3. Les handicaps et les insuffisances du système financier et comptable français sont parfaitement identifiés

La " Mission comptabilité patrimoniale " a produit un rapport intitulé " Le système financier de l'Etat en question " 17 ( * ) . Les sujets traités dans le cadre de ce rapport débordent largement la question de la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959. Cependant, il permet de déceler les atouts et les handicaps du système financier de l'Etat, et de proposer des pistes de réforme afin d'engager sa modernisation.

Le chef de la mission, M. Jean-Jacques François, souligne que le système financier français présente des atouts certains, en particulier la lisibilité de la comptabilité en encaissements-décaissements et l'unité de trésorerie, comptable et budgétaire.

Cependant, il relève également des faiblesses et des zones d'ombre de notre comptabilité, notamment l'occultation des coûts, des engagements, du patrimoine et des risques, ainsi que le cloisonnement et l'hyperréglementation qui caractérisent notre système, en particulier la segmentation des crédits et le dogme de l'annualité budgétaire.

Les points faibles de la comptabilité de l'Etat soulignés par le rapport François, sont l'absence de " reporting ", de consolidation, de mutualisation, de suivi patrimonial, de visibilité et de pilotage des actifs immobilisés. Il souligne également que les comptes rendus comptables internes et externes sont restés très administratifs.

Ce rapport décèle en revanche dans les autres pays une nette orientation vers la mise en place d'un vrai bilan, d'un compte de résultat, d'un tableau de flux et d'un " hors-bilan ", développé en particulier dans les pays anglo-saxons.

Une conclusion s'impose donc d'emblée quant à la comptabilité de l'Etat : celle-ci ne correspond plus aux besoins d'information financière exprimés par les parlementaires et l'opinion publique, et ne constitue pas davantage un outil efficace de gestion de la dépense publique . La comptabilité de l'Etat donne de sa situation financière une image tronquée, incomplète, et peu fidèle.

La comptabilité actuelle ne prend notamment pas en compte les créances et les dettes de l'Etat, sa situation patrimoniale, mais également les charges futures qu'il sera amené à assumer. Les lacunes les plus criantes de la comptabilité concernent notamment les sujets sensibles comme le financement des retraites ou le patrimoine immobilier et financier de l'Etat. 18 ( * )

Afin de fournir des comptes auditables, et une image fidèle de la situation financière de l'Etat, la comptabilité doit donc prendre en compte l'ensemble des charges et des ressources nées au cours d'un exercice, mais également produire des indications sur la situation patrimoniale de l'Etat et ses charges futures, éventuelles ou certaines.

La comptabilité publique apparaît donc considérablement sous-développée au regard de la comptabilité générale et des obligations qui en découlent pour les entreprises . En effet, la comptabilité de l'Etat, qui ne permet qu'un suivi des recettes et des dépenses, s'assimile à une comptabilité " d'épicier ". Dans ces circonstances, le vote du budget par le Parlement n'est pas suffisamment éclairé, puisque celui-ci ne dispose que d'éléments d'information fragmentaires sur l'enrichissement ou l'appauvrissement de l'Etat, ainsi que sur ses charges futures.

Le rapport de votre commission intitulé " En finir avec le mensonge budgétaire - Enquête sur la transparence très relative des comptes de l'Etat " évoque lui aussi " un cadre comptable inapproprié fournissant une information incomplète " :

" L'Etat, à la différence d'une entreprise privée mais aussi d'une collectivité territoriale, ne dispose pas d'une comptabilité qui lui permette de connaître sa réalité financière de façon précise, ce qui démontre un certain archaïsme.

La comptabilité de l'Etat, en effet, est une comptabilité de caisse, qui privilégie le suivi des opérations budgétaires, c'est-à-dire que seuls sont appréhendés les décaissements et les encaissements. Ce cadre comptable permet de connaître avec précision l'exécution de la dépense au niveau des chapitres budgétaires et fournit ainsi une information indispensable au Parlement. Toutefois, il rend très délicate la description du patrimoine de l'Etat.

En effet, faute d'une comptabilité en droits constatés, l'ensemble des opérations du trésor ne figure pas au budget de l'Etat, qui n'a ni compte de bilan, ni raisonnement en termes d'actif et de passif.

L'Etat ne dispose ni d'une comptabilité patrimoniale, ni d'une comptabilité d'engagement, ni d'une comptabilité analytique : ses prévisions ignorent ainsi, par exemple, les notions de provision et d'amortissement, ce qui a de graves conséquences. Lorsque des investissements sont réalisés, le fonctionnement n'est pas prévu. Le renouvellement n'est pas envisagé et l'amortissement n'est pas pris en compte.

Le chef du service de l'Inspection générale des finances, M. Thierry Bert, voit dans cette situation la source du " caractère impécunieux de l'Etat ", sur lequel il porte un jugement sévère : " un certain nombre de provisions qui sont des provisions dont l'absence dans un bilan bancaire entraînerait l'incarcération quasi-immédiate de l'ensemble des responsables, ne sont jamais passées. L'Etat, dit-on , est son propre assureur, sa propre garantie, il a l'éternité pour lui, etc. Moyennant quoi, aucun risque n'est pris en compte et aucune provision n'est jamais passée ".

Ce système reste donc opaque et ne favorise pas une diffusion d'informations adaptée à la prise de décisions : la comptabilité de l'Etat n'est pas encore une comptabilité " décisionnelle ". ".

(Source : rapport du Sénat n° 485 (1999-2000) de MM. Alain Lambert et Philippe Marini, " En finir avec le mensonge budgétaire - Enquête sur la transparence très relative des comptes de l'Etat ".)

* 17 Rapport de la Mission comptabilité patrimoniale présenté à M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, le 30 juin 1998.

* 18 La problématique de la comptabilité patrimoniale rejoint celle de la pluriannualité (v. supra II-B.)

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