B. UNE STRATEGIE CONTESTABLE ET CONTESTEE

L'ampleur de cette politique de fermeture de lignes, qui remet en question l'aménagement et le développement économique de régions entières, provoque, auprès de nos interlocuteurs, des réactions allant de l'amertume à la critique.

Certains vont même jusqu'à s'interroger sur la bonne foi des compagnies aériennes concernant l'argument de non-rentabilité, et soupçonnent de leur part une stratégie « à deux vitesses », intentionnelle et systématique : les petites lignes, privées de toute fiabilité et dotées d'une qualité de service déplorable, seraient volontairement vouées au déclin, au profit des hubs provinciaux les plus importants, qui bénéficient d'une politique commerciale plus attractive.

Ainsi, la région Poitou-Charente fait part de sa « crainte d'un regroupement des services sur la base d'une nouvelle organisation qui écarterait les structures les moins importantes. »

Le conseil régional d'Aquitaine constate que la « baisse de qualité de service » s'observe « en particulier pour les liaisons à partir des petites plates formes aéroportuaires ».

Le conseil régional de Bretagne, après avoir relevé de nombreux retards sur certaines lignes, souligne à l'inverse « sur les lignes à bonne fréquentation », une « amélioration indéniable de la qualité de service ».

Le conseil régional de Haute-Normandie observe que « les compagnies [suspendent] les liaisons du jour au lendemain lorsque celles-ci sont déficitaires (...). En revanche, elles se focalisent sur le long courrier affaires par l'organisation autour de hubs et une politique de fidélisation de la clientèle affaires ».

Pour le conseil général d'Epinal, la diminution de la fréquentation de la desserte d'Epinal est « conséquente » d'une « forte dégradation du service ».

Le conseil général des Côtes d'Armor, après avoir regretté les « fermetures brutales de liaisons sur les petites et moyennes plates-formes », dénonce « une dégradation de la qualité de la prestation offerte aux usagers lesquels, lassés de nombreux délestages journaliers, abandonnent progressivement les lignes régionales au profit du train et des grands aéroports ».

Le conseil général de Haute-Marne fait lui aussi état de disparités dans la qualité des dessertes des villes en fonction de leur importance : « la qualité et l'efficacité de la desserte offerte aux clients sont d'autant meilleures que la ville est importante ».

La chambre régionale de commerce et d'industrie d'Auvergne évoque un « recentrage vers des aéroports internationaux déjà saturés ».

L'aéroport de Limoges témoigne également d'une « priorité donnée aux « gros » demandeurs », en matière de créneaux horaires, de vols de remplacement ou de stationnement des avions à Orly et Roissy.

La chambre de commerce et d'industrie des Côtes d'Armor relate quant à elle, les faits suivants :

« L'installation de Regional Airlines en 1990 s'est traduite par une réduction des capacités offertes à la vente avec un Jet Stream de 19 sièges. La ligne St Brieuc/Paris ne faisant pas partie de la stratégie de développement de la Compagnie Regional Airlines, nous avons souffert pendant des années d'une détérioration croissante du soutien commercial et publicitaire de cette ligne par la compagnie. La dernière année de Regional Airlines sur notre plate-forme (en 1999) a accentué la dégradation de la qualité du service offert. De très gros problèmes de disponibilité d'appareils ont obligé Regional Airlines à délester de nombreux vols et à faire appel à des sous-traitants de type Compagnies d'avions taxis ».

Pour la chambre de commerce et d'industrie de Savoie, de même : « Depuis son alliance avec Flandres Air, Proteus Airlines n'a pas véritablement exploité de manière convenable la ligne sur Paris. Changements de compagnies sous-traitantes, d'appareils (de 19 à 50 sièges !), nombreuses annulations... Ceci explique une certaine désaffection de la clientèle .

« Pour l'année 2000, nous avons constaté une baisse de près de 18 % du nombre de passagers par rapport à l'année 1998. Il est vrai que pour le seul mois de décembre, 30 vols (20 % des vols programmés) ont été annulés ».

La chambre de commerce et d'industrie de Paris, quant à elle, en est venue à « demander que les liaisons régionales avec Paris soient maintenues (...) du moins tant qu'il n'a pas été prouvé que leur rentabilité ne pourrait être assurée . »

La chambre de commerce et d'industrie du Roannais rapporte l'incident suivant :

« Pour maintenir la liaison aérienne avec Paris, nous avons dû accepter un déroutement sur l'aéroport de Saint-Yan, distant de 50 km, qui disposait d'une piste suffisamment longue pour pouvoir permettre les décollages tous temps. Cette nouvelle contrainte imposée aux usagers de la ligne a eu un impact commercial majeur sur la fréquentation de la ligne avec une perte d'environ 75 % de la clientèle ».

La chambre de commerce et d'industrie des Côtes d'Armor relate :  « La ligne Saint Brieuc-Paris ne faisant pas partie de la stratégie de développement de la compagnie Régional Airlines, nous avons souffert pendant des années d'une détérioration croissante du soutien commercial et publicitaire de cette ligne par la compagnie » et d'une « dégradation de la qualité de service offert ».

Quant à l'aéroport de Saint Brieuc, il décrit « les prémices de ce que le monde des petits et moyens aéroports appelleront la fin de leur plate forme » : « que les lignes soient rentables en nombre de passagers, qu'elles correspondent, avec des OSP, au désenclavement des régions ou qu'elles soient reconnues par les entreprises locales comme rendant un service public, elles sont fermées du jour au lendemain sans préavis ».

La chambre de commerce et d'industrie du Havre apporte le témoignage suivant : « La compagnie retenue nous a fait savoir au moment de la signature du contrat que devenue filiale d'Air France, la ligne prévue n'entrant pas dans les schémas commerciaux d'Air France, elle en pouvait donner suite à son offre.(...)

« Tout ceci sans concertation et au mépris total de leur clientèle. Il est vraisemblable que cette dégradation provient d'un manque de connaissance d'Air France de l'aviation régionale et en particulier du profil et des attentes de la clientèle, et, en ce qui concerne les problèmes matériels, d'une inadaptation de ses structures à la gestion technique et humaine des appareils de petite capacité. Il est d'ailleurs à craindre que la lourdeur de cette structure et corrélativement ses coûts ne permettent jamais à cette compagnie d'exploiter dans des conditions financières acceptables des lignes à faible potentiel et donc l'amèneront systématiquement à les considérer comme déficitaires et inexploitables ».

C'est ainsi qu'Air France a supprimé 60% du trafic de l'aéroport du Havre.

La chambre de commerce et d'industrie de Tarbes et des Hautes Pyrénées signale le fait que « la compagnie Air France bloque toute alternative concurrentielle en maintenant une liaison unique en milieu de journée entre Tarbes/Lourdes et Paris, pour conforter sa situation de monopole au départ de Pau » et conclut que « l'arrogance d'Air France et l'inertie de son actionnaire principal sont inadmissibles ».

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