des jeunes considérés. Il s'agit d'une méthode et d'une technique spécifiques de prise en charge sur une question relativement délicate, avec, en arrière-plan, toutes les questions de l'oralisme, du bilinguisme, de la langue des signes, etc.

Nous avons également effectué un travail sur les enfants et les adolescents en attente d'admission dans les établissements et services médico-sociaux, avec l'idée qu'il manquait des places, reprise par un certain nombre de partenaires et développée par les associations.

Nous avons réalisé une étude sur les instituts de rééducation. Cette question était devenue importante, dans la mesure où, dans l'ensemble des établissements pour enfants et adolescents handicapés ou en difficulté, on observe une réduction du nombre de places sur une longue période, sauf pour les établissements visant des populations très spécifiques comme, par exemple, les enfants polyhandicapés, alors que pour les instituts de rééducation, on observe au contraire une augmentation du nombre de places suite à une demande importante du fait de l'élévation du nombre d'enfants à problèmes de type troubles du comportement.

Nous avons, à l'heure actuelle, différents projets sur la question de la qualité des établissements et des services dans le secteur médico-social, sur la question de la formation des personnels travaillant dans le champ de l'autisme et sur la question des actions innovantes dans les CAT.

Cet ensemble de thèmes est significatif des grandes questions qui se posent aujourd'hui. Nous répondons à des sollicitations de la DGAS pour l'essentiel, même si nous pouvons réaliser des travaux pour d'autres partenaires -par exemple le Secrétariat d'Etat au tourisme, l'agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH)-, pour traiter un certain nombre de données qui les intéressent par rapport aux politiques qu'ils développent pour favoriser la participation sociale, l'autonomie des personnes en situation de handicap.

L'accessibilité de la société, de la vie autonome, est effectivement un des grands thèmes actuels, particulièrement important. La qualité de la prise en charge institutionnelle est un autre grand thème important.

Si on fait un bilan, sur 27 ans, de la loi d'orientation du 30 juin 1975, on peut dire que l'action sociale a pris une ampleur importante (160 milliards de francs), que le parc institutionnel s'est développé de façon significative, mais que tous les problèmes ne sont pas réglés, et notamment pour certaines pathologies spécifiques. Se posent également des problèmes de qualité de la place des usagers dans les établissements.

Un autre problème majeur est que, alors qu'il y avait ce développement relativement spectaculaire de la prise en charge des adultes en établissements, on a assisté, du côté de l'intégration, à une stagnation, en tout cas au niveau des résultats, mais aussi à un investissement peu significatif au niveau des dispositifs susceptibles de favoriser cette insertion et cette participation sociales. L'obligation d'emploi, qui devrait théoriquement être à 6 %, stagne à 4 % depuis des années. Les taux d'intégration scolaire stagnent également de façon importante. L'accessibilité doit répondre aujourd'hui aux attentes et aux espérances des personnes en situation de handicap. Les barrières dans l'environnement bâti au niveau des transports, par exemple, sont encore très importantes, malgré les efforts significatifs accomplis.

Les personnes en situation de handicap ont une aspiration forte à l'autonomie, à la participation sociale, à l'accessibilité, qui n'est pas suffisamment prise en compte. Les politiques ne sont pas allées suffisamment dans ce sens. D'autre part, une demande importante s'exprime par rapport à la question de la prise en charge institutionnelle, qui doit quand même bien couvrir les besoins de toutes les catégories (parce qu'il y a des disparités selon les catégories) et accorder une place beaucoup plus importante à la qualité.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vos études ont montré qu'il y avait, par rapport à la loi de 1975, un déficit global en termes d'accessibilité, d'emploi, de scolarisation, d'hébergement, de maintien à domicile. Estimez-vous que ces besoins doivent inspirer la modification de la loi de 1975 sur laquelle nous réfléchissons actuellement ?

M. Marc MAUDINET - Il faudrait pouvoir relire la loi. Au regard des définitions internationales, de l'avancée des processus liés à la prise en compte de l'environnement dans la définition des handicaps et dans l'implication que les personnes entendent avoir dans leur propre destin, par rapport à leur vie quotidienne, de ces points de vue il y a effectivement nécessité de réfléchir sur ce texte en tenant compte des limites et déficits constatés résultant de la mise en oeuvre de la loi de 1975.

J'aimerais revenir sur la question précédente concernant l'évaluation des besoins des personnes et préciser que pour mener à bien les missions qui sont celles du centre, il faut avoir à l'esprit les moyens attribués et les contraintes qui pèsent sur la recherche et les études, dans le domaine du handicap. A titre d'exemple, le plan dit « Jospin » du 10 janvier 2000 doté financièrement de 2,5 milliards en vue de la réalisation d'un certain nombre d'actions n'a disposé d'aucun euro dans la perspective d'un accompagnement, de l'évaluation et du suivi des actions de ce plan. Ceci montre quel intérêt les politiques d'action gouvernementale portent à la dimension, études recherches en sciences sociales, dans le champ du handicap.

M. Paul BLANC, rapporteur - Le droit à compensation occupe une place centrale dans le débat sur le handicap. Quel est votre sentiment ? Quel pourrait être le contenu de ce concept ?

M. Marc MAUDINET - La réponse est finalement donnée en grande partie par l'article 53 de la loi de modernisation sociale qui nous dit, à son deuxième : « La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap, quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie et à la garantie d'un minimum de ressources lui permettant de couvrir la totalité des besoins essentiels à la vie courante .» Nous avons là une définition très ouverte, donnée par le législateur, du concept de droit à compensation. Le problème est qu'il faut mettre en oeuvre cette définition si l'on ne veut pas qu'elle reste un voeu pieux.

Tout d'abord, la question qui est posée est celle de la pleine participation et de la citoyenneté des personnes.

Ensuite, il s'agit de la compensation des conséquences d'un handicap par un avantage ou une action positive. Le principe en est que la collectivité doit garantir à chaque citoyen les équilibres nécessaires pour que le principe d'égalité soit concrètement appliqué.

Ce droit a un aspect très universel et un aspect plus restrictif lorsque, à l'expression droit à compensation, se trouve ajouté, du handicap ou de l'incapacité. Mais l'une et l'autre de ces expressions se doivent d'être définies très précisément. Ce travail de définition devrait s'appuyer sur les articles 1er, 22 et 25 de la Déclaration universelle de 1948, et sur les éléments de la Constitution française qui organise potentiellement cette dimension.

La notion de droit à compensation doit s'intégrer, dans le droit français, avec les notions de non-discrimination et d'égalité des chances. Aujourd'hui, il semble qu'elle est une façon de mettre en oeuvre les notions de non-discrimination et d'égalité des chances, dimensions inhabituelles à ce droit. Par ailleurs, la notion de droit à compensation répond en grande partie au contenu des règles pour l'égalisation des chances des personnes handicapées de l'ONU : permettre aux personnes handicapées l'exercice de leurs droits fondamentaux, leur participation pleine et entière aux activités de la société dans l'égalité.

Quant à la mise en oeuvre concrète, je suis bien en peine de répondre à cette question dans l'état actuel de l'avancée de la réflexion collective. La politique à l'égard des personnes handicapées peut viser, au sens large, à permettre aux personnes, quel que soit leur niveau de capacité, de participer pleinement et également à tous les aspects de la vie. Dans un sens plus restreint, par exemple au regard du droit à compensation, il s'agit d'assurer autant d'intégration que possible et autant d'indemnisation que nécessaire ou autrement dit et plus classiquement : « des dispositions générales aussi souvent que possible et des dispositions spécifiques aussi souvent que nécessaire ». La grande difficulté, dans cette perspective, est de définir et plus encore de réaliser les bons équilibres entre indemnisation et intégration, compte tenu des contraintes et des moyens, qui interagissent, entre politique d'intégration et politique de compensation des incapacités. Cette recherche d'équilibre ne peut pas se concevoir sans que soit assurée au maximum l'égalité de traitement et de participation des personnes.

Autrement dit, comment assurer, de la façon la plus efficace possible, les services, dans le domaine des aides humaines, des aides techniques, les aménagements, au niveau des transports, l'accessibilité et l'intégration, les ressources les plus adéquates, afin de garantir l'égalité de traitement et la participation pleine et entière des personnes en situation de handicap ?

H. AUDITION DE MME FRANÇOISE NOUHEN, VICE-PRÉSIDENTE DE L'UNION NATIONALE DES CENTRES COMMUNAUX ET INTERCOMMUNAUX D'ACTION SOCIALE (UNCCAS), ET DE M. DANIEL ZIELINSKI, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL

M. Nicolas ABOUT, président - Les Centres communaux d'action sociale constituent l'intervenant local incontournable de l'action sociale. C'est pourquoi il nous a semblé tout à fait nécessaire de vous entendre. Cela nous a paru d'autant plus indispensable que les personnes handicapées demandent aujourd'hui une plus grande proximité de l'action publique en leur faveur. Nous sommes donc tous en première ligne. Pourriez-vous nous présenter l'action des CCAS dans ce domaine, caractérisée par la multiplicité des acteurs ? Quelles difficultés rencontrez-vous pour la mettre en oeuvre et pour répondre aux besoins des personnes handicapées au niveau local ?

Mme Françoise NOUHEN - En tant qu'une des vice-présidentes de l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale (UNCCAS), je suis plus particulièrement chargée du dossier qui concerne les personnes âgées et handicapées. Je suis moi-même élue de la commune de Clermont-Ferrand et responsable d'un centre de formation de travailleurs sociaux dans mes fonctions professionnelles.

L'UNCCAS regroupe 3.300 communes. Le maire est président de droit du CCAS. L'originalité de cette institution est d'être régie par un conseil d'administration dont la moitié de ses membres sont élus et l'autre, des personnes qualifiées. A ce titre-là, et depuis 1985 (les tout premiers textes qui régissent les CCAS), nous avons, parmi nos administrateurs, des représentants des associations, en particulier de handicapés (ce qui fait que la préoccupation et le travail avec les handicapés est quand même quelque chose qui remonte dans l'origine de nos institutions) dont la représentation nous permet d'essayer d'avoir un accompagnement efficace à leurs côtés.

Le travail des CCAS au niveau de l'accompagnement des personnes handicapées s'effectue à plusieurs niveaux.

Les CCAS ont d'abord un rôle important, dans la mesure où les textes leur donnent un rôle d'analyse des besoins et d'observatoire sur le plan communal de ce qui peut être mis en place en matière de politique d'action sociale. Les CCAS sont amenés, à ce titre, à faire des études et à essayer de faire ressortir les besoins en matière de handicap.

Les CCAS interviennent également au titre de l'instruction des demandes d'aides sociales. Les CCAS se saisissent des demandes concernant les personnes handicapées.

Les CCAS ont aussi la possibilité, aux termes des textes qui nous régissent, de gérer des établissements. C'est ainsi qu'un certain nombre de CCAS peuvent gérer des établissements pour handicapés et, en particulier, des CAT ou des ateliers protégés. Nous en gérons un nous-mêmes, à Clermont-Ferrand, depuis 1950.

Les CCAS ont aussi une action importante en matière d'aides facultatives et de coordination de tout ce qui peut être fait autour de ces aides : aides en matière de logement, de mise en place de séjours de vacances, d'accessibilité.

Les CCAS sont en outre amenés à intervenir aussi dans la gestion des tutelles et curatelles. 300 personnes sont gérées par une équipe spécialisée à Clermont-Ferrand.

Les CCAS sont enfin sensibilisés à tout ce qui est accueil, urbanisme, essais de réponse à l'accessibilité des personnes handicapées, même si cela n'est pas toujours facile, car cela demande des réflexions importantes.

Nous nous retrouvons, par ailleurs, dans les grands points évoqués dans le texte de janvier 2002.

Notamment, le point qui nous paraît important consiste en la programmation pluriannuelle au niveau des établissements et services sociaux et médico-sociaux ; en effet, quand on travaille avec les associations de handicapés, on se rend compte que c'est souvent une inquiétude pour elles, de savoir comment monter des établissements et agir dans la durée. Nous participons à cette programmation au niveau des schémas départementaux.

Par ailleurs, la réflexion qui concerne l'intégration scolaire des enfants et adolescents nous paraît effectivement un point sur lequel nous pouvons prendre notre part, de même que tout ce qui concerne l'insertion des activités professionnelles des adultes handicapés et la façon dont on peut être en quelque sorte des plates-formes de réflexion : les CCAS ont une position d'observateurs et de catalyseurs, un rôle important dans les communes pour être, non pas forcément les instances qui gèrent (la loi nous le permet), mais un lieu où les initiatives de toute part qui peuvent être prises sur notre territoire, doivent être catalysées. Dans ce dessein, il faut être au fait des questions, impliqué sur le terrain et avoir une reconnaissance. Notre statut un peu particulier d'outil au service de la collectivité territoriale, nous permet d'avoir à la fois des élus et des représentants des associations. Cette expérience de partenariat nous permet d'être reconnus, pris en compte. On nous demande souvent d'initier des réunions de concertation. Nous avons en particulier mis en place, dans notre commune, une charte de partenariat avec les grandes associations de handicapés. Ce sont elles qui sont venues nous demander de l'initier et de la porter. Les CCAS ont donc une place centrale pour coordonner les choses.

Dans ce contexte, certaines questions nous préoccupent tout particulièrement.

Je pense d'abord aux questions relatives à l'amélioration des ressources des personnes handicapées.

Les personnes handicapées vivent de prestations comme l'AAH, l'ACTP, mais celles-ci sont souvent fixées par rapport au SMIC. Il y a certainement un effort à faire de prise en compte de leurs besoins, parce que ce que l'on appelle le « reste à vivre » est souvent minime, et une réflexion importante à entreprendre, de façon à ce que l'allocation personnalisée autonomie, qui est une grande avancée pour les personnes âgées, puisse être ce qu'elle avait été dans l'esprit du législateur au démarrage : une prestation qui puisse avoir un volant plus large et toucher le secteur du handicap.

Je pense aussi à l'allongement de la durée de la vie des personnes handicapées.

Les trisomiques avaient une espérance de vie de 30 ans en 1968, 48 ans en 1990. Ils sont maintenant de plus en plus nombreux à arriver à l'âge de la retraite. Nous avons un gros problème pour savoir comment nous allons pouvoir les accueillir, quels types de structures mettre en place qui s'appuieraient sur leurs besoins réels et non artificiellement sur la barrière administrative que représente l'âge de la retraite (60 à 65 ans selon les situations).

Enfin, nous partageons les grands points du rapport Favard, en particulier sur la place centrale donnée à la personne handicapée ; sur la nécessité de faire une évaluation médico-sociale de la situation des personnes de façon à ce que soient mises en place des mesures les mieux adaptées à leur handicap et à leur capacité ; sur la nécessité de se situer dans un cadre évolutif, car certaines situations de handicap sont évolutives. Il ne faut donc pas que nous soyons dans un carcan, mais dans un système qui soit le plus individualisé possible par rapport à ce dont les handicapés ont besoin.

D'autre part, il est nécessaire, pour tous les personnels qui s'occupent des handicapés, de développer les formations, et cela, à tous les niveaux, car nous nous rendons compte qu'il y a autant de situations particulières que de handicapés et qu'il n'y a rien de comparable entre un handicapé physique, qui a toutes ses capacités sur le plan décisionnel, et un handicapé qui, au contraire, a toutes ses capacités sur le plan physique, mais qui, par contre, sur le plan de ses capacités à décider, a vraiment besoin d'un tutorat très fort. Nous avons besoin de personnel formé capable d'intervenir à tous les niveaux.

M. Paul BLANC, rapporteur - Il n'est pas nécessaire de revenir sur les questions de formation professionnelle. Votre métier vous y prédispose, mais c'est aussi ce qui est ressorti de toutes les auditions que nous avons eues aujourd'hui : cette nécessité d'avoir des gens formés pour s'occuper des handicapés. En ce qui concerne l'évolution de la situation, le problème des ressources des handicapés et celui des handicapés vieillissants sont, selon vous, les besoins qui sont actuellement les moins bien pris en compte. A part ces deux besoins, y en a-t-il d'autres qui vous paraissent actuellement les moins bien pris en compte ?

Mme Françoise NOUHEN - Tout d'abord, il existe une catégorie de handicaps liés aux maladies orphelines, pour lesquelles les familles se mobilisent et qui leur demandent un investissement très important. Du fait de leur petit nombre, ces maladies sont un petit peu laissées pour compte au niveau des moyens que les familles peuvent obtenir.

Ensuite, la catégorie des polyhandicapés est également mal prise en compte, avec le problème de savoir quel sera le fil conducteur qui permettra de prendre l'accompagnement du handicap. Quels seront la porte d'entrée et le handicap déterminant qui orienteront le plan d'aide et le type d'établissement, de structure. Il y aurait certainement un travail à faire pour donner des outils de repérage pour essayer de mieux caler les choses et aboutir à une meilleure prise en compte financière des polyhandicapés.

Enfin, les difficultés d'accompagnement des personnes déficientes sur le plan mental sont également mal prises en compte. Les associations disent qu'elles ont voulu travailler, pendant longtemps, sur l'intégration coûte que coûte dans le milieu normal. Elles se sont rendu compte que, finalement, ce travail comportait beaucoup de limites. Il convient maintenant de réfléchir sur la façon de travailler sur l'intégration, en sachant que nous serons obligés de rester dans un cadre particulier d'établissements le plus ouverts possible sur l'extérieur. Les expériences d'intégration complète en milieu ordinaire des handicapés mentaux ont des limites, alors que pour le handicap physique, c'est plus facile à résoudre. L'intégration, pour le handicap physique, est une question de moyens : il suffit d'avoir des équipements, les techniques progressent et l'on gagne du terrain tous les jours. Pour les handicapés mentaux, il y a une réflexion à mener, pour que les structures qui accueillent ce type de handicap restent le plus ouvertes possible sur l'extérieur.

M. Paul BLANC, rapporteur - On reproche souvent à la politique en faveur des handicapés, d'être complexe, peu lisible, très cloisonnée. Partagez-vous cette opinion ? Et si oui, pourriez-vous nous indiquer les principales difficultés rencontrées, notamment avec les autres acteurs institutionnels et, si vous en faites le diagnostic, quel en est le traitement ?

Mme Françoise NOUHEN - Tout d'abord, quand nous avons essayé de réfléchir à cette question, ce qui nous est remonté, c'est que l'élaboration des schémas départementaux a permis de mettre autour de la table tous les partenaires qui peuvent intervenir au niveau du handicap. Cela a permis une meilleure coordination des choses, de développer une logique partenariale, même s'il faut que cela soit suivi d'effets par la suite. Il faut veiller à ce que ces schémas ne soient pas trop rigides et que les nouvelles initiatives puissent être prises en compte avant qu'il y ait un nouveau schéma. Il faut que les schémas soient des cadres, mais permettent aussi des initiatives qui puissent avoir toute leur logique lorsqu'elles sont mises en oeuvre.

D'autre part, la décentralisation a généré un cloisonnement des réponses financières, avec des tarifications bien cadrées entre l'Etat, le conseil général, la sécurité sociale. Dans des logiques de terrain, le décloisonnement serait quand même souvent intéressant, parce qu'on a souvent des doubles tarifications, de telle sorte que les promoteurs ne savent plus très bien où se diriger. Il y aurait certainement là un effort de clarification à faire.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez évoqué les schémas départementaux, qui ne doivent pas être trop contraignants. S'ils avaient été trop contraignants, bien qu'ils n'existassent pas auparavant, ils vous auraient empêché d'entreprendre des expériences innovantes, menées par les CCAS. Pourriez-vous nous dire un mot de ces expériences innovantes ?

Mme Françoise NOUHEN - Les expériences innovantes sont un peu liées au lieu où se trouvent implantés les CCAS. Il existe des CCAS dans toutes les communes, des grosses structures et des structures plus petites. Je prendrai deux ou trois exemples.

Nous avons pu mettre en place un plan de la ville où figurent toutes les places de stationnement pour handicapés. Cette démarche a été très appréciée.

Nous sommes intervenus dans la mise en place de plusieurs classes ouvertes pour l'accueil de handicapés physiques, avec l'Association des Paralysés de France. Cela a été un travail important au niveau de l'accompagnement au quotidien de ces enfants.

Nous avons également réalisé une expérience qui a eu du mal à vivre, car elle est lourde à porter : la traduction, deux ou trois fois par an, d'extraits de notre journal municipal en braille.

M. Nicolas ABOUT, président - Il avait même été imaginé des bulletins de vote en braille, puisque la loi dit que les conditions de la confidentialité doivent être respectées au moment des votes. Lorsque j'ai proposé l'amendement, le ministre de la Santé a indiqué que c'était trop lourd et qu'il valait mieux retirer l'amendement.

Mme Françoise NOUHEN - Il y a désormais des indications en braille sur les boîtes de médicaments (comme l'Efferalgan, sans faire de publicité), c'est une bonne chose.

M. Daniel ZIELINSKI - J'ai recensé des expériences complètement différentes des CCAS, pour vous donner une palette intéressante.

Le CCAS d'Avignon est à l'origine d'une création de commission extra-municipale qui réfléchit sur plusieurs pistes : le transport, le stationnement, le logement, l'accessibilité des lieux publics, avec une extension sur l'emploi et l'accès aux droits.

Le CCAS de Fos-sur-mer a entrepris une démarche très originale : il a proposé aux élus locaux et aux élus du conseil général de faire une « journée diagnostic sortie du quartier centre ville ». Ils sont partis ensemble à la découverte du centre ville et ont examiné les lacunes de la circulation urbaine pour les personnes en fauteuil roulant, les bordures de trottoirs, les trottoirs déformés, etc.

Cela a conduit à des créations de places de stationnement, mais aussi à une réflexion sur le civisme, avec, au cinéma, des projections de petits spots publicitaires : « Toutes les places ne sont pas bonnes à prendre. Les places de handicapés, moi, je respecte . » Ils ont ensuite essayé d'aller plus loin, en travaillant des propositions dans le domaine de la formation professionnelle et du placement au travail.

Le CCAS de Caen a mis en place un service d'information pour les personnes handicapées. Celui-ci a pour but de conseiller sur la vie quotidienne : scolarité, emploi, vie professionnelle, logement. Un service Internet, un « e-mail » ont été mis en place, rendant possible le dialogue avec les personnes sourdes ou malentendantes grâce au minitel-dialogue ou au fax-service. Un plan d'accès de la ville de Caen a été élaboré : signalisation des cabines téléphoniques adaptées, des places de parking. Ce plan est diffusé en ligne depuis l'été 2001 sur le site Web. Un guide d'accessibilité de la ville a été réalisé, avec un parcours de la ville, notamment pour les personnes qui voudraient aller chercher des éléments administratifs.

Le CCAS de Saint-Pierre de la Réunion a plutôt travaillé le dispositif de l'accompagnement à la scolarité dans les écoles maternelles et primaires. Un travail s'est développé sur trois axes : l'accès à l'emploi suite à la formation pour des jeunes chômeurs et la possibilité d'exercer un métier valorisant ; l'accompagnement en milieu scolaire et périscolaire des enfants de trois à douze ans ; la mise en oeuvre d'une animation à spécificité musicale dans les écoles, les centres de vacances et les institutions d'accueil pour enfants et adultes handicapés. Toute une réflexion a été menée sur les agents de convivialité et sur leur place, notamment sur l'accueil des enfants avant et après la classe ; l'accompagnement et l'aide pédagogique dans la classe, pendant les interclasses, à la cantine ; l'aide dans les déplacements et à la toilette ; l'information entre les parents, les enseignants, les institutions ; l'accompagnement pendant les sorties pédagogiques. Cela fait partie d'un plan global qu'ils sont en train de développer et qui s'appelle : « vivre ensemble autrement ».

A Bourges, des bornes d'information sensitives sont appliquées sur un certain nombre de feux rouges stratégiques, avec la mise en place d'un réseau de transport à la demande destiné à des démarches ciblées, qu'elles soient administratives ou médicales. A également été créée une salle de réunion-forum pour échanger et se rencontrer.

Le CCAS de Besançon fait tout un travail, dans son bilan d'activités annuel : activité professionnelle, mission d'étude de projets, aide technique aux personnes handicapées, avec de l'ergothérapie à domicile avec un centre qui s'appelle « Handidoc », simulateur de cuisine et de salle de bains ergonomique permettant aux visiteurs de visualiser, préciser, simuler les aménagements qui leur permettront de garder leur autonomie.

Le CCAS de Villeneuve-d'Ascq, dans le Nord, a travaillé avec le secteur associatif et les établissements hospitaliers pour faire un plan, à l'horizon 2003-2004, qui prévoit un foyer d'hébergement pour les jeunes autistes ; des studios pour jeunes étudiants handicapés ; la création de deux structures de douze lits devant accueillir des adultes handicapés mentaux, quatre unités de vie (hébergement et accueil), quarante-huit lits pour personnes âgées désorientées qui seront gérés par le CCAS. Ce projet tripartite me semblait intéressant.

D'autre part, sur la formation, la moitié de nos CCAS comportent des personnalités qualifiées issues du monde associatif. Nous avons aujourd'hui des demandes, comme celle de l'Association des paralysés de France (APF), pour former les personnes qualifiées qui rentrent dans les CCAS, pour avoir une réflexion sur ce qu'est le travail d'un CCAS et comment réfléchir à l'analyse des besoins sociaux, qui est une prise en compte stratégique de moyen et long termes sur une réflexion sociale locale pour les handicapés. Il y a une demande de plusieurs centaines de bénévoles de formation par l'APF.

M. Nicolas ABOUT, président - La capacité de réactivité et d'adaptation des CCAS aux besoins du terrain et la diversité de vos réponses me semblent très intéressantes. Cela devrait faire réfléchir les autres institutions sur le besoin de s'adapter.

M. Paul BLANC, rapporteur - Les personnes handicapées demandent précisément une plus grande proximité de la politique les concernant. Vous avez insisté sur quelques actions qui sont particulièrement édifiantes. Comment l'action publique pourrait-elle évoluer en ce sens ? Comment les CCAS se positionneraient dans ce nouveau cadre pour en arriver à avoir davantage de proximité ?

Mme Françoise NOUHEN - Les associations de handicapés disent bien, quand nous travaillons avec elles, que cette proximité est indispensable, sauf pour les maladies rares, où, effectivement, tout le monde comprend bien que l'on ne peut pas avoir une réponse de proximité, car justement le petit nombre fait que cela doit être une réflexion nationale. La réponse de proximité est importante et doit s'accompagner par une pluralité, une palette de réponses, que les associations souhaitent ardemment.

Quand nous avons évoqué le problème des handicapés vieillissants, j'ai été intéressée par les trois ou quatre formules d'accueil des handicapés qui nous avaient été proposées par les associations et, en particulier, les possibilités de l'accueil d'un voire de deux handicapés dans un établissement normal de personnes âgées, d'une unité de vie de handicapés raccrochée à un établissement classique, d'un établissement entièrement fait pour des handicapés si vraiment il s'agit d'handicapés tout à fait particuliers. Les associations se sont dit qu'il fallait aussi penser à des établissements où l'on pourrait accueillir les parents vieillissants et leurs enfants handicapés ; en effet, avec l'allongement de la durée de la vie des parents, nous nous retrouvons avec des parents qui ont 80 ans et des enfants handicapés qui en ont 60. Il devrait être possible d'accueillir les parents et les enfants âgés dans une même structure.

Nous avons surtout jusqu'ici beaucoup fonctionné par nature de handicap. Il faudrait créer des unités de vie pour chaque type de handicap, mais rattachées à une structure gestionnaire commune, plutôt que d'avoir des établissements pour autistes, des établissements pour tel type de handicap ou pour tel autre. Je ne sais pas si cette réflexion peut être menée sur le plan national, mais il faudrait y réfléchir, au niveau d'une structure-mère, à partir de laquelle plusieurs types de sections pour l'accueil des handicaps différents pourraient fonctionner.

Nous avons également une réflexion à faire sur la notion de « bassin de vie », de « pays ». Actuellement, la décentralisation fait que les modes de financement fonctionnent par département. Comme on parle d'intégration en milieu normal, d'intégration dans le travail, il est peut-être nécessaire de se pencher sur la notion de « bassin de vie », qui fait qu'à ce moment-là, on est sur une espèce de transversalité ; cette notion qui apparaît sur le plan économique doit aussi être prise en compte dans le domaine du handicap. Le handicap ne doit pas rester figé par rapport à la notion de département, alors qu'on parle maintenant de territoire, de « bassin de vie ». Au moment où nous parlons de réflexion au niveau européen, il semblerait que les textes, et en particulier celui de janvier dernier, n'aient pas du tout abordé cette notion. La région peut peut-être aussi avoir son mot à dire sur la réflexion, par exemple sur les sites de vie autonome.

Nous sommes prêts à prendre notre part dans cette réflexion, puisque la modification de nos statuts, qui a été mise en place il y a un an, nous conduit à avoir des sections départementales et des sections régionales, avec une réelle autonomie de fonctionnement, qui permettront d'être des instances, non pas uniquement représentatives, mais des instances qui pourront produire du travail, être présentes dans les différents lieux de réflexion.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous introduisez là un débat qui dépasse largement la loi de 1975, puisque vous abordez ici le rôle et l'avenir des départements et aussi les problèmes transfrontaliers.

M. Jean CHERIOUX - C'est au niveau local qu'on appréhende le mieux les problèmes. Même si ce n'est pas de la compétence municipale, il n'en demeure pas moins que c'est à ce niveau que les problèmes de l'homme sont le mieux appréhendés. Vous pouvez jouer un rôle considérable au niveau de la coordination entre le départemental et le municipal.

Enfin, la question du guichet unique est très importante pour les handicapés, car être traîné de guichet en guichet n'est pas une solution agréable.

M. Nicolas ABOUT, président - Vos propos illustrent la richesse de ce qui se fait localement. La chance pour certaines personnes, c'est l'engagement du niveau local. C'est aussi parfois le drame des communes : plus elles en font, plus on les laisse seules face aux responsabilités. Vous jouez un rôle incontournable dans la prise en charge des personnes handicapées et du handicap en particulier.

Mme Françoise HENNERON - Les exemples que vous venez de nous donner sont vraiment formidables, mais dans nos petites communes rurales, les CCAS ont des budgets tellement petits qu'il est difficile de reproduire ces exemples. Ne serait-il pas possible de créer une cellule, soit cantonale, soit départementale ?

Mme Françoise NOUHEN - Les petits CCAS doivent de plus en plus se regrouper en unions inter-CCAS, en Centres intercommunaux d'action sociale. Même avec peu de moyens, le rôle de catalyseur ne demande pas forcément de moyens, mais du temps. Tout dépend aussi de la volonté que peut avoir le premier magistrat de la ville. Des choses se font, mais elles ne sont pas reconnues et souvent mal médiatisées par les CCAS.

M. Daniel ZIELINSKI - On parlait d'Europe. Il existe les fonds structurels européens, sur lesquels j'ai beaucoup travaillé. Ils permettent de l'investissement et de l'accompagnement en matière grise par le biais du Fonds social européen, qui est très sensible à la politique d'égalité des chances, notamment tournée vers les personnes handicapées. Ces financements sont présents en région auprès des Préfectures. Malheureusement le monde associatif et les CCAS connaissent très peu ces financements. Il y aurait tout intérêt à se financer là où on a des moyens financiers qui sont sous-utilisés. Un programme 2000-2006 a commencé récemment et je vous engage à aller voir si vous faites partie d'un certain zonage qui pourrait être adapté à votre situation. Le FEDER (Fonds de développement des régions), le Fonds social européen, voire le FEOGA (qui est plutôt tourné vers l'agriculture entendue comme « ruralité » et qui permet de l'investissement, de la formation, de la réflexion qui dépassent l'agriculture) peuvent vous permettre d'obtenir des financements.

M. Nicolas ABOUT, président - Nous nous retrouverons pour la prochaine audition, toute aussi importante, le 10 avril prochain.

II. AUDITIONS DU MERCREDI 10 AVRIL 2002

M. Nicolas ABOUT, président - La première journée du 27 mars dernier qui a été consacrée à l'audition de ce que nous appelons les « personnalités qualifiées », nous avait surtout permis d'entendre un certain nombre d'auteurs de rapports sur le handicap.

Nous abordons aujourd'hui le thème de l'accès à la vie quotidienne : insertion scolaire, insertion professionnelle, accès à la culture, accessibilité en général et notamment aux transports publics. L'accessibilité aux transports publics constitue un point essentiel car il n'y a pas d'accessibilité nulle part sans possibilité de transport.

Je vous rappelle que ces auditions font l'objet d'une retransmission audiovisuelle sur la chaîne parlementaire en différé et que leur compte rendu intégral sera également publié en annexe du rapport d'information que la commission publiera fin juin début juillet dans le cadre de sa réflexion sur la nécessaire réforme de la loi de 1975.

Pour commencer cette journée très importante, nous avons le plaisir d'accueillir M. Jean-Louis Brison, qui est chargé de mission auprès du ministre de l'Education. Vous êtes, Monsieur, Conseiller à l'intégration scolaire des enfants handicapés auprès du ministre de l'Education. Notre commission, au moment de dresser un bilan de la politique en direction des personnes dites handicapées, ne pouvait bien sûr ignorer cette question de la scolarisation. Je vous rappelle qu'il y a quinze jours, le professeur Fardeau indiquait ici même que l'intégration dans l'école ordinaire lui paraissait le point-clé de la réforme. Mais nous en connaissons aussi les limites et les difficultés, comme des exemples récents l'ont montré avec force. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre sur ce sujet particulièrement important. Peut-être pourriez-vous, dans un propos liminaire, présenter ce que sont vos responsabilités, avant de répondre aux questions que notre rapporteur ne manquera pas de vous poser, afin de rendre ce débat le plus vivant possible pour les téléspectateurs.

A. AUDITION DE M. JEAN-LOUIS BRISON , CHARGÉ DE MISSION AUPRÈS DU MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE

M. Jean-Louis BRISON - Monsieur le Président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir invité ce matin à exposer devant vous un certain nombre des lignes de force de la politique du ministre de l'Education nationale sur le plan de l'intégration scolaire, qui est effectivement pour nous un sujet éminemment sensible et important. Les lignes de force de cette politique aujourd'hui ont été définies à plusieurs reprises par le ministre de l'Education nationale, notamment dans deux interventions publiques qu'il a été amené à faire. Je n'évoquerai que la deuxième, qui a eu lieu à la Sorbonne le 27 novembre dernier, devant les inspecteurs d'Académies et les directeurs départementaux des affaires sanitaires et sociales, au cours de laquelle le ministre de l'Education nationale a tracé les grands axes de sa politique en matière d'intégration scolaire.

Ces axes sont au nombre de quatre.

Premier axe : amorcer l'intégration scolaire des élèves en très grande difficulté

Il s'agit de rendre irréversible l'intégration des élèves handicapés et des élèves malades dans le second degré. Toute l'histoire du système éducatif nous montre que l'intégration scolaire à partir de la loi de 1909 a été, tout au long du siècle, l'affaire exclusive du premier degré. La culture pédagogique, les moyens et les personnels appartiennent toujours à la culture de l'école et ne sont pas convenablement installés et mis en oeuvre dans les collèges et les lycées. Au nom de la continuité éducative de la classe de maternelle à la classe de terminale et même à l'université, il convient de construire cette continuité.

Deuxième axe : revisiter le premier degré

Ce deuxième axe s'explique par les difficultés que nous pose également le premier degré.

Troisième axe : avoir une politique plus volontariste et plus précise en direction de tous les élèves qui ne sont pas à l'école et qui ne peuvent pas y être, momentanément ou durablement.

La notion d'intégration scolaire ne doit sans doute plus se penser exclusivement en termes de présence à l'école, mais aussi en termes de présence de l'école dans les lieux où se trouvent, momentanément ou durablement, les élèves malades, y compris chez eux.

Dernier axe : transformer l'Education nationale

Il s'agit de transformer cette immense maison en une maison plus claire et plus accessible aux parents. Il y a manifestement un service à rendre à chacune des familles en termes d'accueil, de conseil, d'accompagnement et de prise en charge, qui doit être considérablement amélioré. C'est naturellement une affaire de moyens, de culture et de mentalités. Nous ne sommes plus aujourd'hui dans un traitement de groupe. Il s'agit désormais d'apporter à chacun de ces élèves et à chacune de ces familles, un service différencié et personnel.

M. Nicolas ABOUT, président - Je suis particulièrement sensible au troisième axe, c'est-à-dire la volonté de répondre autrement, par la présence de l'école là où se trouvent les enfants. C'est effectivement un grand défi et nous suivrons avec un grand intérêt la façon dont vous allez y parvenir.

Je laisse à notre rapporteur, M. Paul Blanc le soin de vous poser la première question.

M. Paul BLANC, rapporteur - La mise en place du plan Handiscol remonte à 1999. Aujourd'hui, trois ans plus tard, où en sommes-nous ?

M. Jean-Louis BRISON - Le plan Handiscol, qui a été initié par Mme la ministre déléguée à l'Enseignement scolaire en mars 1999, est un ensemble de vingt mesures organisées en cinq chapitres, qui n'ont pas tous la même intensité et ne se situent pas tous sur le même plan. Par conséquent, ce sont, pour certaines d'entre elles, des réalisations à très court terme, et pour d'autres, des réalisations à plus long terme. Je me propose de vous présenter un panorama de l'ensemble de ces mesures, en sachant que certaines d'entre elles ont été réalisées et que d'autres nécessiteront un travail plus long.

Devant le Conseil national consultatif des personnes handicapées de janvier 2001, nous avons fait un bilan et avons annoncé que ce plan avait vocation à être évolutif, et donc à intégrer aussi de nouvelles mesures.

Il y a donc cinq ou six mesures nouvelles que je voudrais vous rappeler.

Le premier principe est de réaffirmer le droit et de favoriser son exercice pour les familles en publiant un texte de cadrage sur l'intégration scolaire, ce qui a été fait dès novembre 1999.

Il est aussi apparu prioritaire de revoir et réunifier la réglementation.

En effet, les parents et les professionnels se trouvent devant un maquis de textes et de références qui ne sont pas faciles à débrouiller en raison de redondances et de nombreux recoupements. Enfin, les circulaires d'application de la loi de 1975 se sont égrenées jusque dans les années 1979-1980 et il faut aujourd'hui être expert pour identifier les éléments essentiels. Le rapport de M. Pichon sur l'unification et la révision de cette réglementation d'application de la loi de 1975 a été remis aux deux ministres en octobre 2001. Les conclusions de ce rapport sont venues alimenter nos réflexions sur la loi de 1975 et sur les circulaires que nous sommes en train de préparer sur l'intégration scolaire. La diffusion du guide pratique à l'intention des familles a été effectuée à 75.000 exemplaires en 1999 et nous en sommes à une deuxième édition actualisée en janvier 2002 puisque entre-temps, certaines choses ont évolué. La cellule d'écoute des familles fonctionne en permanence avec un numéro vert au centre national de Suresnes et nous étudions actuellement la possibilité d'installer ce type de dispositif dans les départements.

Il importait également de rapprocher les outils statistiques des deux ministères.

Un groupe de travail entre le ministère de l'Emploi et de la Solidarité et le nôtre est en train de travailler dans ce domaine. Il s'agit d'un des sujets les plus épineux qui soient que de rapprocher ces outils statistiques, dans la mesure où le domaine du handicap chez les enfants défie la statistique.

M. Nicolas ABOUT, président - Y a-t-il une réelle volonté de le faire ?

M. Jean-Louis BRISON - Oui, les équipes y travaillent depuis maintenant deux ans. Ce point rejoint d'ailleurs un sujet analogue qui est l'uniformité de l'informatisation des Commissions départementales de l'éducation spéciale, que nous devrions normalement obtenir au mois de janvier, après un plan de trois années très difficile à mettre en oeuvre. Je rappelle une incidence importante de la loi de 1975 sur la statistique, puisque la loi confie aux Commissions départementales de l'éducation spéciale (CDES) le soin de repérer et d'attribuer le statut de handicapé à l'enfant. Il est clair que depuis 26 ou 27 ans s'est installée, dans les cent départements que compte le territoire, d'une commission à l'autre, une sorte de droit local, et parfois coutumier, dans le repérage de ces situations. Il n'est pas certain qu'un même dossier étudié par les commissions d'une région donnée aboutisse aux mêmes conclusions que dans une autre région. Au fil des années, le repérage et la statistique qui en découle s'avèrent donc extrêmement difficiles.

M. Paul BLANC, rapporteur - Avez-vous une idée du nombre d'appels enregistrés par la cellule d'écoute ?

M. Jean-Louis BRISON - Ces appels se chiffrent à peu près à une vingtaine par jour.

M. Paul BLANC, rapporteur - Y a-t-il un coordinateur par département ?

M. Jean-Louis BRISON - Pas pour l'instant.

M. Paul BLANC, rapporteur - Aujourd'hui, le nombre d'enfants handicapés non scolarisés est estimé à 40.000. Confirmez-vous ce chiffre ?

M. Jean-Louis BRISON - J'infirme clairement le chiffre de 40.000 et m'en suis d'ailleurs à plusieurs reprises expliqué avec les auteurs de l'enquête réalisée par un collectif rassemblé par l'Association nationale des communautés éducatives (ANCE). L'enquête a été réalisée sur des bases qui ne sont pas parfaitement fiables ni recevables. C'est-à-dire qu'ont été mêlées des catégories d'élèves qui se recoupent partiellement pour aboutir à des chiffres inquiétants. Nous ne pouvons pas nier sérieusement le fait que nous sommes dans l'incapacité de fournir des statistiques fiables par types de handicaps et par tranches d'âge d'élèves pour les raisons que j'ai précédemment évoquées. Nous souhaitons d'ailleurs voir cette situation évoluer profondément. C'est dans cette perspective que s'inscrivent l'informatisation des CDES et l'uniformisation des enquêtes des DASS et des inspections d'académies.

Ce qui est clair, en revanche, c'est que ce chiffre de 40.000 recouvre des réalités qui ne sont pas comparables. En effet, que signifie être scolarisé pour un enfant gravement handicapé dont le temps de classe sera nécessairement limité du fait de sa prise en charge thérapeutique ? Parlons-nous ici des enfants scolarisés à temps plein ? A temps partiel ? Parlons-nous des enfants scolarisés dans les écoles de droit commun ou dans les établissements spécialisés ? Dans cette deuxième hypothèse, nous devons introduire des catégories. Or, nous ne pouvons additionner des choses qui ne sont pas additionnables.

Une enquête que nous avons conduite auprès des inspecteurs d'académies et des DASS pour préparer la rencontre avec les deux ministres fait état de 6.600 places en établissements spécialisés, ou en classes d'intégration (CLIS) ou en unités pédagogiques d'intégration (UPI) manquantes au mois de septembre pour résoudre les problèmes de la rentrée. Ce chiffre a été validé par chacun des inspecteurs d'académies et par chacune des DASS dans tous les départements. Nous nous sommes fondés sur les listes d'attente des enfants orientés en CDES qui n'ont pas eu de place en établissement, les enfants qui pourraient être en classes d'intégration scolaire ou en unités pédagogiques d'intégration dans les collèges. Nous leur avons demandé de nous fournir ces chiffres pour un seul département et le chiffre du mois d'octobre avoisine les 7.000 individus.

M. Nicolas ABOUT, président - Pourriez-vous revenir sur les cinq ou six mesures nouvelles que vous avez évoquées ?

M. Jean-Louis BRISON - Ces mesures nouvelles sont les suivantes :

• la création d'un groupement d'intérêt public pour l'édition adaptée des manuels scolaires en braille ou en gros caractères pour les élèves aveugles ou malvoyants, qui est en cours de finalisation. Aujourd'hui, l'édition d'ouvrages de ce type est le fait d'associations tout à fait remarquables, mais demeure très coûteuse et mal coordonnée et les besoins des élèves sont mal repérés en temps utile pour préparer la rentrée. En outre, il n'était pas possible de passer une convention avec le syndicat national des éditeurs de manuels scolaires pour avoir un accès direct à leurs fichiers source, ce qui mettait chacune des associations dans une situation difficile ;

• la reconnaissance académique de l'apprentissage de la langue de signes pour les élèves sourds, dont les parents souhaiteraient que leur éducation se fasse, conformément à la loi de 1991, en langue des signes française ;

• la publication d'une nouvelle circulaire sur les conditions particulières de passage des examens et concours pour les candidats handicapés, avec adaptation des épreuves ;

• l'application du plan interministériel de 28 mesures en faveur des élèves présentant de très graves difficultés du langage, suite au rapport Ringard-Weber de 1999 sur les dyslexies et les dysphasies. Le plan d'action a été officialisé en avril 2001 et est en cours d'application ;

• la publication et la mise en application concrète des mesures contenues dans le rapport Gibert, Président de l'Université de Rouen, sur la situation des étudiants handicapés.

M. Nicolas ABOUT, président - Je me réjouis de la création d'un groupement d'intérêt public en faveur de l'édition de manuels scolaires en braille et suis d'ailleurs l'auteur d'un amendement visant à obtenir des bulletins de vote en braille.

M. Paul BLANC, rapporteur - Qu'en est-il des deux circulaires dont le ministre de l'Education nationale a annoncé au mois de mars la publication prochaine ?

M. Jean-Louis BRISON - Elles ne sont pas encore publiées, mais devraient l'être incessamment. Elles concernent l'organisation de l'enseignement spécialisé de ce que nous appelons l'adaptation à l'intégration scolaire dans le premier et le second degré.

Je rappelle que pour le second degré, cette circulaire générale sur l'accueil des élèves handicapés au collège et au lycée est quasiment une première, puisque la première circulaire de ce type date de février 2001.

M. Paul BLANC, rapporteur - S'agissant de l'évaluation, que vous contestez fortement, des 40.000 enfants handicapés qui ne seraient pas scolarisés, je comprends que vous considérez que l'absence de scolarisation est le fait de l'inadaptation des établissements et de l'insuffisance de coordination. Quelles en sont, selon vous, les causes ?

M. Jean-Louis BRISON - L'Ecole a un important travail d'accueil des enfants handicapés à poursuivre. Il convient, dans un premier temps, de distinguer entre les différents chiffres. Ainsi, la Direction de l'enseignement scolaire estime que dans le premier degré, il y a 60.000 élèves handicapés intégrés contre 16.000 au collège. L'inadaptation et l'impréparation des collèges et des lycées sont manifestement en cause, car il n'y a pas de raison fondamentale qui justifie une telle rupture dans les chiffres entre le premier et le second degré. Cette rupture se retrouvera plus souvent entre le collège et le lycée, voire entre le lycée et l'université, en raison de la prépondérance du handicap intellectuel. Toutefois, pour ce qui est de la rupture entre l'école et le collège, nous sommes clairement confrontés à un défaut de structure dans le second degré, de formation professionnelle des enseignants du second degré. C'est donc le chantier sur lequel nous travaillons prioritairement depuis trois ans en développant les unités pédagogiques d'intégration.

Une autre raison concerne la double inadaptation des établissements médico-éducatifs en termes de répartition géographique sur le territoire. Je ne mets pas en cause la qualité des services qu'ils rendent, mais ils sont relativement inadaptés en termes de répartition géographique. Ces établissements ont une histoire fort ancienne et sont, pour l'essentiel, des établissements associatifs, ce qui est naturellement tout à leur honneur. Mais en tant que tels, ils sont nés d'initiatives privées, de familles, d'associations caritatives, etc. La carte de ces établissements correspond donc à la population telle qu'elle était implantée dans les années 1950 et 1960, mais qui ne correspond plus à la réalité actuelle. La région parisienne est ainsi très largement sous-dotée en ce qui concerne ce type d'établissements. En outre, à l'intérieur de ces établissements, la dotation en postes d'enseignants n'est pas équitable, pour les mêmes raisons historiques. Ayant été créés par des associations qui étaient, à l'époque de leur création, plus ou moins proches de l'Education nationale, ces établissements ont pu bénéficier d'une dotation en enseignants spécialisés ou pas. Certaines associations gestionnaires de l'époque ont même pu ne pas le souhaiter. Par conséquent, l'offre de scolarité proposée s'en trouve aujourd'hui profondément déséquilibrée d'un établissement à l'autre.

M. Nicolas ABOUT, président - A l'époque, c'est plutôt l'absence de l'école qui laissait les éducateurs spécialisés seuls face à leurs problèmes.

Mme Gisèle PRINTZ - Je voudrais souligner la difficulté qu'il y a à évoquer les handicapés de manière générique, compte tenu de la grande diversité des situations que ce terme recouvre, qu'il s'agisse de handicapés moteurs, d'autistes, de handicapés physiques mais qui bénéficient de toutes leurs facultés intellectuelles, etc. Il est donc impossible d'intégrer toutes ces personnes de la même façon.

M. Louis SOUVET - Effectivement, vous nous donnez des chiffres globaux, mais il serait intéressant de se pencher sur la répartition interne dans le monde handicapé. Il est certain que les problèmes sont différents, comme vient de le souligner ma collègue.

Les handicapés physiques peuvent être accueillis comme les autres, et ne nécessitent en fait que des moyens matériels. Quelle est l'ampleur de la population à accueillir ?

S'agissant des handicapés sensoriels, ils n'ont généralement pas de problèmes d'ordre intellectuel. Le besoin concerne surtout des éducateurs spécialisés capables d'entrer en contact avec eux.

Enfin, en ce qui concerne les handicapés mentaux, le problème est tout autre et j'aimerais bien avoir des données statistiques les concernant.

M. Jean-Louis BRISON - Pour répondre à Mme Printz, les procédures et les projets dans les établissements médico-éducatifs sont naturellement différents à chaque fois, mais les structures d'accueil à l'école et au collège sont censées être également différentes. C'est-à-dire que nos structures d'accueil qui sont des classes d'intégration scolaire quand il s'agit d'intégrer les enfants en groupe sont définies en quatre grandes familles :

- les CLIS 1, dont la vocation est d'accueillir les enfants qui présentent des handicaps dits intellectuels ;

- les CLIS 2 et 3, pour les handicaps auditifs et visuels ;

- les CLIS 4, pour les handicaps moteurs.

Le nombre de ces CLIS et de ces UPI sur le territoire est naturellement très disproportionné entre ces quatre catégories, puisque sur les 60.000 élèves handicapés intégrés dans le premier degré, 42.104 sont en CLIS et moins de 20.000 sont intégrés sur un mode plus individuel, et pas nécessairement dans une classe spécialisée au sein de l'école. Sur les 42.104 qui sont en CLIS, 38 851 sont en CLIS 1, 2.050 sont en CLIS 2 et 3 et 1.198 sont en CLIS 4.

M. Paul BLANC, rapporteur - Si je vous comprends bien, vous êtes donc favorable à une intégration ad hoc sur le modèle du protocole récemment signé à Paris, c'est-à-dire à un règlement presque au cas par cas. L'Education nationale est-elle prête à franchir le pas vers une telle décentralisation ?

M. Jean-Louis BRISON - Je fais une distinction entre le droit et les faits. Je ne prendrai pas l'exemple du protocole récemment signé à Paris. Le traitement individuel de chaque cas est inscrit dans la loi de 1975 et dans toutes les circulaires d'application de cette loi. Chaque famille, chaque enfant doit trouver auprès de la commission ad hoc , c'est-à-dire soit la commission départementale soit la commission délocalisée qui est la commission de circonscription, la possibilité de mettre en place des solutions à partir d'une analyse fine et personnelle de la situation de l'enfant. Ces procédures fonctionnent, mais il est clair qu'il nous faut profondément améliorer l'accueil des familles, le type d'analyses et de services que nous pouvons leur rendre. Néanmoins, il ne peut y avoir, pour ces élèves, que des scolarités sur mesure et des réponses individuelles. Les moyens de réponse sont des moyens collectifs, mais les progrès scolaires de l'enfant handicapé, qui a des besoins très spécifiques, et sa vie à l'école sont précisés dans le cadre d'un projet individuel. Certains projets existent et sont bien préparés et d'autres ne le sont pas.

Il convient d'améliorer considérablement la formation des enseignants et de renforcer l'équipement des commissions pour leur permettre de consacrer le temps nécessaire aux examens individuels des dossiers, mais il n'y a pas d'autre principe éducatif que celui-là. J'insiste sur la notion de service individualisé.

M. Paul BLANC, rapporteur - Si cette disposition existait dans la loi, pourquoi a-t-il fallu avoir recours à une grève de la faim ?

M. Jean CHERIOUX - Il est exact que la création des institutions médico-éducatives s'est faite sans cohérence d'ensemble. En outre, ces institutions relèvent de la tutelle de la sécurité sociale et l'assurance maladie n'est pas au fait de leur réalité, comme nous avons pu le constater dans cette enceinte au cours d'une audition. Cette situation nous donne l'impression d'une sorte de ghetto, totalement en dehors des préoccupations de l'Education nationale. Il serait intéressant qu'il y ait des passerelles afin de permettre aux plus aptes de ces enfants d'entrer dans le système éducatif. Or, nous avons le sentiment que la coupure est totale.

En outre, l'amendement Creton a également compliqué les choses en bloquant les places. N'avez-vous pas envisagé de créer ces passerelles entre l'Education nationale et l'ensemble de ces établissements ?

M. Jean-Louis BRISON - Pour répondre à la question provocatrice de M. Blanc, je suis dans une position délicate dans la mesure où je ne peux pas faire état de tout ce que je sais sur la situation de chacune de ces familles, dont la situation a défrayé la chronique à Paris, avant de finalement aboutir à la conclusion de ce protocole connu du public. Ces cinq familles ont été reçues un certain nombre de fois par les autorités académiques, par la DASS de la Ville de Paris de janvier à mars, au cabinet du ministre de Mme Royal dans les semaines qui ont précédé. Les cinq enfants avaient des propositions de scolarité. Malheureusement, il est parfois inévitable, dans un certain nombre de cas, que lesdites propositions ne conviennent pas aux familles des enfants.

J'ai présidé pendant quinze ans un certain nombre de commissions départementales d'éducation spéciale en tant qu'inspecteur dans différents départements et j'ai pu me rendre compte que nous sommes parfois confrontés à des revendications légitimes de parents, que nous devons gérer. Ces revendications sont parfois marquées par une souffrance et une implication personnelles extrêmes, qui méritent le respect.

M. Nicolas ABOUT, président - La prochaine question du rapporteur sur les auxiliaires d'intégration scolaire vous donnera certainement l'occasion de vous exprimer sur l'incapacité du système scolaire de répondre aux familles. En fait, sous couvert de la possibilité d'accueillir tel ou tel enfant en raison de la nature de son handicap, c'est la non-préparation des enseignants, l'absence d'auxiliaires d'intégration scolaire et l'absence de réponse de l'Etat qui créent la situation de handicap pour beaucoup de ces enfants déficients, alors qu'il serait parfaitement possible de mieux les intégrer.

M. Jean-Louis BRISON - En réponse à la question de M. Chérioux sur les établissements médico-éducatifs, il faut effectivement travailler à rapprocher les deux systèmes. Le ministre s'est exprimé à ce sujet et a pris des engagements. C'est la première fois qu'un ministre de l'Education nationale tient un discours aussi précis sur les établissements médico-éducatifs et enjoint ses inspecteurs d'académies à se préoccuper de ce qui s'y passe et de la manière dont la scolarité s'y déroule. Il faut prendre la mesure de l'histoire et de la difficulté. Il a récemment déclaré, à la Sorbonne, qu'il ne concevait pas qu'un institut médico-professionnel ne soit pas conventionné avec un lycée professionnel pour l'accès à un certain nombre d'ateliers et de formations.

Il est inimaginable qu'un institut médico-éducatif qui accueille des adolescents ne soit pas associé à la vie d'un collège. Il y a des activités culturelles, pédagogiques et sociales qui sont inscrites dans la vie du collège que l'établissement spécialisé voisin peut partager. L'intégration scolaire ne se limite pas à l'intégration individuelle pour sa propre formation intellectuelle dans tel établissement scolaire de droit commun. C'est aussi le rapprochement de ces deux systèmes de formation pour faire en sorte qu'il n'y en ait plus qu'un seul et que les parents aient le sentiment d'une logique de parcours.

Il faut également que les commissions départementales de l'éducation spéciale cessent de prononcer des orientations au-delà de deux ans. C'est-à-dire qu'il faut que la révision de l'orientation de l'enfant dans un établissement médico-éducatif, contrairement à ce que dit la loi, n'excède pas les deux années et que les maintiens dans les établissements médico-éducatifs ne soient plus administrés par les commissions départementales comme allant de soi.

M. Nicolas ABOUT, président - Permettez-moi de m'étonner que les ministres puissent être surpris de cette absence de relations... Leur rôle n'est pas de s'étonner en fin de mandat, mais de donner des ordres en temps utile pour que les choses se fassent !

M. Jean-Louis BRISON - Le ministre actuel l'a fait au mois de novembre et a été le premier à le faire !

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez évoqué l'insuffisante scolarisation des handicapés au lycée et à l'université. Permettez-moi d'évoquer un exemple que j'ai personnellement vécu dans ma commune où existe un lycée proposant des classes de BTS en micromécanique. Il s'agit d'une formation peu répandue et qui est susceptible de s'adresser à des handicapés moteurs, et notamment à de jeunes victimes d'accidents de la route, malheureusement fort nombreuses, et qui ont poursuivi un cycle déjà avancé et qui, du fait de leur handicap, ne peuvent pas exercer n'importe quelle profession.

J'avais proposé que ce lycée prévoie la possibilité d'y poursuivre des études jusqu'à la maîtrise, dans la mesure où un étudiant engagé dans cette filière serait susceptible de créer par la suite des systèmes de domotique adaptés à une situation qu'ils connaissent malheureusement trop bien. Le projet que j'ai présenté au proviseur du lycée a reçu son accord, mais il aurait également fallu obtenir l'accord du Président de l'université et du rectorat. Faute de ces deux accords, le ministre a opposé une fin de non-recevoir à ce projet, qui est donc resté en plan, il y a trois ans.

Le ministère de l'Education nationale est-il bien conscient de ces problèmes et a-t-il réellement la volonté de faire évoluer les choses en la matière en mettant en place certaines expérimentations, même si aucun texte ne le prévoit expressément ?

M. Dominique LECLERC - Dans la mesure où nous évoquons la non-scolarisation des enfants handicapés, je tiens, pour ma part, à vous faire part d'une réflexion au sujet de la non-scolarisation des enfants des gens du voyage. Je vous interpelle sur ce sujet en tant que maire d'une commune de banlieue de 5.000 habitants en province. Ma commune dispose d'une aire d'accueil dans un plan départemental qui est saturée depuis de nombreux mois. En outre, depuis plusieurs semaines stationnent de manière illégale plus d'une centaine de caravanes. Or, aucun des enfants ne fréquente l'école de la commune.

Comme vous le savez, les préfets sont arc-boutés sur la mise en place des plans d'aires d'accueil des gens du voyage. A ce sujet, j'ai toujours souligné à quel point il était facile de créer des ghettos ! En revanche, le corollaire que constitue le suivi scolaire, médical et social n'intéresse personne. Je regrette d'avoir à le dire, mais, nous, maires, constatons cette absence de suivi scolaire de ces enfants que je considère comme eux aussi handicapés. Vivant au milieu de ces populations, je suis bien placé pour constater que ces enfants sont souvent des asociaux non-éduqués et il est permis de se demander ce que ces enfants deviendront une fois adultes.

Par ailleurs, ces populations croissent en nombre dans l'indifférence totale et je souligne qu'elles n'ont pas été prises en compte dans le dernier recensement. Au nom des générations à venir, allons-nous finir par nous occuper du seul facteur d'intégration de ces populations, à savoir le suivi scolaire ? A l'heure actuelle, les moyens sont dérisoires puisque nous ne disposons guère que de deux bus et de trois enseignants pour l'ensemble du département ! En tant qu'élu local, je suis très inquiet du devenir de ces personnes.

M. Nicolas ABOUT, président - Après la déficience intellectuelle, sensorielle et physique, nous en arrivons donc à l'évocation d'une quatrième déficience, qui est la déficience sociale. Quel regard portez-vous sur cette quatrième déficience ?

M. Jean-Louis BRISON - Je n'ai pas réponse à tout ! Je sais que ces problèmes existent et je souscris totalement à votre analyse sur ce sujet. Si nous ne savons pas trouver des moyens plus souples et fermes en même temps pour scolariser ces enfants d'une manière ou d'une autre, nous nous exposons à des problèmes sociaux considérables. Je ne peux vous répondre sans vous paraphraser.

J'évoquerai également la situation des élèves qui sont chez eux pour cause de maladie ou qui sont entre deux périodes d'hospitalisation, pour lesquels nous avons un programme important de scolarisation à domicile, avec une référence à la classe d'appartenance de l'élève. Là aussi, il nous faut conquérir et récupérer des élèves qui sont, aux yeux de l'école, des élèves invisibles, disséminés pour des raisons très fluctuantes, soit chez eux, soit dans des modes de vie qui nous posent des problèmes (je fais ici allusion au problème des sectes) et je rappelle que la loi autorise les parents, avec un certificat de l'Académie, à scolariser leurs enfants à leur domicile. Le contrôle de cette scolarisation est imputé à l'Etat. Il m'est arrivé, en tant qu'inspecteur d'académie, d'aller vérifier que l'éducation et l'instruction reçues par ces enfants étaient conformes aux programmes prévus par l'Etat et je sais que ce contrôle est extrêmement difficile à mener.

M. Paul BLANC, rapporteur - L'Education nationale a-t-elle cette volonté d'expérimentation que j'évoquais précédemment et la volonté de s'inspirer d'exemples de terrain susceptibles de faire avancer les choses ?

Enfin, ma dernière question porte sur les aides humaines importantes qu'exige l'intégration scolaire. Aujourd'hui, ces aides sont représentées par les auxiliaires d'intégration scolaire. Combien sont-elles ? En outre, il s'agit le plus souvent d'emplois-jeunes. Comment comptez-vous les pérenniser et prévoyez-vous une formation adéquate afin de les accompagner ?

M. Jean-Louis BRISON - C'est effectivement une question essentielle. Les auxiliaires d'intégration scolaire sont des moyens tout à fait extraordinaires pour accompagner l'intégration. Il convient toutefois de prendre garde à ce que cette tierce personne, mise à disposition de l'enfant et de l'école, ne serve pas, comme c'est parfois le cas, de « monnaie d'échange » entre l'école et la famille, pour faire en sorte que l'intégration ait lieu. Cette tierce personne doit intervenir dans des conditions particulières. Il est bien établi qu'il s'agit ici de promouvoir l'intégration scolaire des enfants les plus handicapés et que cette tierce personne présente dans la classe ne doit pas venir comme une mesure palliative d'un défaut de formation des maîtres spécialisés ni d'un défaut d'information des autres acteurs de l'intégration. Le dispositif a été lancé par ce gouvernement. Mme Royal a signé en mars 1999 une convention avec la Fédération nationale des associations qui gère ce type d'emplois. Deux systèmes existent :

- les auxiliaires d'intégration scolaire, d'origine associative, qui sont environ entre 1.800 et 1.900 ;

- les aides-éducateurs de l'Education nationale, qui sont environ 65.000, dont les missions peuvent inclure de concourir à l'intégration scolaire.

La demande est extrêmement forte, mais se heurte à la difficulté de la formation des enseignants. Un certain nombre d'IUFM, comme ceux de Dijon et de Nancy-Metz, ont mis sur pied des formations de ce type en confondant les deux filières, ce qui me paraît une très bonne chose.

Il faut également savoir sur quels métiers on peut déboucher, car le dispositif emplois-jeunes doit aider les jeunes en difficulté et leur mettre le pied à l'étrier.

M. Jean CHERIOUX - Il ne s'agit pas non plus de les renvoyer sur une voie de garage !

M. Jean-Louis BRISON - Précisément, cela ne doit être qu'un passage. Il n'est pas question que cette fonction se transforme en un métier. Elle ne doit servir aux jeunes qui y passent qu'à découvrir les métiers de l'éducation, du soin et de l'accompagnement social. Les savoirs qu'ils auront acquis en étant auxiliaires d'intégration scolaire, une fois leurs acquis validés, leur permettront de déboucher sur d'autres métiers.

Ces mesures se construisent difficilement, je le reconnais, mais je rappelle que ce sont des dispositifs récents. Le système fait que le salaire de ces auxiliaires d'intégration scolaire est payé à 80 % par l'Etat et les 20 % restants par les associations.

M. Nicolas ABOUT, président - Ou par les communes ! D'ailleurs, comme d'habitude, petit à petit, ce seront les communes qui assumeront la charge du financement, au fur et à mesure du retrait de l'Etat.

Mme Gisèle PRINTZ - S'agissant des enfants des gens du voyage, nous avons un groupe scolaire désigné pour accueillir ces enfants et cela ne pose aucun problème.

M. Nicolas ABOUT, président - C'est un dossier extrêmement difficile et nous savons que l'avenir de ces enfants passe par l'école. Toutefois, ainsi que vous l'avez dit au tout début de votre intervention, l'école ne peut répondre correctement que si elle s'adapte, notamment en sortant de ses bâtiments pour aller au contact des enfants, qu'ils soient ou pas en situation de handicap.

B. AUDITION DE M. HASNI JERIDI, CHARGÉ DE MISSION AUPRÈS DE MME CATHERINE BACHELIER, DÉLÉGUÉE MINISTÉRIELLE À L'ACCESSIBILITÉ AU MINISTÈRE DE L'EQUIPEMENT, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT

M. Nicolas ABOUT, président - Vous êtes, Monsieur Jeridi, la clé de tout le dispositif nécessaire à mettre en place pour apporter des réponses claires et pratiques à la vie des personnes dites handicapées. Vous êtes en effet Chargé de mission auprès de Mme Catherine Bachelier, dont le poste de déléguée ministérielle à l'accessibilité au ministère de l'Equipement, des transports et du logement a été créé en 2000. J'ai donc bien conscience qu'il s'agit d'une action limitée dans le temps. Je regrette d'ailleurs que Mme Bachelier n'ait pu être présente elle-même à cette audition.

La question de l'accessibilité du cadre de vie occupe ou devrait occuper une place centrale dans la politique en direction des personnes handicapées. Or, de récents rapports ont souligné le retard de notre pays dans ce domaine et nous avons souhaité apprécier cette question de manière un peu plus approfondie.

Peut-être pourriez-vous, à titre liminaire, nous indiquer quel est le rôle du délégué ministériel ?

M. Hasni JERIDI - Je vous remercie de m'accueillir.

Comme vous l'avez souligné, la délégation ministérielle à l'accessibilité a été créée fin 1999. Le rôle de cette équipe est de veiller au respect des règles d'accessibilité, ainsi que d'impulser et de coordonner les actions menées dans ce domaine par les différentes directions du ministère. Nous sommes une structure jeune, mais nous avons déjà un bilan, dont j'aimerais vous présenter les grandes lignes.

Tout d'abord, nous avons eu à coeur de désigner, au sein de chacune de nos directions départementales de l'équipement (DDE), un correspondant accessibilité. Notre objectif est d'informer et de sensibiliser. Dans ce dessein, nous avons créé une lettre d'information largement diffusée et une synthèse de l'ensemble de la réglementation existant à ce sujet, afin de fournir aux DDE le maximum d'outils. De la même manière, nous sommes en train de développer sur le site Internet du ministère la mise en ligne d'un certain nombre de documents techniques et d'un forum d'échanges entre les différents techniciens. Nous avons également organisé avec le ministère des Affaires sociales à la mi-février un colloque interministériel sur l'accessibilité.

Au ministère de l'Equipement, nous avons également une deuxième structure, sur laquelle je reviendrai ultérieurement, qui est le Coliac.

M. Paul BLANC, rapporteur - Si j'ai bien compris, cette délégation ministérielle a été créée pour assurer l'application de la loi de 1991 sur l'accessibilité. Quels sont, selon vous, les apports et les limites de cette loi de 1991 ?

M. Hasni JERIDI - La loi de 1991 est d'abord la conséquence des articles 49 et 52 de la loi de 1975. Beaucoup de temps s'est écoulé avant la concrétisation des mesures que prévoyaient ces articles et qui avaient d'ailleurs fait l'objet de différents décrets en 1978. La loi de 1991 est venue renforcer les décrets de 1978, notamment sur des questions portant sur la voirie, les établissements publics existants et les contrôles effectués par les commissions consultatives départementales à la sécurité et l'accessibilité (CCDSA). L'intitulé de la loi de 1991 (diverses mesures destinées à favoriser l'accessibilité) confirme bien qu'il s'agissait avant tout de renforcer des textes dont l'application n'était guère effective. C'est-à-dire que le bilan de la loi de 1975 concernant les aspects relatifs au cadre de vie n'était pas bon. Cela tient probablement à la rédaction des articles que je viens de citer qui évoquaient une mise en oeuvre progressive de certaines mesures, mais cette progressivité s'est étalée un peu trop longuement.

J'ai identifié plusieurs limites de la loi, notamment le contrôle instauré par un décret d'application de la loi de 1991 en date du 26 janvier 1994. Ce décret instaurait un contrôle a priori et a posteriori . Le récent rapport du Conseil économique et social intitulé « Situation des handicaps et cadre de vie » a montré que le contrôle a posteriori des logements neufs reposait sur un tirage au sort et représentait 7 % des opérations réalisées. Or, sur ces 7 %, le taux d'irrégularité était de 40 %, ce qui est énorme. Cela étant, nous ne disposons d'aucun chiffre concernant la remise aux normes de ces aménagements non conformes. Je pense donc qu'il serait nécessaire de faire en sorte que les préfets, lorsque des cas de non-conformité leur sont signalés, diligentent systématiquement des contrôles et qu'un outil de suivi soit créé pour l'ensemble des parcs de logements. Cet outil devrait permettre de faire mieux concorder les demandes de logements adaptés et l'offre existante.

M. Louis SOUVET - Je vous entends en appeler aux préfets pour effectuer des contrôles et établir des statistiques, mais vous donnez-vous les moyens d'une politique lorsque, par exemple, vous constatez qu'un établissement public est inaccessible ?

M. Hasni JERIDI - Il existe un fonds, le FIAH, qui est géré par la Direction générale de l'action sociale du ministère des Affaires sociales. Il s'agit d'un fonds qui, cette année, a représenté une cinquantaine de millions de francs, ce qui est très faible, et qui n'a porté que sur les établissements publics de l'Etat.

Mme Gisèle PRINTZ - N'est-il pas utopique de poursuivre l'objectif de rendre l'intégralité des bâtiments accessible aux handicapés ?

M. Nicolas ABOUT, président - Je crois que le grand débat n'est pas de savoir si ces bâtiments sont accessibles aux personnes présentant telle ou telle déficience. Nous devons partir du principe que désormais, la loi doit permettre l'accessibilité de tous les bâtiments à tous les citoyens, à l'instar de ce qui existe pour l'école.

Je sais par ailleurs que notre rapporteur a prévu d'aborder la question des transports. C'est en effet une absurdité de vouloir rendre tous les bâtiments accessibles à tous, alors que les handicapés ne peuvent pas s'y rendre ! Nous attendons donc évidemment des réponses de votre ministère, qui est un ministère-clé pour tout le dispositif de la réponse aux déficiences des uns ou des autres. Un jour ou l'autre, nous serons tous en situation de déficience et nous souhaitons que l'ensemble de notre pays soit toujours accessible à tous, et non pas seulement aux handicapés.

M. Hasni JERIDI - Avant d'évoquer les transports, je souhaiterais vous apporter un élément de réponse au sujet du cadre bâti. Concernant l'existant, nous devons profiter de chaque opération de rénovation des bâtiments destinés à accueillir du public pour les mettre aux normes. Pour ce qui est du neuf, la loi le prévoit. Cela étant, il existe aussi dans les textes des possibilités de dérogation et nous constatons que ces demandes de dérogations interviennent presque systématiquement : la dérogation devient la règle et la mise aux normes l'exception. Je pense donc qu'il serait nécessaire de prévoir dans la réforme des textes de limiter ces dérogations aux impossibilités techniques, comme par exemple une très ancienne station de métro enterrée sous cinq ou six réseaux.

M. Nicolas ABOUT, président - Je ne pense pas qu'il y ait de réelle impossibilité. Il y a bien évidemment des coûts, mais cela est un autre sujet.

M. Paul BLANC, rapporteur - Nous venons de parler de la diversité des cas que nous rencontrons et vous avez fait allusion à un fonds géré par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité. Or, c'est le ministère de l'Equipement qui assure le contrôle et le préfet qui est chargé de la mise en oeuvre. Existe-t-il une coordination entre ces différents intervenants ?

M. Nicolas ABOUT, président - Il existe un délégué interministériel en charge du handicap, que nous avons d'ailleurs reçu, et qui nous a fait part de l'impossibilité de travailler avec transversalité avec les différents ministères, et notamment avec celui de l'Economie et des Finances, le plus impénétrable de tous !

M. Hasni JERIDI - Il y a un réel besoin d'un travail interministériel et d'une coordination, tant au niveau central qu'au niveau local. Nous souhaitons ainsi mettre en place des coordinations avec les différents acteurs concernés par tous les secteurs de la politique de développement de l'accessibilité, notamment en ce qui concerne l'éducation nationale, la culture, le tourisme, etc. Nous avons vraiment besoin d'une structure de coordination centrale et locale afin de diffuser tous les outils existants. Or, vous savez que des laboratoires existent au sein des ministères afin d'étudier des solutions et ce travail devrait être davantage valorisé. Ce n'est qu'ainsi que nous parviendrons à éviter le cloisonnement administratif.

Cela dit, je souhaiterais revenir au cadre bâti pour souligner deux types de dispositions concernant les obligations d'accessibilité des établissements recevant du public.

D'abord, les établissements de catégorie 5, c'est-à-dire les commerces, ne sont pas concernés par cette obligation, ce qui constitue une grave lacune. Or, cette lacune pourrait être résorbée en profitant des très fréquents programmes de rénovation de la voirie.

Ensuite, ces dispositions portant sur la sécurité incendie limitent le nombre de personnes en fauteuil roulant dans les établissements concernés. Or, en pratique, cette limite n'est pas réalisable. De plus, elle conduit les personnes handicapées à ne pas fréquenter lesdits établissements, notamment les cinémas ou les musées.

S'agissant de la coordination, le décret de 1994 a instauré les commissions consultatives départementales de sécurité et d'accessibilité, dont le mode de composition est bon dans la mesure où il s'est ouvert aux personnes handicapées. Cela dit, la place des associations au sein de ces commissions pose un vrai problème. L'Etat a demandé à ces associations de participer à l'instruction préalable et aux visites de conformité, donc de réaliser une véritable mission de service public, ce dont elles n'ont pas les moyens. En effet, la formation de leurs membres n'est pas assurée, alors que l'Etat devrait, selon moi, prendre ces formations à sa charge, ainsi que les frais de déplacement, ce qui n'est pas rien en raison de toutes les visites de contrôle nécessaires. De ce fait, nous constatons qu'au moment des contrôles de conformité, bon nombre de ces associations ne sont pas présentes. Il convient en effet de ne pas oublier que les associations fonctionnent essentiellement sur la base du bénévolat. Il serait donc très important d'aider les associations à remplir cette mission que l'Etat leur assigne.

En outre, pour ce qui est des moyens de contrôle, je pense qu'il est nécessaire de renforcer les moyens des services déconcentrés.

M. Jean-Pierre GODEFROY - A propos du cadre bâti, vous avez dit que sur un échantillon de 7 % de logements neufs, il y avait 40 % d'irrégularités. Or, ces logements neufs sont préalablement soumis à un permis de construire accordé par le maire et soumis à un contrôle de légalité. Par conséquent, comment expliquez-vous ce chiffre très important d'irrégularités dans le bâti neuf ?

M. Paul BLANC, rapporteur - J'ajoute qu'en ce qui concerne tous les logements HLM, les permis de construire sont délivrés par le préfet.

M. Hasni JERIDI - L'ensemble du dispositif juridique n'est pas très lisible. Les maîtres d'ouvrage et les architectes le connaissent mal et l'appliquent très mal. Il y a un réel besoin d'informer et de sensibiliser l'ensemble des acteurs, notamment dans le domaine du bâtiment, mais également de les former. La formation aux questions de l'accessibilité n'existe pas dans les écoles d'architecture, si ce n'est de manière optionnelle, ce qui constitue une grave lacune.

Une commission nationale « Culture et handicap » a abouti à un certain nombre de conclusions, dont la formation des architectes. Mme Tasca a proposé d'instaurer cette formation, et notamment en commençant par le troisième cycle. Cette formation aux techniques de l'accessibilité est primordiale car, à l'heure actuelle, le manque de lisibilité conduit à certains cheminements trop longs, par exemple. Il est donc nécessaire de former l'ensemble des acteurs de la construction.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je souhaiterais à présent aborder le problème de l'accessibilité dans les transports publics. Le paradoxe de la situation française se trouve parfaitement illustré par le fait que le TGV, prouesse technologique dont la France tire une légitime fierté, n'est toujours pas accessible aux handicapés, alors que le Shinkansen japonais l'est depuis longtemps. En outre, je souligne que l'inauguration des dernières lignes du TGV est extrêmement récente, et en tout cas largement postérieure à l'entrée en vigueur des dernières réglementations relatives à l'accessibilité.

M. Nicolas ABOUT, président - Pour ma part, je souhaiterais aborder le problème du transport aérien. Aujourd'hui, les agences de voyage refusent de vendre des billets à des personnes présentant un handicap sous prétexte que les compagnies aériennes leur font payer des frais si, au cours du voyage, se produit le moindre incident lié au handicap desdites personnes. Cela est tout à fait discriminatoire et je souhaiterais savoir ce que vous comptez faire pour mettre un terme à cette pratique abusive.

M. Hasni JERIDI - Un code de bonnes pratiques a été élaboré l'année dernière et a été signé par la plupart des grandes compagnies de transport aérien, dont Air France. A l'heure actuelle, Air France et Aéroports de Paris se sont réellement emparés de ces questions et y travaillent, notamment en ce qui concerne la prise en charge personnalisée des personnes. Beaucoup de travail reste à accomplir dans le domaine du transport aérien, notamment pour ce qui est de l'agencement des avions. En effet, quelles que soient les mesures que l'on impose aux transporteurs, elles demeureront sans effet si les avions n'ont pas été conçus pour.

M. Nicolas ABOUT, président - Les personnes handicapées ont encore plus de mal à se procurer des billets depuis l'adoption du protocole, ce qui est un comble ! Ces personnes se voient imposer un véritable chemin de croix pour avoir le droit de voyager. Elles sont ainsi contraintes de remplir un formulaire extrêmement détaillé sur leur état de santé et d'aller passer une visite médicale chez Air France, sachant que même l'octroi d'un avis favorable du médecin d'Air France peut aboutir à un refus de billet. Nous sommes donc confrontés à une situation ubuesque et il est du rôle du ministre de mettre tout le monde au pas. Je répète que le ministre a des ordres à donner et des pénalités à imposer ! Les dirigeants ne peuvent se contenter de constater et de regretter... Il est temps que ceux qui ont le pouvoir donnent les ordres et fassent respecter les lois !

M. Paul BLANC, rapporteur - Nous ne pouvons effectivement pas nous contenter de recommandations.

M. Nicolas ABOUT, président - La situation actuelle est réellement exaspérante !

M. Hasni JERIDI - Je le comprends tout à fait, d'autant plus que chaque période de vacances apporte son lot de cas dramatiques à propos de personnes handicapées confrontées à ces problèmes liés au transport aérien. Je crois néanmoins sincèrement qu'il y a une réelle volonté des compagnies de transport aérien, encouragée par le ministre des Transports, de trouver une solution à ces problèmes. Cela n'est pas simple, mais le mouvement est engagé.

M. Nicolas ABOUT, président - A travers ces auditions, les compagnies aériennes entendront la volonté du gouvernement et des parlementaires.

Mme Gisèle PRINTZ - S'agissant des chemins de fer, je m'insurge contre la dégradation des conditions dans lesquelles sont placés les voyageurs. Même en étant valide, j'éprouve de plus en plus d'inconfort et de difficultés à me déplacer à l'intérieur d'un wagon, ce qui laisse imaginer ce que cela doit être pour les personnes âgées et, a fortiori , pour les personnes handicapées.

M. Hasni JERIDI - Les transports publics sont en quelque sorte le révélateur de l'inaccessibilité de notre cité. Si les transports publics sont inaccessibles, comment se rendre aux établissements publics que nous évoquions précédemment ? Les transports constituent un maillon indispensable au sein de la chaîne de l'accessibilité et nous devons y travailler énormément. Or, même si nous sommes en retard, il faut tout de même reconnaître que des actions ont été lancées et doivent être encouragées. Je ne fais pas ici simplement référence à la circulaire qui conditionne l'attribution des aides de l'Etat à la mise en oeuvre du plan de déplacement urbain et de transport collectif, qui intégrait l'accessibilité dans chacune de ses subventions, tant à l'exploitation qu'à l'investissement.

M. Nicolas ABOUT, président - Vous n'avez pas à donner de subventions, mais à imposer par la loi le fait que le transport est accessible à tous ! Votre rôle n'est pas de distribuer des subventions ! Les coûts des adaptations nécessaires sont déjà intégrés dès le départ et lesdites adaptations doivent obligatoirement être réalisées !

Vous avez bien posé le problème en soulignant que la dérogation était devenue la règle. Vous ne devez accorder une dérogation qu'au niveau politique le plus élevé. Si, demain, seul le Premier ministre ou le ministre chargé du handicap a pouvoir d'accorder cette dérogation, le Politique rendra des comptes sur ces dérogations, alors qu'aujourd'hui, la dilution fait que personne n'est responsable de ces dérogations. Mais il faut mettre un terme à cette politique de subventions à ceux qui acceptent de répondre à ce défi qui consiste à permettre l'accès de tous à tout. Il faut que cela soit la règle et une contrainte. Il n'y a pas à subventionner le simple respect de la loi !

M. Hasni JERIDI - Je me suis mal exprimé ! Je voulais dire que l'Etat intervient sur le montage financier de certains aménagements, dans une infrastructure nouvelle telle que le tramway. Dans ces interventions, le respect des règles liées à l'accessibilité a été notifié très fermement. L'Etat n'interviendra plus dans des projets qui ne répondraient pas à l'obligation d'accessibilité pour tous. En outre, je souligne que nous ne parlons plus uniquement de problèmes de handicap moteur, comme les textes de 1991 et leurs décrets d'application de 1994. A l'heure actuelle, il est très important de se pencher également sur les autres types de handicaps.

M. Nicolas ABOUT, président - Je me permets de vous reprendre à nouveau ! Vous venez de dire que l'Etat n'interviendra plus dans des projets qui ne seraient pas accessibles à tous. Mais les projets qui ne sont pas accessibles à tous ne devraient plus être autorisés ! Désormais dans notre pays, les bâtiments doivent être accessibles à tous, un point c'est tout !

Il est tout à fait envisageable que l'Etat apporte une aide à tel ou tel projet, mais cela est une autre affaire. Le fait est qu'il ne doit plus autoriser de réalisations qui ne sont pas accessibles à tous.

M. Jean CHERIOUX - Ce que nous venons d'entendre en ce qui concerne l'accessibilité nous montre les limites de la décentralisation. En effet, si seul le Premier ministre ou le ministre en charge du handicap a le pouvoir d'accorder les dérogations, qu'en est-il de la décentralisation ?

Par ailleurs, nous n'avons pas beaucoup parlé du sensoriel. En ce qui concerne les déplacements en ville, j'ai constaté dans d'autres pays des tentatives de régler ce problème par des signaux sonores ou lumineux. Or, en France, rien n'arrive à se mettre en place, et notamment à Paris où j'ai essayé, en tant que conseiller municipal, de faire avancer cette idée sans aucun résultat. J'insiste sur la nécessité d'entreprendre quelque chose dans ce domaine, dans la mesure où les handicapés sensoriels constituent sans doute la catégorie de handicapés la plus oubliée.

M. Hasni JERIDI - En effet, et vous me donnez l'occasion de valoriser ce que font la SNCF et la RATP en matière d'accueil des personnes handicapées, quels que soient les types de handicaps. En termes de dispositifs techniques, la RATP a notamment généralisé un programme de dotations en annonces sonores et visuelles pour l'ensemble de ses rames. Cette initiative a démarré sur deux lignes et est en cours de généralisation.

S'agissant de ces deux entreprises et des difficultés qu'elles rencontrent, les matériels et les infrastructures n'ont malheureusement pas été conçus à l'origine avec des critères d'accessibilités. Nous nous retrouvons ainsi avec des dizaines de hauteurs de quai différentes et différents types de matériels, ce qui est générateur de lacunes. Cela constitue aujourd'hui le frein le plus important à l'accessibilité des transports.

Des solutions sont en cours de mise en place. La SNCF a développé des élévateurs pour permettre l'accès aux trains. Cela n'est toutefois pas une excellente solution car ces élévateurs ne sont pas en libre-service. Or, ce que nous cherchons avant tout, c'est l'autonomie dans l'accessibilité. C'est la raison pour laquelle la SNCF a lancé une recherche, notamment sur la gare Saint-Lazare, consistant à développer une palette fusible, c'est-à-dire un équipement qui permettra de combler l'écart entre le quai et le train, permettant ainsi un accès de plain-pied. De son côté, la RATP expérimente des rehaussements partiels de quais.

M. Paul BLANC, rapporteur - Le rehaussement partiel des quais est effectivement une bonne idée, mais à quoi sert-elle si les personnes handicapées ne peuvent accéder à la station ?

M. Hasni JERIDI - Des programmes d'investissements existent. A l'heure actuelle, la SNCF possède sur son réseau 200 gares totalement accessibles. Elle a également développé des guichets dits uniques, accessibles au gré des réaménagements des gares. En outre, les cahiers des charges pour l'acquisition des nouveaux matériels ont bien prévu des accès de plain-pied, des toilettes et des espaces accessibles.

Pour ce qui est de la RATP, depuis trois ans, tous les véhicules neufs achetés sont accessibles, c'est-à-dire qu'ils sont à plancher bas et qu'ils sont équipés de palettes et de systèmes d'agenouillement. La RATP a pour objectif la mise en accessibilité de l'ensemble du réseau de bus parisien en 2006. Concernant le RER, la RATP a 23 gares sur 65 qui sont totalement accessibles et 7 qui le sont en accompagnement. Des travaux sont en cours dans une dizaine de gares et l'objectif est la mise en accessibilité en 2008 de la totalité du réseau RER. Les tramways sont d'ores et déjà accessibles.

Cependant, il convient d'être bien conscient des difficultés rencontrées, notamment pour ce qui est de la mise en place de lignes de bus accessibles. En effet, il est nécessaire d'aménager des points d'arrêt. Lorsque ladite ligne ne traverse qu'une seule commune, aucun problème ne se pose dans la mesure où l'interlocuteur est unique. Mais lorsqu'il s'agit de travailler sur une ligne traversant plusieurs communes, les choses se compliquent en raison de la multiplicité des interlocuteurs et d'élus qui -  permettez-moi de le dire ! - ne sont pas tous également sensibilisés à ces questions.

M. Nicolas ABOUT, président - Il me semble que les élus sont plus rapides à adapter des quais que la RATP ou la SNCF à transformer leurs wagons. Les municipalités sont tout à fait disposées à réaliser les adaptations nécessaires pour que tout le monde puisse avoir accès aux arrêts, mais encore faut-il que les transports eux-mêmes soient accessibles.

M. Jean CHERIOUX - En outre, ce n'est pas tout de mettre en place des ascenseurs, encore faut-il qu'ils fonctionnent ! Or, il me semble que pas un seul des ascenseurs de la dalle du front de Seine ne fonctionne !

M. Hasni JERIDI - Le ministère est parfaitement conscient de ces problèmes de disponibilité, pas seulement en ce qui concerne les ascenseurs, mais également les portillons élargis et de l'ensemble des équipements d'accessibilité. Le problème de ces ascenseurs est qu'ils ont souvent été installés dans des endroits reculés et nécessitaient une clé, que personne n'avait jamais. La politique suivie depuis quelques années consiste à laisser ces équipements en libre-service, ce qui nous permet d'enregistrer à présent un taux de panne beaucoup moins important. Un certain nombre de recommandations sur le sujet ont été faites suite à un rapport demandé par M. Gayssot au Conseil national des ponts et chaussées sur la disponibilité des équipements. Suite à ces recommandations, un certain nombre de mesures ont été prises par les entreprises publiques pour améliorer la disponibilité de ces équipements.

M. Paul BLANC, rapporteur - Cela fait une demi-heure que nous parlons de recommandations et de prescriptions. Or, vous savez comme moi que pour qu'une loi soit vraiment respectée, il faut des sanctions ! Le ministère est-il vraiment décidé, dès lors que la loi ne sera pas respectée, à prendre des sanctions, et lesquelles ?

M. Hasni JERIDI - Je crois effectivement que des sanctions renforcées sont nécessaires et je souhaiterais, à ce sujet, souligner un point. Quels que soient les efforts consentis par l'Etat, les collectivités et les entreprises de transport pour améliorer l'accessibilité des réseaux de bus, il suffit qu'un automobiliste gare sa voiture devant un arrêt ou un équipement pour rendre totalement inutiles tous ces investissements. Il est donc nécessaire de renforcer les sanctions, de même que pour l'occupation des places réservées. Ces sanctions doivent consister en des amendes qui ne soient pas susceptibles de faire l'objet d'amnisties !

De la même manière, pour les établissements susceptibles de recevoir du public, il devrait y avoir des refus d'ouverture et des obligations de remise aux normes.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je me souviens avoir refusé de participer à l'inauguration d'un centre des impôts où une cage d'ascenseur avait bel et bien été aménagée, mais où les crédits avaient manqué pour installer l'ascenseur lui-même ! Or, ce centre avait tout de même été inauguré. Qui prendra la sanction de décider qu'un établissement de ce type n'ouvrira pas tant que les aménagements obligatoires n'auront pas été réalisés ?

M. Nicolas ABOUT, président - Il suffit de supprimer les indemnités du ministre tant que les aménagements requis n'ont pas été réalisés !

Les communes ont beaucoup de mal à obtenir que les préfets prennent des arrêtés sur les fourrières, par exemple. En outre, les maires se sont vu refuser par le ministre de l'Intérieur la compétence pour demander l'enlèvement des véhicules en tant qu'officier de police judiciaire. Or, si les maires pouvaient signer les demandes d'enlèvement, les places réservées aux personnes handicapées seraient libérées bien plus rapidement. Tout cela constitue une chaîne qui fait que nous n'avons pas les moyens, au niveau local, de faire respecter ces emplacements. Nous en sommes réduits à mettre des contraventions dont le tarif est limité et dont personne ne se soucie. Vous avez donc des choses à faire en tant que chargé de mission auprès de la déléguée ministérielle à l'accessibilité au ministère de l'Equipement. Proposez donc de donner le pouvoir aux maires de faire procéder à l'enlèvement des véhicules contrevenant aux règles. Vous nous rendriez un grand service en faisant céder le ministre de l'Intérieur sur ce point !

Merci, monsieur Jeridi. Nous comptons beaucoup sur vous !

C. AUDITION DE M. ANDRÉ FERTIER, PRÉSIDENT DE CEMAFORRE ET DE EUCREA FRANCE (ACCÈS DES PERSONNES HANDICAPÉES À LA CULTURE)

M. Nicolas ABOUT, président - L'intégration des personnes handicapées dans la Cité ne se limite pas aux seules questions de l'insertion scolaire, professionnelle et à l'accessibilité au cadre de vie, mais doit également leur permettre un égal accès à la culture. Pourtant, de récents rapports ainsi que notre expérience quotidienne soulignent la persistance de nombreux obstacles à une ouverture effective de la culture aux personnes handicapées. C'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre sur ce sujet, dans lequel vous vous investissez depuis longtemps. Vous présidez en effet depuis plus de quinze ans l'association CEMAFORRE, qui cherche à promouvoir une réelle égalité des chances pour l'accès à la culture, mais aussi le réseau EUCREA France, qui rassemble des organismes qui agissent dans ce domaine.

Aussi pourriez-vous, en exposé liminaire, nous présenter l'action de ces associations, avant que notre rapporteur vous pose ses questions.

M. André FERTIER - CEMAFORRE est effectivement une association créée il y a une quinzaine d'années avec un enracinement sur des activités de terrain, des activités culturelles pour des personnes ayant subi un traumatisme crânien, des personnes autistes et des personnes âgées dépendantes. Nous avons constaté que dans ce domaine, les réflexions étaient surtout d'ordre intellectuel, portant sur les vertus thérapeutiques de l'Art, sur l'image de la personne handicapée, sur le droit de demander à une personne handicapée de monter sur scène, etc. Or, en tant que responsable associatif, j'ai eu le sentiment que la question n'était pas fondamentalement abordée sous l'angle du respect du droit et surtout sous l'angle de l'accessibilité technique et pratique.

Nous avons souhaité une vision plus globale du sujet et avons donc entrepris, il y a sept ou huit ans, l'édition d'une encyclopédie « Culture handicap » en cinq guides pratiques, qui nous a permis de dresser un constat paradoxal et extrêmement positif : les handicaps ne sont pas du tout un obstacle, comme en atteste le fait que des personnes handicapées aient pu laisser la trace de leur génie par-delà tout handicap dans l'histoire de l'art. Je prendrai pour exemple Beethoven, qui était sourd, Alicia Alonso, qui dirige le ballet national de Cuba depuis des années et qui est aveugle, David Toole, qui est un danseur sans jambes et qui s'est produit il y a deux ans à l'opéra de Lyon lors de la biennale internationale de la danse, Matthews Fraser le batteur anglais sans bras, ou encore Django Reinhardt, qui avait deux doigts paralysés à la main gauche. Le handicap n'est donc pas un obstacle. Cela a été notre premier constat lors de la réalisation de cette encyclopédie.

CEMAFORRE a également eu la volonté d'élargir le champ d'action en créant un site Internet et en développant un centre de ressources national de documentation. Nous avons été interpellés par des associations nationales pour dynamiser un réseau. En 1996 a donc été créé un rassemblement, EUCREA France, qui était issu d'un ancien comité d'une ONG européenne, EUCREA Europe, puisque dans le cadre du programme « Hélios II » avait été créée cette ONG, chaque pays de l'Union européenne ayant un comité EUCREA pour promouvoir les pratiques artistiques des personnes handicapées. Depuis cette date, ce rassemblement regroupe la plupart des associations nationales de personnes handicapées mais aussi des établissements culturels, comme la Cité des sciences, le Centre des monuments nationaux, l'Université Paris V, etc.

Ces organismes sont rassemblés au sein de ce réseau pour mener un combat sur le plan national et international. Le réseau a passé une convention nationale de promotion de l'emploi avec le ministère de l'Emploi pour mener des études sur les emplois-jeunes que j'évoquerai ultérieurement. J'ajoute qu'EUCREA France est membre de la Commission nationale « Culture et handicap » récemment créée.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je constate que le problème qui se pose avec le plus d'acuité en matière culturelle est le problème de l'accessibilité. Comment percevez-vous ces obstacles ?

M. André FERTIER - Les principaux obstacles se situent au niveau des institutions d'accueil. Pour ce qui est de l'état des lieux général, on s'accorde à reconnaître que nous en sommes encore, comme au siècle dernier, à considérer que l'accès des personnes handicapées à la culture relève exclusivement du caritatif et du bénévolat et que les personnes handicapées ne sont finalement que des bouches à nourrir. Or, le respect de la dignité humaine consiste à les reconnaître comme des êtres de culture.

M. Jean CHERIOUX - C'est faux ! Nous ne considérons pas les personnes handicapées comme des bouches à nourrir dans les établissements que nous gérons ! Je ne peux pas vous laisser dire des choses pareilles !

M. André FERTIER - Ce n'est absolument pas ce que j'ai voulu dire !

M. Nicolas ABOUT, président - Je crois que M. Fertier souhaitait souligner que seules les associations leur permettent l'accès à la culture, à la différence des institutions.

M. André FERTIER - En effet, c'est exactement ce que j'ai voulu dire et je pense que la richesse des expériences pilotes repose précisément sur les associations, tant nationales que locales. Mais les associations que j'évoque n'ont jamais porté sur les personnes handicapées le regard que je viens d'évoquer, loin de là !

Pour en revenir aux différents obstacles, les institutions d'accueil qui, dans certains cas, sont gérées par des associations, n'ont pas eu à ce jour de mission précise concernant des obligations de projets culturels d'établissement et n'en ont d'ailleurs pas les moyens. Elles n'ont pas non plus de référent pour les actions culturelles ni pu développer à ce jour de professionnalisme adapté au regard des handicaps de ces personnes et au regard d'exigences de qualité d'action culturelle.

S'agissant des personnes vivant à domicile, à part certaines actions de portage de livres ou de vidéos à domicile, il n'y a pas de services culturels de proximité développés aujourd'hui qui mènent vraiment des actions de manière satisfaisante, à l'exception de quelques expériences isolées.

Au niveau des grands établissements culturels, quelques-uns (la Cité des sciences, le Louvre ou le Muséum d'Histoire naturelle par exemple) se sont mis en réseau et se sont dotés de cellules accessibilité. Ils ont ainsi développé un professionnalisme adapté très intéressant et une richesse sur lesquels il faudra s'appuyer pour aller de l'avant.

En ce qui concerne le tissu associatif, je pense que les associations, avec les moyens limités dont elles disposent, ont fait des efforts considérables pour que les personnes handicapées soient reconnues comme des citoyens à part entière. Toutefois, à ce jour, elles n'ont pas pu travailler avec une concertation suffisante avec les acteurs traditionnels de l'action culturelle. Je ne le leur reproche d'ailleurs pas du tout, dans la mesure où cette initiative ne leur incombe théoriquement pas.

M. Jean CHERIOUX - Là est le coeur du problème ! Vous estimez que c'est nécessaire, et pas les associations ! Votre approche de la culture n'est pas la seule qui soit ! Il en existe d'autres, qui ne sortent pas forcément d'un moule unique !

M. André FERTIER - Je ne suis pas en train de vous faire part de ma pensée, mais de dresser un constat !

Puisque nous évoquons les institutions d'accueil, je tiens à citer l'exemple de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, où vivent des milliers de personnes handicapées dépendantes, ne serait-ce que dans les services de gériatrie. Or, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris n'a que cinq personnes recrutées avec un statut d'animateur et la formation requise. Le reste du personnel qui mène des actions d'animation se compose pour l'essentiel d'aides soignantes, qui mènent d'ailleurs dans certains cas des actions très riches, mais n'ont jamais bénéficié de formation dans le secteur culturel ni sur le thème de l'articulation entre l'action culturelle et la problématique spécifique du handicap. Ces hôpitaux, dans leur ensemble, n'ont pas bénéficié à ce jour, comme l'attestent un certain nombre d'études, de financement des politiques culturelles par les villes.

Par ailleurs, des milliers de petites associations mènent des actions extrêmement riches, mais n'ont pas de solutions pour les pérenniser et les développer de manière professionnelle, et mériteraient d'être davantage soutenues, dans la mesure où elles constituent un très intéressant vivier de richesses.

En ce qui concerne les collectivités territoriales, je rappelle que si le ministère de la Culture ne représente que 1 % du budget de l'Etat, les communes, elles, consacrent à peu près 10 % de leur budget à la Culture. Or, force est de constater que les communes qui sont les premiers porteurs et financeurs de la culture en France ont oublié qu'il y avait aussi des populations handicapées et qu'au niveau des contrats de ville et des contrats Etat-région, pour les volets relatifs à l'action culturelle, les jeunes des quartiers sensibles et certaines catégories défavorisées sont pris en compte, ce qui est une bonne chose, mais les personnes handicapées et les personnes âgées dépendantes sont occultées dans ces dispositifs. Je pense d'ailleurs que ce n'est pas par manque de bonne volonté, mais par méconnaissance du sujet et par manque de repères. Il y a donc bien une nécessité de développer des éléments méthodologiques en s'appuyant sur les très rares expériences qui existent. Il faut ainsi saluer l'expérience qui se développe en ce moment avec la mairie de Paris qui a voté des dispositifs très précis et a entamé un état des lieux sur l'ensemble des sites culturels parisiens, sur l'accessibilité du cadre bâti, de l'offre culturelle et des politiques des établissements. D'autres villes engagent également des programmes de ce type, à l'instar de la ville de Bourges, qui a fait un état des lieux sur l'accessibilité de l'ensemble de ses sites touristiques et culturels. Ce n'est donc pas le désert total ! Cela dit, les communes n'assument pas leurs responsabilités en ce qui concerne les personnes handicapées au niveau de l'action culturelle, ce qui est très regrettable.

A ce jour, l'Etat n'a pas développé de projet structuré en termes de planification et d'actions culturelles pour faciliter l'accès des personnes handicapées à la culture, alors que des projets structurés ont été développés, notamment pour les jeunes des quartiers sensibles avec les opérations dites des cafés musique ou encore des actions destinées à développer les pratiques artistiques à l'école. Il est inutile de préciser que ces dernières n'ont que peu de chances de bénéficier à des personnes handicapées, eu égard aux difficultés qu'elles rencontrent en matière d'intégration scolaire.

M. Paul BLANC, rapporteur - Quelles sont les propositions de la commission nationale « Culture et handicap », annoncée le 25 janvier 2000 et installée le 23 mai 2001, et comment pourraient-elles être mises en oeuvre ? En outre, cette commission a-t-elle, selon vous, la possibilité de renforcer l'intervention de l'Etat dans ce domaine, par le biais de suggestions ?

M. André FERTIER - J'ai été très heureux de l'instauration de cette commission nationale à laquelle j'ai d'ailleurs participé activement. Comme vous le soulignez, elle a été annoncée le 25 janvier 2000 par le Premier ministre Lionel Jospin mais installée seulement le 23 mai 2001. Il a donc fallu un an et demi pour que son installation soit effective, ce qui ne traduit pas une volonté politique forte. En revanche, entre le 23 mai 2001 et aujourd'hui, cette commission nationale a permis aux représentants des ministères concernés de prendre leurs repères. Cela s'est avéré très positif, puisque quatre sous-commissions ont été créées sur les thèmes suivants : information et communication ; médiation culturelle ; pratiques artistiques et accessibilité architecturale.

Ces quatre sous-commissions ont toujours été coprésidées par un représentant du ministère de la Culture et un représentant du ministère de l'Emploi et ont eu le mérite très important de permettre une concertation entre des représentants des ministères, des associations nationales, des personnes et organismes ressources dans ce domaine et d'élaborer un certain nombre de propositions. Une synthèse de ces propositions a été élaborée par les services des ministères. Les associations nationales ont d'ailleurs souligné que, dans cette synthèse, toutes les questions et propositions relatives au financement ont été écartées. Schématiquement, Mme Catherine Tasca, dans le discours qu'elle a prononcé le 20 février dernier à l'occasion du colloque « Mieux vivre la Cité » a fait part des grands axes de propositions qui incluent les mesures suivantes :

- la nomination de correspondants « Culture et handicap » au sein des directions sectorielles du ministère de la Culture, ce qui est très important ;

- la nomination de correspondants au niveau des DRAC ;

- des actions de formation en direction des acteurs des administrations centralisées et décentralisées des ministères de la Culture et de la Solidarité et des associations nationales ;

- des mesures visant à imposer, en amont, des études sur l'accessibilité avant toute construction ou rénovation financée par le ministère de la Culture, sous peine de sanctions et de rétrocession des subventions ;

- l'élaboration d'une Charte pour les établissements culturels avec la définition d'un minimum à exiger de la part de ces établissements en matière d'accueil du public handicapé ;

- le soutien au développement de centres de ressources « Culture et handicap », même si nos entretiens avec les services nous ont fait prendre conscience de l'absence de financement nouveau attribué à ces hypothétiques centres de ressources.

En conclusion, je dirai que la création de cette commission nationale a suscité un élan important avec cette émulation de réflexion et de concertation encore jamais vue auparavant, mais même si des bases importantes ont été posées, il y a un risque de démobilisation et de désarroi, faute de moyens mis en oeuvre et de mesures financières décidées.

M. Paul BLANC, rapporteur - Beaucoup de choses sont effectivement annoncées, mais rien n'est prévu pour les financer !

Je souhaiterais revenir sur ce que vous avez appelé des opérations pilote, que l'on pourrait également appeler actions innovantes. Vous avez évoqué les contrats de ville, mais pourriez-vous citer d'autres types d'opérations pilotes qui mériteraient d'être généralisées ?

M. André FERTIER - En effet, car elles sont nombreuses. Aujourd'hui, l'essentiel de ces opérations pilotes repose sur le dispositif « Nouveaux services Emplois-jeunes » pour lequel EUCREA France a fait un état des lieux dans le cadre d'une convention avec le ministère de l'Emploi. Nous avons identifié à peu près 5.000 emplois-jeunes créés dans ce domaine, souvent par des petites associations. La richesse de ces nouveaux services est de mettre l'accent sur l'existence de vrais professionnalismes adaptés. Il convient en effet de prendre conscience du fait que l'accès aux loisirs et à la culture requiert, dans certains cas, un vrai professionnalisme adapté, à l'instar des exemples comme : l'emploi de la langue des signes lors des conférences ; l'apprentissage de la danse en fauteuil roulant ; l'utilisation de l'outil informatique pour la pratique de la musique par les personnes tétraplégiques ou l'accueil de personnes aveugles dans les musées au moyen de documents en relief.

L'émergence de ce professionnalisme adapté ainsi que de nouveaux services d'information, d'accompagnement et d'animation de services adaptés est donc une réalité.

La pérennisation est essentiellement portée par des petites associations qui sont fragiles, mais qui sont sans doute plus créatives et rapides que des associations plus lourdes. Je considère qu'aujourd'hui, la pérennisation est simple et possible, puisque la Caisse des dépôts et consignations a signé, le 20 novembre dernier, une convention avec le ministère de l'Emploi sur ces questions de pérennisation des nouveaux services et de développement de nouveaux centres de ressources. Or, à ce jour, les responsables de la Caisse des dépôts et consignations n'ont pas identifié le domaine loisirs, culture et handicap comme une priorité. Ils l'ont un peu identifié au niveau des personnes âgées car ils se sont dit qu'avec l'instauration de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), des apports financiers permettraient de financer un certain nombre de services. Cela signifie que la porte reste ouverte, mais n'est tout de même pas clairement ouverte. J'ai malgré tout rencontré des agents du ministère de l'Emploi qui m'ont semblé convaincus, mais parviendront-ils à agir suffisamment fermement et rapidement puisque c'est le 16 mai prochain que le Comité de pilotage prendra ses décisions sur les filières à soutenir. Je souhaite, pour ma part, que cette filière des activités de loisirs et de culture pour les personnes handicapées soit pleinement prise en considération, dans la mesure où elle constitue un enjeu considérable en termes de valeurs pour notre société.

La pérennisation existe également au travers des politiques des villes qui doivent parvenir à redéployer un minimum de financement d'actions culturelles vers ces populations. La réponse existe aussi en termes de textes et je pense que la réponse peut éventuellement s'appuyer sur des textes examinés par le Conseil d'Etat en décembre dernier sur les schémas des services collectifs culturels. Ces textes comportent la prise en compte des populations handicapées ainsi que trois dispositifs essentiels qui me semblent parfaitement correspondre à la problématique. Je pense ici aux conseils territoriaux de la culture avec des représentants des différents acteurs concernés ; aux centres de ressources et d'initiatives pour le soutien aux projets et la notion de services culturels de proximité, qui mérite d'être développée.

M. Paul BLANC, rapporteur - Croyez-vous vraiment que la Caisse des dépôts et consignations va continuer à financer ces emplois ?

M. André FERTIER - Dans la convention du 20 novembre, des sommes considérables sont attribuées à la pérennisation et je pense personnellement que cela ne devrait être qu'une phase de transition et d'accompagnement. Les communes qui, aujourd'hui, n'assument absolument pas leurs responsabilités dans ce domaine, doivent les assumer. Par la suite, il faudra peut-être affirmer la notion du droit à compensation pour répondre au fait que les personnes handicapées qui ne peuvent bénéficier des établissements culturels sont pénalisées et doivent donc bénéficier de mesures de compensation. L'instauration de ce droit à compensation en matière culturelle mériterait peut-être d'être examiné, ainsi que la mise en place d'une allocation d'intégration culturelle et de loisirs dans certains cas extrêmes, qui me semble nécessaire. En effet, l'accès aux loisirs et à la culture me semble être un préalable à l'intégration scolaire et professionnelle. En termes de financement, les dispositifs existent. C'est la volonté ministérielle qui fait défaut !

M. Paul BLANC, rapporteur - Que pensez-vous du sponsoring d'entreprise ?

M. André FERTIER - Je n'y suis pas du tout opposé. Le cercle des partenaires du programme Culture à l'hôpital a d'ailleurs été une dynamique intéressante. J'ai moi-même proposé que les organismes bénéficiaires de la taxe sur la copie privée s'organisent en cercles des partenaires pour un programme « Culture et handicap », mais je pense que la priorité serait que les collectivités territoriales assument leurs responsabilités en termes de financements et de stratégies en direction de ces populations. Je considère depuis des années que le problème financier n'est pas un vrai problème. Si le ministre de la Culture s'intéressait un tant soit peu au sujet, il y aurait réellement des possibilités techniques assez simples. Toutefois, à ce jour, aucune mesure n'a été prise.

M. Paul BLANC, rapporteur - Ne pensez-vous pas que les problèmes de l'accessibilité dans leur ensemble ne devraient pas plutôt être envisagés dans le cadre plus général de l'accessibilité à la Cité, c'est-à-dire qu'à partir du moment où le principe de l'accessibilité de tous les lieux à tous est posé, le problème spécifique de l'accessibilité de la culture ne se poserait plus ?

M. André FERTIER - Je ne le crois pas. Je suis tout à fait conscient du caractère grotesque d'une mise aux normes des établissements culturels, par exemple, si le métro qui permet de s'y rendre n'est pas lui-même accessible. Je voudrais souligner que l'accessibilité ne concerne pas que les personnes handicapées motrices, mais également les personnes handicapées mentales, visuelles et auditives. Ces dernières ne doivent pas être oubliées et leur accompagnement nécessite une réflexion poussée. Je dirais en outre que la problématique des transports sera davantage présente à l'esprit des décideurs lorsque les personnes handicapées seront elles-mêmes davantage présentes au coeur des activités culturelles. Il ne faut donc pas attendre pour aller de l'avant.

En conclusion, je suis ces dossiers depuis des années et je regrette la trop faible implication des politiques. J'ai ainsi participé à une réunion avec M. Philippe Douste-Blazy, lorsqu'il était ministre de la Culture, qui avait nommé un chargé de mission « Culture et handicap ». Mais celui-ci a mené l'ensemble de ses interlocuteurs en bateau et a même été mêlé à une procédure de demande de rétrocession de subventions qui devaient être attribuées à des personnes handicapées. Mme Catherine Trautman, quant à elle, avait pris des engagements précis lors de la journée de la dignité, mais n'a jamais tenu sa promesse, ce que ses propres conseillers ont reconnu à l'occasion d'entretiens que j'ai eus avec eux. Ils m'ont confié qu'ils jugeaient dérisoires et inacceptables les moyens qui étaient mobilisés. A l'heure actuelle, j'ai des réunions régulières avec les membres du cabinet de Mme Catherine Tasca qui reconnaissent que les moyens ne sont pas mis en oeuvre.

Je m'interroge donc sur la possibilité, pour le Parlement ou une commission d'enquête voire de vigilance, d'interpeller les futurs ministres de la Culture sur leurs engagements fermes en termes de planification et de moyens financiers et d'examiner de plus près la situation et les dysfonctionnements de ces dix dernières années en la matière.

M. Nicolas ABOUT, président - Nous transmettrons vos remarques aux différents ministres, anciens et futurs. Je ne manquerai pas d'intervenir auprès de Mme Catherine Tasca, pour lui faire part de vos réflexions. Je ne doute pas qu'elle est très sensible au problème des personnes souffrant de handicaps ou de déficiences et je connais ses engagements sur la culture.

M. André FERTIER - Je tenais également à souligner, bien que ce soit en marge du dossier de la culture, le travail remarquable accompli par Mme Michèle Demessine, dans le domaine du tourisme.

D. AUDITION DE M. RENÉ BERNARD, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES COMMUNAUTÉS ÉDUCATIVES (ANCE)

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le Président, vous présidez l'Association nationale des communautés éducatives, l'ANCE, qui oeuvre depuis plus d'un demi-siècle dans le secteur de l'éducation des enfants handicapés. Nous avons tout naturellement souhaité vous entendre à l'occasion de cette journée d'auditions sur l'insertion sociale des personnes dites handicapées. Nous vous recevons avec d'autant plus d'intérêt que vous venez de publier une enquête particulièrement instructive sur les difficultés de scolarisation des enfants.

Je vous propose de nous présenter brièvement, en guise de propos liminaire, les actions de votre association, avant que notre rapporteur et les autres commissaires vous posent leurs questions. Comme vous le savez, cette audition sera retransmise sur Public Sénat et je souhaite qu'elle demeure suffisamment vivante. Je souhaite, pour cela, que vous autorisiez vos auditeurs à vous interrompre, pour vous poser telle ou telle question.

Vous avez la parole.

M. René BERNARD - Merci monsieur le Président. Mon collègue François Martin et moi-même avons assisté à une partie des discussions de la matinée et approuvons le principe d'un dialogue vivant, de préférence à un exposé ex catedra . En tant qu'enseignants de formation, nous sommes assez sensibles à cette façon de travailler.

L'Association nationale des communautés éducatives est une association de professionnels oeuvrant dans les secteurs social, médico-social voire dans celui de la justice. Elle rassemble des personnes physiques travaillant dans les établissements, lesdits établissements eux-mêmes et les associations de caractère privé qui gèrent ces établissements. Nous représentons à peu près un tiers du secteur médico-social en France, à côté du secteur public et d'autres secteurs associatifs. Nous sommes une association issue de l'Education nationale. Notre fondateur, Louis François, Inspecteur général de l'Education nationale, est décédé en début d'année. C'était un grand président, qui dirigeait également le Comité français pour l'UNESCO lorsque, à la demande de la Fédération internationale des communautés éducatives, qui a aujourd'hui un statut d'organisme non-gouvernemental auprès de l'Union européenne, il a créé l'Association nationale des communautés d'enfants. En effet, la création de l'Association remonte à l'immédiat après-guerre, époque à laquelle beaucoup d'enfants connaissaient des difficultés suite au conflit mondial. Il y a une vingtaine d'années, l'ANCE est devenue l'Association nationale des communautés éducatives, élargissant ainsi son action.

C'est une association constituée d'associations, c'est-à-dire qu'elle ne gère pas d'établissements ni de services, ce qui nous confère une position propre à ne jamais nous placer en conflit avec nos adhérents et à ne jamais défendre les intérêts de nos établissements. Nous souhaitons être un lieu de rencontres, de débats et d'élaboration sur les pratiques professionnelles. Nous souhaitons également travailler à la formation des professionnels qui travaillent dans les établissements et services du secteur. Nous gérons un institut de formation des travailleurs sociaux à Echirolles, dans l'Isère. Nous souhaitons également être une force de proposition auprès des pouvoirs publics dans les domaines des personnes en situation de handicap ou d'inadaptation.

S'agissant de nos axes de travail dans tous ces domaines, nous avons publié en 1996, une charte des références déontologiques des professions du social. Nous poursuivons aujourd'hui ce travail, dans la mesure où la déontologie est un objet en constante évolution. Pour donner plus de poids à ces références déontologiques et aux avis donnés par le Comité national des avis déontologiques, que préside d'ailleurs M. Martin, l'ANCE remet ces références à un comité de suivi des références déontologiques, qui est constitué par les associations du secteur qui le souhaitent. Simultanément, nous souhaitons une reconnaissance officielle de son activité, notamment par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité.

Nous avons également un travail sur la démarche qualité dans le travail social et sur l'évaluation. Nous menons en parallèle deux campagnes : l'une sur la formation et la scolarisation des enfants et adolescents handicapés ; l'autre sur le développement des centres médicaux psycho-pédagogiques (CMPP), qui sont des structures de prévention et de cure ambulatoires, tellement nécessaires pour le maintien et le développement de l'intégration scolaire.

M. Paul BLANC, rapporteur - Lors de notre première audition de la journée, nous avons accueilli un représentant de l'Education nationale, M. Brison, qui a contesté votre chiffre de 40.000 enfants handicapés non scolarisés. Comment êtes-vous arrivé à ce chiffre ?

M. René BERNARD - Les évaluations sont effectivement très compliquées dans ce domaine particulier. En décembre 1999, un collectif d'associations de la région Rhône-Alpes s'est fait l'écho de la synthèse régionale des commissions départementales de l'éducation spéciale selon laquelle 822 enfants de la région n'avaient pu bénéficier d'une prise en charge adéquate, faute de places ou d'équipements. Les associations rhône-alpines ont engagé des démarches auprès du DRASS de la région, qui a répondu qu'il ne pouvait faire qu'avec les moyens dont il disposait, c'est-à-dire avec le budget que lui accorde la loi de finances votée par le Parlement. Il ajouta que, pour obtenir une augmentation de cette enveloppe, il était nécessaire d'en adresser la requête directement à l'Etat, pour pouvoir satisfaire des demandes qu'il ne contestait d'ailleurs pas. C'est alors que l'une de ces associations, membre de l'ANCE, nous a demandé de prendre le relais au niveau national afin de donner une audience nationale à cette démarche et d'avoir un meilleur impact sur les pouvoirs publics. Aujourd'hui c'est un collectif de quatorze grandes associations et services qui travaillent ensemble.

Cette extrapolation nationale s'est avérée peu aisée. Nous sommes donc partis des chiffres dont nous disposions, c'est-à-dire ceux de la région Rhône-Alpes, pour obtenir, en fonction de la pondération relative de la région en France, une estimation nationale de 10.000 enfants handicapés non scolarisés. A ce stade, nous avons souhaité intégrer des distinctions entre des handicaps lourds, comme l'autisme ou des handicaps émergents, comme les troubles développementaux du langage (la dysphasie). Nous nous sommes appuyés sur un rapport de l'Inspection générale de l'Education nationale et de l'Inspection générale des Affaires sociales qui, à partir d'une enquête conduite sur neuf départements, établit que 32 % des jeunes accueillis dans des instituts médico-éducatifs ne bénéficient pas de scolarisation. En extrapolant ces données au plan national, nous sommes arrivés au chiffre de 25.000 enfants environ accueillis dans des établissements ou services du secteur médico-social, qui ne sont pas scolarisés.

Comme nous n'étions pas en mesure, en tant qu'associations, de réaliser un travail quantitatif, l'ANCE a mené une enquête auprès de plusieurs commissions départementales de l'éducation spéciale. Nous avons ainsi vu apparaître de nouvelles causes à la non scolarisation et à la non-prise en charge. Parmi ces causes figure la déscolarisation, c'est-à-dire les enfants dont les parents n'ont pas accepté l'orientation prononcée par la commission départementale de l'éducation spéciale. Nous sommes également confrontés à la situation d'enfants en milieu hospitalier ou soignés à domicile, et qui ne sont pas toujours scolarisés. Il faut également évoquer le cas des enfants qui relèvent de la justice. A ce sujet, il y a sans doute un problème de coordination entre le ministre de l'Education nationale et celui de la Justice, pour que des enfants se trouvant dans des établissements de justice bénéficient tous d'une scolarisation. Il existe également des cas de déscolarisation comme thérapie et la situation particulière des enfants de migrants, dont la scolarisation constitue quelque chose d'extrêmement aléatoire, je veux ici parler des enfants des gens du voyage.

Le ministre de l'Education nationale a contesté, non pas la situation, mais les chiffres avancés. Effectivement, personne ne peut aujourd'hui prétendre avancer des chiffres incontestables, ni le ministre de l'Education nationale, ni les associations. Cette incapacité constitue, en soi, un élément non négligeable du problème.

M. Paul BLANC, rapporteur - Ne pensez-vous pas qu'il soit un peu abusif de comptabiliser les enfants qui se trouvent dans des établissements médico-éducatifs comme des enfants non scolarisés ?

M. René BERNARD - J'attire votre attention sur la nécessaire distinction entre l'éducation et la scolarisation, qui sont deux choses différentes. Ces établissements du secteur médico-éducatif, comme vous le savez, sont sous la tutelle du ministère de l'Emploi et de la Solidarité, et pas sous celle du ministre de l'Education nationale.

M. Paul BLANC, rapporteur - Des enseignants sont tout de même affectés dans ces établissements.

M. René BERNARD - Ils ne le sont pas toujours ! Le problème est complexe. Certaines grandes associations, jusqu'à une date récente, avaient refusé de signer des conventions avec l'Education nationale pour avoir des enseignants mis à disposition. Aujourd'hui, les mêmes associations ont plutôt tendance à demander des enseignants, ce qui me paraît une bonne évolution. Toutefois, il y a effectivement un certain nombre d'établissements dans lesquels on ne trouve aucun ou très peu d'enseignants. Il arrive que, dans certains de ces établissements, le ratio soit d'un instituteur public pour soixante enfants en grande difficulté ! C'est tout le problème de l'intégration, sur lequel reviendra François Martin tout à l'heure.

Nous concevons qu'en fonction du projet personnalisé d'un enfant, il soit possible de dire que cet enfant ne peut pas suivre, aujourd'hui, une scolarisation à temps plein. Mais c'est une autre chose que de dire qu'un enfant ne peut aller en classe qu'une ou deux demi-journées par semaine en raison du manque de personnel enseignant.

M. Paul BLANC, rapporteur - Il faudrait donc peut-être que la loi impose une présence obligatoire d'enseignants dans ces établissements.

M. René BERNARD - C'est effectivement dans ce sens que s'inscrit notre action.

Il serait également intéressant d'aborder le thème de la formation de ces enseignants, puisque environ 20 % des enseignants affectés dans les établissements ou les services spécialisés n'ont pas de formation ad hoc . Ils ne sont que des enseignants généralistes, n'ayant pas de préparation à travailler avec un enfant en situation de handicap ou d'inadaptation.

Pour en revenir aux chiffres, il est exact, M. le rapporteur, que le fait qu'ils soient issus d'extrapolations les rend contestables.

M. Paul BLANC, rapporteur - J'ai bien noté que votre mode de calcul ne correspondait pas tout à fait à celui du ministre de l'Education nationale.

Nous avons évoqué les divers établissements, et notamment les instituts médico-éducatifs (IME) et les instituts médico-professionnels (IM Pro). Sans tenir compte de l'amendement Créton, estimez-vous que notre pays a aujourd'hui de vrais besoins en matière d'établissements de ce type ?

M. René BERNARD - Pour répondre à cette question, je me fonderai sur l'étude commandée par la DRES du ministère de l'Emploi et de la Solidarité au Centre technique national d'études sur les handicaps et les inadaptations (CTNERHI), qui a été publiée en mars 2001. Cette étude est beaucoup plus large que celle que nous avons conduite nous-mêmes puisque seuls dix départements n'y ont pas répondu et que le CTNERHI a dépouillé plus de 250 documents qu'il a reçus. Cette enquête établit que 13.000 enfants se trouvent dans une situation de non prise en charge et de non scolarisation et met également en évidence un certain nombre de difficultés. On observe d'abord, ces dernières années, une double évolution qui consiste à réduire les établissements spécialisés pour créer des SESSAD en procédant à des redéploiements, à réduire les internats au profit des demi-internats.

Or, nous nous rendons compte que la demande n'a pas suivi la modification de l'offre et qu'aujourd'hui, nous devons faire face à des difficultés dans bien des cas.

M. François MARTIN, Secrétaire général adjoint - En ce qui concerne les IMP et les IM pro, il est assez difficile de répondre directement à la question de savoir si l'équipement est adapté ou non.

Je vous propose trois éléments d'explication.

D'abord, on observe une très grande disparité géographique.

Cette disparité permet difficilement de porter une telle appréciation. Il y a des départements et des régions qui sont globalement assez bien équipés et d'autres qui ressemblent à des déserts, notamment vis-à-vis de certains handicaps précis ou de certaines difficultés.

Il faut ensuite souligner la très grande disparité entre les handicaps.

Il est toujours délicat de parler trop généralement du handicap, de l'intégration et de la scolarisation. Les modalités de scolarisation doivent obligatoirement être différentes et adaptées selon que l'on a affaire, par exemple, à un handicapé mental profond, à un handicapé moteur ou sensoriel doté de toutes ses facultés intellectuelles ou encore à un enfant présentant des troubles du comportement et de la conduite. Il s'agit de cas extrêmement différents et il n'est pas possible de regrouper tous les handicapés en une seule catégorie. La réalité est qu'il n'y a que des personnes vivant des situations de handicap, pour lesquelles la pédagogie spécialisée et la prise en charge spécialisée existent, mais selon des modalités d'application différentes.

Il y a enfin une évolution constante des établissements.

Certains ont démarré assez tôt et d'autres plus tardivement, mais il se construit généralement en leur sein un travail très important, pas toujours de scolarisation, mais d'éducation et de prise en charge médico-éducative. Ces établissements ont développé, petit à petit, une politique d'intégration scolaire, dans le cadre de laquelle ils se sont peu à peu transformés en services de soins et d'accompagnement et seront également amenés à se transformer progressivement en centres de ressources. Chaque établissement et chaque association gestionnaire l'ayant fait à son rythme, le mouvement est toutefois bien en marche et a connu une certaine accélération depuis deux ans.

En ce qui concerne les services, il est globalement possible de dire qu'ils sont en phase avec les demandes des familles. Ils permettent l'accompagnement et constituent l'outil technique médico-éducatif et pédagogique indispensable à la réalisation de la politique d'intégration scolaire. A nos yeux, ils présentent toutefois trois insuffisances : ils sont globalement en nombre insuffisant ; ils sont beaucoup trop inégalement répartis géographiquement ; ils devraient comporter obligatoirement des enseignants spécialisés.

S'agissant de cette troisième insuffisance, je précise que la présence d'enseignants spécialisés au sein de ces services d'accompagnement est prévue par l'annexe 24 du décret du 9 mars 1956 et que l'enseignant spécialisé est peut-être le meilleur interlocuteur pour favoriser l'intégration scolaire de l'enfant dans une école, un collège ou un lycée. Il est sans doute celui dont l'action aura le plus d'impact et qui saura le mieux expliquer les difficultés que rencontre un enfant et ses besoins d'intégration et de scolarisation.

Enfin, j'insiste sur le fait qu'il n'y a pas et qu'il ne doit pas y avoir concurrence entre les services et les établissements. La complémentarité s'impose. Certains enfants ont besoin, à un certain moment, d'un établissement spécialisé, avant de pouvoir accéder à une scolarisation ordinaire par l'intermédiaire d'un SESSAD. A l'inverse, un enfant pour lequel l'intégration serait quelque chose d'irréaliste doit pouvoir bénéficier à tout moment d'un institut spécialisé. Les passerelles sont quelque chose d'extrêmement important et la souplesse du fonctionnement doit être la règle.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous venez de faire allusion à l'intégration scolaire en milieu ordinaire, qui reste tout de même aujourd'hui très minoritaire. Quels sont à votre avis les obstacles les plus fréquents en la matière ?

M. François MARTIN - Je rappelle que l'intégration, en tant qu'objectif, ne nécessite pas les mêmes modalités selon l'enfant handicapé auquel on s'adresse. La nature et l'évolutivité de ses difficultés, la somme de ses potentialités, son âge, la disponibilité de sa famille et son domicile par rapport aux équipements existants sont autant d'éléments à analyser et à prendre en compte. En même temps, le souhait d'intégration représente actuellement un grand mouvement à caractère solidaire et humaniste : il s'agit de l'accès aux droits pour chacun. C'est certainement le fond de la réflexion en vue d'une nouvelle législation.

Je n'ai pas nécessairement envie de parler d'obstacles, mais je vais tout de même évoquer ce point pour répondre à votre question. Cette affaire d'intégration opposée à la ségrégation est une affaire politique et culturelle. Le mouvement évoqué plus haut est en fait un changement de regard sur la personne handicapée et des modalités d'intervention qui sont en train de changer radicalement. Pour simplifier, je dirais que nous sommes en train de passer d'une logique de filières à une logique de parcours individuels pour la personne elle-même. En ce qui concerne les propositions, je voudrais en évoquer quelques-unes qui recouvrent en même temps les difficultés.

A l'heure actuelle, nous émettons deux souhaits majeurs.

Nous ressentons d'abord la nécessité d'instaurer dans notre pays un grand débat national sur la situation du handicap et sur l'intégration.

Qu'en est-il des résistances, des inerties diverses et des freins culturels ? Sans cette analyse précise, des avancées nouvelles seront difficiles. Qu'en est-il de ce consensus, voire de cette unanimité, que l'on retrouve peut-être un peu trop facilement dès qu'il s'agit de voter une loi à propos des personnes handicapées ? Cela voudrait-il dire qu'il n'y a pas réellement place à un débat contradictoire et qu'il ne s'agirait donc pas d'un sujet de débat socio-politique ? Nous le craignons !

Nous ressentons également la nécessité de favoriser localement la véritable mise en place d'une politique d'intégration.

L'échelon départemental nous semble actuellement le mieux adapté pour cette politique, sans pour autant exclure les autres acteurs locaux. Cette démarche indispensable sur l'ensemble du territoire se met en place progressivement dans un certain nombre de départements et l'action associative n'y est pas étrangère. Elle fait, par contre, défaut et de manière criante dans un certain nombre d'autres départements.

Des progrès urgents sont notamment à faire dans la formation des enseignants et des responsables de l'Education nationale à tous niveaux. Je pense à la plus grande précision des rôles nouveaux des commissions départementales de l'éducation spéciale ; à la création en grand nombre et au développement des services spécialisés d'accompagnement de l'intégration là où ils font cruellement défaut ; au fonctionnement et à l'utilisation de groupes Handiscol ; à la mise en place de services d'auxiliaires d'intégration à la vie scolaire, complémentaires des services spécialisés, existant ou à créer.

Outre le fait qu'il s'agit d'un problème culturel, c'est aussi un problème d'adaptation de l'école, dont la solution passera par la présence d'enseignants spécialisés là où ils sont nécessaires, mais également par une formation a minima des enseignants ordinaires leur permettant d'accueillir dans de bonnes conditions les enfants handicapés. Il ne s'agit pas pour eux de tout savoir sur le handicap de l'enfant, mais prioritairement de savoir travailler avec d'autres.

M. Paul BLANC, rapporteur - Cela implique un enseignement obligatoire dans les instituts universitaires de formation des maîtres.

M. René BERNARD - Oui, ainsi que dans la formation continue. En effet, une simple formation initiale au niveau de l'UFM ne suffit pas lorsqu'un enseignant se retrouve confronté pour la première fois, cinq ans après cette formation, à l'arrivée d'un enfant handicapé dans sa classe. A ce moment-là, il est bon de pouvoir faire appel à une aide pour accueillir cet enfant.

M. Nicolas ABOUT, président - La formation de base permet tout de même une approche du problème, sachant que les enseignants devront, par la suite, s'adapter à chaque déficience et que chacune de ces déficiences nécessitera probablement une remise à niveau de l'enseignant. Ce dernier ne peut être un expert dans tous les domaines du handicap, dans la mesure où les médecins ne le sont pas eux-mêmes. Bien souvent, ce sont les personnes handicapées elles-mêmes qui sont plus compétentes que les médecins qu'elles rencontrent !

Il faut donc, dans ce domaine, une formation très poussée et des enseignants formés aux différents types de handicaps sur une même commune, pour ce qui est des communes moyennes, pour pouvoir accompagner ces enfants.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez évoqué le plan Handiscol. Quel en est le bilan et que pensez-vous de l'utilisation des auxiliaires d'intégration scolaire, qui sont des emplois-jeunes ?

M. François MARTIN - De notre point de vue, Handiscol est une bonne idée. Il constitue un lieu de rencontre, d'évaluation et de débat prospectif. Il donne la parole aux usagers, aux professionnels, aux administrations et aux associations. Ce lieu de rencontre était donc nécessaire.

Par ailleurs, un certain nombre de rôles et de missions qui lui sont confiés relèvent ou auraient normalement dû relever des commissions départementales de l'éducation spéciale, qui n'ont pas pu ou su faire ce qui leur avait été demandé à leur création en 1975. Je pense par exemple à l'état des lieux constant des demandes et de la possibilité, pour un département ou pour une région, de répondre aux besoins. Les commissions départementales de l'éducation spéciale n'ont que rarement assuré cette tâche. Handiscol va en être chargé.

La principale difficulté pour Handiscol consiste en l'inégale mise en place et en l'inégal fonctionnement des groupes Handiscol en France. Dans certains départements, cette mise en place est purement formelle et ne présente donc que peu d'intérêt. Dans d'autres départements, des groupes de travail et une dynamique de réflexion permettent au contraire à cette structure d'être en mesure de faire avancer les choses. En tout cas, Handiscol constitue, à notre point de vue, un outil non pas directement au service des familles ou des parents à titre individuel, mais plutôt un outil institutionnel. A ce titre, on pourrait imaginer qu'Handiscol pourrait remplir deux missions qui ne sont pas inscrites dans les textes, mais qui pourraient tout de même lui être confiées. Handiscol pourrait ainsi être l'organe garant du service départemental d'auxiliaires d'intégration. Handiscol pourrait également être un centre de ressources au service des associations de parents, des professionnels et des administrations.

En ce qui concerne les auxiliaires d'intégration, ils constituent un progrès. Cette fonction d'aide s'exerce à deux niveaux : permettre la mise en situation d'intégration scolaire des enfants qui n'y étaient pas et améliorer les conditions d'accueil d'enfants qui étaient déjà en situation d'intégration scolaire.

C'est une fonction extrêmement délicate car elle repose sur le pari de confier l'enfant en difficulté à une personne supplémentaire avec l'objectif de permettre à cet enfant de conquérir son autonomie. Cela signifie que l'auxiliaire d'intégration scolaire se voit confier un rôle paradoxal qui consiste à aider encore un peu plus l'enfant afin de l'aider à devenir autonome. Les difficultés sont multiples : l'auxiliaire d'intégration scolaire ne doit pas faire écran ; l'auxiliaire d'intégration scolaire ne doit pas se substituer à l'enfant ; l'auxiliaire d'intégration scolaire ne doit pas se substituer à l'enseignant.

La Fédération nationale des associations d'aide à la scolarisation des personnes handicapées réalise dans ce domaine un travail très important. Le travail des auxiliaires d'intégration scolaire ne peut se faire que s'il existe, de façon institutionnelle, une liaison constante et quotidienne, non seulement avec l'enseignant, mais également avec les personnels qui dépendent des services spécialisés et qui interviennent aussi auprès de l'enfant. Si ces auxiliaires d'intégration scolaire ne font pas partie des services spécialisés, ils doivent néanmoins travailler en commun, dans le respect du projet pédagogique individuel de l'enfant. L'auxiliaire doit donc être, comme en grammaire, celui qui aide à conjuguer.

En ce qui concerne le financement, l'ANCE ne s'en préoccupe pas au premier chef, ce qui ne signifie pas qu'elle s'en désintéresse. Nous n'avons pas approfondi la question, mais il est clair que nous serions assez favorables à un financement public, et non pas au sponsoring. En outre, pour vous livrer le fond de notre pensée, nous trouverions logique que ce financement soit assuré par l'Education nationale, dans la mesure où il s'agit bien de l'affaire de l'Ecole.

M. Paul BLANC, rapporteur - Si je vous ai bien compris, vous placez les commissions départementales de l'éducation spéciale au coeur du dispositif en charge des enfants handicapés, tout en soulignant qu'elles mériteraient peut-être d'être réformées. Comment verriez-vous l'organisation de tous ces acteurs, l'Education nationale, la DDASS, les départements et les communes autour des commissions départementales de l'éducation spéciale ?

M. René BERNARD - C'est effectivement une question très importante, mais qui ne relève pas forcément de l'ANCE. Toutefois, il est exact que la scolarisation des enfants et adolescents handicapés repose, comme vous le soulignez dans votre question, sur un dispositif complexe qui fait intervenir une multitude d'acteurs. Pour les familles, c'est un véritable parcours du combattant dans lequel les plus démunis ont beaucoup de mal à être acteurs du projet de leur enfant. Encore faut-il qu'elles aient trouvé le bon interlocuteur. Or, lorsque les familles se trouvent devant un aréopage de professionnels, même les plus aguerris ont bien du mal à analyser l'offre qui leur est faite et à juger de sa corrélation avec les besoins de leur enfant.

D'une manière générale, les problèmes dans leur complexité ne peuvent être traités valablement qu'au plus près du terrain. Nous pensons que les administrations locales compétentes devraient recevoir, sous la responsabilité du préfet, des enveloppes financières globales qui leur permettraient d'apporter des réponses au plus près des familles. L'idée de guichet unique a souvent été évoquée, dans la mesure où la multiplicité actuelle des structures et des sources de financement du système éducatif pour les enfants handicapés rend les procédures longues et complexes. Les promoteurs sont parfois contraints à une ingénierie financière qui ne devrait pas être de leur ressort. Comme dans d'autres domaines apparaît ainsi la nécessité de confier à un guichet unique le soin de récapituler la totalité des moyens et de rassembler les financements. Toutefois, nous craignons cette pratique bien française qui consiste à créer de nouveaux dispositifs et à les empiler sur les précédents dispositifs. Ainsi, les commissions départementales de l'éducation spéciale, créées par la loi du 30 juin 1975, n'ont jamais eu les moyens de faire ce pour quoi elles ont été créées, c'est-à-dire rassembler et mettre en forme les données qui permettent une vision prospective et préparer les évolutions nécessaires.

Le ministère de l'Education nationale et le ministère de l'Emploi et de la solidarité n'ont pas les moyens de satisfaire ce qui constitue, pour nous, le préalable, c'est-à-dire l'exigence d'une évaluation claire, précise et reconnue par tous du besoin. Cela signifie rendre lisibles et exploitables les informations collectées par les commissions départementales de l'éducation spéciale. Ces dernières ont été informatisées, ce qui a pris dix ans. Cela signifie qu'entre les commissions départementales de l'éducation spéciale qui ont été informatisées les premières et celles qui l'ont été les dernières, les informatiques ne communiquent pas !

Il s'agit également de mettre en place un langage commun qui permette à l'Administration et aux usagers de communiquer. A l'heure actuelle, les usagers dressent le constat qu'il manque tel ou tel nombre de places dans tel ou tel département, et l'Etat répond par l'annonce de l'investissement de telle somme d'argent. Or, ce montant ne comporte aucun élément d'information quant au nombre de places supplémentaires qu'il permettra de financer. Nous sommes donc prêts à travailler, comme c'est d'ailleurs notre vocation, avec les ministères, vis-à-vis desquels nous jouons d'une certaine manière un rôle de poil à gratter !

M. Paul BLANC, rapporteur - Ma pratique de ces questions m'a conduit à constater les problèmes inhérents au passage de l'enfance à l'âge adulte. En effet, arrivée à l'âge de la majorité, la personne handicapée passe de la CDES à la COTOREP, entre lesquelles il n'y a pas beaucoup de ponts. Or, l'individu, lui, est toujours le même de sa naissance jusqu'à sa mort ! Avez-vous quelques idées sur les articulations qui pourraient être établies entre la CDES et la COTOREP ?

M. François MARTIN - Pas directement ! En revanche, en guise de réponse, je souhaiterais évoquer ce que nous appelons les centres de ressources. Ces derniers concernent les enfants, mais pourraient tout aussi bien s'adresser aux adultes de façon comparable. Il manque encore aux centres de ressources une définition précise. Les centres de ressources sont un outil au service des familles, des services, des professionnels et du grand public, auxquels ils distribuent des renseignements, de la documentation technique et de l'information en général. Notre opinion est la suivante. Avant de créer une structure nouvelle, il faut s'interroger sur l'existence et la valorisation d'outils déjà existants et capables de répondre à un certain nombre de besoins.

Parmi ces outils existants, nous en avons recensé trois.

Il y a d'abord les commissions départementales de l'éducation spéciale.

Leur rôle implique une capacité à informer, à renseigner et à aiguiller directement les familles en difficulté.

Il y a aussi les équipes relevant des centres spécialisés.

Ces services du secteur médico-social et médico-éducatif ont une capacité à diagnostiquer, à répondre techniquement, à accompagner la réflexion et à participer au traitement. Les établissements et services résolument tournés vers l'intégration représentent un formidable ensemble de centres de ressources. Pourquoi ne pas les utiliser davantage ? Il s'agit pour eux d'une piste d'évolution très intéressante.

Il y a enfin les groupes Handiscol.

Grâce à leur structure départementale et la variété de leur composition, ces groupes comportent en eux-mêmes toutes les ressources dont peuvent avoir besoin une famille, une équipe d'accompagnement ou un service concerné par la démarche de scolarisation en milieu ordinaire.

M. Paul BLANC, rapporteur - Il faudrait les regrouper pour mieux les coordonner !

M. François MARTIN - En effet ! Dans le fonctionnement que je connais de certains groupes Handiscol, la commission départementale de l'éducation spéciale est complètement associée au travail d'Handiscol et est même le principal fournisseur d'informations. Si Handiscol a les moyens d'accomplir le travail souhaité, c'est-à-dire l'adéquation des propositions de traitement et de prise en charge aux besoins locaux, c'est une possibilité. Le fait est que les Commissions départementales de l'éducation spéciale n'en ont que rarement été capables.

Je souhaiterais revenir sur l'idée d'obligation de l'intégration scolaire. Nous ne considérons pas l'intégration scolaire de la personne comme un dogme, mais comme un objectif. La scolarisation en milieu normal est un premier pallier en vue de l'intégration sociale. La situation de l'intégration scolaire est parfois, malheureusement, le résultat de la volonté forcenée d'une famille. Il ne s'agit pas de juger ces familles, mais de les comprendre et de les aider. Toutefois, les enfants, quels qu'ils soient, ne doivent pas faire les frais de cette intransigeance. L'ANCE, qui n'est pas une association gestionnaire de structures, mais un mouvement d'idées, ne parle pas des limites de l'intégration, même si elle sait qu'elles existent. L'ANCE parle plus volontiers des bonnes conditions de l'intégration, en essayant de se placer du point de vue de l'enfant.

Cette situation d'intégration vaut la peine d'être vécue à deux conditions.

Que l'enfant se sente bien car il y a, en situation d'intégration scolaire, des enfants qui souffrent du rythme, du regard des autres et des conditions qui leur sont données, ce qui est inacceptable.

Que l'enfant soit en situation de progresser. Ce progrès ne s'entend pas uniquement sur le plan social et éducatif, mais également sur le plan scolaire, c'est-à-dire qu'il y fasse des apprentissages.

De notre point de vue, si ces deux conditions ne sont pas réunies, la place de l'enfant est davantage dans un centre spécialisé, même pour une durée limitée.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je trouve très intéressant ce point de vue, que je partage pleinement.

M. Nicolas ABOUT, président - Je remercie les deux intervenants et je crois que la conclusion qui vient d'être faite est essentielle. Elle pose clairement l'objectif de maintenir toujours la possibilité de progresser. Le reste ne consiste qu'en une somme d'outils, l'idée étant d'intégrer les personnes en leur offrant toujours la possibilité de progresser.

E. AUDITION DE MM JEAN-PIERRE PHILIBERT, DIRECTEUR DES RELATIONS AVEC LES POUVOIRS PUBLICS, DOMINIQUE TELLIER, DIRECTEUR DES RELATIONS SOCIALES, ET MME CATHERINE MARTIN, DIRECTRICE DE L'EMPLOI, DU MOUVEMENT DES ENTREPRISES DE FRANCE ( MEDEF)

M. Nicolas ABOUT, président - Dans le cadre de ses auditions sur la politique du handicap, notre commission a souhaité accorder une large place à la question de l'insertion professionnelle des personnes handicapées, compte tenu des difficultés persistantes, notamment pour l'insertion durable en milieu de travail ordinaire. A ce titre, il nous a semblé nécessaire de recueillir l'avis des employeurs et donc du MEDEF, dont vous êtes ici les représentants.

M. Jean-Pierre PHILIBERT, directeur des relations avec les pouvoirs publics - Je laisserai Mme Martin et M. Tellier vous expliquer l'originalité de la démarche qui a été la nôtre par l'intermédiaire du réseau pour l'emploi des PH et l'intérêt de ce réseau. Nous avons répondu à votre demande car il s'agit de constats et de préoccupations que nous partageons. C'est donc très volontiers que nous sommes ici pour en parler avec vous et essayer de vous faire part de nos expériences de terrain, sur le thème de la meilleure intégration des personnes handicapées dans l'entreprise. Nous vous communiquerons les derniers chiffres dont nous disposons. Nous attendons beaucoup de cet échange de vues sur des préoccupations partagées.

M. Dominique TELLIER, directeur des relations sociales - Je souhaite également vous exprimer notre reconnaissance de nous avoir associés à cette audition. L'emploi des personnes handicapées fait partie des axes majeurs de réflexion et d'intérêt du MEDEF pour deux raisons principales.

D'abord, les entrepreneurs sont attachés à un réel respect de l'éthique, ainsi que l'a affirmé le Président Ernest-Antoine Seillères au cours de notre assemblée générale de janvier 2001. Notre objectif en la matière est d'offrir les mêmes opportunités à tous, qu'ils soient handicapés ou non, aussi bien en matière d'embauche, d'évolution salariale et de déroulement de carrière.

Ensuite, l'évolution démographique de notre pays fait qu'à très court terme, les entreprises seront amenées à devoir faire appel à toutes les compétences et il serait réellement dommage de négliger celles des salariés handicapés.

Dans ce contexte, les instances du MEDEF, et en particulier son instance décisionnelle, qui est le Conseil exécutif, ont à plusieurs reprises débattu de cette question, avec pour objectif d'amplifier l'action déjà conduite depuis l'origine par les MEDEF territoriaux et les fédérations professionnelles, mais aussi de rationaliser et de professionnaliser l'action menée par nos structures en faveur de l'emploi des personnes handicapées et de rendre visible ce que font les entreprises et de le valoriser, dans la mesure où il leur est souvent reproché une forme d'immobilisme qui ne correspond pas exactement à la réalité.

C'est dans cette triple optique que nous avons mis en place le réseau handicap et emploi dont Jean-Pierre Philibert vient d'évoquer la création, ainsi qu'un comité permanent chargé de ce problème de l'emploi et des personnes handicapées. L'intérêt que les entreprises portent à cette question est donc bien réel.

Aujourd'hui, le réseau handicap et emploi compte une centaine d'adhérents, aussi bien dans les MEDEF territoriaux que dans les branches professionnelles et les associations chargées de l'emploi des personnes handicapées. Son objectif est d'amplifier les actions en faveur de l'emploi des personnes handicapées en créant des synergies entre les acteurs par l'échange d'expériences et la rationalisation des moyens mis en oeuvre, de rendre ces actions visibles et de manifester publiquement l'intérêt des entreprises pour l'emploi des personnes handicapées.

De ce point de vue, les entreprises n'ont pas à rougir de ce qu'elles ont fait en la matière, puisque en l'espace de dix ans, elles ont consacré un peu plus de 3 milliards d'euros à l'emploi des personnes handicapées, dont 410 millions d'euros en 2001. Sur 840.000 personnes handicapées, les entreprises du secteur privé en emploient 350.000, contre 148.000 dans le secteur public. Nous constatons qu'en 2001, les entreprises privées de plus de 20 salariés ont recruté 8.000 personnes handicapées de plus que l'année précédente. Nous observons également qu'elles ont maintenu le niveau d'embauche de personnes handicapées à un peu plus de 100.000 en 2001, c'est-à-dire le même chiffre qu'en 2000, à comparer avec la diminution du niveau de création d'emplois dans le secteur privé pour l'ensemble des salariés, qui est passé de 560.000 en 2000 à 210.000 en 2001. L'effort en matière d'emploi des personnes handicapées a donc été largement maintenu en 2001.

Cette action réelle des entreprises en faveur des personnes handicapées ne peut pas occulter une difficulté qui demeure, puisque nous constatons que le taux d'emploi des personnes handicapées dans les entreprises privées reste sensiblement égal à 4 %, alors que la loi en a fixé le taux obligatoire à 6 %, se fondant en cela sur des données qui, au moment de leur adoption, nous ont largement échappé et que nous ne comprenons toujours  pas !

Il n'en demeure pas moins que si les entreprises n'ont aucune réticence à favoriser le recrutement de personnes handicapées, elles sont confrontées à des difficultés qui expliquent certainement ce chiffre de 4 %. J'en verrais trois principales :

Premièrement, on ne peut que regretter que le niveau de formation des personnes handicapées demeure globalement faible. Force est de constater que 85 % d'entre elles ont un niveau inférieur ou égal au CAP, pour ce qui est des demandeurs d'emploi, alors que pour l'ensemble de la population il est à 70 % égal au CAP.

Deuxièmement, la population handicapée est une population vieillissante et globalement plus âgée que la population active française dans son ensemble, ce qui a pour effet d'entraîner un taux de départ en retraite assez élevé, qui nécessite un effort d'embauche important pour maintenir le taux d'emploi actuel à 4 %.

Troisièmement, le dispositif chargé du placement des personnes handicapées, le réseau Cap Emploi mis en place par l'AGEFIPH et qui est entièrement financé par les entreprises du secteur privé employant plus de 20 salariés, place les personnes handicapées à hauteur de 52 % dans les entreprises non-assujetties à l'obligation, c'est-à-dire les entreprises de moins de 20 salariés. Or, à partir du moment où les personnes handicapées sont placées dans des entreprises de moins de 20 salariés, il est évident que cela ne fait pas monter le taux de l'emploi dans les entreprises assujetties ! Il importe donc de bien avoir ces éléments en tête avant d'accorder trop d'importance à ce chiffre de 4 %.

Tout cela traduit certainement un dysfonctionnement du dispositif d'ensemble, qui a sûrement de nombreuses origines, mais tient certainement en priorité au fait que l'Etat ne remplit pas correctement son rôle en matière de développement de la formation initiale, d'accessibilité, de transport et en tant qu'employeur. En outre, l'Etat s'est déchargé financièrement du problème sur les entreprises privées par le biais de l'AGEFIPH, qui est maintenant chargé du financement de la garantie de ressources pour les salariés handicapés travaillant en milieu ordinaire, de l'intégralité du financement du réseau de placement alors que l'Etat en avait sa part, de l'intégralité des aménagements de poste et de la formation professionnelle par l'intermédiaire du financement de l'AFPA par l'AGEFIPH.

Il est évident que de tels dysfonctionnements risquent d'être amplifiés par le cumul de deux législations, pas forcément conciliables entre elles, ce qui constitue une spécificité bien française ! Je fais ici référence au système des quotas, reposant sur le quota des 6 % et la possibilité de s'en affranchir en contrepartie d'un versement financier à l'AGEFIPH, cumulé avec la nouvelle loi sur les non-discriminations. Cette dernière constitue une méthode chère à l'Europe et aux pays anglo-saxons. Toutefois, le cumul des deux constitue une spécificité totalement française, qui n'est sans doute pas de nature à encourager les efforts engagés par les entreprises privées.

Je crois donc qu'il est grand temps d'engager des réformes, d'abord en mettant en place un dispositif beaucoup plus lisible que le dispositif actuel et qui permette une réelle progression des mentalités. Les entreprises s'y emploient énergiquement et il serait bon que l'Etat et toutes les organisations qui s'occupent avec le plus grand dévouement des personnes handicapées, passent d'une culture d'assistance, qui est véritablement le fondement de notre culture française, à une culture d'intégration, de manière à donner toute leur place aux citoyens handicapés, au même titre qu'aux autres citoyens. Au sein d'une Europe qui est désormais bien installée, la France doit cesser de jouer la carte de la spécificité dans ce domaine.

M. Paul BLANC, rapporteur - Aujourd'hui, l'expérience prouve qu'il est extrêmement difficile de passer du secteur protégé au milieu ouvert. Comment expliquez-vous cette difficulté ?

M. Dominique TELLIER - Nous ne pouvons effectivement que partager ce constat.

Nous attribuons ces difficultés à deux raisons fondamentales.

Dans le secteur protégé, les individus sont protégés ! Il est donc toujours dans l'esprit des familles et des intéressés eux-mêmes plus rassurant de rester dans ce secteur protégé.

Les ateliers protégés ont eu en outre une tendance naturelle à vouloir garder leurs meilleurs éléments. Or, ces derniers sont précisément ceux qui seraient susceptibles de s'intégrer le plus facilement dans le secteur ouvert.

M. Paul BLANC, rapporteur - Si je vous comprends bien, le problème vient de ce que l'on exige de plus en plus du secteur protégé qu'il affiche des rendements de plus en plus proches de ceux du secteur privé.

M. Dominique TELLIER - Vous pouvez l'exprimer ainsi. Le fait est que les ateliers protégés doivent pouvoir fonctionner et s'inscrire dans un schéma d'ensemble. Ils sont donc dans une situation économique qui les pousse à vouloir conserver leurs meilleurs éléments.

J'évoquerai également une troisième raison, en disant que notre système d'aide financière fait qu'il est sans doute plus intéressant, pour les personnes handicapées elles-mêmes, de rester dans le secteur protégé que d'entrer dans le secteur ouvert. Telles sont, à nos yeux, les trois raisons qui expliquent la difficulté de passer d'un secteur à l'autre.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez indiqué que les entreprises privées avaient créé 8.000 emplois nouveaux de personnes handicapées. Or, dans le même temps, je constate que le nombre d'entreprises cotisant à l'AGEFIPH est passé de 44.400 en 1997 à près de 49.000 en 2001. Cela signifie que ce sont toujours les mêmes entreprises qui embauchent de plus en plus de personnes handicapées et qu'il y a donc une forte disparité dans les pratiques des entreprises en la matière.

M. Dominique TELLIER - Vous faites ici référence aux établissements assujettis à la contribution compensatrice. Nous pouvons effectivement nous interroger sur la pertinence de retenir le critère du nombre d'établissements assujettis au versement de la contribution compensatrice. Je voudrais tout d'abord souligner, en réponse aux chiffres de 49.000 contre 44.400 que vous avez évoqués, le fait que seules 27.700 entreprises versent l'intégralité de cette contribution compensatrice. Cela signifie que les autres comptent des personnes handicapées parmi leurs effectifs, et ne versent donc qu'une partie de ladite contribution compensatrice. C'est la raison pour laquelle je souligne que cet indicateur n'est pas nécessairement très pertinent. En effet, cette donnée globale ne permet pas de connaître le nombre de personnes handicapées au sein des effectifs de ces entreprises.

Par ailleurs, je souhaiterais à ce sujet formuler deux observations.

La loi autorise les entreprises à remplir leurs obligations par ces versements. Il ne faut donc pas mettre ces 27.700 entreprises au pilori ! En outre, les entreprises qui ont le plus fort taux de contribution libératoire sont les PME. Or, c'est bien au sein des PME qu'il est le plus difficile de trouver les modes d'organisation qui soient compatibles avec l'emploi des personnes handicapées.

La reconnaissance de l'état de handicapé est de plus quelque chose de personnel. L'intéressé n'est nullement obligé d'en faire état. Or, nous constatons que dans beaucoup d'entreprises, bon nombre de personnes handicapées ne sont pas déclarées comme telles. Cet indicateur doit donc être manipulé avec précaution car il n'est pas forcément tout à fait révélateur de la situation.

M. Paul BLANC, rapporteur - Il est tout à fait clair que certaines entreprises ne peuvent pas recruter de personnes handicapées en fonction de la nature de leur activité et de leur taille.

Quel jugement portez-vous sur le dispositif de placement et d'accompagnement des travailleurs handicapés qui relève principalement du réseau Cap Emploi et de l'ANPE ?

M. Dominique TELLIER - Vous me posez une question un peu plus délicate ! L'AGEFIPH, qui constitue la tête de réseau des Cap Emploi, est un organisme collecteur géré de manière tripartite. Dans la mesure où je participe à la définition des politiques menées par l'AGEFIPH, vous comprendrez qu'il m'est un peu difficile de considérer qu'elle n'est pas satisfaisante et de répondre plus avant à votre question !

M. Paul BLANC, rapporteur - Certes, mais ce n'est que depuis trois ans que l'AGEFIPH finance intégralement les Cap Emploi. Auparavant, ce financement était assuré à 80 % par l'Etat, le reste étant le plus souvent assuré par les conseils généraux. D'une certaine manière, le financement des Cap Emploi par l'AGEFIPH a constitué, pour l'Etat, un moyen de se défausser d'une de ses tâches régaliennes de solidarité.

M. Dominique TELLIER - Je suis entièrement d'accord avec vous et j'ai d'ailleurs souligné dans mon exposé introductif qu'il y a effectivement un désengagement financier de l'Etat, même si ce dernier ne désespère pas de voir l'AGEFIPH jouer le rôle qu'il souhaiterait, ce qui est contradictoire. Pour notre part, nous avons tendance à considérer que l'AGEFIPH est un organisme dont les fonds proviennent exclusivement des entreprises. C'est par conséquent à l'AGEFIPH et à son conseil d'administration tripartite qu'il revient de définir la politique qu'elle entend mener en la matière, et non de se cantonner à un rôle de transmission des desiderata de l'Etat. Le problème concerne donc l'indépendance de la politique que souhaitent mener les acteurs qui composent l'AGEFIPH.

S'agissant de la structure des Cap Emploi, il convient de constater que très souvent, à l'origine ces organismes de placement sont issus des milieux associatifs du monde des personnes handicapées. Il est donc compréhensible qu'ils s'orientent vers une logique de placement partant de la demande et de l'état des salariés handicapés. La logique de l'entreprise est différente. L'entreprise a une offre d'emploi et est éventuellement prête, notamment à travers notre réseau, à procéder aux aménagements nécessaires pour faire coïncider leur offre avec les demandeurs, mais il ne faut pas inverser le mécanisme. Qu'on le veuille ou non, les entreprises, quelle que soit l'intensité de leur engagement citoyen, ont également pour vocation de produire de la richesse. Il faut donc prendre le problème par le bon bout et ne pas raisonner à l'envers.

M. Paul BLANC, rapporteur - Il est demandé à Cap Emploi d'insérer dans le monde du travail des personnes handicapées. Or, il semble inconcevable de placer un travailleur handicapé sans accompagnement dans une entreprise. Les associations placent souvent la personne handicapée au centre du dispositif, dans la mesure où elle a besoin d'un service de suivi et d'accompagnement. Je considère donc que la personne handicapée doit figurer au centre du dispositif, et que le problème ne peut être traité sous le seul angle de la logique d'entreprise.

M. Nicolas ABOUT, président - Avant que M. Tellier réponde, je voudrais faire observer que depuis le début de l'entretien, le terme de personnes handicapées est systématiquement utilisé. Or, il s'agit avant tout de travailleurs souffrant d'une déficience, que le monde du travail et la société ont simplement à compenser pour faire en sorte que ce travailleur puisse, dans son travail, donner son plein rendement. Il faut donc cesser de parler des handicapés, dans la mesure où l'emploi de ce terme donne à penser que ces personnes se définissent avant tout par leur handicap, et non par ce qu'elles sont en mesure d'apporter par leur travail. Ces personnes peuvent être rentables ! Je considère donc qu'il convient de ne pas parler de handicapés, mais de travailleurs qui sont handicapés.

M. Dominique TELLIER - J'apprécie votre remarque au sujet des raccourcis de langage, mais je crois avoir parlé à plusieurs reprises de travailleurs ou de salariés handicapés ! Cela dit, je partage tout à fait votre analyse sur ce point. Néanmoins, sur le même modèle, je distingue entre les différentes entreprises et l'incapacité dans laquelle se trouvent certaines d'accueillir des travailleurs handicapés.

Pour revenir à la question de M. le Rapporteur sur Cap Emploi, nous comprenons très bien leur logique, mais ce qui me frappe, c'est que nos MEDEF territoriaux se sont beaucoup mobilisés sur la sensibilisation et l'information des entreprises et la recherche des offres d'emplois. Or, dans un nombre non-négligeable de cas, les Cap Emploi ne sont pas en mesure de satisfaire les offres que lesdites entreprises leur font parvenir, en raison de la difficulté à faire cet ajustement. Il importe donc de savoir faire se rejoindre deux raisonnements et cela illustre, de notre point de vue, une certaine déficience au niveau des Cap Emploi.

M. Paul BLANC, rapporteur - Se pose également le problème de la formation professionnelle. En outre, s'agissant du placement des travailleurs handicapés, l'ANPE s'est, dans un certain nombre de départements, complètement déchargée de ses responsabilités sur les Cap Emploi, dont je rappelle qu'elles sont des structures de droit privé. Comment percevez-vous donc le rôle de l'ANPE en matière de placement ?

Mme Catherine MARTIN, directrice de l'Emploi - Il est clair que l'ANPE éprouve des difficultés sur ce dossier, que les agents qui sont dans les agences locales pour l'emploi (ALE) ne sont pas formés à ce type d'activités et que pendant très longtemps, l'ANPE a connu des difficultés avec son personnel, ce qui n'est plus le cas depuis un an ou deux. Cette récente amélioration est due à l'augmentation du financement de l'ANPE, y compris par l'AGEFIPH, pour un résultat pourtant médiocre. En effet, en dépit de l'accord signé avec les partenaires sociaux dans le cadre de l'indemnisation du chômage, l'action collective est toujours privilégiée. Je crois que, pour les demandeurs d'emplois handicapés, cela n'est pas la bonne solution puisqu'ils ont besoin d'une aide plus spécifique que l'ensemble des demandeurs d'emplois, alors même que l'ANPE classe les demandeurs d'emplois et les services qui leur sont rendus en différentes catégories. Il est clair que l'ANPE n'est pas équipée pour rendre ce service aux demandeurs d'emplois.

En outre, comme le souligne Dominique Tellier, ce sont les entreprises qui déposent les offres. Elles ne déposent pas toutes leurs offres à l'ANPE pour des raisons connues de nous tous, et il est exact qu'elles ont souvent tendance à déposer des offres qui sont peut-être moins faciles à pourvoir pour des catégories de publics en difficulté, qu'il s'agisse de demandeurs d'emplois handicapés, de chômeurs de longue durée ou de femmes isolées ou en difficulté. L'ANPE est tout de même un service public et il est dommage qu'elle ne soit pas plus performante concernant ces catégories de personnes.

M. Nicolas ABOUT, président - Vous avez dit que l'AGEFIPH subventionne l'ANPE, mais dans quels types d'actions ?

Mme MARTIN - Il existe une convention de partenariat entre l'AGEFIPH et l'ANPE, la première finançant la seconde à hauteur de 5 millions de francs et lui indiquant, en fonction de certaines actions menées, ce que devrait faire l'ANPE en tant que service public de l'emploi.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je crois qu'il s'agit surtout du financement des prospecteurs placiers, qui s'occupent plus particulièrement des personnes handicapées.

Nous avons précédemment évoqué les aides financières à l'emploi pour les personnes handicapées. Comment jugez-vous l'efficacité de ces aides financières ? Si je vous ai bien compris, vous souhaiteriez qu'il y ait un fonctionnement différent de l'AGEFIPH. Comment envisageriez-vous ce fonctionnement ?

M. Dominique TELLIER - Vous connaissez l'attachement du MEDEF au développement du dialogue social et la conception qu'il en a comme instrument de régulation sociale. Nous ne souhaitons pas que l'AGEFIPH soit un instrument de la politique de l'Etat, mais bien l'instrument de la politique souhaitée par les trois acteurs qui sont présents au sein de son conseil d'administration en faveur de l'emploi des personnes handicapées. C'est davantage sur ce point précis que nous souhaitons des réformes. Pour le reste, je crois que les financements de l'AGEFIPH n'appellent pas beaucoup de commentaires de notre part, sauf lorsque l'Etat est amené à se désengager financièrement en imputant au budget de l'AGEFIPH des financements qui, jusqu'alors, lui incombaient.

M. Paul BLANC, rapporteur - Qu'en est-il du dialogue social vis-à-vis du travail des personnes handicapées ?

M. Dominique TELLIER - Il existe ! Une centaine d'accords a été conclue, à ma connaissance, dans les grandes entreprises. De notre point de vue, c'est incontestablement le facteur d'amélioration de la situation de l'emploi des travailleurs handicapés. Pour le moment, ce dialogue social se heurte à deux types d'obstacles.

D'abord, l'Etat met des conditions et des contraintes à l'agrément des accords qui ne font que décourager les entreprises les plus impliquées.

Ensuite, les organisations syndicales ne manifestent pas un enthousiasme forcené pour aborder ces questions dans le cadre du dialogue social d'entreprise ou de branche.

M. Paul BLANC, rapporteur - Ne pensez-vous pas qu'il serait bon que les associations de handicapés vinssent se joindre à ce dialogue social ?

M. Dominique TELLIER - Il faut veiller à ne pas mélanger les genres. L'entreprise compte deux acteurs que sont le chef d'entreprise et les salariés, éventuellement handicapés. Ces derniers ayant vocation à être représentés, comme les autres salariés, par les organisations syndicales. La définition des règles du jeu dans l'entreprise est donc le fait du chef d'entreprise et des représentants naturels des salariés que sont les organisations syndicales. Le problème est le même au niveau de la branche professionnelle, voire au niveau interprofessionnel. Les associations de handicapés, qui sont éminemment respectables, ont pour vocation de faire connaître aux acteurs de la vie économique les besoins qui sont ceux des personnes handicapées, mais il appartient ensuite aux acteurs de fixer les normes.

M. Paul BLANC, rapporteur - Cela voudrait dire que les associations pourraient engager le dialogue en amont avec vous-mêmes et parallèlement avec les organisations syndicales ?

M. Dominique TELLIER - Elles ne se privent pas de s'adresser à nous lorsqu'elles ont des messages à nous faire passer et elles sont toujours les bienvenues.

M. Paul BLANC, rapporteur - Mais ce n'est pas institutionnalisé ?

M. Dominique TELLIER - Non, cela ne serait pas une bonne méthode. L'excès d'institutionnalisation a tué, dans ce pays, une bonne partie de notre dialogue social. Il n'est donc pas nécessaire de surenchérir dans le domaine de l'institutionnalisation.

M. Paul BLANC, rapporteur - Que pensez-vous des incitations financières à l'emploi de personnes handicapées et des résultats qu'elles génèrent ?

Mme Catherine MARTIN - Ces aides sont de plusieurs sortes. Il y a les aides à l'entreprise et les aides aux demandeurs d'emploi ou aux salariés handicapés.

Dans un certain nombre de cas, c'est réellement une bonne méthode, notamment en ce qui concerne les aménagements de postes ou la formation professionnelle des demandeurs d'emploi ou les salariés handicapés.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous faites ici référence au rôle de l'AGEFIPH. Je pensais surtout aux exonérations de charges patronales autorisées par certains dispositifs.

Mme Catherine MARTIN - A ma connaissance, il y a de moins en moins d'exonérations de charges liées à un contrat de type particulier. En fait, hormis le Contrat Initiative Emploi, je ne crois plus qu'il y ait d'exonérations de charges. En ce qui concerne les entreprises privées, je ne sais pas à quel type d'exonérations spécifiques vous faites allusion en matière d'emploi des personnes handicapées. Il existe des exonérations de charges en matière de contrats de qualification ou d'apprentissage, mais qui entrent dans le régime général et ne sont pas spécifiques au domaine des travailleurs handicapés.

M. Jean-Pierre GODEFROY - M. Tellier vient d'évoquer les deux obstacles qu'il identifiait. Je n'aborderai pas le problème des syndicats, à qui il revient d'expliquer les raisons pour lesquelles ils ne feraient pas preuve d'un enthousiasme particulier pour aborder la question de l'intégration des travailleurs handicapés dans l'entreprise. En revanche, pourriez-vous nous expliquer quelles sont les conditions d'agrément fixées par l'Etat qui tendent à décourager les initiatives en la matière ?

M. Jean-Claude ETIENNE - Mme Martin a regretté que l'ANPE ne soit pas plus performante dans le domaine de l'intégration des personnes handicapées dans le monde du travail. Je souhaiterais savoir si elle a des suggestions à formuler pour améliorer l'efficacité de l'ANPE dans ce domaine.

Mme Catherine MARTIN - Le problème général de l'ANPE tient à sa situation monopolistique. Les réflexions que nous avons menées dans le cadre de la refondation sociale nous ont conduits à examiner cette question de près. Autant l'ANPE est tout à fait utile pour mettre en relation des pourvoyeurs et des demandeurs d'emplois, autant se pose le problème plus général et plus administratif lié à la réforme de l'indemnisation du chômage mise en oeuvre en 2000. Il nous semble qu'un certain nombre de choses plus spécifiques devraient relever soit de l'UNEDIC, soit de ces organismes très performants relevant du secteur privé que sont les agences de travail temporaire. Or, vous savez comme moi qu'il y a des entreprises de travail temporaire qui s'intéressent de près et avec succès à l'emploi des personnes handicapées. C'est donc une des idées que nous avons pour l'avenir.

M. Paul BLANC, rapporteur - Le domaine des travailleurs handicapés est justement celui où l'ANPE ne détient pas de monopole, puisqu'elle y est concurrencée par les Cap Emploi !

M. Nicolas ABOUT, président - C'est une anomalie de plus ! Je laisse à présent à M. Philibert le soin de conclure.

M. Jean-Pierre PHILIBERT - Je voudrais formuler deux propositions conclusives.

Premièrement, la complication par empilage de deux législations qui, comme l'indiquait Dominique Tellier dans son introduction, génèrent des effets pervers et, s'il faut choisir, notre préférence irait à une loi sur la non-discrimination, plutôt que vers ces lois-quotas, avec la contrepartie que constitue le prélèvement libératoire lorsque ledit quota n'est pas atteint. En matière d'emploi des personnes handicapées et de formation continue, nous avons trop souvent déploré les effets pervers de ces obligations.

Cette obligation a d'abord une connotation fiscale et non pas une incitation civique.

L'effort complémentaire qui a été consenti en matière d'emploi des personnes handicapées s'est inscrit dans le cadre des 35 heures, dont on a souvent dit qu'elles auraient sur les entreprises des conséquences en termes de contraintes d'ajustement dans un environnement très concurrentiel.

Or, en dépit de ces contraintes, les entreprises ont su faire face et ont continué à employer davantage de personnes handicapées qu'elles ne le faisaient les années précédentes. Il y a donc là une formidable mobilisation des énergies et s'il n'y avait pas cet environnement législatif un peu compliqué, qui entrave la négociation, les entreprises seraient encore plus réactives. A ce sujet, je profite de l'occasion qui m'est offerte de m'adresser à la Haute assemblée pour lui indiquer qu'une simplification de l'environnement législatif des entreprises ne se ferait pas au détriment de l'objectif recherché, loin de là. Oui à la négociation, mais non à la sanction !

Deuxièmement, je suis de ceux qui pensent qu'il y a aujourd'hui une extraordinaire contrainte du secteur protégé et qu'il y a des secteurs protégés qui souhaitent évoluer vers un peu plus de mixité entre différentes formes d'emplois et entre différentes formes de handicaps. Les expériences locales sur lesquelles nous nous sommes penchés montrent bien le poids de cette contrainte. Nous nous sommes heurtés à des difficultés avec le ministre de l'emploi pour lui expliquer qu'il était souhaitable d'ouvrir ces centres pour qu'il y ait émulation, via des modes d'organisation un peu moins cloisonnés et peut-être un peu plus intelligents, de manière à conjuguer les différents efforts dans le sens d'une meilleure insertion et d'un meilleur épanouissement du travailleur handicapé dans le monde de l'entreprise.

C'est un vrai sujet, qui nous tient à coeur et au sujet duquel nous sommes prêts à vous revoir pour essayer de trouver des solutions ensemble, mais par la négociation et le dialogue plutôt que par l'adoption de lois couperet !

F. AUDITION DE MM. HERVÉ KNECHT ET SYLVAIN AURION, GROUPEMENT NATIONAL DES ATELIERS PROTÉGÉS - UNION NATIONALE DES ENTREPRISES DE TRAVAIL ADAPTÉ (GAP-UNETA)

M. Nicolas ABOUT, président - Après nous être penchés sur le travail des personnes handicapées en milieu ordinaire, nous abordons à présent le secteur protégé. C'est donc avec le plus vif intérêt que nous allons vous entendre, puisque le GAP-UNETA représente les ateliers protégés. A ce titre, il apparaît donc comme un acteur essentiel de l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés. Je sais aussi que vous avez formulé des propositions fortes pour une modernisation du secteur protégé et je pense que vous pourriez, dans un propos liminaire, nous présenter brièvement le GAP-UNETA et le rôle des ateliers protégés, avant que notre rapporteur et nos commissaires vous interrogent.

M. Hervé KNECHT, président du GAP-UNETA - Merci, monsieur le Président.

En tant que Président du GAP-UNETA, je souhaiterais profiter de cette occasion pour vous éclairer sur le rôle de ce secteur, que je préfère appeler secteur adapté, qui me semble aujourd'hui être une formulation plus juste que celle de secteur protégé.

Les ateliers protégés ont été officiellement créés par la loi du 23 novembre 1957, puis redéfinis par la loi en faveur des personnes handicapées du 30 juillet 1975, dont l'article 19 stipule que les personnes handicapées, pour lesquelles le placement dans un milieu normal de travail s'avère impossible, peuvent être admises dans un atelier protégé. Aujourd'hui, nous sentons un malaise important dans ce secteur, notamment dans le principe de financement, qui se décompose en une aide à la personne, pour compenser son handicap, et une aide à la structure, pour compenser ses surcoûts. L'évolution du secteur est assez forte, puisque nous comptions 98 structures en 1981, contre 538 structures aujourd'hui pour 20.000 salariés, dont 18.300 personnes présentant un handicap.

Le GAP-UNETA, que j'ai l'honneur de représenter ici, qui n'est qu'une de mes activités puisque je suis avant tout chef d'entreprise et créateur d'un atelier protégé, que j'ai créé il y a dix ans avec 200 salariés, fédère ces structures en ateliers différents accueillant des handicaps divers. Ce groupement a une fonction essentielle de lieu d'échange et d'information. Nous constituons une plate-forme de réflexion permanente avec les grandes associations qui sont également des acteurs de ce secteur des ateliers protégés. Le GAP-UNETA intervient régulièrement auprès des ministères, des parlementaires, des grandes associations, des partis politiques, des diverses instances consultatives, etc. Nous faisons aussi des communications régulières, au travers du journal GAP Info et des actions de presse. Nous gérons également le centre de ressources des entreprises adaptées, qui est un outil au service de l'ensemble de ces structures visant à rassembler des moyens, des compétences, organiser des journées de filières professionnelles, de formation, d'étude et un congrès qui constitue pour nous un moment fort.

La difficulté majeure que nous rencontrons aujourd'hui tient à ce qu'il est urgentissime que nous redéfinissions les missions et les moyens pour le secteur adapté, et notamment l'atelier protégé. Nous vivons coincés entre un secteur médico-social et une entreprise ordinaire, avec des difficultés importantes, notamment sur le plan juridique. Nous déplorons également un certain nombre d'aberrations, notamment la garantie de ressources, qui nécessitent d'être sérieusement revisitées.

Nous menons, depuis deux ans une réflexion de fond avec de grandes associations sur une réforme de l'entreprise adaptée en vue de la redéfinition de ses missions, ainsi que de son adaptation et de sa modernisation au service de la personne fragile. Je tiens d'ailleurs à souligner que nous ne sommes pas au service de l'Etat, mais au service de la personne.

M. Paul BLANC, rapporteur - Aujourd'hui, le taux de chômage des personnes handicapées est le double de celui de la moyenne nationale. Quels sont, selon vous, les principaux obstacles de l'accès des personnes handicapées à l'emploi ?

M. Hervé KNECHT - Vous avez raison de souligner la difficulté de la situation dans laquelle nous nous trouvons, mais il convient de savoir ce que nous entendons par les termes d'insertion professionnelle des personnes handicapées. Si je peux me permettre une parenthèse philosophique, ne sommes-nous pas dans cette obsédante exigence des valides que nous sommes à ce que la personne handicapée progresse, comme pour dépasser notre propre peur du handicap ? Nous tendons aujourd'hui à oublier que les personnes embauchées dans des structures adaptées affichent un niveau Bac-10 ! Par conséquent, l'obstacle dans l'évolution et dans l'emploi ordinaire réside dans une multitude d'éléments. Je citerai notamment la standardisation des emplois, le niveau d'exigence dans le recrutement, qui a considérablement augmenté, la charge mentale demandée au salarié, qui est devenue de plus en plus importante, les exigences relationnelles au sein de l'entreprise, l'informatisation de la communication et l'évolution technologique.

Or, aujourd'hui, le discours tenu par un certain nombre de grandes entreprises consiste à nous demander de gérer leurs inaptitudes ! En ce qui me concerne, je ne sais rien des gens inaptes ! Je ne sais travailler qu'avec des personnes qui font preuve d'efficience, aussi réduite que soit cette efficience.

Par ailleurs, nous sommes également confrontés à un souci au niveau de la formation. En France, aujourd'hui, nous sommes malheureusement trop dans une logique de « formation-qualification », au lieu d'une « formation-adaptation ». C'est un problème fondamental, et qui ne va pas en s'arrangeant.

L'activité économique constitue un autre obstacle à l'entrée dans un atelier protégé. La Direction de l'emploi ne nous a, à ce jour, encore jamais refusé la création du moindre emploi en entreprise adaptée.

Toutefois, je crois que le problème se situe également très largement au niveau de l'imaginaire. Les programmes que nous proposent aujourd'hui les chaînes de télévision sont particulièrement éloquents. Ils cultivent et entretiennent une obsession de l'excellence à tout prix, que je trouve effrayante. Le maillon faible, celui qui fait perdre son équipe, est éliminé et rejeté en dehors du champ des projecteurs. Je suggère donc de remplacer le concept de maillon faible par celui de maillon fragile, et celui de personnes handicapées par celui de personnes fragiles. L'enjeu de ce début de siècle réside dans la prise en compte de cette fragilité. Or, l'entreprise, quoi qu'elle en dise, y trouvera de la richesse.

Nous sommes tous appelés à être, tôt ou tard, confrontés à la fragilité. La fragilité n'est pas une tare, mais une composante de la nature humaine. Les personnes handicapées ne sont rien d'autre que des personnes un peu plus fragiles, ou un peu plus précocement fragiles. A mon sens, l'enjeu est avant tout de changer de regard sur cette personne plus fragile que les autres.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous faites allusion à la reconnaissance du handicap dans le monde du travail, ce qui correspond au travail des COTOREP. Par conséquent, quel jugement portez-vous sur l'activité d'orientation des COTOREP ?

M. Hervé KNECHT - La question de l'activité des COTOREP constitue un vieux serpent de mer, dont il va bien falloir finir par sortir. Culturellement, les COTOREP ne connaissent globalement pas le milieu des ateliers protégés et ne disposent pas des éléments objectifs requis pour en apprécier le projet. Les COTOREP considèrent l'atelier protégé comme un super CAT où l'on accueille des personnes en situation d'échec pour les réintégrer en milieu ordinaire. Mais nous ne sommes pas des surhommes, ayant vocation à réussir là où l'ANPE a échoué ! Le rôle des COTOREP se définit donc plus comme une orientation par défaut que par destination, alors que cette deuxième option me paraît nettement plus porteuse.

Il manque donc un sas et une vraie validation des orientations avec un référentiel. Des expériences sont menées un peu partout. Permettez-moi d'évoquer la plate-forme Saphir, sur laquelle je travaille, et qui se propose d'analyser ce qui ressort des orientations en atelier protégé. Leur premier bilan annuel a fait apparaître que, sur 90 personnes concernées, 50 % ne relèvent pas de l'atelier protégé, 20 % relèvent de l'emploi ordinaire avec un accompagnement-formation et 30 % relèvent vraiment de l'atelier protégé. Aucune suite n'a jamais été donnée à la notion de centre de pré-orientation, que la loi de 1975 prévoyait pourtant. Il y a là une piste véritablement intéressante, notamment dans l'offre que fait l'atelier protégé aujourd'hui pour accompagner la personne handicapée dans l'emploi. Peut-être que, demain, la société pourra confier cette mission de pré-orientation à l'atelier protégé ou à l'entreprise adaptée.

M. Paul BLANC, rapporteur - De quoi relèvent, selon vous, les 50 % de personnes qui ne relèvent pas de l'atelier protégé ?

M. Hervé KNECHT - Cela relève davantage d'un accompagnement purement médico-social. Nous allons être confrontés à un problème considérable et terrible autour de la maladie mentale, notamment avec la fermeture des hôpitaux psychiatriques. Ces personnes quittent le monde de la maladie et arrivent dans le monde du handicap, c'est un phénomène énorme culturellement. Aujourd'hui, la COTOREP du Nord traite en moyenne 60 dossiers un vendredi après-midi. Sur ces 60 dossiers, 20 à 25 concernent des personnes atteintes de handicaps psychiques, généralement des jeunes entre 25 et 30 ans. Or, face à ce problème, nous sommes très largement démunis et je ne suis pas sûr que l'emploi soit une réponse pertinente pour ces personnes.

M. Paul BLANC, rapporteur - Avez-vous quelque idée sur les raisons du non-fonctionnement du rôle de passerelle de l'atelier protégé que vous évoquiez ?

M. Hervé KNECHT - Il n'est écrit nulle part dans la loi de 1975 que les ateliers protégés ont vocation à servir de passerelles ! Cette loi, comme je l'ai souligné précédemment, ne prévoit l'orientation que de personnes handicapées pour lesquelles le placement en milieu normal de travail s'avère impossible. Il existe en effet un décret datant de 1978 qui prévoit, en outre, de favoriser l'insertion en milieu ordinaire, mais d'une certaine façon, c'est ce que nous faisons déjà puisque le simple fait d'employer quelqu'un le rend employable et favorise son insertion. Il s'agit d'un point sur lequel les ateliers protégés font l'objet d'une certaine culpabilisation.

Par ailleurs, les outils de l'intégration en milieu ordinaire incluent notamment la mise à disposition, c'est-à-dire notre capacité à mettre nos salariés au contact de l'entreprise. Or, même à ce niveau, les choses sont bloquées en raison des coûts de fonctionnement auxquels sont soumises les entreprises. Il existe pourtant des sources de financement : l'Etat peut accorder une subvention de 30.000 francs, l'AGEFIPH serait prête à l'abonder. Mais elles restent difficiles à mobiliser. Je tiens aussi à insister sur des difficultés d'ordre juridique : le code du travail ne règle pas la question des personnes sous tutelle ou curatelle, la mise à disposition est lourdement encadrée....

S'agissant des financements, nous avons connu une période initiale où ils étaient pourvus par la DDASS, puis par le ministère du Travail avec des cofinancements assurés par les collectivités territoriales, puis à 50 % par le ministère du Travail et 50 % par l'AGEFIPH et aujourd'hui, ils sont assurés à 100 % par l'AGEFIPH. Cela signifie que l'insertion de la personne handicapée a été privatisée ! Nous parlons désormais en termes d'objectif, et non plus de projet. Or, la notion d'objectif me gêne, car elle ne représente qu'un point, alors que la notion de projet représente un chemin.

Peut-on pour autant parler de ghetto ? Un ghetto se définit comme un lieu dans lequel une minorité défavorisée vit isolée. Mais ce ne sont pas les personnes handicapées qui ont créé les ateliers protégés ! Cette notion de ghetto est donc un peu gênante, même si la question mérite effectivement d'être posée. Cela dit, j'insiste sur le fait que les personnes employées dans les ateliers protégés sont de vrais salariés et je ne connais pas un seul directeur d'établissement protégé qui ne se réjouisse pas de voir l'un de ses salariés trouver un emploi en milieu ordinaire. Aujourd'hui, le vrai ghetto est celui dans lequel se trouvent les 230.000 personnes reconnues COTOREP à l'ANPE.

M. Paul BLANC, rapporteur - La loi de 1975 accordait une place centrale aux ateliers protégés, avec en particulier la possibilité d'une évolution progressive de la personne handicapée du CAT vers l'atelier protégé. Or, aujourd'hui, dans les faits, nous constatons qu'il existait, en 2000, 1.336 centres CAT offrant 96.000 places, contre 548 ateliers protégés proposant 18.000 places. Avez-vous une idée sur les raisons de ce déséquilibre ?

M. Georges MOULY - Mes nombreux échanges et rencontres avec le Président ont abouti à la formulation d'une proposition de loi, cosignée par une cinquantaine de collègues, qui a fait l'objet d'un rectificatif, de façon à ce que les choses soient ajustées du mieux possible.

Je voudrais vous poser une question, suite à l'audition des intervenants qui vous ont précédé. La loi de 1975 ne fait certes pas obligation aux ateliers protégés de constituer des passerelles, même si, depuis 1978, les ateliers protégés peuvent favoriser cette mobilité. Néanmoins, concernant les structures protégées, les précédents intervenants ont évoqué la culture d'assistance, le mode d'organisation fermé et les tendances à retenir les meilleurs en milieu protégé. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet.

De même, en réponse à une question de notre rapporteur concernant les entrepreneurs et les syndicats, il a été dit que les organisations syndicales n'étaient pas farouchement motivées par l'insertion des personnes handicapées dans le monde de l'entreprise. Avez-vous, à votre niveau, des contacts en amont avec les syndicats ?

M. Hervé KNECHT - Je crois que l'insertion en milieu ordinaire ne correspond pas à l'esprit de la loi de 1975. Les personnes handicapées veulent avant tout un emploi. Nous participons à cet emploi en faveur d'un public dont personne ne veut. Pour ce qui est du passage du CAT à l'atelier protégé, c'est le rôle du CAT de définir ses difficultés à passer du CAT à l'atelier protégé. Je ne suis pas habilité à parler pour le CAT, bien que j'y aie passé un peu de temps. Il y a des réussites parfaites et fréquentes de passages du CAT au milieu ordinaire, mais il ne faut surtout pas imaginer que c'est un circuit. Chez moi, sur 180 personnes, une vingtaine proviennent du CAT, mais pas plus. Ce n'est donc pas ma source de recrutement principale.

Par ailleurs, Monsieur Blanc, je souhaiterais que vous nous aidiez à sortir de ce schéma administratif en cessant d'utiliser le terme de places ! Il n'y a pas de places dans les ateliers protégés, il n'y a que des emplois ! Seul l'Etat crée des places... L'entreprise crée des emplois !

M. Paul BLANC, rapporteur - Il n'en demeure pas moins que l'Etat vous verse une compensation de salaire et que cette compensation n'est pas extensible. Cela conditionne donc le nombre d'emplois que vous pouvez occuper.

M. Hervé KNECHT - L'Etat verse une aide à la personne, pour compenser sa perte d'efficience. Mais ce qu'il verse à l'entreprise correspond à 6 % ou 7 % de ses ressources. Il faut en effet savoir que 93 % de mes ressources sont issues de mon chiffre d'affaires. En ce moment, l'Etat est en position d'attente, faute d'une politique claire. Cela dit, il ne rechigne pas à suivre, dans la mesure où cela ne lui coûte pas trop cher !

Fondamentalement, c'est l'activité économique qui crée de l'emploi. Il faut bien différencier les rôles entre une entreprise d'insertion et une entreprise adaptée : l'entreprise d'insertion apporte une solution à une marginalisation ponctuelle ou conjoncturelle tandis que l'entreprise adaptée apporte une solution à une marginalisation structurelle.

L'insertion optimale est atteinte lorsque la personne se sent bien là où elle est et qu'elle vit mieux sa vie.

M. Jean CHERIOUX - M'occupant d'un CAT, je suis bien placé pour percevoir la différence avec votre secteur. A l'évidence, les CAT ont un côté curatif et médical qui n'existe pas chez vous. Cela dit, étant donné que vous êtes déjà dans le domaine économique et que vous poussez les personnes vers l'emploi normal, la loi de 1987 et la taxe créée ont-elles favorisé les choses à cet égard ?

M. Hervé KNECHT - Dans le contexte économique actuel, mon client attend de la qualité, du prix et le respect des délais. S'il peut, en plus, remplir ses obligations en termes d'emploi de personnes handicapées et que cela peut lui donner bonne conscience, tant mieux ! Mais globalement, je ne crois pas que cela soit un argument, aujourd'hui, pour un entrepreneur de sous-traiter une partie de son activité avec un CAT ou un atelier protégé.

M. Jean CHERIOUX - Je ne vous parle pas de sous-traitance, mais du passage du secteur protégé au secteur normal. Vous avez peut-être le souhait de voir certains de vos employés sortir de structures comme la vôtre pour trouver leur place dans le secteur normal. C'est le but que nous essayons tous d'atteindre, y compris au niveau des CAT.

M. Hervé KNECHT - J'ai créé une entreprise de travail temporaire d'insertion pour un public reconnu COTOREP, ce qui est un peu original. Aujourd'hui, l'insertion qui s'est faite dans l'entreprise ne s'est pas faite parce que l'entreprise allait économiser 15.000 francs. Elle s'est faite grâce au travail de fond réalisé par les « Cap Emploi ». Il est vrai qu'aujourd'hui, il n'y a plus d'aide au niveau de l'emploi normal. L'incitation financière ne me paraît pas suffisante.

M. Jean CHERIOUX - C'est le contraire d'une incitation ! Il y a une taxe à payer en cas de non-respect du quota.

M. Hervé KNECHT - Le système est assez sordide puisque une entreprise ordinaire qui dit embaucher 6 % de personnes handicapées compte en fait la sous-traitance. En outre, certaines personnes comptent pour plusieurs ! Une entreprise qui emploie quelqu'un qui sort d'un atelier protégé bénéficie de deux équivalences ! De même, si vous embauchez une personne en fauteuil sortant d'un centre de formation, cette personne peut compter pour 3,5 ! Le système est donc devenu assez ahurissant. Je crois qu'à l'heure actuelle, une personne handicapée dans une entreprise compte pour 1,5 en moyenne. Tel est le revers de cette loi, qui raisonne en termes d'équivalences, et non pas d'emploi.

M. Paul BLANC, rapporteur - En revanche, un CES ne compte que pour 0,25 %.

M. Hervé KNECHT - En effet !

M. Nicolas ABOUT, président - Il me semble que, dans les CAT, le personnel d'encadrement travaille 35 heures et les personnes handicapées 39 heures. Qu'en est-il des ateliers protégés ?

M. Hervé KNECHT - Les ateliers protégés sont des entreprises. Je suis passé aux 35 heures le 1 er septembre 2000, c'est-à-dire le plus tôt possible pour pouvoir bénéficier de l'aide le plus tôt possible. Le problème est que nous, personnes valides, savons quoi faire de ces quatre heures gagnées. En revanche, pour une personne handicapée mentale, il s'agit de quatre heures de désocialisation. Il me semble que la loi sur la réduction du temps de travail a été faite sans penser à la dimension associative.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je voudrais préciser que les moniteurs de CAT sont passés aux 35 heures, ce qui signifie que les ouvriers des CAT sont également passés aux 35 heures, mais qu'il faut, en revanche, des éducateurs qui encadrent ces travailleurs handicapés qui ont quatre heures de plus à occuper. Or, dans ce cadre, les CAT n'ont pas toujours les moyens de financer les postes supplémentaires d'éducateurs spécialisés.

Si j'ai bien compris votre analyse, vous souhaiteriez que les ateliers protégés soient plutôt des entreprises adaptées. Comment verriez-vous cette réforme ?

M. Hervé KNECHT - Un projet de réforme a été rédigé et diffusé. Il consiste notamment à concevoir de nouveaux partenariats avec les entreprises. Le risque est qu'en se rapprochant de cette logique entrepreunariale, l'entreprise ordinaire monte des partenariats pour nous confier la problématique des personnes handicapées. Ce devrait être à ces entreprises de prendre en compte leurs handicapés. De plus en plus, le rôle des ateliers protégés est de devoir prendre ceux que l'entreprise ordinaire ne peut plus prendre.

G. AUDITION DE M. JEAN-LOUIS SEGURA, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'ASSOCIATION POUR LA GESTION DU FONDS POUR L'INSERTION PROFESSIONNELLE DES PERSONNES HANDICAPÉES (AGEFIPH)

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le Directeur général, après avoir entendu les employeurs du secteur ordinaire et du secteur protégé, nous allons tout naturellement nous tourner vers le financeur de la politique de l'emploi des personnes handicapées. La loi du 10 juillet 1987 a placé l'AGEFIPH au centre de cette politique, non seulement en tant que financeur, mais aussi plus largement en tant qu'interface entre les personnes handicapées, les employeurs et les différents acteurs de terrain.

Vous dirigez l'AGEFIPH depuis 1989. A ce titre, vous avez pu suivre au plus près l'évolution de l'insertion professionnelle des personnes handicapées, mais aussi l'évolution des actions menées en ce sens. Il nous a donc semblé tout à fait opportun et important de vous entendre sur ce sujet.

Peut-être pourriez-vous commencer par nous rappeler brièvement les activités de l'AGEFIPH et ses mutations, avant de passer aux questions de notre rapporteur et des commissaires.

M. Jean-Louis SEGURA - Merci, monsieur le Président. Je dirige cet organisme depuis sa création en 1989, ce qui m'autorise à poser un regard tout à la fois historique et prospectif.

La loi du 10 juillet 1987, qui porte obligation d'emploi, a considérablement modifié le panorama de l'insertion des personnes handicapées dans le milieu ordinaire de travail et dans le secteur protégé, comme cela a déjà été évoqué précédemment. Cette loi avait une très grande ambition, celle de porter à 6 % les effectifs de personnes handicapées accueillies dans le milieu ordinaire de travail, même s'ils sont pondérés par la gravité du handicap. Nous n'avons d'ailleurs toujours pas réglé le problème de la définition de la notion de milieu ordinaire de travail. C'est un débat d'actualité puisque, alors même que nous étions en voie de conclure un projet de collaboration avec l'Etat, au bénéfice de la fonction publique, des divergences d'appréciation entre les partenaires sociaux sur la définition même du milieu ordinaire de travail ont fait que ce projet a momentanément échoué. Je pense qu'à la demande de notre Président, le Gouvernement saisira le Conseil d'Etat pour savoir ce qu'il faut entendre par milieu ordinaire de travail. Les salariés et les fonctionnaires des trois fonctions publiques font-ils partie du milieu ordinaire de travail ? C'est une question qui n'est pas mineure. Si la réponse était positive, elle ouvrirait aux actions de l'AGEFIPH une intervention dans ces trois fonctions publiques. Comme ce débat n'est pas tranché, nous n'avons pas pu conclure sur ce sujet.

Aujourd'hui, la situation se caractérise par environ 4,2 % de quota d'emploi dans le milieu dit ordinaire de travail dans sa conception restreinte, c'est-à-dire le secteur concurrentiel. Parallèlement, nous avons 230.000 demandeurs d'emploi dans les six catégories officielles de demandeurs d'emploi, et non pas seulement des demandeurs d'emploi de première catégorie, selon la terminologie adoptée généralement, c'est-à-dire immédiatement disponibles pour des emplois à temps plein. Cette dernière catégorie représente 135.000 demandeurs d'emploi. Chaque année, environ 120.000 personnes handicapées accèdent à un emploi. De même, chaque année, issues des systèmes de reconnaissance de la COTOREP, entre 80.000 et 100.000 personnes handicapées arrivent sur le marché du travail. Le marché de l'emploi des personnes handicapées se caractérise donc par son caractère extrêmement mouvant. Il existe un flux d'entrées qui est à peine inférieur au flux de sorties et, par voie de conséquence, nous assistons à une stabilisation du nombre des demandeurs d'emploi de première catégorie. Au total, plus de 600.000 personnes handicapées travaillent dans les entreprises du secteur concurrentiel. Cela signifie que beaucoup de salariés handicapés trouvent leur place dans l'entreprise.

Pour permettre la progression du quota d'emploi des personnes handicapées, qui était passé d'environ 3 % en 1988 à 4,2 % aujourd'hui, et ce malgré la récession économique des années 1990, l'AGEFIPH a consacré l'ensemble des moyens collectés sur la période 1989-2001, soit 20 milliards de francs, aux différents dispositifs de soutien de l'emploi. J'ajoute que le fonctionnement de l'organisme a été assuré par la gestion de trésorerie et qu'à aucun moment nous n'avons distrait un seul franc des moyens collectés. Mais au-delà de ce petit exploit de gestionnaire, nous avons affecté un milliard de francs supplémentaires pour la poursuite et la finalisation d'un programme exceptionnel qui va s'achever en 2002. Donc, en matière de gestion globale du dispositif, nous pouvons être assez satisfaits du recyclage positif des moyens que les entreprises nous ont confiés.

En effet, la loi a prévu explicitement que les entreprises avaient le choix, pour s'acquitter de leurs obligations, entre l'emploi lui-même, la sous-traitance, qui a été évoquée avec le milieu protégé, ou, enfin, le versement d'une contribution pour la part subsidiaire, c'est-à-dire pour la part qui reste à couvrir pour assurer l'objectif de 6 %.

Parmi ces entreprises, et c'est d'ailleurs l'objet de l'une des questions que vous m'avez adressées, on dit toujours qu'elles préfèrent s'acquitter de l'obligation d'emploi en versant une contribution. Je ne dis pas que l'AGEFIPH est pauvre (elle dispose même de moyens considérables), mais c'est loin d'être le cas ! En effet, les chiffres exacts en matière d'entreprises contributrices étaient de 37 % de l'ensemble des entreprises assujetties dans le champ de l'UNEDIC en 2001 et de 38 % en 1998. C'est encore considérable, mais l'affirmation selon laquelle les entreprises préfèrent majoritairement verser cette contribution est une contrevérité. On peut ne pas se satisfaire de ces 37 % ou 38 %, mais on ne peut pas non plus dire que la totalité des entreprises choisit cette modalité. D'ailleurs, si tel était le cas, nos moyens financiers seraient plus du double de ce qu'ils sont actuellement. Mon propos n'est pas ici de venir au secours des employeurs, mais simplement de rétablir une vérité statistique.

Aujourd'hui, nous avons l'impression que la situation ne s'améliore pas. Nous sommes à un stade plutôt satisfaisant, mais nous sommes obligés de constater que ce stade constitue un palier durable. Pourquoi, malgré les moyens injectés, n'y a-t-il pas de nouvelle relance de l'emploi ? Je distingue plusieurs raisons à cela. D'abord, des raisons qui touchent aux stratégies individuelles des personnes handicapées. Il y a également des stratégies d'entreprises ou du monde économique, en général, les unes et les autres n'étant pas convergentes.

S'agissant des personnes handicapées, nous savons que se pose, dans bien des cas, un problème de seuil par rapport au plafond de ressources lié au maintien d'un certain nombre de dispositifs allocataires (AAH, ACTP, etc.) et le « couperet » que constitue la fin de la perception de ce régime allocataire, lorsqu'on s'engage dans une démarche d'insertion, peut être dissuasif. Il est donc permis de penser qu'une partie des « vrais-faux » demandeurs d'emploi handicapés, et je ne parle pas ici des 135.000 qui sont en première catégorie et qui, eux, affichent une volonté d'insertion immédiate et à temps plein, se trouvent pénalisés par ce problème des seuils de régimes allocataires.

En ce qui concerne les personnes handicapées, je voudrais également signaler un deuxième obstacle, celui de la qualification professionnelle et de l'âge, puisque nous savons que les personnes handicapées au travail sont d'un âge en moyenne très supérieur à la moyenne des salariés (l'écart est d'environ 10 ans, ce qui est considérable et nous a amenés à constater une sortie du milieu ordinaire de travail plus rapide pour les personnes handicapées que pour les salariés valides).

Le problème de la qualification est, quant à lui, lié au fait qu'aujourd'hui les personnes handicapées qui recherchent un emploi sont atteintes de handicaps survenus au cours de leur vie et non plus des handicaps de naissance. Grâce au ciel, la médecine, la prévention et le dépistage ont fait des progrès considérables. De ce fait, les handicaps que nous constatons aujourd'hui, parmi les demandeurs d'emploi, sont des handicaps de la vie, du travail et du loisir.

Ces demandeurs d'emploi handicapés sont donc des personnes handicapées dont le handicap n'est pas issu du très jeune âge ou de la naissance. Ce handicap est souvent la conséquence d'un accident du travail. Il s'agit par conséquent de personnes dont les emplois occupés étaient des emplois exposés. Or, les emplois exposés sont souvent des emplois à faible qualification. Il n'y a donc pas de raison que ces personnes, qui n'avaient qu'une faible qualification avant leur accident, aient une qualification différente après celui-ci. Ce problème de la qualification est un problème récurrent et très important, sur lequel il faut intervenir.

M. Paul BLANC, rapporteur - M. Segura a déjà répondu à la question que je souhaitais lui poser sur les causes de la distorsion existant entre le nombre de travailleurs handicapés dans le milieu ordinaire par rapport aux inscriptions à l'ANPE.

Entre 1989 et 2001, l'AGEFIPH a consommé tous les crédits dont elle disposait. Mais n'a-t-elle pas également consommé ses réserves ? Et de ce fait, n'y a-t-il pas un transfert du financement vers l'AGEFIPH organisé par l'Etat ?

M. Jean-Louis SEGURA - Les réserves de l'AGEFIPH n'ont pas disparu, même s'il est exact qu'elles sont en régression. Le niveau des réserves nécessaires à la couverture des engagements pluriannuels pris par l'organisme a été évalué à environ 800 millions de francs par la Cour des comptes. Or, nous n'en sommes pas très loin. Nous allons donc normalement, en fin d'année 2002 ou à mi-année 2003 au plus tard, atteindre cet objectif. Nous serons donc revenus à un équilibre emplois-ressources définitivement stabilisé.

S'agissant des transferts financiers de l'Etat vers l'AGEFIPH, la puissance publique a souhaité donner une cohérence plus globale à un dispositif qui n'est plus aujourd'hui limité aux équipes de préparation et de suite du reclassement (EPSR) mais concerne également les aménagements de postes de travail et l'accessibilité, ainsi que la garantie de ressources en milieu ordinaire de travail, qui sont désormais assurés par l'AGEFIPH. En outre, nous assurons aujourd'hui entre 97 % et 98 % du financement du réseau « Cap Emploi ». Pour ma part, je ne porterai pas d'appréciation sur l'opportunité de ces transferts.

M. Paul BLANC, rapporteur - L'Etat s'est ainsi déchargé de son devoir de solidarité...

M. Jean-Louis SEGURA - Oui, mais on peut penser que les moyens ainsi économisés ont été affectés à d'autres tâches prioritaires, comme la modernisation des COTOREP.

M. Nicolas ABOUT, président - On peut le penser, et en tout cas l'espérer !

M. Jean-Louis SEGURA - Tel était en tout cas le souhait du moment et l'argument avancé à l'époque. Mais il ne suffit pas de financer un réseau. Cela constitue la partie la plus facile ! Encore faut-il que l'animation, le pilotage et le soutien du réseau « Cap Emploi » dans les différents domaines où des besoins se font sentir soient aussi garantis. En effet, il est toujours possible de financer des structures, sans se préoccuper de savoir si elles rendent effectivement les services attendus.

Je voudrais attirer votre attention sur un autre élément positif. Sur cette période, les effectifs de ce réseau et l'élargissement de sa couverture territoriale a considérablement progressé. Il y a, en ce moment, 1.200 agents d'insertion dans ce réseau.

M. Paul BLANC, rapporteur - Un des intervenants précédents nous a indiqué que l'AGEFIPH finançait aussi l'ANPE dans le cadre d'une convention.

M. Jean-Louis SEGURA - Non. Il y a en effet une convention dans le cadre de la mise en oeuvre du programme d'action personnalisée pour un nouveau départ (PAP/ND), adopté par les partenaires sociaux, mais nous n'apportons pas d'argent à l'ANPE à travers ce dispositif. D'ailleurs, l'ANPE est un établissement public. En revanche, nous sommes cofinanceurs du dispositif PAP/ND avec l'ANPE sur la base des crédits émanant de l'UNEDIC. Il s'agit des moyens que l'UNEDIC, dans le cadre du protocole adopté par les partenaires sociaux et validé par l'Etat, a affectés à ce dispositif, et c'est dans le cadre de la mobilisation du réseau « Cap Emploi » sur la mise en oeuvre du PAP/ND que nous apportons la moitié du financement, c'est-à-dire environ 50 millions de francs. Mais nous ne finançons pas le fonctionnement de l'ANPE.

En ce qui concerne l'avenir, mon sentiment est que notre action a aujourd'hui atteint un palier. Le réseau « Cap Emploi » le ressent d'ailleurs très bien, puisque la progression de ses placements entre 2000 et 2001 a été très faible. Nous constatons depuis fin 2001 et début 2002 une baisse très sensible des insertions. Il y sans doute plusieurs explications, à savoir la conjoncture, qui pousse probablement davantage les employeurs à l'attentisme, la baisse très forte de la mobilisation des contrats initiative-emploi et, parallèlement, une baisse des aides de l'AGEFIPH, puisque la prime à l'insertion a été réduite à partir de l'été dernier.

Toutefois, je ne pense pas que pour un employeur, comme l'a soutenu l'orateur qui m'a précédé, l'aide économique soit décisive. Je crois que la conjoncture est à l'attentisme et que ce que l'on observe sur le marché du travail en général est applicable aux personnes handicapées, peut-être avec un degré de gravité supérieur. Il faudra donc être très vigilant sur les résultats du premier semestre 2002 pour qu'au second semestre des mesures d'accompagnement puissent éventuellement être prises, afin de relancer l'emploi. Si l'emploi ne repartait pas, le quota baisserait et nous entrerions de nouveau dans une spirale négative.

Un employeur est soumis à l'obligation de trouver les compétences lorsqu'il en a besoin et, si possible, à un salaire raisonnable. Or, le problème de la compétence est justement le sujet majeur pour les demandeurs d'emploi handicapés. C'est la raison pour laquelle nous avons beaucoup investi dans le domaine de la qualification. Ce domaine de la qualification des personnes handicapées, tous dispositifs confondus, comprend notamment la formation, les bilans professionnels et la remise à niveau.

Nous sommes passés, en ce domaine, de 224 millions d'euros en 1998 à 541 millions d'euros en 2001. L'engagement sur ce secteur a donc connu une progression considérable, avec des résultats tout à fait satisfaisants, puisqu'en 1998, nous avions enregistré un peu plus de 18.000 bénéficiaires et que nous en sommes à plus de 25.000 en 2001. La progression des engagements financiers se traduit donc par un nombre de bénéficiaires particulièrement élevé, et en particulier dans le domaine de la qualification professionnelle, c'est-à-dire des dispositifs véritablement qualifiants. Nous avons également noté une progression sensible des contrats d'apprentissage et des contrats de qualification sur la même période. Il faut y ajouter l'achat « clés en main », par l'AGEFIPH de 2.500 places auprès de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), dont nous assurons la totalité du financement (formation et rémunération). L'AGEFIPH a donc bien compris, depuis 1998, que la formation professionnelle constituait une priorité pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées.

S'agissant des schémas régionaux de la formation professionnelle, nous avons aujourd'hui signé des accords avec une quinzaine de régions, avec les Conseils régionaux, l'AFPA et les dispositifs de droit commun. Cette mobilisation en faveur de la formation professionnelle arrive-t-elle trop tard ? Je l'ignore, mais je tiens à souligner que la politique de l'AGEFIPH est une politique complexe, qui doit être « cogérée » par les organisations syndicales, les organisations patronales, les associations et l'Etat. Dans un paritarisme classique avec deux interlocuteurs, les choses sont déjà difficiles, et elles le sont encore plus à quatre ! Mais cette volonté en matière de formation professionnelle est aujourd'hui unanimement partagée et je crois que nous poursuivrons l'effort dans ce domaine.

M. Paul BLANC, rapporteur - On observe, ces dernières années, une augmentation sensible du nombre d'entreprises ayant versé la contribution à l'AGEFIPH. Pensez-vous qu'il s'agit là d'une façon, pour les entreprises, de s'acquitter de leur devoir de solidarité, ou n'est-ce pas plutôt un signe de l'échec de la loi de 1987 ?

M. Jean-Louis SEGURA - Vous allez trouver que je suis un excellent avocat de la cause patronale, mais les faits et les chiffres sont têtus ! Cette augmentation est due à l'augmentation de l'assiette, c'est-à-dire que le nombre d'entreprises assujetties à cette obligation a été porté, de 1997 à 2000, de 120.000 à 133.000, soit une progression de 10 %. Or, vous retrouvez exactement ce chiffre de 10 % d'augmentation en ce qui concerne le nombre de contributeurs.

M. Paul BLANC, rapporteur - Il y a donc davantage d'entreprises de plus de 20 salariés assujetties à l'obligation d'emploi ?

M. Jean-Louis SEGURA - Absolument. Je vais d'ailleurs vous remettre une note à ce sujet, qui vous précise tous les chiffres. Le seul critère pertinent est la part des entreprises contributrices. Or, cette part ne varie pratiquement pas, puisque les chiffres oscillent entre 37 % et 38 %. Nous pourrions évidemment espérer que ces chiffres diminuent, mais tel n'est pas le cas. L'augmentation est bien due à celle de l'assiette des entreprises de plus de 20 salariés.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez précédemment évoqué la question de la gestion paritaire et avez parlé des employeurs, des syndicats et de l'Etat. Que pensez-vous du rôle de l'Etat dans ce domaine et partagez-vous le sentiment du patronat, qui appelle de ses voeux une véritable gestion paritaire, c'est-à-dire uniquement entre les entreprises et les syndicats ?

M. Jean-Louis SEGURA - Mon sentiment est qu'il serait inutile de se priver de l'apport du monde associatif dans un domaine où, historiquement, les associations ont joué un rôle prépondérant. Considérer que l'emploi des personnes handicapées peut se gérer exclusivement par une relation bilatérale employeurs-salariés reviendrait donc à se priver de l'apport considérable des associations. En disant cela, je ne réponds pas à la question relative à la place des associations au sein du Conseil d'administration de l'AGEFIPH, et on pourrait imaginer que les partenaires ne remplissent pas tous la même fonction. C'était d'ailleurs, à l'origine, ce que la loi avait envisagé, puisque le collège des associations devait être, en réalité, le collège des personnalités qualifiées, ce qui se concevait parfaitement en raison de leur expérience dans ce domaine.

Les associations ont souhaité être des administrateurs à part entière et c'est d'ailleurs cette volonté des associations qui a amené le patronat à souhaiter, pour sa part, que l'un des articles des statuts de l'AGEFIPH, qui n'est pas sans poser de problèmes en termes de fonctionnement, stipule que pour délibérer, tous les collèges doivent être représentés. Il suffit donc qu'un collège se retire pour que l'institution soit bloquée. Elle l'a d'ailleurs été en 1991, sur initiative patronale, et il y a encore trois semaines, sur un sujet sur lequel il y avait divergence d'appréciation, en particulier sur la conception du milieu dit ordinaire de travail, lors de la négociation de l'accord concernant la fonction publique. Les statuts de l'AGEFIPH méritent donc sans doute d'être toilettés et modernisés au regard de quinze ans d'expérience. Je pense toutefois que nous ne pouvons pas nous passer du rôle des associations, qui est d'ailleurs un rôle d'équilibre et de pondération. C'est aussi un référent sur le vécu des personnes handicapées, qui me paraît tout à fait indispensable.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous estimez donc que l'AGEFIPH doit évoluer dans ses missions. Il est d'ailleurs exact que le financement des organismes de réinsertion n'était pas prévu à l'origine. Comment verriez-vous cette évolution ?

M. Jean-Louis SEGURA - Il faut bien conserver à l'esprit le principe de base selon lequel, parallèlement aux missions de l'AGEFIPH, l'Etat doit continuer à assurer le « pilotage » effectif de la politique de l'emploi des personnes handicapées. Dans ce domaine, la fonction régalienne ne doit pas disparaître au motif qu'un organisme assure la mission. Ce serait une erreur dans la mesure où, comme je le disais précédemment, l'équilibre entre associations, patronat et organisations syndicales est suffisamment complexe pour qu'un pilote apparaisse nécessaire. Même si l'AGEFIPH est investie de prérogatives et de missions, l'Etat doit tout de même déterminer le cap de son action. Nous ne prétendons pas avoir à exercer un mandat politique. Nous et nos partenaires sommes titulaires d'une expertise qui est au service d'une politique, qu'il ne nous appartient pas pour autant de déterminer. Cela doit être clairement exprimé et compris.

Le contenu des missions de l'organisme peut-il évoluer ? Cela est vraisemblable. Il existe en effet des domaines dans lesquels nous avons des progrès à faire. Par exemple, il est notoire que nous affichons une grande ignorance de ce qu'est la population handicapée. Nous avons donc besoin de disposer d'outils d'évaluation, d'observatoires régionaux, voire nationaux. Pour reprendre un terme utilisé dans les entreprises, nous avons besoin de « palpeurs » pour connaître la réalité des choses et pour pouvoir proposer des politiques adaptées.

Par ailleurs, sur la base des financements de l'AGEFIPH et au-delà des 1.200 agents d'insertion du réseau « Cap Emploi », plus de 2.000 autres acteurs sont aujourd'hui mobilisés dans des domaines aussi variés que la formation professionnelle, la création d'entreprises, l'expertise en matière d'adaptation de postes et d'accessibilité et les dispositifs de maintien au travail. Tout cela représente aujourd'hui un nombre d'acteurs d'origines très diverses, qui ne peuvent être efficaces que s'ils partagent, dans leur ensemble, leurs savoir-faire, mais aussi plus globalement leur finalité. C'est pourquoi j'insiste sur le rôle de l'Etat. Lorsque le cap aura été fixé par l'Etat, il sera plus commode de mobiliser l'ensemble de ces acteurs sur la base d'une stratégie déjà définie. L'AGEFIPH peut jouer un rôle, et nous y réfléchissons, dans l'animation de l'ensemble de ces milliers d'acteurs de terrain. A ces acteurs, il faut également ajouter ceux qui oeuvrent dans les dispositifs patronaux pour assurer la mobilisation et l'information des entreprises. Voici donc quelques-unes des pistes d'évolution que j'envisage.

M. Paul BLANC, rapporteur - Verriez-vous ce rôle de coordination dévolu à l'AGEFIPH dans le cadre d'une agence du handicap, par exemple ?

M. Jean-Louis SEGURA - Je sais que, sur ce sujet, votre mouvement a fait des propositions que je trouve intéressantes. La politique en faveur des personnes handicapées ne souffre pas d'un manque de compétences, ni même d'un manque de moyens, mais d'un manque de cohérence et de pilotage national. C'est en tout cas ma conviction profonde. Nous consacrons tout de même deux points de PIB au secteur du handicap, ce qui est considérable, compte tenu des autres priorités que la France doit également affronter. Pour autant, je ne suis pas sûr que nous tirions le meilleur effet de cet effort.

Nous souffrons donc d'un manque de pilotage général. Ce pilotage doit-il prendre la forme d'une agence de l'insertion ? Je l'ignore. Cette éventualité a déjà été évoquée au sujet du fonctionnement des COTOREP. J'observe que, pour l'heure, nous n'avons pas trouvé la formule adéquate pour assurer un pilotage cohérent de l'ensemble de ces acteurs, qui sont d'une extrême diversité, et la cohérence des financements. Or, ces financements proviennent de l'Etat, de la sécurité sociale, du Fonds social européen, des collectivités locales, de l'AGEFIPH, etc.

Une personne handicapée cherchant à faire financer sa prothèse auditive pour des raisons professionnelles doit se livrer à un véritable parcours du combattant pour comprendre comment tous ces dispositifs fonctionnent ! Des efforts sont faits à la base pour essayer de coordonner les choses, à l'image de ce que font les centres d'information et de conseil sur les aides techniques. Des initiatives émanent du secteur social, d'autres émanent du secteur de l'emploi, chacun montant ses propres dispositifs, dans un manque de coordination et de pilotage. Il n'y a pas de chef d'orchestre suffisamment clair, en particulier au niveau départemental !

M. Paul BLANC, rapporteur - L'AGEFIPH pourrait-elle être ce chef d'orchestre ?

M. Jean-Louis SEGURA - Ce n'est pas ce que j'ai dit !

H. AUDITION DE MM. ÉRIC VILLENEUVE ET JEAN-RENÉ MARCHALOT , UNION NATIONALE POUR L'INSERTION DES TRAVAILLEURS HANDICAPÉS (UNITH)

M. Nicolas ABOUT, président - Nous allons terminer ce tour d'horizon de l'insertion professionnelle des personnes handicapées en entendant les acteurs de terrain. L'UNITH, dont vous êtes le président, regroupe les structures du réseau « Cap Emploi » qu'il s'agisse des équipes de préparation et de suites du reclassement (EPSR) ou des organismes d'insertion ou de placement (OIP). Vous avez, en quelque sorte, vocation à fédérer l'activité de placement et d'accompagnement des travailleurs handicapés en milieu ordinaire. Nous avons donc jugé très intéressant de vous entendre, car votre expérience d'acteurs de terrain pourra nous éclairer utilement sur les conditions de l'insertion professionnelle, sur ses difficultés, mais aussi sur les améliorations nécessaires.

Pouvez-vous, dans un premier temps, nous exposer brièvement ce qu'est l'action de l'UNITH et des organismes que vous regroupez, avant de répondre aux questions que notre rapporteur et les autres commissaires se feront un plaisir de vous poser ?

M. Eric VILLENEUVE, vice-président de l'UNITH - Je vous prie d'excuser l'absence de notre président qui, étant souffrant, n'a pu être des nôtres aujourd'hui.

Nous sommes très touchés et apprécions d'avoir été invités car l'UNITH est une association jeune, créée fin décembre 1998, dont le souci est de représenter au mieux les personnes handicapées que nous accueillons dans nos structures du réseau « Cap Emploi ». L'UNITH réunit en son sein un peu plus de la moitié de ces structures. Nous comptons 70 adhérents, dont la grande majorité se compose d'associations gestionnaires d'EPSR. Sa mission est effectivement de fédérer les EPSR et les OIP afin de capitaliser les savoir-faire en vue d'améliorer l'accompagnement vers l'emploi des travailleurs handicapés. Notre association souhaite également promouvoir et développer les unions régionales des structures d'insertion professionnelle des travailleurs handicapés. En effet, de plus en plus de régions se fédèrent en associations régionales. Elle représente aussi les structures d'insertion professionnelle des travailleurs handicapés et leurs associations gestionnaires auprès des instances nationales. L'UNITH participe activement, en ce moment, à différents chantiers, notamment avec l'AGEFIPH, l'ANPE et la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP).

M. Paul BLANC, rapporteur - C'est aujourd'hui un lieu commun que de dire que les difficultés sont multiples en matière de placement et d'accompagnement des travailleurs handicapés en milieu de travail ordinaire. Avez-vous le sentiment que la loi de juillet 1987 a apporté une amélioration à ce sujet ?

M. Eric VILLENEUVE - La loi de juillet 1987 a incontestablement amélioré les conditions d'accès à l'emploi des travailleurs handicapés et a permis de sensibiliser et de mobiliser les acteurs dans ce domaine. Il suffirait de rappeler les résultats en matière d'insertion professionnelle des travailleurs handicapés avant 1988, le nombre de départements qui étaient dotés d'EPSR avant 1988, pour dire qu'effectivement, cette loi a permis de mettre en place une véritable dynamique en matière d'insertion professionnelle des travailleurs handicapés. Cependant, une loi ne résout pas tout et il reste encore un très grand nombre de personnes handicapées sur le bord de la route. Il faut savoir qu'environ deux tiers des insertions de personnes handicapées se réalisent dans des entreprises non assujetties à l'obligation d'emploi.

M. Paul BLANC, rapporteur - C'est d'ailleurs ce qui a été souligné par les représentants du Mouvement des entreprises de France (MEDEF).

A l'heure actuelle, ce placement relève de plusieurs organismes (« Cap Emploi », l'ANPE, les programmes départementaux d'insertion). Comment jugez-vous la coordination entre les différents acteurs ? Pensez-vous qu'elle soit suffisante ? Comment jugez-vous vos relations avec l'ANPE et avec l'AGEFIPH ?

M. Eric VILLENEUVE - Cela est très variable en fonction des régions et des départements. Cependant, l'ANPE doit être un partenaire naturel et légitime. Nos actions respectives doivent être complémentaires. Nous accueillons souvent simultanément les mêmes travailleurs handicapés demandeurs d'emploi. Dans le cadre de cette collaboration, nous avons tout de même notre spécificité par rapport à l'ANPE.

S'agissant de l'AGEFIPH, nous partageons un même objectif, même si nos missions diffèrent. Nous devons donc également travailler en parfaite concertation avec cette instance nationale.

M. Paul BLANC, rapporteur - L'AGEFIPH est surtout votre financeur. A ce titre, vous impose-t-elle des contraintes, notamment en termes de résultats à atteindre ?

M. Eric VILLENEUVE - Nous ne considérons pas uniquement l'AGEFIPH comme notre financeur. Elle est également notre partenaire. Il y a effectivement des obligations de résultats, mais cela est parfaitement légitime et nous revendiquons cette obligation de rendre des comptes.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je suis d'accord, mais j'ai cru comprendre que l'AGEFIPH vous fixait un certain nombre d'objectifs. Ces objectifs font-ils l'objet d'une discussion entre vous et l'AGEFIPH ?

M. Jean-René MARCHALOT - Sur ce point, je voudrais apporter quelques précisions. Dans un premier temps, il est indispensable de définir, avec l'AGEFIPH, les objectifs communs, de manière à éviter toute « errance » et à avancer vers des caps bien définis. Je crois donc que la démarche de définition d'objectifs est un premier point positif et de nature à dynamiser notre action.

En outre, vous nous interrogez sur les modalités de définition de ces objectifs. Vous connaissez mieux que moi, Monsieur le sénateur, la tendance naturelle d'un financeur, qui est d'exposer ses souhaits et d'en demander la réalisation. Toute l'action actuelle de l'UNITH et des structures de terrain (EPSR et OIP) consiste à réfléchir ensemble et à demander à l'AGEFIPH de collaborer pour l'animation de leur réseau. L'AGEFIPH, en tant que financeur, n'a pas droit, de notre point de vue, à être l'animateur de ce réseau. M. Segura soulignait précédemment l'intérêt de la présence de l'Etat. Nous partageons ce point de vue et estimons que si l'Etat détermine les priorités, l'AGEFIPH et les acteurs de terrain, avec l'ANPE, qui est le partenaire technique naturel avec lequel nous travaillons, peuvent ensuite s'accorder sur la réalisation d'un certain nombre d'objectifs s'inscrivant dans le cadre de ces priorités. C'est un idéal vers lequel nous tendons, ce qui veut dire que nous n'y parvenons pas toujours.

Je voudrais revenir sur le thème de la relation avec l'ANPE. Nous estimons que la mission des structures « Cap Emploi » est en complémentarité totale avec celle de l'ANPE. Nous bénéficions effectivement d'une délégation de service public et, à l'occasion de la mise en place du Programme d'action personnalisée pour un nouveau départ (PAP/NP), qui a été initié par les partenaires sociaux et que le Gouvernement a mis en musique, des conventions ont été signées entre l'ANPE et la plupart de ces structures, pour que les demandeurs d'emploi s'en voient proposer un le plus rapidement possible. Le partenariat avec l'ANPE est donc naturel.

La question qui se pose concerne l'avenir. Vers quoi les choses vont-elles évoluer ? Le réseau « Cap Emploi » va-t-il devenir l'ANPE des personnes handicapées ? Si tel devait être le cas, nous mesurons un certain nombre de risques qui pourraient, si l'on n'y prenait pas garde, réduire ce réseau à un travail de plus en plus administratif, alors que l'identité, la force et la valeur ajoutée des structures « Cap Emploi » ont justement été de construire une relation contractuelle suffisamment forte avec les personnes handicapées, qui nous étaient envoyées par les COTOREP, et qui risquaient de ne pas pouvoir s'insérer professionnellement, afin qu'elles puissent effectivement trouver un emploi. Il y a donc là une forte identité à préserver. Dans la contractualisation des relations entre l'ANPE et le réseau « Cap Emploi », il est extrêmement important de ne pas perdre de vue que la force de ce réseau réside dans une démarche individualisée d'insertion professionnelle permettant de construire avec chaque personne handicapée l'itinéraire qui aboutit à cette insertion.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous venez de dire quelque chose qui m'interpelle. Ce sont les COTOREP qui vous envoient des travailleurs handicapés afin que vous les placiez. Or, selon une récente enquête de la direction des études et des statistiques du ministère de l'emploi (DARES), seuls 22 % des chômeurs handicapés ont sollicité les services des EPSR et des OIP. Comment expliquez-vous cette situation ?

M. Jean-René MARCHALOT - L'enquête de la DARES fait effectivement état du chiffre de 22 %. Nous n'avons pas pu prendre contact avec la personne qui a réalisé cette enquête, mais la lecture de ses résultats soulève un certain nombre d'interrogations.

Aujourd'hui, vous savez très bien que les EPSR sont regroupées sous le terme générique du « réseau Cap Emploi ». Les EPSR portent-elles réellement le nom d'EPSR dans tous les départements ou ne sont-elles pas quelquefois « masquées » derrière d'autres noms ? Dans un certain nombre de départements, comme le Morbihan par exemple, on parle plutôt d'Atlas. Or, je doute que les personnes handicapées interrogées dans le Morbihan se soient vu demander si elles connaissaient Atlas. De ce fait, les réponses qu'elles ont pu fournir demandent à être vérifiées, même si je ne les mets pas en cause.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous vous interrogez donc sur les limites méthodologiques de cette enquête.

M. Eric VILLENEUVE - Il serait effectivement intéressant de connaître la méthodologie qui a été employée, mais il faut aussi préciser que les structures « Cap Emploi » n'accueillent pas que des demandeurs d'emploi, mais également des salariés et des personnes en situation de soin. La décision de prise en charge d'une personne handicapée n'est pas liée au fait que ladite personne soit ou non inscrite à l'ANPE, mais résulte d'une orientation de la COTOREP.

M. Jean-René MARCHALOT - Le plus important est que le métier de l'ANPE s'achève au moment où l'intéressé trouve un emploi. La spécificité des structures « Cap Emploi », sur laquelle j'insistais précédemment, qui me paraît extrêmement forte, c'est de veiller à ce que la personne s'intègre dans son milieu de travail, que ce milieu soit une entreprise, une association ou une administration. Le placement en lui-même ne constitue pas l'aspect le plus important de notre travail. Ce qui fait la réussite de « Cap Emploi », c'est le fait de constater, au bout de 12 à 18 mois, -la durée varie selon les personnes- que la personne est réellement insérée dans une entreprise, c'est-à-dire qu'elle occupe un poste où elle est à même de rendre un service, que ce service a une valeur économique et que ses collègues de travail la reconnaissent en tant que collègue. A ce moment, il est possible de dire que le handicap a été compensé, dans la mesure où cette personne s'est vu offrir, non pas une prise en charge puisqu'elle est seule responsable de son parcours, mais les services qui lui ont permis de devenir un citoyen reconnu dans une entreprise.

Là se situe le point le plus important : l'ANPE s'arrête au moment où la personne est embauchée, et c'est précisément à ce moment-là que le deuxième versant de notre travail commence. Si, par hasard, cette personne perdait son emploi, « Cap Emploi » serait encore là pour lui apporter un appui. Toutefois, dans ce cas, il n'est pas certain que cette personne soit inscrite à l'ANPE, tant que dure son impossibilité de travailler. Or, c'est justement là que réside la force de « Cap Emploi », puisque le réseau a pour mission d'assurer une présence auprès de la personne pendant cette période, afin d'éviter qu'elle se retrouve exclue.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous venez de répondre à la question que j'avais l'intention de vous poser au sujet du mauvais procès fait au réseau « Cap Emploi », auquel on reproche de privilégier l'ambition de placement au détriment de celle de l'accompagnement. Pourriez-vous préciser quels types d'accompagnement vous apportez ?

M. Eric VILLENEUVE - Cela serait une aberration d'imaginer qu'il est possible d'accompagner les personnes handicapées sans prendre en compte la réalité économique, ou inversement, de sensibiliser les entreprises sans se préoccuper du profil des personnes handicapées. Il y aurait, de fait, une inadéquation entre l'offre et la demande. Ces deux activités doivent donc être menées de pair, ce qui nécessite une parfaite connaissance de l'entreprise et de la notion d'accompagnement des personnes handicapées. Concrètement, la première démarche consiste en une prise de contact avec une personne handicapée dans nos locaux. Dans 70 % des cas, la personne handicapée que nous rencontrons n'a pas ou plus de projet professionnel, suite à un accident. La première démarche est donc d'essayer de construire avec la personne handicapée un projet professionnel par des stages, des évaluations en entreprise, dans le cadre d'un multipartenariat, en faisant notamment intervenir un médecin du travail, pour valider l'aptitude médicale de la personne, ou une assistante sociale.

La priorité est donc bien de construire un projet professionnel cohérent, notamment en fonction des spécificités d'un bassin d'emploi donné, dans la mesure où 80 % de la population que nous accueillons n'a aucune mobilité géographique. Cela ne va d'ailleurs pas sans poser de problèmes dans nos structures, puisque les « Cap Emploi » ont cette particularité de n'avoir qu'un champ d'intervention strictement départemental. Nous n'avons pas, contrairement aux missions locales pour l'emploi, d'agences par bassin.

M. Paul BLANC, rapporteur - Cela confirme la nécessité d'une forte collaboration avec l'ANPE qui, elle, dispose d'agences dans les bassins d'emploi.

M. Eric VILLENEUVE - Tout à fait.

M. Nicolas ABOUT, président - On pourrait même imaginer l'inverse, c'est-à-dire que les missions locales travaillent à l'échelle du département et que vous puissiez intervenir sur des bassins d'emploi, puisqu'il faut, le plus possible, rapprocher la personne handicapée de son lieu de travail.

M. Eric VILLENEUVE - Ce sont des allers et retours avec des validations de projets, au cours desquels il faut établir une relation de confiance. Il faut parfois travailler sur le deuil du handicap, voire le deuil de son ancien métier. En règle générale, avant d'imaginer une insertion durable, comme le disait M. Marchalot, il faut compter une prise en charge de 18 mois au minimum.

M. Paul BLANC, rapporteur - Une fois l'emploi trouvé, un accompagnement s'impose...

M. Eric VILLENEUVE - Oui, car ce n'est jamais gagné ! Le fait qu'une entreprise prenne la décision d'embaucher une personne handicapée ne signifie pas que cette personne bénéfice assurément d'un contrat à durée indéterminée pour quinze ans ! Dans la plupart de nos équipes, des postes sont spécialement affectés à ce que nous appelons le suivi « post-placement ».

M. Paul BLANC, rapporteur - Aujourd'hui, après plusieurs années de forte progression, j'observe un tassement du nombre de travailleurs handicapés placés avec la contribution des réseaux « Cap Emploi ». Comment expliquez-vous cette situation ?

M. Jean-René MARCHALOT - Les statistiques indiquent effectivement que nous en étions à 26 000 personnes placées en 1996, contre 42.000 en 2000 et 42.258 en 2001. Nous assistons donc bien à une stabilisation. Plusieurs facteurs peuvent être évoqués, notamment le niveau de qualification des personnes handicapées, l'âge des personnes handicapées et les capacités des entreprises à prendre en charge des personnes handicapées.

S'agissant de la question du niveau de qualification, les rapports d'activités de l'AGEFIPH indiquent que 15 % des personnes handicapées ont un niveau baccalauréat, ce qui signifie que 85 % d'entre elles ont un niveau inférieur au baccalauréat. Par contre, près de 50 % d'entre elles sont de niveau inférieur ou égal au CAP. Nous constatons aujourd'hui que, parmi les personnes handicapées que les COTOREP nous adressent et celles qui arrivent dans le cadre du PAP/NP, un nombre croissant d'individus se trouvent dans une situation extrêmement difficile. Ainsi, un maçon de 50 ans licencié suite à une mise en inaptitude est demandeur d'emploi, mais n'a travaillé que dans le domaine de la maçonnerie et n'entend travailler que dans ce seul domaine, ce que refuse justement son médecin... Ces personnes sont donc confrontées à la révolution brutale que constitue un changement de métier, qu'elles n'avaient jamais envisagé jusque-là. C'est pour cette raison que l'évolution du niveau de qualification est actuellement primordial, dans la mesure où une personne n'ayant été formée qu'à une activité bien précise se retrouve dans une situation très grave le jour où, pour une raison ou pour une autre, elle ne peut plus exercer cette activité.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous évoquez l'exemple d'un maçon de 50 ans contraint à changer de métier suite à un accident du travail, mais le cas peut également concerner un maçon de 35 ans confronté à la même obligation, en raison d'une intolérance au ciment, par exemple. Ces personnes doivent donc recevoir une autre formation professionnelle, de la part de l'AGEFIPH. Mais, dans la mesure où la formation professionnelle est actuellement dévolue aux régions, ne pensez-vous pas qu'elles devraient également s'intéresser à la formation professionnelle des personnes handicapées, dans l'esprit de la préoccupation exprimée par notre Président, qui consiste à réclamer, pour les travailleurs handicapés, le même traitement que pour n'importe quel autre travailleur ? N'y aurait-il pas, en outre, des partenariats à construire entre l'AGEFIPH, qui finance, et les régions, qui ont en charge la formation professionnelle ?

M. Jean-René MARCHALOT - Je retiens plusieurs éléments de votre intervention. D'abord, en termes de financement, il convient de ne pas oublier que les centres de rééducation professionnelle sont financés, pour une bonne part, par la sécurité sociale et qu'effectivement, il s'agit d'une filière importante pour la formation des personnes handicapées.

M. Paul BLANC, rapporteur - En effet, mais vous savez comme moi que bien souvent, ces centres de formation professionnelle financés par la sécurité sociale ne sont que des voies de garage ! J'ai siégé pendant trop longtemps dans les COTOREP pour ne pas avoir encore en mémoire ce qui s'y pratiquait en termes de remise à niveau !

M. Jean-René MARCHALOT - Je partage votre analyse. La question que se pose l'UNITH porte sur le moyen de donner un maximum d'efficacité à ces circuits. La remise à niveau est particulièrement bien adaptée pour les personnes d'un certain âge. Si l'on arrivait à faire en sorte qu'il y ait une coordination des financements des dispositifs de formation professionnelle, pour ce qui est des préparations et des remises à niveau, ce serait un gain pour tout le monde, et peut-être une économie.

M. Paul BLANC, rapporteur - J'y vois une allusion à l'éventualité d'une agence du handicap...

M. Jean CHERIOUX - En ce qui me concerne, j'essaie de mieux visualiser la composition de cette population dont vous avez la charge et dont je suppose qu'elle est très hétérogène par ses origines. Je fais ici référence à l'origine du handicap et j'ai entendu parler de beaucoup de cas qui semblaient être des accidentés de la vie qui, pour des raisons diverses, avaient été obligés de recommencer un parcours professionnel. Mais il existe aussi beaucoup de personnes, en provenance des COTOREP, qui ont un handicap de naissance.

J'aimerais donc savoir si vous avez également des handicapés mentaux, des handicapés sensoriels, etc. Représentent-ils une part importante de la population sur laquelle vous travaillez ou ces personnes n'arrivent-elles pas à « émerger » et à arriver jusqu'à vous ? L'essentiel de votre action ne consiste-t-elle pas finalement en une action de « rattrapage » en faveur de personnes qui ont été blessées par la vie et qui ont besoin de se réinsérer dans l'économie ?

M. Eric VILLENEUVE - Les handicapés congénitaux représentent environ 15 % de la population que nous accueillons. Les « Cap Emploi » doivent accueillir toute personne handicapée susceptible, à plus ou moins long terme, d'intégrer un jour le milieu ordinaire de travail. Cela signifie que les « Cap Emploi » n'accueillent pas que des handicapés physiques. Le problème se pose lorsque la COTOREP prend la décision d'une orientation en milieu protégé. De par notre statut, nous n'avons, à ce jour, ni la possibilité ni les moyens humains de prendre en charge cette population.

M. Jean-René MARCHALOT - Ce chiffre de 15 % me paraît éloquent. Je souhaiterais rappeler trois principes. Premier principe : le droit de toute personne à vivre en bonne santé motive, de notre point de vue, l'intervention de l'Etat envers ceux qui doivent assumer un handicap, qu'il soit physique ou mental, afin de le compenser, dans la mesure du possible, et d'en réparer les conséquences. Deuxième principe : dans le domaine de l'insertion professionnelle, le choix du législateur français d'établir des dispositions spécifiques en faveur des personnes handicapées se justifie pleinement et ne doit pas être remis en cause sous prétexte d'uniformisation des législations au niveau européen. Troisième principe : l'insertion professionnelle d'une personne handicapée, qu'il s'agisse d'un handicap de naissance ou d'accident de la vie, ne se construit efficacement que si la personne est elle-même acteur et responsable de son parcours.

En tant que dispositif d'aide à l'insertion, nous appuyons et conseillons, mais c'est la personne qui compte avant tout, en tant que responsable de son propre parcours. En outre, cette personne a naturellement le droit à l'erreur et le droit à l'essai. Cela peut ne pas fonctionner du premier coup et, dans ce cas, la présence d'un accompagnateur se justifie d'autant plus.

M. Jean CHERIOUX - Le fait qu'il y ait une politique d'assistance systématique n'entre-t-il pas, justement, en contradiction avec la nécessité, pour l'intéressé, de s'investir lui-même dans ce projet ?

M. Jean-René MARCHALOT - J'aime bien votre question, monsieur le sénateur. Nous sommes effectivement confrontés en permanence à ce risque. Nous rencontrons parfois certaines personnes qui, à telle ou telle étape de leur parcours, préfèrent être dans une logique d'assistance que dans une logique de redémarrage. C'est toute l'intelligence du métier de « Cap Emploi » que de réfléchir avec ces personnes afin qu'elles comprennent que la logique d'assistance a des limites et que la seule façon, pour elles, de retrouver goût à la vie est de se mettre elles-mêmes dans une perspective plus dynamique.

M. Jean CHERIOUX - Sont-ce des cas isolés ou fréquents ?

M. Jean-René MARCHALOT - La majorité des personnes handicapées que nous accueillons sont des gens motivés pour se réinsérer professionnellement.

M. Nicolas ABOUT, président - J'ai le sentiment que ceci ne touche pas que les personnes handicapées ! Là encore, nous sommes dans une logique identique pour toutes les personnes. La personne handicapée ayant trouvé la juste compensation de sa déficience à travers les aides mises en place par la solidarité nationale se retrouve dans la situation de chacun et peut donc tomber dans les mêmes travers.

III. AUDITIONS DU MERCREDI 22 MAI 2002

M. Nicolas ABOUT, président - Mes chers collègues, j'ouvre les travaux de cette troisième journée d'auditions consacrées à la politique en direction des personnes handicapées. Cette journée sera particulièrement riche et dense, eu égard à la diversité et au nombre des intervenants. Les représentants de dix grandes associations de personnes handicapées ou de proches de personnes handicapées interviendront au cours de cette journée. En début d'après-midi, une table ronde réunira quatre personnes qui vivent au quotidien, et sous des formes très diverses, le handicap. Il m'a semblé en effet très important de permettre aux personnes handicapées de participer directement par leurs témoignages à nos travaux. Nous reviendrons enfin avec Simone Veil sur la genèse de la loi de 1975. Elle était en effet à l'époque ministre de la Santé et avait piloté l'élaboration de cette loi fondatrice. Je rappelle que nos débats seront publiés en compte rendu intégral en annexe au rapport d'information que notre commission publiera au début du mois de juillet.

L'ampleur du programme de ce matin nous contraint de ne pas gaspiller le temps précieux dont nous disposons. De même, la diffusion télévisée nous impose d'être aussi vivants que possible dans nos échanges. Aussi, je propose aux participants d'être brefs, notamment dans leurs questions, afin que les réponses puissent être longues et vivantes.

A. AUDITION DE M. PATRICK GOHET, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'UNION NATIONALE DES ASSOCIATIONS DE PARENTS ET AMIS DE PERSONNES HANDICAPÉES MENTALES (UNAPEI)

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le directeur général, pouvez-vous nous indiquer dans un propos liminaire vos propositions les plus importantes en matière d'amélioration de la vie des personnes handicapées ?

M. Patrick GOHET - Je vous remercie, monsieur le président, pour cette invitation. L'UNAPEI est une fédération qui regroupe 750 associations de parents et amis de personnes handicapées mentales. Ces associations ont créé et gèrent près de 2.700 établissements et services spécialisés. Elles accompagnent 180.000 personnes en situation de handicap mental et emploient 70.000 salariés. Ce mouvement est né d'un constat, d'un besoin et d'une volonté :

Un constat tout d'abord

Les personnes handicapées mentales n'ont pas besoin d'être soignées : leur difficulté de compréhension, de communication et de décision appelle, d'une part une éducation spécialisée et, d'autre part un accompagnement adapté tout au long de l'existence.

Un besoin ensuite

Les associations sont nées après la deuxième guerre mondiale, la Fédération ayant été créée en 1960. Or à l'époque, les besoins des personnes handicapées n'étaient pas pris en compte dans les politiques éducatives, de santé publique ou d'action sociale. Ces parents se sont donc regroupés dans des associations pour interpeller les pouvoirs publics et essayer de voir avec eux les moyens de répondre à ces besoins.

Une volonté enfin

Les parents veulent être partie prenante dans la destinée de leurs enfants, qu'il est plus difficile d'éduquer que les autres enfants en raison de leurs déficiences intellectuelles.

Il est nécessaire de bien avoir à l'esprit ces trois éléments. D'ailleurs, l'UNAPEI a tenu une place très importante dans les débats préalables qui ont abouti à la rédaction de la loi de 1975.

L'UNAPEI a pour vocation d'accueillir, de conseiller et d'aider les familles concernées par le handicap mental. L'objectif des associations qu'elle fédère est d'oeuvrer pour l'autonomie, l'intégration et l'épanouissement des personnes handicapées mentales. Ces trois mots : autonomie, intégration et épanouissement, sont les trois maîtres mots qui caractérisent les objectifs de l'UNAPEI.

Dans cette optique, trois moyens sont envisagés : la participation de la personne handicapée, quand elle en est capable, et de sa famille ; la compensation du handicap afin que la personne puisse vivre dignement au sein de la société ; la notion de compensation prend une place particulière dans nos réflexions ; l'accompagnement, car la spécificité de la déficience intellectuelle génère un handicap mental auquel il faut répondre par un accompagnement adapté afin que ce handicap soit vécu dignement par la personne et son entourage.

Nous nous occupons de personnes atteintes de trisomie, polyhandicapées, autistes, etc., en fait de toutes les personnes dont la ou les déficiences génèrent une situation de handicap mental.

A l'avenir, ce secteur se contentera de moins en moins de discours, d'idéologies ou de promesses. Il aspire à une politique concrète afin de répondre à des besoins concrets et parfois douloureux. Il nous faut mener une démarche en deux temps, la première consistant à mettre en place de façon volontariste un plan d'urgence pour répondre aux besoins des personnes gravement handicapées et de leur famille. Il s'agit de la première de nos exigences. Dans un second temps, il conviendra d'élaborer un programme à long terme, en modernisant la loi de 1975. Nous ne souhaitons pas son remplacement par une autre loi. En effet, elle a permis de réaliser de substantielles avancées. Les acquis de cette loi doivent être conservés. Toutefois, les temps ont changé : le contexte a évolué et les aspirations sont différentes. Enfin, il faut installer les hommes et les femmes victimes de handicap mental dans une perspective claire en votant la pluriannualité des budgets. Je suis prêt à répondre à vos questions.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie. Vous avez respecté le temps qui vous était imparti et vous avez donné le ton de cette séance d'auditions.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez effectivement donné le ton de cette journée. Dans mon département, l'ADAPEI m'a informé de l'organisation d'une grande manifestation pour le 30 mai. Le ton est donc donné, même si je pense qu'il convient de ne pas être trop pressé et de laisser le temps au Gouvernement qui vient d'être constitué de se saisir des dossiers. Vous en penserez ce que vous voudrez... je comprends parfaitement vos exigences. En revanche, vous avez parlé des acquis de la loi de 1975. Quels sont-ils ? Et quelles modifications souhaiteriez-vous apporter à la loi de 1975 ? Enfin, comment envisagez-vous la décentralisation, et notamment la gestion des établissements par les départements ? Quels moyens doivent être mis en oeuvre dans cette optique ? Souhaitez-vous qu'il y ait une clarification au niveau des tarifications, notamment au niveau des compétences Etat, département, ou compétences mixtes ? Comment l'UNAPEI aborde-t-elle tous ces problèmes ?

M. Patrick GOHET - La manifestation à laquelle vous faites allusion n'engage que l'ADAPEI qui l'organise : il ne s'agit pas d'un mouvement national. Je ne la désavoue pas, mais il s'agit d'une initiative locale née sans doute de préoccupations particulières. L'UNAPEI formule des exigences, mais cette attitude n'exclut pas la responsabilité. L'UNAPEI n'entend pas seulement formuler des exigences sans prendre en compte les autres demandes de la société, qui nous concernent également. Nous devons être vigilants et exigeants, comme le mandat que nos militants nous ont donné nous l'impose, mais nous devons également être responsables, comme la taille de notre association nous le commande. Nous entendons agir comme des partenaires. Un grand nombre des personnes présentes aujourd'hui savent que nous faisons notre possible pour mériter ce titre. Nous essayons d'être des partenaires responsables qui tiennent compte de l'ensemble des problèmes de notre société. Je souhaitais rajouter ce point à mon propos sur les exigences.

L'article premier de la loi de 1975 constitue un acquis fondamental : il instaure un certain nombre de droits. Il ne peut y avoir de recul sur ces droits. Ce dispositif législatif a mis en place un système d'évaluation du handicap et d'orientation de la personne qui a été souvent critiqué mais dont l'importance reste fondamentale pour répondre aux besoins de la population handicapée. Ces commissions, COTOREP, CDES, etc., manquent trop souvent de moyens. Elles présentent l'avantage d'être pluridisciplinaires, particularité à laquelle nous sommes très attachés. L'évaluation est en théorie à la fois médicale, sociologique et psychologique. Il est très important que cette pluridisciplinarité dans l'évaluation et l'orientation soit maintenue. Par ailleurs, cette loi a donné une place importante dans le système à la personne handicapée et à ses représentants. Les associations sont très importantes dans ce secteur. Les acteurs de ces associations doivent continuer à être associés à la politique globale mais aussi locale en direction des personnes handicapées. Le système institutionnel résultant de la loi d'orientation mais aussi de la loi qui a été révisée à la fin de l'année dernière et au début de cette année est perfectible, mais c'est un bon système de base.

Le système auquel nous aspirons doit permettre à chaque personne handicapée de trouver une réponse adaptée à son état et à sa situation. Cet accueil et cet accompagnement doivent donc être adaptés mais aussi évolutifs, car la personne handicapée évolue : son état s'améliore ou régresse. Ce système doit donc être adapté, évolutif et durable. La loi du 2 janvier 2002 a heureusement mis un terme au fait qu'une personne handicapée de plus de 60 ans ne pouvait rester dans une institution spécialisée. Je remercie les parlementaires qui ont permis cette évolution importante de la législation. Il existe malheureusement d'autres situations qui ne sont pas encore réglées. Il ne faut pas déstabiliser le système institutionnel, que l'on oppose souvent au monde ordinaire. Ce débat est absurde : notre objectif est évidemment de faciliter la vie de la personne handicapée et de lui laisser toute sa place au sein de la cité. Toutefois, le handicap est une réalité multiforme : certaines personnes sont légèrement handicapées alors que d'autres le sont lourdement. Certaines personnes handicapées peuvent parfaitement, sous réserve de bénéficier de l'accompagnement nécessaire, vivre au sein de la cité, alors que d'autres doivent être accueillies dans des institutions spécialisées pour être intégrées dans la cité. Nous devons être pragmatiques : le pragmatisme devra être l'un des maîtres mots de la révision de la loi, qui doit tenir compte de la vie concrète des hommes et des femmes concernés. Le premier aspect concret à prendre en compte est précisément cette diversité du handicap. Notre système doit comprendre tout l'éventail des possibilités, des plus institutionnelles aux plus intégrées, avec des passerelles afin de permettre aux personnes qui régressent, ou celles qui progressent, de changer de mode de prise en charge. L'objectif final doit être l'acquisition de l'autonomie, l'insertion et l'épanouissement de la personne.

Une jeune femme trisomique de 25 ans s'était vu proposer un travail à la bibliothèque du Conseil de l'Europe après une préparation à la vie dans la cité. Elle était en poste depuis un mois et elle est revenue à l'institut médico-professionnel à plusieurs reprises. Le directeur de l'institut lui a demandé les raisons de ce retour. Elle a répondu : « Ici, je ne suis pas handicapée ». Dans cette structure, elle rencontrait en effet des hommes et des femmes de son âge partageant les mêmes difficultés qu'elle. Elle aimait bien sa bibliothèque, mais elle était la seule à être handicapée. Le dialogue n'est pas toujours facile : les personnes handicapées mentales ont parfois besoin de se retrouver parmi leurs semblables. La vérité se trouve à la croisée des chemins, à la fois parmi les autres et parmi les siens. Une bonne loi doit justement le permettre.

Nous pensons que cette loi doit répondre au même principe que celui de la loi de 2 janvier 2002 : placer la personne handicapée au centre du dispositif. De ce principe découlent un certain nombre de notions qui n'existaient pas dans la loi de 1975 : l'égalité des chances, la liberté de choix, le projet individuel, l'évaluation et la qualité, la souplesse entre les institutions. La liberté de choix suppose des moyens importants, soit personnels, soit collectifs. Il faut également que le système soit simplifié. Au sein du département, il existe ainsi un grand nombre d'institutions : une CDES, une COTOREP, Handiscol, un CDPH, le PDITH, etc. C'est un véritable parcours du combattant que d'être une personne handicapée ou un parent de personne handicapée. Faisons en sorte que les procédures, les démarches, ou l'accueil soient le plus lisible possible. Il s'agit d'une demande impérieuse des intéressés. Il ne suffit plus de rajouter des dispositifs à ceux déjà existants : il faut également rechercher une cohérence de l'ensemble du système. Le travail législatif doit engager cette nécessaire clarification. L'idée de guichet unique est une bonne idée, même si elle n'est pas facile à mettre en place. Ces évolutions ne pourront s'effectuer seulement par l'adoption de lois ou de décrets d'application. Dans ce domaine également, nous devons être pragmatiques. Les associations devront participer à ce chantier afin que les lois votées par le Sénat puissent se traduire concrètement sur le terrain.

La décentralisation est une question très importante pour nous. Elle appelle une position de principe et une interrogation sur la faisabilité. La position de principe est que l'Etat doit être le garant de l'équité et de la dignité des personnes handicapées. Toutefois, nous sommes entrés dans une époque où la solidarité de proximité n'est pas un vain mot. La mise en oeuvre peut donc s'effectuer à l'échelon local, et notamment au niveau du département qui constitue le cadre territorial le plus adapté. Il est nécessaire qu'entre l'Etat, qui fixe les orientations et qui garantit l'équité, et le département en charge de la réalisation concrète de la solidarité de proximité, un échelon régional assure la cohérence de la mise en place des orientations sur le terrain. Le département connaît bien le terrain, les acteurs et les besoins. L'Etat a une vision d'ensemble du problème. La région rapproche les orientations générales du terrain tout en conservant un certain recul. Elle ne doit pas se substituer au département.

Il faut ensuite s'interroger sur la répartition des compétences entre les administrations déconcentrées et les collectivités territoriales. La France est l'un des seuls pays capables de donner à différents acteurs des rôles spécifiques, sans pour autant prévoir les moyens de se coordonner entre eux. Ce n'est pas nouveau : cela fait 20 ans que la politique en faveur des personnes handicapées fonctionne sur ce modèle. Des relations se sont mises en place empiriquement et permettent au système de fonctionner à peu près correctement. Toutefois, il faudrait répartir plus clairement les compétences des uns et des autres et désigner un pilote chargé de coordonner l'ensemble des acteurs, en fonction des compétences dominantes. Si une compétence relève de l'Etat, celui-ci devra être le pilote. Le problème, c'est que des compétences sont déléguées mais également partagées. Or l'acteur qui reçoit la délégation doit piloter l'action des autres acteurs.

On nous demande souvent si nous préférerions l'intervention de l'Etat ou des collectivités locales. Que deviendrait le travail protégé sur l'ensemble du territoire national s'il était totalement déconcentré ? En effet, le travail protégé dépend largement des capacités des bassins d'emploi à fournir de l'activité aux centres d'aide par le travail et aux ateliers protégés. Dans certaines régions, la situation économique permet de répondre aux besoins en matière de travail protégé, alors que la situation d'autres régions ne le permet pas. Il convient donc de trouver un équilibre entre l'Etat et les collectivités locales via la répartition entre les trois niveaux de compétences décrits ci-dessus.

M. Francis GIRAUD - L'UNAPEI regroupe 180.000  personnes handicapées. Combien de places estimez-vous souhaitable de créer sur l'ensemble du territoire pour répondre aux besoins ?

M. Patrick GOHET - On estime généralement qu'une personne handicapée sur trois ne trouve pas de solution en France. Il s'agit d'une estimation basée non sur des statistiques de l'INSEE mais sur un recensement des familles qui ne trouvent pas de solutions par l'UNAPEI. Nous sommes en contact direct avec les familles : nous ne nous trompons donc pas sur cette estimation. Sur ces 180.000 personnes handicapées, certaines ont trouvé une solution qui ne correspond pas exactement à leurs besoins. Il existe en particulier un problème d'accueil des enfants et des adolescents. En effet, l'école doit être plus volontariste dans sa volonté d'intégration. Elle ne doit pas non plus considérer que son devoir se limite aux murs de ses établissements. Le jeune enfant handicapé mental qui ne peut pas être accueilli à l'école mais qui est accueilli dans un établissement spécialisé doit pouvoir être entouré d'instituteurs. Or un grand nombre d'enfants dans cette situation n'ont jamais rencontré un instituteur de la République. Ce n'est pas parce qu'ils sont handicapés mentaux qu'ils n'ont pas droit à une scolarité. Nous estimons qu'il faut créer 500 postes d'instituteurs spécialisés.

Le problème des personnes vieillissantes se pose également. Sur les 180.000 personnes dont l'UNAPEI s'occupe, 20 % d'entre elles ont dépassé l'âge de 60 ans. Cette barrière de 60 ans est stupide, parce que les phénomènes de vieillissement pour ces personnes sont différents des phénomènes constatés chez les personnes âgées. Ce seuil de 60 ans n'a pas de sens. Nous ne pouvons accepter que, sous le prétexte qu'une personne handicapée quitte une structure spécialisée pour une maison de retraite, elle change de statut. Elle continue d'être handicapée.

Nous estimons enfin qu'il faut créer au minimum 10.000 places pour accueillir les grands handicapés ainsi que 20.000 postes de travail pour tenter d'atteindre un niveau qui permettra de compenser les flux de sortie et d'entrée. Il est donc nécessaire de doubler les créations programmées sur une période de trois ans au mieux, ou sur la durée de la législature dans le pire des cas.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie. Vous avez la possibilité de nous remettre un document qui pourra enrichir le compte rendu intégral de ces auditions. Le rapporteur ne manquera pas de faire appel à vous durant toute la durée de rédaction de son rapport.

B. AUDITION DE MME MONIQUE RONGIERES, PRÉSIDENTE DU GROUPE POLYHANDICAP FRANCE

M. Nicolas ABOUT, président - Mme Monique Rongières est présidente du groupe Polyhandicap France. Nous sommes d'autant plus intéressés par votre audition que nous nous rendons compte des difficultés que rencontrent les polyhandicapés, comme l'a souligné Patrick Gohet et comme l'ont montré les précédentes journées d'auditions. Vous avez déjà assisté à la première journée d'auditions et vous savez que le temps nous est compté. Je vous demande donc de formuler trois ou quatre propositions avant de répondre aux questions du rapporteur et des commissaires.

Mme Monique RONGIERES - Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir invitée à cette audition. Le groupe Polyhandicap France est une association loi 1901 reconnue d'intérêt général et de bienfaisance par la préfecture de Paris. Sa création fut la première étape marquante d'un important travail de concertation par ses membres fondateurs, tous en charge de polyhandicap ou de polyhandicapés : l'association Marie-Hélène, gestionnaire d'établissements dont je suis la présidente, l'ASSEPH, le CLAPEAHA, le CESAP, Les papillons blancs de Paris, APEI 75, ANDAS et Iris Initiatives. Polyhandicap France s'est fixé pour objectif de regrouper les associations gestionnaires d'équipements, les familles, les professionnels (kinésithérapeutes, médecins généralistes ou spécialistes, etc.) ou toute personne engagée à titre personnel ou collectif dans une action auprès des enfants et adultes polyhandicapés.

Il entend agir selon les cinq grands principes suivants : la précocité : prise en charge dès la naissance ; la proximité : éviter la séparation avec la famille ; la continuité : reconnaître une capacité d'acquérir tout au long de la vie ; l'adaptabilité par le biais de projets individualisés et enfin la qualité, qui passe par la reconnaissance professionnelle pour les accompagnants qui doivent être formés de façon permanente, mais aussi par la mise au centre du dispositif des personnes polyhandicapées sans que cela remette en cause la logique économique.

Le groupe Polyhandicap France a également pour vocation de poursuivre sa mission de sensibilisation et de groupe de pression, de rassembler toutes les énergies et les compétences pour agir globalement, efficacement et concrètement afin de faire connaître les différentes facettes du polyhandicap, de mettre en lumière les pratiques innovantes, de mailler correctement le territoire de structures et services adaptés pour défendre les droits aux soins, à l'éducation et à la citoyenneté des personnes polyhandicapées. Le groupe Polyhandicap France est un centre de conseil, d'écoute parentale et de documentation. Il a mis en place des formations d'éducation éducative et thérapeutique ainsi qu'une commission juridique afin de pallier les inégalités d'attribution du troisième complément d'AES.

Le polyhandicap est mal connu et mal reconnu. Les personnes polyhandicapées ne sont pas aidées à la mesure de leurs besoins. Le décret du 27 octobre 1989, annexe 24 ter, définit ainsi  les polyhandicapés: « handicap grave à expression multiple associant déficience motrice et déficience mentale sévère et profonde entraînant une restriction extrême de l'autonomie et des possibilités d'expression et de relation. »

M. Paul BLANC, rapporteur - Je vous remercie. Nous allons maintenant entrer dans le vif du sujet. Vous souhaitez un maillage du territoire en structures adaptées. Quel nombre de places estimez-vous nécessaires pour atteindre cet objectif ? Par ailleurs, outre ceux qui ont été décrits par Patrick Gohet, quels acquis de la loi de 1975 estimez-vous intéressant de conserver ? Quelles dispositions devraient figurer à l'ordre du jour d'une révision de la loi de 1975 ?

Mme Monique RONGIERES - Il est toujours difficile d'évaluer les besoins en termes de places dans les structures. En effet, les CDES, les COTOREP, les CREAI, l'Etat ou les départements ne disposent pas des outils permettant de réaliser des études de besoins sur quelque sujet que ce soit. Ce sont donc les associations qui les réalisent. Nous estimons qu'en ce qui concerne les personnes polyhandicapées, adultes et enfants confondus, il manque de 6 à 8.000 places. Par ailleurs, les personnes qui ont la chance d'avoir une place ne se trouvent pas toujours dans les meilleures conditions : les familles sont souvent obligées de placer leur enfant dans un internat très éloigné de leur domicile, voire en Belgique. Les familles n'ont malheureusement pas le choix, étant donné le manque scandaleux de places. Assouplir les fonctionnements, sans surcoût pour améliorer les besoins.

Par ailleurs, il est nécessaire de décentraliser la gestion de ces établissements. Ainsi, l'un des établissements dont je préside le conseil d'administration est situé dans l'Eure, à trois kilomètres de l'Eure-et-Loir. Or, un enfant polyhandicapé provenant de ce département n'a pu être admis dans l'établissement ! En revanche, on accepte en tant qu'externe un enfant qui se trouve à Pont-Audemer dans l'Eure, l'obligeant à faire des dizaines de kilomètres de route par jour. Cette situation est ubuesque.

Les acquis de la loi de 1975 doivent être conservés. Il convient de la rénover et de l'améliorer et d'y faire enfin figurer le mot Polyhandicap. Nous souhaitons créer des structures et rappeler à quel point les familles de polyhandicapés vivent des situations difficiles sur tous les plans. J'ai perdu ma fille polyhandicapée il y a de nombreuses années, mais j'ai l'impression que les parents vivent encore les mêmes problèmes que moi, même s'il y a eu des avancées considérables, notamment par le biais de l'annexe 24 ter. Les familles sont lasses. L'écoute téléphonique que nous réalisons nous montre dans quelles situations de détresse elles se trouvent. Il est très difficile de remonter le moral de ces familles qui sont épuisées moralement et physiquement. Il faut absolument leur venir en aide, sinon leur situation risque de se dégrader encore plus. Il faut améliorer l'annexe 24 ter et l'appliquer. En effet, elle n'est pas toujours appliquée car les établissements ne disposent pas toujours du budget nécessaire. Nous souhaiterions aussi que cette annexe 24 ter soit prolongée après l'âge adulte. En effet, le passage à l'âge adulte n'a pas une grande signification pour ces personnes, qui restent toute leur vie des polyhandicapées. Un grand nombre de polyhandicapés retournent à cet âge dans leur famille vieillissante parce qu'ils ne trouvent pas de place.

Mme Marie-Claude BEAUDEAU - J'ai visité un établissement de l'Essonne géré par votre association.

Mme Monique RONGIERES - Cet établissement, Les Mollières, est dirigé par notre secrétaire général.

Mme Marie-Claude BEAUDEAU - Cet établissement accueille des enfants et des adultes lourdement handicapés qui ne quitteront certainement plus ce centre ou qui seront obligés d'être accueillis dans un établissement similaire en vieillissant. J'ai abordé avec les personnels, dont des jeunes en cours de formation, leurs problèmes quotidiens. Ils doivent faire face à des situations très difficiles. S'il leur était proposé un autre travail, la majorité des salariés quitteraient leur poste qui les oblige à un travail de nuit. Que proposez-vous pour uniformiser le statut de ces personnes et améliorer leur formation et leurs conditions de travail pour qu'elles puissent rester sur place ? Certains établissements pourraient un jour ne plus trouver de personnel, tant leur tâche est difficile et nécessite un sacrifice de toute heure. J'ai discuté avec un homme d'une trentaine d'années, passionné par son travail, mais qui, marié et père d'un enfant de trois ou quatre ans, n'arrive pas à se rendre disponible pour sa famille. Il craignait de devoir un jour quitter cet emploi. Ne risque-t-on pas, si l'on ne fait rien, de se retrouver avec des établissements sans personnel ?

M. Nicolas ABOUT, président - Mme Beaudeau appartient à la commission des finances mais a souhaité participer à ces auditions sur ce sujet très important.

Mme Monique RONGIERES - Mme Marie-Claude Beaudeau nous avait reçus très aimablement, notre secrétaire général et moi-même. En tant que président d'une association gestionnaire dans l'Eure, je peux vous assurer que le personnel est très fidèle. Il convient d'assurer une meilleure formation initiale et continue du personnel, et la valoriser. Ce n'est pas parce qu'ils s'occupent d'enfants gravement atteints qu'ils ne doivent pas être considérés. Par ailleurs, les 35 heures sont certes une mesure importante, mais il est très difficile de trouver du personnel pour s'occuper de ces enfants, car il existe peu de personnes formées. Il faut augmenter les quotas de formation et essayer d'équilibrer et compenser les 35 heures dont l'application doit être revue. En effet, si les 35 heures permettent aux salariés de se reposer, elles sont très complexes à gérer : nous n'avons pas toujours les postes pour les compenser, ni les budgets suffisants. Nous sommes donc obligés de supprimer un certain nombre de sorties ou de transferts. Actuellement, un établissement de l'Essonne n'est ouvert qu'à 50 % car nous ne trouvons pas de personnels qualifiés pour accueillir plus de personnes polyhandicapées. Nous manquons de places, de structures et de personnels : c'est une situation aberrante. Nous ne trouvons ni kinésithérapeutes ni psychiatres. J'ai ouvert un établissement pour autistes mais je ne trouve pas de psychiatres.

M. Michel ESNEU - Vous avez évoqué l'extrême difficulté de l'étude des besoins. Les nombreux organismes chargés de la prise en charge des familles ne disposent-ils pas de moyens pour réaliser ces études ?

Mme Monique RONGIERES - Ces informations ne sont pas disponibles. Par ailleurs, le croisement des listes d'admission pose des difficultés car les listes sont semblables dans plusieurs établissements. Je ne sais pas comment nous pourrons y arriver. En partenariat avec le CLAPEAHA, nous réalisons une étude de besoins dans plusieurs départements.

M. Michel ESNEU - Il faudra faire sauter des verrous sur ces sujets.

M. Francis GIRAUD - Est-ce que les familles qui sont confrontées à tant de drames, mais aussi la direction de votre association, se préoccupent de la prévention ? En effet, certains handicaps ne seront jamais évitables alors que d'autres le sont. Les familles sont accablées par leurs problèmes, mais se sentent-elles concernées par la question de la prévention ?

Mme Monique RONGIERES - Ce sujet les intéresse beaucoup. Les polyhandicaps sont souvent dus à des maladies génétiques rares qu'il est difficile de prévenir. Nous agissons en faveur d'une prise en charge précoce des enfants, qui rencontrent de plus en plus de difficultés de placement. Actuellement, il manque un grand nombre de places pour les enfants, et notamment les très jeunes enfants.

M. Jean-Louis LORRAIN - Quelles difficultés rencontrez-vous dans les soins apportés aux polyhandicapés, mais aussi aux insuffisants respiratoires ou aux grands traumatisés crâniens. Par ailleurs, quelle est votre position par rapport aux aides techniques comme l'informatique ou l'amélioration de l'habitat et notamment le financement et l'accès à ces aides ?

Mme Monique RONGIERES - Nous commençons à recevoir des demandes de prise en charge dans les MAS pour les grands traumatisés crâniens. Les insuffisants respiratoires ne sont pas des polyhandicapés, car ces derniers souffrent d'une arriération mentale profonde. Lorsque l'on naît polyhandicapé, on le reste même s'il existe des possibilités d'amélioration. Certaines familles souhaitent garder leur enfant polyhandicapé, mais c'est très difficile : ils ne trouvent jamais d'organismes qui pourraient les aider financièrement à améliorer l'habitat. C'est un sujet auquel il convient de réfléchir, surtout pour les adultes polyhandicapés qui ne doivent pas gravir des étages ou qui doivent pouvoir passer dans tous les couloirs avec leur fauteuil. Une maison ou un appartement où habite un polyhandicapé ressemble plus à une salle de rééducation qu'à un intérieur habituel. La famille ne doit pas souffrir de la présence d'un polyhandicapé.

M. André VANTOMME - Vous avez recensé l'ensemble des besoins qui se font jour pour les polyhandicapés dans notre pays. Il existe cependant des disparités régionales fortes, et ces besoins peuvent apparaître plus criants dans certaines régions. La régionalisation des financements pour les grands équipements ne permettrait-elle pas de trouver plus rapidement des solutions ?

Mme Monique RONGIERES - J'ai beaucoup travaillé sur cette question. Nous souhaitons lever les barrières entre les départements : il est inadmissible que les DASS refusent qu'un enfant puisse intégrer un établissement d'un département voisin, d'autant que ce refus ne repose sur aucune base juridique. Nous souhaitons donc une régionalisation du système. De plus, certains départements sont plus pauvres que d'autres en structures : la région Ile-de-France, la région PACA, la Bourgogne ou la Corse. Même si les familles se trouvent à 200 ou 300 kilomètres, elles sont rassurées dans la mesure où la structure est de bonne qualité.

M. Paul BLANC, rapporteur - Le problème est la question du prix de journée pour le département.

Mme Monique RONGIERES - Les établissements pour polyhandicapés sont des MAS ou des IME, dont les budgets sont pris en charge par la sécurité sociale. Nous ne recevons pas de subventions du conseil général.

M. Paul BLANC, rapporteur - Dans certains départements, le prix de journée est financé en partie par le département. Ce sont des foyers à double tarification. Les problèmes de passage d'un département à un autre résultent du fait que les prix de journée d'un département ne sont accordés qu'aux habitants de ce département.

Mme Monique RONGIERES - Polyhandicap France estime que le foyer à double tarification ne sont pas la structure souhaitable pour les polyhandicapés.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie. Vous pouvez remettre un document au rapporteur avec lequel vous pouvez rester en contact.

C. AUDITION DE M. ÉRIC MOLINIÉ, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE CONTRE LES MYOPATHIES (AFM), ACCOMPAGNÉ DE M. JEAN-CLAUDE CUNIN, ATTACHÉ DE DIRECTION DES ACTIONS MÉDICALES ET SOCIALES

M. Nicolas ABOUT, président - Notre emploi du temps étant très restreint, je vous demande de nous faire trois ou quatre remarques liminaires. Notre rapporteur et nos commissaires vous poseront ensuite un certain nombre de questions.

M. Eric MOLINIE - L'AFM est surtout connue depuis les débuts du Téléthon qu'elle organise depuis 1987 sur le thème des maladies génétiques et des maladies rares. Néanmoins, nous luttons depuis 1958 contre des maladies génétiques qui sont souvent rares et qui provoquent des handicaps multiples et polyfactoriels : les pathologies neuromusculaires, dont 120 ont aujourd'hui été recensées. Il n'existait pas dans notre environnement de solutions répondant aux besoins de nos familles notamment en matière d'aide humaine et de technique d'aménagement du logement. Nous avons donc engagé une politique d'expérimentation qui s'est déclinée à travers plusieurs projets innovants en matière médicale et sociale. En matière sanitaire, nous avons mis en place un réseau de 60 consultations pluridisciplinaires qui permettent à des personnes lourdement handicapées de consulter pour l'ensemble des pathologies neuromusculaires dont elles souffrent.

Dans le domaine social, nous avons inventé le métier de technicien d'insertion que nous expérimentons actuellement pour les pathologies neuromusculaires et dont d'autres malades pourront bientôt bénéficier. Le technicien d'insertion est une personne qui accompagne les familles afin de trouver toutes les solutions aux questions multiples posées par les handicaps lourdement invalides provoqués par nos maladies. Cela passe par l'accès à une consultation d'expertise en matière sanitaire, l'aide aux familles dans ses démarches en faveur de l'intégration scolaire de leur enfant, l'aménagement du logement, etc. En effet, nos maladies sont évolutives et nous imposent de nous adapter au fil de leur évolution. Il faut donc permettre aux personnes handicapées de bénéficier de logements aménagés en utilisant la domotique et toutes les technologies de robotisation. En matière d'aides techniques, les personnes lourdement handicapées doivent bénéficier de fauteuils verticalisateurs qui permettent une meilleure prise en charge. Ces innovations ont été soit importées de l'étranger, soit inventées dans le cadre de partenariats entre l'AFM et des concepteurs.

Ce métier de technicien d'insertion est mis en phase d'expérimentation dans le cadre de la départementalisation des sites pour la vie autonome. Nous travaillons en collaboration avec l'APF sur ce sujet. Une évaluation sera effectuée à la fin de cette année. Nous collaborons également avec une association qui s'occupe de personnes trisomiques. Nous avons reçu des offres de collaboration de la Ligue contre le cancer ou de France Alzheimer. Ce métier intéresse donc d'autres types de pathologies.

En matière d'aides techniques innovantes, nous avons créé des outils comme un lit intelligent permettant à la personne de bouger toute seule la nuit, ce qui évite aux parents de se lever 7 à 8 fois par nuit pour changer de position leur enfant. Nous avons permis à des personnes tétraplégiques de conduire une voiture au minimanche, à la manière d'un avion. Cette technique encore expérimentale aujourd'hui permet de conduire un véhicule normal à une cinquantaine de personnes. En matière d'aide au logement et de domotisation, nous avons lancé un programme expérimental à Angers de dix appartements domotisés permettant à des personnes trachéotomisées d'avoir une vie autonome chez elles avec un coût de prise en charge légèrement inférieur à celui d'une personne myopathe dans un établissement. Nous avons également un établissement de soins à Angers. Il est donc possible de comparer les coûts de l'un avec le coût de l'autre. Ces innovations ont pu être mises en place grâce au Téléthon. Aujourd'hui, nous essayons de les partager, de les pérenniser et de les généraliser. Nous travaillons de concert avec l'APF, le GIHP ou l'UNAPEI dans des réflexions transversales dans lesquelles ces réponses s'articulent sur le droit à compensation, le cinquième risque, les dispositifs départementaux pour la vie autonome. Nous sommes prêts à apporter notre contribution à l'élaboration de ces dispositifs, car ce combat concerne non seulement les maladies neuromusculaires mais toutes formes de handicap et de déficience quelles qu'en soient la cause et l'origine.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez abordé les sujets de la domotique et des techniciens d'insertion, que vous englobez dans la thématique de droit à compensation. Estimez-vous que le droit à compensation est bien pris en compte dans la loi de 1975 ou faut-il la modifier afin que ce droit soit mieux pris en compte ?

M. Eric MOLINIE - Nous appelons effectivement de nos voeux la mise à jour de la loi d'orientation de 1975 notamment en matière de vie autonome et au travers d'une définition précise de ce droit à compensation. Ce droit peut effrayer le législateur qui croit y voir parfois une boîte de Pandore dont les limites ne seraient pas fixées. J'ai tout à fait conscience de ce problème : il est donc nécessaire de réfléchir ensemble à une définition pratique de ce droit à compensation qui n'est pas assez clair. Si un droit à compensation avait existé, permettant à une personne lourdement handicapée de vivre décemment y compris après la disparition de ses parents, il n'y aurait jamais eu d'arrêt Perruche.

M. Paul BLANC, rapporteur - Concernant la domotique, est-ce que l'Education Nationale, et notamment l'enseignement supérieur, ne devraient pas favoriser les études d'ingénieur des jeunes patients atteints de myopathie et qui pourraient ainsi développer des outils domotiques adaptés à leurs besoins ? De cette façon, ces outils seraient sans doute beaucoup plus adaptés aux besoins des personnes handicapées. Quel est le rôle de l'Education nationale dans cette optique ?

M. Eric MOLINIE - L'Education nationale doit d'abord se préoccuper de permettre aux enfants de suivre une scolarité normale, à l'école, ce qui passe par une politique d'intégration scolaire forte. Je laisse la parole à M. Jean-Claude Cunin, qui connaît très bien ce sujet.

M. Jean-Claude CUNIN - Si l'on arrivait à intégrer dans des groupes de recherche, des personnes dont la problématique quotidienne est d'assurer leur autonomie, nous pourrions réaliser des progrès considérables. Il y a quelques années, le ministère de l'Education nationale avait interdit à une personne atteinte de myopathie de présenter l'agrégation. Plutôt que de se poser la question des conditions dans lesquelles cette personne pourrait enseigner, le ministère avait choisi de lui fermer la porte au nez. Au-delà de la contribution des personnes handicapées à la recherche et au développement des moyens de compensation de leurs incapacités, il faudrait déjà se pencher sur la question de la recherche dans ce domaine. Or, la recherche dans ce domaine n'est ni organisée ni coordonnée. J'ai occupé auparavant pendant 10 ans un poste au département de recherche sur les aides techniques qui a contribué à la mise au point de tous les systèmes décrits par M. Eric Molinié. Il était très difficile de trouver des partenaires en France. Nous avons donc dû les rechercher à l'étranger, en Allemagne, aux Pays-Bas ou au Danemark.

La question de la contribution des nouvelles technologies à la compensation du handicap se pose également. Ainsi, j'ai participé avec d'autres associations à la rédaction d'un rapport au sein du groupe piloté par Mme Maryvonne Lyazid. Nous avons évoqué ces questions. Nous avons proposé, dans la conclusion du second plan de concrétisation remis au mois de décembre 2000, la création d'une « agence française de la compensation », qui permettrait de tisser des liens entre la recherche et les industriels et d'avoir une vraie politique commerciale. A l'heure actuelle, personne ne maîtrise les coûts de ces produits. Nous demandons qu'ils soient pris en charge correctement, ce qui paraît légitime dans le cadre de la compensation. Cette prise en charge doit s'accompagner d'une maîtrise de ces coûts. Or, il n'existe actuellement aucune structure capable de travailler sur ce sujet.

M. Eric MOLINIE - A l'heure actuelle, les deux seules voitures sur lesquelles nous pouvons adapter la conduite au minimanche sont des voitures étrangères de marque Chrysler et Mercedes. Aucun constructeur français n'a souhaité participer à la conception et au développement de ce projet. Par ailleurs, le principe des commandes vocales, qui permettent de réaliser à l'aide de la voix certaines commandes accessoires, a été développé par Mme Martine Kempf, une strasbourgeoise qui n'avait pas reçu de l'Anvar les aides nécessaires. Elle a créé sa propre société dans la Silicon Valley. Elle emploie aujourd'hui près de 300 personnes alors que cette entreprise aurait dû être créée à Strasbourg.

M. Paul BLANC, rapporteur - Pourriez-vous nous décliner les différents droits à compensation ?

M. Jean-Claude CUNIN - Vous avez eu raison, monsieur le rapporteur, de parler au pluriel de droits à compensation. En France, on aborde souvent cette question en parlant de droit à compensation, comme si ce droit était unique et monolithique. Pour élaborer cette notion de droits à la compensation, nous nous sommes appuyés depuis le milieu des années 80 sur les concepts de l'Organisation Mondiale de la Santé : la classification internationale des handicaps, publiée dans les années 80, et la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé qui lui a succédé. Nous devons intervenir à tous les niveaux, depuis la cause originelle -un problème de santé, un accident, une anomalie génétique ou le vieillissement- jusqu'à la vie quotidienne de la personne handicapée. Les droits à compensation touchent aussi bien les déficiences et les incapacités que l'environnement du patient. La compensation des incapacités est un droit primaire, qui permet à chaque individu de compenser les fonctions qui ont été altérées par les problèmes de santé. Cela passe par des aides humaines ou techniques, l'adaptation du cadre de vie ou la mise en oeuvre des aides animalières et leur prise en charge, sur la base d'une évaluation individualisée des besoins.

Or, le système français fonctionne sur la base d'une forfaitisation de la prise en charge en fonction d'une catégorisation de la personne basée sur une vue générale de sa problématique, qui n'est pas pertinente. Ainsi, deux personnes tétraplégiques auront a priori un handicap équivalent selon la définition française. Or, leur situation n'est pas la même : si une personne choisit de vivre à domicile ou en institution, ses besoins en compensation ne seront pas les mêmes. Les droits à compensation imposent une évaluation individualisée des besoins et une prise en charge individualisée des réponses, que ce soit dans le domaine des aides humaines, des aides techniques ou de l'adaptation du cadre de vie.

Le Sénat, par la loi de modernisation sociale, a modifié l'article 1 er de la loi de 1975 en incluant l'alinéa qui stipule que les personnes handicapées ont droit à la compensation de leur handicap, quelle que soit l'origine de leur déficience. Or, ce n'est pas encore le cas : selon que le handicap est dû à une blessure de guerre, un accident de la route ou une maladie génétique, la prise en charge des moyens de compensation n'est pas identique. Le droit à compensation nécessite d'égaliser cette prise en charge par rapport à la déficience. Actuellement, comme ces droits fondamentaux ne sont pas reconnus, il fait bon vivre dans certains départements car des dispositions ont été prises alors qu'un autre département n'a rien fait. Il existe donc une inégalité fondamentale que le droit à la compensation des incapacités doit rétablir.

Enfin, la prise en charge des moyens du handicap en France repose sur l'aide sociale. Elle prend donc en compte les ressources des personnes et ne tient pas compte de ce que l'ONU appelle l'égalisation des chances des individus : remettre la personne dans la même situation que si elle avait été valide. Prenons deux individus qui ont le même âge, occupent les mêmes fonctions dans une entreprise et ont les mêmes salaires. Si l'un est handicapé, il ne pourra pas faire vivre sa famille de la même manière que son collègue car il devra prendre sur ses revenus pour payer le complément de ses aides techniques, humaines, l'aménagement de son logement et de son véhicule. Le point clé du droit à compensation, c'est la compensation des incapacités. Le droit à compensation se décline ensuite dans le domaine de l'environnement et des ressources afin d'assurer la citoyenneté de tous. La révision de la loi de 1975 est indispensable pour indiquer comment le principe contenu dans l'article 1 er se déclinera, en définissant les responsabilités de l'Etat, des collectivités territoriales et de l'assurance maladie.

M. Nicolas ABOUT, président - Une personne handicapée qui s'efforce de rentrer dans le monde du travail perd un certain nombre d'allocations de compensation. Le fait de travailler se traduit par une réduction de ses moyens.

M. Alain GOURNAC - J'ai écouté avec attention M. Eric Molinié, qui a notamment parlé du Téléthon. Les sénateurs sont souvent des maires et s'intéressent donc beaucoup à cet événement. Ma ville apporte ainsi son soutien au Téléthon. M. Eric Molinié a indiqué que le Téléthon avait permis de réaliser un certain nombre d'actions concrètes. L'AFM devrait mettre en relief les avancées réalisées grâce au Téléthon afin de redonner du souffle à cet événement et d'éviter que le Téléthon ne soit affecté par les malversations qui ont affecté d'autres appels à la générosité publiques. Lors de cette journée, il faudrait indiquer la liste des actions qui ont pu être menées grâce au Téléthon. Aujourd'hui, les gens veulent du concret.

M. Eric MOLINIE - Cette question risque de m'entraîner sur un sujet qui n'est pas à l'ordre du jour de ces auditions. Nous nous efforçons effectivement d'informer le public sur les actions menées grâce au Téléthon, mais nous devons également tenir compte des impératifs de France 2, qui produit l'émission. Je fais le nécessaire pour donner le maximum d'informations sur les activités de l'AFM, en privilégiant la transparence et en rendant compte de nos actes. J'ai également prononcé une quinzaine de conférences dans toute la France juste avant le Téléthon, réunissant près de 6.000 personnes. Lors de ces réunions publiques, nous abordons très franchement la question des réalisations.

M. André VANTOMME - Je souhaiterais rebondir sur les propos de M. Jean-Claude Cunin concernant le droit à compensation. J'ai été saisi du cas d'une étudiante, atteinte d'un handicap moteur, qui doit acheter un véhicule aménagé. Or le coût de l'acquisition et de l'aménagement de ce véhicule est de 161.000 francs, et les banques ont refusé de lui prêter cet argent en raison de son handicap. Nous devons trouver des solutions pour ces personnes qui essayent de se trouver une place dans la société. Il est toutefois très difficile de répondre à ces situations sans avoir l'air de faire l'aumône à ces personnes. Il est donc urgent de trouver des solutions institutionnelles à ces problèmes afin que cette aide relève d'une politique publique et non d'initiatives généreuses et charitables.

M. Eric MOLINIE - Nous sommes conscients de ce problème d'aménagement de voiture. Nous demandons que dans le tour de table des financeurs du droit à compensation soient intégrés des organismes comme l'AGEFIPH. Par ailleurs, tous les organismes sont près à financer l'aménagement du véhicule mais personne ne souhaite participer à son acquisition. Or, une personne valide achète une voiture à un prix modique quand une personne handicapée est obligée d'acheter une voiture de haut de gamme pour pouvoir réaliser des aménagements. C'est un exemple très concret du droit à compensation : compenser le handicap, c'est aussi compenser le surcoût dû à l'achat d'une grosse voiture. Le tour de table financier ouvrant droit à compensation doit prendre en compte cette problématique et l'AGEFIPH doit jouer dans cette optique un rôle important. Il faut prendre en compte l'aménagement du véhicule mais aussi son acquisition.

Par ailleurs, l'AFM a signé le texte soumis par le ministère de la Santé sur l'assurabilité des personnes en situation de handicap. Il ne s'agit que d'un début mais qui permet de poser un cadre en fonction des différents niveaux de handicap. A travers l'évaluation de ce dispositif, qui sera réalisée par un comité de suivi auquel nous souhaitons participer, nous pourrons faire évoluer les choses. L'assurabilité est toutefois un véritable problème que nos adhérents rencontrent très fréquemment.

M. Jean-Louis LORRAIN - Le travail du législateur a jusqu'à présent consisté à élaborer des textes permettant d'assurer de façon sectorisée l'hébergement, le soin et l'éducation des personnes handicapées. Aujourd'hui, la prise en charge globale de la personne handicapée est devenue une préoccupation légitime. Nous devons nous préoccuper de sa sexualité, de ses vacances ou de ses loisirs. Actuellement, le coût de trois semaines de vacances en moyenne montagne pour un handicapé en fauteuil roulant est de 15.000 francs. Une famille ne peut se permettre de telles dépenses. Avez-vous l'intention de prendre en compte ces nouvelles demandes et comment pouvons-nous les intégrer dans notre réflexion ?

M. Eric MOLINIE - Votre question soulève deux problématiques : la problématique d'une aide humaine globale aux personnes handicapées et le droit aux vacances ou au répit. Nous travaillons sur ce dernier sujet. Nous avons ainsi mis en place à Lyon un service de répit interne à l'AFM que nous sommes en train d'évaluer afin de savoir s'il convient de le pérenniser et de l'étendre à d'autres régions. De plus, notre délégué départemental de Nantes a contribué de façon active avec le Conseil général de Loire-Atlantique à la mise en place d'un service de répit qui permet aux parents de souffler pendant quelques heures, quelques jours voire une semaine. Le coût est extrêmement modique, 1,50 euros par heure, sachant que l'accompagnement doit durer trois heures au minimum. Ce montant n'est donc absolument pas insupportable pour les familles. Nous sommes actifs dans ce genre d'initiative que nous sommes prêts à soutenir.

L'aide humaine globale est une problématique que nous avions portée avec force lors de la manifestation des personnes handicapées du 29 mai 1999. Le slogan était « vivre comme tout le monde et avec tout le monde ». La nécessité des aides humaines dans les situations de handicap lourd était une revendication que l'APF et l'AFM avaient portée. Cette question est de plus en plus médiatisée. De plus, la revendication de personnes lourdement handicapées, dont quelques-unes ont initié une grève de la faim au mois de mars pour faire entendre leur problème, prouve que ces personnes handicapées se trouvent souvent dans une situation désespérée. Le ministère de la Santé nous a demandé de recenser les 200 familles confrontées à une situation de handicap lourd. Nous ne nous sommes pas senti le droit de limiter ainsi le nombre des personnes se trouvant dans cette situation. Nous avons donc pris la liberté de faire remonter au ministère les cas des familles se trouvant dans des situations comparables à celles des familles regroupées dans le collectif piloté par Marcel Nuss, qui est l'un de nos adhérents. 750 familles se sont spontanément reconnues dans cette situation de handicap. Il est extrêmement dangereux et dommage d'en arriver à une grève de la faim pour que ce recensement soit effectué : c'était une de nos revendications depuis le mois de mai 1999.

M. Nicolas ABOUT, président - Que pensez-vous du système des allocations ? J'ai le sentiment qu'il est très complexe et qu'il faut être très savant pour y comprendre quelque chose. J'ai été scandalisé de constater que certaines allocations indispensables à la vie des personnes handicapées sont délivrées sous condition de ressource. Une allocation a été augmentée de 74 francs pour permettre d'interdire l'accès de toutes les personnes handicapées à la CMU. Quelles réflexions vous inspire ce système d'allocations ?

M. Eric MOLINIE - Il faut distinguer la notion de compensation de la notion de ressources. La compensation et les moyens donnés à la compensation doivent être totalement dissociés de la notion de ressources. Il ne faut pas reprendre d'une main ce que l'on donne de l'autre. Il s'agit d'un problème prioritaire. Certaines personnes nous font part de la situation aberrante dans laquelle ils se trouvent : parce qu'ils dépassent de deux ou trois euros un plafond, ils sont privés d'une allocation qui leur permet de vivre. Nous recevons de plus en plus ce type d'informations. Il faut donc dissocier les compensations des revenus et remettre de l'ordre dans le maquis des allocations. Il est également nécessaire d'homogénéiser les situations. Par exemple, l'APA est destinée aux personnes âgées. Or, il ne faut pas créer de discriminations entre les personnes qui se trouvent dans des situations de dépendance. Nous devons prendre en compte la notion de dépendance dans sa globalité.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie. Vous pouvez laisser au rapporteur tous les documents qui pourraient compléter vos propos.

D. AUDITION DE M. MARCEL ROYEZ, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES ACCIDENTÉS DU TRAVAIL ET DES HANDICAPÉS (FNATH)

M. Nicolas ABOUT, président - J'accueille Marcel Royez, secrétaire général de la FNATH. Nous ne disposons que de quelques minutes pour vous écouter. Je vous propose donc de nous indiquer, dans un propos liminaire, les trois ou quatre propositions qui vous semblent les plus importantes, puis le rapporteur et les commissaires vous interrogeront.

M. Marcel ROYEZ - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, mesdames et messieurs, je vous remercie d'avoir songé à interroger la FNATH sur l'évolution de la politique en direction des personnes handicapées. La FNATH est l'héritière de la Fédération des mutilés du travail, née en 1921, dont l'objectif était de s'occuper des victimes d'accidents du travail et notamment des cas les plus graves. Devenue la FNATH en 1985, elle s'est très vite occupée de toutes les personnes handicapées et non plus seulement celles victimes d'accidents du travail ou d'une maladie professionnelle. Aujourd'hui, parmi ses 250.000 adhérents, la FNATH regroupe des victimes d'accidents du travail, de maladies professionnelles ainsi que d'accidents de la route ou domestiques, mais aussi des personnes devenues handicapées à la suite d'une maladie. Nous regroupons essentiellement, parmi nos adhérents, des personnes handicapées physiques adultes : il y a très peu d'handicapés mentaux ou d'enfants. En effet, la FNATH s'interdit depuis toujours d'intervenir dans la gestion de structures. A l'opposé de l'UNAPEI ou l'APF, la FNATH ne gère aucune structure d'accueil ou de soins pour les personnes handicapées. C'est la spécificité de la FNATH, dont la vocation est d'être une association de conseil, d'accompagnement et de défense des personnes handicapées.

Notre démarche est donc essentiellement tournée vers le milieu ordinaire. Nous nous battons depuis toujours pour que les personnes handicapées soient le plus possible traitées comme des citoyens à part entière et non comme des citoyens à part. Toutefois, nous sommes conscients que nombre de personnes handicapées relèvent de démarches plus spécifiques et dépendent d'établissements spécialisés. Nous souhaitons que les personnes handicapées soient traités comme des citoyens à part entière et non comme des citoyens de seconde zone. Aujourd'hui, tout le monde partage cette conviction, ce qui est positif mais insuffisant. En effet, il ne suffit pas d'affirmer que les personnes handicapées sont des citoyens à part entière pour que cela soit une réalité, comme le démontrent les difficultés d'insertion des enfants en milieu scolaire ordinaire ou de formation professionnelle pour les adultes.

Malgré les dispositifs imposés par les lois de 1975 et de 1987, trop de personnes handicapées sont encore au chômage ou placées dans un atelier protégé bien que capables de travailler dans un milieu ordinaire. Les entreprises ne sont en effet pas aussi accueillantes pour les personnes handicapées qu'on pourrait le souhaiter. Ainsi, bien qu'il y ait une obligation d'emploi de 6 % dans les entreprises privées comme dans la fonction publique, le taux d'emploi est d'environ de 4 %. 37 % des entreprises assujetties à cette obligation n'emploient aucun travailleur handicapé, ce qui est le signe d'une certaine forme de discrimination envers ces personnes. En effet, on n'imagine pas qu'une entreprise n'emploie aucune femme ou aucune personne blonde,... Ces chiffres sont donc assez significatifs d'une perception négative du handicap dans notre société.

Par ailleurs, le système des allocations est trop complexe, injuste, insuffisant et inéquitable. Aujourd'hui, il est difficile de vivre avec moins de 50 % du SMIC lorsque l'on est handicapé. Il est nécessaire de réformer profondément le système d'allocation, de le simplifier, de l'harmoniser et de le rendre plus juste, notamment en ce qui concerne les conditions d'attribution, les montants et le traitement socio-fiscal.

Se pose également la problématique des personnes handicapées vieillissantes. La prise en charge de la dépendance doit être harmonisée. Je ne comprends pas pourquoi on ne traite pas de la même façon la dépendance, selon qu'elle relève du handicap ou de l'âge, avant ou après 60 ans.

Ces quelques propos permettront d'engager la discussion avec les membres de la commission.

M. Paul BLANC, rapporteur - La FNATH s'est spécialisée dans l'insertion des travailleurs handicapés dans le milieu ordinaire. Vous entretenez donc des relations avec certains organismes découlant de la loi de 1987. Je souhaiterais vous interroger sur le rôle de ces organismes et sur vos relations avec eux. Le premier d'entre eux, l'AGEFIPH, est financé par les cotisations des entreprises n'atteignant pas leur quota d'emploi de travailleurs handicapés. L'AGEFIPH a pour vocation d'utiliser ses fonds pour aménager des postes de travail ou réaliser des formations professionnelles. Or, depuis trois ou quatre ans, elle s'est vue confier le financement des CAP-Emploi. Quelle est votre opinion sur cet organisme ? Est-il normal que l'AGEFIPH finance les CAP-Emploi ? L'Etat ne s'est-il pas défaussé de ses devoirs sur cet organisme ? Deuxièmement, les COTOREP attribuent aux intéressés la qualité de travailleur handicapé. Estimez-vous que les moyens des COTOREP sont suffisants ? Un grand nombre d'associations qui s'occupent des travailleurs handicapés sont favorables à une réforme des COTOREP. Enfin, il devrait y avoir des prospecteurs placiers chargés de l'insertion des travailleurs handicapés. Or, dans certains départements, il n'y a pas d'équipe de préparation et de suite de reclassement professionnel de droit privé et de Cap-Emploi. L'ANPE a-t-elle la possibilité d'avoir des prospecteurs placiers spécialisés dans le placement des travailleurs handicapés ?

M. Marcel ROYEZ - Toutes les questions que vous m'avez posées appellent des réponses complexes. Je vais essayer d'indiquer, en quelques mots, notre position. L'AGEFIPH est une institution qui a montré sa capacité à aider les personnes handicapées à s'intégrer en milieu ordinaire. Toutefois, progressivement, le rôle de l'AGEFIPH a été dénaturé. La loi de 1987 prévoit une obligation d'emploi de travailleurs handicapés correspondant à 6 % des effectifs, obligation qui peut être panachée entre des emplois, le versement d'une contribution ou des contrats de sous-traitance avec des ateliers protégés. Les nouveaux moyens ainsi dégagés devaient normalement abonder la politique des pouvoirs publics dans le domaine de l'intégration professionnelle des personnes handicapées. Or, l'AGEFIPH s'est progressivement substituée aux obligations de l'Etat et des pouvoirs publics. Cette situation résulte sans doute de l'importance de la masse financière récoltée, laquelle résulte de l'insuffisance des emplois dans le milieu ordinaire. Les pouvoirs publics ont ainsi transféré à l'AGEFIPH un certain nombre de prérogatives financières.

La FNATH a systématiquement dénoncé les transferts par rapport aux équipes de préparation et de suite du reclassement ou par rapport aux aménagements de poste. En effet, ces transferts sont contraires à l'idée d'abondement de la politique des pouvoirs publics : au lieu d'avoir des moyens supplémentaires, l'Etat fongibilise l'ensemble des moyens financiers. De plus, ces transferts financiers se sont aussi accompagnés de transferts de prérogatives de puissance publique. Alors que la puissance publique a vocation à normaliser le dispositif d'intégration des personnes handicapées, c'est l'AGEFIPH qui, désormais, a repris ce rôle puisque c'est elle qui paye. Or, l'AGEFIPH étant gérée de manière tripartite -associations, syndicats et patronat-, cette normalisation obéit à des rapports de force.

Cette normalisation ne correspond pas toujours à l'intérêt général. Ainsi, nous avons dénoncé le fait que l'AGEFIPH, qui prend en charge le financement et la préparation des EPSR, impose des obligations de résultats en termes de placement. C'est le seul objectif recherché par l'AGEFIPH. Or, ce type d'obligations nuit à certaines personnes handicapées éloignées de l'employabilité immédiate et qui ont besoin d'un accompagnement plus perfectionné. Ce travail mené en amont ne se traduit pas immédiatement par un placement. Il est indiscutable que les EPSR sont devenues plus efficaces depuis que l'AGEFIPH s'en occupe, mais la population la plus éloignée de l'employabilité immédiate reste plus longtemps au chômage et continue à être marginalisée. Nous sommes très critiques et inquiets de cette façon d'aborder les questions d'insertion professionnelle des personnes handicapées. L'AGEFIPH constitue à nos yeux un excellent outil, mais elle ne doit être qu'un outil : c'est l'Etat qui doit fixer la politique, déterminer les moyens nécessaires et exercer un contrôle. Par ailleurs, l'action de l'AGEFIPH n'a changé en rien l'attitude des 37 % d'entreprises qui n'emploient aucun travailleur handicapé.

En France, le dispositif est surabondant. Il existe un empilement d'institutions, de législations et d'organismes, ce qui ne permet pas de repenser globalement le dispositif. Ainsi, la COTOREP, dont la mission est fixée par la loi de 1975, est aujourd'hui en décalage par rapport aux nouvelles législations dont celle de 1987 qui a instauré l'AGEFIPH, mais aussi par rapport à l'évolution du dispositif social tant en termes de placement que d'orientation. Les COTOREP ne répondent plus aux besoins des personnes handicapées en termes de rapidité, d'information ou de qualité de l'orientation. Les COTOREP orientent souvent, en effet, les personnes handicapées par défaut, c'est-à-dire en prenant en compte le milieu local et non les aspirations et les besoins des personnes handicapées. Enfin, comme nous l'avons déjà déclaré après la mise en place des COTOREP, propos qui ont été repris dans un certain nombre de rapports officiels, il existe une dualité entre la démarche d'insertion professionnelle et sociale des personnes handicapées et la démarche de prise en charge au titre des allocations. Nous considérons que, pour simplifier le fonctionnement des COTOREP et les rendre plus pertinentes et plus efficaces, notamment en les transformant en véritables instruments d'orientation et d'accompagnement à l'insertion professionnelle, l'attribution des allocations devrait être confiée aux organismes de protection sociale. Toutefois, il y aurait des aménagements nécessaires, notamment à travers le caractère pluridisciplinaire de la décision sur la définition du handicap et sa prise en charge financière. Comme le dernier rapport de l'IGAS et l'IGF le préconise, il faut repenser l'allocation aux adultes handicapés par rapport à l'invalidité et les harmoniser. En effet, actuellement, selon qu'une personne dépend de l'une ou l'autre des allocations, le traitement n'est pas identique tant au niveau du montant que du traitement fiscal de la prestation. On ne peut pas maintenir cet empilement de législations, résultat d'un travail réglementaire d'un demi-siècle qui a produit des incohérences et des injustices pour les personnes handicapées. Les COTOREP doivent être plus efficaces et plus pertinentes en matière d'orientation et d'accompagnement professionnel, la gestion des allocations étant confiées aux organismes de protection sociale.

Enfin, les personnes handicapées doivent relever des dispositifs de recherche d'emploi de l'ANPE. Les ANPE devraient donc être dotées de personnels spécialisés, et notamment de prospecteurs placiers pour les travailleurs handicapés, leur permettant de prendre en charge cette problématique d'emploi dans le milieu ordinaire de travail.

Mme Marie-Claude BEAUDEAU - Que pensez-vous de la possibilité d'une retraite anticipée pour les handicapés salariés âgés de 55 ans ? Un décret a été publié au début de l'année 2000 pour ouvrir le droit à cette retraite anticipée pour les personnes qui ont effectué des emplois pénibles, entre autre le travail de nuit et le travail posté. Combien coûterait une telle mesure ? Par ailleurs, en matière de prévention, après le dossier dramatique de l'amiante, est-on certain que la production industrielle n'utilise pas des matériaux aussi dangereux ? Enfin, l'arrêt de la Cour de cassation sur la réparation des victimes de l'amiante ouvre-t-elle le chemin à une réparation intégrale pour toutes les victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle ?

M. Marcel ROYEZ - La FNATH a 81 ans et s'occupe entres autres des personnes handicapées suite à un accident du travail. Cette longue expérience nous permet d'avoir le recul suffisant pour promouvoir l'idée d'une retraite anticipée, que ce soit la retraite à 55 ans ou la cessation progressive d'activité. La durée de cotisation va s'allonger dans les années à venir en raison de l'entrée tardive dans le monde du travail. En revanche, les générations qui ont commencé à travailler très tôt, dès l'âge de 14 ans, qui se sont usé la santé en effectuant des travaux difficiles et qui ont touché toute leur vie des salaires peu élevés, doivent partir en retraite plus tôt. En effet, ces personnes arrivent souvent à la retraite au même âge que les autres salariés, et parfois même moins tôt que des salariés bénéficiant d'un régime spécial. Or ces personnes ne toucheront leur retraite que pendant un temps limité : les statistiques montrent que l'espérance de vie de ces catégories est plus faible du fait de leur activité professionnelle. Il s'agit d'un problème de justice sociale qu'il faut régler rapidement. En effet, ces problèmes se poseront moins dans quelques années, à moins que les psychopathologies se développent : nous passons d'une génération de la peine à celle de la panne. Cette population doit bénéficier d'une cessation anticipée d'activité et d'un revenu de compensation qui leur permette de vivre décemment leurs dernières années.

La réparation intégrale des victimes d'accidents du travail nécessite une réforme de la législation qui fait désormais la quasi-unanimité. Depuis la décision de la Cour de cassation du 28 février 2002, il serait scandaleux d'obliger les salariés victimes d'accidents du travail à traîner leurs employeurs devant les tribunaux pour obtenir une réparation intégrale. Il convient de réformer la loi de 1898 pour assurer une indemnisation intégrale de tous les préjudices, comme pour l'ensemble des autres catégories de victimes. C'est faire oeuvre de justice pour les victimes, c'est aussi une mesure de prévention car plus la réparation pèsera sur l'auteur des risques, plus l'entreprise sera incitée à développer la prévention.

M. Jean CHERIOUX - Je souhaite formuler une observation et une question. Tout d'abord, le Sénat avait dénoncé les charges financières abusivement imputées à l'AGEFIPH. Par ailleurs, le taux d'emploi de personnes handicapées est trop bas. Or, l'Etat et les collectivités locales ne se sont imposé aucune règle à eux-mêmes. Quel est le taux d'emploi des personnes handicapées dans les administrations publiques ?

M. Marcel ROYEZ - Je ne dispose pas de cette information. Il existe en effet un déficit de l'appareil statistique dans la fonction publique. De plus, la comptabilisation des personnes handicapées n'est pas identique : les fonctions publiques sont tenues à des reclassements internes. Les personnes qui font l'objet de ces reclassements internes ne sont pas comptabilisées comme des travailleurs handicapés. Nous devons simplifier ce point et être très exigeants sur les obligations des collectivités publiques en matière d'emploi des travailleurs handicapés. Elles doivent en effet montrer l'exemple. Le protocole d'accord signé dans la fonction publique d'Etat est intéressant mais il doit être décliné dans la fonction publique hospitalière et territoriale. Enfin, il faut instituer dans les entreprises une obligation annuelle de négociation sur l'emploi et les conditions de travail des travailleurs handicapés. C'est le meilleur moyen d'être plus efficace.

M. Jean-René LECERF - Je connais bien le problème de l'emploi des travailleurs handicapés dans les collectivités publiques : le taux d'emploi minimal est rarement respecté et les collectivités travaillent en dehors du cadre des marchés publics avec des CAT et des ateliers protégés. En effet, ces derniers se trouvent sur leurs territoires et réclament fort justement du travail. En revanche, ils ne pouvaient postuler pour des marchés publics considérables. J'ai présidé des commissions d'appel d'offres, et chaque fois que j'ai essayé d'accorder des marchés publics à des ateliers protégés alors qu'ils n'étaient pas les moins-disants j'ai eu contre moi le préfet et les tribunaux et je n'ai pu aboutir. Dans ma ville, une société employant des personnes handicapées a réussi à décrocher un marché important de téléphonie, mais parce que ce marché nécessitait le travail du samedi et du dimanche, les pouvoirs publics ont refusé de l'agréer. Des dizaines d'emplois ont ainsi été perdus. Ne faut-il pas être plus souple quand l'emploi des handicapés est en jeu ?

M. Marcel ROYEZ - Le problème n'est pas simple. Il faut à la fois être plus souple pour favoriser le fonctionnement de la structure tout en évitant les phénomènes de dumping social. Les travailleurs handicapés doivent bénéficier des mêmes protections que les autres salariés : ils ne doivent pas servir d'amortisseur de notre système économique. Il faut donner aux entreprises les moyens de les employer dans de bonnes conditions.

E. AUDITION DE MME SIMONE VEIL, ANCIEN MINISTRE

M. Nicolas ABOUT, président - Madame la ministre, je vous remercie très vivement d'avoir accepté notre invitation. Il nous paraissait important de vous recevoir au moment où nous réfléchissons à une possible révision de la loi de 1975. En effet, en tant que ministre de la Santé, vous avez eu la charge et l'honneur de préparer ce texte fondateur en direction des personnes handicapées. Je tiens d'ailleurs à saluer le président Fourcade, votre ancien collègue au Gouvernement. Nous avons souhaité revenir avec vous sur la genèse de la loi d'orientation. Il convient de rappeler les objectifs fixés à l'époque, car c'est à cette aune qu'il faut apprécier le bilan de cette loi. Quels étaient les objectifs initiaux de cette loi ? Ont-ils été tous atteints ? Avec un recul de plus de vingt-cinq ans, auriez-vous retenu les mêmes objectifs et les mêmes instruments ?

Mme Simone VEIL - Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir invitée bien que je sois aujourd'hui membre du Conseil constitutionnel. J'ai d'ailleurs demandé que soient respectées certaines formes et je sais que vous en avez pris bonne note. J'ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec le Sénat et notamment la commission des affaires sociales qui m'a toujours soutenue : c'est donc avec un grand plaisir que je reviens parmi vous devant cette commission où je reconnais un certain nombre de visages.

A votre demande, j'évoquerai d'abord la genèse de la loi de 1975.

René Lenoir a joué un rôle essentiel dans la préparation de la loi ainsi que dans sa présentation devant le Parlement. J'étais également très impliquée dans cette élaboration et nous en avons parlé longuement ensemble, même si le texte avait été déjà largement étudié au moment de mon entrée au Gouvernement. L'UNAPEI et les parents d'enfants handicapés ont également joué un rôle très important pour faire prendre conscience du retard de la France en matière d'accueil des handicapés par rapport à d'autres pays, notamment les pays scandinaves mais aussi les Etats-Unis, l'Angleterre ou la Belgique. Les structures spécialisées étaient peu nombreuses, peu adaptées et insuffisantes en qualité. De plus, il n'existait pas d'approche générale touchant la prise en charge des personnes handicapées. L'UNAPEI a eu une forte influence sur la genèse du texte, ainsi que Marie-Madeleine Dienesch qui avait été secrétaire d'Etat aux handicapés.

Depuis de nombreuses années, la question des handicapés mentaux occupe une place centrale dans la politique en ce domaine. En effet, les handicapés physiques sont plus à même de s'occuper eux-mêmes de leurs problèmes. Ils ont d'ailleurs créé de nombreuses associations à cet effet. La loi de 1975 a porté une attention particulière sur la non discrimination de droits intellectuels, moraux ou juridiques dont les handicapés physiques n'étaient pas privés. L'objectif de la loi était de lutter contre ces discriminations et d'intégrer davantage dans la société tous ceux qui avaient un handicap. Pour les handicapés physiques, la loi s'est attachée à des mesures concrètes touchant à l'insertion sociale et professionnelle ainsi qu'aux ressources. Certaines personnes souffrent d'un handicap physique lourd depuis la naissance alors qu'il est pour d'autres la conséquence d'un accident de la route ou du travail. Ces derniers ont souvent droit à une rente ou une indemnité : ils ont dans ce cas moins de problèmes de ressources que les handicapés mentaux qui sont totalement dépendants de leurs parents et des allocations spécialisées.

En 1993, lorsque je suis redevenue ministre trente ans après, la situation des handicapés avait beaucoup changé.

Auparavant le problème du vieillissement, et notamment du vieillissement des handicapés mentaux, ne s'était pas posé ou du moins ne l'avait pas été. Un grand nombre d'entre eux mouraient à la puberté, et rares étaient ceux qui dépassaient 30 ou 40 ans. J'aborderai plus longuement cette question à l'occasion des réformes éventuelles concernant les structures.

En 1993, le problème de la prévention se posait également de façon différente. En effet, un grand nombre d'enfants étaient nés avec un handicap dans les années qui avaient précédé le vote de cette loi, en dépit des efforts importants réalisés afin d'améliorer les conditions de l'accouchement et la surveillance des grossesses. Malheureusement, en raison d'un manque d'équipement dans les petites maternités, il y avait un grand nombre de réanimations tardives, provoquant des handicaps très lourds. Un effort important ayant été réalisé en matière de périnatalité, d'équipement des maternités, de soins, ou de prévention, je pensais que le nombre d'enfants handicapés aurait baissé. Je fus très déçue de constater que, si la prévention et les mesures prises avaient permis de réels progrès pour les cas envisagés, en revanche d'autres sources de handicap étaient apparues. Si les progrès considérables de la médecine et de la chirurgie ont permis de sauver la vie à des personnes qui seraient décédées vingt ans plus tôt, celles-ci restent souvent lourdement handicapées. Je pense notamment à des accidentés de la route, à des enfants souffrant de grands handicaps ou à des personnes restées dans le coma pendant très longtemps suite à une hospitalisation.

Un grand nombre de jeunes gens sont ainsi victimes d'accidents de motocyclette. Ces personnes souffrent souvent d'un handicap physique très lourd qui les place dans une situation d'autant plus tragique qu'elles ont souvent toute leur conscience. La question de la prise en charge de ces personnes se posait : il fallait donner une réponse à ces formes nouvelles de handicap. De même, certaines réanimations s'apparentent à des exploits médicaux. Des études sont réalisées sur ces questions qui restent taboues. Les médecins pratiquent des réanimations sur des nouveaux-nés sans savoir si l'enfant pourra vivre une vie normale. Or, certains enfants ressortent lourdement handicapés de ces réanimations et il est de plus en plus difficile pour les parents de garder et de s'occuper de ces enfants. Je souhaite à cet égard rendre hommage aux parents d'enfants handicapés : ce sont souvent des gens admirables vis-à-vis de leurs enfants, non seulement par les soins qu'ils leur apportent mais également par l'amour qu'ils leur donnent. Cet engagement auprès de leurs enfants occupe toute leur vie.

La prévention doit être une priorité : prévention des accidents de la route, notamment auprès des jeunes qui sont beaucoup plus touchés que les autres ; prévention au niveau des maternités, notamment en ce qui concerne le personnel médical spécialisé et l'équipement des maternités. Un débat s'est ainsi engagé sur la question du maintien en zone rurale des maternités. Il s'agit d'un aspect important de cette problématique, bien davantage que d'une question financière.

Une autre évolution tient dans l'autonomie bien plus importante qu'autrefois des personnes handicapées.

Certaines personnes handicapées, que l'on considérait auparavant comme incapables de se prendre en charge, ont acquis une réelle autonomie. Certaines travaillent dans un atelier protégé. D'autres prennent seules les transports en commun. Quelques-unes habitent avec une ou deux autres dans des appartements adaptés à leur situation. Certaines sont capables de gérer une partie de leurs biens et d'autres ont une vie sexuelle qu'ils revendiquent comme un droit. Toutes ces évolutions soulèvent des problèmes nouveaux mais sont sources d'espoir : elles prouvent que les efforts fournis ne sont pas vains même s'il est impératif de les poursuivre. Nous n'avons pas tiré toutes les conséquences de ces évolutions : il est nécessaire de multiplier les structures souples qui permettent de faciliter l'autonomie des personnes handicapées. Cela soulève la question de l'incapacité juridique des personnes placées sous tutelle ou curatelle, que l'on estime toujours totalement dépendantes de leurs parents, ce qui n'est pas toujours le cas. Lorsque les parents disparaissent, des problèmes relatifs à la tutelle se posent. Les textes concernant la tutelle sont trop rigides et complexes à mettre en oeuvre.

Ces évolutions s'accompagnent de nouveaux problèmes et de difficultés persistantes.

Les parents se sont ainsi rendu compte que l'accès de leurs enfants dans des établissements ordinaires n'était souvent pas possible, ou tout du moins très difficile. Il existe une forte demande pour que ces enfants soient accueillis à l'école comme les autres enfants, ce qui n'est pas toujours possible pour des raisons diverses. En outre leur présence impose un effort particulier de la part des instituteurs ou des professeurs, notamment dans les classes nombreuses. Les élèves eux-mêmes sont souvent tout à fait disposés à accueillir les enfants handicapés et sont ainsi amenés à accepter les différences. Toutefois, l'intégration en milieu ordinaire soulève parfois de grandes difficultés en termes d'organisation ou de transport. Pour que l'accueil en milieu scolaire réponde à la demande des parents, elle devrait être très répandue, ce qui n'est toujours facile. Il faudrait pourtant prendre en compte cette demande des parents qui souhaitent ardemment que leurs enfants puissent avoir accès à des établissements scolaires ordinaires.

Un des problèmes les plus graves, du moins le plus apparent lors de mon second ministère en 1993, c'est le manque criant d'établissements pour certaines catégories de personnes handicapées, notamment les autistes. Je suis encore souvent sollicitée par les parents d'enfants autistes qui savent l'intérêt que je porte à ce sujet. En effet, j'avais eu connaissance de la situation insupportable dans laquelle se trouvaient les parents d'enfants autistes : ceux-ci étaient trop souvent orientés vers des hôpitaux psychiatriques ou laissés à la garde de leurs parents, faute d'établissements spécialisés. Ce problème résultait largement d'un conflit entre psychologues et psychiatres, que nous avons résolu. Un protocole a été adopté pour concilier les différentes approches et nous avons pu créer un certain nombre d'établissements avec un fonds spécial. Mais ils sont loin de suffire aux besoins. En effet, la présence d'un enfant autiste dans une famille est une charge insupportable tant pour les parents que pour les frères et soeurs. En outre, ils arrivent à progresser quand ils sont admis dans des établissements conçus pour les prendre en charge.

Il convient également de créer de nouveaux établissements pour les traumatisés crâniens qui posent des problèmes spécifiques difficiles.

Les progrès de la médecine créent de nouvelles demandes qui ne sont pas perçues suffisamment rapidement pour être satisfaites.

Je me suis interrogée sur ces manques. Ainsi, les autistes sont souvent placés en Belgique en raison du faible nombre de places dans les établissements français alors qu'ils sont pris en charge par la sécurité sociale. Je voulais savoir pour quelle raison les établissements belges étaient beaucoup moins chers que les établissements français. J'ai donc envoyé une mission de l'inspection générale des affaires sociales dans cette optique. L'inspection m'a indiqué qu'elle ne pouvait réaliser une inspection dans un établissement étranger, alors que je lui demandais simplement de se renseigner ! Je n'ai donc pu obtenir le renseignement que je recherchais. Je ne leur demandais évidemment pas d'inspecter les établissements belges, mais je souhaitais savoir comment était constitué le prix de journée, s'il y avait moins de personnel ou s'il était moins payé qu'en France. Les établissements belges sont beaucoup moins chers qu'en France, et les enfants autistes sont envoyés en Belgique. Or cette solution n'est pas satisfaisante notamment parce que les parents sont éloignés de leur enfant.

Il existe donc un retard considérable en matière d'établissements, qui n'a pas été résolu par l'amendement Creton. Cet amendement a conduit à maintenir des adultes dans des établissements pour jeunes, pour lesquels on manque également de places. En fait, il y a une insuffisance de places, surtout dans les centres urbains. C'est une question de ressources et de coût pour la collectivité qui est à l'origine de cette carence.

La décentralisation n'est pas non plus sans soulever de nouvelles questions.

La loi de 1975 est antérieure aux textes sur la décentralisation. Auparavant, le ministère avait le sentiment que sans un très fort engagement de l'Etat, les difficultés des personnes handicapées ne pourraient être résolues. C'est pourquoi la création de places est restée du ressort de l'Etat. Certains départements se sont plus ou moins engagés dans cette démarche en fonction du dynamisme des associations locales, de la pression qu'elles exerçaient, de l'intérêt personnel manifesté par certains maires ou conseillers généraux. La situation est donc très diverse selon les départements. En 1994, Jacques Barrot avait appelé mon attention sur le fait que si la politique en ce domaine était plus décentralisée, il serait plus facile d'adapter le nombre de places aux besoins réels et de négocier certains aménagements à des règles qui lui paraissaient trop rigides. Les collectivités locales pourraient traiter directement avec les associations. J'ai évoqué cette question en 1995 au congrès de l'UNAPEI, mais j'ai observé de grandes réticences à l'idée d'une éventuelle décentralisation par crainte d'un désengagement de l'Etat. Je ne partage pas cette réticence. Je n'ai pas réfléchi à cette question depuis cette époque, mais je crois que le problème est toujours d'actualité. Les associations se sont beaucoup renforcées. De plus, décentraliser ne signifie pas que l'Etat se désintéressera des organismes de ce secteur tant au niveau national que local. De plus, l'opinion publique est beaucoup plus consciente des difficultés rencontrées par les personnes handicapées. La décentralisation pourrait donc constituer un progrès -même si l'un ou l'autre système ont leurs avantages et leurs inconvénients- à condition que sur le plan national on définisse clairement les obligations des uns et des autres.

La question des ressources est un autre problème. Elle se pose notamment pour la prise en charge des établissements. Le coût de construction d'un établissement représente très peu de chose par rapport au coût des prix de journée. Aussi, la création d'un établissement induit une dépense très importante en prix de journée, qu'il faut ensuite assumer au titre de l'aide sociale, les frais médicaux étant pris en charge par la sécurité sociale. Ces prix de journée étant parfois très élevés, notamment pour certaines catégories, l'Etat n'accorde qu'un nombre limité de places, inférieur aux besoins. C'est notamment le cas pour les établissements spécialisés pour les autistes. A ce problème s'ajoute la question du vieillissement des intéressés. Les associations souhaitent que les personnes handicapées vieillissantes ne soient pas envoyées vers des maisons de retraite ordinaires mais acceptées dans des établissements spécialisés, car elles ont besoin d'une prise en charge particulière.

Par ailleurs, lorsque des personnes handicapées travaillent dans des ateliers protégés, elles perçoivent des salaires très peu élevés. Aussi se pose la question du montant des allocations pour personnes handicapées adultes. Elle doit être prise en considération en tenant compte des effets de seuil. Je sais que le Sénat est très attentif aux effets de seuils, qui posent un problème considérable pour les personnes concernées. Ce point est très sensible : il doit faire l'objet de toute notre attention et implique une exigence de solidarité envers les familles concernées. Le Sénat s'était préoccupé de ce problème et avait proposé une solution pour atténuer les effets de seuil afin qu'ils soient moins brutaux que ce que prévoit la loi actuelle. Ce problème, malgré certaines améliorations récemment intervenues, reste encore délicat. Cette situation est particulièrement douloureuse pour les parents vieillissants qui se demandent ce que deviendront leurs enfants. Pour ceux qui n'ont pas de famille, la situation est encore plus difficile. Le vieillissement de cette population est un sujet de préoccupation pour l'avenir, d'autant que l'autonomie acquise par les personnes handicapées induit un certain nombre de dépenses qui s'ajoutent aux frais de la prise en charge. Ce problème doit faire l'objet d'un arbitrage en tenant compte de la charge que représentent les dépenses sociales de la Nation.

L'arrêt Perruche a en outre fait miroiter la possibilité d'une indemnisation réservée à des cas exceptionnels. Cette indemnisation se traduirait par des situations extrêmement diverses et inégalitaires suivant les circonstances de la naissance et l'existence ou non d'une faute. Cette affaire a été l'occasion de soulever le problème de la solidarité nationale et, en conséquence, des ressources des personnes handicapées ou de leur famille, dans un contexte marqué par une forte augmentation des dépenses sociales -notamment celles de l'assurance maladie. Cette augmentation a pu être assumée ces dernières années grâce à une forte croissance. Il n'est pas certain que cette situation favorable se poursuive à l'avenir à une époque marquée par le vieillissement de la population. De même, les progrès de la médecine se traduisent par une augmentation des coûts de la santé. Il est donc nécessaire de prendre en compte ce contexte dans le traitement des ressources des personnes handicapées.

La société, beaucoup plus qu'il y a 25 ans, a conscience de ses responsabilités et de ses devoirs. Ce dernier terme ne me satisfait pas : en effet, c'est la solidarité qui nous impose de prendre en charge tous les être humains, quels que soient leur situation ou leur handicap, qu'il soit inné ou provoqué par un accident. La France est l'une des nation les plus riches du monde : nous devons pouvoir assumer cette solidarité de façon fraternelle dans des conditions décentes qui n'humilient pas les familles et qui respectent les besoins de chacun et notamment des enfants. La loi de 1975, et surtout ce que les parents, les associations et les professionnels en ont fait, a permis d'apporter des progrès considérables malgré ses insuffisances, tant au niveau de la création d'établissements que de la vie quotidienne des personnes handicapées. Elle a permis de leur apporter du bonheur en même temps que du réconfort. Il reste cependant beaucoup à faire.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie. madame la ministre, c'est surtout à vous et à la loi de 1975 que nous devons la prise de conscience par la société française de ses responsabilités envers les personnes handicapées. Nous vous en remercions chaleureusement.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je vous remercie d'avoir accepté de venir témoigner des succès de cette loi de 1975. Malgré vos propos modestes, vous en portez en effet la « maternité ». Quels points de cette loi souhaiteriez-vous amender afin de l'améliorer ? J'ai noté dans votre discours quelques points qui méritent d'être pris en considération. Vous avez abordé le problème du vieillissement, qui est souvent évoqué au sein de cette commission ainsi que celui de la prévention, qui n'a pas permis, comme on aurait pu l'espérer, la diminution du nombre de personnes handicapées. Cette question rentre également dans le champ de la révision de la loi sur la bioéthique,. Vous avez soulevé la question de la tutelle. Effectivement, il convient peut-être de réviser les textes actuels. Vous avez rappelé l'importance des efforts à réaliser pour permettre l'intégration des enfants handicapés dans les écoles. Les associations de parents d'handicapés ont insisté sur la difficulté de cette intégration. Ils ont également mis en relief le manque de structures et les problèmes de ressources. Enfin, vous vous êtes interrogées sur la décentralisation. Je crois qu'il s'agit d'un chantier important.

En revanche, vous n'avez pas abordé la question de la simplification administrative. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Les parents ou les intéressés ne savent pas à qui s'adresser. Ils doivent se rendre à plusieurs guichets et ont parfois du mal à obtenir une réponse à leurs demandes. Par ailleurs, concernant le vieillissement, ne faudrait-il pas envisager la mise en place d'un droit à l'expérimentation ? Ainsi, on pourrait créer, dans les petites villes où existent des CAT et des maisons de retraite, des structures spécialisées adossées aux maisons de retraites et disposant d'un personnel spécifique afin de favoriser l'intégration des personnes handicapées vieillissantes.

Mme Simone VEIL - Le droit à l'expérimentation est une éventualité très intéressante, surtout dans des domaines aussi complexes. Toutefois, un droit à l'expérimentation nécessite de prévoir un minimum de cadre juridique. En effet, des normes sont indispensables pour que la qualité des soins et de l'accueil soit optimale. Ainsi, dans certaines maisons de retraite, malgré les contrôles, la situation est très médiocre pour ne pas dire sordide. Il est donc indispensable d'imposer des règles minimales de confort et d'hygiène. L'expérimentation n'a de sens que si elle est suivie de près afin de savoir pour quelle raison elle a, ou non, réussi. J'avais moi-même lancé une expérimentation concernant la prestation d'autonomie dépendance. Elle n'avait pas été inutile même si j'ai dû renoncer à regret à présenter ce texte que tous les sénateurs espéraient depuis longtemps. Le contexte politique ne s'y est pas prêté.

L'expérimentation est souvent intéressante mais elle suppose une simplification administrative, véritable bouteille à l'encre de l'intervention de l'Etat. Il s'agit d'un sujet récurrent sur lequel travaillent tous les nouveaux ministres. Je me souviens avoir passé des dimanches à réécrire des formulaires rédigés dans un langage administratif, incompréhensible par le commun des mortels et même du public averti. Or chaque caisse est autonome et rédige ses propres formulaires. Aussi, dès que l'on a simplifié un document, cette complexité des documents administratifs ressurgit. C'est en fait par souci de perfectionnisme : les personnes qui demandent des simplifications souhaitent également que l'administration prévoit toutes les situations afin de respecter le principe d'égalité. La simplification administrative ne peut être réalisée que si l'on renonce à certaines garanties.

Le perfectionnisme administratif constitue parfois un obstacle pour les citoyens. Il convient de trouver un juste milieu en rédigeant dans un premier temps des formulaires simples et lisibles et qui ne soient pas trop différents d'un département à un autre. Le guichet unique est un progrès fondamental qui devrait être la règle dans tous les domaines.

M. Alain VASSELLE - Madame la ministre, vous êtes désormais détachée des responsabilités Gouvernementales. Grâce au recul du temps, pourriez-vous nous indiquer le fond de votre pensée sur deux ou trois points.

M. Nicolas ABOUT, président - Avant que vous ne poursuiviez, je tiens à signaler que cette audition ne fera pas l'objet d'une diffusion télévisée. Conscient des responsabilités actuelles de Mme la Ministre, nous lui soumettrons pour approbation le compte rendu de son intervention. Vous pouvez poursuivre votre question.

M. Alain VASSELLE - Les élus locaux sont régulièrement interpellés dans leur département par les parents de personnes handicapées mais aussi par les citoyens, qui se sentent souvent très concernés par leur sort. Il ne nous est pas toujours possible de leur répondre favorablement, ces demandes n'étant le plus souvent pas de notre ressort. Quand vous étiez ministre, existait-il des éléments de blocage et de quelle nature étaient-ils ? Je prendrai l'exemple des besoins en matière d'établissements. Dans mon département, il existe des listes de familles qui attendent des places pour les CAT, en foyer occupationnel ou en structure adaptée pour leurs enfants qui se trouvent encore dans des IME ou des IMPRO et qui ne devraient plus s'y trouver. Or l'administration estime que le nombre de lits et de structures est en rapport avec la population du département. Il existe un décalage complet entre l'expression des besoins et la réponse fournie par les structures existantes. Pourquoi l'administration d'Etat au niveau départemental n'arrive-t-elle pas à répondre à l'ensemble des besoins ?

Par ailleurs, je suis resté un peu sur ma faim sur votre intervention concernant la répartition des compétences entre l'Etat, la région et les départements. Vous sembliez ne pas vouloir choisir entre ces trois niveaux. Pourriez-vous nous indiquer, en tant que conceptrice de la loi de 1975, si le niveau le plus pertinent est l'Etat ou les collectivités locales. J'ai le sentiment que c'est la solidarité nationale qui devrait jouer en faveur des personnes handicapées. Or transmettre cette compétence aux départements ne constituerait peut-être pas le meilleur moyen à cette solidarité nationale de s'exprimer. Peut-être faudrait-il faire jouer aux uns et aux autres un rôle afin de mieux répondre aux attentes des personnes handicapées.

Nous avons souvent abordé la question de la double tarification. Or nous n'avons abouti que très rarement sur ce point. Pourquoi les établissements qui demandent la double tarification n'arrivent-ils pas à obtenir de la sécurité sociale un financement ?

Enfin, nous constatons que les Gouvernements qui se sont succédés n'ont pas su faire évoluer au niveau qu'il fallait les ressources des personnes handicapées. C'est le cas notamment de l'allocation adulte handicapé. Cette allocation de 3.600 francs est complètement consommée par le forfait journalier réclamé par certains départements. Lorsque ce forfait atteint 100 francs par jour, et qu'une personne handicapée n'a plus de famille, elle ne dispose alors que de 500 francs par mois pour faire face à des besoins essentiels de la vie courante qui ne sont pas couverts par ailleurs : s'habiller, avoir une assurance complémentaire, satisfaire à ses besoins de loisirs ou se déplacer. Pourquoi les Gouvernements qui se sont succédé n'ont pas fait évoluer suffisamment l'allocation adulte handicapé alors que des charges nouvelles étaient imputées à ces personnes et à leur famille ?

Je souhaitais recueillir votre avis sur ces quatre points. Je m'excuse d'avoir été un peu long.

M. Jean-Louis LORRAIN - L'accès aux services publics est un problème essentiel, qu'il paraît très surprenant de devoir encore aborder. Par exemple, dans les transports, en particulier les chemins de fer, il est indispensable de demander à l'avance au chef de gare si le quai permet l'accès aux personnes handicapées. Prendre un bus est parfois impossible pour une personne en fauteuil roulant. Dans les centres villes, on construit des rues piétonnes certes très agréables mais on place également des pavés infranchissables. De même, le non-respect des stationnements est un problème que l'on connaît depuis 25 ou 30 ans, mais rien ne change. On se contente de remettre un trophée aux villes méritantes. Dans les commissions départementales d'accessibilité et de sécurité, les pompiers et les associations de défense des personnes handicapées s'affrontent parfois car le recours à l'accessibilité se fait parfois au détriment des normes en vigueur. Faut-il intervenir par la loi afin de résoudre de façon drastique ces problèmes d'accessibilité ? Cette solution permettrait aux personnes handicapées d'être responsables et autonomes sans avoir à leur trouver des tuteurs supplémentaires.

M. Jean CHERIOUX - Concernant l'expérimentation, madame la ministre estime à juste titre qu'il faut éviter la multiplication des structures de décision. Ne sommes-nous pas victimes des principes d'égalité devant la loi et d'universalité des règles ? Ne faut-il pas accepter que certaines structures soient adaptées aux besoins sans pour autant être régies par la loi ? Par exemple, pour les personnes handicapées vieillissantes, il n'existe pas une solution mais plusieurs. Elles se trouvent en effet dans des situations très diverses : certaines vivent chez elles et d'autres dans des instituts spécialisés. Dans ce cas, il est indispensable de ne pas les couper de leur environnement, c'est-à-dire les laisser dans des structures spécialisées à côté des personnes auprès desquelles elles ont toujours vécu. Ainsi, une association des Hauts-de-Seine a pu monter une structure où vivent deux tiers d'handicapés adultes et un tiers d'handicapés vieillissants dont la vie n'a pas changé. Cette solution suppose de la part de l'administration de pouvoir innover et de ne pas rester à l'abri de règlements.

M. Jean-Claude ETIENNE - Vous avez insisté sur la problématique de l'accès aux établissements scolaires ordinaires. Ce point revient souvent dans nos rapports avec les familles concernées par ce problème. Quelles propositions permettraient de faire avancer ce sujet ?

M. Jean-Pierre FOURCADE - Je remercie madame la ministre pour l'ensemble de ses observations touchant ses deux expériences gouvernementales. Pour ma part, je ferai trois observations.

Je regrette d'abord que l'on continue à aborder le sujet de la prise en compte des handicapés sur le mode de la dialectique Etat/Département. Les communes sont en effet concernées par ce problème. Certaines communes ont signé une charte ville-handicap dans laquelle sont traités l'accessibilité pour les personnes paralysées, le développement des foyers occupationnels ou les problèmes de transport. Elles financent ensuite les mesures qui sont prises. Ainsi, dans ma ville, je finance un système de transport adapté aux personnes handicapées. La voirie a été refaite afin de permettre le passage des personnes handicapées aux feux rouges. Nous avons versé à la RATP certaines sommes afin qu'elle achète des bus à plancher plat. Aucune de ces mesures n'a été citée par les intervenants. Aussi, je souhaite que ces dépenses, à la charge des communes, soient bien prises en compte dans l'état exhaustif de la dépense publique en matière de personnes handicapées.

Par ailleurs, depuis 1975, des mesures fiscales ont été mises en place. Mais elles sont très difficiles à déterminer car elles sont perdues dans le magma des avantages fiscaux. Je souhaite qu'apparaissent dans le rapport de Paul Blanc la comparaison entre les dépenses directes (allocation adulte handicapé ou allocation tierce personne) et le coût des avantages fiscaux (part non plafonnée). Cette comparaison permettrait d'avoir une vision complète du sujet.

Enfin, la vraie simplification administrative consistera à mieux partager les compétences entre l'assurance maladie et les collectivités locales. Il convient d'introduire de la simplicité dans ce partage mouvant et complexe, d'où résultent de nombreux gaspillages et de multiples insuffisances. Les rapports entre les CRAM et les départements sont parfois difficiles. De plus, certaines associations n'adhèrent pas à l'UNAPEI ou l'association des paralysés de France et traitent directement avec les DDASS, venant ainsi modifier la programmation des établissements. Il convient de mettre de l'ordre dans l'expérimentation. Le partage des compétences entre les CRAM et les collectivités locales constitue une réelle difficulté : progresser sur ce point permettrait d'avancer dans la simplification administrative.

M. Nicolas ABOUT, président - Madame la ministre, à l'écoute du ton des différents intervenants, j'ai le sentiment qu'ils aimeraient bien vous revoir à un poste ministériel !

Mme Simone VEIL - Concernant le nombre d'établissements, les règles permettant de déterminer les besoins ont été établies à un moment mais elles devraient être systématiquement et régulièrement révisées compte tenu de l'augmentation du nombre des personnes handicapées et de la nature des handicaps. Sur le terrain, les DASS estiment que les besoins sont satisfaits selon des normes fixées par l'administration centrale, mais qui ne sont pas toujours réalistes. C'est une façon de limiter les dépenses : en déterminant par avance l'augmentation du budget consacré aux handicapés, on fixe aussi par avance le nombre de places qui peuvent être créées. Le Parlement peut parfaitement estimer nécessaire de placer l'aide aux personnes handicapées au rang de priorité nationale, mais je n'ai pas souvenir qu'il y ait eu une forte pression sur le Gouvernement en ce sens par rapport à d'autres bénéficiaires où un arbitrage est nécessairement effectué entre les différentes dépenses sociales. L'augmentation des dépenses sociales quel qu'en soit l'objet ne peut intervenir indifféremment dans tous les domaines. Quand je suis arrivée au ministère en 1993, il avait été prévu d'ouvrir de nouveaux CHRS afin de faire face à la nouvelle pauvreté et la précarité. Le budget n'avait pas été augmenté suffisamment pour faire face à la hausse du nombre de places. Nous avons dû trouver dans un budget qui était déjà bouclé des ressources pour faire face à ce problème.

Par ailleurs, certains handicapés sont inscrits sur des listes d'attente dans plusieurs départements afin de trouver plus facilement une place là où elles se libèrent le plus rapidement. Mais comme les familles veulent pouvoir visiter leurs enfants facilement, les besoins les plus importants se trouvent dans les grandes villes, or les terrains sont plus chers et les personnels rares. En revanche, dans certaines régions qui accueillent traditionnellement des personnes handicapées, les besoins sont satisfaits. Certains fonctionnaires en charge de ces dossiers dans les grandes villes sont parfois désemparés face aux demandes des parents : n'ayant pas la possibilité d'y répondre, ils peuvent être tentés de se convaincre que les besoins sont satisfaits. Toutefois, d'autres reconnaissent qu'il existe bien des besoins en la matière.

La double tarification est un vieux serpent de mer : l'assurance maladie estime que le handicap n'est pas une maladie et ne veut donc pas prendre à sa charge une partie des dépenses. Il faudrait donc distinguer la dépense médicale de la dépense sociale, mais la distinction entre les deux n'est pas toujours facile à établir. Il s'agit d'un problème très délicat mais il est nécessaire de trouver une péréquation. Toutefois, la première question qui se pose est de savoir où trouver l'argent. Qui doit payer, du contribuable ou de l'assuré social ? Quelles sont les collectivités qui doivent payer l'aide aux handicapés ? De plus en plus, les communes prennent certaines dépenses gratifiantes à leur charge. Quand je suis arrivée au ministère, la politique de la ville était souvent davantage orientée vers les départements que les communes. Les maires sont pourtant les plus proches du terrain. Toutefois, il faut veiller à ce que la répartition des dépenses ne se fasse pas au détriment des petites communes qui ne disposent pas des moyens financiers, voire même des professionnels pour intervenir utilement. Les maires des grandes villes disposent des moyens et de la proximité pour agir efficacement, même si certains sont plus ardents que d'autres dans ce domaine. Ils auront un rôle de plus en plus important en la matière, ce que les citoyens souhaitent d'ailleurs.

Toutefois, n'ayant pas approfondi la question, je ne peux vous donner mon point de vue sur la meilleure solution s'agissant de la politique en faveur des personnes handicapées. La région me semble mieux placée que l'Etat pour déterminer l'implantation idéale des établissements. Des assouplissements aux règlements en vigueur sont absolument nécessaires, notamment en ce qui concerne la création et la répartition des places en établissement : c'est sur le terrain que l'on peut évaluer les besoins en fonction des ressources disponibles. Je ne pense pas que l'Etat soit le cadre idéal pour le faire. Il est indispensable de conserver une politique nationale très exigeante et précise, la mise en oeuvre devant s'effectuer de façon plus souple au niveau des régions.

Les ressources ne sont pas illimitées : il est donc nécessaire de faire un choix entre différentes dépenses. M. le sénateur Alain Vasselle estime que 500 francs par mois n'est pas suffisant pour les dépenses courantes d'habillement et de loisirs. Un grand nombre de Français n'ont même pas 500 francs par mois pour de telles dépenses. La collectivité est-elle prête à prendre à sa charge une augmentation des allocations ? Le coût de l'augmentation de l'allocation des adultes handicapés doit-il être prélevé sur une autre dépense, laquelle ? ou rajouté au budget social de l'Etat ? Comment dans ce cas peut-on financer cette mesure ? Il s'agit d'un choix politique sur une question touchant à la solidarité nationale à un moment où la France s'est à la fois appauvrie et enrichie. Il devient de plus en plus difficile d'arbitrer entre les différentes dépenses sociales car les inégalités et les risques ont augmenté. Il s'agit d'un choix, mais il doit être effectué de façon transparente. Les Français ont montré qu'ils étaient majeurs et qu'ils pouvaient accepter la vérité en face.

L'accessibilité des personnes handicapées dans les espaces publics est loin d'être pleinement assurée. Je pense qu'il faudra infliger des pénalités aux collectivités qui refusent d'appliquer la loi, qui est très claire sur le sujet. Dans les pays scandinaves ou aux Etats-Unis, les personnes handicapées peuvent accéder à tous les lieux publics et privés. En France, nous devons en permanence nous battre pour améliorer l'accessibilité. Pour parvenir à nos fins, nous devons prendre des mesures très fermes et contraignantes. Lorsque je suis arrivée au ministère de la Santé, je me suis aperçue qu'il n'y avait pas d'accès direct pour les fauteuils roulants, lacune rapidement comblée, mais de façon sans doute encore insuffisante - en raison de l'architecture du bâtiment. Mais les personnes handicapées ne peuvent encore se rendre dans un grand nombre de lieux publics, comme les musées, ou utiliser certains moyens de transports. Réfléchir à ces problèmes constitue une priorité : certains pays les règlent beaucoup mieux que nous. Prendre à bras le corps la question de l'accessibilité ne se traduira pas par des dépenses supplémentaires insurmontables. Il convient de persuader les architectes et les entreprises de travaux publics. Je suggère de réaliser une grande campagne sur ce thème, qui ne coûterait sûrement pas très cher.

Enfin, je ne suis pas en mesure de parler davantage de l'ouverture des établissements scolaires aux enfants handicapés. Des personnalités du ministère de l'Education nationale et pourquoi pas le ministre lui-même, seraient mieux à même de le faire. C'est un problème difficile, ne serait-ce que parce que la situation des handicapés est loin d'être uniforme.

M. Nicolas ABOUT, président - Nous convoquerons les nouveaux ministres au lendemain des élections législatives. Madame la ministre, nous vous remercions de nous avoir fait partager votre expérience et vos réflexions. Nous nous trouvons actuellement, comme vous l'avez été vous-même, au début d'une démarche très importante, et nous essayerons d'être dignes de cette mission.

F. TÉMOIGNAGES

M. Nicolas ABOUT, président - Mes chers collègues, afin de remercier ceux qui se sont efforcés d'être à l'heure, nous allons commencer nos auditions de l'après-midi.

Nous allons ouvrir notre table ronde en compagnie de M. Marc Gonzalvez, M. Marcel Nuss, M. Jean-Christophe Parisot et Mme Nadjat Eyraud.

Dans le cadre de cette journée d'auditions publiques, nous avons souhaité donner le plus largement possible la parole à ceux qui sont confrontés quotidiennement au handicap. Nous souhaitons également que vous nous fassiez part le plus concrètement possible des difficultés que rencontrent au jour le jour les handicapés dans notre pays.

Je propose que chacun d'entre vous prenne la parole pour un propos liminaire avant que nous demandions au rapporteur de lancer proprement dit la table ronde.

Je laisse la parole à M. Marcel Nuss.

M. Marcel NUSS - Merci monsieur About. Je souhaiterais commencer mon intervention par une question qui n'est malheureusement pas très flatteuse : comment voulez-vous que je sois fier d'être Français dans un pays où je dois passer par les caves pour me rendre dans des salles de réunions par exemple ? En effet, le Sénat est très difficilement accessible pour un handicapé. Il existe soi-disant un monte-charges, mais celui-ci ne fonctionne pas et est rudimentaire, dépassé et indigne du Sénat.

Malheureusement, je rencontre ce problème d'inaccessibilité en un grand nombre de bâtiments appartenant aux pouvoirs publics et aux administrations.

Je suis las de ne pas me sentir à ma place dans une société qui vit pourtant avec mon argent. Je suis fatigué d'être un assisté avant d'être un citoyen. Alors que je veux être un citoyen à part entière.

M. Nicolas ABOUT, président - Je voudrais répondre à votre première interrogation. Dès que j'ai été élu sénateur en 1995, j'ai soulevé le problème que vous mentionnez puisque l'un de mes collaborateurs est une personne handicapée.

Auparavant, je ne pouvais pas comprendre que cette personne ne puisse pas venir travailler au Sénat. Je dois dire que le combat a été long, mais depuis cette date, nous avons tout de même obtenu quelques améliorations. J'ajoute que d'autres personnes avaient déjà mené le combat avant moi.

Notre volonté, à la commission des affaires sociales, est de faire en sorte que la pression s'exerce non seulement au Sénat, mais aussi partout en France, pour que la vie des personnes dites handicapées soit la plus aisée, la plus facile et la plus normale possible simplement grâce aux efforts de chacun.

En définitive, je souhaite que le Sénat réponde à votre interrogation par des faits extrêmement concrets.

M. Marc GONZALVEZ - Je vous remercie de m'avoir invité à cette réunion. Aujourd'hui, je reprendrai ce cri du coeur de notre ami Marcel Nuss.

Vous nous demandez de vous relater les difficultés que nous rencontrons au quotidien. En ce qui me concerne, je suis papa d'une petite fille autiste de 7 ans qui vit à la maison parce qu'on nous a refusé toute prise en charge. Profondément indigné, j'ai décidé de créer une association « La Forteresse Pleine » pour une prise en charge privée du handicap de ma fille et j'ai dû remplacer les personnes qui étaient normalement en charge d'éduquer mon enfant. Je dois trouver tous les ans une somme de 180.000 francs, sinon ma fille ne peut pas recevoir une éducation comme les autres enfants. J'ajoute que mon épouse a démissionné de son emploi et qu'elle veille sur notre enfant jour et nuit.

Nous sommes le seul pays au monde à avoir une classification disant que les enfants autistes sont psychotiques, qu'ils souffrent de dysharmonie, etc. On n'identifie pas la maladie et cela a pour conséquence que l'on continue d'envoyer les enfants autistes en hôpitaux psychiatriques.

Tous les jours, un éducateur, payé par nos soins, se rend chez nous pour s'occuper de notre fille. Nous sommes usés. Cela fait cinq ans que nous procédons de la sorte et tous les ans, nous devons trouver les financements nécessaires pour assurer l'éducation de notre enfant.

Pour ma fille, je suis contraint de dépenser 2.000 francs en couches tous les mois. Je dois également lui consacrer 2.000 francs en aliments spécifiques dans la mesure où ma fille suit un traitement sans gluten ni caséine (elle ne peut manger ni pain, ni lait, ni fromage...).

La première chose que nous demandons est qu'au-delà de toute prise en charge -on sait qu'il faut du temps dans notre pays pour appliquer les lois- les médecins arrêtent de ne pas diagnostiquer nos enfants malades en utilisant la classification française des troubles mentaux des enfants et des adolescents.

Je précise qu'il y a encore quelques années, on plaçait les aveugles et les sourds dans les mêmes hospices alors qu'ils n'avaient manifestement pas du tout les mêmes besoins. Les autistes ont également besoin d'une éducation appropriée.

Il existe une classification internationale, voire deux, la CID 10 (OMS) et la DSMIV (anglo-saxonne), que nous devons à tout prix utiliser. Nous ne devons surtout pas classer ces enfants dans des catégories où ils n'ont rien à y faire.

M. Jean-Christophe PARISOT - Je tiens tout d'abord à remercier le Sénat pour cette audition de citoyen engagé dans le cadre d'une réforme approfondie de la loi de 1975.

Bien sûr, nous voulons l'école, le remboursement de matériel, les aides techniques, etc. Mais au-delà de tous ces aspects, nous sommes des citoyens qui avons le droit de vivre en étant différents.

Je suis myopathe, mais je n'en suis pas moins citoyen et étonné de vivre dans un pays qui proclame la liberté de circuler, de s'instruire, de voter, mais qui ne l'applique qu'à une catégorie de citoyens. J'ai souvent l'impression d'être un exilé dans mon propre pays.

Parce que cet exil n'est pas supportable et parce que j'aime la démocratie, j'ai décidé de créer le collectif des démocrates handicapés. Nous avons présenté 25 candidats aux élections municipales et 2 candidats aux élections législatives. Je dois vous dire que depuis deux ans, nous avons rencontré des personnes littéralement dévastées par leur sort.

J'ajoute que l'affaire Perruche et d'autres encore ont contribué à exaspérer les familles.

En définitive, je voudrais que l'on demande aux personnes concernées ce qu'elles en pensent.

M. Paul BLANC, rapporteur - La question que je pose directement aux trois intervenants est la suivante : que pensez-vous qu'il faille modifier dans la loi de 1975 pour qu'en définitive, vos demandes et vos autres requêtes soient prises en compte ?

M. Marcel NUSS - En ce qui me concerne, il a fallu que je menace de faire une grève de la faim médiatisée pour obtenir satisfaction. Cependant, depuis le 11 mars 2002, c'est-à-dire depuis plus de deux mois, nous attendons que les promesses faites ce jour-là soient tenues, et donc que les délégations de crédits indispensables à la mise en oeuvre de ces promesses soient signées.

J'ai encore rencontré hier, à ce sujet, le directeur de la DRASS d'Alsace qui est une personne formidable et très compétente, sachant prendre des risques lorsque cela s'avère nécessaire et totalement solidaire de l'expérimentation en cours.

Pour le moment, j'ai obtenu les moyens d'engager trois personnes à temps plein, alors qu'il m'en faut absolument quatre pour couvrir tous les jours d'une année sans avoir recours à des remplaçants. J'emploie mes accompagnants pour une durée de 48 heures en continu, dont 1/3 de présence, ce qui a demandé des ajustements afin d'entrer dans le cadre légal du droit du travail. D'autre part, d'un point de vue pénal, je suis considéré comme étant irresponsable bien qu'étant l'employeur et totalement responsable de mes choix de vie actuels. En cas de problème, c'est la DRASS et les associations locales qui me soutiennent qui devraient en répondre devant la justice, non moi. Cette situation est anormale et insupportable.

J'estime qu'il est urgent de réfléchir à un texte qui reconnaisse notre place à part entière dans la société française. Je suis handicapé, pas débile. Je sais ce que je fais et pourquoi je le fais, c'est donc à moi seul d'assumer mes choix de vie, non à des tiers.

Actuellement, les administrations me soutiennent parce que, par mon action, je suis en train d'ouvrir une brèche dans le cadre du droit à l'autonomie et au libre-choix des personnes lourdement dépendantes. Celle-ci peut servir de base de réflexion, aussi bien pour les services d'aide à domicile que pour les administrations qui sont dépassées par l'ampleur des besoins et des carences dans ce domaine totalement négligé jusqu'à présent. J'estime que l'on rend trop rigides les démarches nous concernant. En effet, on passe essentiellement son temps à parler d'intentions et de promesses

En tant que personne handicapée, cela fait trente ans que l'on m'a déresponsabilisé. Aujourd'hui, alors que je prends mes responsabilités, on me met des freins.

Il n'est pas question que mon expérience serve forcément de référence car elle est très spécifique. Par contre, je souhaite qu'à terme elle devienne une source d'enrichissement et de base de réflexion en vu d'une généralisation de l'expérimentation en cours.

En définitive, qu'attend-on pour nous donner les moyens nécessaires à son application dans le cadre prévu le 11 mars ?

M. Marc GONZALVEZ - Pour répondre à votre question (que faut-il modifier dans la loi de 1975 ?), je dirai que la réponse est vaste.

Pour ce qui concerne les personnes qui souffrent d'un handicap mental, il me semble que la première des choses est d'identifier les besoins pour ensuite y mettre les moyens adéquats. Or actuellement nous procédons à l'envers, c'est-à-dire que nous créons les structures sans avoir identifié auparavant les besoins des personnes qui iront précisément dans ces structures.

Actuellement, on se pose par exemple la question de savoir si on aura les moyens de mettre un enfant dans une école, et quand on trouve les moyens financiers et matériels adéquats, il est déjà temps que l'enfant change de classe. Il faut alors refaire une convention !

M. Nicolas ABOUT, président - Concrètement, que recevez-vous pour votre enfant ?

M. Marc GONZALVEZ - Après m'être battu quatre années, j'ai obtenu, par diverses pressions, l'allocation d'éducation spéciale troisième catégorie. Elle représente une somme de 6.700 francs par mois.

M. Nicolas ABOUT, président - A quoi vous sert cet argent ?

M. Marc GONZALVEZ - Cette somme est censée subvenir à l'ensemble des besoins de mon enfant. 6.700 francs par mois, cela représente plus de 80.400 francs par an. Il me reste donc encore 100.000 francs à trouver puisque le handicap de mon enfant nécessite une somme de 180.000 francs annuels. Pour boucler le financement, je fais appel aux généreux donateurs : ma famille, mes collègues, etc.

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur Nuss, qu'avez-vous obtenu ?

M. Marcel NUSS - J'ai obtenu un peu plus de 67 000 euros pour financer quatre personnes. Or, il m'en faut 75.000.

M. Marc GONZALVEZ - Il me semble que la première chose à modifier dans la loi de 1975 concerne l'identification précise d'une population. On estime par exemple à 30.000 le nombre de personnes autistes dans notre pays, or les associations savent qu'il en existe au moins 120.000.

La deuxième modification à apporter dans la loi de 1975 concerne la liberté de circuler pour les personnes handicapées. La loi devrait notamment offrir la possibilité pour les personnes handicapées de prendre le train sans avoir de souci. Il faut savoir par exemple que dans les TGV, il n'existe qu'une seule place réservée aux personnes handicapées et celle-ci se trouve de surcroît en première classe, ce qui augmente le coût du billet.

M. Jean-Christophe PARISOT - S'agissant des transports ferroviaires, j'ajoute que, non seulement il n'y a qu'une place par TGV, mais moi qui suis père de famille, je suis contraint de ne pas pouvoir voyager avec mes enfants qui se trouvent à l'autre bout du train. En outre, je ne peux pas prendre le train Corail car les couloirs sont trop étroits.

Au niveau local, la SNCF a bien une navette qui relie la gare au centre ville, mais celle-ci est réservée aux personnes valides. Pour me rendre à la gare, je dois donc prendre un véhicule spécialisé qui me coûte 400 francs par déplacement.

Quand j'ai posé réclamation auprès de la SNCF, on m'a répondu qu'étant donné la loi d'orientation qui stipulait qu'il était seulement souhaitable que les transports publics soient accessibles aux handicapés, rien n'avait par conséquent le caractère d'une obligation.

M. Nicolas ABOUT, président - C'est aux transporteurs de se mettre en conformité dans un délai raisonnable pour rendre le transport accessible à tous.

M. Marcel NUSS - L'AGEFIPH considère qu'être écrivain n'est pas un métier, donc refuse certains financements primordiaux, comme celui d'un véhicule. Est-ce normal ?

S'agissant des transports, mon véhicule coûtera 200.000 francs. L'AGEFIPH devrait m'aider à hauteur de 30.000 francs environ + 90 % des frais d'aménagement. Où vais-je trouver les 100.000 francs qui me manquent ? De plus, l'AFM a dû spécialement me louer un véhicule adapté (15.000 francs pour huit jours) afin que je puisse venir au Sénat aujourd'hui, justement à cause des nombreuses lourdeurs administratives en matière d'acquisitions de matériels adaptés, car le droit à la compensation est, encore et toujours, plus un concept qu'une réalité.

Je me demande ce que signifie l'expression : « droit à compensation  alors que toute demande de subvention nécessité des mois d'attente pour des personnes dont la durée de vie est parfois comptée du fait de leur pathologie. Je suis las de constater que je vis dans un pays nanti où il y a encore des centaines de milliers de personnes en détresse. Des personnes handicapées me téléphonent parfois pour me dire que si on ne les aide pas rapidement, elles vont se suicider, tant leurs conditions d'existence ne sont plus supportables.

Est-cela une démocratie ? En France, les personnes lourdement dépendantes se sentent davantage pénalisées qu'aidées et reconnues dans leurs besoins quotidiens et onéreux.

Je m'en sors parce que je suis ce que je suis, que j'ai des capacités exceptionnelles qui font de moi un privilégié, mais il y en a tant qui ne s'en sortent pas ou si mal. Si je continue ce combat, c'est pour eux.

J'ai obtenu gain de cause, mais cela ne me suffit pas. Je voudrais être fier d'être Français ! A mon sens, c'est seulement une question de volonté politique, peu m'importe qu'elle soit de droit ou de gauche.

M. Nicolas ABOUT, président - Vous n'avez pas tort en rappelant que c'est une question de volonté politique. C'est même une question de priorité.

Le tout est de savoir quelles seront les priorités retenues par les politiques qui auront les moyens d'agir.

M. Jean-Christophe PARISOT - Marcel Nuss vient de rappeler quelque chose d'essentiel : la politique de handicap n'est pas un surcoût dans la mesure où elle fait partie du coût de la collectivité publique.

M. Nicolas ABOUT, président - Je donne à présent la parole à Mme Nadjat Eyraud qui vient d'arriver. Quelles réformes faut-il attendre de la loi de 1975 ?

Mme Nadjat EYRAUD - Notre position n'est pas de réformer la loi de 1975 car celle-ci est plutôt bien faite. Pour nous, le problème essentiel concerne sa non-application.

La loi prévoit aussi bien l'intégration scolaire dans des classes spécialisées que des accueils en centres, etc. Une personne adulte peut très bien travailler en milieu protégé ou en milieu ouvert, etc.

En définitive, la loi de 1975 prévoit tout, mais il lui manque des décrets d'application. De façon urgente, nous demandons que ces décrets soient étudiés et mis en place.

J'ajoute que la loi de 1975 prévoit également des aides aux personnes handicapées, aux familles et aux accueillants.

En conclusion, nous souhaitons que la loi de 1975 soit véritablement appliquée. A notre avis, il n'est pas nécessaire de refondre une nouvelle loi.

Je précise que j'ai découvert les dispositions de la loi de 1975 à travers mon fils qui est trisomique et qui est âgé de onze ans.

Au début, j'ai défendu mon fils par conviction humaine (les enfants handicapés doivent pouvoir vivre comme et avec les autres enfants). Puis au bout de six ans, j'ai découvert la loi et j'ai alors constaté les carences de l'Education nationale. Il existe un véritable refus d'appliquer la loi, de respecter les textes, aussi bien vis-à-vis de la famille que de l'enfant. En outre, l'Education nationale n'informe pas les professionnels accueillant ces enfants de leur droit à obtenir des aides et des moyens nécessaires pour une bonne intégration de l'enfant dans son milieu, son quartier, etc.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je relève quand même une anomalie dans le fait que nous sommes en train de travailler sur une modification de cette loi de 1975 et que vous nous disiez que cette loi est bonne. Ce n'est pas tout à fait l'avis de plusieurs associations que nous avons auditionnées.

Mais au-delà de cette divergence, comment interprétez-vous le fait que, finalement, on trouve toutes ces réticences dans la stricte application de la loi qui existe déjà ?

Mme Nadjat EYRAUD - Je ne dis pas que nous ne devons pas réfléchir sur le contenu de cette loi. Je dis simplement que la loi est bien faite et qu'il est désormais nécessaire de l'adapter à la situation actuelle.

Par exemple, la loi dit que les enfants handicapés ont droit à des aides. On a donc mis en place des auxiliaires d'intégration. Mais quand parviendrons-nous à dire qu'il faut des éducateurs au sein des écoles pour aider les enfants handicapés en intégration ?

Il existe donc bien des éléments et des dispositions à voir et à revoir dans cette loi.

Pourquoi n'applique-t-on pas cette loi ?

Je pense que le handicap est traditionnellement placé dans le domaine de la santé plutôt que dans le domaine de l'éducation. Cela explique que ce soit principalement le domaine médical qui conseille et construise autour de la vie d'un enfant handicapé.

Or de plus en plus, nous évoluons vers ce qui relève du domaine éducatif. Par exemple, pour l'autisme, on parle de plus en plus d'éducation et de psychologie comportementale.

Nous avons tout un travail à mener sur les mentalités et sur l'éducation. Je pense que les enfants qui grandiront à l'école avec des enfants handicapés deviendront plus tard des citoyens qui n'auront plus peur des personnes handicapées.

Il me paraît très important aujourd'hui que l'intégration se fasse au maximum dans le domaine scolaire comme dans le domaine social.

Nous sommes également conscients que ce travail, qui est celui de l'acceptation de l'autre, est long et demande des moyens, mais ce n'est ni plus ni moins que le respect et l'application de la loi de 1975.

A titre d'exemple, ce matin, une maman a été convoquée par la CDES pour demain alors que la loi stipule que l'on doit prévenir les familles dix jours au minimum avant pour qu'elles puissent s'organiser. Cela signifie que l'on ne respecte pas les familles. Cet exemple illustre parfaitement les multiples dysfonctionnements administratifs qui font que l'on n'arrive pas à appliquer cette loi.

A mon avis, il faut en politique des personnes assez fortes pour faire face à cette administration. J'ajoute que c'est en entendant les familles et les personnes handicapées que nous avancerons efficacement.

M. Nicolas ABOUT, président - La loi de 1975 était bonne et représentait un acquis considérable. Elle a certainement besoin d'évoluer puisque, M. Nuss et vous-même, avez entamé une grève de la faim pour faire reconnaître des droits qui ne sont pas forcément inscrits dans la loi.

M. Jean-Christophe PARISOT - Il est important d'observer que la loi de 1975 a posé des fondements qui ont vieilli. Par ailleurs, il convient d'arrêter toute sectorisation de la politique du handicap.

On a parlé du transport. Je voudrais prendre des exemples personnels pour montrer l'urgence de la situation. Enfant, lorsque j'allais au cinéma, on me « refoulait » en disant que la loi sur la sécurité des locaux m'interdisait d'entrer dans la salle de projection. Adolescent, il a fallu me trouver une école. A « l'école de Jules Ferry », on a fait de la discrimination par les locaux. En définitive, je devais faire 40 kilomètres chaque jour pour suivre les cours. Etudiant à Sciences Po, j'ai dû préparer mes examens dans le hall d'entrée de l'établissement. J'ajoute qu'il n'y avait ni transport, ni internat adapté, etc. Que fait-on aujourd'hui dans l'enseignement supérieur ?

Jeune marié, on m'a seulement accordé un prêt d'honneur de 3.000 francs par an. J'ai donc dû faire un recours auprès du ministre de l'Education nationale et j'ai obtenu un prêt pour aide humanitaire.

Dans le cadre de ma recherche d'emploi, il a fallu corriger un décret pour que je puisse avoir accès à un poste.

Puis l'AGEFIPH a refusé de m'aider dans la mesure où j'étais fonctionnaire. Pourtant, que je travaille dans le secteur public ou dans le secteur privé, mon handicap est toujours le même.

En définitive, à quoi sert un transport adapté si le cinéma n'est pas accessible ? A quoi cela sert-il d'avoir un travail si on ne peut pas s'y rendre ?

M. Marcel NUSS - Concernant ce que disait Mme Eyraud, j'ajoute que les fonctionnaires de la DDASS exigent que ce soit nous qui nous déplacions.

Qui peut vivre avec une AAH de 3.700 francs par mois ? Maintenant que j'ai obtenu une enveloppe suffisante pour engager des accompagnants, je ne devrais, logiquement, plus toucher l'ACTP puisqu'elle fait double emploi. En clair, cela signifie que je devrais vivre avec 5.200 francs, ce qui est impossible.

Quand l'AAH cessera-t-elle d'être indexée ? Je ne suis pas un assisté. L'AAH devrait être un dû au même titre qu'une pension d'invalidité. Il est impensable de vivre avec le couperet d'une AAH qui peut être réduite ou supprimée pour des raisons de dépassement du plafond.

J'en ai assez de vivre des subsides de l'État. En même temps, je suis une personne handicapée et j'ai des contraintes coûteuses que je suis pas en mesure d'assumer avec mes moyens actuels, pas plus que la plupart des personnes dans ma situation. Quand est-ce que la mentalité française changera sa conception du citoyen handicapé et de sa place dans la société ? J'en ai assez des demi-mesures. Je veux savoir clairement quelle est ma vraie place dans la société.

Aujourd'hui, les personnes handicapées et les parents d'enfant handicapé ont le droit d'avoir des réponses claires à cette question.

M. Nicolas ABOUT, président - Il me paraît évident que l'allocation adulte handicapé n'est qu'un élément de compensation qui ne doit pas être attribuée sous condition de ressources.

M. Jean-Christophe PARISOT - Je connais une personne handicapée qui souhaite se marier avec une infirmière. En cas d'union, elle ne toucherait plus l'AAH. Certaines personnes ne peuvent donc pas se marier car on leur supprimerait alors l'AAH.

M. Marcel NUSS - C'est ce qui est arrivé à mon ex-épouse et à moi-même.

M. Marc GONZALVEZ - Je pense qu'il faut réformer la loi de 1975, et ce dans la continuité.

Si vous donnez un auxiliaire d'intégration à un enfant, et que cet auxiliaire n'est pas formé au handicap qu'il est censé connaître (autisme, trisomie, IMC, etc.), autant lui donner alors une femme de service. Si vous recherchez une inclusion (c'est-à-dire le fait d'être inclus dans un projet éducatif) plutôt qu'une intégration, vous n'avez alors pas besoin d'une personne formée pour cela. Il suffit d'accompagner l'enfant.

Il est important d'avoir une continuité. Il est important également d'avoir quelqu'un à disposition qui soit formé.

M. Paul BLANC, rapporteur - A votre avis, faudrait-il intégrer dans la réforme de la loi un volet formation professionnelle visant ceux qui travaillent pour les personnes handicapées ?

M. Marc GONZALVEZ - C'est une priorité pour un certain nombre de personnes. J'ajoute que la prise en charge n'est pas la même selon le handicap subi. M. Nuss n'a par exemple pas la même prise en charge que ma fille. M. Nuss a besoin de quatre personnes présentes en permanence auprès de lui.

M. Marcel NUSS - L'administration estime que j'ai besoin de six personnes présentes en permanence auprès de moi.

Je précise que mon personnel n'est pas qualifié. Je me suis rendu compte que travailler avec des personnes non qualifiées est plus sécurisant car, étant non qualifiées, elles n'ont pas la prétention de savoir et sont donc plus adaptables à notre attente et à nos besoins. Je peux vous assurer que leur travail est très efficace et très rassurant car elles sont animées du souci de toujours bien faire. Par ailleurs, elles acquièrent très rapidement des automatismes.

Il est d'ailleurs urgent de prévoir, pour les accompagnants, des formations adaptées spécifiques. Nous allons y arriver car la profession d'accompagnant constitue une véritable révolution dans ce pays.

J'ajoute que, de plus en plus de personnes sont aujourd'hui très attirées par des emplois à caractère humain et social. Aujourd'hui, on a envie de travailler de façon humaine plutôt que de façon rentable.

M. Jean-Christophe PARISOT - Comment se fait-il qu'il y ait si peu de personnes handicapées dans les instances qui permettraient pourtant de former les personnes ou de prendre des décisions importantes ?

Par ailleurs, pourquoi y a-t-il si peu de personnes handicapées dans les conseils d'administration des hôpitaux, etc. ? Pourquoi les personnes handicapées ne sont-elles jamais actrices de leur propre destin ?

Pour cela, il faudrait faire de nous des citoyens à part entière et nous donner les moyens d'agir. En définitive, il s'agit de faire participer les personnes handicapées elles-mêmes à l'amélioration de leur propre vie.

En Scandinavie, il existe par exemple un conseil national des personnes handicapées qui est chargé de donner un avis sur chaque loi. Ce n'est pas une instance simplement consultative, mais une instance qui donne un avis qui est attendu, motivé et budgété.

Ne pouvons-nous pas, dans le cadre de la réforme de la loi de 1975, prévoir une participation effective, et non pas seulement symbolique, des personnes handicapées ?

M. Marcel NUSS - D'ici trois ans, l'Administration doit embaucher 90.000 personnes handicapées. Comment va-t-elle faire ? Où va-t-elle les trouver ?

Aujourd'hui, on veut des faits et surtout des actes, ce qui n'est pas le cas pour le moment.

M. Nicolas ABOUT - Pardonnez-moi, je voudrais demander l'autorisation à M. Coll de poursuivre un quart d'heure cette discussion. Merci beaucoup. Cela permettra à chacun de nos invités de s'exprimer sur le sujet de son choix.

Mme Nadjat EYRAUD - Cette loi de 1975 manque évidemment de continuité pour ce qui concerne par exemple la formation des enseignants ou l'échange des pratiques au niveau des éducateurs spécialisés ou de la médecine.

Concernant les allocations allouées, M. Nuss parlait tout à l'heure des problèmes liés à l'allocation adulte handicapé. Aujourd'hui, il me semble que l'on ne prend pas suffisamment en compte les besoins véritables de la famille ou de la personne.

C'est dans ce domaine que la loi mérite d'être complétée. Il faut néanmoins veiller à ce qu'il n'y ait pas de rigidité dans la modification de la loi.

Par exemple, pour des éducations spécialisées type SESSAD, certains ont fait des choix souples pour travailler avec les personnes qui vivent avec l'enfant à l'extérieur. D'autres acceptent de suivre l'enfant à condition qu'il ne soit suivi que chez eux. Or les familles ont déjà un suivi et elles se retrouvent par conséquent devant un choix à faire selon les besoins de la gestion administrative. Il existe donc un véritable problème.

De la même façon pour les auxiliaires d'intégration, il conviendrait que ces derniers puissent aller à l'IUFM et qu'ils aient une formation continue.

Je rejoins également M. Parisot sur la présence nécessaire dans les commissions de personnes handicapées. J'ajoute qu'il est urgent que des personnes handicapées soient présentes dans les CDES. C'est uniquement une question de volonté politique.

En définitive, je maintiens ce que j'ai dit précédemment : la loi de 1975 est très bien faite, mais elle doit être désormais appliquée et adaptée.

Je me demande également s'il n'y a pas une confusion entre la loi, les règlements et les fonctionnements administratifs. Il faut veiller à ne pas tout vouloir mettre dans la loi.

Pour conclure, vous nous avez demandé d'apporter un témoignage fort par rapport à notre expérience personnelle. Je prendrai l'exemple d'une convention d'intégration scolaire pour laquelle il a fallu pas moins de 10 signataires et deux ans de combat pour 50 minutes de classe par semaine. Il faut faire en sorte que, dans la loi de 1975, il n'y ait plus aucun parent qui soit obligé de se battre deux ans pour obtenir ce document de convention d'intégration scolaire.

La question posée est celle des droits fondamentaux des personnes handicapées. Actuellement, les personnes handicapées ne sont pas considérées comme des personnes à part entière. Quand on pense à faire une loi ou une action en direction des personnes ou des enfants handicapés, il faut procéder à des comparaisons et toujours se demander si on aurait fait la même chose pour des personnes valides.

M. Jean-Christophe PARISOT - Pour conclure, un élément me paraît essentiel pour la rédaction du texte de loi : attention aux termes que vous allez utiliser ! En effet, je plaide très vivement pour l'expression de « citoyen handicapé ». Si vous nous réhabilitez dans nos droits de citoyens, tout le reste va alors pouvoir suivre.

Si vous utilisez dans le préambule du texte de loi, l'expression de « citoyen handicapé », un jour prochain, les bulletins de vote pourront alors être en braille, les bureaux de vote seront accessibles aux personnes handicapées et les émissions électorales télévisées seront toutes sous-titrées.

M. Marcel NUSS - Je suis entièrement d'accord avec vous. On ne peut rien faire sans vous, et il est temps que vous compreniez que vous ne pouvez rien faire sans nous non plus. Il faut agir ensemble.

Le plus urgent est d'appliquer très rapidement les dispositions contenues dans la loi de 1975.

M. Nicolas ABOUT, président - Cela me paraît suffisamment clair. On a bien compris qu'il fallait agir ensemble et c'est ce à quoi cette commission s'est engagée.

Je vous remercie d'avoir témoigné avec tout le dynamisme et l'énergie qui vous caractérisent. J'ajoute que vous aurez la possibilité de transmettre toute déclaration supplémentaire qui sera jointe au présent rapport de commission.

G. AUDITION DE M. JEAN-MARIE COLL, VICE-PRÉSIDENT, ET DE M. CLAUDE MEUNIER, DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT DE L'ASSOCIATION DES PARALYSÉS DE FRANCE (APF)

Nous accueillons à présent Monsieur Coll, vice-Président, et Monsieur Meunier, Directeur adjoint de l'APF.

M. Jean-Marie COLL - Tout d'abord, je tiens à vous remercier pour cette invitation. Je pense que les échanges qui ont précédé mon intervention ont été particulièrement fructueux. Nous venons apporter une pierre à un édifice qui a déjà été bien amorcé par les interventions des quatre participants précédents.

L'APF est un mouvement national qui réunit les personnes handicapées moteur, leurs familles et les personnes valides. L'APF a pour objectif essentiel de promouvoir l'être humain.

L'association repose sur le principe de la citoyenneté des personnes handicapées qui doivent selon nous maintenir leur existence en toute liberté.

Depuis bientôt 70 ans, l'APF poursuit l'objectif unique de mettre tout en oeuvre pour que chaque personne handicapée puisse trouver sa place dans notre société en tant que citoyen à part entière.

L'APF compte 35.000 adhérents, 25.000 bénévoles et 10.000 salariés. Elle bénéficie d'une implantation locale très forte. Nous sommes proches, par nos délégations, des personnes handicapées et de leurs familles. J'ajoute que tout un aspect de l'APF concerne la gestion des établissements et de leur structure. Je peux vous citer les services médico-éducatifs, les services auxiliaires de vie, les structures de travail adapté et protégé, etc.

L'APF est présente sur l'ensemble du territoire. Ce mode d'organisation permet de constituer et d'animer un réseau de proximité qui est nécessaire à cette solidarité à laquelle nous faisons référence de plus en plus. Nous sommes également les protecteurs et les défenseurs des droits des personnes handicapées.

Il faut savoir qu'aujourd'hui plus de 3 millions de personnes handicapées ainsi que leurs familles souhaitent être entendues.

L'APF demande que l'Etat prenne les mesures individuelles et collectives pour garantir l'égalité des chances entre personnes handicapées et valides. L'APF souhaite également que des moyens concrets soient mis en place pour compenser la rupture d'égalité et que l'équilibre entre personnes valides et personnes handicapées soit rétabli par un effort collectif (c'est ce que l'on appelle l'accessibilité ou l'accessibilisation) et par des mesures individuelles (c'est ce qu'on appelle le droit à compensation des incapacités selon le handicap).

Dans tous les domaines de la vie du citoyen, les personnes handicapées attendent qu'on leur rende leur place. Cela concerne aussi bien la participation à la vie de la cité que les loisirs, les vacances ou encore la recherche d'autonomie.

S'agissant de l'état de nos travaux sur la réforme de la loi de 1975, sachez que l'APF souhaite la tenue d'un grand débat national pour faire évoluer les concepts.

Il est nécessaire que s'opèrent des modifications sur la manière d'aborder le handicap dans notre pays. Notre démarche consiste ici en trois directions essentielles : par une pratique systématique de l'accessibilisation de la société ; par la mise en place d'un droit à compensation des incapacités pour permettre une véritable égalité des chances ; enfin, par l'articulation des réponses, de la place et du fonctionnement des institutions qui restent nécessaires.

Tout cela doit être réalisé sans figer les situations mises en place. Le fait de revoir la loi devrait également permettre de faire évoluer les moyens accordés à la solidarité nationale pour financer cet ensemble et ainsi mettre en place un régime de protection sociale qui soit digne de ce nom en ce qui concerne le handicap.

M. Paul BLANC, rapporteur - Pouvez-vous expliciter davantage votre dernière phrase ? Verriez-vous la prise en charge du handicap dans le cadre de l'Assurance maladie ?

M. Jean-Marie COLL - Nous pourrions envisager la création d'un cinquième risque au même titre que les autres risques liés à l'assurance maladie et aux accidents du travail. Ce risque procéderait d'une forme contributive et serait géré comme le sont actuellement les régimes de sécurité sociale

Je fais référence à la législation récente sur le handicap au Luxembourg où le risque dépendance a été intégré en tant que tel dans le régime de sécurité sociale.

M. Paul BLANC, rapporteur - Personnellement, j'avais exprimé devant la Haute Assemblée mon point de vue sur le risque dépendance. Je pars du principe qu'à la suite des progrès liés à l'allongement de la vie, toute personne a vocation à devenir un jour dépendante. De la même façon, lorsque nous faisons l'acquisition d'un véhicule automobile, nous avons vocation à avoir un jour un accident. A ce titre, il est obligatoire de s'assurer.

Pour le handicap, cela ne me paraît pas aussi justifié.

M. Claude MEUNIER - Notre position se fonde sur deux plans. Le premier concerne l'accessibilisation, c'est-à-dire tout ce qui touche à l'environnement. Il est en effet nécessaire que les personnes handicapées puissent utiliser tous les dispositifs ordinaires. Ce point est indissociable du droit à compensation que l'on situe d'un point de vue individuel.

Tout personne, compte tenu de ses incapacités propres et de ses besoins spécifiques, doit recevoir, de façon individuelle et quel que soit son handicap, les moyens de cette compensation en fonction de ses besoins propres.

S'agissant des ressources, nous comptabilisons trois niveaux : le premier niveau est constitué par le revenu de subsistances (l'AAH) ; le deuxième niveau est constitué par la compensation ; la première strate de ce second niveau est constituée par le revenu de remplacement, pour les personnes handicapées qui ne peuvent pas travailler ou qui ont une efficience très faible, nous demandons que le niveau minimum soit égal au SMIC ; la seconde strate de ce second niveau est constituée par les surcoûts liés au handicap. Dans notre esprit, cette compensation des surcoûts spécifiques ne doit pas tenir compte des ressources. Nous préférons que les personnes handicapées ne bénéficient plus de la demi-part et qu'elles soient solvabilisées à hauteur des besoins qu'elles ont.

L'ACTP actuelle ne prend en compte que l'aide humaine et ce, en fonction d'un certain nombre d'heures, etc. De ce point de vue, nous souhaiterions que tous les coûts soient pris en compte (aide technique, aide humaine). C'est dans ce cadre que nous pensons à l'idée d'un cinquième risque.

M. Paul BLANC, rapporteur - Pour une personne handicapée, la dépendance est liée au handicap ; pour une personne âgée, la dépendance est liée à l'évolution normale du corps humain.

M. Nicolas ABOUT, président - Je n'en suis pas tout à fait d'accord. La dépendance est une notion très évolutive qui demande un réajustement constant. Certaines personnes âgées ne sont pas dépendantes. On peut donc vieillir sans être dépendant.

M. Paul BLANC, rapporteur - Quelles sont les modifications que vous voudriez voir apportées à la loi de 1975 ?

M. Jean-Marie COLL - La loi de 1975 a constitué une étape fondamentale dans l'approche du handicap, même si un certain nombre de textes ne sont pas parus en temps voulu. Des avancées significatives ont été réalisées.

Le changement environnemental nous incite cependant à avancer dans la direction d'une nouvelle loi. En effet, le changement économique et social perturbe considérablement l'approche de la personne handicapée en 1975 comme en 2002. Beaucoup d'éléments ont également changé au sein de la mentalité des personnes handicapées. Aujourd'hui, les personnes handicapées et leurs familles souhaitent devenir des acteurs à part entière avec une participation concrète à l'ensemble de la vie de la société.

Par la conjonction de ces deux éléments qui sont, d'une part, l'évolution de la société et, d'autre part, l'évolution de l'état d'esprit, des demandes et des besoins, notre réflexion s'axe sur une loi qui s'orienterait vers la réaffirmation de grands principes fondamentaux et qui déclinerait la mise en place pratique d'un certain nombre de dispositifs dans l'éducation, la culture et la vie professionnelle.

En définitive, une loi forte rappellerait l'ensemble du dispositif des grands principes fondamentaux. Une loi de programmation rappellerait les moyens à mettre en oeuvre. Cette loi engagerait l'Etat et donnerait à cette obligation nationale un caractère impératif.

M. Alain VASSELLE - Vous avez fait allusion au dispositif de financement des personnes en situation de dépendance par rapport à une logique d'assurance. Ne pensez-vous pas, en ce qui concerne les personnes handicapées, compte tenu de l'origine du handicap, que l'on peut apporter des réponses qui sont différentes en fonction de la nature du handicap ?

Nous savons que nous pouvons tous devenir, à partir d'un certain âge, dépendants. Ceci étant, ne peut-on pas considérer qu'un système d'assurance peut être envisagé pour les personnes qui sont susceptibles d'être confrontées à ce risque de dépendance ? Il en est de même pour celui qui devient non dépendant du fait d'un accident de la vie. Des systèmes d'assurance couvrent en effet ce genre de risques. Par contre, pour ce qui est d'un handicap d'origine génétique ou liée à la naissance, il me semble que la solidarité nationale doit jouer. Et on ne saurait imaginer un système d'assurance pour couvrir ce type de risques. J'aimerais avoir votre sentiment sur ce point pour que nous puissions avoir une vue assez claire sur le sujet en termes de perspectives d'avenir.

Par ailleurs, s'agissant du surcoût du handicap, vous nous dîtes que l'ACTP ne couvre que les prestations humaines. Sachez qu'une initiative a été prise concernant le fait d'exiger l'effectivité de l'utilisation de l'ACTP par la personne handicapée. Je peux vous citer des exemples précis de personnes qui ont connu le bénéfice de l'ACTP sous forme d'une allocation dont elles disposaient librement. Dorénavant, il n'est plus possible d'utiliser librement cette allocation car il faut en assurer l'effectivité par le recrutement d'une personne déclarée.

Je souhaiterais savoir si vous considérez que, lorsque nous accordons une aide pour financer le surcoût du handicap, un lien très étroit doit s'établir avec l'effectivité ou si l'allocation versée peut être utilisée librement par la personne handicapée.

M. André LARDEUX - Ma question est d'ordre institutionnel. L'APF a l'habitude de travailler avec les collectivités locales. Or, la loi de 1975 est antérieure aux lois de décentralisation. Est-ce que l'équilibre institutionnel dans la prise en charge des personnes handicapées vous semble satisfaisant ? La répartition actuelle des compétences vous semble-t-elle convenable ou faut-il envisager des évolutions pour répartir à nouveau les responsabilités ? En définitive, cela doit-il uniquement relever de la solidarité nationale ?

M. Jean-Marie COLL - Il est nécessaire d'évaluer les surcoûts en fonction de la solvabilisation des personnes handicapées. L'APF reste très attachée à la notion de solvabilisation des personnes handicapées et de leur famille.

S'agissant des surcoûts, je n'ai pas bien compris votre intervention.

M. Alain VASSELLE - J'ai évoqué la solidarité nationale en référence à l'allocation adulte handicapé. Ne pensez-vous pas qu'il faille distinguer la nature du handicap pour définir le montant des prestations à accorder aux personnes handicapées ?

Nous pouvons nous orienter vers une logique d'assurance lorsqu'il s'agit, par exemple, de personnes âgées qui deviennent dépendantes ou de personnes handicapées du fait d'un accident de la vie. En revanche, lorsqu'il s'agit de personnes qui naissent handicapées ou qui le deviennent pour des raisons génétiques, il me semble que l'on ne peut pas s'orienter vers une logique d'assurance.

M. Claude MEUNIER - En ce qui nous concerne, la protection sociale doit assurer tout cela. Nous nous sommes beaucoup battus sur la question du choix du mode de vie et en faveur de la création de sites pour la vie autonome. Notre idée est d'analyser chaque cas de façon spécifique en fonction des besoins de la personne handicapée. Dès lors, tout ce qui relève de l'ACTP n'a plus lieu d'être. Dans notre esprit, ce système n'existe plus. Seuls des besoins sont alloués à des personnes en fonction de leur situation spécifique et personnelle.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie, Monsieur le Président et Monsieur le Directeur général, pour cette audition tout à fait intéressante qui vient compléter celle que nous avons eue auparavant.

Vous pouvez naturellement faire parvenir à M. le rapporteur tous les compléments d'intervention que vous souhaitez.

H. AUDITION DE MM. FERNAND TOURNAN, PRÉSIDENT, ET SERGE LEFEBVRE, VICE-PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION POUR ADULTES ET JEUNES HANDICAPÉS (APAJH)

Nous allons maintenant accueillir M. Fernand Tournan et M.  Serge Lefebvre, respectivement président et vice-président de l'Association pour adultes et jeunes handicapés.

M. Fernand TOURNAN - Je vous remercie de votre invitation. Nous allons essayer, avec M. Lefebvre, de nous introduire dans le débat que vous proposez. Ce débat est d'actualité puisque le thème central que vous souhaitez aborder concerne la révision de la loi d'orientation de 1975.

Avant tout, je souhaiterais commencer mon intervention par une rapide présentation de notre association. La fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés a 40 ans cette année. C'est une association laïque qui gère, dans 80 départements en France, 560 établissements et services, et qui s'occupe, accueille, intègre, et essaie de faire vivre au plus près de la vie ordinaire, 24.000 personnes handicapées, enfants, adolescents ou adultes.

L'APAJH s'est créée autour de l'intégration scolaire. Aujourd'hui, elle fait vivre ses principes d'intégration et d'inclusion non seulement pour l'intégration scolaire des enfants, mais aussi pour celles des étudiants et des travailleurs.

Nous essayons de construire au plus près possible et en fonction des potentialités, l'autonomie de la personne handicapée.

Nous pensons que le problème du handicap doit intéresser la société toute entière pour faire vivre cette nécessaire solidarité de la Nation envers les plus démunis et les plus fragiles d'entre nous.

A l'APAJH, sont présents à la fois des familles de personnes handicapées, mais également des militants associatifs qui ne sont pas toujours parents de personnes handicapées. Nous nous appuyons en outre sur des professionnels du secteur médico-social.

En ce qui concerne notre positionnement en vue de la révision de la loi d'orientation de 1975, je tiens tout d'abord à saluer la portée de cette loi qui fut essentielle et qui a permis d'organiser le secteur et de faire vivre les premières institutions en faveur de l'accompagnement des personnes handicapées.

Aujourd'hui, il faut, d'une part, tenir compte de l'évolution de la société qui a beaucoup changé en 25 ans et, d'autre part, tenir compte des aspirations nouvelles des familles des personnes handicapées par rapport aux progrès qui ont été accomplis.

Nous souhaiterions renforcer toute la dimension intégrative de la loi de 1975 qui est actuellement en chantier afin de permettre véritablement l'exercice d'un droit à la citoyenneté et une réponse de solidarité de la part de la société.

Il est donc nécessaire de mettre en place l'égalisation des droits, à la fois sur le terrain de l'accessibilité de la cité (il y a des efforts importants à mener dans le domaine des équipements collectifs, et ce dans tous les registres -écoles, collectivités publiques-), et sur le terrain des aides techniques et humaines individuelles (droit à compensation).

Ces deux évolutions doivent être menées de pair et doivent concentrer l'essentiel des efforts à mener.

Un point important concerne plus spécifiquement l'APAJH : nous voudrions, en effet, que l'occasion de réviser la loi d'orientation soit celle de gommer tous les aspects trop caritatifs de la première loi de 1975.

Lorsque le titre même de la loi de 1975 parle de « loi en faveur des personnes handicapées », il y a dans cette expression, quelque chose de pratiquement condescendant à l'égard des personnes handicapées. Quand nous voyons avec quelles exigences les personnes handicapées nous demandent de répondre à leurs problèmes de façon solidaire et non plus uniquement sur le plan de l'assistanat, nous devons alors faire en sorte de nous situer sur un autre registre.

En ce qui concerne les réponses, nous ne voudrions pas opposer les établissements qui rendent des services minimum, mais nous voudrions tenter de construire un nouveau maillage avec des passerelles entre les établissements et le milieu ordinaire, avec l'aide de services qui permettraient de constituer des relais. En définitive, je plaide pour la mise en place d'un réseau permettant de répondre au plus près aux intérêts de la personne handicapée.

L'autre aspect de mon intervention concerne le fait que nous pouvons souvent regretter que les personnes handicapées soient « régentées » par le côté « santé » et « affaires sociales ». Or, si nous voulons que la personne handicapée soit au plus près du milieu ordinaire de vie, il faudrait qu'une réponse vienne de l'ensemble des départements ministériels. Nous plaidons en conclusion pour une interministérialité de réponses.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je vous ai écouté attentivement. Sur le point de la dimension intégrative, et en particulier pour tout ce qui concerne l'accessibilité, je crois qu'en réalité, cela ne nécessite pas de modification, car la loi actuelle prévoit précisément toutes ces dispositions. En fait, le problème qui se pose à nous est celui de faire respecter la loi.

Par ailleurs, vous avez parlé des droits à compensation. Pourriez-vous expliciter davantage ce que vous entendez par là ?

Puis, vous avez souligné la nécessité de gommer les aspects caritatifs de la loi. Pouvez-vous nous donner d'autres exemples, dans la loi qui mériteraient d'être modifiés en ce sens ?

Enfin, concernant le rattachement de toute la politique des personnes handicapées au secteur de la santé, vous souhaiteriez, non pas un ministère de plein exercice, mais un ministère rattaché directement au Premier ministre, dans la mesure où il y aurait une rupture de ces liens avec le ministère de la Santé. Est-ce le sens de votre remarque ?

M. Fernand TOURNAN - Concernant l'illustration de l'aspect caritatif, pour vous donner un autre exemple, je dirais que lorsque l'on prononce le mot de « solidarité », il faut en regard de ce terme faire le contrepoint de ce qui existe à l'heure actuelle et qui est un régime d'aide sociale.

Une aide sociale est consentie et ne constitue a fortiori pas un véritable droit. Tout à l'heure, vous débattiez de savoir si, lorsque l'on prononce l'expression de réponse solidaire, il faut envisager d'aller vers un cinquième risque au niveau de la protection sociale qui couvrirait l'ensemble des situations de handicap. L'APAJH répond résolument par l'affirmative. Nous réfutons d'avance l'idée d'une couverture assurancielle. Il doit s'agir d'une véritable solidarité organisée au niveau de l'Etat et des collectivités qui ont en charge le secteur. En définitive, nous voudrions substituer un régime d'aide sociale à un véritable régime de solidarité.

En ce qui concerne le secteur ministériel, nous n'irons pas jusqu'à ce point de détail. Il ne nous appartient pas de dire si le Gouvernement ou le Premier ministre doit choisir un secrétaire d'Etat ou un ministre spécialement chargé des personnes handicapées. Néanmoins, il me semble nécessaire de mettre en place une interministérialité. Je rappelle pour mémoire ce qui a été dit sur l'exemple du Danemark.

M. Serge LEFEBVRE - Je voudrais apporter, non pas des compléments, mais un éclairage légèrement différent pour répondre à votre interrogation.

Mes propos apparaîtront peut-être dérisoires par rapport à ce qu'ont dit précédemment les personnes handicapées qui nous ont exprimé leur désarroi et leur inquiétude pour l'avenir en termes parfois violents.

Sans entrer dans une analyse qui consisterait à distinguer ce qui est caritatif de ce qui ne l'est pas, les dimensions du handicap ne sont pas séparables : il s'agit de l'incapacité, de la déficience, mais également des diverses impossibilités d'accéder ; il s'agit aussi du regard des autres. La personne handicapée se sent marginalisée et exclue, et se sent dans l'obligation de lutter pour faire valoir ses droits, ce qui est tout de même un comble. La place de la personne handicapée dans la cité relève avant tout d'un problème politique, ni en termes d'obligation, ni en termes d'assistance, mais en termes de solidarité nationale, c'est-à-dire de droit. Et le droit n'existe que si la personne handicapée a la possibilité de l'exercer. Il n'y a pas de droit à l'éducation si je n'ai pas la possibilité d'être accueilli à l'école ou si on me place dans des conditions telles que je dois négocier pour que ma fille soit prise 50 minutes par semaine dans un établissement scolaire. Le droit n'existe que si l'on a les moyens de l'exercer.

Un autre aspect concerne le fait qu'il s'agit d'aller au-delà de la notion d'intégration. On a pu parler d'intégration dans un premier temps, et je ne le regrette pas dans la mesure où l'on partait d'un système dans lequel la personne handicapée était extérieure, et dans la mesure également où cela répondait à une demande des familles. Nous étions dans une logique de protection. Les parents étaient rassurés car l'enfant était placé dans un établissement et il n'était pas livré à lui-même. Dans cette logique, l'intégration constituait une étape. Mais intégrer quelqu'un, c'est le considérer a priori comme étant extérieur.

La logique est de non-exclusion a priori . Dès lors, on ne s'interroge plus pour savoir si l'acte est caritatif ou non. L'enfant handicapé a sa place naturelle dans les structures qui existent pour les autres enfants : la crèche, l'école, etc.

En apportant toutes les aides nécessaires, nous savons tous que certains enfants handicapés ne pourront pas bénéficier de ces structures car leur handicap est trop lourd, mais il s'agit de considérer qu'ils ont d'abord leur place dans notre société.

La compensation a donc au moins deux versants. Le premier concerne tout ce que la société et la cité peuvent faire pour être accessibles ainsi que les aides techniques matérielles et humaines. C'est la raison pour laquelle il nous semble qu'une nouvelle loi est nécessaire parce que nous nous trouvons dans une logique nouvelle. Par ailleurs, cette loi doit avoir deux aspects : un aspect de rupture, s'agissant des principes et des orientations, et un aspect de progressivité pour ce qui est de l'application et de la mise en oeuvre.

Je reprends les propos précédents d'un intervenant : « pour savoir ce que nous devons faire, encore faudrait-il connaître les besoins ». Je voudrais insister sur cet aspect et vous citer deux exemples généraux montrant qu'une mise à plat est indispensable et qu'elle doit être nationale mais essentiellement de proximité.

Mme Nelly OLIN - Il est évident que nous avons entendu des témoignages tout à fait poignants qui ont suscité beaucoup d'émotion.

On voit combien il reste à faire. Faut-il refondre la loi ou la modifier ? En tout cas, il existe un certain nombre d'interrogations précises sur lesquelles nous pourrions agir rapidement. Le droit fondamental est celui de l'accessibilité à tous les services publics et à tous les transports.

Ce que l'on a entendu précédemment au sujet de la SNCF est parfaitement scandaleux. Aujourd'hui, des mesures s'imposent d'urgence dans ce domaine.

Il faut absolument dire que l'accessibilité des services publics est un droit pour tous, particulièrement pour les personnes en situation difficile. Il s'agit ici d'une volonté politique qui n'a pas besoin d'un grand débat.

Par ailleurs, il me semble que la volonté n'est pas encore assez marquée au sein de l'Education nationale pour intégrer les enfants handicapés.

M. Jean CHERIOUX - Je voudrais que vous nous fassiez profiter de votre expérience dans l'Education nationale afin de nous dire pour quelles raisons cette intégration est si difficile à l'école. Est-ce un problème de formation du personnel ?

M. Alain VASSELLE - J'ai relevé que vous ne faisiez pas de distinction entre le handicap mental et le handicap physique et que vous souhaitiez le cinquième risque pour tout le monde. Je voudrais que vous nous expliquiez comment vous envisagez le fonctionnement du cinquième risque pour les handicapés mentaux.

Par ailleurs, pourriez-vous nous indiquer quels sont les reproches que vous faites aux ministères de la Santé et des affaires Sociales ? En quoi considérez-vous leur incompétence ou leur manque de moyens pour faire face aux besoins du handicap ? En outre, vous avez évoqué l'idée d'un secrétaire d'Etat chargé du handicap, mais si on répondait à votre attente, nous retomberions alors dans le travers d'un ministère spécifique. Est-ce véritablement la bonne solution ?

M. Nicolas ABOUT, président - Aujourd'hui, le ministère de la Santé est aussi celui de la Famille et du Handicap.

M. Fernand TOURNAN - Je laisserai la parole à Serge Lefebvre concernant la question posée par le sénateur Chérioux sur le problème de l'intégration scolaire.

Je suis tout à fait d'accord avec Mme Olin : en ce qui concerne l'accessibilité, il n'y a pas lieu d'attendre une nouvelle loi.

Concernant les reproches éventuels que nous aurions à faire au ministère des Affaires sociales, je crains fort d'avoir été mal compris. Nous disons simplement que, si nous voulons faire vivre les personnes handicapées comme le reste de la société, avec les mêmes droits, les mêmes devoirs et les mêmes obligations, il est normal que les personnes handicapées soient considérées comme ayant également des besoins culturels, sportifs, etc. Seule une réponse interministérielle me semble donc envisageable. Il n'appartient pas à l'Association de dicter l'organisation du Gouvernement sur cette question.

Concernant le cinquième risque que nous ne sommes pas les seuls à proposer, il est nécessaire de réexaminer cette question car c'est au travers de cet examen de proposition que l'on pourra avoir une réponse de solidarité équitable et identique sur tous les points du territoire.

Je laisse à présent la parole à M. Serge Lefebvre pour les problèmes d'intégration scolaire.

M. Serge LEFEBRE - Les difficultés ne tiennent pas aux bonnes volontés individuelles. Elles ne tiennent pas toujours aux moyens. Elles tiennent, dans un certain nombre de cas, à la mise en oeuvre de ces moyens d'une manière cohérente.

Sur le plan départemental, des responsabilités différentes sont assurées par l'Inspecteur d'académie, par le Directeur de l'action sanitaire et sociale, par les départements qui se chargent des transports, par les communes qui apportent des aides matérielles, par les associations et par les directeurs d'établissement.

On a donc à la fois des bonnes volontés, mais un besoin de mettre en place des structures qui permettent d'avoir le même langage, de faire des mises à plat des besoins, de pouvoir s'engager d'une manière partenariale au sein de structures régionalisées.

Ces structures sont désormais prévues. En dehors de la CDES et de la COTOREP pour les adultes, on dispose maintenant dans les faits du groupe Handiscol pour lequel la Direction de l'action sanitaire et sociale et l'Inspection académique se partagent la présidence. Les associations y figurent, les représentants des collectivités territoriales également. On dispose des Conseils départementaux consultatifs des personnes handicapées qui sont les antennes départementales du Conseil national consultatif. Restent à mettre en place les décrets d'application, etc.

En définitive, je pense que nous disposons localement des moyens nécessaires pour faire la mise à plat des besoins réels. On met ainsi en place des priorités et on dispose d'une liberté de mise en oeuvre dans le cadre de moyens régionaux, départementaux, communaux, associatifs, etc.

Les problèmes qui existaient auparavant ne relevaient pas d'une volonté de blocage, mais de la difficulté de coordonner les actions.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

I. AUDITION DE M. JEAN CANNEVA, PRÉSIDENT DE L'UNION NATIONALE DES AMIS ET FAMILLES DE MALADES MENTAUX (UNAFAM)

M. Nicolas ABOUT - Nous accueillons maintenant M. Jean Canneva.

M. Jean CANNEVA - Je vous remercie monsieur le président. L'UNAFAM est une association composée essentiellement de 10.000 familles touchées par les maladies mentales adultes et sévères.

L'arrivée de la maladie mentale dans une famille constitue un séisme qui ne laisse personne indifférent et qui demande plusieurs années avant de pouvoir réagir positivement.

L'UNAFAM regroupe 800 bénévoles répartis sur l'ensemble du territoire et 90 sections départementales. Elle a une expérience considérable de la maladie, de jour, de nuit, 365 jours par an. Je précise qu'aujourd'hui, on ne guérit toujours pas les maladies mentales dont je parle : psychose, schizophrénie, maniaco-dépression, etc.

L'UNAFAM aura 40 ans en 2003. Cette association reste encore mal connue. Depuis ce matin, en effet, je n'ai pratiquement pas entendu parler du handicap psychique, conséquence des maladies du même nom. J'ai entendu parler du handicap mental mais celui-ci est très différent du handicap psychique. Ce n'est pas une nouveauté, au mois de janvier 2000, sept ministres nous présentaient un plan handicap impressionnant sur trois ans. Or, ce plan ne comportait aucune mesure pour les handicapés malades mentaux.

Ces malades étaient accueillis, il y a encore quelques années dans de grands hôpitaux. Aujourd'hui, ils sont essentiellement dans la cité. Par ailleurs, la maladie mentale effraie et le handicap que nous appelons « psychique » est très mal connu. A la suite de la publication du Plan précité, nous avons pensé que nous n'avions pas la possibilité d'attendre que nos concitoyens prennent conscience du problème. Nous avons décidé de travailler avec des associations de patients et de soignants et d'établir un Livre blanc. Nous avons présenté ce document dans cette même salle, le 6 juin 2001.

Ce Livre blanc avait plusieurs objectifs : faire exister la population des personnes handicapées psychiques (au moins 600.000 personnes en France) ; faire connaître le handicap psychique qui peut se distinguer du handicap mental par trois différences : la personne handicapée psychique n'a pas de déficience intellectuelle à proprement parler, ensuite, elle est très médicalisée avec souvent des effets secondaires et enfin, son handicap psychique est essentiellement variable.

Le handicap psychique est la conséquence d'une maladie évolutive dont personne ne connaît exactement l'origine. Ce handicap survient essentiellement, pour les adultes, au moment de l'adolescence, avec une réelle difficulté à appréhender la gravité de la situation car on ignore s'il s'agit d'un trouble de l'adolescence ou d'une pathologie plus grave.

Le contenu du Livre blanc que nous avons réalisé a été repris par des rapports officiels et surtout par le plan « santé mentale » présenté au Conseil des ministres du 14 novembre 2001.

Nous avons souhaité que les élus soient informés de nos demandes. Nous avons demandé un rapport parlementaire. M. Charzat, député du 20 ème arrondissement de Paris, a déposé son rapport le mois dernier.

Nous sommes obligés d'admettre que le handicap psychique pose à la fois des problèmes de santé et des problèmes sociaux. Nous sommes en difficulté chaque fois qu'il faut choisir ou arbitrer entre l'aspect social et l'aspect santé. La personne handicapée psychique reste concernée par les deux aspects.

Cette dualité constitue une difficulté supplémentaire car, avec la décentralisation, les problèmes de santé sont plutôt suivis par l'Etat et les problèmes sociaux par les collectivités locales. Nous prenons cette situation comme un état de fait. Nous avons proposé au ministre que les administrations s'entendent entre elles afin que l'on puisse offrir à la personne en souffrance une solution unique. Tel est l'objet de notre Livre blanc et de nos demandes adressées aux élus.

Six services participent à l'accompagnement demandé : les soins, la protection juridique, l'hébergement, le travail (quand cela est possible), les services à domicile et les clubs qui ont pour objet de maintenir un minimum de lien social.

Dans la loi de 1975, la dénomination de handicap psychique n'existe pas. Heureusement, dans la loi du 4 mars, les sénateurs ont introduit, à notre demande, une notion d'usager patient et d'usager famille. Les précisions que le Sénat a ainsi introduites étaient essentielles pour faire comprendre qu'il existe bien dans ce domaine de la santé mentale, deux catégories d'usagers.

En psychiatrie, le patient enfant ou adulte peut, en effet, momentanément ou durablement, ne pas être capable de défendre lui-même ses droits. Il est indispensable que la famille puisse alors défendre les droits de ses membres qui ne peuvent plus le faire eux-mêmes. Nous nous permettons d'insister pour que vous mainteniez cette disposition lors de la révision de la loi de 1975.

Sachez que le handicap psychique est très difficile à vivre. La souffrance des personnes concernées est considérable. En outre, elles n'ont rien fait pour être malades. Les maladies mentales représentent une injustice d'autant plus insupportable que la conscience demeure vive. Il faut absolument aider ces personnes. C'est un problème de solidarité, pas d'assurance.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez regretté que cette notion de handicap psychique n'ait pas été abordée, et que finalement, dans le cadre de la modification de la loi de 1975, il apparaissait nécessaire que l'on indique bien la spécificité du handicap psychique. Que proposez-vous d'ajouter ou de modifier dans la loi de 1975 pour que cette spécificité soit vraiment reconnue ?

M. Jean CANNEVA - Nous vous proposons de maintenir les deux termes « handicap psychique » et « handicap mental ». Il est en effet pour nous très important de faire reconnaître l'existence des deux formes de handicap.

Nous demandons que parmi les six services cités, il puisse exister très rapidement des possibilités de lieux d'accueil, situés à proximité du domicile, avec des professionnels qui pourront répondre au jour le jour aux évolutions de la situation. L'hôpital ne sera plus demain, qu'un lieu de passage pour les moments de crise.

J'ajoute que l'UNAFAM a créé un service d'accueil téléphonique pour les familles qui reçoit 600 appels par mois.

M. Paul BLANC, rapporteur - L'accompagnement ne relève-t-il pas des services de soins infirmiers psychiatriques à domicile ?

M. Jean CANNEVA - Nous estimons que la prestation est obligatoirement médico-sociale. Les deux aspects ne sauraient être séparés.

La question est de savoir si l'administration de la médecine peut apporter un service complet. La réponse qui nous est donnée actuellement est plutôt négative.

Le service social des communes peut-il, seul, apporter des solutions ? La réponse est encore plutôt négative.

C'est la raison pour laquelle nous préconisons que les services sociaux des communes créent des réseaux avec les CMP des secteurs psychiatriques afin que ces personnes apprennent à travailler ensemble.

Il faut absolument dire aux familles et aux professionnels concernés que l'accompagnement des personnes handicapées psychiques est le résultat d'une action collective et que, seuls, ils n'y arriveront pas. J'ajoute que le problème est à long terme, non seulement la personne handicapée vit plus longtemps mais ses parents vieillissent également. Si les parents ne peuvent plus assurer l'accompagnement précité, la personne handicapée se retrouve seule et démunie.

Nous sommes prêts à travailler avec les élus et les services sociaux pour leur expliquer ce qui est souhaitable.

Concrètement, il s'agit de mettre en place des partenariats de proximité, c'est-à-dire, pour l'essentiel, au niveau des conseils de secteurs psychiatriques. Un secteur adulte correspond à environ 70.000 habitants.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je souhaiterais que vous nous fassiez état d'un certain nombre de propositions concrètes qui mériteraient de figurer dans un texte législatif.

M. Alain VASSELLE - J'ai présidé, pendant quelques années, le plus important centre interhospitalier psychiatrique d'Europe qui était celui de Clermont de l'Oise. De ces quelques années de présidence, je suis ressorti avec un sentiment un peu confus. Je n'ai pas réussi à avoir une bonne lisibilité de la manière dont on approchait la maladie mentale et le handicap mental. Je ne suis pas parvenu non plus à obtenir de la part des professionnels de la santé et des psychiatres en particulier, une bonne définition du handicap mental et de la maladie mentale. En effet, dans leur esprit, ces deux notions se confondaient.

J'ai cru comprendre, à travers vos propos, que vous partagiez un peu le même sentiment, mais je voulais quand même m'en assurer auprès de vous.

Notre rapporteur serait bien inspiré, grâce aux propositions concrètes écrites que vous lui ferez, de prendre des dispositions qui permettraient une meilleure lisibilité entre le handicap mental et la maladie mentale. Encore faudrait-il que les psychiatres y contribuent assez largement.

M. Jean CANNEVA - Nous avons précisé tous ces éléments dans notre Livre blanc tellement la situation est urgente. Nos situations familiales sont dramatiques. L'établissement de Clermont de l'Oise a, comme les autres établissements, supprimé un grand nombre de lits. Ce sont les familles qui récupèrent la responsabilité de l'accompagnement des malades psychiques, sans aucune aide et sans reconnaissance officielle pour cette lourde tâche.

Pris par l'urgence, nous avons poursuivi dans notre Livre blanc, quatre objectifs :

1° Que les mots aient le même sens pour tous les partenaires soignants et responsables du social dans la cité ;

2° Que chacun se sente reconnu dans sa compétence et sa responsabilité. Nous avions toutes les raisons d'en vouloir aux psychiatres parce qu'ils ne guérissent pas. Nous avons néanmoins admis que nous avions besoin d'eux ;

3° Qu'une alliance intervienne entre les acteurs. L'année dernière, dans cette même salle, nous avons expliqué aux élus que nous souhaitions travailler avec eux ;

4° Enfin, nous avons voulu créer un projet commun qui est l'accompagnement des personnes handicapées psychiques dans la cité.

J'insiste sur le fait que les textes ne doivent pas confondre «handicap mental» et «handicap psychique». Pour ces derniers, nous avons dit qu'il fallait des contrats de plan entre l'Etat et les services sociaux. C'est aux préfets et aux collectivités locales de prendre les initiatives qui s'imposent.

Dans le Plan Santé Mentale du gouvernement, l'usager est « au coeur du dispositif » . Nous souhaitons apporter des solutions adaptées. Nous espérons que les élus nous aideront à les mettre en place.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie au nom de l'ensemble de la Commission. Ne manquez pas de nous transmettre vos propositions complémentaires.

M. Jean CANNEVA - Je termine en vous indiquant que nous avons publié un communiqué le 4 mai dernier, demandant au nouveau Gouvernement d'arrêter de supprimer des lits dans les hôpitaux psychiatriques. En effet, il n'y a plus de places dans les services hospitaliers pour les urgences.

M. Nicolas ABOUT - Je transmettrai cette demande à qui de droit.

J. AUDITION DE M. JEAN-PIERRE GANTET, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU COMITÉ NATIONAL POUR LA PROMOTION SOCIALE DES AVEUGLES ET DES AMBLYOPES (CNPSAA) ET DE M. PHILIPPE CHAZAL, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION JURIDIQUE

M. Nicolas ABOUT - J'accueille maintenant M. Jean-Pierre Gantet.

M. Jean-Pierre GANTET - Je vous remercie monsieur le président. Je n'ai malheureusement pas pu assister à une grande partie des débats de votre journée, j'en suis absolument désolé et j'espère que mes propos ne seront pas redondants.

Je tiens à vous dire à quel point nous sommes intéressés et touchés par cette démarche d'écoute des associations de handicapés quel que soit le handicap subi. Il est très important et très réconfortant pour nous de savoir qu'une Haute Assemblée comme la vôtre prend en considération nos problèmes non seulement dans l'immédiat, mais également en se projetant dans l'avenir.

La déficience visuelle se présente sous des formes extrêmement diverses, et le monde associatif qui la représente est également très divers.

Nos aînés se sont rapidement rendu compte que cette diversité était une faiblesse. Dès 1948, ils ont décidé de fonder le Comité national pour la promotion sociale des aveugles et des amblyopes qui a deux objectifs : d'une part, être un lieu de rencontre, de concertation, de discussion, de réflexion ; et d'autre part, être le porte-parole de la malvoyance auprès des pouvoirs publics, des médias et des organismes internationaux.

Le population que nous représentons est heureusement restreinte : 50.000 à 70.000 aveugles ; 200.000 personnes ayant besoin d'être aidées pour déchiffrer un document ou traverser une rue ; 1,5 million de personnes qui ne joueront jamais ni au tennis ni au ping-pong, qui ne conduiront jamais d'automobiles et qui seront toujours gênées par la signalétique du métro ou de la SNCF.

Cette population est en pleine évolution. En effet, il n'y a pratiquement plus d'aveugles de naissance. Les deux grandes maladies invalidantes en France qui étaient la cataracte congénitale et le glaucome du nouveau-né s'opèrent dorénavant dans de bonnes conditions. Par contre, nous avons de plus en plus de malvoyants parce qu'on ne transforme pas un enfant qui aurait pu être aveugle en un pilote de Formule 1, car il y a souvent des troubles associés, et parce que le corps médical arrive à sauver de plus en plus de grands prématurés et de polyhandicapés, mais au prix, pour certains d'entre eux, de séquelles d'ordre souvent oculaire.

A l'autre extrémité de la vie, la cataracte des personnes âgées s'opère désormais généralement dans de bonnes conditions, mais la dégénérescence maculaire liée à l'âge fait encore des ravages. La population vieillissant de plus en plus, nous avons donc un nombre important d'aveugles tardifs.

Les besoins de cette population sont ceux de toute population handicapée, c'est-à-dire : prévention, dépistage précoce, soins, accès possible aux crèches, à l'enseignement, à la formation professionnelle, à l'université, à la cité en général.

Il existe deux grandes contraintes liées au handicap. La première concerne la sécurité (notion de danger). En effet, un handicapé physique, dans sa voiture ou avec ses cannes, peut ou ne peut pas faire un certain nombre de choses. En revanche, un handicapé visuel peut pratiquement tout faire, mais au prix d'une prise de risques importante. D'où l'obligation d'une signalétique très présente (signalétique sonore et signalétique tactile, en gros caractères).

Nous pourrions gloser indéfiniment sur les besoins spécifiques de cette population. Nous aurions pu également nous étendre sur la réforme de la loi de 1975 qui nous tient particulièrement à coeur.

Etant donné le temps que vous m'avez octroyé, j'ai pensé plus sage d'aborder quelques notions de bon sens sur cette notion de handicap.

Cette notion a enregistré des progrès considérables ces trente dernières années, mais elle ne nous convient pas encore totalement.

Pendant très longtemps, nous avons été reconnus et classifiés grâce au service médical. Aujourd'hui, cette approche est devenue obsolète. Dorénavant, plus personne ne parle de personne handicapée. Nous sommes devenus des personnes en situation de handicap. La classification internationale des handicaps a fait place à la classification internationale des fonctionnements. Et toutes les nouvelles instances qui sont mises en place en France, qu'il s'agisse des sites pour la vie autonome ou de l'APA, sont conçues en fonction de cette approche fonctionnelle du handicap. On commence par établir un bilan : le handicapé peut-il manger tout seul ? Peut-il se déplacer ? Peut-il lire ? Peut-il écrire ? Etc. Le portrait robot étant réalisé, on tente alors de définir les préconisations les plus judicieuses pour lui venir en aide. Cependant, l'approche médicale, comme l'approche fonctionnelle, ignorent les difficultés de la vie quotidienne du handicapé. Je prends l'exemple d'un petit garçon aveugle de cinq ans : certes, il va être gêné par son handicap, il va se cogner, etc., mais ce qui le fait rager et souffrir, c'est d'entendre ses petits amis jouer au ballon ou faire de la bicyclette. Une jeune fille aveugle de 20 ans souffre elle aussi des conséquences de sa déficience, mais ce dont elle souffre le plus, lorsqu'elle sort avec ses amis, c'est de se sentir toujours un peu « à la traîne », de ne pas pouvoir se regarder dans une glace pour voir si elle est mignonne, et de ne pas savoir si un garçon s'intéresse à elle. Ce mal-être est excessivement variable en fonction de l'environnement et des circonstances. Quand notre jeune fille assiste à un concert par exemple, elle ne voit pas l'orchestre, mais quand la musique vient à ses oreilles, elle est comme tout le monde, enthousiasmée, elle vibre et oubliera en définitive son handicap. Mais quand elle sort de la salle de concert et qu'elle arrive sur un trottoir étroit que les voitures frôlent en permanence, elle est de nouveau effrayée et se sent abominablement handicapée.

En définitive, il faut absolument que vous compreniez que le handicap comprend, d'une part, un noyau dur constitué par la déficience physico-mentale médicalement constatée et la difficulté de vivre avec ; et d'autre part, une espèce de « peau de baudruche » qui, par moments, n'existe presque pas et qui, en d'autres circonstances, prend une dimension tout à fait considérable.

Il faut que cette notion de handicap émerge clairement des textes que vous serez amenés à promulguer. Il faut qu'elle se décline concrètement dans les applications pratiques de ces textes. Je pense notamment à l'allocation compensatrice accordée aux personnes handicapées. Il est nécessaire que cette allocation comprenne un noyau dur essentiellement lié à la déficience et une partie variable en fonction des difficultés rencontrées par la personne handicapée.

Cette notion n'est pas une vue de l'esprit, mais bel et bien le reflet de ce qui existe actuellement en France au niveau de l'allocation éducation spéciale.

Je suis obligé d'arrêter ici mon exposé étant donné les critères de temps que nous nous sommes fixés. Je reste prêt à répondre à vos questions avec l'aide de mon ami Philippe Chazal qui a eu la gentillesse de bien vouloir m'accompagner et qui connaît parfaitement toutes ces questions puisqu'il est lui-même juriste et membre de l'Union européenne des aveugles.

M. Nicolas ABOUT, président - Merci infiniment. Sachez que j'ai été très sensible à votre conclusion.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez dit vous intéresser beaucoup à la modification de la loi de 1975. Je constate que vous en avez parlé à propos de la modification de l'allocation compensatrice.

Ce qui m'intéresse plus particulièrement en tant que rapporteur, c'est votre vision de la modification de la loi 1975 car c'est à partir de votre point de vue que je dois établir mon rapport. Je vous demande par conséquent de préciser votre pensée.

M. Nicolas ABOUT, président - Quelles sont les trois modifications que vous souhaiteriez apporter à la loi de 1975 ?

M. Jean-Pierre GANTET - Il existe actuellement parmi les associations deux grandes tendances : ceux, minoritaires, qui veulent conserver l'ancienne loi de 1975 tout en procédant à un toilettage juridique en y ajoutant éventuellement un ou deux chapitres concernant, par exemple, le droit des personnes handicapées. On a bien fait une loi sur le droit des malades, pourquoi alors ne pas consacrer un chapitre sur le droit des personnes handicapées ? On peut également ajouter un chapeau à cette loi de 1975 afin de redéfinir sa mission réelle. Ce chapeau serait principalement axé sur le droit à compensation et donnerait une orientation et une signification particulières à cette loi.

Une autre tendance consiste à dire que, depuis trente ans, l'Etat a changé. La régionalisation a eu un effet certain et les personnes handicapées elles-mêmes ont changé. On a satisfait certaines de leurs premières exigences et, pour répondre à leurs nouvelles demandes, il est nécessaire de changer de loi. Il existe un consensus selon lequel il faudrait deux lois : une loi de programmation fixant des objectifs à trois, cinq et dix ans ; et une loi qui édicterait un certain nombre de grands principes. Cette même loi devrait avoir deux versants : le premier s'adresserait à la société et serait axé sur le principe de l'accessibilité ; le second s'adresserait à la personne handicapée et serait axé sur le principe de la compensation (compensation humaine, financière, sous forme d'aides techniques, etc.). On peut même dire que, dans ce groupe, il existe deux sous-groupes : d'une part, ceux qui veulent conserver la structure actuelle (département et aide sociale) et, d'autre part, ceux qui souhaitent créer un risque nouveau dans la sécurité sociale correspondant au handicap. Notre position n'est pas encore arrêtée sur le sujet. Nous en sommes au début de la réflexion. Je peux cependant déjà dire que l'habillage juridique nous importe peu. Ce qui nous importe, c'est le droit à compensation. Il existe actuellement un certain consensus en Europe pour dire que le devoir d'un Etat est de donner des chances égales à tous les citoyens. Or, le handicap est une inégalité qui ne peut se résoudre que par une compensation ou un rattrapage.

J'ajoute qu'il ne suffit pas que cette compensation ait lieu à un moment donné, il faut encore que cette compensation perdure dans le temps. Nous aimerions ici être partie prenante du dialogue qui va s'opérer. L'équilibre entre assistanat et juste accompagnement est très difficile à trouver.

J'ignore si j'ai répondu à toutes vos interrogations.

M. Paul BLANC, rapporteur - Tout à fait. A titre personnel, je voudrais vous indiquer que nous sommes plutôt dans le sens de la continuité de la loi de 1975, avec quelques modifications à apporter.

J'aimerais connaître votre sentiment sur la question de la simplification administrative en matière de handicap au travers par exemple du guichet unique. Quelle est votre position sur ce sujet ?

M. Jean-Pierre GANTET - C'est une voie tout à fait intéressante, mais très difficile à mettre en place. Elle commence à fonctionner dans certains départements et constitue une aide réelle pour les personnes handicapées. Mais cette simplification ne fonctionne que pour une partie très limitée de nos aides dans la mesure où elle ne concerne actuellement que les aides techniques et les aménagements de locaux.

En définitive, il s'agit d'un progrès incontestable qui est malheureusement très irrégulier pour l'instant au niveau du terrain. Il est des départements pour lesquels le guichet unique fonctionne très bien, et d'autres où il est encore nécessaire que le système se rode.

M. Alain VASSELLE - Je voudrais commencer par vous remercier de votre exposé clair, pédagogique et que je qualifierai personnellement de remarquable.

Ma question est réductrice par rapport au sujet que vous avez développé. Elle vise l'ACTP. J'ai bien compris votre message concernant la compensation du handicap.

La question que je me pose est de savoir si vous considérez que l'ACTP, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, doit être accompagnée d'une véritable effectivité en ce qui concerne son utilisation. Cela signifie qu'une personne handicapée aveugle doit justifier auprès du département que cette ACTP est utilisée uniquement pour rémunérer son aide à domicile. Cela vous paraît-il être la bonne réponse ou est-il préférable de revenir à une liberté de choix de la personne handicapée (soit celle-ci justifie l'effectivité de l'utilisation de la somme par la rémunération de l'intervenant à domicile, soit l'allocation a un caractère forfaitaire et lui permet de faire face à l'ensemble de ses besoins liés à son handicap) ?

M. Jean-Pierre GANTET - Je laisserai probablement M. Philippe Chazal compléter ma réponse, mais je donnerai déjà une réponse très générale en disant qu'il faut éviter de nous laisser enfermer dans des carcans. Il faut également que le financeur soit certain que l'argent a été utilisé dans de bonnes conditions.

M. Philippe CHAZAL - En ce qui concerne l'allocation compensatrice, je pense qu'il faut favoriser autant que faire se peut la prise en compte de la spécificité de chaque handicap. Cela est déjà fait dans plusieurs pays européens où l'on prend en compte la spécificité de chaque handicap pour répondre au mieux aux besoins des personnes handicapées.

La proposition qui est faite par Jean-Pierre Gantet d'avoir une allocation de base en y ajoutant, en fonction du handicap de la personne des compléments tels qu'ils existent pour l'allocation d'éducation spéciale qui vient d'être modifiée, est bonne. En effet, un certain nombre de frais sont difficiles à justifier. Par exemple, on aura besoin d'un plombier car on ne peut pas réparer soi-même une fuite. De même, on sera obligé de prendre un appartement au centre de la ville car on a des problèmes de transport. En revanche, des frais peuvent être tout à fait justifiés et prouvés par l'emploi de la tierce personne. Je crois qu'il est important de prendre en compte la spécificité du handicap, d'avoir une partie fixe de l'allocation compensatrice et une autre partie constituée de compléments.

J'ajoute qu'il faut se montrer vigilants quant aux problèmes de ressources des personnes handicapées. Si l'on prend en compte, comme c'est le cas aujourd'hui, les ressources de la personne pour fixer l'aide qui lui est accordée, il se produit alors une discrimination inacceptable. Je dirige un centre de formation à Paris, j'ai le même salaire qu'un collègue qui dirige un autre centre ailleurs. Parce que ce salaire est convenable, on me dira que je dois prendre en charge la compensation de mon handicap alors que la personne qui ne travaille pas, recevra quant à elle, une compensation maximale. Il s'agit pour moi ici d'une discrimination qui n'encourage pas les aveugles à travailler. Je regrette de dire aujourd'hui que beaucoup de non-voyants restent inactifs car, dès l'instant où ils travaillent, ils perdent un certain nombre d'avantages. A mon sens, il convient de trouver un juste équilibre entre l'aide plus importante aux personnes qui ne peuvent pas travailler par l'intermédiaire d'une allocation aux adultes handicapés accordée en fonction de l'impossibilité de travailler, et une aide à partie fixe et à partie variable qui continue à être accordée quelles que soient les ressources de la personne qui travaille dans la mesure où une personne non handicapée a les mêmes ressources que la personne handicapée.

M. Michel ESNEU - L'AGEFIPH, qui reçoit une manne financière, apporte-t-elle beaucoup aux aveugles ?

M. Jean-Pierre GANTET - L'AGEFIPH apporte une aide tout à fait appréciable sous forme d'aides techniques et de financements de toutes sortes.

Cette aide est axée sur la notion de travail et ne concerne donc pas les personnes qui ne travaillent pas. Cela est dû à la nature des financements de l'AGEFIPH qui est alimentée par une cotisation payée par les employeurs.

En ce qui concerne les personnes qui travaillent, l'aide est tout à fait appréciable et considérable. Je suis d'ailleurs moi-même administrateur de l'AGEFIPH.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie de toutes ces informations. Je vous confirme que vous pouvez nous apporter toutes vos propositions en plus de cette audition.

M. Philippe CHAZAL - Je remercie tout particulièrement les membres de la commission car, grâce à vous, le Sénat a été tout à fait en pointe dans cette affaire. Nous avons gagné un combat que je menais personnellement depuis trois ans afin de faire abroger la récupération en cas de retour à meilleure fortune.

Nous ne manquerons pas de reprendre contact avec la commission, comme vous nous l'avez proposé.

M. Nicolas ABOUT, président - Vous ne devez rien au Sénat. J'ai transmis cette proposition de la part de ma collaboratrice la plus proche qui est une personne handicapée. C'est plutôt à elle que nous devons quelque chose.

K. AUDITION DE M. VINCENT ASSANTE, AUTEUR DU RAPPORT « SITUATIONS DE HANDICAP ET CADRE DE VIE »

M. Nicolas ABOUT, président - Nous accueillons à présent M. Vincent Assante, auteur du rapport « Situations de handicap et cadre de vie ».

C'est bien naturellement que nous avons souhaité vous entendre au titre des personnalités qualifiées, sur la politique en faveur des personnes handicapées.

Au-delà de vos responsabilités associatives et de votre fonction de vice-président du COLIAC, vous êtes l'auteur de deux importants rapports sur le thème du handicap.

Vous avez en effet présenté, en septembre 2000, un avis au Conseil économique et social intitulé « Situations de handicap et cadre de vie » qui a retenu toute notre attention.

Plus récemment, vous avez été également chargé de piloter la mission d'étude en vue de la révision de la loi d'orientation de 1975 mise en place à l'initiative du précédent gouvernement. Les conclusions de cette mission viennent d'être rendues publiques et c'est donc à ce double titre que nous nous réjouissons de vous accueillir.

M. Paul BLANC, rapporteur - Nous vous avons transmis cinq questions auxquelles je souhaiterais que vous nous apportiez une réponse, ce soir.

La première question est la suivante : vous proposez de remplacer la notion de « personne handicapée » par celle de « personne en situation de handicap ». Selon vous, quelles seraient les conséquences concrètes de cette nouvelle définition ?

M. Vincent ASSANTE - Tout d'abord, il n'existe aucune définition de l'allocation « personne handicapée ». La loi de 1975 ne donne aucune définition et renvoie aux commissions la responsabilité de dire qui est handicapé et qui ne l'est pas.

En 1980, l'adoption de la classification internationale des handicaps donne quelques précisions, en mettant en lumière la déficience qui entraîne ou non un handicap dans des conditions déterminées. Cette classification était apparue beaucoup trop linéaire J'ajoute qu'aujourd'hui une classification internationale du fonctionnement du corps, du handicap et de la santé vient d'être adoptée.

Il était apparu que l'on n'était pas seulement handicapé parce que l'on avait une déficience dans un environnement donné, mais parce que cet environnement donné pouvait créer des sources de handicap. Cela est vrai dans le mode de fonctionnement de nos sociétés lorsque l'on observe les accidents du travail ou de la route. Le handicap est quelque chose de relatif : on peut être en fauteuil roulant et se retrouver particulièrement handicapé lorsque l'on est confronté, par exemple, à un escalier. On dit que la personne n'est plus en situation de handicap par la suppression de ces marches.

Cette nouvelle définition permet de constater que la personne est toujours paralysée, mais que son existence peut être grandement facilitée dès lors que l'environnement peut lui être favorisé. Une personne sourde sera en grande difficulté pour entendre les annonces dans une gare, sauf lorsqu'elle a à sa disposition un panneau visuel qui lui donne l'ensemble des indications.

Il y a quelques années, une enquête de l'Institut des transports d'Ile-de-France avait montré que ce n'était pas les personnes handicapées qui étaient gênées par l'inaccessibilité des transports en Ile-de-France ; tout simplement parce que les personnes handicapées ne prenant pas ces transports, elles n'étaient pas du même coup prises en compte dans cette enquête. En fait, la gêne venait de l'âge grandissant des personnes qui réduisait d'autant leur mobilité.

En définitive, l'environnement peut jouer un rôle très important. Cela révèle en même temps le rôle des pouvoirs publics qui doivent rendre prioritaire la réduction des difficultés environnementales.

Nous aurons beaucoup de difficultés à mettre en place une politique de soutien à domicile pour les personnes handicapées et les personnes âgées qui deviendront dépendantes, si l'on ne conçoit pas de manière systématique l'habitation et le cadre de vie environnemental comme devant être accessibles.

En définitive, la question de fond qui est posée est celle de la responsabilité des pouvoirs publics. Acceptons-nous une société qui ne serait faite que pour des personnes valides et qui contraindrait à mettre en oeuvre des dispositifs pour permettre à des personnes qui ne répondraient pas à cette « normalité » d'avoir au moins droit à un soutien ?

La rénovation de la loi de 1975 s'impose car il faut rappeler qu'à l'époque, on n'a pas voulu mesurer que les capacités des personnes étaient largement tributaires de l'environnement. Si vous interrogez des personnes et des associations, on vous dira que beaucoup de mesures ont été prises à l'époque, mais tout le monde sera d'accord pour dire que l'intégration sociale, qu'elle soit scolaire ou professionnelle, a finalement peu progressé car on ne s'est pas donné véritablement les moyens de modifier cet environnement. Dans le cadre de la loi de 1975, on avait le sentiment qu'une personne était handicapée en raison de sa déficience, alors que le handicap est le rapport d'une déficience à un environnement. D'ailleurs, on utilise souvent le terme de « handicap » au lieu de celui de « déficience » et cela masque inévitablement la réalité.

Entre une personne handicapée mentale, légère ou profonde, et une personne handicapée visuelle, aveugle ou mal voyante, etc., on se retrouve face à des situations tout à fait différentes. Or la loi de 1975 définit un tronc commun de personnes handicapées. Ce n'est qu'à partir de l'article 54 de cette loi que l'on commence à parler de l'accessibilité des logements, du cadre de vie et des transports.

On constate donc bien que, pour le législateur de l'époque, les personnes dites handicapées devaient être prises en charge. Aujourd'hui, on estime à 3,5 millions le nombre de personnes moyennement ou gravement handicapées. Sur ce total, nous comptons environ 330.000 personnes, enfants ou adultes, placés en institutions. Quid des 2,9 millions restantes ?

En définitive, je pense que la locution « situation de handicap » montre bien que cette situation peut être variable. C'est la raison pour laquelle elle a d'ailleurs été adoptée par l'ensemble des chercheurs et des instances internationales.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous venez de mettre en exergue ce qui avait été la principale critique que vous aviez portée aux deux lois de 1975, à savoir que l'intégration voulue par cette loi s'était transformée en quelque sorte en « statut ». De façon concrète, comment notre législation pourrait-elle mieux prendre en compte, à l'avenir, les besoins particuliers de chaque personne ?

M. Vincent ASSANTE - La critique qui a été portée était de créer un « statut ». On est handicapé parce qu'on est reconnu par une commission, et dès lors que l'on atteint un certain taux d'invalidité, on a droit à un certain nombre d'allocations.

Qui peut dire qui est handicapé ou qui ne l'est pas ? Cela me paraît assez difficile.

A partir du moment où l'on a voulu réduire le handicap à la seule déficience de la personne, on a dès lors enfermé les personnes dans une sorte de « statut ». Dès que l'on reconnaîtra l'importance de l'environnement et qu'on mettra en oeuvre une politique d'accessibilisation, les choses progresseront, mais aujourd'hui, nous n'en sommes pas là. La législation ne traite pas de l'accessibilité du cadre bâti. Beaucoup de contrôles n'ont lieu qu 'a posteriori . Dans le cadre des commissions d'accessibilité et de sécurité, il est dit que les associations peuvent donner leur avis, mais étant donné que l'on n'a donné aucun financement aux associations pour pouvoir y envoyer des personnes et payer leurs frais de transports, on se rend compte en réalité que plus de 40 % des logements assujettis n'étaient pas conformes à la législation. Cela signifie qu'il faut revoir la législation pour la compléter et tout faire pour la respecter.

A quoi cela reviendrait-il de développer une politique de compensation à outrance si on cherche à compenser des situations de handicap qui pourraient ne pas exister si l'environnement était modifié ? Comme cela ne se fait pas rapidement, il faut par conséquent mener une politique de longue haleine dans ce domaine pour faire en sorte que l'on n'ait plus qu'à compenser les situations qui découlent mécaniquement des incapacités nées des déficiences des personnes.

Nous avons essayé, au travers du rapport présenté au CES, de montrer que, si l'on ne prenait pas cela en compte, on freinait alors l'intégration scolaire. J'ajoute que la décentralisation a également constitué un frein.

Les associations se sont souvent créées autour de personnes handicapées et elles sont ensuite devenues dans leur grande majorité gestionnaires. Et lorsque leurs représentants rendent visite aux élus, c'est très souvent pour obtenir des aides financières ad hoc . Ce faisant, on a perpétué dans l'esprit des élus locaux, le fait que les personnes handicapées devaient être prises en charge ; et les associations étant majoritairement gestionnaires, cette dimension a occupé un temps de plus en plus conséquent.

Aujourd'hui, on ne peut pas imaginer que la loi d'orientation puisse être simplement toilettée. Il faut admettre que les personnes qui souffrent de déficiences sont très lourdement handicapées en raison d'un environnement qui n'est pas ad hoc . Il n'est pas possible de constater sans réagir que la courbe des accidents du travail va de pair avec celle de recul du chômage. Il n'est pas non plus possible de rester sans réagir devant le fait que les médecins scolaires sont de moins en moins présents à côté des élèves.

La prévention est une belle responsabilité parce que la vie en collectivité crée un certain nombre de risques et il faut tout faire pour que ces risques soient limités. Ce serait une erreur de tenter de refaire une loi simplement autour d'une population cible que l'on qualifierait de « handicapée » 25 ans après la loi de 1975 et le bilan que l'on peut en tirer. Quand on s'occupe de personnes handicapées, on relève de multiples pathologies et les réponses ne sont pas les mêmes selon que l'on soit légèrement handicapé ou très gravement handicapé. Mais il s'agit également de s'occuper de l'école, de l'emploi, du logement, du transport, du tourisme. On s'occupe également de jeunes, d'adultes et de personnes handicapées vieillissantes. En définitive, je ne crois pas que l'on puisse trouver des réponses adéquates et satisfaisantes si l'on ne replace pas ce problème dans le mode de fonctionnement de notre société.

Pour anecdote, je vous informe que les dossiers qui arrivent dans les CDES ne concernent pas uniquement des enfants handicapés que l'on veut intégrer à l'école, mais également des enfants scolarisés que l'Education nationale ne souhaite pas conserver dans ses classes. Si l'on accepte tranquillement que l'Education nationale ne traite que les enfants « en forme » (tous les autres étant traités par le secteur médico-social), on aura alors une éducation à deux vitesses.

Il me paraît nécessaire que les enseignants soient formés à savoir ce qu'est un enfant handicapé, un enfant à problèmes et qu'ils sachent le discerner. Il me semble également souhaitable de réduire le nombre d'élèves par classe lorsque celle-ci accueille des enfants handicapés.

M. Paul BLANC, rapporteur - A la suite des auditions que nous avons eues aujourd'hui, nous aurons tout intérêt à auditionner notre ex-collègue, le ministre chargé de l'Enseignement scolaire. En effet, un certain nombre de points doivent être clarifiés avec lui.

Par ailleurs, vous avez, dans votre bilan critique des deux lois de 1975, quelque peu stigmatisé le fait que deux lois avaient été votées le même jour. Mais cette fois-ci, nous avons fait encore mieux puisque nous avons d'abord voté la deuxième loi avant de nous attaquer à la première !

Je vous pose à présent ma troisième question : vous avez évoqué les problèmes d'accessibilité qui sont normalement prévus dans les lois qui régissent actuellement notre pays. Actuellement, l'accessibilité est mal traitée. A titre personnel, je me souviens avoir fait partie de la commission d'accessibilité qui se réunissait au sein des préfectures ; je ne sais pas si elle se réunit toujours, mais il s'agit ici d'un problème récurrent dont on parle depuis très longtemps.

Vous avez mentionné un certain nombre d'expériences qui sont menées dans les pays étrangers, expliquez-nous ce qui pourrait être applicable dans notre pays.

M. Vincent ASSANTE - On remarque que, dans les pays anglo-saxons voire protestants, la question des personnes handicapées est placée au centre de la société. Cela signifie que le fait d'être handicapé dans ces pays n'a pas conduit à être nécessairement en marge de la société. Sur le plan de l'accessibilité, on considère comme normal que l'enfant handicapé soit d'abord placé à l'école et qu'on lui apporte ensuite les réponses complémentaires que sa santé nécessite avant de l'envoyer vers des institutions spécialisées. On remarque également que les places de stationnement réservées aux personnes handicapées sont plus souvent respectées dans les pays d'Europe du Nord. Il existe au niveau de l'Europe des échanges de bonnes pratiques qui se sont mis en place au travers de groupements et de forums auxquels participent l'ensemble des mouvements associatifs. Le rapport Fardeau est d'ailleurs entré beaucoup plus dans le détail sur ce sujet.

Pour un pays comme la France où les mots « République » et « citoyenneté » ont un sens, il faut que nous essayions de traduire cette dimension citoyenne pour toutes les personnes qui n'ont pas forcément la même validité que les autres.

On est capable d'avoir un discours envers la personne immigrée même s'il n'est pas nécessairement simple de le mettre en oeuvre. Il doit en être de même pour la personne handicapée au sujet de laquelle on parle encore beaucoup trop de solidarité. Il me semble que les personnes handicapées voudraient apporter quelque chose à la société et être parties prenantes de cette solidarité. Le fait qu'on les considère comme « incapables », ou trop peu capables, alors qu'elles veulent absolument montrer qu'elles sont capables de faire un certain nombre de choses, ne contribue pas à améliorer leur situation.

Compte tenu du fait que notre pays est porteur de belles valeurs, nous devons avoir les moyens de comprendre et de mettre en oeuvre les chemins qui permettront à ces personnes d'être davantage intégrées.

On accorde bien des compensations à des mères de famille dès lors que l'on veut avoir une politique de natalité. Pourquoi pas pour des personnes déficientes qui veulent être des citoyens à part entière ?

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez tiré quelques enseignements principaux de votre mission d'étude en vue de la révision de la loi de 1975. Quels sont-ils ? Quel bilan tirez-vous de la mise en place du programme triennal qui a été présenté le 25 janvier 2000 ?

M. Vincent ASSANTE - De manière concrète, j'estime qu'à l'égard des personnes handicapées, il est nécessaire de mener à la fois une loi qui soit couplée avec un programme d'actions nécessairement de longue durée (cinq ans par exemple). Si la loi d'orientation prévoit que tel crédit sera créé et que, dans les cinq ans à venir, on se donne les moyens de voir où on en est, on répondra alors véritablement au problème.

Aujourd'hui, il convient de privilégier le plan d'actions, mais dans la mesure où celui-ci ne peut pas apporter tous les meilleurs effets souhaités, il faut alors que la loi soit revue. Il faut absolument dire, par principe, que la personne handicapée doit se trouver dans le cadre ordinaire de la vie. Par exemple, un enfant handicapé doit par principe aller à l'école dès lors que cela n'est pas contraire à son intérêt. Si des moyens s'imposent, il convient alors de les mettre en place. Bien entendu, il ne faut pas que sa présence désorganise totalement le cours de la classe. Mais je peux vous citer l'exemple de classes accueillant des enfants handicapés qui ont collectivement progressé grâce à la mise en place d'une pédagogie adaptée.

Le plan trisannuel a marqué un tournant car c'était la première fois que l'on voyait un Premier Ministre, accompagné de sept de ses ministres, faire état d'une politique multi-pôles. Par ailleurs, avec un budget d'un milliard et demi, ce plan trisannuel venait donner les premiers moyens d'une meilleure intégration, par exemple par des outils techniques et pédagogiques adaptés à l'école.

Ce plan, modeste dans son volume, a un intérêt politique évident : il consiste à démontrer qu'une politique d'intégration est possible dès lors que le soutien à domicile est mis en place, dès lors que les aides techniques et humaines sont là pour aider la personne. De fait, l'intégration n'est pas une idéologie, mais une réalité possible et désirable. D'ailleurs, tout le monde aura remarqué que les jeunes générations de parents d'enfants handicapés demandent aujourd'hui que leur enfant ait non seulement une réponse adéquate à ses besoins, mais également une institution à proximité et la possibilité d'aller à l'école comme les autres enfants.

Pour conclure, j'évoquerai la question des COTOREP. Il existe aujourd'hui une fusion des deux sections de COTOREP. Deux millions de francs ont été dégagés au niveau de dix départements pilotes pour faire en sorte que la fusion des COTOREP ne crée pas plus de difficultés que celles rencontrées actuellement. La fusion des deux sections a pour but d'assurer un meilleur suivi global des personnes concernées. Il faut arrêter de ne traiter les personnes que sur dossier, il faut les recevoir ou aller les voir, le cas échéant. On n'imagine pas un conseil de classe sans que les professeurs soient en contact avec leurs élèves.

Il ne s'agit pas de faire venir tout le monde en COTOREP lorsque l'on a besoin d'un GIC ou d'une carte d'invalidité à 80 % par exemple, mais dès lors qu'il s'agit d'un projet de vie ou d'intégration scolaire, cela demande des ressources financières complémentaires.

En définitive, nous avons souhaité montrer qu'il était non seulement possible de recevoir les personnes, mais encore qu'il était possible de fusionner les deux sections en mettant en place une expérience au niveau de dix départements. Il serait souhaitable que votre Assemblée veille à ce que cette expérience ait bien lieu, l'idée étant que l'on pourrait mesurer les premiers résultats au bout d'un ou deux ans et à partir de là, voir de quelle façon, on pourrait généraliser cette démarche.

La COTOREP est nodale puisqu'il s'agit de l'organisme qui va déterminer quelle personne est handicapée ou non. Dans tous les cas, il faudra reconnaître la difficulté d'une personne, quel que soit le taux requis, pour qu'elle ait droit à un certain nombre d'aides ; il faudra également un lieu où la personne puisse se rendre. Il s'agit ici d'une question fondamentale.

L'avis qu'elle peut donner joue un rôle considérable sur la personne. Entre une personne qui va rentrer dans un dispositif et une autre qui n'y aura pas accès, vous avez tout le fossé qui sépare une vie faite d'aides, en vue d'une meilleure intégration, d'une vie faite d'aides qui vont conduire à une surprotection, voire une ségrégation.

Aujourd'hui, les parents ont le désir d'inscrire leur enfant handicapé dans l'ordinaire de la vie. Il existe nécessairement des décisions législatives et techniques, à prendre en compte afin de préparer efficacement les 20 prochaines années.

M. Nicolas ABOUT, président - Je vous remercie de votre présentation très complète.

L. AUDITION DE MME NICOLE GARGAM, PRÉSIDENTE DE L'UNION NATIONALE POUR L'INSERTION SOCIALE DES DÉFICIENTS AUDITIFS (UNISDA)

M. Nicolas ABOUT - Nous allons à présent recevoir Mme Nicole Gargam.

Mme Nicole GARGAM - Je vais tout d'abord présenter mon association et ensuite, je répondrai à vos questions.

L'UNISDA est une association qui a été créée en 1974. C'est une union d'associations qui regroupe à la fois les parents d'enfants sourds, les sourds de naissance et les « devenus sourds ».

Il faut savoir que le monde de la surdité est complexe et conflictuel, et nous sommes vraiment la seule union d'associations à avoir réuni ces différentes composantes.

Pour les parents d'enfants sourds, l'association qui adhère à l'UNISDA est l'ANPEDA. Cette association regroupe 2.500 familles d'enfants sourds. Il existe également l'association pour le langage parlé complété qui est partenaire de l'UNISDA. Pour les «devenus sourds» , il existe le bureau de coordination des «devenus sourds», qui est une très importante association. Enfin, pour les sourds de naissance, il existe le mouvement des sourds de France et des associations très anciennes comme la Société centrale d'éducation et d'aide aux sourds muets en France.

Je précise qu'il existe différents types de surdités. Généralement, on estime à 3 ou 4 millions le nombre de personnes sourdes en France. Sur ce total, on note une grande majorité de personnes devenues sourdes, et les sourds sévères et profonds de naissance ne représentent que 300.000 personnes sur ces 3 à 4 millions.

Or la surdité sévère et profonde de naissance a des conséquences extrêmement importantes sur la vie et sur le développement. Il faut en effet savoir qu'un sourd sévère et profond de naissance, sans rééducation ni prise en charge dès le plus jeune age, n'aura pas accès à la parole. J'ajoute que, même avec une prise en charge importante, il subsiste de grandes difficultés pour l'acquisition de la parole, du langage, de l'écriture, etc. Je précise que ce sont ces sourds de naissance qui revendiquent, à juste titre, la langue des signes française.

La problématique des «devenus sourds» est complexe et spécifique car il est très difficile, quand on devient sourd, de garder par exemple son travail.

M. Paul BLANC, rapporteur - La loi de 1975 vous donne-t-elle satisfaction actuellement ? Sinon, comment souhaiteriez-vous la voir modifiée ?

Mme Nicole GARGAM - En ce qui me concerne, je suis parent d'enfant sourd.

M. Paul BLANC, rapporteur - Parmi toutes les associations que vous représentez, je suppose que certaines d'entre elles souhaitent voir apportées des modifications à la loi de 1975...

Mme Nicole GARGAM - S'agissant de la situation des enfants sourds au niveau de la scolarité, j'ai dit précédemment qu'il fallait une prise en charge importante dès le plus jeune âge. Je trouve regrettable que les établissements spécialisés, en grand nombre sur le territoire, soient Si mal répartis. En définitive, je considère qu'il n'y a pas suffisamment de solution de proximité pour les familles et les parents d'enfants sourds. Si on habite dans une grande ville, on aura pratiquement à disposition toutes les solutions possibles et imaginables; mais dans certaines régions, il existe une pénurie d'établissements. Pour information, je rappelle que 40 % des enfants sourds sont en internat, loin de chez eux. Il s'agit pour nous d'une situation inacceptable. Nous souhaiterions qu'il y ait davantage de solutions de proximité mises en place à partir des établissements existants ou par création de services de soins nouveaux existants. Ce peut être des classes d'intégration scolaire initiées par l'Education nationale. Je précise que les enfants sourds de naissance ont quand même besoin, en plus de la prise en charge de l'Education nationale, d'une prise en charge spécifique et spécialisée. Certes, cela existe déjà, mais la démarche aurait le mérite d'être généralisée. Je pense qu'il faudrait décloisonner davantage tout ce qui concerne la prise en charge de l'Education nationale et la prise en charge médico-sociale. A titre d'exemple, il existe toujours deux types d'enseignants pour les personnes sourdes : les enseignants issus de l'Education nationale et les enseignants issus de la Santé. Nous souhaiterions une plus grande harmonie entre ces deux systèmes, ce qui permettrait une prise en charge plus efficace.

Pour les tout-petits, on note l'importance de la prise en charge et de la rééducation dès le plus jeune âge. Actuellement, les tests pour les petits enfants sourds ne sont pas systématiques, ce qui a pour conséquence que la surdité est souvent dépistée tardivement. Pourtant, ce point est inscrit dans la loi...

M. Paul BLANC, rapporteur - Que faut-il ajouter à la loi de 1975 ?

Si vous me permettez une réflexion, à la fin de cette journée qui a été particulièrement dense, j'en viens à me poser, après l'audition de certains intervenants, la question suivante: faut-il modifier ta loi de 1975 ?

Heureusement que nous avons reçu, au cours de cette journée, Mme Simone Veil qui a été la première à nous dire qu'il fallait y apporter des aménagements et des amendements.

Aujourd'hui, on constate que, dans beaucoup de domaines, la loi de 1975 avait prévu un certain nombre de mesures qui ne sont malheureusement pas appliquées aujourd'hui. Quand on parle d'accessibilité, d'intégration scolaire (et à ce niveau aujourd'hui, on aurait quelques raisons d'interpeller l'Education nationale), il faut savoir qu'un certain nombre d'actions auraient pu être menées dans le cadre de la loi telle qu'elle existe aujourd'hui.

Mme Nicole GARGAM - Je voulais poursuivre mon propos sur les adultes et l'accessibilité.

Pour avoir participé à plusieurs groupes ministériels, j'ai souvent l'impression que l'on redit un peu toujours la même chose : nous avons des lois plutôt bien faites, mais qui ne sont pas toujours suffisamment appliquées.

En ce qui concerne les personnes adultes, la loi de modernisation sociale a introduit le droit à compensation. Que peut-il recouvrir pour des personnes sourdes ? Comme je l'ai rappelé précédemment, il existe différents types de surdités. Nous souhaitons que ce droit à compensation soit tout à fait individualisé en fonction du type de surdité auquel on a affaire. Ce procédé est complexe à mettre en place. Les équipes labellisées qui existent actuellement et les circulaires qu'elles appliquent ne sont pas du tout adaptées à la problématique spécifique des personnes sourdes. Nous souhaitons, en définitive, la création d'équipes labellisées avec des professionnels qui connaissent bien le problème de la surdité et qui indiquent les moyens de compensation que l'on peut mettre en oeuvre pour les personnes sourdes.

Il n'existe que très peu d'aides techniques pour les personnes sourdes. Il est possible d'installer des boucles magnétiques dans les salles, mais ce système ne fonctionne que si la personne entend déjà un peu avec sa prothèse. Pour un sourd profond, ce système est donc très insuffisant.

Le sous-titrage constitue une autre solution technique, mais c'est un procédé qui coûte très cher et qui n'est pas suffisamment utilisé. Il pourrait être utilisé dans les lycées, les universités, pour l'accès à la culture, etc. Nous souhaitons ardemment que le sous-titrage se développe davantage.

Les aides humaines peuvent être de différentes natures. Pour les sourds de naissance qui utilisent par choix la langue des signes française, les aides humaines peuvent résider dans l'emploi d'interprètes en langue des signes.

Il faut savoir que la langue des signes française est une langue à part entière qui n'est pas encore reconnue comme langue officielle, même si une certaine reconnaissance commence à se faire jour au sein de l'Education nationale.

Comme cette langue n'est pas officielle, elle n'est pas enseignée. En définitive, nous avons besoin de cette officialisation pour pouvoir faire avancer les choses et créer un corps d'interprètes en langue des signes qui puissent être à même d'aider les personnes sourdes. Cela existe déjà dans d'autres pays et la France a du retard à rattraper dans ce domaine.

Une autre technique a pour nom le langage parlé complété. Il s'agit d'une technique de visualisation de la parole par des signes autour de la bouche. Cette technique est exclusivement basée sur l'oralisme et constitue une aide à la compréhension de l'oral et de la lecture labiale. J'ajoute qu'il existe des codeurs en langage parlé complété, mais le diplôme de codeur n'est pas reconnu officiellement.

Les autres aides humaines concernent les interfaces de communication. Ce sont des personnes qui connaissent bien les sourds et les différentes techniques de communication avec les sourds. Ces personnes ont des notions de langue des signes, elles connaissent un peu le langage parlé complété, elles ont des habitudes de communication avec les sourds, etc. Ce sont des métiers qui existent dans certaines associations, mais qui ne sont pas reconnus officiellement.

En conclusion, toutes ces aides humaines, indispensables pour la compensation du handicap, sont tout à fait insuffisamment développées et dépendent de la reconnaissance de la langue des signes en particulier.

M. André LARDEUX - La population des sourds de naissance est-elle stable ou a-t-elle tendance à diminuer grâce au dépistage prénatal ?

D'autre part, les médias télévisés appliquent-ils la loi telle qu'elle existe actuellement ?

Mme Nicole GARGAM - On a longtemps pensé, avec le dépistage (qui est insuffisant) et la vaccination (en particulier contre la rubéole), qu'on verrait progressivement le nombre de personnes sourdes diminuer. Or, on s'aperçoit que le nombre de sourds sévères et profonds de naissance est toujours le même. Par ailleurs, on note que de nombreuses causes de surdité jusqu'alors inconnues s'avèrent être des causes génétiques. Cela constitue d'ailleurs la majorité des cas de surdité de naissance.

J'ajoute qu'il existe une nouvelle technique pour les enfants très sourds qui est celle des implants cochléaires. Cette technique donne d'excellents résultats dans certains cas . Pour une personne qui devient sourde , cette implantation a des chances de réussite très importantes .

Pour les enfants sourds les conditions médicales sont très rigoureuses, mais nous constatons cependant qu'il existe des listes d'attentes dans les hôpitaux car les demandes sont très nombreuses, s'agissant de cette technique qui apporte beaucoup.

S'agissant des médias, le sous-titrage est présent à la télévision et au cinéma. Le sous-titrage à la télévision s'impose de lui-même. Or, les émissions sous-titrées systématiquement sont en nombre insuffisant et nous avons l'impression qu'on progresse peu en ce domaine nous avons l'impression qu'il y en a de moins en moins. Les personnes sourdes en sont souvent réduites à ne regarder que les films étrangers sous-titrés en version originale. Ce qui leur manque, ce sont en fait des émissions en direct sous-titrées. Cette technique existe, mais rien n'a vraiment été fait jusqu'à présent alors qu'il s'agit pourtant d'un facteur d'intégration à la société et d'accès à la culture extrêmement important.

M. Nicolas ABOUT, président - Les dispositions de la loi sont-elles précises et rigoureuses à ce sujet ou s'agit-il de simples déclarations d'intention ? En effet, la loi est souvent déclarative et peu nominative.

Mme Nicole GARGAM - La loi s'applique aux chaînes publiques et depuis 1975, celles-ci ont beaucoup évolué cependant elle n'est pas suffisamment contraignante et l'augmentation considérable du nombre de chaînes donne aux personnes sourdes le sentiment qu'elles sont laissées de côté.

Nous rencontrons le même problème avec le téléphone. Les sourds se servaient jusqu'à présent du service 36 18 du Minitel. Or, dorénavant France Télécom fait disparaître progressivement les Minitels au profit d'Internet. Et on nous demande de faire nous-mêmes la démarche auprès des opérateurs de télécommunication. J'ajoute que ces mêmes opérateurs ne sont soumis à aucune obligation en la matière.

M. Nicolas ABOUT, président - Nous allons étudier ce point.

Par correction, il faudra envoyer notre rapport à tous ceux que nous avons entendus afin de les faire réagir, et au moment où nous en serons au stade des propositions, avoir leurs réactions en amont.

Sachez que vos propositions d'amendements à la loi de 1975 sont les bienvenues.

Dans la mesure où il n'y a pas d'autres questions, je clos cette journée en remerciant tous ceux qui ont accepté de participer à cette troisième journée.

Nous nous retrouverons à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet pour la publication de ce rapport.

ANNEXE II
-
LA POLITIQUE CANADIENNE EN DIRECTION DES PERSONNES HANDICAPÉES
:
Compte rendu de la mission effectuée du 17 au 24 juin 2002 au Canada par une délégation de la commission des Affaires sociales du Sénat
AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Soucieuse de compléter la réflexion qu'elle menait sur la réforme de la loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, une délégation de votre commission des Affaires sociales s'est rendue au Canada du 17 au 24 juin 2002 afin d'étudier comment ce pays répondait au défi que constitue l'intégration des personnes handicapées.

Le choix du Canada s'imposait naturellement dans la mesure où ce pays est souvent présenté comme un exemple de politique ambitieuse et volontariste en la matière.

La délégation de la commission était composée de M. Nicolas About, président, MM. Gilbert Barbier, Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Sylvie Desmarescaux, MM. Guy Fischer, André Lardeux et Jean-Louis Lorrain.

Elle s'est rendue successivement à Montréal, à Ottawa et à Toronto, où elle a pu rencontrer des parlementaires, les responsables des ministères compétents en matière de personnes handicapées tant au niveau fédéral que provincial, des professionnels de santé ainsi que des personnes handicapées et leurs représentants associatifs. Elle a également visité des établissements de réadaptation ainsi que des centres de travail adapté.

La délégation souhaite à cet égard exprimer ses remerciements les plus vifs à l'ensemble des personnalités qui l'ont reçue, pour la chaleur de leur accueil et la qualité des entretiens.

Elle souhaite également remercier S. Exc. M. Philippe Guelluy, Ambassadeur de France au Canada, M. Hugues Goisbault, Consul général de France à Toronto, M. Jean-Charles Bou, Consul général adjoint à Montréal, ainsi que leurs collaborateurs pour leur participation attentive à l'organisation et au bon déroulement de la mission.

PROGRAMME DE LA MISSION

Lundi 17 juin (Paris-Montréal)

18 h 00 : Arrivée à Montréal. Accueil par M. Jean-Charles Bou, Consul général adjoint.

Mardi 18 juin (Montréal)

Journée de travail organisée sur le site d'une institution pour personnes handicapées : le centre de réadaptation Lucie-Bruneau (CRLB).

8 h 00 : Accueil par M. Alain Lefebvre, Directeur général du CRLB.

8 h 30 : M. Léo Fortin , Conseiller en coopération internationale au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec : « Le système québécois de santé et des services sociaux : caractéristiques générales ».

10 h 00 : M. Norbert Rodrigue, Président de l'Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) : « Rôle et mission de l'OPHQ ».

12 h 15 : Déjeuner offert par l'Office des personnes handicapées du Québec.

14 h 00 : M. Raymond Fortin : « Orientations ministérielles en déficience physique et organisation régionale des services aux personnes handicapées ».

14 h 30 : Mme Monique Chicoyne : « Intégration sociale des personnes présentant un déficience intellectuelle en provenance d'institutions psychiatriques ».

15 h 00 : MM. Guy Sabourin et René Grenier : « Programme régional d'expertise multidisciplinaire en troubles graves du comportement ».

15 h 30 : M. Raymond Fortin : « Programme ministériel des aides techniques à la communication ».

16 h 30 : Visite du centre de réadaptation Lucie-Bruneau

19 h 30 : Dîner offert par le M. le Consul général à la résidence, en la présence de S. Exc. M. Philippe Guelluy, Ambassadeur de France au Canada.

Mercredi 19 juin (Montréal-Ottawa)

7 h 30 : Départ pour Ottawa

10 h 30 : Visite du centre de travail LARO Inc.

11 h 30 : Entretien avec Mme Traci Walters, Directrice de l'Association canadienne des centres de vie autonome.

12 h 30 : Démonstration du fonctionnement d'un bus du système de transport pour personnes handicapées de la ville d'Ottawa (Para Transpo)

13 h 00 : Déjeuner au Musée des civilisations canadiennes

14 h 30 - 17 h 30 : Entretiens au ministère fédéral du développement des ressources humaines (bureau de la condition des personnes handicapées) :

- MME PAULINE MYRE, DIRECTRICE : « GESTION HORIZONTALE DE LA POLITIQUE FÉDÉRALE ENVERS LES PERSONNES HANDICAPÉES » ;

- M. Pierre Fortier, Conseiller spécial : « Collaboration fédérale-provinciale-territoriale en matière d'intégration des personnes handicapées au marché du travail » ;

- M. NEIL GAVIGAN, DIRECTEUR, ET M. KAMAL DIB : « LA RÉFORME DE LA LOI SUR L'ÉQUITÉ EN MATIÈRE D'EMPLOI : LE CAS DES PERSONNES HANDICAPÉES » ;

- Mme Barbara Trepanier, Gestionnaire : « Le régime de la pension d'invalidité au Canada ».

18 h 30 : Visite de l'Ambassade de France à Ottawa.

19 h 30 : Dîner offert par M. Stéphane Romatet, Ministre-conseiller.

Jeudi 20 juin (Ottawa-Toronto)

9 h 00 - 12 h 00 : Suite des entretiens au ministère fédéral du développement des ressources humaines à Ottawa :

- Mme Diane Mainville, Agence canadienne des transports : « Politique fédérale en matière de transport adapté aux personnes handicapées » ;

- Mme Renée Langlois, Statistique Canada : « Enquête sur la participation et les limitations d'activité » ;

- M. Richard Tardif, Avocat général, Commission canadienne des droits de la personne : « La défense des droits des personnes handicapées au Canada ».

12 h 00 : Déjeuner de travail au Parlement offert par Mme Carolyn Bennett, Députée, présidente du Sous-comité de la condition des personnes handicapées à la Chambre des Communes ;

14 h 00 : Visite du Parlement du Canada. Séance de questions orales au Gouvernement.

16 h 00 : Vol Ottawa-Toronto

17 h 00 : Arrivée à Toronto. Accueil par M. Hugues Goisbault, Consul général de France.

19 h 00 : Réception offerte par le M. le Consul général avec des représentants de la communauté française de Toronto.

Vendredi 21 juin (Toronto)

9 H 15 : VISITE DU DÉPÔT « WHEELTRANS » DE LA RÉGIE DES TRANSPORTS URBAINS DE TORONTO (TTC) : MATÉRIELS ROULANTS ET ÉQUIPEMENTS SPÉCIAUX POUR HANDICAPÉS.

10 H 45 : ENTRETIEN AVEC L'HONORABLE GARY CARR, PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE DE L'ONTARIO. VISITE DE L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE DE L'ONTARIO.

11 H 45 : VISITE DU CINÉMA « PARAMOUNT » DE LA SOCIÉTÉ FAMOUS PLAYERS LTD : SALLES DOTÉES D'ÉQUIPEMENTS DESTINÉS AUX PERSONNES AVEUGLES ET SOURDES.

12 H 45 : DÉJEUNER À LA RÉSIDENCE DU CONSUL GÉNÉRAL EN PRÉSENCE DE M. JOE MIHEVC, CONSEILLER DE TORONTO, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION MUNICIPALE PERMANENTE POUR LES HANDICAPÉS.

15 H 00 : VISITE DU CENTRE BOB RUMBALL (RÉÉDUCATION ET RÉINSERTION DES SOURDS-MUETS ET PERSONNES À HANDICAPS MULTIPLES GRÂCE À L'ERGOTHÉRAPIE). ACCUEIL PAR LE RÉVÉREND RUMBALL, RESPONSABLE DU CENTRE.

17 H 00 : ENTRETIEN AVEC M. DAVID LEPOFSKY, PRÉSIDENT DU COMITÉ DE L'ODA (ONTARIANS WITH DISABILITIES ACT).

Samedi 22 juin (Toronto)

Séjour à Toronto.

Dimanche 23 juin (Toronto-Paris)

19 h 20 : Départ pour Paris. Arrivée le lundi 24 juin à 8 h 45.

I. UN PARTAGE DE COMPÉTENCES COMPLEXE ENTRE L'ÉTAT FÉDÉRAL, LES PROVINCES ET LES TERRITOIRES

A. LES PERSONNES HANDICAPÉES AU CANADA : UNE POPULATION ENCORE TROP MAL CONNUE

1. Dés éléments statistiques anciens et insuffisamment précis

La définition de la « personne handicapée » retenue dans la formulation des politiques et programmes canadiens est désormais le plus souvent celle de l' Organisation mondiale de la santé (OMS) qui distingue :

- la déficience : perte de l'usage ou anomalie d'une fonction physiologique, anatomique ou psychologique (par exemple la surdité) ;

- l'incapacité : réduction de la capacité d'accomplir une activité fonctionnelle du fait d'une déficience (par exemple la perte de l'ouïe) ;

- le handicap : désavantage social ou environnemental résultant d'une déficience ou d'une incapacité (par exemple en matière de communication).

Les autorités canadiennes estiment aujourd'hui que le Canada compte environ 4,2 millions de personnes handicapées, tous âges confondus, soit un Canadien sur six.

Ce chiffre estimatif repose cependant sur des travaux maintenant anciens : en 1991, Statistique Canada , l'organisme public chargé d'établir les statistiques, avait en effet évalué, dans le cadre d'une enquête post-recensement sur les personnes handicapées (Enquête sur la santé et les limitations d'activités, ou ESLA), qu'environ 4,2 millions ou 15,5 % des Canadiens vivaient avec une déficience quelconque.

L'enquête avait consisté à interroger les personnes sur les diverses limitations qu'elles pouvaient rencontrer dans leurs activités quotidiennes (mobilité, sens, agilité et autres capacités physiques et psychologiques).

Par rapport à l'enquête similaire menée en 1986, les données recueillies en 1991 révélaient une augmentation de la population concernée puisque seules 3,3 millions de personnes ou 13,2 % de la population avaient alors déclaré une déficience.

L'étude de 1991, qui reste à ce jour la seule source d'information disponible sur les personnes handicapées au Canada, montrait que le taux de personnes souffrant d'une déficience était beaucoup plus élevé dans certaines communautés : ainsi environ 30 % des Autochtones canadiens souffraient d'une forme de déficience.

Par ailleurs, la prévalence de l'incapacité était étroitement liée à l'âge, passant de 7 % chez les enfants de moins de 14 ans à 50 % chez les personnes de plus de 65 ans. Quant au taux d'incapacité des Canadiens en âge de travailler entre 15 et 64 ans, il était de 13 %.

L'enquête de 1991 révélait que les personnes handicapées sont beaucoup plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les autres Canadiens. Parmi les adultes handicapés, 43 % avaient un revenu personnel inférieur à 10.000 $ par an (7.000 €) et 26 % avaient un revenu inférieur à 5.000 $ (3.500 €). En 1991, 48 % des personnes handicapées en âge de travailler avaient un emploi, 8 % étaient sans emploi et 44 % ne faisaient pas partie de la population active à proprement parler.

Les niveaux de scolarité et d'alphabétisation étaient plus faibles chez les personnes handicapées que chez les Canadiens dépourvus de toute déficience. Ainsi, Statistique Canada a établi que 65 % des personnes handicapées n'avaient qu'une instruction de niveau secondaire ou moindre (contre 50 % chez les autres Canadiens) et que seulement 6 % d'entre elles détenaient un diplôme universitaire (contre 14 % dans le reste de la population).

Le niveau de scolarité influe tout autant sur l'obtention d'un emploi chez les personnes handicapées que chez les autres Canadiens. Le taux d'emploi des adultes handicapés qui ont une instruction universitaire est ainsi deux fois plus élevé que celui de ceux qui n'ont reçu qu'une instruction de niveau primaire. En revanche, même si la scolarisation accroît effectivement la participation au marché du travail et le taux d'emploi des personnes handicapées, ce taux n'est pas aussi élevé que chez les personnes sans déficience bénéficiant d'un niveau d'instruction comparable.

2. Des efforts sensibles pour mieux appréhender la réalité du handicap

Conscient de la nécessité de disposer d'informations actualisées et surtout beaucoup plus complètes sur la situation des personnes handicapées, le ministère du développement des ressources humaines du Canada (Développement des ressources humaines Canada - DHRC) et Statistique Canada ont lancé une enquête sur les participations et les limitations d'activités, à partir d'un échantillon issu des résultats du recensement de mai 2001.

La Direction générale de la recherche appliquée (DGRA) de DHRC s'est livrée à une large consultation pour déterminer les besoins d'information des personnes handicapées, des chercheurs et des décideurs. L'une des conclusions de cette consultation a été la nécessité de recueillir des renseignements plus fiables sur les mesures de soutien aux personnes handicapées. Les résultats ont guidé l'élaboration du contenu de deux questionnaires -un pour les adultes et l'autre pour les enfants ayant une incapacité.

Les résultats de l'enquête de 2001 vont fournir une information actualisée sur le taux et les types d'incapacités, l'âge au début de l'incapacité, le besoin de mesures de soutien aux personnes handicapées et l'accès de celles-ci aux activités quotidiennes, le niveau de scolarité, la situation vis-à-vis de l'emploi, les coûts liés à l'incapacité et les niveaux de revenu. Les résultats seront disponibles en 2003.

Lors de leur séjour à Ottawa, les membres de la délégation ont eu un entretien particulièrement riche avec les responsables de cette enquête. Ils ont notamment pu prendre connaissance des questionnaires et ont constaté leur caractère extrêmement exhaustif : le questionnaire destiné aux personnes âgées de plus de 15 ans ne fait pas moins de 85 pages et comprend plusieurs centaines de questions.

Cette enquête constitue la première étape d'une démarche plus globale visant à obtenir une image la plus fidèle possible de la situation des personnes handicapées. DRHC propose d'élargir le programme de recherche au-delà de cette enquête transversale de façon à intégrer des composantes longitudinales, des projets pilotes et d'autres projets de recherche, ce qui permettrait de constituer une base de connaissances plus complète concernant les personnes handicapées.

Une telle base de connaissances offrirait aux responsables des politiques et aux chercheurs une information actualisée et permettrait d'étudier de manière approfondie de nombreuses questions complexes qui ne se prêtent pas à une étude transversale.

B. UN CADRE INSTITUTIONNEL CARACTÉRISÉ PAR L'ENCHEVÊTREMENT DES COMPÉTENCES FÉDÉRALES, PROVINCIALES ET TERRITORIALES

1. Les droits des personnes handicapées protégés par les lois fédérales

Le Canada est un Etat fédéral à statut de monarchie constitutionnelle (démocratie parlementaire de type britannique) composé de dix provinces 105 ( * ) et de trois territoires 106 ( * ) .

Au niveau fédéral, les pouvoirs exécutif et législatif relèvent respectivement du Premier ministre et du Parlement (Sénat et Chambre des communes). A la tête de chaque province sont placés un Premier ministre et une assemblée législative ; pour leur part, les territoires sont administrés par un chef de gouvernement territorial et une assemblée territoriale.

La fédération canadienne est née le 1 er juillet 1867, en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui lui a tenu lieu de seule loi fondamentale de 1931 (statut de Westminster qui proclame l'accession à l'indépendance) à 1982. Le 17 avril 1982 (date de la proclamation de la nouvelle Constitution du Canada), la Charte canadienne des droits et libertés , modifiée et « rapatriée » de Londres, a été proclamée sans le paraphe du Québec.

Ces textes distinguent les deux niveaux de gouvernement précités (fédéral et provincial), bénéficiant chacun de compétences, étant entendu que certaines sont communes . Une Cour suprême indépendante, composée de neuf juges, est l'arbitre en matière de partage des compétences législatives entre le Parlement d'Ottawa et les dix législatures provinciales. Elle se prononce en matière de droits et libertés et agit également comme ultime appel.

Le fédéralisme canadien de 1867 s'inspirait en partie du modèle américain. Initialement centralisateur, il a cependant évolué vers une conception plus décentralisée. En dépit de tentatives de renouvellement profond, le fédéralisme canadien n'est pas encore parvenu à surmonter les conséquences de la crise constitutionnelle de 1982 (absence de paraphe du Québec, se sentant lésé dans ce texte, et décision de la Cour suprême qu'une province ne pouvait, seule, bloquer la promulgation de cette nouvelle loi constitutionnelle).

Les relations entre Ottawa et les provinces sont traditionnellement tendues. La frustration est particulièrement marquée pour les quatre provinces à l'Ouest de Winnipeg, où des formations séparatistes, encore très minoritaires, se sont constituées. Plus généralement, une tendance à l'intégration Nord-Sud des provinces canadiennes (relations soutenues avec les Etats américains voisins de Washington, du Wisconsin, de l'Ohio ou du Maine) se confirme, au détriment de l'intégration Est-Ouest centrée sur Ottawa.

Concrètement, le partage des compétences entre les gouvernements fédéral et provinciaux ne va pas sans poser certaines difficultés : obstacle à la mobilité professionnelle, reconnaissance des diplômes et des compétences, place des exécutifs provinciaux dans les délégations canadiennes lors de négociations internationales, sans compter le positionnement particulier du Québec, siégeant, par exemple, à rang égal avec le Canada, au sein de l'Organisation Internationale de la Francophonie.

C'est dans ce cadre fédéral que s'exercent de façon complexe les compétences respectives du gouvernement fédéral et des provinces en matière de politique sanitaire et sociale.

L'objectif affiché par le Gouvernement fédéral canadien est de donner aux personnes handicapées une chance égale à celle des autres Canadiens et de favoriser leur intégration dans la société canadienne. Au niveau fédéral, le cadre législatif général est constitué de deux grands textes :

- la Charte canadienne des droits et libertés, adoptée en 1982 , qui protège les personnes handicapées contre toute forme de discrimination ;

- la Loi canadienne sur les droits de la personne , qui a été modifiée afin d'y ajouter une « obligation de prendre des mesures d'adaptation ». Le respect de cette loi est assuré par la Commission canadienne des droits de la personne, dont la délégation a pu rencontrer à Ottawa l'Avocat général, qui s'occupe des plaintes portant sur des actes allégués de discrimination, dont la déficience et l'état de la personne.

Par ailleurs, un ensemble de textes législatifs fédéraux, telle la loi sur l'équité au travail, ou celle sur les transports, comportent des dispositions particulières concernant les personnes handicapées.

Des dispositions spécifiques pour les personnes handicapées sont également inscrites dans les textes législatifs de la plupart des provinces.

2. Des politiques qui relèvent avant tout de la compétence des provinces et des territoires

En ce qui concerne l'élaboration des politiques et des programmes d'aide aux personnes handicapées, le gouvernement fédéral n'a cependant pas toujours la tâche facile.

En effet, les provinces sont compétentes pour ce qui est de la prestation de la majorité des services et des programmes de soutien destinés aux personnes handicapées . Le gouvernement fédéral ne dispose donc que d'une capacité restreinte lorsqu'il s'agit de s'attaquer aux questions fondamentales qui influent sur la vie quotidienne des personnes handicapées.

Qui plus est, il n'a pas encore, semble-t-il, trouvé le moyen de gérer de façon pleinement satisfaisante les politiques et programmes à caractère horizontal, comme ceux qui concernent les personnes handicapées, lorsqu'ils relèvent de plusieurs ministères et compétences.

Le système canadien d'aide aux personnes handicapées souffre donc d'être trop fragmenté entre les différents intervenants . Les programmes et politiques comportent à tous les niveaux des points forts, mais aucun n'offre une approche véritablement exhaustive et horizontale de l'aide à apporter aux personnes handicapées.

C. VERS UNE COORDINATION ACCRUE DES POLITIQUES MENÉES EN DIRECTION DES PERSONNES HANDICAPÉES.

1. Une clarification du rôle du gouvernement fédéral

Depuis quelques années, le gouvernement fédéral a souhaité repenser son rôle à l'égard des personnes handicapées, ce qui l'a amené à modifier la gestion des programmes de sa compétence de même que ses rapports avec les gouvernements provinciaux.

Cette remise en question a suivi « Le plan d'ensemble : concrétiser la vision « portes ouvertes » » , un rapport du Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées publié en 1995, qui présentait une analyse des politiques et programmes fédéraux concernant les personnes handicapées. L'analyse de ce rapport avait conduit le Gouvernement canadien à souhaiter se désengager de ces politiques.

La polémique qui a suivi cette décision a obligé le Gouvernement à constituer un groupe de travail sur les personnes handicapées, appelé Groupe de travail Scott , qui a débouché sur un nouveau rapport intitulé « Donner un sens à notre citoyenneté canadienne : La volonté d'intégrer les personnes handicapées »,

Le rapport Scott fournissait un cadre à la politique d'aide aux personnes handicapées, en misant sur la notion de citoyenneté à part entière pour justifier une intervention fédérale auprès des personnes handicapées.

Après avoir pris connaissance de ce rapport, le gouvernement fédéral a révisé ses positions et reconnu qu'il avait effectivement un rôle à jouer à l'égard des personnes handicapées. Le Groupe de travail Scott avait dégagé une série d'objectifs et d'interventions possibles à court, à moyen et à long terme dans certains secteurs définis (réforme législative, politique et administration fiscale, marché du travail et sécurité du revenu) et le budget fédéral de 1997 a retenu plusieurs initiatives inspirées de certaines recommandations du Groupe de travail.

2. « À l'unisson » : les bases d'une politique globale en direction des personnes handicapées

Après la publication du rapport Scott, un certain nombre de travaux ont été menés entre les responsables fédéraux et provinciaux pour que toute politique ou programme fédéral ou provincial s'inscrive désormais dans le cadre conceptuel de la citoyenneté à part entière prôné par le Groupe de travail.

La plus importante phase de ces travaux a débuté le 27 octobre 1998, date à laquelle le regroupement fédéral-provincial-territorial des ministres responsables des services sociaux a publié « À l'unisson : une approche canadienne concernant les personnes handicapées » .

À la demande des premiers ministres fédéraux et provinciaux, ce document élabore un cadre stratégique destiné à orienter toute action future des gouvernements relative aux personnes handicapées.

« À l'unisson » est le premier accord fédéral-provincial-territorial à présenter une vision unifiée de la citoyenneté à part entière des personnes handicapées, vision d'ailleurs exprimée par des objectifs et des orientations stratégiques dans trois secteurs clés étroitement liés : les mesures de soutien, l'emploi et le revenu.

« À l'unisson » reconnaît qu'il faut prendre les dispositions nécessaires pour tenir compte des coûts supplémentaires et des besoins particuliers qu'entraîne une déficience. Le document vise aussi à améliorer l'employabilité des personnes handicapées, en cherchant notamment à réduire leur dépendance à l'égard des programmes de soutien du revenu, à appuyer l'accès aux programmes de formation, à offrir davantage de mesures de soutien reliées au travail, à favoriser l'adaptation des tâches et des lieux de travail, ainsi qu'à multiplier les débouchés de travail rémunéré ou bénévole.

Concernant le revenu, l'orientation générale est de récompenser les efforts individuels, d'aider ceux qui ne peuvent subvenir à leurs besoins et de supprimer les facteurs de contre-incitation au travail. Le document recommande de séparer l'accès aux mesures de soutien pour les personnes handicapées du droit au soutien du revenu et d'améliorer l'accès aux programmes de soutien du revenu tout en évitant les chevauchements.

Bien que « À l'unisson » n'offre aucune approche vraiment nouvelle concernant les personnes handicapées, il s'agit cependant d'un accord qui définit un ensemble d'objectifs avalisés par les gouvernements fédéral et provinciaux, ce qui est, en soi, considéré comme un grand progrès au Canada.

Même s'il partage les préoccupations soulevées dans le rapport, le gouvernement du Québec n'a toutefois pas pris part à l'élaboration du document « parce qu'il souhaite assumer le contrôle des programmes destinés aux personnes handicapées pour le Québec » . Dès lors, lorsque « À l'unisson » fait état de positions fédérales-territoriales conjointes, cela ne comprend pas le Québec.

« À l'unisson » ne se veut en aucune façon un plan d'action ; il n'en demeure pas moins précieux en tant qu'énoncé de principes, d'autant plus qu'il fournit quelques exemples de circonstances dans lesquelles ces principes ont déjà été appliqués. Restait donc à tirer de « À l'unisson » un document axé sur des actions et des résultats tangibles, aussi bien à l'échelle fédérale-provinciale-territoriale qu'au sein du gouvernement fédéral lui-même.

Le processus s'est poursuivi avec la publication du rapport des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables des services sociaux intitulé « À l'unisson 2000 : les personnes handicapées au Canada » . Ce rapport, rédigé avec l'appui d'associations représentant les personnes handicapées, amorce un processus d'établissement d'indicateurs statistiques qui pourront éventuellement être affinés pour donner une idée plus précise de l'évolution de la condition des personnes handicapées au Canada.

Ce nouveau rapport envisage plusieurs mesures en vue d'améliorer l'accès aux programmes d'aide, notamment l'enquête sur la participation et les limitations d'activités déjà citée. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont à cette occasion accepté d'envisager la possibilité d'accorder aux personnes handicapées un crédit d'impôt remboursable afin de défrayer celles-ci d'une plus grande partie des dépenses que leur impose leur condition.

Même si les susceptibilités des uns et des autres restent fortes, chacun, tant au niveau provincial que fédéral, semble avoir désormais compris que l'amélioration de l'efficacité des politiques en direction des personnes handicapées suppose une coordination accrue des actions menées par les différents intervenants.

II. LES PRINCIPAUX AXES DE LA POLITIQUE FÉDÉRALE EN DIRECTION DES PERSONNES HANDICAPÉES

Le ministère fédéral du développement des ressources humaines (Développement des ressources humaines Canada - DRHC), à travers son bureau de la condition des personnes handicapées (BCPH), dont les membres de la délégation ont pu rencontrer les principaux responsables à Ottawa, coordonne le programme d'action du Gouvernement en faveur des personnes handicapées, auquel participent plus de 30 ministères, organismes et commissions.

Le ministère des affaires indiennes et du Nord mène quant à lui une action spécifique en direction des « Premières nations », qui comptent un nombre élevé de personnes handicapées, évalué à 30 % de leur communauté.

On ne décrira ici que les principaux axes de la politique fédérale en direction des personnes handicapées.

A. L'ACCÈS À L'EMPLOI ET À LA FORMATION

Au Canada, la communauté des personnes handicapées a fait de l'élaboration d'une stratégie d'aide à l'emploi des personnes handicapées une de ses priorités.

Une telle stratégie intégrerait des politiques et programmes fédéraux, provinciaux et territoriaux de même qu'un volet strictement fédéral. Dans le discours du Trône de janvier 2001 , le gouvernement fédéral a annoncé qu'il s'engageait à travailler avec les provinces et les territoires à la mise en oeuvre d'une stratégie globale d'aide à l'emploi pour les personnes handicapées. Le travail devait englober un examen des programmes et services existants pour évaluer leur efficacité et déterminer quelles étaient les lacunes à combler.

1. Le Fonds d'intégration

Il existe aujourd'hui un Fonds d'intégration géré par DRHC, doté de 30 millions de dollars par an (21 millions d'€).

Ce fonds vise à soutenir des approches novatrices axées sur l'intégration des personnes handicapées dans un emploi rémunéré ou dans un travail autonome et sur la suppression des obstacles à la participation de ces personnes au marché du travail. Il apporte en outre une aide financière aux personnes handicapées qui n'ont pas droit aux programmes d'emploi financés par l'assurance emploi. Le fonds travaille en étroite collaboration avec des associations de personnes handicapées.

Le Fonds d'intégration vient en aide à environ 5.000 personnes, un chiffre très faible par rapport aux 186.000 personnes handicapées qui étaient sans emploi au moment de sa création et dont 50 % d'entre elles n'avaient pas droit aux prestations de l'assurance emploi.

2. L'aide à l'employabilité des personnes handicapées

Après la publication du rapport fédéral du Groupe de travail sur les personnes handicapées et une décision des premiers ministres provinciaux, en 1996, faisant de l'amélioration de la condition des personnes handicapées une des grandes priorités de la réforme des politiques sociales, le Gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux sont convenus d'un cadre multilatéral pour l'Aide à l'employabilité des personnes handicapées (AEPH), portant sur une période qui s'étend du 1 er avril 1998 au 31 mars 2003.

L'AEPH prend la forme de contributions fédérales versées aux provinces dans le but de soutenir des programmes visant à aider les personnes handicapées à se préparer à l'emploi, puis à obtenir et à garder un emploi.

Les crédits fédéraux affectés à l'AEPH totalisent 193 millions de dollars par an (135 millions d'€) pour la durée des ententes bilatérales. La plupart des provinces considèrent cependant que l'AEPH étant un simple mécanisme de financement intergouvernemental, il ne dicte en rien leurs décisions concernant la nature des services et programmes qu'ils destinent aux personnes handicapées.

3. L'aide aux étudiants

Parce qu'un grand nombre de personnes handicapées doivent assumer des frais supplémentaires pour poursuivre des études supérieures, des subventions fédérales pour études pouvant aller jusqu'à 5.000 $ par année (3.500 €) sont accordées pour aider à payer le coût des services et du matériel requis : enseignants-tuteurs, interprètes (oraux et gestuels), soins auxiliaires, transport scolaire adapté aller-retour, évaluations des troubles d'apprentissage, preneurs de notes, appareils de lecture et machines à écrire pour aveugles. Plus de 4.500 étudiants handicapés profitent de cette aide.

Le budget fédéral de 2001 a porté de 5.000 $ à 8.000 $ (5.600 €) la subvention maximale accordée aux étudiants gravement handicapés dont les besoins entraînent des coûts très élevés.

Abstraction faite de ces subventions, certains étudiants handicapés estimaient que le montant maximal des prêts aux étudiants était insuffisant eu égard à leurs besoins. Le budget fédéral de 2001 leur a accordé une subvention supplémentaire d'au plus 2.000 $ par année (1.400 €).

B. LES AIDES ET SERVICES

1. L'amélioration de la qualité et la diversification de l'offre

L'offre, la transférabilité et la mobilité des aides et services à l'intention des personnes handicapées constituent une condition essentielle de leur intégration sociale.

Les aides comprennent les aides techniques et appareils de même que l'assistance humaine dont ont besoin les personnes handicapées pour accomplir les tâches de la vie quotidienne.

Les aides techniques comprennent entre autres les fauteuils roulants, les aides visuelles, les dispositifs de réglage du volume, les appareils de prothèse, les analyseurs et les écrans d'ordinateur surdimensionnés. On peut aussi mentionner les aides en matière de santé comme les pansements spéciaux, les systèmes de distribution d'oxygène et le matériel de dialyse.

Les services personnels comprennent les services d'un préposé pour aider les personnes handicapées à manger, à se laver et à s'habiller, les services d'une auxiliaire familiale pour  les tâches ménagères (préparation des repas, etc.).

Les services de santé à domicile permettent d'effectuer des dialyses et des tests sanguins à la maison. Les services de relève aident les familles qui s'occupent d'enfants ou de personnes âgées lourdement handicapés. Il existe aussi des services de lecture, d'interprétation et de communication.

L'accès aux mesures de soutien est jugé globalement compliqué par les associations de personnes handicapées. Dans de nombreux cas, les conditions d'admissibilité sont liées à l'admissibilité à des programmes de soutien du revenu (comme l'aide sociale) ou à l'inscription dans un établissement public (école, résidence) ; lorsque la personne quitte le programme ou l'établissement, les aides sont retirées. D'autres aides sont rattachées au lieu de résidence et sont perdues si l'intéressé déménage.

Les aides et les programmes offerts varient d'une province à l'autre. Si la Loi canadienne sur la santé exige le maintien de la protection de l'assurance santé pour les personnes qui voyagent ou déménagent à l'intérieur du Canada, ces dispositions ne s'appliquent pas aux services complémentaires de santé, tels que les soins à domicile. La situation est d'autant plus complexe que les aides en question proviennent des divers ordres de gouvernement, d'organismes publics et privés, de sociétés d'assurances, de régimes privés d'assurance et régime fiscal.

Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont déjà élaboré un cadre général qui pourrait servir à améliorer l'offre et la transférabilité des services d'aide aux personnes handicapées.

L'Entente-cadre sur l'union sociale , qui lie les différents gouvernements, contient ainsi un engagement en faveur de l'égalité des chances, de l'accès aux programmes essentiels et à « des services de qualité raisonnablement semblables » ainsi que de la participation pleine et entière des Canadiens à la vie de leur société. Elle promet l'élimination des politiques ou pratiques reposant sur des conditions de résidence qui restreignent la mobilité des personnes.

Les services d'aide aux personnes handicapées constituent un domaine dans lequel les provinces jouent un rôle prédominant. La réussite de toute politique en la matière dépendra donc de l'amélioration de la qualité et de l'offre des aides et services au niveau provincial.

Le gouvernement fédéral s'efforce en conséquence de mettre en place avec les provinces et les territoires des solutions coopératives afin de financer des projets visant à améliorer l'accès et la transférabilité.

Le Caledon Institute , institut de recherche indépendant, a ainsi élaboré un projet de fonds national fédéral-provincial de financement des aides qui investirait dans le réseau de services provinciaux et territoriaux. Ce fonds pourrait promouvoir l'élaboration d'un réseau complet de produits et de services dispensés à l'échelle du Canada qui seraient plus uniformes et en tout état de cause transférables. Selon cette proposition, le gouvernement fédéral offrirait aux provinces et aux territoires 1 milliard de dollars par an (700 millions d'€) pendant cinq ans avec un apport équivalent de la part des provinces et des territoires. Il s'agirait d'un mécanisme de financement global, pour conférer de la souplesse à la conception et à la prestation. Ce fonds serait distinct des programmes de soutien du revenu de telle sorte que les personnes handicapées ne seraient pas forcées de faire une demande d'aide sociale ou d'autres types de prestations de soutien du revenu pour obtenir ces aides.

2. Les aides fiscales

Les aides fiscales constituent aujourd'hui le plus important mécanisme fédéral aidant les personnes handicapées à assumer les coûts additionnels que leur condition leur occasionne.

Le régime fédéral d'impôt sur le revenu des particuliers tient compte de plusieurs manières d'une partie des coûts liés à un handicap. Il prévoit par exemple un crédit d'impôt pour frais médicaux, un crédit d'impôt pour personnes handicapées, des crédits d'impôt personnels pour personnes à charge atteintes d'incapacité et pour fournisseurs de soins, de même que des dispositions relatives à l'épargne des particuliers sous la forme de fiducies et de plans d'épargne à impôt différé. D'autres dispositions reconnaissent les coûts liés au soutien et aux soins des enfants à charge.

Les mesures fiscales pour personnes handicapées prennent la forme de crédits non remboursables pouvant être déduits de l'impôt fédéral sur le revenu. Le but de ces mesures fiscales est d'atteindre l'équité horizontale afin de traiter de façon égale les personnes placées dans la même situation.

Le crédit d'impôt pour frais médicaux (CIFM) contribue à réduire le coût d'un certain nombre d'aides. Il est accordé à tous les contribuables et pas uniquement aux personnes handicapées. Pour obtenir ce crédit d'impôt, une personne doit avoir effectué des dépenses médicales dépassant un certain seuil.

Le crédit d'impôt pour personnes handicapées (CIPH) aide les personnes handicapées à assumer les coûts additionnels qu'entraîne leur condition. Pour avoir droit à ce crédit, le contribuable doit être atteint d'un handicap physique ou mental, grave et de longue durée, qui nuit à son aptitude à s'acquitter de certaines tâches de la vie quotidienne. Cette définition s'est avérée en pratique source de très nombreux litiges.

Depuis quelques années, des efforts importants ont été accomplis afin d'améliorer la situation fiscale des personnes handicapées, dans la droite ligne des propositions formulées en 1996 par le Groupe de travail Scott.

Le budget fédéral de 1997 a augmenté le plafond pour les soins auxiliaires, a reconnu comme frais médicaux des dépenses telles que l'adaptation des lieux de résidence et les services d'interprètes gestuels, et a créé le crédit remboursable pour frais médicaux à l'intention des personnes handicapées qui travaillent.

Le budget fédéral de 1998 a permis de considérer comme des frais médicaux les sommes payées pour que le contribuable (ou un parent) apprenne comment prendre soin d'une personne à charge handicapée.

Le budget fédéral de 1999 a ajouté à la liste des frais médicaux les sommes versées aux personnes qui assurent des soins dans un foyer collectif de personnes admissibles au CIPH ou qui effectuent de la surveillance dans un tel foyer.

Le budget fédéral de 2000 ainsi que le collectif budgétaire 2000 ont apporté plusieurs modifications au CIPH, réintroduit l'indexation et augmenté d'autres crédits d'impôt à l'intention des personnes handicapées avec, par exemple, un supplément de 500 $ pour aider les personnes qui s'occupent d'un enfant gravement handicapé. L'admissibilité au CIPH a été élargie pour inclure les personnes qui ont besoin d'une thérapie intensive de longue durée. Le CIPH maximal et le montant du crédit ont été augmentés et un nouveau supplément est venu s'ajouter pour les enfants souffrant de handicaps graves.

Aujourd'hui, les personnes handicapées souhaitent que l'on revoie les critères d'admissibilité du CIPH -plus particulièrement en ce qui concerne les « activités de la vie quotidienne », un critère dont on se sert souvent pour leur refuser cet avantage fiscal. Elles demandent également que les subventions canadiennes pour études à l'intention des étudiants handicapés ne soient plus considérées comme un revenu imposable.

C. LE SOUTIEN DU REVENU

En pourcentage du PIB, les dépenses publiques du Canada au titre de l'aide pécuniaire aux personnes handicapées, des prestations pour accident du travail ou maladie professionnelle et des prestations maladie figurent parmi les plus faibles de tous les pays de l'OCDE. Au Canada et aux États-Unis, en effet, les compagnies d'assurance privées jouent dans ces domaines un plus grand rôle qu'en Europe.

Les programmes de soutien du revenu des personnes handicapées se divisent entre les programmes d'assurance sociale -des programmes de remplacement du revenu des personnes qui deviennent handicapées financés par des cotisations- et des programmes d'assistance sociale -programmes qui offrent une aide de « dernier ressort » aux personnes handicapées qui ont un revenu très faible ou nul.

1. L'indemnisation des accidentés du travail

L'indemnisation des accidentés du travail relève avant tout des provinces ; chacune administre de façon autonome son propre régime, un monopole public ayant généralement compétence exclusive pour déterminer s'il y a accident du travail ouvrant droit à indemnisation, la durée de l'incapacité et le niveau des prestations.

Les différents régimes d'indemnisation ont peu de rapports entre eux ; la couverture et les prestations varient sensiblement selon les régimes. Quelque 9 à 9,5 millions de travailleurs -environ 75 % des salariés- étaient protégés au milieu des années 1990. Les travailleurs autonomes, les travailleurs occasionnels et les travailleurs saisonniers ne sont quant à eux pas couverts par ces régimes.

L'indemnisation des accidentés du travail ne couvre que les cas d'invalidité partielle ou temporaire liée à l'emploi. Plus que tout autre régime de soutien du revenu des personnes handicapées, ces régimes mettent l'accent sur la réadaptation des travailleurs malades ou blessés. Les employeurs sont tenus de conserver les travailleurs blessés et de prendre les mesures nécessaires à leur retour au travail. Les régimes sont financées au moyen de cotisations versées par les employeurs.

2. Le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec

Les prestations d'invalidité du Régime de rentes du Québec et du Régime de pensions du Canada (RRQ/RPC) ont été créées en 1966 et représentaient 14 % des prestations du RRQ/RPC en 1996.

Il a fallu une révision constitutionnelle pour donner au gouvernement fédéral le pouvoir d'imposer le versement de telles prestations. Tous les gouvernements provinciaux avaient la possibilité d'administrer leur propre régime mais seul le Québec a choisi de le faire. Les deux régimes, celui du Canada et celui du Québec, sont similaires et des accords prévoient la reconnaissance mutuelle des acquis. Il s'agit en réalité d'un régime conjoint qui couvre pratiquement tous les travailleurs.

Pour avoir droit à des prestations d'invalidité du RPC, une personne doit avoir cotisé au régime durant quatre des six dernières années. Les conditions sont légèrement différentes au Québec.

Le RRQ/RPC ne verse des prestations d'invalidité qu'en cas d'invalidité grave et prolongée ; l'invalidité temporaire ou partielle n'est pas couverte. La cause de l'invalidité n'entre pas en ligne de compte.

Le RRQ utilise une définition moins exigeante pour les demandeurs de 60-64 ans mais couvre dans une moindre mesure les maladies mentales et la fatigue chronique que le RPC.

En raison du caractère assez strict de la définition de l'invalidité, la réadaptation joue un faible rôle dans les deux régimes : les personnes atteintes d'un handicap grave et prolongé sont a priori les moins susceptibles de retourner un jour au travail.

3. L'assistance sociale

Les prestations d'assistance sociale sont versées par les provinces. Elles sont financées grâce à une contribution du gouvernement fédéral, par le biais du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS) , un transfert global qui augmente en fonction de la population provinciale et des agrégats économiques.

Les personnes handicapées ont droit à des prestations d'assistance sociale si elles satisfont à des conditions qui varient d'une province à l'autre, mais qui, à l'exception de l'Alberta, tiennent compte de leurs besoins financiers, de leur revenu et de leur patrimoine.

On estime généralement que de 20 à 25 % des assistés sociaux sont des personnes handicapées, soit environ 650.000 personnes pour l'ensemble du Canada. Tous les régimes d'assistance sociale ont des dispositions particulières pour les personnes handicapées, avec des plafonds de ressources plus élevés, des prestations plus généreuses et une protection accrue. Certaines provinces administrent des programmes distincts pour les personnes handicapées à revenu faible ou nul.

Enfin, il faut signaler que la moitié environ des salariés sont protégés par des régimes privés d'assurance invalidité de longue durée. Ceux-ci offrent généralement un taux de remplacement de deux tiers environ mais les montants totaux versés sont faibles : leurs versements viennent en effet après épuisement des prestations maladie de l'assurance emploi et sont généralement réduits par toute prestation provenant du RRQ/RPC ou des caisses d'indemnisation des travailleurs. En outre, les prestations sont limitées aux personnes considérées comme inemployables. Elles sont financées par les cotisations des employeurs et des salariés et par des revenus de placement tirés des réserves des sociétés d'assurances.

Le système de soutien du revenu pour les personnes handicapées fait l'objet de nombreuses critiques au Canada.

Beaucoup estiment que l'assistance sociale n'est pas le bon mécanisme pour venir en aide aux personnes handicapées. On considère qu'il y a ainsi trop de différences entre les niveaux des prestations d'une province à l'autre, ce qui pose des problèmes d'équité. En outre, avec le temps, le TCSPS risque d'entraîner des disparités de plus en plus grandes car les provinces pauvres ont tendance à réduire leurs dépenses d'aide sociale en période de ralentissement économique.

Ce système offre aussi des prestations faibles, voire aucune prestation, aux personnes titulaires d'emplois précaires qui n'ont pas droit aux prestations d'indemnisation des accidentés du travail ou de compagnies d'assurances privées et qui dépendent du RRQ/RPC, où le taux de remplacement du revenu est faible.

La fragmentation du système canadien de soutien du revenu des personnes handicapées pénalise ceux qui veulent s'en prévaloir. Des personnes handicapées qui se trouvent dans des situations similaires sont traitées de manière différente selon les programmes auxquels elles sont admissibles et l'endroit où elles vivent.

En outre, il arrive aussi que des demandeurs se retrouvent sans aucune indemnisation parce qu'ils sont indéfiniment renvoyés d'un programme à l'autre, chaque organisme payeur estimant qu'il revient à un autre de payer - ce qui survient plus souvent en cas de restrictions budgétaires.

Le Canada manque à l'évidence d'un système de garantie de revenu qui soit uniforme sur tout le territoire.

D. L'ACCESSIBILITÉ AUX TRANSPORTS

1. La Loi sur les transports au Canada

Depuis 1983, le Canada a mis en place une politique nationale destinée à faciliter le transport des personnes ayant une déficience. Cette politique vise à assurer que tous les modes de transports de compétence fédérale offrent des services « sûrs, fiables et équitables » aux personnes ayant une déficience.

A l'époque où cette décision a été prise, deux options s'offraient au gouvernement fédéral pour réglementer les normes d'accessibilité en matière de transport : la législation des droits de la personne ou la législation des transports.

Initialement, le gouvernement fédéral avait envisagé d'utiliser la législation sur les droits de la personne. La loi canadienne sur les droits de la personne , adoptée en 1977, a en effet pour objectif de veiller à l'égalité de chances et à l'élimination de la discrimination dans la sphère de compétence fédérale. Cette loi prévoit également que les personnes ayant une déficience doivent avoir accès aux locaux, aux services et aux installations. Les compagnies aériennes, les services d'autocars, les chemins de fer interprovinciaux ainsi que les autres industries régies par le gouvernement fédéral (par exemple certaines exploitations minières) sont ainsi assujettis à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Toutefois, ces dispositions étant difficiles à faire appliquer de manière concrète, le gouvernement fédéral a finalement choisi de modifier, en 1988, la loi sur les transports au Canada afin d'y ajouter des dispositions spécifiques en matière d'accessibilité et de conférer à l'Office des transports du Canada le pouvoir d'édicter des règlements et de statuer sur les plaintes touchant le réseau de transport canadien.

2. L'Office des transports du Canada

Selon la Loi sur les transports au Canada (LTC), l'Office est responsable de l'application de la politique nationale des transports.

L'Office, dont les membres de la délégation ont pu rencontrer les responsables, est un tribunal administratif quasi judiciaire, indépendant, chargé de rendre des décisions sur les questions concernant les modes de transport de compétence fédérale. Il a les attributions d'une cour supérieure. De plus, l'Office est chargé de faciliter le transport accessible et de régler les différends relatifs à certaines plaintes sur la tarification et les services.

L'article 170 de la LTC confère ainsi à l'Office le pouvoir d'éliminer les « obstacles abusifs » aux possibilités de déplacement des personnes ayant une déficience dans le réseau de transport canadien de compétence fédérale, soit :

- les transporteurs aériens et les exploitants d'aéroports ;

- les transporteurs ferroviaires et leurs installations ;

- les transporteurs maritimes interprovinciaux et leurs terminaux ;

- les services d'autocars interprovinciaux.

L'article 171 de la LTC requiert que l'Office et la Commission canadienne des droits de la personne coordonnent leurs activités en matière de transport des personnes ayant une déficience pour favoriser l'adoption de directives complémentaires et éviter ainsi les conflits de compétence.

Afin d'éliminer les obstacles abusifs et d'établir les normes d'accessibilité, l'Office mène des enquêtes, consulte les consommateurs, l'industrie et les parties intéressés, surveille la conformité aux règlements, informe les voyageurs et statue sur les plaintes. Il s'efforce d'obtenir des engagements des transporteurs et de faciliter l'information au public.

III. LE QUÉBEC : L'EXEMPLE D'UNE POLITIQUE PROVINCIALE AMBITIEUSE

A. LE SYSTÈME QUÉBECOIS DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX

1. Une organisation axée sur la régionalisation et le fonctionnement en réseau

Le Québec compte aujourd'hui 7,4 millions d'habitants, soit 24 % de la population canadienne. Il dispose d'un système sanitaire et social original, très largement décentralisé.

Institué par la loi sur les services de santé et les services sociaux , entrée en vigueur le 1 er juin 1972, le système québécois de santé et des services sociaux a pour objectifs le maintien et l'amélioration de la capacité physique, psychique et sociale des personnes.

L'organisation du système s'inspire des trois principes que sont l'universalité, la gratuité et la continuité de la prestation des services.

Elle comporte en outre trois grandes caractéristiques :

- les services de santé et les services sociaux sont intégrés au sein d'une même administration. Cela offre l'avantage, selon les autorités québécoises, de pouvoir répondre à l'ensemble des besoins des personnes âgées en perte d'autonomie et des personnes qui ont des problèmes d'adaptation ou des incapacités ;

- l'ensemble du système est sous contrôle public. L'Etat définit le panier de biens et services, en finance la production et le fonctionnement et fixe les conditions d'accessibilité sur une base équitable ;

- le système repose sur trois niveaux : le central, le régional et le local.

Pour assurer à tous les citoyens l'accessibilité à des soins et à des services de qualité, la loi sur les services de santé et les services sociaux a en effet défini un modèle d'organisation axé sur la régionalisation et sur la complémentarité d'établissements constitués en réseau .

Au niveau central, le ministère de la Santé et des Services sociaux établit les grandes orientations et définit les paramètres budgétaires. Au niveau régional, les régies régionales sont responsables de l'organisation et de la coordination des services ainsi que de l'allocation budgétaire aux établissements. Au niveau local, les établissements (CLSC, centres d'hébergement, centres hospitaliers) et les cliniques privées sont chargés de la distribution des services locaux de base. Des services spécialisés, organisés régionalement, et des services surspécialisés, organisés à l'échelle nationale, complètent le réseau de services.

Ce vaste réseau, sur lequel s'appuie le système socio-sanitaire du Québec, regroupe quelque 480 établissements publics et privés, environ 3.400 organismes communautaires et plus de 1.000 cliniques médicales privées. Près de 7 % de la main-d'oeuvre active du Québec travaillent dans ce secteur.

La gestion de ce système est assurée par le ministère de la Santé et des Services sociaux, ainsi que par 16 régies régionales , un centre régional de la Baie-James et un conseil régional Cri , qui sont répartis dans dix-huit régions.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux est chargé de l'application des lois et des règlements relatifs à la santé et aux services sociaux et il doit s'assurer que des services de qualité sont accessibles à tous les citoyens. C'est au ministère que revient l'élaboration des objectifs, des orientations et des priorités de santé et de services sociaux du Québec, et la mise en oeuvre des moyens nécessaires à leur réalisation, notamment l'organisation de services et la répartition des budgets entre les divers établissements et régions.

Son rôle s'articule notamment autour des questions suivantes : les cadres de gestion, les politiques d'ensemble, l'évaluation, la négociation et le suivi, l'enseignement et la recherche, la main-d'oeuvre du réseau, les priorités, particularités et services régionaux, l'équité interrégionale et la protection de la santé publique.

Un certain nombre d'organismes relèvent de l'autorité du ministère de la Santé et des Service sociaux. La plupart exercent un rôle consultatif auprès du ministre et ont mandat très précis : Conseil de la santé et du bien-être, Corporation d'hébergement du Québec, Institut national de santé publique du Québec...

D'autres, comme l'Office des personnes handicapées du Québec et la Régie de l'assurance maladie du Québec , disposent d'un mandat plus large et de ressources plus importantes.

La Régie de l'assurance maladie du Québec administre le régime d'assurance maladie institué par la Loi sur l'assurance maladie, ainsi que tout autre programme que la loi ou le Gouvernement lui confie. Elle doit rémunérer, conformément aux ententes, les professionnels de santé qui fournissent les services assurés et rembourser aux bénéficiaires le coût de ces services.

L'Office des personnes handicapées pilote quant à lui la politique en direction des personnes handicapées.

2. Le rôle central de l'Office des personnes handicapées du Québec

Le Québec est considéré comme ayant joué un rôle précurseur au Canada dans la prise de conscience de la nécessité d'oeuvrer en faveur d'une intégration accrue des personnes handicapées dans la société.

Elle est en effet la première province à s'être dotée d'une loi spécifique les concernant : la loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées , adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale du Québec, le 23 juin 1978.

Cette loi a notamment créé l'Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) dont les membres de la délégation de la commission ont pu rencontrer le Président, M. Norbert Rodrigue.

L'Office a pour fonction de veiller à la coordination des services offerts aux personnes handicapées, de promouvoir leurs intérêts et de favoriser leur intégration scolaire, professionnelle et sociale. Il doit favoriser la concertation des organismes publics, parapublics ou privés, dispensateurs de services à l'échelon national, régional et local. Il jouit d'une grande autonomie dans ses activités.

Plus précisément, le rôle de l'Office consiste à :

- coordonner et promouvoir les services répondant aux besoins des personnes handicapées ;

- soutenir une approche de planification individuelle des services : l'Office conseille, soutient et accompagne sur demande les personnes handicapées dans l'élaboration, la réalisation et la coordination de leur plan de services ;

- soutenir l'harmonisation des classifications concernant le handicap ;

- conseiller le gouvernement et les organismes publics en matière de législation et de réglementation pouvant avoir des conséquences pour les personnes handicapées ;

- mettre sur pied et promouvoir des programmes de formation et d'information sur les personnes handicapées et les conditions favorables à leur intégration ;

- promouvoir l'adaptation des programmes de formation portant sur les modèles d'intervention et les services aux personnes handicapées ;

- évaluer les progrès réalisés dans l'intégration des personnes handicapées et identifier les obstacles à cette intégration ;

- expérimenter des biens et des services destinés aux personnes handicapées et qui favorisent leur intégration.

Pour mener à bien son action, l'OPHQ s'appuie sur le réseau de la santé et des services sociaux.

3. Le réseau de la santé et des services sociaux

Les établissements qui composent le réseau de la santé et des services sociaux ont chacun des responsabilités particulières et sont coordonnés entre eux par les régies régionales, le centre régional de la Baie-James et le conseil régional Cri.


• Les régies régionales de la santé et des services sociaux

Dans chaque région du Québec existe une régie régionale de la santé et des services sociaux en charge de la planification, de l'organisation, de la coordination des programmes et des services, ainsi que de l'allocation des ressources sur leur territoire.

Les régies régionales ont pour mission d'adapter les services socio-sanitaires aux besoins et aux réalités des divers groupes de personnes auxquels elles offrent des services. Chaque région peut ainsi développer un mode d'organisation qui lui est propre et qui tienne compte des caractéristiques de sa population, de sa géographie, de ses caractéristiques socio-économiques et culturelles et des établissements qui s'y trouvent.


• Les établissements

Il existe au Québec plus de 480 établissements publics et privés. Ces établissements constituent l'assise du système de santé et de services sociaux. Quelle que soit leur mission, tous les établissements ont pour fonction d'offrir à la population des services de qualité, accessibles et continus. Ils sont tenus d'accueillir les personnes qui s'adressent à eux et d'évaluer leurs besoins, puis de les diriger, le cas échéant, vers les ressources appropriées. Les établissements sont regroupés par catégorie, en relation avec leur mission :

Les centres locaux de services communautaires (CLSC) - Les 168 CLSC ont pour mission d'offrir des services de santé et des services sociaux courants, de nature préventive ou curative, ainsi que des services de réadaptation ou de réinsertion. Ces services peuvent être dispensés dans les locaux du CLSC, à l'école, au travail ou à domicile.

Les CLSC jouent un rôle essentiel dans la prise en charge et le maintien à domicile des personnes handicapées : ils sont ainsi qualifiés de « pivot » de toute l'organisation des services qui sont destinés à ces personnes. Le Gouvernement québécois souhaite d'ailleurs que leur rôle se développe encore davantage dans les prochaines années.

Les centres hospitaliers (CH) - Les centres hospitaliers offrent des services diagnostiques, des soins médicaux généraux et spécialisés et des soins infirmiers, des services psychosociaux spécialisés, de réadaptation ou de réinsertion.

Les centres de réadaptation (CR) - Les centres de réadaptation offrent des services de réadaptation et d'intégration sociale, des services d'adaptation, ainsi que des services d'accompagnement et de soutien à l'entourage des patients.

Les centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) - Ces centres ont pour mission d'offrir aux adultes en perte d'autonomie fonctionnelle ou psychosociale un milieu de vie substitut et plusieurs services, dont l'hébergement, l'assistance, le soutien, la surveillance et la réadaptation. Ils offrent aussi à ces personnes des services psychosociaux, médicaux, infirmiers et pharmaceutiques.

Les centres de protection de l'enfance et de la jeunesse (CPEJ) - Ces centres offrent aux jeunes et à leur famille des services de nature psychosociale, des services facilitant le placement d'enfants et la médiation familiale, des services d'expertise à la Cour supérieure sur la garde d'enfants, des services d'adoption et de recherche d'antécédents biologiques.

Au Québec, les établissements de santé et de services sociaux sont administrés sur une base régionale et plusieurs assument plus d'une mission. On en compte 124 qui assument une mission de centres hospitaliers, 321 de centres d'hébergement et de soins de longue durée, 146 de centres locaux de services communautaires offrant des services de première ligne, 91 de centres de réadaptation et 20 de centres de protection de l'enfance et de la jeunesse.


• Les organismes communautaires

Les quelque 3.400 organismes communautaires subventionnés qui oeuvrent dans le domaine de la santé et des services sociaux jouent un rôle très important auprès de la population et sont des partenaires à part entière du ministère, des régies et des établissements. La gamme de services qu'ils offrent est très variée :

des services de prévention, d'aide et de soutien, y compris des services d'hébergement temporaire ;

des activités de promotion, de sensibilisation et de défense des droits et des intérêts des personnes utilisant des services de santé ou des services sociaux ;

la promotion du développement social, l'amélioration des conditions de vie ou la promotion de la santé pour l'ensemble du Québec ;

des activités répondant à des besoins nouveaux, utilisant des approches nouvelles ou visant des groupes particuliers de personnes.

B. LES ACTIONS MENÉES EN FAVEUR DE L'INTÉGRATION SOCIALE DES PERSONNES HANDICAPÉES

Le développement des services de soutien à l'intégration sociale des personnes handicapées reste très récent.

Au cours des années 70, la Commission d'enquête sur la santé et le bien-être social (dite commission Castonguay-Nepveu ) « découvre les personnes handicapées » et les ministères des Affaires sociales et de l'Éducation posent les premiers jalons des services qui leur sont destinés.

L'adoption de la Loi sur les services de santé et les services sociaux et la création de la Régie de l'assurance maladie instaurent la gratuité des soins médicaux pour l'ensemble de la population du Québec, accentuant ainsi l'implication publique en matière de services aux personnes handicapées. C'est ainsi que, par exemple, les premiers programmes donnant accès à des aides techniques voient le jour.

Mais c'est à la fin de cette décennie et au cours des années 80 que les services et mesures publiques de soutien à l'intégration sociale se déploient selon plusieurs voies parallèles.

En 1978, la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées du Québec donne naissance à l'Office des personnes handicapées du Québec et à ses services d'aide matérielle.

La même année, le Gouvernement crée un régime d'assurance particulier pour les victimes d'accidents d'automobiles.

En 1985, ce sont les victimes d'accidents du travail qui bénéficient à leur tour d'un régime révisé d'indemnisation, géré par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). La CSST gère un autre régime d'indemnisation, celui des victimes d'actes criminels (IVAC). Ces régimes relèvent de la loi sur les accidents du travail de 1931 et de la loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels adoptée en 1972. Bien que les modalités d'indemnisation et de remplacement du revenu soient différentes, plusieurs programmes et services développés par la CSST s'appliquent sans distinction aux deux populations.

Plusieurs ministères et organismes s'engageront graduellement dans le développement des programmes et services aux personnes handicapées, suite à la Conférence socio-économique sur l'intégration de la personne handicapée tenue en 1981 et à la mise en oeuvre de la Politique d'ensemble « À part... égale » .

1. La politique d'ensemble « A part égale » : une impulsion déterminante

La Politique d'ensemble de prévention de la déficience et d'intégration sociale des personnes handicapées, dite « A part égale » , définit les principes directeurs qui vont guider jusqu'à aujourd'hui les politiques québécoises en direction des personnes handicapées.

Comme le précise l'OPHQ, qui est à l'origine de cette initiative, « avoir une déficience, ce n'est pas forcément un handicap ! Le handicap, c'est de ne pas pouvoir travailler, étudier, se distraire, communiquer avec les autres. Les personnes handicapées peuvent s'intégrer à la société. Il suffit d'y penser, d'aménager, d'organiser. Pour y arriver, l'Office des personnes handicapées du Québec propose À PART... ÉGALE. »

LES GRANDES ORIENTATIONS DE LA POLITIQUE A PART... ÉGALE

1. Le respect de la différence

2. L'autonomie : libre choix et responsabilité

3. La participation des personnes handicapées aux décisions individuelles et collectives

4. Une qualité de vie décente pour les personnes handicapées

5. La reconnaissance d'une approche qui considère la personne handicapée dans son ensemble

6. Le plus grand développement des capacités des personnes ayant une déficience

7. La participation à part entière des personnes handicapées à la vie sociale

8. La protection maximale contre les facteurs de risque d'apparition de déficiences physiques et mentales

9. L'adaptation du milieu aux besoins des personnes handicapées, sans discrimination ni privilège

10. La priorité aux ressources et services assurant le maintien ou le retour des personnes handicapées dans leur milieu de vie naturel

11. L'autosuffisance régionale des ressources selon les besoins des personnes handicapées

12. L'articulation effective des ressources locales, régionales et nationales selon les nécessités

13. La coordination continue pour la gestion et la complémentarité des ressources

14. La permanence et l'intégration maximale des services

15. La participation active des personnes handicapées à la gestion des services.

Pendant toute cette période, les associations de personnes handicapées ont été au coeur même de la mobilisation sociale qui entoure le développement des services. Elles ont interpellé les différents ministères et organismes sur leurs responsabilités à l'égard des personnes handicapées et se sont engagées dans la mise sur pied de services communautaires novateurs 107 ( * ) . C'est donc à ce double titre -en tant qu'organismes de défense des droits et de promotion des intérêts des personnes handicapées ainsi qu'en tant qu'organismes de services- que les associations de personnes handicapées ont pu jouer un rôle aussi central dans le développement des programmes et services aux personnes handicapées au Québec.

Le développement des services publics ne s'est quant à lui pas fait sans difficultés.

Les programmes et services mis en place par la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) et la CSST se sont développés sans contraintes financières majeures puisqu'ils disposaient d'une source de financement autonome et indépendante du budget gouvernemental.

À l'inverse, les services de soutien développés par l'OPHQ et les ministères et organismes gouvernementaux ont été marqués par des problèmes de sous-financement récurrents. Ce sous-financement s'est traduit par l'existence de listes d'attente, soulagées au cas par cas et de manière ponctuelle par des compléments de moyens accordés selon les disponibilités budgétaires gouvernementales. C'est donc au prix d'interventions constantes pour faire reconnaître le bien-fondé des besoins des personnes handicapées et la nécessité d'y consacrer le financement nécessaire que se sont développés ces services.

2. De profondes mutations dans les politiques en direction des personnes handicapées

En 1987, le gouvernement du Québec décida, conformément aux orientations de la Politique d'ensemble « À part... égale », de procéder au transfert des programmes d'aide matérielle de l'OPHQ vers les différents ministères et organismes sectoriels.

Cette opération s'est effectuée très progressivement, le dernier programme d'aide matérielle ayant été transféré à l'automne 1998. La majorité de ces transferts ont été accompagnés de rallonges budgétaires substantielles, devant permettre à l'organisme receveur de mieux répondre à la demande.

Toutefois, il apparaît aujourd'hui que les besoins avaient été sous-estimés. Ces programmes étaient encore en période de développement au moment de leur transfert : les dépenses continuent donc à augmenter rapidement en raison d'une meilleure connaissance de leur existence et du vieillissement de la population.

Confrontée à un contexte social difficile se traduisant par un appauvrissement des « groupes vulnérable »s et une augmentation de leurs besoins, soumise au vieillissement de sa population et, par conséquent, à l'augmentation prévisible du nombre de personnes ayant des incapacités, la société québécoise a dû également affronter ces dernières années une période particulièrement difficile quant à la situation des finances publiques de la province.

La période actuelle est également marquée par des changements économiques importants qui modifient notamment la dynamique entourant la création des emplois. Ce sont les industries à forte concentration de savoir qui créent désormais le plus d'emplois. Pour les personnes handicapées, ce contexte économique et social en profonde mutation exige, aux yeux du gouvernement québécois, la mise en place de mesures plus efficientes et plus équitables pour assurer le maintien et le développement des conditions nécessaires à leur intégration sociale et pose de nouveaux défis en ce qui concerne l'intégration scolaire et professionnelle.

L'environnement des services connaît également de profonds changements. Ceux-ci se produisent alors que les services spécifiques aux personnes handicapées sont encore en période de développement et de rattrapage. De plus, les transferts de programmes et de responsabilités sont très récents.

Toute cette évolution demeure donc relativement fragile et la dynamique de changement et de reconnaissance des besoins des personnes handicapées, qui fut amorcée au début des années 80 par les organismes de personnes handicapées et l'OPHQ, est, de l'aveu même des responsables de l'OPHQ, encore largement à construire et à consolider.

Quatre grandes tendances ont marqué l'évolution récente des services gouvernementaux :

- l'engagement gouvernemental à l'égard du « déficit zéro » et les réductions budgétaires qui s'ensuivirent ;

- la priorité accordée par le Gouvernement et les principaux acteurs de la scène politique et publique à l'économie et à l'emploi ;

- les tendances à accorder plus de pouvoir et de marge de manoeuvre aux instances locales et régionales dans la planification, l'organisation et la dispensation des services publics ;

- les différentes opérations de restructuration des services.

On peut souligner également la tendance de plus en plus marquée à reconnaître le bien-fondé des services initiés par les organismes communautaires tout en leur confiant de nouvelles responsabilités en matière de services publics. Ce « virage communautaire » ne s'accompagne pas toutefois de tous les moyens requis pour assumer des responsabilités de plus en plus lourdes.

En effet, en plus d'avoir à répondre, par le biais de leurs propres services, aux besoins de plus en plus complexes des personnes vulnérables et démunies, ces organismes prennent, dans bien des cas, le relais des organismes publics dont les services se font plus rares et sélectifs. Malgré les efforts en vue d'accorder un meilleur financement du réseau communautaire, la précarité et le sous-financement de ces organismes demeurent donc très présents.

L'effet cumulatif de ces changements est difficile à évaluer aujourd'hui. On peut cependant considérer que les transformations actuelles, introduites en très peu de temps et avec très peu de marge de manoeuvre financière, se traduisent par des mouvements de personnel importants accompagnés de changements dans les lieux et les modalités de services.

Les personnes handicapées qui, en raison de leurs besoins particuliers ont plus souvent recours à une multitude d'organismes de services, sont dès lors susceptibles d'être directement affectées par ces changements. Le sous-financement chronique des services communautaires affecte, pour sa part, le maintien et la continuité de services essentiels à la réponse des besoins des personnes handicapées.

3. Des besoins qui restent importants dans un contexte de restrictions budgétaires

Le relevé des programmes, services et mesures diverses auquel l'OPHQ s'est livré dans un rapport de 1999 intitulé « Le Québec et l'intégration sociale des personnes handicapées - Orientations et voies de solution pour l'avenir » permet d'avoir une vue d'ensemble des interventions du gouvernement québécois en direction des personnes handicapées.

LA SEMAINE QUÉBÉCOISE DES PERSONNES HANDICAPÉES

En octobre 1992, soit à la fin de la Décennie des Nations-Unies pour les personnes handicapées, l'Assemblée générale des Nations-Unies proclamait le 3 décembre de chaque année, Journée internationale des personnes handicapées.

Dans cet esprit, en octobre 1996, l'Office des personnes handicapées du Québec décidait de consacrer une semaine entière à la sensibilisation et à la promotion des droits des personnes handicapées.

La première Semaine québécoise des personnes handicapées s'est tenue du 2 au 8 décembre 1996. Malgré les difficultés inhérentes à toute première, l'expérience s'est avérée positive. Ce succès, dû à l'implication des milieux associatif, patronal et syndical et des différents ministères et organismes gouvernementaux, s'est répété et a pris un peu plus d'ampleur chaque année.

Durant trois ans, les activités se sont déroulées durant la première semaine de décembre. En réponse aux demandes répétées des associations de personnes handicapées et des différents comités organisateurs régionaux de reporter la Semaine à une autre période de l'année, l'événement se tient, depuis l'édition 2000, du 1 er au 7 juin de chaque année.

Bien qu'il soit difficile d'évaluer qualitativement l'impact qu'elle a pu avoir sur la population, la semaine québécoise est devenue un outil de promotion central dans la stratégie de communication de l'Office des personnes handicapées du Québec.

Le thème de la semaine qui s'est tenue du 1 er au 7 juin 2002 était celui de l'intégration sociale et de la citoyenneté des personnes handicapées avec le slogan « Ensemble... Tout le monde y gagne » .

Actuellement, seize ministères et organismes gèrent plus de 150 programmes et services spécifiques aux personnes handicapées. L'effort accordé par l'État québécois aux personnes handicapées par l'entremise de ses programmes et services est considérable.

En 1997-1998, les programmes et services financés par les régimes publics d'assurance (assurance automobile et santé et sécurité au travail) et le régime de rentes du Québec représentent des dépenses de près de 1 milliard de dollars (700 millions d'€). Ce montant ne comprend pas toutes les indemnités de remplacement de revenu que les régimes publics d'assurance versent aux personnes ayant des incapacités permanentes ni les dépenses médicales et les honoraires professionnels versés à cette clientèle. Les dépenses assumées à partir de l'enveloppe budgétaire des crédits gouvernementaux totalisent pour leur part près de 4 milliards de dollars, soit environ 11 % des dépenses de programme totales. De ce montant, 900 millions sont attribués au programme soutien financier de la sécurité du revenu. Il reste donc environ 3,1 milliards de dollars qui sont affectés à différents services, dont la plus grande part revient au ministère de la Santé et des Services sociaux. Près de 2,7 milliards sont assumés par ce ministère dont une bonne partie sert au financement des centres de réadaptation et des centres d'hébergement de longue durée.

Toutefois, malgré l'effort important consenti par les ministères et organismes gouvernementaux, les besoins en termes de services et de mesures de compensation ne sont que partiellement comblés.

En dépit des efforts déployés en vue de maintenir et parfois même d'augmenter les budgets accordés à ces services au cours de ces dernières années de restrictions budgétaires, ceux-ci ne semblent toujours pas suffisants, selon l'OPHQ, pour assurer une couverture adéquate des besoins.

La croissance insuffisante des budgets se traduit, dans plusieurs secteurs, par une diminution des allocations financières ou du nombre d'heures de services offerts. Certains types de services peuvent être abandonnés et des listes d'attente constituées. Même si l'ensemble des moyens déployés peut sembler considérable, il n'est pas superflu de rappeler, comme le fait l'OPHQ, que ces différents programmes et services s'adressent à près de 1 million de personnes, soit pratiquement 13 % de la population du Québec. En outre, les besoins financiers de plusieurs programmes risquent encore d'augmenter dans les prochaines années, en raison du vieillissement de la population.

Dans ce contexte difficile, l'OPHQ a mis l'accent sur six orientations majeures qui devraient guider la politique québecoise dans les prochaines années :

1. Considérer l'intégration sociale des personnes handicapées comme une priorité nationale, régionale et locale ;

2. Assurer l'équité en emploi ;

3. Assurer la compensation équitable des déficiences, des incapacités et des situations de handicap ;

4. Développer des stratégies cohérentes pour assurer l'amélioration des conditions de vie des personnes handicapées ;

5. Améliorer le soutien des personnes handicapées dans leurs démarches pour obtenir des services ;

6. Favoriser le développement et la consolidation de solutions novatrices en accentuant la coordination intersectorielle et en investissant de nouveaux champs d'intervention.

En outre, un peu plus de vingt ans après sa création, l'Office a proposé une refonte des dispositions législatives qui définissent sa mission afin de tenir compte de l'évolution du contexte dans lequel s'inscrivent ses actions. Le projet de loi est cependant toujours en instance d'adoption à l'Assemblée nationale du Québec.

*

* *

Il est bien difficile, à l'occasion d'une mission nécessairement de courte durée, d'émettre un jugement global sur la politique canadienne en faveur des personnes handicapées. Celle-ci présente à l'évidence des forces mais aussi des faiblesses.

Les efforts accomplis depuis de nombreuses années, tant au niveau fédéral que provincial, ont à l'évidence porté leurs fruits : grâce notamment à une prise en charge communautaire remarquable, le regard de la société canadienne sur les personnes handicapées a changé, l'intégration sociale est désormais une réalité et l'accession à une véritable citoyenneté une perspective qui n'a plus rien d'utopique.

Beaucoup reste sans doute à faire dans ce pays fédéral où la condition et les droits effectifs des personnes handicapées dépendent avant tout de la province où elles vivent et où les réductions budgétaires drastiques imposées dans les années 90 ont souvent fragilisé les programmes sanitaires et sociaux.

Les membres de la délégation ont cependant été frappés de constater la place qu'occupaient les personnes handicapées dans les préoccupations quotidiennes des responsables et des citoyens canadiens. Le milieu urbain a ainsi par exemple été systématiquement adapté, chaque lieu public mais également la plupart des commerces accomplissant de réels efforts en matière d'accessibilité.

Ces éléments ont donné aux membres de la délégation le sentiment d'une insertion plutôt exemplaire des personnes handicapées dans la société canadienne.

LES PRESTATIONS EN ESPÈCES SERVIES

AUX ADULTES HANDICAPÉS

En France, les handicapés âgés de moins de soixante ans peuvent bénéficier de l'allocation aux adultes handicapés et de plusieurs allocations compensatrices. Ces prestations ne sont pas imposables et sont attribuées sous conditions de ressources .

L'allocation aux adultes handicapés (AAH) est versée aux personnes ayant un taux d'incapacité au moins égal à 80 %. Elle est également versée aux personnes ayant un taux d'incapacité compris entre 50 et 80 % lorsque la COTOREP (Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel) reconnaît que le handicap empêche l'intéressé de travailler. L'AAH est une allocation différentielle destinée à compléter d'autres revenus et à garantir un revenu minimal actuellement fixé à 569,38 €.

Les allocations compensatrices sont au nombre de quatre :

- le complément d'allocation autonomie est réservé aux personnes qui perçoivent l'AAH à taux plein et qui vivent dans un logement indépendant ;

- l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) est destinée aux handicapés dont le taux d'incapacité est d'au moins 80 % et qui ont besoin de l'aide d'un tiers pour les actes essentiels de la vie courante ;

- l'allocation compensatrice pour frais professionnels (ACFP) couvre les frais supplémentaires (transports, aménagement de locaux...) entraînés par l'activité professionnelle ;

- la garantie de ressources des travailleurs handicapés (GRTH) assure une rémunération minimale aux handicapés qui travaillent, qu'ils soient employés ou non en milieu protégé.

Par ailleurs, les personnes handicapées ayant un taux d'incapacité d'au moins 80 % bénéficient d'une demi-part supplémentaire pour le calcul de l'impôt sur le revenu, sans que cet avantage fiscal puisse être cumulé avec la demi-part accordée aux personnes veuves, divorcées ou séparées. Lorsque les deux conjoints sont handicapés, ils peuvent cumuler les deux demi-parts attribuées à chacun au titre du handicap.

Les propositions de réévaluation de l'AAH et de refonte des allocations compensatrices, évoquées dans le cadre d'une réforme de la loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, fournissent l'occasion d'examiner les principales prestations en espèces versées aux adultes handicapés dans plusieurs pays européens, l'Allemagne, le Danemark, l'Espagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, ainsi que dans la province canadienne du Québec.

Outre les prestations en espèces stricto sensu , la présente étude analyse également les aides accordées aux handicapés au titre de l'impôt sur le revenu. En effet, lorsqu'elles prennent la forme d'un crédit d'impôt remboursable, comme au Royaume-Uni et au Québec, ces aides peuvent être assimilées à une prestation en espèces. En revanche, le régime particulier du handicap consécutif à un accident du travail n'a pas été examiné.

L'examen des dispositions étrangères fait apparaître que :

- tous les pays étudiés attribuent des prestations en espèces spécifiques aux personnes handicapées qui ne travaillent pas, mais l'Allemagne leur assure la même garantie de revenu minimal qu'aux autres résidents ;

- les handicapés qui travaillent et qui perçoivent à ce titre des revenus peu importants bénéficient d'un complément de ressources dans tous les pays étudiés, sauf au Québec.

1) Tous les pays étudiés attribuent des prestations en espèces spécifiques aux personnes handicapées qui ne travaillent pas, tandis que l'Allemagne leur assure la même garantie de revenu minimal qu'aux autres résidents

a) Au Danemark, en Espagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et au Québec, les personnes handicapées qui ne travaillent pas reçoivent une aide financière spécifique

Au Danemark, en Espagne, aux Pays-Bas et, au Royaume-Uni, le fait d'être handicapé justifie l'attribution d'une aide financière spécifique. Cette aide est accordée à partir d'un certain niveau de handicap, en général mesuré par le taux d'incapacité. Elle se compose d'une allocation principale, destinée à assurer un revenu minimal et, le cas échéant, d'allocations compensatrices (pour tierce personne, pour frais de transport...).

De même, si la loi québécoise sur le soutien du revenu accorde peu ou prou la même prestation en espèces à toutes les personnes privées de ressources, qu'elles soient ou non handicapées, le supplément pour « contrainte sévère à l'emploi » est réservé aux handicapés que leur état empêche de travailler.

b) L'Allemagne assure aux personnes handicapées qui ne travaillent pas la même garantie de revenu minimal qu'aux autres résidents

En Allemagne, la politique sociale privilégie l'insertion et la reconversion professionnelles des handicapés. Les prestations en espèces ne leur sont en principe versées que pendant les phases de transition, c'est-à-dire pendant les périodes de soins ou de formation, ou pour compléter les revenus du travail. En cas de nécessité, les personnes handicapées peuvent bénéficier de l'aide sociale.

2) Les handicapés qui travaillent et qui perçoivent des revenus peu importants bénéficient d'un complément de ressources dans tous les pays étudiés, sauf au Québec

a) L'Allemagne, le Danemark, l'Espagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni accordent aux handicapés qui travaillent un complément de ressources qui prend des formes très diverses

Cette aide est constituée par une prestation directe en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas. En Allemagne et aux Pays-Bas, il s'agit d'une allocation différentielle, tandis qu'au Danemark, le montant de la prestation est fixe.

En Espagne et au Royaume-Uni, c'est par la voie fiscale que les revenus des handicapés qui travaillent sont majorés. Au Royaume-Uni, cette aide prend la forme d'un crédit d'impôt dégressif. Comme l'impôt sur le revenu est prélevé à la source, ce crédit d'impôt, versé par l'employeur ou par l'administration fiscale selon que le bénéficiaire est salarié ou non, équivaut à une prestation directe. En Espagne les handicapés qui travaillent ont droit à la même déduction fiscale que les autres salariés, mais cette déduction est majorée, le taux de majoration variant en fonction de la gravité du handicap.

b) Au Québec, l'aide spécifique accordée aux handicapés qui travaillent est réservée à ceux qui emploient une personne leur permettant d'avoir une activité professionnelle

Les handicapés les plus gravement atteints peuvent déduire de leurs revenus les frais engagés pour rémunérer les services d'une personne qui leur permet d'occuper un emploi ou d'exploiter une entreprise.

LES PRESTATIONS EN ESPÈCES SERVIES

AUX ADULTES HANDICAPÉS

ALLEMAGNE

Depuis le 1 er juillet 2001, la quasi-totalité des dispositions applicables aux handicapés fait l'objet du livre IX du code social . Intitulé Réadaptation et intégration des personnes handicapées , il prévoit le versement de prestations en nature et en espèces au profit des personnes dont les « fonctions corporelles, les capacités intellectuelles ou la santé mentale s'écartent - selon toute vraisemblance pour une période de plus de six mois - de ce qui correspond à la norme pour des personnes du même âge, et dont la participation à la vie sociale est ainsi compromise ».

Le titre IX du code social classe les différentes prestations aux handicapés en fonction de leur objectif :

- réadaptation médicale ;

- participation à la vie professionnelle ;

- sécurité matérielle ;

- intégration sociale.

Le type d'organisme prestataire (caisses d'assurance maladie, caisses d'assurance vieillesse, Office fédéral du travail, bureaux d'aide sociale...) dépend non seulement de la nature de la prestation, mais aussi de la situation des intéressés (salariés, retraités, personnes sans ressources...).

Le livre IX du code social privilégie la reconversion et l'insertion professionnelles des handicapés , de sorte que les prestations en espèces sont en principe versées pendant les périodes où l'intéressé ne perçoit pas de revenus du travail (périodes de soins et de reconversion professionnelle). Les handicapés perçoivent également des prestations en espèces lorsque les revenus de leur travail sont jugés insuffisants. C'est seulement en cas d'incapacité permanente que la personne dispose d'une rente.

Les handicapés peuvent aussi bénéficier, au titre du livre XI du code social, des prestations en espèces de l'assurance dépendance lorsque leur état exige l'aide d'une tierce personne.

A. LES ALLOCATIONS DE TRANSITION

Pendant les périodes de réadaptation médicale, les personnes handicapées ou menacées par un handicap ont droit à des indemnités (d'assurance maladie, d'assurance accidents...) destinées à compenser la perte de revenus causée par la maladie ou par l'accident à l'origine du handicap. Ensuite, dans la mesure où le traitement ne permet pas aux intéressés de recouvrer les facultés nécessaires à l'exercice de leur ancienne profession et où une phase de reconversion professionnelle est nécessaire, ils perçoivent des allocations de transition.

1. LES CONDITIONS

Le bénéfice des allocations de transition est en principe réservé aux personnes qui ont cotisé au moins pendant un an au cours des trois dernières années, à celles qui ont obtenu une qualification professionnelle au cours de l'année précédant le stage de reconversion ou qui percevaient des allocations de chômage.

2. LA PRESTATION

Les allocations de transition dépendent de la situation familiale des bénéficiaires : elles sont comprises entre 68 % et 75 % d'une valeur de référence égale à 80 % du revenu brut, mais qui ne peut excéder le revenu net. Le revenu brut susceptible d'être pris en compte est lui-même plafonné, les plafonds variant selon les organismes prestataires (en 2002, 3 375 € par mois pour les caisses d'assurance maladie et 4 500 € par mois pour les caisses d'assurance vieillesse et chômage des anciens Länder ).

En même temps que l'allocation elle-même, la personne handicapée perçoit, le cas échéant, des compléments destinés à compenser les frais d'hébergement ou de transport si elle effectue son stage loin de son domicile habituel.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

Les allocations de transition sont versées pendant toute la période de reconversion, en principe limitée à deux ans. Si, à l'issue de cette période, le bénéficiaire est sans emploi, elles lui sont accordées pendant trois mois supplémentaires, mais elles sont alors comprises entre 60 % et 67 % de la valeur de référence.

B. LES ALLOCATIONS DE FORMATION

Elles sont réservées aux personnes qui ne peuvent pas bénéficier des allocations de transition, notamment parce qu'elles n'ont jamais travaillé.

Leur montant, qui dépend de l'âge, de la situation familiale et du type de logement du bénéficiaire, est compris entre 93 et 353 € par mois. Lorsque la personne handicapée suit une formation en vue de son emploi ultérieur dans un atelier protégé, l'allocation s'élève à 57 € par mois pendant la première année et à 67 € par mois pendant la seconde.

C. LES COMPLÉMENTS DE RESSOURCES

Les handicapés qui travaillent dans un atelier protégé et dont les revenus du travail sont inférieurs à 323 € par mois perçoivent une prestation complémentaire différentielle, de façon à porter leurs ressources mensuelles à 323 €.

D. LA PENSION POUR INCAPACITÉ DE TRAVAIL

La loi du 20 décembre 2000, qui a modifié les dispositions du code social relatives aux pensions pour incapacité professionnelle et aux pensions pour incapacité générale, est entrée en vigueur le 1 er janvier 2001.

Elle prévoit le versement d'une pension pour incapacité aux salariés et aux travailleurs indépendants qu'un handicap empêche de poursuivre normalement leur activité professionnelle.

Même si les anciennes dispositions continuent à s'appliquer aux personnes nées avant le 1 er janvier 1961 (c'est-à-dire âgées de plus de quarante ans lorsque la loi est entrée en vigueur), ce sont les nouvelles dispositions qui sont analysées ci-dessous.

Les mesures de réadaptation et de réinsertion professionnelle sont privilégiées , de sorte que la pension n'est versée que lorsque l'incapacité de travail est définitivement établie. Si l'incapacité résulte d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, la pension d'invalidité relève d'un autre régime, qui n'est pas étudié ici.

1. LES CONDITIONS

Durée de cotisation : comme les pensions d'invalidité sont gérées par les mêmes organismes que les pensions de retraite, le versement d'une pension pour incapacité de travail est subordonné au rattachement à une caisse d'assurance vieillesse et à une durée minimale de cotisation (trois ans au cours des cinq années précédant l'incapacité et cinq ans en tout).

Incapacité de travail : le handicap doit être tel que la personne n'est pas en mesure de travailler au moins six heures par jour dans des conditions de travail normales. Aucune amélioration ne doit être envisageable dans un délai prévisible. L'incapacité n'est pas mesurée par rapport à l'ancienne activité, mais par rapport à l'aptitude théorique à travailler.

La détention d'une carte de handicapé ne donne pas automatiquement droit à une pension pour incapacité de travail.

2. LA PRESTATION

Le montant de la pension dépend du degré d'incapacité de travail. Deux niveaux sont prévus :

- pension à taux plein pour les personnes dont le handicap est tel qu'elles ne peuvent pas travailler trois heures par jour ;

- demi-pension pour les personnes susceptibles de travailler entre trois et six heures par jour.

Le montant de la pension à taux plein est le même que celui de la pension de retraite correspondant au nombre d'annuités acquises au moment de la survenance de l'incapacité.

La pension pour incapacité peut être réduite lorsque le bénéficiaire dispose d'autres ressources (qu'il s'agisse de revenus du travail ou de prestations en espèces) et qu'elles dépassent un certain plafond, lequel dépend des revenus des trois dernières années. La pension à taux plein peut être réduite d'un quart, de la moitié ou des trois quarts. La demi-pension peut être diminuée de moitié, voire supprimée. En règle générale, si les ressources mensuelles ne dépassent pas 315 €, le bénéficiaire perçoit la totalité de la pension pour incapacité, qu'il s'agisse d'une pension à taux plein ou d'une demi-pension.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

La pension pour incapacité de travail est attribuée pour au plus trois ans , mais elle peut être reconduite si l'état de santé de l'intéressé le justifie. Au bout de trois reconductions, elle est, en principe, accordée pour une durée illimitée.

La pension pour incapacité de travail cesse d'être versée le jour où le bénéficiaire fête son soixante-cinquième anniversaire. Il perçoit ensuite une pension de retraite.

E. L'ASSURANCE DÉPENDANCE

Les handicapés peuvent bénéficier des prestations de l'assurance dépendance, car la dépendance n'est pas liée à l'âge .

1. LES CONDITIONS

Dépendance avérée : la loi considère comme dépendante toute personne que la maladie ou le handicap, qu'il soit d'ordre physique, mental ou psychique, empêche, pendant au moins six mois, d'exécuter les actes habituels de la vie quotidienne. Elle précise que les actes de la vie quotidienne se rapportent aux soins corporels, à l'alimentation, à la tenue du foyer, aux mouvements à l'intérieur du logement, ainsi qu'aux allers et venues entre le logement et l'extérieur.

2. LA PRESTATION

Le niveau de prestation dépend du degré de dépendance, la loi distinguant trois catégories de personnes dépendantes :

- la première catégorie (personnes dépendantes de façon importante : erheblich Pflegebedürftige ) comprend les personnes qui ont besoin de l'aide d'une tierce personne au moins une fois par jour, pour au moins deux actes de la vie quotidienne liés aux soins corporels, à l'alimentation et aux déplacements, ainsi que plusieurs fois par semaine pour l'entretien de leur foyer, l'aide fournie ayant une durée moyenne d'au moins une heure et demie par jour ;

- la deuxième catégorie (personnes gravement dépendantes : Schwerpflegebedürftige ) regroupe les personnes qui ont besoin de l'aide d'une tierce personne au moins trois fois par jour, à différentes reprises, pour les soins corporels, l'alimentation et les déplacements, ainsi que plusieurs fois par semaine pour l'entretien de leur foyer, l'aide fournie ayant une durée moyenne d'au moins trois heures par jour ;

- la troisième catégorie (personnes les plus gravement dépendantes : Schwerstpflegebedürftige ) comprend les personnes qui ont besoin jour et nuit de l'aide d'une tierce personne pour les soins corporels, l'alimentation et les déplacements, ainsi que plusieurs fois par semaine pour l'entretien de leur foyer, l'aide fournie ayant une durée moyenne d'au moins cinq heures par jour.

Selon qu'elles se font aider par un professionnel employé par la caisse d'assurance dépendance (ou employé par un foyer pour personnes dépendantes qui a signé un accord avec la caisse) ou par une personne de leur choix qui leur prodigue les soins à domicile, les personnes dépendantes ont droit à une prestation en nature, non traitée dans le cadre de cette étude, ou à une prestation en espèces.

Le montant mensuel de la prestation en espèces varie en fonction du degré de dépendance :

Premier stade de la dépendance

205 €

Deuxième stade de la dépendance

410 €

Troisième stade de la dépendance

665 €

F. LES DÉDUCTIONS FISCALES

Tout contribuable qui supporte des frais exceptionnels et qui ne bénéficie pas d'une déduction fiscale au titre des dépenses spéciales ( 108 ( * ) ) peut déduire comme « charges extraordinaires » les dépenses qui excèdent les charges habituelles supportées par les contribuables qui se trouvent dans une situation identique, dans la mesure où elles présentent un caractère obligatoire et où elles ne dépassent pas un montant raisonnable.

Les handicapés peuvent bénéficier de cette disposition. Ils peuvent déduire les frais réels ou opter pour la déduction forfaitaire qui leur est spécifique.

1. LES CONDITIONS

Taux minimal d'incapacité : 25 %.

2. LA PRESTATION

La déduction fiscale forfaitaire dépend du taux d'incapacité.

Taux d'incapacité

Déduction fiscale forfaitaire

25 % ou 30 %

310 €

35 % ou 40 %

430 €

45 % ou 50 %

570 €

55 % ou 60 %

720 €

65 % ou 70 %

890 €

75 % ou 80 %

1 060 €

85 % ou 90 %

1 230 €

95 % ou 100 %

1 420 €

Cependant, la déduction peut atteindre 3 700 € pour les handicapés les plus gravement atteints, qui ont besoin d'une aide pour accomplir certains actes habituels et répétitifs de la vie quotidienne.

G. L'AIDE SOCIALE

Les personnes handicapées et sans ressources peuvent, après évaluation de leur situation personnelle recevoir l'aide sociale.

LES PRESTATIONS EN ESPÈCES SERVIES

AUX ADULTES HANDICAPÉS

DANEMARK

Le 3 avril 2001, le Folketing a adopté la loi portant réforme des pensions.

Cette réforme, qui entrera en vigueur le 1 er janvier 2003, modifie notamment la principale prestation en espèces versée aux handicapés, la pension pour incapacité de travail . Alors que le régime en vigueur distingue, en fonction du handicap, quatre niveaux de pension, la réforme n'en prévoit qu'un.

Le bénéfice de la pension pour incapacité de travail ouvre actuellement droit à la perception de plusieurs allocations destinées à couvrir des frais liés à la situation personnelle de la personne handicapée (assistance d'une tierce personne par exemple).

Dans le nouveau système, ces différentes allocations disparaîtront et seront remplacées par une prestation unique destinée à compenser le surcroît de dépenses entraîné par le handicap.

A. LA PENSION POUR INCAPACITÉ DE TRAVAIL

La pension pour incapacité de travail est considérée comme une pension de retraite anticipée . Elle est régie par le même texte que la pension de retraite minimale, qui est servie par l'État à tous les résidents à partir de l'âge de soixante-cinq ans, dans la mesure où ils n'ont plus de revenus professionnels. Cette pension de retraite minimale, dont le versement est indépendant de l'exercice antérieur d'une activité professionnelle se compose de deux éléments : l'allocation de base et le complément de retraite.

La pension pour incapacité de travail servie aux handicapés est également constituée de plusieurs éléments. Quel que soit le degré d'incapacité, elle comporte au moins les deux allocations qui forment la pension de retraite minimale.

La loi prévoit quatre niveaux de pension pour incapacité de travail, en fonction du degré d'incapacité et, le cas échéant, de l'âge.

Il y a environ 275 000 bénéficiaires d'une pension pour incapacité de travail, ce qui correspond à 7,5 % des personnes en âge de travailler (entre dix-huit et soixante-cinq ans). Les bénéficiaires d'une telle pension ne sont pas nécessairement handicapés, car cette pension peut être accordée pour des motifs purement sociaux.

1. LES CONDITIONS

Âge minimal : dix-huit ans.

Âge maximal : soixante ou soixante-cinq ans, selon le niveau de la pension.

Incapacité de travail : la capacité de la personne d'exercer son activité professionnelle doit être durablement réduite par suite d'un handicap physique ou mental, tous les traitements et toutes les mesures de réadaptation susceptibles d'améliorer la capacité de travail ayant été tentés. Le degré d'incapacité est établi par comparaison avec les gains d'une personne en bonne santé et ayant la même formation et la même expérience. Il détermine le niveau de la prestation.

Conditions de ressources : seulement pour certains des éléments constituant la pension.

2. LA PRESTATION

Il existe quatre niveaux de pension pour incapacité de travail :

- la pension maximale (A) ;

- la pension intermédiaire (B) ;

- la pension augmentée (C) ;

- la pension normale (D), dont le montant est le même que celui de la pension de retraite minimale.

Les pensions pour incapacité de travail servies aux handicapés varient en fonction du degré d'incapacité et de l'âge des bénéficiaires de la façon suivante :

Âge

Capacité de travail

Entre dix-huit et soixante ans

Entre soixante et soixante-cinq ans

insignifiante

A

B

réduite des deux tiers

B

D

réduite de moitié

C

D

La pension pour incapacité de travail consiste en l'addition de plusieurs éléments. Pour un célibataire, leur montant mensuel, en couronnes, s'établit actuellement ainsi ( 109 ( * ) ) :

A

B

C

D

Allocation de base

4 377 (a)

4 377 (a)

4 377 (a)

4 377 (a)

Complément de retraite

4 406 (b)

4 406 (b)

4 406 (b)

4 406 (b)

Forfait d'invalidité (e)

2 129 (c)

2 129 (c)

Forfait d'incapacité de travail

2 939 (d)

Allocation d'anticipation (e)

1 113

Total

13 851

10 912

9 896

8 783

(a) Ce montant est réduit lorsque l'intéressé dispose par ailleurs de revenus annuels supérieurs à 223 200 couronnes s'il est célibataire, et à 151 400 couronnes s'il est marié ou s'il vit en concubinage.

(b) Ce montant est réduit lorsque l'intéressé dispose par ailleurs de revenus annuels supérieurs à 49 200 couronnes. S'il est marié ou s'il vit en concubinage, le bénéficiaire du complément de retraite ne perçoit que 1 938 couronnes par mois. Dans ce cas, ce montant est réduit lorsque l'ensemble des revenus du foyer autres que la pension dépasse 98 800 couronnes par an.

(c) 1 814 couronnes pour une personne mariée ou vivant en concubinage.

(d) 2 126 couronnes pour une personne mariée ou vivant en concubinage.

(e) Non imposable, à la différence des autres éléments de la pension.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

La pension pour incapacité de travail cesse d'être versée lorsque le bénéficiaire atteint l'âge lui permettant de percevoir la pension de retraite minimale.

Cet âge ayant été abaissé récemment de soixante-sept à soixante-cinq ans, les personnes qui ont eu soixante ans avant le 1 er janvier 1999 ne percevront la pension de retraite qu'à l'âge de soixante-sept ans. En revanche, les autres percevront la pension de retraite à soixante-cinq ans.

B. L'ALLOCATION D'INVALIDITÉ

Elle est destinée aux personnes qui ne perçoivent pas de pension pour incapacité de travail, mais qui auraient droit à la pension intermédiaire ou à la pension maximale si elles n'avaient pas de travail rémunéré. Elle correspond au surcoût de dépenses auxquelles fait face la personne handicapée qui travaille.

Son montant mensuel est de 2 142 couronnes. Il est réduit à 1 740 couronnes si le conjoint du bénéficiaire perçoit soit cette allocation soit le complément d'invalidité de la pension pour incapacité de travail.

Cette allocation n'est pas imposable.

C. LES PRESTATIONS LIÉES À LA PERCEPTION D'UNE PENSION
POUR INCAPACITÉ DE TRAVAIL OU D'UNE ALLOCATION D'INVALIDITÉ

Les titulaires d'une pension pour incapacité de travail ou d'une allocation d'invalidité peuvent obtenir ( 110 ( * ) ) :

- le complément pour assistance d'une tierce personne, s'ils ont besoin d'une aide pour l'exécution de certains actes de la vie quotidienne (repas, toilette...), dont le montant mensuel s'élève actuellement à 2 224 couronnes ;

- le complément pour assistance permanente d'une tierce personne pour les handicapés les plus lourdement atteints ; son montant mensuel s'élève actuellement à 4 439 couronnes ;

- l'allocation pour dépenses de combustible dans la limite de 2 000 litres de fuel par an, lorsque la personne est obligée de chauffer son logement à l'aide de bidons de 10 litres.

Ces allocations ne sont pas imposables et leur attribution ne dépend pas des ressources de l'intéressé.

En revanche, les deux autres allocations auxquelles peuvent prétendre les bénéficiaires d'une pension pour incapacité (ou de la pension de retraite minimale) sont attribuées sous conditions de patrimoine ou de ressources :

- l'allocation destinée à couvrir les dépenses de santé qui restent à la charge des assurés sociaux ;

- l'allocation personnelle, destinée à couvrir les dépenses de chauffage, plafonnée à 3 400 couronnes par an pour une seule personne.

La loi sur les pensions autorise les communes à octroyer des allocations supplémentaires aux titulaires d'une pension pour incapacité de travail dont la situation financière est particulièrement précaire. Ces allocations, régies par la loi sur les pensions et dont l'attribution est liée à la perception d'une pension, sont distinctes des prestations de l'aide sociale, également attribuées par les communes.

D. LE FUTUR RÉGIME DE LA PENSION POUR INCAPACITÉ DE TRAVAIL

Il entrera en vigueur le 1 er janvier 2003 et concernera les personnes dont la capacité de travail est durablement réduite.

L'incapacité n'est plus appréciée par rapport à l'ancienne activité professionnelle, mais par rapport à la possibilité qu'a la personne de subvenir à ses besoins avec les revenus de son travail.

Il n'y a plus qu'un niveau de pension pour incapacité de travail. Son montant annuel, 152 880 couronnes ( 111 ( * ) ) pour un célibataire, est réduit de 15 % si le bénéficiaire est marié ou s'il vit en concubinage. Il peut également être réduit en fonction des autres ressources du foyer. Cette pension est imposable en totalité.

À condition qu'elles dépassent 6 000 couronnes par an, les dépenses liées au handicap sont compensées par les communes dans le cadre de l'aide sociale. Le montant de base de cette allocation compensatrice, 1 500 couronnes par mois, peut être porté à 2 000 couronnes lorsque les dépenses annuelles liées au handicap dépassent 21 000 couronnes. Il peut ensuite être augmenté de 500 couronnes par mois chaque fois que les dépenses annuelles liées au handicap augmentent de 6 000 couronnes par an.

LES PRESTATIONS EN ESPÈCES SERVIES

AUX ADULTES HANDICAPÉS

ESPAGNE

La loi 13/1982 du 7 avril 1982, relative à l'intégration sociale des handicapés , traite de la prise en charge des soins et de la réadaptation professionnelle des handicapés, de leur insertion scolaire et professionnelle, ainsi que de l'accessibilité des locaux et des moyens de transport.

Elle prévoit également l'attribution de trois prestations au bénéfice des handicapés : l'allocation de garantie de revenu minimum, l'allocation pour aide d'une tierce personne, et l'allocation de mobilité et de compensation des frais de transport. Le régime de ces prestations a été précisé par un décret de 1984.

Les bénéficiaires de la loi de 1982 sont les personnes dont les possibilités d'intégration éducative, professionnelle ou sociale sont diminuées à cause d'une déficience physique, psychique ou sensorielle que l'on peut considérer comme permanente, qu'elle soit ou non d'origine congénitale.

La loi 26/1990 du 20 décembre 1990 a remplacé les deux premières prestations prévues par la loi de 1982 par une pension non contributive d'invalidité , destinée aux personnes handicapées qui n'ont pas cotisé - ou pas assez longtemps - pour bénéficier d'une pension d'invalidité de la sécurité sociale. Toutefois, les personnes qui bénéficiaient antérieurement des allocations de revenu minimum et pour aide d'une tierce personne ont pu soit les conserver, soit opter pour le nouveau système.

En complément de ces prestations, des aides peuvent être accordées par la sécurité sociale, par des services ministériels (travail, éducation ...), voire par les communautés autonomes ou par les collectivités locales en cas de transfert de compétences. Elles peuvent notamment être attribuées pour l'acquisition de prothèses ou de fauteuils roulants, pour l'obtention du permis de conduire, pour l'achat et l'adaptation d'un véhicule, et pour l'aménagement d'un appartement. Le décret 620/1981 du 5 février 1981 a unifié le régime de ces aides publiques et défini leurs conditions d'octroi (degré d'incapacité, conditions de ressources).

Pour le calcul de l'impôt sur le revenu , les handicapés ont droit aux mêmes déductions fiscales que les autres contribuables, mais ces déductions sont majorées.

A. LA PENSION NON CONTRIBUTIVE D'INVALIDITÉ

1. LES CONDITIONS

Âge : entre dix-huit et soixante-cinq ans.

Taux minimal d'incapacité : 65 %.

Ce taux est déterminé par l'IMSERSO, l'organisme qui gère les prestations complémentaires destinées aux personnes âgées, aux handicapés et aux étrangers (ou par les organes correspondants des communautés autonomes lorsque cette compétence a été transférée) en fonction du barème du décret 1971/1999 du 23 décembre 1999, qui associe à chaque handicap un degré d'incapacité.

Ressources : pour 2002, inférieures à 3 621,52 € par an pour une personne seule.

Lorsque la personne handicapée ne vit pas seule, le plafond de ressources est relevé. Il varie en fonction du degré de parenté avec le cohabitant.

2. LA PRESTATION

Pour l'année 2002, le montant annuel de la pension non contributive d'invalidité s'élève à 3 621,52 € pour une personne seule. Il peut être réduit si le foyer dispose d'autres revenus, mais sans pouvoir être inférieur à 905,38 €. À l'inverse, il peut être augmenté si l'intéressé a des besoins particuliers. Ainsi, les personnes atteintes d'un handicap ou d'une maladie chronique à un taux d'au moins 75 % et qui ont besoin de l'assistance d'une tierce personne pour l'accomplissement des actes essentiels de la vie peuvent obtenir une majoration de pension de 50 %.

La pension est payée en quatorze fois (douze mensualités et deux versements exceptionnels) et n'est pas imposable.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

La pension étant versée sous conditions de ressources, un réexamen annuel des ressources du foyer ayant lieu chaque année. De plus, les modifications de la composition du foyer doivent être communiquées dans le délai d'un mois.

Le bénéficiaire subit un premier contrôle de son degré d'incapacité dans les deux ans qui suivent la reconnaissance de son handicap. Les contrôles suivants ont lieu tous les ans.

Le taux de prise en charge de l'incapacité étant révisable en fonction de l'état de la personne handicapée, le montant de l'allocation peut éventuellement être suspendu en cas d'amélioration de son état, ou augmenté si le recours à l'aide d'une tierce personne devient nécessaire.

À partir de soixante-cinq ans, les handicapés qui n'ont jamais cotisé à la sécurité sociale ou qui n'ont pas cotisé assez longtemps pour avoir droit à une pension de retraite contributive peuvent bénéficier d'une pension de retraite non contributive.

B. L'ALLOCATION DE MOBILITÉ ET DE COMPENSATION
DES FRAIS DE TRANSPORT

Cette allocation est destinée à couvrir les frais de transport des personnes qui, en raison de leur handicap, peuvent difficilement utiliser les transports en commun.

1. LES CONDITIONS

Âge : à partir de trois ans.

Taux minimal d'incapacité : 33 %.

Ressources : inférieures à 70 % du salaire minimum annuel (pour l'année 2002, 6 190,80 € par an). Ce plafond est majoré de 10 % par personne à charge, sans pouvoir dépasser le salaire minimum.

2. LA PRESTATION

Son montant annuel s'élève à 482,52 €. Elle est payée en douze mensualités.

Elle n'est pas imposable.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

Le paiement de cette allocation est maintenu aussi longtemps que le bénéficiaire remplit les conditions requises.

C. L'ALLOCATION DE GARANTIE DE REVENU MINIMUM

Cette allocation a pour but de permettre aux personnes handicapées de subvenir à leurs besoins principaux (nourriture, vêtements, logement). Remplacée par la pension non contributive d'invalidité depuis l'entrée en vigueur de la loi 26/1990, l'allocation de garantie de revenu minimum n'est versée qu'aux personnes qui en bénéficiaient avant l'entrée en vigueur de cette loi.

1. LES CONDITIONS

Âge : à partir de dix-huit ans.

Taux minimal d'incapacité : 65 %.

Pour percevoir cette allocation, la personne handicapée doit être dans l'impossibilité d'obtenir un emploi en raison de son degré d'incapacité, y compris dans un établissement spécialisé.

Ressources : inférieures à 70 % du salaire minimum annuel, lequel s'élève à 6 190,80 € pour l'année 2002. Ce plafond est majoré de 10 % par personne à charge, sans pouvoir dépasser le salaire minimum.

2. LA PRESTATION

Son montant annuel s'élève à 2 098,07 € par an. Elle est payée en quatorze fois (douze mensualités et deux versements exceptionnels).

Elle n'est pas imposable.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

Le paiement de cette allocation est maintenu aussi longtemps que le bénéficiaire remplit les conditions requises.

D. L'ALLOCATION POUR TIERCE PERSONNE

Elle est destinée aux personnes qui, en raison de leur handicap, ont besoin de l'assistance d'une tierce personne pour l'accomplissement des actes essentiels de la vie. Remplacée par la pension non contributive d'invalidité depuis l'entrée en vigueur de la loi 26/1990, l'allocation pour tierce personne n'est versée qu'aux personnes qui en bénéficiaient avant l'entrée en vigueur de cette loi.

1. LES CONDITIONS

Âge : à partir de dix-huit ans.

Taux minimal d'incapacité : 75 %.

Ressources : inférieures à 70 % du salaire annuel minimum, lequel s'élève à 6 190,80 € pour l'année 2002. Ce plafond est majoré de 10 % par personne à charge, sans pouvoir dépasser le salaire minimum.

2. LA PRESTATION

Son montant annuel s'élève à 818,28 €. Elle est payée en quatorze fois (douze mensualités et deux versements exceptionnels).

Elle n'est pas imposable.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

Le paiement de cette allocation est maintenu aussi longtemps que le bénéficiaire remplit les conditions requises.

E. LES DÉDUCTIONS FISCALES

Pour le calcul de l'impôt sur le revenu, les handicapés ont droit aux mêmes déductions fiscales que les autres contribuables, mais ces déductions sont majorées lorsque le contribuable a un taux d'incapacité d'au moins 33 %.

• Les contribuables qui ont une activité rémunérée peuvent déduire de leurs revenus nets une somme calculée en fonction de ces revenus. Le montant de la déduction s'établit comme suit :

Revenus nets annuels

Déduction fiscale

Jusqu'à 8 113,66 €

3 005,6 €

Entre 8 113,67 et 12 020,24 €

3 005,06 € - (revenu net - 8 113,67 €) X 0,1923

Au-dessus de 12 020,24 €

2 253,80 €

Pour les handicapés, la majoration de la déduction est de :

- 75 % lorsque le taux d'incapacité est compris entre 33 et 65 % ;

- 125 % lorsque le taux d'incapacité compris entre 33 et 65 % et que les intéressés peuvent justifier d'une mobilité réduite ;

- 175 % lorsque le taux d'incapacité est supérieur ou égal à 65 %.

• Après application de cette déduction, les contribuables peuvent réduire leur revenu imposable en procédant à une seconde déduction . Celle-ci tient compte de la situation personnelle et familiale et vise à garantir au foyer un revenu minimal. L'application de la seconde déduction ne peut pas faire apparaître un revenu imposable négatif.

Pour une personne seule, cette seconde déduction, qui constitue le minimum vital, est de 3 305,57 €. Elle est majorée pour les handicapés , puisqu'elle s'élève à :

- 5 108,60 € pour les personnes seules dont le taux d'incapacité est compris entre 33 et 65 % ;

- 6 911,64 € pour les personnes seules dont le taux d'incapacité est supérieur ou égal à 65 %.

LES PRESTATIONS EN ESPÈCES SERVIES

AUX ADULTES HANDICAPÉS

PAYS-BAS

Les règles relatives à la protection sociale ne sont pas codifiées. Chaque « risque », voire chaque prestation, fait l'objet d'une loi spécifique , souvent désignée par son abréviation. Pour les handicapés, les principales lois sont :

- WAO ( Wet op de Arbeidsongeschiktheidsverzekering ), la loi sur l'assurance incapacité de travail, qui assure un revenu de remplacement aux salariés qui deviennent handicapés ;

- WAZ ( Wet arbeidsongeschiktheid zelfstandigen ), la loi sur l'incapacité de travail des indépendants, qui prévoit un dispositif équivalent pour les non-salariés ;

- WAJONG ( Wet arbeidsongeschiktheidsvoorziening jonggehandicapten ), la loi sur l'incapacité de travail des jeunes handicapés, qui garantit une allocation financière notamment aux handicapés de naissance ;

- WVG ( Wet voorzieningen gehandicapten ), la loi sur l'aide aux handicapés, qui oblige les communes à prendre en charge les frais d'adaptation des logements et les besoins relatifs aux transports ;

- REA ( Wet op de reïntegratie arbeidsgehandicapten ), la loi sur la réintégration professionnelle des handicapés, qui s'applique à tous les bénéficiaires potentiels des lois WAO, WAZ et WAJONG.

Les lois WAZ et WAJONG, entrées en vigueur le 1 er janvier 1998, se sont substituées à la loi AAW, qui couvrait tous les handicapés à l'exception des salariés.

A. WAO

Cette loi s'applique aux salariés qu'une incapacité de travail , quelle qu'en soit l'origine (maladie, handicap, accident du travail), empêche de poursuivre normalement leur activité professionnelle. La loi WAO concerne également les fonctionnaires.

D'après l'institut national des statistiques, 781 400 personnes ( 112 ( * ) ) percevaient la prestation WAO en octobre 2001.

1. LES CONDITIONS

Âge : au plus soixante-cinq ans.

Délai de carence : un an, pendant lequel l'intéressé perçoit les prestations de l'assurance maladie.

Taux minimal d'incapacité : 15 %.

L'incapacité n'est pas déterminée par rapport à l'ancienne activité de l'intéressé, mais par rapport à son aptitude théorique à travailler, compte tenu du handicap. En revanche, la détermination du taux d'incapacité tient compte du salaire antérieur. En effet, la loi WAO considère comme incapables de travailler ceux qui ne peuvent pas gagner ce qu'une personne en bonne santé et ayant une formation et une expérience semblables à la leur gagne à l'endroit où ils travaillent ou travaillaient (ou dans les environs).

2. LA PRESTATION

Dans un premier temps, le bénéficiaire de la prestation WAO perçoit, dans la mesure où il est âgé d'au moins trente-trois ans , une pension pour perte de salaire . Elle est égale au salaire moyen perçu au cours de l'année qui précède l'incapacité de travailler, dans la limite d'un plafond journalier de 159,99 € . Elle est indépendante de la gravité du handicap.

La pension pour perte de salaire est versée pendant une période dont la durée varie avec l'âge auquel le handicap survient.

Âge auquel le handicap survient

Durée de versement de la pension pour perte de salaire

entre trente-trois et trente-sept ans

six mois

entre trente-huit et quarante-deux ans

un an

entre quarante-trois et quarante-sept ans

un an et demi

entre quarante-huit et cinquante-deux ans

deux ans

entre cinquante-trois et cinquante-sept ans

trois ans

cinquante-huit ans

six ans

après cinquante-neuf ans

jusqu'au soixante-cinquième anniversaire

Ensuite, le bénéficiaire de la prestation WAO perçoit une allocation, dont le montant varie en fonction du taux d'incapacité ( 113 ( * ) ) et qui est exprimée en pourcentage d'une allocation de base.

Taux d'incapacité

Allocation WAO (en pourcentage de l'allocation de base)

entre 15 et 25 %

14 % de 100/108 ( 114 ( * ) )

entre 25 % et 35 %

21 % de 100/108

entre 35 % et 45 %

28 % de 100/108

entre 45 % et 55 %

35 % de 100/108

entre 55 % et 65 %

42 % de 100/108

entre 65 % et 80 %

50,75 % de 100/108

à partir de 80 %

70 % de 100/108

Le montant horaire de l'allocation de base est égal à la somme du salaire horaire minimum et d'un supplément, qui tient compte à la fois de l'âge auquel la personne commence à bénéficier de la prestation WAO et de son salaire précédent.

Ce supplément s'exprime ainsi :

2 % (plafond horaire de la pension pour perte de salaire - salaire horaire minimum) X (âge de l'intéressé - 15)

Le salaire minimum horaire étant actuellement de 55,68 €, si l'intéressé est frappé par le handicap à l'âge de trente-huit ans, l'allocation de base est de :

55,68 € + [2 % (159,99 € - 55,68 €) X (38 - 15)] = 103,52 €

Le montant horaire de l'allocation effectivement perçue, exprimé par rapport à l'allocation de base, varie entre 70 % de 100/108 (c'est-à-dire 64,81 %) et 14 % de 100/108 (c'est-à-dire 12,96 %). Dans l'exemple précédent, le montant horaire de l'allocation est donc compris, en fonction du degré d'incapacité, entre 67,10 € et 13,42 €.

Lorsqu'il a moins de trente-trois ans, le bénéficiaire de la prestation WAO ne perçoit pas la prestation pour perte de salaire. Il perçoit directement l'allocation définie ci-dessus.

La prestation WAO est imposable.

Le bénéficiaire de la prestation WAO peut demander un complément si l'ensemble des revenus du foyer est inférieur à l'équivalent néerlandais du RMI.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

La prestation est accordée pour cinq ans . La situation du bénéficiaire est réexaminée au moment du renouvellement.

À partir de l'âge de soixante-cinq ans, les intéressés relèvent de l'assurance vieillesse : les personnes qui ont résidé sans interruption dans le pays depuis l'âge de quinze ans ont droit à la pension de retraite du régime général à taux plein. Cette pension, qui est exprimée par rapport au salaire minimum, varie en fonction de la situation de famille. Elle s'élève à 70 % du salaire minimum pour un célibataire.

B. WAZ

La prestation WAZ couvre les travailleurs indépendants atteints d'une incapacité de travail et leurs conjoints, dans la mesure où ils travaillent avec eux, ainsi que les actionnaires majoritaires ( 115 ( * ) ) qui dirigent leur société.

D'après l'institut national des statistiques, 55 900 personnes percevaient cette prestation en octobre 2001.

1. LES CONDITIONS

Âge : au plus soixante-cinq ans.

Délai de carence : un an.

Taux minimal d'incapacité : 25 %.

L'incapacité est définie de la même façon que pour la prestation WAO.

2. LA PRESTATION

Son montant varie en fonction du degré d'incapacité de travail et du manque à gagner quotidien. Le calcul du manque à gagner est effectué sur la moyenne du dernier exercice et des cinq derniers exercices. Le résultat le plus avantageux est retenu.

Taux d'incapacité

Prestation (en pourcentage du manque à gagner)

entre 25 et 35 %

21 %

entre 35 % et 45 %

28 %

entre 45 % et 55 %

35 %

entre 55 % et 65 %

42 %

entre 65 % et 80 %

50,75 %

à partir de 80 %

70 %

Le manque à gagner quotidien est plafonné au niveau du salaire minimum mensuel (1 206,60 €) divisé par 21,75, c'est-à-dire 55,48 €.

Si le bénéficiaire de la prestation WAZ a moins de vingt-trois ans, le salaire minimum est pris en compte est le salaire minimum spécifique aux jeunes, qui varie en fonction de l'âge du bénéficiaire.

Âge du jeune

Salaire minimum des jeunes

En pourcentage du salaire minimum

Montant mensuel

vingt-deux ans

85 %

1 025,61 €

vingt et un ans

72,5 %

874,78 €

vingt ans

61,5 %

742,06 €

dix-neuf ans

52,5 %

633,46 €

dix-huit ans

45,5 %

549,00 €

Ainsi, le manque à gagner quotidien susceptible d'être pris en compte varie en fonction de l'âge du bénéficiaire de la façon suivante :

Âge du bénéficiaire

Montant retenu

à partir de vingt-trois ans

55,48 €

vingt-deux ans

47,15 €

vingt et un ans

40,22 €

vingt ans

34,12 €

dix-neuf ans

29,13 €

dix-huit ans

25,24 €

Les bénéficiaires de la prestation WAZ ont également droit à une indemnité de congés payés égale à 8 % du montant annuel brut des sommes perçues.

La prestation WAZ est imposable.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

La prestation est accordée pour cinq ans . La situation du bénéficiaire est réexaminée au moment du renouvellement.

À partir de l'âge de soixante-cinq ans, les intéressés relèvent de l'assurance vieillesse : les personnes qui ont résidé sans interruption dans le pays depuis l'âge de quinze ans ont droit à la pension de retraite du régime général à taux plein. Cette pension, qui est exprimée par rapport au salaire minimum, varie en fonction de la situation de famille. Elle s'élève à 70 % du salaire minimum pour un célibataire.

C. WAJONG

Cette prestation est versée à deux catégories de handicapés:

- ceux qu'un handicap précoce empêche de travailler ;

- ceux qui ont moins de trente ans et qui sont frappés par un handicap alors qu'ils ont été étudiants pendant au moins six mois.

En cas de concurrence entre la prestation WAJONG et l'une des deux prestations WAO ou WAZ, c'est la seconde qui l'emporte.

D'après l'institut national des statistiques, 129 300 personnes percevaient la prestation WAJONG en octobre 2001.

1. LES CONDITIONS

Âge : au moins dix-sept ans.

Délai de carence : un an, de sorte que la prestation ne peut pas être perçue avant l'âge de dix-huit ans.

Taux minimal d'incapacité : 25 %.

L'incapacité est définie de la même façon que pour la prestation WAO.

2. LA PRESTATION

Elle dépend du degré d'incapacité de travail. La prestation WAJONG est, en fonction de l'âge du bénéficiaire, exprimée en pourcentage du salaire minimum ou du salaire minimum spécifique aux jeunes ( 116 ( * ) ) .

Taux d'incapacité

Prestation WAJONG (en pourcentage du salaire minimum)

entre 25 et 35 %

21 %

entre 35 % et 45 %

28 %

entre 45 % et 55 %

35 %

entre 55 % et 65 %

42 %

entre 65 % et 80 %

50,75 %

à partir de 80 %

70 %

La prestation WAJONG journalière se calcule sur la base du salaire minimum (ou du salaire minimum spécifique aux jeunes) mensuel divisé par 21,75.

Les bénéficiaires de la prestation WAJONG ont également droit à une indemnité de congés payés égale à 8 % du montant annuel brut des sommes perçues.

La prestation WAJONG est imposable.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

Jusqu'à l'âge de trente ans pour les étudiants, jusque soixante-cinq ans sinon, dans la mesure où l'incapacité persiste. Comme la prestation n'est accordée que pour cinq ans, le bénéficiaire doit renouveler sa demande tous les cinq ans.

À partir de l'âge de soixante-cinq ans, les intéressés relèvent de l'assurance vieillesse : les personnes qui ont résidé sans interruption dans le pays depuis l'âge de quinze ans ont droit à la pension de retraite du régime général à taux plein. Cette pension, qui est exprimée par rapport au salaire minimum, varie en fonction de la situation de famille. Elle s'élève à 70 % du salaire minimum pour un célibataire.

D. WVG

Cette loi oblige les communes à fournir aux handicapés des prestations, en espèces ou en nature, leur permettant de participer pleinement à la vie en société.

Aux termes de la loi, les communes sont responsables de l'attribution des prestations relatives au logement et aux transports , dans la mesure où elles ne concernent ni le travail, ni l'enseignement. Dans cette hypothèse, elles ne relèvent en effet pas de la prestation WVG.

1. LES CONDITIONS

La prestation WVG bénéficie aux personnes qui, par suite de maladie ou d'infirmité, sont gênées pour se loger ou pour se déplacer. L'octroi de la prestation est subordonné au caractère définitif du handicap. La prestation est versée indépendamment de l'âge.

2. LA PRESTATION

La loi WVG établit un cadre général, chaque commune devant prendre un arrêté municipal qui détermine les bénéficiaires, la nature et la procédure d'obtention de la prestation, ainsi que la participation financière de la commune.

La prestation de la commune peut concerner :

- le logement ;

- les transports.

Le logement

Les communes doivent fournir aux handicapés les sommes nécessaires aux travaux d'aménagement de leur logement. L'allocation est limitée à 45 378 € et, lorsqu'elle dépasse 20 420 €, la commune ne peut pas l'octroyer sans avoir obtenu l'accord de l'instance régionale compétente pour définir les bénéficiaires des aides à domicile.

Le transport

Les communes doivent également faciliter le transport des handicapés, par exemple en leur fournissant un véhicule adapté, en leur versant une allocation leur permettant de recourir aux services d'une société de transport spécialisée ou d'adapter leur véhicule, ou en mettant en place des moyens de transport collectifs ad hoc .

Les communes ont également l'obligation de fournir aux handicapés des fauteuils roulants adaptés ; les équipements spéciaux, comme ceux destinés aux enfants ou aux sportifs, entrent dans le cadre de la loi WVG.

E. REA

La loi REA régit la réintégration professionnelle des personnes handicapées et concerne surtout les employeurs, auxquels elle impose un quota de personnel handicapés.

Elle prévoit aussi des prestations financières versées aux handicapés, qu'ils soient salariés ou travailleurs indépendants.

1. LES CONDITIONS

Les dispositions de la loi REA s'appliquent aux bénéficiaires potentiels des lois WAO, WAZ et WAJONG.

2. LA PRESTATION

Les salariés

La loi REA permet aux salariés handicapés d'obtenir un complément de revenu lorsque leur salaire est inférieur à celui qu'ils percevaient avant d'être handicapés.

Ce complément est plafonné à 20 % de leur « capacité de gains théorique », laquelle est déterminée en même temps que l'incapacité de travail.

Les travailleurs indépendants

La loi REA leur permet d'obtenir un complément de revenu, qui est calculé comme pour les salariés.

Elle leur permet aussi d'obtenir un prêt sur dix ans, plafonné à 27 220 € pour créer leur propre entreprise.

LES PRESTATIONS EN ESPÈCES SERVIES

AUX ADULTES HANDICAPÉS

ROYAUME-UNI

La loi de 1992 sur la sécurité sociale prévoit le paiement de plusieurs prestations au profit des personnes handicapées ( 117 ( * ) ) :

- l' allocation pour handicap ;

- l' allocation pour tierce personne ;

- l' allocation pour handicap lourd ;

- la pension d'invalidité .

La deuxième a été supprimée en avril 2001, mais les anciens bénéficiaires peuvent continuer à la percevoir. Les trois premières sont des prestations non contributives et la dernière, bien que contributive, peut être versée aux personnes n'ayant jamais pu cotiser au système d'assurance nationale pour cause de maladie ou de handicap.

Par ailleurs, la même loi garantit un revenu minimum à toute personne ne disposant pas de ressources suffisantes.

La loi de 1999 sur les crédits d'impôt comporte une mesure particulière pour les personnes handicapées qui travaillent et qui perçoivent des revenus peu importants.

Les administrations locales peuvent également mettre en place des services sociaux apportant une aide complémentaire aux personnes handicapées (aménagement des logements, transports...).

A. L'ALLOCATION POUR HANDICAP

Elle est versée aux personnes handicapées âgées de moins de soixante-cinq ans qui ont besoin d'une aide dans leur vie de tous les jours . Elle se compose de deux éléments qui peuvent être attribués séparément. Ils sont destinés à compenser les besoins des intéressés en matière de soins et de mobilité .

1. LES CONDITIONS

Âge : cette allocation, qui peut être attribuée dès l'âge de trois ans, peut être versée jusqu'à ce que le bénéficiaire ait soixante-cinq ans .

Délai : la personne handicapée doit avoir eu besoin de l'aide d'une tierce personne pendant trois mois.

Handicap : l'état du demandeur doit laisser prévoir qu'il devra être aidé pendant encore au moins six mois. Le handicap est évalué en fonction de deux critères :

- les difficultés rencontrées pour l'accomplissement des actes de la vie courante ;

- les difficultés de mobilité.

2. LA PRESTATION

Le montant de la prestation dépend du degré de handicap. Trois niveaux sont distingués pour le premier élément de la prestation et deux pour le second. Les versements sont hebdomadaires. Ils s'élèvent à :

Degré de handicap

Montant de l'élément « soins »

Montant de l'élément « mobilité »

Minimum

14,90 £ ( 118 ( * ) )

14,90 £

Moyen

37,65 £

-

Maximum

56,25 £

39,30 £

La prestation n'est pas imposable.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

Elle dépend de l'aide requise. La prestation peut continuer à être payée même lorsque le bénéficiaire a atteint l'âge de soixante-cinq ans.

B. L'ALLOCATION POUR TIERCE PERSONNE

Elle est versée aux personnes âgées qui ont besoin de l'aide d'une tierce personne pour les gestes de la vie quotidienne.

1. LES CONDITIONS

Âge : à partir de soixante-cinq ans.

Cependant, elle peut être accordée aux personnes plus jeunes si, avant l'âge de soixante-cinq ans, elles ont obtenu l'allocation pour handicap pour un problème de mobilité.

Délai : la personne handicapée doit avoir eu besoin d'une aide pendant les six derniers mois.

2. LA PRESTATION

Les versements sont hebdomadaires. Le montant dépend des besoins de la personne handicapée, en particulier du fait qu'elle a besoin d'une aide le jour ou la nuit, ou à la fois le jour et la nuit.

L'allocation attribuée aux personnes qui ont besoin d'aide jour et nuit s'élève à 56,25 £. Dans les autres cas, elle est de 37,65 £.

La prestation n'est pas imposable.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

Elle est payée soit pendant une période déterminée, soit à vie.

C. L'ALLOCATION POUR HANDICAP LOURD

Elle est versée aux personnes souffrant d'un handicap physique ou mental qui les empêche de travailler, à condition qu'ils n'aient pas droit à une pension d'invalidité.

L'allocation pour handicap lourd a été supprimée à compter du 6 avril 2001. Toutefois, les personnes qui l'avaient obtenue avant cette date peuvent continuer à la percevoir.

1. LES CONDITIONS

Âge : entre seize et soixante-cinq ans pour faire la demande. La cause du handicap doit être antérieure au 20 ème anniversaire.

Incapacité : le demandeur doit avoir été en arrêt de travail pendant vingt-huit semaines ou n'avoir jamais été en mesure de travailler. Lorsqu'il a plus de vingt ans, il doit, en outre, justifier d'un taux d'incapacité d'au moins 80 %. Les personnes bénéficiaires de l'élément « soins » de l'allocation pour handicapés aux taux moyen ou maximal sont automatiquement qualifiées pour percevoir cette prestation.

2. LA PRESTATION

Les versements sont hebdomadaires. La prestation de base s'élève à 42,85 £.

Des majorations comprises entre 4,75 £ et 14,90 £ par semaine peuvent être accordées en fonction des charges de famille et de l'âge auquel le handicap survient.

La prestation n'est pas imposable.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

La prestation est payée à vie.

D. LA PENSION D'INVALIDITÉ

Cette prestation, bien que contributive, est également accordée aux personnes qui, compte tenu de leur état de santé, n'ont jamais travaillé ou n'ont pas cotisé suffisamment au système d'assurance nationale.

1. LES CONDITIONS

Âge : à partir de seize ans.

Handicap : être incapable de travailler

2. LA PRESTATION

Les versements sont hebdomadaires.

Le montant de la pension s'élève à :

- 53,50 £ au cours des vingt-huit premières semaines ;

- 63,25 £ entre la vingt-neuvième et la cinquante-deuxième semaine ;

- 70,95 £ au-delà de la cinquante-deuxième semaine.

Les bénéficiaires de l'élément « soins » de l'allocation pour handicap au taux maximal perçoivent la pension d'invalidité au taux le plus élevé dès la vingt-huitième semaine. Des majorations pour charges de famille et pour compenser le fait que le handicap est survenu avant l'âge de quarante-cinq ans peuvent être accordées aux bénéficiaires de la pension au taux maximal.

À partir de la vingt-neuvième semaine, la prestation est imposable.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

La pension d'invalidité peut être payée seulement pendant une année après que le bénéficiaire a atteint l'âge de la retraite. Ensuite, les intéressés peuvent percevoir le minimum vieillesse, allocation différentielle destinée à garantir aux personnes âgées un revenu minimum, qui s'élève actuellement à 98,15 £ par semaine pour une personne seule et à 149,80 £ pour un couple.

E. LA GARANTIE DE REVENU MINIMUM

Les personnes handicapés peuvent prétendre, au même titre que les autres, au versement de la garantie de revenu minimum.

1. LES CONDITIONS

Âge : plus de seize ans.

Ressources : l'ensemble des ressources du demandeur et de son conjoint (ou concubin) ne doit pas dépasser un plafond déterminé dans un barème établi par le Parlement. Ce barème tient compte de la situation du demandeur et des personnes à sa charge.

À l'exception de la résidence principale, le patrimoine du demandeur et celui de son conjoint (ou concubin) sont également pris en compte. Ils ne doivent pas dépasser :

- 8 000 £ si les bénéficiaires ont moins de soixante ans ;

- 12 000 £ s'ils ont plus de soixante ans.

2. LA PRESTATION

La prestation se compose d'un montant de base, qui varie en fonction de l'âge du bénéficiaire et de sa situation de famille, de suppléments pour enfants à charge et de diverses primes. Ainsi, la prestation est majorée lorsqu'un des adultes composant la famille est handicapé, cette majoration étant d'autant plus importante que le handicap est lourd.

Les versements sont hebdomadaires. Leur montant est déterminé au moment de la demande, en fonction des ressources du foyer. Toute modification de la composition et des ressources de la famille entraîne un réajustement immédiat de la prestation.

La prestation n'est pas imposable.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

Cette prestation est payée jusqu'à l'âge de la retraite. Ensuite, les intéressé perçoivent l'allocation différentielle destinée à garantir un revenu minimum, actuellement fixé à 98,15 £ par semaine pour une personne seule et à 149,80 £ pour un couple.

F. LE CRÉDIT D'IMPÔT DES PERSONNES HANDICAPÉES

Il est réservé aux personnes handicapées qui travaillent mais ne disposent que de faibles revenus. Ce crédit d'impôt est assimilable à une allocation.

1. LES CONDITIONS

Âge : entre seize et soixante-cinq ans.

Durée hebdomadaire de travail : au moins seize heures.

Être bénéficiaire de l'une des quatre prestations spécifiques aux handicapés (allocation pour handicap, allocation pour handicap lourd, allocation pour tierce personne et indemnité d'invalidité).

Ressources : aucun plafond de revenus n'est fixé, mais le montant du crédit d'impôt, qui résulte de l'addition d'un montant de base et de plusieurs suppléments, est réduit lorsque les revenus dépassent un plafond, fixé, pour 2002-2003, à 73,50 £ pour une personne seule et à 94,50 £ pour un couple ou pour une famille monoparentale.

En outre, la valeur du patrimoine du demandeur ne doit pas dépasser 16 000 £.

2. LA PRESTATION

Pour 2002-2003, le montant de base hebdomadaire s'élève à 62,10 £ pour une personne célibataire et à 92,80 £ pour un couple ou pour une famille monoparentale.

Le crédit d'impôt peut être majoré en fonction des charges de famille et les personnes travaillant plus de 30 heures par semaine bénéficient d'un supplément de 11,65 £.

Inversement, le crédit d'impôt est réduit de 55 % de la part des revenus qui excède le plafond mentionné ci-dessus. Ainsi, une personne seule qui n'a droit à aucun supplément bénéficie d'un crédit d'impôt de 62,10 £ si ses revenus n'excèdent pas 75,25 £, mais elle n'a droit à aucun crédit d'impôt si ses revenus excèdent 188,16 £.

Lorsque la personne handicapée est salariée, le crédit d'impôt est ajouté à son salaire et versé en même temps que sa paye. Lorsque la personne handicapée travaille à son compte, ce sont les services fiscaux qui lui versent directement cette allocation.

G. LES DÉDUCTIONS FISCALES

Tout contribuable bénéficie de déductions personnelles, qui permettent de réduire le revenu imposable. Des majorations de déductions sont accordées pour tenir compte de l'âge ou de la situation familiale. Le seul handicap pour lequel une majoration est accordée est la cécité .

Pour les revenus 2002-2003, la majoration s'élève à 1 450 £.

LES PRESTATIONS EN ESPÈCES SERVIES

AUX ADULTES HANDICAPÉS

QUÉBEC

Comme toutes les personnes privées de ressources, les handicapés bénéficient du programme assistance-emploi, créé par la loi sur le soutien du revenu et favorisant l'emploi et la solidarité sociale, adoptée le 19 juin 1998 et entrée partiellement en vigueur le 1 er octobre 1999.

En effet, ce programme, qui vise « à accorder une aide financière de dernier recours aux personnes capables de travailler, à les inciter à entreprendre ou à poursuivre des démarches d'intégration ou de réintégration en emploi et à les soutenir pendant ces démarches », vise également à « à accorder une aide financière de dernier recours aux personnes qui présentent certaines contraintes à l'emploi ».

L'aide financière du programme assistance-emploi comprend non seulement la prestation de base, dont le montant varie en fonction de la composition de la famille, mais aussi, le cas échéant, des allocations supplémentaires et des prestations spéciales , qui couvrent des besoins particuliers.

L'aide financière du programme assistance-emploi peut être complétée par celles que la loi sur l'exercice des droits des personnes handicapées institue : l'un des règlements pris pour l'application de cette loi prévoit la prise en charge par l'Office des personnes handicapées des dépenses engagées pour l'emploi et l'insertion sociale des handicapés (adaptation de véhicules et de postes de travail, formation professionnelle...).

Par ailleurs, la législation fiscale fait bénéficier les personnes handicapées d'un crédit d'impôt spécifique.

A. LA PRESTATION DE BASE ASSISTANCE-EMPLOI

La prestation de base assistance-emploi est accordée aux adultes qui ne sont pas en mesure d'assumer les besoins jugés essentiels (logement et nourriture), ainsi que ceux de leur famille. Pour en bénéficier, le demandeur doit avoir épuisé tous les recours possibles et toutes ses sources de revenus.

1. LES CONDITIONS

Âge : entre dix-huit ans et soixante-cinq ans. Les personnes de moins de dix-huit ans peuvent en bénéficier à condition d'avoir un enfant à charge.

Ressources : la prestation de base assistance-emploi est accordée sous conditions de ressources et de patrimoine.

Toutes les ressources du demandeur sont prises en compte. Ainsi, les revenus du travail et ceux qui leur sont assimilés (allocation de formation professionnelle par exemple) doivent être inférieurs à un plafond, compris entre 100 et 300 dollars ( 119 ( * ) ) , selon que l'intéressé vit seul ou en couple.

A l'exception des meubles et d'un montant forfaitaire pour la résidence principale et l'automobile, la totalité du patrimoine est également prise en compte, qu'il s'agisse des avoirs financiers disponibles à court terme ou des autres éléments, mobiliers ou immobiliers.

2. LA PRESTATION

Elle est payée mensuellement. Elle est imposable.

Au 1 er avril 2002, elle s'élevait à 515 dollars pour un adulte seul et à 797 dollars pour une famille composée de deux adultes. Elle peut être ajustée, notamment en fonction du nombre d'enfants à charge et du montant du patrimoine et des ressources.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

La prestation de base assistance-emploi est versée aussi longtemps que la situation économique du bénéficiaire le justifie. Les intéressés doivent donc signaler à l'administration tous les changements survenus dans leur propre situation ou dans celle de leur famille. En tout état de cause, ils doivent envoyer une fois par an une déclaration complète.

À partir de l'âge de soixante-cinq ans, ils relèvent de l'assurance-vieillesse.

B. LES ALLOCATIONS SUPPLÉMENTAIRES

Les personnes handicapées peuvent principalement percevoir l'allocation « pour contraintes sévères à l'emploi ».

1. LES CONDITIONS

L'allocation « pour contraintes sévères à l'emploi » constituant un complément de la prestation de base assistance-emploi, pour en bénéficier, il faut remplir les mêmes conditions que pour l'octroi de la prestation de base.

En outre, le demandeur doit établir « par la production d'un rapport médical, que son état physique ou mental est, de façon significative, déficient ou altéré pour une durée vraisemblablement permanente ou indéfinie et que, pour cette raison et compte tenu de ses caractéristiques socioprofessionnelles, il présente des contraintes sévères à l'emploi ».

2. LA PRESTATION

Elle est payée mensuellement, avec la prestation de base. Elle est imposable.

Au 1 er avril 2002, elle s'élevait à 239 dollars pour une personne seule.

3. LA DURÉE DE VERSEMENT

Le versement de cette prestation est lié au handicap du bénéficiaire. Celui-ci doit signaler spontanément tout changement de son état de santé et remplir une déclaration annuelle.

C. LES PRESTATIONS SPÉCIALES

Elles répondent à des besoins spécifiques. Leur octroi requiert une autorisation préalable de l'administration compétente.

Il peut s'agir de prestations versées en une seule fois, par exemple pour faire l'acquisition de prothèses ou d'équipements spéciaux ou pour compenser des frais engagés à l'occasion d'un événement exceptionnel, comme un déménagement. Il peut également s'agir de prestations continues, comme celle qui est accordée en cas d'hémodialyse (100 dollars par mois).

D. LES CRÉDITS D'IMPÔT

Comme tous les contribuables, les handicapés ont droit au crédit d'impôt pour frais médicaux.

Les frais médicaux engagés par les contribuables et qui n'ont pas été remboursés - ou qui ne peuvent pas l'être - donnent droit à un crédit d'impôt remboursable ou non selon le régime d'imposition (120 ( * )) du contribuable.

Dans le régime d'imposition général, les contribuables dont les revenus annuels du travail sont d'au moins 2 500 dollars bénéficient d'un crédit d'impôt remboursable. Il s'élève à 25 % de la partie des frais médicaux excédant 3 % du revenu familial. Il est plafonné à 500 dollars.

Dans le régime d'imposition simplifié, le crédit d'impôt pour frais médicaux est non remboursable et s'élève à 20,75 % des frais médicaux excédant 3 % du revenu familial.

Les handicapés relèvent du système général. Cependant, il convient de remarquer que la liste des dépenses ouvrant droit à un crédit d'impôt pour frais médicaux a été élargie en 1997 pour accorder une aide supplémentaire aux handicapés . Ainsi, les frais de transformation d'un logement pour faciliter l'accès, les déplacements et les gestes de la vie quotidienne en font partie.

• En outre, les handicapés peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt spécifique, réservé aux personnes atteintes d'une « déficience mentale ou physique grave et prolongée ». En 2001, il s'élevait à 456 dollars.

Une déficience est considérée comme grave lorsqu'elle a pour effet de limiter les activités de la vie courante (voir, parler, entendre, marcher, se nourrir, s'habiller...). Elle est jugée prolongée lorsque l'incapacité qui en résulte risque de durer au moins douze mois consécutifs.

E. LES DÉDUCTIONS FISCALES

Les handicapés atteints d'une « déficience mentale ou physique grave et prolongée » (notion définie à la page précédente) peuvent déduire de leurs revenus ou de ceux de leur conjoint les frais engagés pour rémunérer les services d'une personne qui leur permet d'occuper un emploi, d'exploiter une entreprise ou de fréquenter un établissement d'enseignement.

COMPENSATION DU HANDICAP :

LE TEMPS DE LA SOLIDARITÉ

La jurisprudence Perruche a été l'occasion d'un débat de fond sur la question du handicap.

Faut-il que la recherche d'une faute qui n'est pas à l'origine directe du handicap soit la seule voie ouverte aux parents pour garantir une vie décente à leur enfant ? La réponse du législateur a été négative.

Mais, face à la détresse des parents auxquels on ferme une voie de recours, cette réponse ne tient pas si le Parlement n'entreprend pas parallèlement de donner un contenu effectif à la solidarité nationale.

Telle a été la position de la commission des Affaires sociales depuis l'origine. A l'issue d'un long travail d'audition et de réflexion, elle avance aujourd'hui 75 propositions et orientations pour une politique ambitieuse de compensation du handicap.

* 1 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

* 2 Voir glossaire in fine du présent rapport.

* 3 Articles 27 à 29, troisième phrase du quatrième alinéa du I de l'article 39 et dernier alinéa de l'article 58.

* 4 Equivalant en quelque sorte dans le domaine législatif aux annexes budgétaires « jaunes » des lois de finances.

* 5 M. Bruno Rémond, « L'accès à la formation professionnelle des travailleurs handicapés » (La Documentation française, novembre 1990).

* 6 Rapport n° C069 de M. Yves Carcénac : « L'activité et le fonctionnement des COTOREP, vingt mesures pour améliorer l'efficacité globale du dispositif » (Inspection générale des Affaires sociales, juin 1993).

* 7 Rapport n° 2542 de M. Pierre Forgues sur le fonctionnement des COTOREP du 12 juillet 2000.

* 8 « Les politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes » (Cour des comptes, novembre 1993).

* 9 Voir également, sur ce point, les III - B et IV A ci-après.

* 10 Le budget des COTOREP et des CDES ne peut être qu'évalué, dans la mesure où ces commissions ne disposent pas de budgets propres et fonctionnent sur le budget général des DDASS et des DDTEFP.

* 11 Auteur du rapport « Situation de handicap et cadre de vie », présenté en septembre 2000 au Conseil économique et social.

* 12 Groupement des Ateliers protégés - Union nationale des entreprises de travail adapté.

* 13 Il souhaite également (cf. C ci-après) une meilleure représentation des conseils généraux.

* 14 Circulaire n° 2002-114 du 27 février 2002 relative à la coordination des services pour les personnes handicapées et à l'organisation des COTOREP (publiée sous la classification AS3.33).

* 15 Rapport de M. Yves Carcenac, précité.

* 16 Voir glossaire in fine du présent rapport.

* 17 On notera, à ce sujet, que les missions des « Independant living centers», conçues par des étudiants handicapés de l'université de Berkeley dans la fièvre contestatrice des années 1960-70, et consacrées depuis par la loi fédérale, sont beaucoup plus diversifiées et ambitieuses que celles des « sites pour la vie autonome » français dans leur configuration actuelle.

* 18 Rapport n° 347 de M. Michel Mercier - Mission commune d'information du Sénat chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer des améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales (juin 2000).

* 19 Voir plus loin IV - B - 1.

* 20 Mission commune d'information du Sénat chargée de dresser le bilan de la décentralisation (rapport n° 447, précité).

* 21 Rapport au Président de la République sur les politiques en faveur des personnes handicapées adultes, novembre 1993.

* 22 Sur une base non contributive.

* 23 Voir à ce propos l'audition de M. Daniel Lenoir en annexe.

* 24 Qui peuvent se définir comme « les dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en oeuvre entraîne pour l'Etat une perte de recettes et donc pour le contribuable un allégement de leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l'application de la mesure, c'est-à-dire des principes généraux du droit fiscal français ». Voir également encadré du II - A ci-après.

* 25 En 2001, selon les premières prévisions, ce rapport serait ramené à 6,1 %.

* 26 Voir, à ce sujet, Solidarité-santé, n° 4, octobre-décembre 1997, (documentation française).

* 27 Et se fondent en conséquence sur un principe contributif.

* 28 Cela équivaut à près de 6 milliards d'euros.

* 29 transféré dans le code de la sécurité sociale et le code de l'action sociale et des familles.

* 30 Mission d'étude en vue de la révision de la loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées - rapport d'étape du groupe de travail : « accessibilité, accompagnement, conditions de vie autonome, regard » (avril 2002).

* 31 Prévus dans le cadre du développement expérimental des sites pour vie autonome, ces fonds départementaux ont pour vocation d'associer l'Etat et d'autres financeurs pour compléter la prise en charge des aides techniques onéreuses.

* 32 Décrets n° 2002-421 et n° 2002-422 du 29 mars 2002 relatifs à la création de six catégories de compléments d'allocation d'éducation spéciale et arrêté du 29 mars 2002 fixant le montant des dépenses ouvrant droit aux différentes catégories de complément d'AES.

* 33 « Situation de handicap et cadre de vie » par M. Vincent Assante : avis adopté par le Conseil économique et social le 15 septembre 2001.

* 34 Mission d'étude en vue de la révision de la loi du 30 juin 1975 : rapport d'étape du groupe de travail « accessibilité, accompagnement, conditions de vie autonome, regard » (avril 2002).

* 35 Ibidem.

* 36 Un premier pas en ce sens a, d'ailleurs, été franchi par le décret n° 2002-410 du 26 mars 2002 qui a créé le nouveau diplôme « d'auxiliaire de vie sociale ». Cette dénomination regroupe désormais les aides identifiées sous les vocables « aides à domicile », « aides ménagères », « auxiliaires de vie » et « auxiliaires familiales » et le diplôme correspondant est défini comme « une attestation de compétences pour effectuer un accompagnement social et un soutien auprès des publics fragiles dans leur vie quotidienne ».

* 37 A ce sujet, chacun a encore en mémoire l'exemple récent de ce couple de personnes handicapées qui, suite à l'indisponibilité de l'infirmière dont l'aide leur permettait de vivre chez eux, se sont vu proposer deux placements (séparés) en hôpital psychiatrique comme seule solution de rechange.

* 38 Mission d'étude en vue de la révision de la réforme de la loi du 30 juin 1975. Rapport d'étape du groupe de travail « accessibilité, accompagnement, conditions de vie autonome, regard » (avril 2002).

* 39 Aujourd'hui codifié à l'article L. 111-7 du code de la construction et de l'habitation.

* 40 Déjà, un décret du 1 er février 1978 fixait les mesures destinées à rendre accessibles aux personnes à mobilité réduite les installations neuves ouvertes au public.

* 41 « Situations de handicap et cadre de vie », 2000.

* 42 « Personnes handicapées : analyse comparative et perspective du système de prise en charge », 2001.

* 43 L'obligation ne porte que sur les conditions d'accès aux bâtiments, et non sur les bâtiments eux-mêmes.

* 44 Comme l'observait M. Vincent Assante dans son rapport précité.

* 45 Ainsi, le comité de liaison pour l'accessibilité des transports et du cadre bâti (COLIAC), créé en 2000, qui a vocation à donner des avis et à formuler les recommandations sur l'adaptation de la réglementation et dont on attend toujours la concrétisation...

* 46 On songe par exemple au « code de bonnes pratiques », élaboré en 2001, par les compagnies de transport aérien.

* 47 La réglementation prévoit curieusement que le non-respect de la loi en matière d'accessibilité prive les opérateurs de toute aide de l'Etat en matière d'habitat et en matière de transports collectifs...

* 48 Il conviendrait ainsi, comme l'a recommandé le COLIAC, de ramener l'obligation d'installer un ascenseur aux immeubles de 4 niveaux (et non plus 5), et, pour les autres, de prévoir la réserve pour une installation ultérieure éventuelle d'un ascenseur.

* 49 Loi n° 2001-1247 du 21 décembre 2001 visant à accorder une priorité dans l'attribution des logements sociaux aux personnes en situation de handicap ou aux familles ayant à leur charge une personne en situation de handicap.

* 50 Les pertes de recettes pour les collectivités locales liées à cette déductibilité sont compensées à due concurrence par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement.

* 51 Ces dispositions se contentaient certes de renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de définir les mesures d'une mise en accessibilité progressive des transports.

* 52 On pourrait aussi confier, le cas échéant, au fonds d'accessibilisation de la cité précédemment évoqué la charge de participer au financement de ce surcoût, soit parallèlement à l'Etat, soit en lieu et place de l'Etat.

* 53 Aujourd'hui codifié à l'article L. 112-1 du code de l'éducation.

* 54 Comme l'observait M. René Bernard, président de l'ANCE, devant votre commission.

* 55 Rapport du médiateur de l'Education nationale, mai 2002.

* 56 Votre rapporteur se permet sur ce point de renvoyer au I - A ci-dessus.

* 57 Comme le soulignait le rapport IGEN/IGAS de mars 1999 sur l'accès à l'enseignement des enfants et adolescents handicapés.

* 58 Votre rapporteur souligne ici les difficultés d'appréciation statistique de la mise en oeuvre de l'obligation éducative, compte tenu du caractère approximatif de certaines évaluations et de la discontinuité des séries statistiques. Il invite donc le lecteur à la plus grande prudence, même si les ordres de grandeur lui apparaissent significatifs.

* 59 Voir également sur ce point le II - B ci-dessus.

* 60 Comme le relevait la mission d'étude en vue de la révision de la loi d'orientation du 30 juin 1975.

* 61 Sans pour autant s'être prononcé aussi catégoriquement dans son rapport précité.

* 62 Rapport de M. Jean Gravier, n° 211, Sénat, Première session ordinaire de 1974-1975.

* 63 Rapport précité de M. Jean Gravier.

* 64 Rapport au Président de la République sur les politiques sociales en faveur des personnes handicapées adultes, novembre 1993.

* 65 Votre rapporteur observe qu'en 1986 le taux d'orientation vers la formation était deux fois plus élevé.

* 66 Votre rapporteur renvoie notamment aux critiques formulées par le rapport d'information de M. Charles Metzinger de 1989 (AN, n° 739, neuvième législature), au rapport précité de la Cour des comptes de 1993 et aux conclusions de la récente mission d'étude en vue de la révision de la loi d'orientation (avril 2002).

* 67 Une étude de l'AGEFIPH sur le devenir des salariés handicapés recrutés en 1998 montre en effet que, trois ans après, 73 % d'entre eux occupent toujours un emploi et 23 % recherchent un emploi.

* 68 Une convention du 10 août 2001 fait du réseau Cap Emploi un prestataire de l'ANPE pour la mise en oeuvre du programme d'action personnalisée pour un nouveau départ (PAP/ND).

* 69 La loi de finances pour 2002 a ainsi supprimé le régime spécifique d'exonération de cotisations sociales pour le CIE, qui constitue pourtant le seul contrat aidé pour l'insertion des personnes handicapées dans le secteur marchand.

* 70 Le montant de la prime a été ramené de 15.000 à 10.000 francs.

* 71 Selon l'expression employée par Mme Catherine Martin, directrice de l'Emploi au MEDEF, lors de son audition.

* 72 Depuis que l'article 132 de la loi du 17 janvier 2002 a rendu plus contraignantes les dispositions de ce programme.

* 73 A l'image des autres obligations de négocier que prévoit déjà le code du travail (art. L. 132-12 et L. 132.27) sur d'autres sujets : salaires, durée et organisation du travail, épargne salariale et égalité professionnelle dans l'entreprise, salaires, classification, formation professionnelle et égalité professionnelle dans les branches.

* 74 Derniers chiffres connus.

* 75 Proposition de loi relative à la réforme de l'atelier protégé et créant le statut de l'entreprise adaptée présentée par MM. Georges Mouly et Bernard Murat (n° 289, 2001-2002).

* 76 Le développement de la formation professionnelle apparaît ici indispensable.

* 77 M. Jean-Christophe Parisot (table ronde du 22 mai 2002).

* 78 M. Marcel Nuss (ibidem).

* 79 Cette technologie permet la description en voix off, lors des intervalles entre les répliques, de l'action, des décors et des costumes, grâce à des écouteurs individuels.

* 80 Codifiée à l'article L. 114-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 81 Audition du 11 juillet 2002 sur le projet de loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise ; cf. rapport de M. Louis Souvet, au nom de votre commission, n° 356 (2001-2002).

* 82 Loi n° 65-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs.

* 83 Rapport définitif du groupe de travail interministériel sur le dispositif de protection des majeurs présidé par M. Jean Favard (avril 2000).

* 84 Article L. 323-11 du code du travail pour les décisions de la COTOREP et L. 242-6 du code de l'action sociale et des familles pour les CDES.

* 85 Voir également sur ce point le III. B du présent rapport.

* 86 Deux lois ont été adoptées, simultanément le 30 juin 1975, formant un tout cohérent en matière de handicap : la loi n° 75-534 d'orientation en faveur des personnes handicapées et la loi n° 75-535 relative aux institutions sociales et médico-sociales.

* 87 L'actualisation de l'enquête ES de 1998 est en cours mais ses résultats ne seront pas disponibles avant fin 2002.

* 88 Voir également sur ce point le III. B. du présent rapport.

* 89 « La prise en charge des personnes vieillissantes handicapées mentales ou souffrant de troubles mentaux ». Rapport au Conseil économique et social, présenté par Mme Janine Cayet (novembre 1998).

* 90 Devenu aujourd'hui l'article L. 114-1 du code de la famille et de l'action sociale.

* 91 Article L. 323-10 du code du travail.

* 92 Antérieure aux « règles pour l'égalisation des chances » des Nations-unies, cette classification se situe à l'intersection des deux modèles, environnemental et individuel.

* 93 La classification, issue de ces modifications, s'intitule désormais « Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé » (CIF).

* 94 « Etude du problème général de l'inadaptation des personnes handicapées », Rapport au Premier ministre, 1969.

* 95 Codifié à l'article L. 114-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 96 « La gestion du risque accidents du travail et maladies professionnelles », rapport public particulier, février 2002.

* 97 Enquête réalisée en 1995 auprès d'un échantillon de demandeurs de la carte d'invalidité à Paris.

* 98 La plupart des entreprises signataires ont ainsi enregistré une diminution de 30 à 60 % des accidents.

* 99 M. Fardeau : « Personnes handicapées : analyse comparative et prospective du système de prise en charge ».

* 100 M. Jean-Claude Cunin, attaché de direction des actions médicales et sociales de l'Association française contre les myopathies - Audition du 22 mai 2002.

* 101 M. Fardeau : rapport précité.

* 102 Diverses propositions ont toutefois été formulées en ce sens. M. Fardeau, dans son rapport précité, recommande la création d'un « Institut national de recherche sur le handicap et les incapacités », établissement public rassemblant les partenaires institutionnels et associatifs, et ouvert aux partenaires industriels. Par ailleurs, et à l'occasion de son audition par votre commission, l'Association française contre les myopathies a souhaité, dans le domaine plus particulier de la recherche sur les aides techniques, la création d'une « agence française de compensation ».

* 103 L'orientation des actions de l'ANVAR est définie dans le cadre de contrats quadriennaux conclus avec l'Etat. Le contrat actuellement en cours (2000-2003) viendra ainsi à expiration l'année prochaine.

* 104 Partie de l'audition consacrée au handicap.

* 105 Québec, Ontario, Nouvelle-Ecosse, Nouveau-Brunswick, Manitoba, Colombie Britannique, Ile-du-Prince-Edouard, Alberta, Saskatchewan et Terre-Neuve-Labrador.

* 106 Yukon, territoires du Nord-Ouest et Numavut.

* 107 On peut citer à titre d'exemple le développement des services de transport adapté, particulièrement dans les municipalités non visées par la loi, les projets d'îlots résidentiels pour les personnes ayant une déficience intellectuelle, les services de jour et d'entraide en santé mentale, la création des services externes de main-d'oeuvre...

* (108) Énumérées par la loi, elles comprennent notamment les cotisations sociales, les versements aux organismes caritatifs, l'impôt ecclésiastique, les pensions alimentaires et les dépenses pour l'embauche de personnel domestique.

* (109) Une couronne équivaut à 0,135 €.

* (110) Ces prestations sont liées à la perception d'une pension. Elles peuvent donc également être attribuées aux titulaires de la pension de retraite minimale, c'est-à-dire à toutes les personnes âgées.

* (111) Ce montant a été fixé lorsque la loi a été votée en avril 2001. Il sera revalorisé quand la loi entrera en vigueur.

* ( 112 ) C'est-à-dire presque 10 % de la population active. Créée en 1968, l'assurance invalidité concernait à l'époque 164 000 personnes. Avec le temps, elle s'était transformée en allocation de chômage parallèle, de sorte qu'en 1991, elle bénéficiait à plus de 900 000 personnes. Pour cette raison, elle a été réformée en 1993.

* (113) De nombreux salariés sont assurés par leur employeur pour éviter la diminution de ressources que représente le passage de la pension pour perte de salaire à l'allocation de remplacement.

* (114) 100 % de 100/108 si la personne a besoin de soins permanents. La formule utilise la fraction 100/108 pour tenir compte de l'indemnité de congés payés (8 %), qui est versée une fois par an en mai.

* (115) Ils sont considérés comme des salariés par les assurances nationales, mais pas par les assurances propres aux salariés.

* (116) Le salaire minimum spécifique aux jeunes est défini à la page précédente.

* (117) Les prestations sont, à quelques exceptions près, les mêmes dans tout le royaume.

* (118) Une livre sterling équivaut à 1,55 euro.

* (119) Un dollar canadien équivaut à 0,7 €.

* (120) Depuis 1998, il existe deux régimes d'imposition, le régime général et le régime simplifié. Dans ce dernier, un montant forfaitaire remplace un ensemble de déductions et de crédits d'impôt.

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