PJL relatif au Conseil supérieur de la Magistrature et modification de l'article 65 de la Constitution

JOLIBOIS (Charles)

RAPPORT 511 (97-98) - COMMISSION DES LOIS

Table des matières






N° 511

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 18 juin 1998

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur :

- le projet de loi constitutionnelle, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relatif au
Conseil supérieur de la magistrature ,

- la proposition de loi constitutionnelle de MM. Daniel MILLAUD, Marcel HENRY et Simon LOUECKHOTE tendant à modifier l'article 65 de la
Constitution ,

Par M. Charles JOLIBOIS,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 835 , 930 et T.A. 142 .

Sénat : 476 et 319 (1997-1998).

Justice.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Après avoir entendu, le mardi 16 juin 1998, Mme Elisabeth Guigou, Garde des sceaux, ministre de la justice, M. Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation et M. Jean-François Burgelin, procureur général près cette Cour , la commission des Lois du Sénat, réunie sous la présidence de M. Jacques Larché les 17 et 18 juin 1998, a examiné, sur le rapport de M. Charles Jolibois, le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature.

Ce texte a simultanément pour objet d'étendre les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats du parquet en renforçant les garanties constitutionnelles en matière de nomination et de discipline, et d'ouvrir la composition de ce Conseil à une majorité de personnalités extérieures à la magistrature.

Les principales décisions de la commission ont été les suivantes.

I. En ce qui concerne les attributions du Conseil supérieur de la magistrature

• La commission a tout d'abord approuvé la principale modification prévue par ce projet de réforme, à savoir l' exigence d'un avis conforme (et non plus d'un avis simple) du Conseil supérieur de la magistrature pour les nominations des magistrats du parquet, cet avis étant prononcé sur la proposition du Garde des sceaux qui garde donc l'initiative de la nomination.

• La commission a également approuvé le transfert au Conseil supérieur de la magistrature du pouvoir de prononcer des sanctions disciplinaires à l'égard des magistrats du parquet , qui relève actuellement de la décision du Garde des sceaux après un simple avis du Conseil supérieur de la magistrature.

• La commission a souhaité aligner les modalités de nomination des présidents des juridictions d'outre-mer sur celles des présidents des juridictions comparables de métropole , conformément à une proposition de loi constitutionnelle déposée par M. Daniel Millaud .

• Elle a précisé que le Conseil supérieur de la magistrature, réuni en formation plénière, pourrait rendre des avis à la demande du Président de la République , garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire aux termes de l'article 64 de la Constitution.

II. En ce qui concerne la composition du Conseil supérieur de la magistrature

• Afin de marquer dans la Constitution la différence de nature séparant les fonctions des magistrats du siège de celles des magistrats du parquet et de faciliter le fonctionnement du Conseil en réduisant le nombre des membres statuant sur les nominations et la discipline, la commission a souhaité maintenir, comme actuellement, deux formations distinctes du Conseil supérieur de la magistrature respectivement compétentes à l'égard de ces deux catégories de magistrats, en matière de nomination et de discipline. Elle a tenu à souligner l'unicité du corps des magistrats du parquet et du siège en consacrant l'existence d'une formation plénière chargée d'assister le Président de la République par sa compétence d'avis.

• La commission s'est montrée favorable à l' ouverture de la composition du Conseil supérieur de la magistrature à une majorité de non magistrats , qui apparaît comme une nécessaire contrepartie de l'accroissement de ses pouvoirs.

En conséquence, elle propose la composition suivante pour le Conseil supérieur de la magistrature :

- le Président de la République, président,

- le Garde des sceaux,vice-président,

- 5 magistrats du siège et 5 magistrats du parquet, élus ;

- 1 conseiller d'Etat ;

- 10 personnalités extérieures, n'appartenant ni à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif, ni au Parlement qui seront désignées par le Président de la République (2), le Président de l'Assemblée nationale (2), le Président du Sénat (2) et, conjointement, par le Vice-président du Conseil d'Etat, le Président de la Cour des comptes et le Premier président de la Cour de cassation (4).

La formation plénière, réunie par le Président de la République pour répondre à des demandes d'avis, comportera l'ensemble des 23  membres du Conseil supérieur de la magistrature.

La formation compétente à l'égard du siège comptera, outre le Président de la République et le Garde des sceaux, 5 magistrats du siège et un magistrat du parquet, le conseiller d'Etat, comme actuellement, auxquels viendront s'ajouter six personnalités extérieures ( 15 membres ).

La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet comptera, outre le Président de la République et le Garde des sceaux, 5 magistrats du parquet et un magistrat du siège, comme actuellement, auxquels viendront également s'ajouter six personnalités extérieures ( 15 membres ).

• Enfin, la commission a inséré un article additionnel dans le projet de loi constitutionnelle précisant explicitement que la désignation de membres du Conseil supérieur de la magistrature par le Président de la République s'effectue sans contreseing (article 19 de la Constitution).

• Elle a également prévu l'insertion dans le corps même de la Constitution de la disposition transitoire figurant à l'article 2.

Le Sénat examinera ce projet de loi constitutionnelle en séance publique les mardi 23 et mercredi 24 juin 1998.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi constitutionnelle aujourd'hui soumis au Sénat constitue le premier acte d'un vaste projet de réforme de la justice qui trouve son origine dans les réflexions diverses menées autour de trois objectifs.

Le premier concerne l'amélioration du fonctionnement de la justice au quotidien. C'est là, sans nul doute, la plus urgente et la plus attendue des réformes, ainsi que l'avait souligné la mission d'information sur les moyens de la justice constituée en 1996 par votre commission des Lois sous la présidence de votre rapporteur 1( * ) .

Le second a trait au renforcement des garanties apportées aux justiciables quant au respect des libertés fondamentales. Il a également fait l'objet de réflexions approfondies de votre commission des Lois, dans le cadre des travaux menés en 1994 et 1995 par une autre mission d'information portant sur le respect de la présomption d'innocence et le secret de l'enquête et de l'instruction, dont le rapport avait été établi par votre présent rapporteur 2( * ) .

Enfin, le troisième objectif, dont participe la réforme du Conseil supérieur de la magistrature proposée par le présent projet de loi constitutionnelle, relève du souci de mieux assurer l'indépendance et l'impartialité de la justice.

Cette préoccupation constituait, hormis le problème du respect de la présomption d'innocence déjà évoqué, la principale question que M. Jacques Chirac, Président de la République, avait souhaité soumettre à la réflexion d'une commission constituée à cette fin sous la présidence de M. Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation et à laquelle il avait demandé de s'interroger sur l'opportunité et les moyens d'une indépendance des magistrats du parquet à l'égard du pouvoir exécutif, soulignant alors, dans sa lettre de mission, que " nos concitoyens soupçonnent la justice d'être parfois soumise à l'influence du Gouvernement ".

Cette commission, dans son rapport publié en juillet 1997, s'est prononcée notamment en faveur d'une extension des pouvoirs et d'une modification de la composition du Conseil supérieur de la magistrature

Un large débat s'est ainsi engagé dans notre pays autour de la question de l'indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir exécutif et du statut des magistrats du parquet, de même que dans certains pays voisins comme l'Italie où un projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature est actuellement à l'étude, ainsi qu'a pu le constater votre rapporteur au cours d'une mission ponctuelle effectuée récemment au nom de la commission des Lois en compagnie de M. Michel Dreyfus-Schmidt 3( * ) .

C'est dans ce contexte que Mme Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, propose aujourd'hui une réforme du Conseil supérieur de la magistrature, essentiellement destinée à renforcer ses pouvoirs à l'égard des magistrats du parquet de manière à faire bénéficier ceux-ci de garanties constitutionnelles d'indépendance comparables à celles des magistrats du siège, tout en ouvrant sa composition à une majorité de personnes extérieures à la magistrature.

Cette nouvelle réforme intervient moins de cinq ans après la révision constitutionnelle de 1993 qui a déjà considérablement accru les garanties constitutionnelles de l'indépendance de l'autorité judiciaire. En effet, la réforme adoptée en 1993 a largement renforcé les prérogatives du Conseil supérieur de la magistrature, notamment par l'extension du champ de ses compétences aux magistrats du parquet à la suite d'une initiative du Sénat, en même temps qu'elle a diversifié le mode de désignation de ses membres.

I. LA REFORME DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE ADOPTÉE EN 1993 A CONSIDÉRABLEMENT ACCRU LES GARANTIES CONSTITUTIONNELLES DE L'INDÉPENDANCE DE L'AUTORITÉ JUDICIAIRE

La composition et les compétences du Conseil supérieur de la magistrature sont actuellement définies par l'article 65 de la Constitution, dans sa rédaction résultant de la loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993.

La portée de la réforme intervenue en 1993 doit cependant être appréciée à la lumière d'un bref rappel historique.

Le Conseil supérieur de la magistrature n'apparaît en tant que tel qu'en 1946.

Cependant, depuis 1883, était désignée sous cette appellation une formation particulière de la Cour de cassation toutes chambres réunies statuant en matière disciplinaire à l'égard des magistrats.

Jusqu'au début de la IVème république, les nominations des magistrats relevaient exclusivement du pouvoir exécutif ; toutefois, l'exercice du pouvoir de nomination avait été encadré, à partir du début du XXème siècle, par la création de commissions spéciales intervenant pour l'élaboration des tableaux d'avancement.

La Constitution de 1946 crée un Conseil supérieur de la magistrature doté de compétences étendues à l'égard des magistrats du siège qui sont nommés par le Président de la République " sur sa présentation " ; en outre, il " assure, conformément à la loi, la discipline de ces magistrats, leur indépendance et l'administration des tribunaux judiciaires ".

Ce Conseil est alors composé de 14 membres :

- le Président de la République, président ;

- le garde des Sceaux, vice-président ;

- 6 personnalités élues pour six ans par l'Assemblée nationale, à la majorité des deux tiers, en dehors de ses membres ;

- 2 personnalités désignées pour six ans par le Président de la République en dehors du Parlement et de la magistrature, mais au sein des professions judiciaires ;

- enfin, 4 magistrats élus pour six ans, représentant " chacune des catégories de magistrats ".

La Constitution de 1958 fait du Président de la République le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, assisté dans ce rôle par le Conseil supérieur de la magistrature, qu'il préside, le ministre de la justice étant vice-président de droit.

C'est également le Président de la République qui désigne les neuf membres de ce Conseil, dans les conditions fixées par la loi organique.

Suivant les dispositions de l'ordonnance organique n° 58-1271 du 22 décembre 1958, ces neuf membres comprennent :

- six magistrats, à savoir trois membres de la Cour de cassation, dont un avocat général, et trois magistrats du siège des cours et tribunaux, ces six membres étant choisis sur une liste établie par le bureau de la Cour de cassation et comportant pour chacune des catégories un nombre de noms triple du nombre de postes à pourvoir ;

- un conseiller d'Etat choisi sur une liste de trois noms établie par l'assemblée générale du Conseil d'Etat ;

- et deux personnalités n'appartenant pas à la magistrature et choisies à raison de leur compétence.

En matière de nominations, le Conseil supérieur de la magistrature fait des propositions pour les nominations de magistrats du siège à la Cour de cassation et pour celles de premier président de cour d'appel et donne son avis sur les propositions du ministre de la justice relatives aux nominations des autres magistrats du siège.

En matière disciplinaire, il statue comme conseil de discipline des magistrats du siège, sous la présidence du premier président de la Cour de cassation.

Les compétences du Conseil supérieur de la magistrature sont alors exclusivement limitées aux magistrats du siège.

Cependant, une commission de discipline du parquet est consultée sur les sanctions disciplinaires prononcées à l'égard des magistrats du parquet.

En outre, la loi organique du 23 février 1992 crée une commission consultative du parquet chargée de donner un avis sur les propositions de nominations à l'ensemble des emplois du parquet formulées par le garde des Sceaux, ministre de la justice, à l'exception de l'emploi de procureur général près la Cour de cassation et des emplois de procureur général près une cour d'appel.

C'est dans ce contexte juridique qu'intervient la révision constitutionnelle de 1993, adoptée à la suite des propositions établies par le Comité consultatif présidé par M. Georges Vedel.

Cette réforme a renforcé les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats du siège et a étendu ses compétences aux magistrats du parquet, en instituant deux formations distinctes respectivement compétentes à l'égard de ces deux catégories de magistrats, afin de bien marquer la spécificité de leurs fonctions. Elle a en outre diversifié le mode de désignation de ses membres.

A. LES POUVOIRS DU CSM ONT ÉTÉ SUBSTANTIELLEMENT RENFORCÉS

1. Les prérogatives du CSM ont été accrues à l'égard des magistrats du siège

A l'initiative du Sénat, le pouvoir de proposition dont disposait déjà le Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats du siège de la Cour de cassation et des premiers présidents des cours d'appel a été étendu par la réforme de 1993 aux présidents des tribunaux de grande instance .

Ces chefs de juridiction, ainsi que les magistrats du siège de la Cour de cassation, sont donc nommés par le Président de la République sur les propositions du Conseil supérieur de la magistrature dont la formation compétente est chargée d'opérer un choix entre les candidatures à l'un de ces postes afin d'arrêter la proposition qu'elle soumet au Président de la République.

S'agissant de la nomination des autres magistrats du siège, la réforme de 1993 a institué l'exigence d'un avis conforme (et non plus d'un avis simple) du Conseil supérieur de la magistrature sur les propositions arrêtées par le garde des Sceaux. Elle a ainsi consacré l'usage établi antérieurement, suivant lequel le garde des Sceaux ne passait pas outre un avis défavorable du Conseil supérieur de la magistrature, mais dont le Conseil constitutionnel avait refusé de valider l'inscription dans la loi organique votée par le Parlement en février 1992 4( * ) .

Pour les nominations de cette très grande majorité des magistrats du siège, la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature donne donc un avis sur la proposition du ministre de la justice qui lui est transmise avec la liste des candidats pour chacun des postes concernés. Dans la pratique, les avis défavorables, qui doivent donner lieu à une nouvelle proposition du ministre de la justice, sont très peu nombreux (soit 1,75 % seulement des avis rendus entre le 1er juin 1994 et le 31 mars 1998).

2. Le champ des compétences du CSM a été étendu aux magistrats du parquet

Jusqu'à la révision constitutionnelle de 1993, les compétences du Conseil supérieur de la magistrature avaient toujours été exclusivement limitées aux magistrats du siège.

C'est à l'initiative du Sénat que le champ de ces compétences a été étendu aux magistrats du parquet par la réforme de 1993.

En effet, le Sénat avait alors souhaité tirer les conséquences du principe de l'unicité de la magistrature en confiant au Conseil supérieur de la magistrature les missions dévolues à la commission consultative du parquet créée en 1992, qui jouait un rôle consultatif en matière de nominations des magistrats du parquet, à l'exception de celles des procureurs généraux.

Compte tenu de l'organisation hiérarchisée du parquet et des pouvoirs du garde des Sceaux en matière d'action publique, il avait cependant jugé nécessaire d'une part, que les pouvoirs conférés au Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats du parquet soient purement consultatifs et d'autre part, qu'ils soient exercés par une formation de ce Conseil adaptée à la nature spécifique des fonctions exercées par les magistrats du parquet, comme on le verra plus loin.

Depuis cette réforme, la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature émet donc un avis sur les propositions du garde des Sceaux pour les nominations des magistrats du parquet, à l'exception toutefois des " emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres " (c'est-à-dire les 36 emplois de procureur général près la Cour de cassation et de procureur général près une cour d'appel).

Cet avis ne lie pas la décision de l'autorité de nomination. Cependant, la proportion d'avis défavorables est restée faible depuis la mise en oeuvre de la réforme, quoiqu'un peu plus élevée que pour les magistrats du siège (soit environ 3 % d'avis défavorables seulement), et celle des avis défavorables non pris en compte a été encore plus faible.

Ainsi, alors que les avis avaient toujours été suivis par le garde des Sceaux jusque là, on a dénombré 8 avis non suivis entre le 1er juillet 1995 et le 31 décembre 1996 (sur 21 avis défavorables au total).

Mme Elisabeth Guigou, actuel garde des Sceaux, s'est pour sa part engagée à ne jamais passer outre l'avis du Conseil supérieur de la magistrature.

Par ailleurs, la révision constitutionnelle de 1993, toujours à l'initiative du Sénat, a également étendu le champ des compétences du Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire aux magistrats du parquet, mais seulement à titre consultatif, comme pour les nominations.

Depuis cette réforme, la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature, alors réunie sous la présidence du procureur général près la Cour de cassation, donne donc son avis sur les sanctions disciplinaires prononcées à l'égard des magistrats du parquet ; elle s'est en effet substituée dans ce rôle à l'ancienne commission de discipline du parquet.

B. DEUX FORMATIONS DISTINCTES DU CSM ONT ÉTÉ INSTITUÉES POUR BIEN MARQUER LA DIFFÉRENCE DE NATURE DES FONCTIONS DU SIÈGE ET DU PARQUET

Issue de la révision constitutionnelle de 1993, la division actuelle du Conseil supérieur de la magistrature en deux formations respectivement compétentes à l'égard des magistrats du siège et des magistrats du parquet résulte également d'une initiative de la commission des Lois du Sénat.

Si celle-ci avait alors souhaité affirmer dans la Constitution l'unité du corps judiciaire à travers l'extension du champ des compétences du Conseil supérieur de la magistrature aux magistrats du parquet, elle avait néanmoins tenu à préserver le strict respect de la spécificité des fonctions du ministère public.

Compte tenu de la profonde différence de nature existant entre les fonctions du siège et celles du parquet, elle avait jugé nécessaire que les compétences nouvelles attribuées au Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats du parquet soient attribuées à une formation ad hoc dont la composition serait adaptée à la nature des fonctions exercées par les magistrats du parquet, grâce à une majorité de représentants du parquet parmi les magistrats appartenant à cette formation.

Conformément à cette orientation, la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 a institué deux formations au sein du Conseil supérieur de la magistrature, la première exerçant des compétences en matière de nominations et en matière disciplinaire à l'égard des magistrats du siège et la seconde ayant des attributions consultatives en matière de nominations et en matière disciplinaire à l'égard des magistrats du parquet.

Elle n'a en revanche pas prévu la possibilité d'une réunion de ces deux formations en formation plénière.

Cependant, dans la pratique les deux formations du Conseil supérieur de la magistrature ont pris l'habitude de se réunir périodiquement en formation plénière afin d'assurer la cohérence des procédures et l'harmonisation des positions de chaque formation.

Cette formation plénière dont l'existence n'est prévue par aucun texte a en outre pris l'initiative, à plusieurs reprises, d'émettre des avis, notamment sur le statut des magistrats du ministère public, s'arrogeant là une compétence qui ne lui avait pas été explicitement attribuée par le texte constitutionnel.

C. LE MODE DE DÉSIGNATION DES MEMBRES DU CSM A ÉTÉ DIVERSIFIÉ

L'institution de deux formations distinctes du Conseil supérieur de la magistrature par la réforme constitutionnelle de 1993 s'est accompagnée d'une diversification du mode de désignation de ses membres qui jusque là étaient tous nommés par le Président de la République.

Chacune des deux formations actuelles comprend dix membres auxquels viennent se joindre le Président de la République et le garde des Sceaux. Ceux-ci ont en effet conservé la présidence et la vice-présidence de droit qui leur étaient traditionnellement attribuées.

Parmi ces dix membres, quatre appartiennent en commun aux deux formations, dont :

- trois personnalités n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire, respectivement désignées par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat ;

- et un conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat.

Les six autres membres sont des magistrats distincts pour chacune des deux formations dont la composition est ainsi adaptée à la spécificité des questions traitées :

- la formation compétente à l'égard des magistrats du siège comprend cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet ;

- la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet comprend cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège.

Chaque formation comprend donc, au sein de ses membres ayant la qualité de magistrats, une majorité de représentants de la fonction concernée : siège ou parquet selon le cas.

Ces différents magistrats sont élus par leurs pairs dans les conditions fixées par la loi organique n° 94-100 du 25 février 1994 5( * ) .

II. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE A POUR OBJET DE RENFORCER ENCORE LES GARANTIES D'INDÉPENDANCE ASSURÉES PAR LE CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

Pourquoi le Gouvernement propose-t-il aujourd'hui, moins de cinq ans après la révision constitutionnelle de 1993, une nouvelle réforme du Conseil supérieur de la magistrature nécessitant une modification de la rédaction de l'article 65 de la Constitution ?

Selon les déclarations de Mme Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, devant l'Assemblée nationale, " la réforme s'impose pour parfaire l'évolution menée à partir de 1993 car elle n'est pas allée jusqu'à son terme. Il convient en effet d'avancer plus résolument vers l'indépendance réaffirmée de l'autorité judiciaire ".

Certes, la révision constitutionnelle de 1993 a d'ores et déjà considérablement renforcé les garanties statutaires de l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Cependant, même si les avis émis par la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature concernant les nominations de magistrats du parquet ont quasiment toujours été suivis, des soupçons sont apparus au sujet de l'intervention du pouvoir politique dans ces nominations et de l'impartialité des décisions prises par les magistrats ainsi nommés. Qu'ils aient été fondés ou non, ces soupçons ont rejailli de façon préjudiciable sur l'image de la justice.

Cette situation a été à l'origine de nouvelles propositions de réforme du Conseil supérieur de la magistrature tendant à faire bénéficier les magistrats du parquet de garanties constitutionnelles d'indépendance comparables à celles qui sont déjà assurées aux magistrats du siège.

En particulier, la commission de réflexion composée de 21 membres d'origines diverses réunis sous la présidence de M. Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation, et chargée par le Président de la République de réfléchir notamment à l'opportunité et aux moyens d'assurer l'indépendance du parquet à l'égard du pouvoir politique, a formulé des propositions tendant à une extension des pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature et à une ouverture de sa composition à une majorité de non magistrats.

Les propositions de la commission de réflexion sur la justice présidée par M. Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation

La commission de réflexion mise en place à l'initiative de M. Jacques Chirac, président de la République et présidée par M. Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation, s'est prononcée en faveur d'une réforme du CSM fondée sur les principes suivants.

Une extension des pouvoirs du CSM

- En matière de nominations


Il n'est pas apparu opportun à la commission, en l'état, d'étendre les pouvoirs de proposition du CSM à l'égard des nominations des magistrats du siège.

En revanche, la commission a estimé indispensable une réforme du système actuel de nomination des magistrats du parquet pour mettre fin au soupçon que l'intervention du garde des Sceaux dans leur carrière fait peser sur l'impartialité de leurs décisions.

Pour les magistrats du parquet, compte tenu de la spécificité de leurs missions, la commission a majoritairement souhaité que leur nomination requière l' avis conforme du CSM sur les propositions faites par le garde des Sceaux.

Elle n'a pas opté pour un alignement total sur le système de nominations des magistrats du siège, dans la mesure où l'hypothèse d'un pouvoir de proposition attribué au CSM pour certaines nominations de magistrats du parquet lui a semblé comporter " un risque de voir se développer une dynamique conflictuelle ".

Elle n'a pas estimé devoir faire une place à part aux procureurs généraux, souhaitant qu'ils ne soient désormais plus nommés en conseil des ministres.

- En matière disciplinaire

La commission s'est prononcée en faveur d'une assimilation du régime disciplinaire des magistrats du parquet à celui des magistrats du siège, qui conférerait au CSM un pouvoir de décision, et non plus de simple avis, sur les sanctions disciplinaires à l'égard des magistrats du parquet.

- En matière d'avis

La commission a souhaité que soit inscrit dans les textes le droit pour le Président de la République de demander au CSM un avis sur une question touchant au fonctionnement de la justice.

Elle n'a cependant pas estimé souhaitable d'attribuer au CSM une compétence en matière de définition et de contrôle de l'action publique.

Un CSM unique exerçant ses compétences dans le cadre de deux formations respectivement spécifiques au siège et au parquet, ainsi que d'une formation plénière.

La commission a estimé que le CSM devait être unique afin de manifester l'unité de la magistrature mais que, compte tenu des problèmes spécifiques à traiter et des différences de statut, il devait se réunir en trois formations, l'une pour le siège, l'autre pour le parquet, la troisième étant plénière.

Les deux premières formations seraient compétentes, chacune en ce qui la concerne, pour les nominations, la discipline et les demandes d'avis spécifiques.

La formation plénière serait pour sa part compétente pour répondre aux demandes d'avis générales, pour arrêter des règles de fonctionnement communes, pour rédiger le rapport annuel.

Une composition ouverte à une majorité de non magistrats

La commission a estimé que pour éviter les risques de corporatisme, en présence d'un renforcement de l'indépendance des magistrats, ceux-ci devaient être minoritaires au sein du CSM (tout en précisant que le mode de scrutin retenu pour leur désignation devait garantir une représentation aussi large que possible des magistrats).

En conséquence, la commission proposait de retenir la composition suivante :

* 7 personnalités n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire dont :

- 2 désignées par le Président de la République ;

- 2 désignées par le Président de l'Assemblée nationale ;

- 2 désignées par le Président du Sénat ;

- et 1 désignée par l'Assemblée générale du Conseil d'Etat.

* 6 magistrats dans chaque formation : 5 membres de la fonction, siège ou parquet, concernée et 1 de l'autre, comme actuellement (ces magistrats devant représenter les différents grades de la hiérarchie : 1er et 2nd grade, hors hiérarchie, Cour de cassation).

La formation plénière réunirait tous les membres mais les non magistrats y disposeraient chacun d'une nouvelle voix.

Le vice-président serait désigné par le Président de la République parmi les deux personnalités nommées par lui.

Le garde des Sceaux pourrait intervenir au CSM mais n'en serait plus membre.

Enfin, le Président de la République resterait président de droit du CSM mais y siégerait sans voix délibérative. Les formations disciplinaires conserveraient leur président actuel (premier président de la Cour de cassation ou procureur général près cette Cour).

Le projet de loi constitutionnelle, que l'Assemblée nationale a adopté sans aucune modification, s'inspire de ces propositions, sans toutefois les reprendre totalement à son compte.

A. UNE EXTENSION DES COMPÉTENCES DU CSM À L'ÉGARD DES MAGISTRATS DU PARQUET TENDANT À LES FAIRE BÉNÉFICIER DE GARANTIES D'INDÉPENDANCE COMPARABLES À CELLES DES MAGISTRATS DU SIÈGE

Si le projet de loi constitutionnelle laisse inchangées les compétences du Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats du siège, telles qu'elles résultent de la révision constitutionnelle de 1993, il accroît en revanche considérablement ses prérogatives à l'égard des magistrats du parquet.

Vis-à-vis de ces magistrats, le Conseil supérieur de la magistrature deviendrait en effet une instance de décision et non plus une simple instance consultative.

1. L'exigence d'un avis conforme du CSM pour la nomination de tous les magistrats du parquet

Le projet de loi constitutionnelle prévoit de soumettre les nominations des magistrats du parquet à l'avis conforme (et non plus à l'avis simple) du Conseil supérieur de la magistrature.

L'avis conforme serait également requis pour la nomination des procureurs généraux qui échappe actuellement à toute intervention du Conseil supérieur de la magistrature, leurs emplois étant pourvus en conseil des ministres.

Cette exigence d'un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour l'ensemble des nominations des magistrats du parquet tend à assurer leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif, ainsi que l'avait préconisé la commission présidée par M. Pierre Truche. Cependant, le pouvoir de proposition pour ces nominations resterait dans tous les cas la prérogative du garde des Sceaux.

En effet, le projet de loi constitutionnelle n'est pas allé jusqu'à un alignement total des procédures de nominations des magistrats du parquet sur celles en vigueur pour les magistrats du siège, qui aurait abouti à conférer au Conseil supérieur de la magistrature le pouvoir de proposition pour les nominations des plus hauts magistrats du parquet, ainsi que l'avait souhaité le CSM lui-même dans son rapport d'activité pour 1996, de même que l'Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature.

La réforme proposée revêt une grande importance symbolique, puisque le pouvoir exécutif ne pourrait désormais plus nommer un seul magistrat du parquet sans l'accord du Conseil supérieur de la magistrature

Sa portée pratique doit néanmoins être relativisée s'agissant des magistrats du parquet autres que les procureurs généraux, compte tenu de la très faible proportion d'avis non suivis depuis la mise en oeuvre de la réforme de 1993 (soit 0,56 % du total des avis).

Pour les procureurs généraux qui -rappelons-le- sont chargés, aux termes de l'article 35 du code de procédure pénale, " de veiller à l'application de la loi pénale dans toute l'étendue du ressort de la cour d'appel " et ont autorité sur tous les membres du ministère public de ce même ressort, les conséquences de la réforme envisagée seraient, en revanche, d'une toute autre ampleur, puisque leur nomination relevait jusqu'à présent de la seule décision du Conseil des ministres, et donc de l'appréciation discrétionnaire du pouvoir exécutif.

2. Un pouvoir de décision du CSM sur les sanctions disciplinaires prononcées à l'égard des magistrats du parquet

En matière disciplinaire, le projet de loi constitutionnelle prévoit un alignement complet de la situation des magistrats du parquet sur celle des magistrats du siège, conformément aux propositions formulées par la commission présidée par M. Pierre Truche.

Le Conseil supérieur de la magistrature statuerait désormais comme conseil de discipline de l'ensemble des magistrats du siège comme du parquet. Il aurait donc compétence pour prononcer les sanctions disciplinaires à l'égard des magistrats du parquet au lieu de donner un simple avis sur celles-ci comme actuellement.

Là encore, si cette modification est importante sur le plan des principes, la portée pratique de la réforme envisagée doit cependant être relativisée dans la mesure où les avis émis en matière disciplinaire -au demeurant fort peu nombreux- ont toujours été suivis par le garde des Sceaux.

B. UN CSM UNIFIÉ PAR L'INSTITUTION D'UNE FORMATION UNIQUE

" Afin de marquer l'unité du corps judiciaire ", selon l'exposé des motifs, le projet de loi constitutionnelle tend à supprimer la division actuelle du Conseil supérieur de la magistrature en deux formations respectivement compétentes à l'égard des magistrats du siège et des magistrats du parquet, issue de la révision constitutionnelle de 1993, au profit d'une formation désormais unique.

Cette formation unique serait donc compétente à l'égard de l'ensemble des magistrats du siège comme du parquet, en matière de nominations comme en matière disciplinaire.

L'unification ainsi réalisée peut être justifiée par le rapprochement des compétences du Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats du parquet de celles qui existent actuellement à l'égard des magistrats du siège, auquel tend la réforme.

Elle répond aux souhaits exprimés par le CSM lui-même dans ses rapports d'activité et consacre en quelque sorte la pratique de réunion plénière des deux formations qui s'est instaurée dans les faits, contrairement aux voeux du pouvoir constituant.

Pour autant, elle ne va pas sans soulever quelques questions.

Le traitement de l'ensemble des problèmes de nominations comme de discipline des magistrats du siège et du parquet par une formation unique est-il adapté à la spécificité des fonctions respectives de ces deux catégories de magistrats ?

Le Sénat en 1993, mais aussi la commission constituée sous la présidence de M. Pierre Truche en 1997, ont considéré que la spécificité des fonctions du parquet justifiait que les questions le concernant soient traitées au sein d'une formation dont la composition serait adaptée à cette spécificité.

Ainsi qu'a pu le constater votre rapporteur au cours d'un déplacement récent effectué en compagnie de M. Michel Dreyfus-Schmidt, au nom de la commission des Lois, dans la perspective de l'examen du présent projet de loi 6( * ) , il est d'ailleurs frappant de constater qu'en Italie, où le Conseil supérieur de la magistrature est organisé en une formation unifiée, un important débat a été engagé autour d'un projet de réforme constitutionnelle tendant à diviser cette institution en deux formations respectivement compétentes à l'égard des magistrats du siège et à l'égard des magistrats du parquet.

En outre, sur un plan pratique, si une formation unique reçoit compétence pour traiter l'ensemble des problèmes de nominations, comme des questions disciplinaires, ne risque-t-on pas de se heurter à des difficultés matérielles d'organisation des travaux, eu égard à l'augmentation proposée du nombre des membres ?

C. UNE COMPOSITION ÉLARGIE À UNE MAJORITÉ DE MEMBRES N'APPARTENANT PAS À LA MAGISTRATURE

" Afin de permettre une approche plus ouverte de la gestion du corps judiciaire ", selon l'exposé des motifs, le projet de loi constitutionnelle prévoit que le Conseil supérieur de la magistrature comporte désormais une majorité de membres n'ayant pas qualité de magistrat, au sein d'une formation unique dont le nombre total de membres serait porté à 23 (contre 12 dans chaque formation actuellement).

1. Une nécessaire ouverture

L'ouverture ainsi réalisée à travers cet élargissement de la composition du Conseil supérieur de la magistrature apparaît comme la nécessaire contrepartie du renforcement proposé de ses pouvoirs.

En effet, le renforcement des garanties d'indépendance des magistrats comporterait des risques de dérives corporatistes si les magistrats demeuraient majoritaires au sein d'un Conseil supérieur de la magistrature aux pouvoirs accrus, ainsi que le montre l'exemple italien.

En effet, dans ce pays, le Conseil supérieur de la magistrature, doté de prérogatives particulièrement étendues et composé d'une forte majorité de magistrats, apparaît à bien des égards comme une instance d'" autogouvernement des juges " 7( * ) .

Or, ainsi que l'a fait observer M. René Rémond devant la commission des Lois de l'Assemblée nationale, la justice n'appartient pas plus aux magistrats que la santé aux médecins ou l'enseignement aux professeurs.

Une justice indépendante ne saurait donc être gérée par les seuls magistrats.

2. La nouvelle composition proposée

Le projet de loi constitutionnelle prévoit donc, dans cet esprit, une nouvelle composition du Conseil supérieur de la magistrature faisant place à un accroissement substantiel du nombre de personnalités n'appartenant ni à l'ordre judiciaire, ni au Parlement, qui passerait de trois à dix, la présence d'un conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat étant en outre maintenue.

A ces personnalités extérieures à la magistrature s'ajouteraient dix magistrats du siège et du parquet élus (à comparer aux six magistrats actuellement présents dans chacune des deux formations).

La présidence et la vice-présidence du Conseil supérieur de la magistrature resteraient attribuées de droit au Président de la République et au garde des Sceaux, ce dernier pouvait suppléer le Président de la République, comme actuellement 8( * ) .

Les dix personnalités n'appartenant ni à l'ordre judiciaire ni au Parlement seraient désignées de la manière suivante : le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat et le Président du Conseil économique et social désigneraient chacun deux personnalités tandis que le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes désigneraient conjointement les deux dernières personnalités.

Le nombre de personnalités respectivement désignées par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat serait donc porté de une à deux chacun.

L'intervention du Président du Conseil économique et social, également pour la désignation de deux personnalités, constituerait en revanche une innovation. Elle ne paraît pas revêtir la même légitimité que celle du Président de la République et des présidents des deux assemblées qui sont tous trois issus du suffrage universel et participent donc à l'exercice de la souveraineté nationale.

La désignation de deux autres personnalités par un choix conjoint du vice-président du Conseil d'Etat, du premier président de la Cour de cassation et du premier président de la Cour des comptes constituerait également une innovation originale.

Quant aux dix magistrats du siège et du parquet élus , ils devraient se partager, selon l'avant-projet de loi organique communiqué à votre commission, en six magistrats du siège et quatre magistrats du parquet. L'institution d'une formation unique aurait en effet comme conséquence indirecte une moindre représentation des magistrats du parquet qui sont démographiquement moins nombreux, alors que le système actuel des deux formations permet une représentation comparable du siège et du parquet (qui ont chacun six représentants en tout). Dans ces conditions, les différentes catégories hiérarchiques de magistrats du parquet pourraient-elles être représentées au sein de cette formation unique du Conseil supérieur de la magistrature ?

III. VOTRE COMMISSION DES LOIS APPROUVE CETTE NOUVELLE RÉFORME DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE MAIS PROPOSE D'APPORTER PLUSIEURS AMÉNAGEMENTS AU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Votre commission tient tout d'abord à souligner que cette nouvelle réforme du Conseil supérieur de la magistrature n'est sans doute pas la réforme la plus urgente à mener à bien en matière judiciaire.

En effet, la préoccupation essentielle des Français dans ce domaine tient d'abord à la lenteur et à l'engorgement de la justice quotidienne confrontée à un manque chronique de moyens, bien plus qu'à une éventuelle réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Ainsi que l'avait souligné votre commission dans le cadre de la mission d'information sur les moyens de la justice qu'elle avait constituée en 1996 sous la présidence de votre rapporteur, les réformes les plus prioritaires sont donc aujourd'hui celles qui concernent l'amélioration du fonctionnement de la justice au quotidien.

Votre commission approuve cependant les principaux objectifs poursuivis par le présent projet de loi constitutionnelle, à savoir l'extension des compétences du Conseil supérieur de la magistrature et l'ouverture de sa composition à une majorité de personnalités extérieures à la magistrature.

Elle vous propose néanmoins d'y apporter quelques aménagements et compléments.

Si elle est favorable à l'accroissement des prérogatives du Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats du parquet, elle considère en revanche nécessaire le maintien de deux formations spécifiques respectivement compétentes à l'égard des magistrats du siège et des magistrats du parquet, en raison de la profonde différence de nature de leurs fonctions. Elle a par ailleurs jugé opportun de modifier les modalités prévues pour la désignation des membres du Conseil supérieur de la magistrature n'appartenant pas à la magistrature.

A. LA COMMISSION APPROUVE L'EXTENSION DES COMPÉTENCES DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE MAIS SOUHAITE ENCADRER LA PRATIQUE DES AVIS

En ce qui concerne les nominations , la commission se montre favorable à ce que soit désormais exigé un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour les nominations des magistrats du parquet actuellement soumises à un simple avis.

Elle approuve également le transfert au CSM du pouvoir de prononcer les sanctions disciplinaires à l'encontre des magistrats du parquet, actuellement détenu par le garde des sceaux après un avis simple du Conseil.

En dehors des nominations, la commission souhaite cependant encadrer la compétence du Conseil supérieur de la magistrature en matière d' avis .

Elle considère en effet que la pratique d'autosaisine qui s'est instaurée, le Conseil supérieur de la magistrature ayant émis, de sa propre initiative, des avis sur des questions relatives au statut des magistrats du parquet, excède ses compétences telles qu'elles étaient explicitement prévues par l'article 65 de la Constitution et pourrait le conduire à jouer un rôle qui n'est pas le sien. Il paraît indispensable de bien définir les missions du CSM afin d'éviter toute possibilité de confusion sur son rôle véritable.

Afin d'éviter de tels risques de dérive, la possibilité pour le Conseil supérieur de la magistrature d'émettre des avis devrait être subordonnée à la seule demande du Président de la République agissant là dans le rôle de garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire que lui confie l'article 64 de la Constitution ; ces avis ne devraient porter que sur des questions générales intéressant le statut des magistrats, et non sur des affaires particulières, de manière à éviter toute interférence avec les compétences disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature.

Aussi la commission a-t-elle souhaité préciser dans le texte même de l'article 65 de la Constitution que le CSM se réunirait en formation plénière pour répondre aux demandes d'avis formulées par le Président de la République.

Enfin, votre commission vous propose de prendre en compte une suggestion formulée par notre excellent collègue Daniel Millaud dans une proposition de loi constitutionnelle concernant les modalités de nomination des présidents de certaines juridictions d'outre-mer en réparant une omission actuelle de la rédaction de l'article 65 de la Constitution de manière à aligner les modalités de nominations des présidents des tribunaux de première instance et des tribunaux supérieurs d'appel sur celles de leurs collègues qui président les juridictions équivalentes en métropole.

Par ailleurs, la commission estime que le renforcement des garanties d'indépendance assurées aux magistrats doit s'accompagner d'une réaffirmation solennelle des exigences déontologiques qui s'imposent à eux. Le respect par les magistrats du devoir de réserve lui paraît à cet égard tout à fait fondamental.

C'est pourquoi elle souhaite qu'une réflexion soit engagée en vue d'une modification de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature afin de faire apparaître explicitement dans le statut que le manquement par un magistrat au devoir de réserve constitue une faute disciplinaire.

B. TOUT EN AFFIRMANT L'UNICITÉ DE LA MAGISTRATURE À TRAVERS L'INSTITUTION D'UNE FORMATION PLÉNIÈRE DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE, LA COMMISSION JUGE NÉCESSAIRE DE MAINTENIR EN SON SEIN DEUX FORMATIONS SPÉCIALISÉES RESPECTIVEMENT COMPÉTENTES À L'ÉGARD DES MAGISTRATS DU SIÈGE ET DU PARQUET

Si le principe de l'unité de la magistrature doit être réaffirmé pour bien marquer l'égale dignité des fonctions de magistrat du siège et du parquet, il ne doit pas pour autant entraîner de confusion entre ces fonctions.

Les métiers exercés par ces deux catégories de magistrats sont profondément différents : les uns jugent tandis que les autres poursuivent et requièrent au nom de la société.

Même si la réforme engagée tend à rapprocher le rôle du Conseil supérieur de la magistrature à leur égard, leurs statuts resteront en tout état de cause marqués par des différences substantielles, puisque le ministère public continuera de se distinguer par l'absence d'inamovibilité rendant possibles les mutations dans l'intérêt du service et par l'organisation hiérarchique sous l'autorité du garde des Sceaux, des disparités subsistant également dans les modes de nominations.

Or, faute d'être marquée symboliquement au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, cette profonde différence de nature des fonctions exercées qui distingue le siège du parquet tendrait à s'estomper pour faire place à une regrettable confusion, au risque de mettre en cause le principe fondamental qui est celui de l'indépendance du juge par rapport au ministère public.

C'est pourquoi votre commission estime nécessaire de maintenir au sein du Conseil supérieur de la magistrature deux formations distinctes exerçant séparément les compétences relatives à la carrière et à la discipline, d'une part, des magistrats du siège et, d'autre part, des magistrats du parquet.

De plus, seules deux formations distinctes permettent d'assurer une représentation des magistrats adaptée à la nature des fonctions concernées comme actuellement, et en même temps d'éviter que la représentation du parquet se trouve excessivement réduite.

Aussi, s'inscrivant dans la continuité des positions prises par le Sénat en 1993, votre commission des Lois vous propose-t-elle, tout en consacrant l'unité du corps des magistrats et du Conseil supérieur de la magistrature par l'institution d'une formation plénière à laquelle serait conférée la compétence d'émettre des avis à la demande du Président de la République, de maintenir en son sein deux formations distinctes respectivement compétentes à l'égard des magistrats du siège et des magistrats du parquet, dont la composition serait adaptée à la spécificité des questions traitées.

Selon l'amendement adopté par votre commission des Lois, le Conseil supérieur de la magistrature comprendrait en formation plénière, outre le Président de la République et le Garde des Sceaux, dix magistrats élus (dont cinq magistrats du siège et cinq magistrats du parquet), un conseiller d'Etat et dix personnalités extérieures à la magistrature, comme dans le projet de loi constitutionnelle (soit 23 membres au total).

Afin de respecter le même équilibre entre magistrats et non magistrats à l'intérieur des formations spécialisées, celles-ci seraient composées, outre le Président de la République et le Garde des Sceaux, de six magistrats (dont cinq représentants de la fonction concernée et un de l'autre, comme actuellement), du conseiller d'Etat et de six des dix personnalités extérieures (soit 15 membres au total).

Cette composition permettrait d'avoir dans chaque formation une majorité de non-magistrats, tout en évitant d'accroître excessivement le nombre des membres de manière à conserver des structures de travail opérationnelles.

C. LA COMMISSION APPROUVE L'OUVERTURE DE LA COMPOSITION DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE À UNE MAJORITÉ DE PERSONNALITÉS EXTÉRIEURES À LA MAGISTRATURE, SOUS RÉSERVE D'UNE MODIFICATION DE CERTAINES MODALITÉS DE DÉSIGNATION DE CES PERSONNALITÉS

Votre commission est favorable à l'ouverture de la composition du Conseil supérieur de la magistrature à une majorité de non magistrats qui apparaît comme une nécessaire contrepartie de l'accroissement de ses pouvoirs pour écarter tout risque de dérive corporatiste ; elle a donc tenu à assurer cette majorité au sein de chacune des formations du CSM.

Au vu de la composition envisagée par le projet de loi constitutionnelle, elle s'est cependant interrogée sur l'opportunité de la désignation des deux membres par le Président du Conseil économique et social, qui ne bénéficie pas de la même légitimité que le Président de la République et les présidents des assemblées parlementaires, et qui préside un organisme dont les compétences n'ont pas de rapport direct avec la magistrature.

En revanche, il lui est apparu plus opportun d'accroître le nombre de membres désignés conjointement par les trois présidents des plus hautes juridictions françaises, à savoir le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des Comptes.

Aussi vous propose-t-elle de répartir comme suit la désignation des personnalités extérieures :

- le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat désigneraient chacun deux personnalités ;

- le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes désigneraient conjointement quatre personnalités.

Six personnalités seraient ainsi désignées par des autorités issues du suffrage universel et quatre par des autorités juridictionnelles, ce qui représenterait, aux yeux de la commission, un équilibre satisfaisant.

La rédaction actuelle de l'article 65 de la Constitution, comme celle du projet de loi constitutionnelle, prévoit que ne peuvent être désignées que des personnalités n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire.

Votre commission des Lois a souhaité préciser que ne pourraient pas non plus être désignés des conseillers d'Etat ou des magistrats administratifs, en mentionnant des " personnalités n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire ni à l'ordre administratif ". Ne pourront ainsi être désignées des personnalités issues des juridictions judiciaires, financières ou administratives.

Enfin, votre commission vous propose d'insérer un article additionnel dans le projet de loi constitutionnelle afin de réparer une omission de la rédaction actuelle de l'article 19 de la Constitution de façon à faire figurer explicitement la désignation de membres du Conseil supérieur de la magistrature parmi les actes que le Président de la République exerce sans contreseing.

Elle a également prévu l'insertion dans le corps même de la Constitution de la disposition transitoire figurant à l'article 2.

*

* *

Composition du Conseil supérieur de la magistrature

 

Constitution de 1946

14 membres

Constitution de 1958

11 membres


Révision constitutionnelle de 1993


2 formations de 12 membres

Projet de loi constitutionnelle

23 membres

Propositions de la commission des Lois

23 membres

(2 formations de 15 membres)

Président

Président de la République

Président de la République

Président de la République

Président de la République

Président de la République

Vice-Président

Garde des Sceaux

Garde des Sceaux

Garde des Sceaux

Garde des Sceaux

Garde des Sceaux

Membres

 

9 membres désignés par le Président de la République (répartis comme suit par la loi organique)

1 formation pour le siège
(12 membres)

1 formation pour le parquet
(12 membres)

 

1 formation pour le siège
(15 membres)

1 formation pour le parquet
(15 membres)

Personnalités extérieures à la magistrature( et au Parlement)

- 2 membres désignés par le Président de la République au sein des professions judiciaires

- 6 membres élus par l'Assemblée nationale à la majorité des deux-tiers

(2 personnalités n'appartenant pas à la magistrature)

- 1 membre désigné par le Président de la République

- 1 membre désigné par le président de l'Assemblée nationale

- 1 membre désigné par le président du Sénat

- 2 membres désignés par le Président de la République

- 2 membres désignés par le président de l'Assemblée nationale

- 2 membres désignés par le président du Sénat

- 2 membres désignés par le président du Conseil économique et social

- 2 membres désignés conjointement par le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes

- 2 membres désignés par le Président de la République

- 2 membres désignés par le Président de l'Assemblée nationale

- 2 membres désignés par le Président du Sénat

- 4 membres désignés conjointement par le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président

de la Cour des comptes

(6 personnalités dans chaque formation)

Magistrat s

- 4 magistrats élus

(6 magistrats choisis sur une liste établie par le Bureau de la Cour de cassation)

- 5 magistrats du siège et 1 du parquet dans la formation compétente à l'égard des magistrats du siège

- 5 magistrats du parquet et 1 du siège dans la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet

- 10 magistrats du siège et du parquet élus

- 5 magistrats du siège et 5 magistrats du parquet élus

(soit, 5 magistrats du siège et 1 du parquet dans la formation du siège et 5 magistrats du parquet et 1 du siège dans la formation du parquet)

Représentant du Conseil d'Etat

 

(1 conseiller d'Etat choisi sur une liste établie par l'assemblée générale du Conseil d'Etat)

- 1 conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat

- 1 conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat

- 1 conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat

Attributions du Conseil supérieur de la magistrature

 

Constitution
de 1946

Constitution
de 1958

Révision constitutionnelle
de 1993

Projet de loi
constitutionnelle

Propositions de la commission des Lois

Nomination

- des magistrats du siège

nomination par le Président de la République "sur présentation du CSM "

propositions du CSM pour la nomination des magistrats du siège à la Cour de cassation et des premiers présidents des cours d'appel

avis du CSM sur les propositions du ministre de la Justice relatives aux nominations des autres magistrats du siège

propositions de la formation compétente du CSM pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, des premiers présidents des cours d'appel et des présidents des tribunaux de grande instance

avis conforme de la formation compétente du CSM pour les nominations des autres magistrats du siège

propositions du CSM pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, des premiers présidents de cours d'appel et des présidents des tribunaux de grande instance

avis conforme du CSM pour les nominations des autres magistrats du siège

propositions de la formation compétente du CSM pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, des premiers présidents des cours d'appel et des présidents des tribunaux de grande instance, des tribunaux supérieurs d'appel et des tribunaux de première instance

avis conforme de la formation compétente du CSM pour les nominations des autres magistrats du siège

- des magistrats du parquet

 
 

avis de la formation compétente du CSM pour les nominations des magistrats du parquet, à l'exception des emplois auxquels il est pourvu en conseil des ministres (procureurs généraux)

avis conforme du CSM pour les nominations de tous les magistrats du parquet

avis conforme de la formation compétente du CSM pour les nominations de tous les magistrats du parquet

Discipline

- des magistrats du siège

Le CSM " assure " la discipline des magistrats du siège

Le CSM statue comme conseil de discipline des magistrats du siège (sous la présidence du premier président de la Cour de cassation)

La formation compétente du CSM statue comme conseil de discipline des magistrats du siège (sous la présidence du premier président de la Cour de cassation)

Le CSM statue comme conseil de discipline des magistrats du siège (sous la présidence du premier président de la Cour de cassation)

La formation compétente du CSM statue comme conseil de discipline des magistrats du siège (sous la présidence du premier président de la Cour de cassation)

- des magistrats du parquet

 
 

La formation compétente du CSM donne son avis sur les sanctions disciplinaires concernant les magistrats du parquet (sous la présidence du procureur général près la Cour de cassation)

Le CSM statue comme conseil de discipline des magistrats du parquet (sous la présidence du procureur général près la Cour de cassation)

La formation compétente du CSM statue comme conseil de discipline des magistrats du parquet (sous la présidence du procureur général près la Cour de cassation)

Avis

sur le statut des magistrats

 
 
 
 

Réunion du CSM en formation plénière pour répondre aux demandes d'avis du Président de la République

EXAMEN DES ARTICLES

Article additionnel avant l'article 1er
(art. 19 de la Constitution)
Nomination des membres du Conseil supérieur de la magistrature
par le Président de la République sans contreseing

Avant l'article 1er, votre commission vous propose d'insérer un article additionnel destiné à réparer une omission dans la rédaction de l'article 19 de la Constitution.

Cet article énumère les articles de la Constitution relatifs aux actes que le Président de la République peut accomplir sans le contreseing du Premier ministre et, le cas échéant, des ministres responsables.

Alors que figure dans cette énumération la référence à l'article 56 relatif à la nomination des membres du Conseil constitutionnel, n'y figure pas, en revanche, la référence à l'article 65 pour la nomination des membres du Conseil supérieur de la magistrature.

Or, à l'évidence, la désignation de membres du Conseil supérieur de la magistrature, comme de membres du Conseil constitutionnel, constitue un pouvoir propre du Président de la République qui doit s'exercer sans exigence de contreseing.

Il apparaît donc opportun de compléter l'énumération des actes que le Président de la République peut accomplir sans contreseing par une référence à l'article 65 de la Constitution.

Votre commission vous propose d'adopter un amendement tendant à modifier en ce sens l'article 19 de la Constitution.

Article premier
(art. 65 de la Constitution)
Composition et attributions
du Conseil supérieur de la magistrature

Cet article, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, tend à une nouvelle rédaction de l'article 65 de la Constitution, relatif à la composition et aux attributions du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), dont le texte actuel est issu de la loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993.

I. La composition du Conseil supérieur de la magistrature

Le projet de loi constitutionnelle prévoit tout d'abord une profonde modification des dispositions de l'article 65 de la Constitution relatives à la composition du Conseil supérieur de la magistrature : celui-ci comprendrait désormais une formation unique (et non plus deux formations respectivement compétente à l'égard des magistrats du siège et des magistrats du parquet) qui serait majoritairement composée de personnalités extérieures à l'ordre judiciaire (et non plus de magistrats), le nombre total des membres étant sensiblement accru.

Seul le premier alinéa de l'article 65, relatif à la présidence et à la vice-présidence du Conseil supérieur de la magistrature, subsisterait dans sa rédaction actuelle, issue de la Constitution de 1958 qui n'avait pas été modifiée sur ce point en 1993 ; la présidence et la vice-présidence du Conseil supérieur de la magistrature resterait donc attribuées de droit au Président de la République et au ministre de la justice, ce dernier pouvant suppléer le Président de la République.

A. La situation actuelle : deux formations distinctes composées en majorité de magistrats

Selon la rédaction actuelle de l'article 65 de la Constitution, issue de la révision constitutionnelle de 1993, le Conseil supérieur de la magistrature comprend deux formations, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège et l'autre compétente à l'égard des magistrats du parquet.

Cette disposition résulte d'une initiative du Sénat qui, en 1993, avait souhaité étendre aux magistrats du parquet les compétences du Conseil supérieur de la magistrature, à titre consultatif, mais avait jugé nécessaire, compte tenu de la différence de nature des fonctions exercées par les magistrats du siège et par les magistrats du parquet, de prévoir deux formations distinctes en adaptant leur composition à la nature des fonctions concernées.

Outre le Président de la République et le garde des Sceaux, les deux formations actuelles comprennent chacune dix membres dont six magistrats.

Seuls les quatre membres qui ne sont pas magistrats appartiennent à la fois aux deux formations. Il s'agit, d'une part, de trois personnalités extérieures à la magistrature et au Parlement désignées respectivement par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat et, d'autre part, d'un conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat.

Hormis ces quatre membres, la formation compétente à l'égard des magistrats du siège comprend cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, tandis que la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet comprend cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège.

Ces magistrats sont élus par leurs pairs dans les conditions fixées par la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature.

Les sièges réservés aux magistrats sont répartis, de la manière suivante, entre les différentes catégories hiérarchiques de magistrats :

- pour la formation compétente à l'égard des magistrats du siège :

* 1 magistrat du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation élu par l'assemblée des magistrats du siège hors hiérarchie de ladite cour ;

* 1 premier président de cour d'appel élu par l'assemblée des premiers présidents de cour d'appel ;

* 1 président de tribunal de grande instance élu par l'assemblée des présidents de tribunal de grande instance, de première instance ou de tribunal supérieur d'appel ;

* 2 magistrats du siège et 1 magistrat du parquet " de base " des cours et tribunaux ;

- pour la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet :

* 1 magistrat du parquet hors hiérarchie à la Cour de cassation élu par les magistrats du parquet hors hiérarchie de ladite cour ;

* 1 procureur général près une cour d'appel élu par l'assemblée des procureurs généraux près les cours d'appel ;

* 1 procureur de la République près un tribunal de grande instance élu par l'assemblée des procureurs de la République ;

* 2 magistrats du parquet et 1 magistrat du siège " de base " des cours et tribunaux.

L'élection des représentants des magistrats " de base " a lieu au scrutin uninominal à un tour, à deux degrés :

- les magistrats -autres que les magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation et les chefs des cours d'appel et des tribunaux de grande instance- élisent deux collèges, l'un composé de membres du siège et l'autre composé de membres du parquet ;

- les magistrats composant ces deux collèges élisent ensuite en leur sein les magistrats appelés à siéger au Conseil supérieur de la magistrature.

Quant au représentant du Conseil d'Etat, il est élu par l'assemblée générale du Conseil d'Etat.

*

Bien que la réunion du Conseil supérieur de la magistrature en formation plénière n'ait été prévue par aucun texte, une pratique de réunion plénière des deux formations du siège et du parquet s'est instaurée dans les faits.

Ces deux formations se réunissent ainsi une fois par mois afin, selon les rapports d'activité du CSM, d'assurer la cohérence des procédures et l'harmonisation des positions de chaque formation.

Le projet de loi constitutionnelle consacre en quelque sorte le développement de cette pratique puisqu'il tend à supprimer la division actuelle en deux formations au profit d'une formation unique.

B. Le projet de loi constitutionnelle : une formation unique composée en majorité de membres extérieurs à la magistrature

1. L'institution d'une formation unique


" Afin de marquer l'unité du corps judiciaire ", selon les termes de l'exposé des motifs, le projet de loi constitutionnelle tend à instituer une formation unique du Conseil supérieur de la magistrature dont le nombre des membres serait porté à 23 (y compris le Président de la République et le Garde des Sceaux).

2. Une majorité de membres n'appartenant pas au corps judiciaire

Dans le souci d'" une approche plus ouverte de la gestion du corps judiciaire ", toujours selon les termes de l'exposé des motifs, le projet de loi constitutionnelle prévoit au sein de cette formation unique, une majorité de membres n'appartenant pas au corps judiciaire.

Outre le conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat, dont la présence serait maintenue, le nombre de personnalités n'appartenant ni à l'ordre judiciaire ni au Parlement serait ainsi fortement accru, passant de trois à dix dont :

* 2 membres désignés par le Président de la République ;

* 2 membres désignés par le Président de l'Assemblée nationale ;

* 2 membres désignés par le Président du Sénat ;

* 2 membres désignés par le Président du Conseil économique et social " en-dehors de celui-ci " ;

* 2 membres désignés " conjointement " par le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes.

Le nombre de personnalités désignées par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat serait donc porté de un à deux chacun.

La désignation de membres par le Président du Conseil économique et social, d'une part, et par le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes, d'autre part, constitue en revanche une innovation.

La formation désormais unique du Conseil supérieur de la magistrature comprendrait également " dix magistrats du siège et du parquet élus ".

A la différence du texte actuel, le principe de l'élection des représentants des magistrats serait désormais inscrit dans le texte de la Constitution lui-même.

Selon l'avant-projet de loi organique communiqué à votre commission, feraient ainsi partie du Conseil supérieur de la magistrature six magistrats du siège et quatre magistrats du parquet répartis ainsi qu'il suit entre les différentes catégories hiérarchiques de magistrats :

- 1 magistrat du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation élu par l'assemblée des magistrats du siège hors hiérarchie de ladite Cour ;

- 1 magistrat du parquet hors hiérarchie de la Cour de cassation élu par l'assemblée des magistrats du parquet hors hiérarchie de ladite Cour ;

- 1 premier président de cour d'appel élu par les premiers présidents de cours d'appel ;

- 1 procureur général près une cour d'appel élu par les procureurs généraux près lesdites cours ;

- 2 magistrats du siège et 1 magistrat du parquet des cours et tribunaux placés hors hiérarchie ou appartenant au premier grade ;

- 2 magistrats du siège et 1 magistrat du parquet des cours et tribunaux appartenant au second grade.

Pour la désignation de ces magistrats du premier et second grade, au système actuel d'élection au suffrage indirect et au scrutin majoritaire serait substituée une élection au suffrage direct et au scrutin de liste, à la représentation proportionnelle au plus fort reste, par l'ensemble des magistrats autres que les magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation et les chefs de cours d'appel, chaque liste de candidats devant comprendre au moins un président de tribunal de grande instance et un procureur de la République.

Cette modification semble destinée à assurer une représentation plus équilibrée des différentes organisations représentatives de magistrats au sein du Conseil supérieur de la magistrature, le scrutin majoritaire actuel entraînant une sur-représentation du syndicat majoritaire (à savoir l'Union syndicale des magistrats, USM).

En rendant impossible les candidatures individuelles, le choix de la représentation proportionnelle risque cependant d'aboutir à un monopole des organisations syndicales de magistrats pour la présentation des candidats, avec pour conséquence un regrettable renforcement de l'étiquetage syndical, et donc de la coloration politique des membres du Conseil supérieur de la magistrature.

Par ailleurs, par rapport au système actuel, l'institution d'une formation unique aurait pour conséquence une moindre représentation du parquet , le nombre de magistrats du parquet membres du Conseil supérieur de la magistrature étant réduit à quatre contre six au total aujourd'hui (à savoir cinq au sein de la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet et un au sein de la formation compétente à l'égard des magistrats du siège). Quatre seulement sur un ensemble de 23 membres.

C. Les propositions de votre commission des Lois : une formation plénière regroupant deux formations spécifiques

Tout en approuvant la volonté d'affirmer l'unicité de la magistrature par la consécration d'une formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature, votre commission des Lois a jugé nécessaire de maintenir en son sein des formations distinctes adaptées à la spécificité des questions à traiter.

S'agissant des modalités de la désignation des personnalités extérieures à la magistrature, elle a en outre souhaité supprimer la désignation de deux membres par le Président du Conseil économique et social au bénéfice de l'accroissement à quatre du nombre des membres désignés conjointement par les présidents des trois plus hautes juridictions françaises.

1. Le maintien au sein d'une formation plénière de deux formations spécifiques respectivement compétentes à l'égard des magistrats du siège et des magistrats du parquet

Votre commission approuve la volonté de consacrer l'unité de la magistrature par l'institution d'une formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature.

Elle estime néanmoins que la différence de nature entre les magistrats du siège et les magistrats du parquet rend nécessaire le maintien de deux formations distinctes pour l'exercice des compétences du Conseil supérieur de la magistrature en matière de nominations et en matière disciplinaire.

En effet, les métiers de magistrats du siège et de magistrats du parquet sont profondément différents et le resteront à l'issue de la réforme : les uns jugent, les autres exercent l'action publique et requièrent à l'audience. De plus, le statut des magistrats du parquet est et restera à bien des égards différent de celui des magistrats du siège, dont il se distingue notamment par l'absence d'inamovibilité et le lien hiérarchique avec le garde des Sceaux résultant de l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Or, ce n'est que dans le cadre de deux formations distinctes que l'on peut assurer une représentation des magistrats adaptée à la nature des fonctions concernées, comme tel est le cas actuellement.

La formation plénière recevrait pour sa part une compétence pour émettre des avis sur des questions générales intéressant le statut de la magistrature, compétence qui serait désormais précisément encadrée comme on le verra plus loin.

Sur la base de ces orientations, le Conseil supérieur de la magistrature pourrait comprendre trois formations : une formation compétente à l'égard des magistrats du siège, une formation compétente à l'égard des magistrats du parquet et une formation plénière réunissant ces deux formations.

Le CSM comprendrait, en formation plénière, outre le Président de la République et le garde des sceaux, dix magistrats élus (dont 5 magistrats du siège et 5 magistrats du parquet), un conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat et dix personnalités extérieures à la magistrature, soit 23 membres au total comme dans le projet de loi constitutionnelle.

- La formation compétente à l'égard des magistrats du siège comprendrait, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet (comme actuellement) ainsi que la conseiller d'Etat et six des dix personnalités extérieures, soit 15 membres.

- La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet comprendrait, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège (comme actuellement) ainsi que le conseiller d'Etat et six des dix personnalités extérieures, soit 15 membres.

Cette composition présenterait l'avantage de réduire de 23 à 15 le nombre des membres dans les formations spécialisées, ce qui permettrait de constituer des structures de travail plus opérationnelles.

Le parquet serait en outre mieux représenté puisqu'il aurait 5 membres sur 15 au sein de sa formation, au lieu de 4 sur 23 comme le propose le projet de loi constitutionnelle .

2. Une modification des modalités de désignation des personnalités extérieures à la magistrature

Votre commission approuve l'ouverture du Conseil supérieur de la magistrature à une majorité de personnalités extérieures à la magistrature et tient à ce que celles-ci soient effectivement majoritaires au sein des deux formations spécialisées comme au sein de la formation plénière.

Cependant, elle s'interroge sur la désignation de membres du Conseil supérieur de la magistrature par le Président du Conseil économique et social.

Elle constate en effet que les compétences du Conseil économique et social n'ont pas de relation directe avec la magistrature et que son président ne bénéficie pas de la même légitimité que le Président de la République et les présidents des assemblées parlementaires élus au suffrage universel.

Elle estime préférable d'accroître le nombre de membres désignés conjointement par les présidents des trois plus hautes juridictions françaises en raison de leur rôle éminent dans notre organisation juridictionnelle et dans le souci d'établir un certain équilibre entre les membres désignés par des autorités issues du suffrage universel et ceux désignés par des autorités juridictionnelles.

Elle considère néanmoins que les personnalités ainsi désignées ne doivent en aucun cas être des magistrats, qu'il s'agisse de magistrats administratifs, financiers ou judiciaires.

Ces orientations conduisent votre commission des Lois à vous proposer de désigner comme suit les dix personnalités n'appartenant ni à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif, ni au Parlement qui sont appelées à faire partie du Conseil supérieur de la magistrature :

- le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat désigneraient chacun deux personnalités, comme dans le projet de loi constitutionnelle ;

- le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président près de la Cour de cassation et le premier président près la Cour des comptes désigneraient conjointement quatre personnalités.

II. Les attributions du Conseil supérieur de la magistrature

Si le projet de loi constitutionnelle n'apporte pas de modification aux prérogatives actuelles du Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des magistrats du siège, telles qu'elles résultent de la réforme constitutionnelle de 1993, il tend en revanche à renforcer considérablement son rôle à l'égard des magistrats du parquet, tant en matière de nominations qu'en matière disciplinaire.

Aucun magistrat du parquet ne pourrait désormais être nommé sans l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Celui-ci ne se verrait toutefois pas confier à l'égard des nominations des hauts magistrats du parquet un pouvoir de proposition analogue à celui qu'il exerce pour les nominations des plus hauts magistrats du siège.

En revanche, l'alignement entre le parquet et le siège serait total en matière disciplinaire, le Conseil supérieur de la magistrature statuant désormais comme conseil de discipline de l'ensemble des magistrats.

A. Les nominations de magistrats

1. Les nominations des magistrats du siège : le maintien par le projet de loi constitutionnelle des compétences actuelles du CSM


Sous réserve de la suppression de la formation compétente à l'égard des magistrats du siège au profit d'une formation unique, le projet de loi constitutionnelle laisse inchangées les prérogatives actuelles du Conseil supérieur de la magistrature à l'égard des nominations des magistrats du siège.

Ces nominations relèvent de deux régimes distincts selon les magistrats concernés.

Les magistrats du siège à la Cour de cassation (au nombre de 135), les premiers présidents de cours d'appel (au nombre de 35) et, depuis la réforme de 1993, les présidents des tribunaux de grande instance (au nombre de 181) sont nommés sur les propositions du Conseil supérieur de la magistrature.

Dans la pratique, pour la nomination à ces plus hauts postes de magistrats du siège, c'est donc la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature qui, après examen des dossiers et entretien avec les candidats, opère un choix entre les candidatures dont elle est saisie, afin d'arrêter, sur le rapport de l'un de ses membres, la proposition soumise au Président de la République qui prend ensuite la décision de nomination au cours d'une séance tenue sous sa présidence et en présence du garde des Sceaux, au Palais de l'Elysée.

Les autres magistrats du siège sont nommés sur l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature depuis la réforme de 1993. Celle-ci a en effet consacré l'usage établi antérieurement, suivant lequel le garde des Sceaux ne passait pas outre un avis défavorable émis par le Conseil supérieur de la magistrature sur la nomination d'un magistrat du siège.

Pour toutes ces nominations, l'avis de la formation compétente est donné sur la proposition du ministre de la justice qui est transmise au Conseil supérieur de la magistrature avec la liste des candidats pour chacun des postes concernés.

Après examen des dossiers par un rapporteur, la formation compétente arrête un avis qui est ensuite présenté au cours d'une séance tenue sous la présidence du garde des Sceaux, au siège du Conseil, palais de l'Alma.

Les propositions ayant fait l'objet d'un avis favorable sont ensuite transmises au Président de la République en vue de la signature du décret de nomination.

Les statistiques établies par le Conseil supérieur de la magistrature font apparaître un très faible pourcentage d'avis défavorables, de 1,75 % seulement entre le 1er juin 1994 et le 31 mars 1998, soit 63 avis défavorables sur 3 714 avis rendus au cours de cette période.

2. Les nominations des magistrats du parquet : le renforcement des compétences du CSM par le projet de loi constitutionnelle prévoyant l'exigence d'un avis conforme

Le Conseil supérieur de la magistrature n'intervient pour les nominations des magistrats du parquet que depuis la réforme de 1993 et seulement à titre consultatif.

Les magistrats du parquet sont nommés après un avis simple de la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet, qui ne lie pas le Garde des Sceaux. Toutefois, cette procédure n'est pas applicable, selon le texte de l'article 65 de la Constitution, aux " emplois auxquels il est pourvu en Conseil des ministres ", c'est-à-dire les emplois de procureur général près la Cour de cassation et de procureur général près une cour d'appel 9( * ) .

Les nominations des autres magistrats du parquet font l'objet d'un avis émis par la formation compétente selon la même procédure que celle retenue pour les avis émis par la formation compétente à l'égard des magistrats du siège.

Selon les statistiques établies par le CSM, la proportion d'avis défavorables émis par la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet reste très faible (de l'ordre de 3 %) quoique supérieure à la proportion d'avis défavorables émis par la formation du siège.

Du 1er juin 1994 au 31 mars 1998, le nombre des avis défavorables s'est élevé à 39 sur un total de 1 418, soit 2,88 % des avis. Sur ces 39 avis défavorables, 8 n'ont pas été pris en compte par l'autorité de nomination (soit 0,56 % seulement du total des avis).

Dans son rapport d'activité pour 1996, le Conseil supérieur de la magistrature avait souligné que l'autorité de nomination était passée outre aux avis défavorables à sept reprises au cours de la période allant du 1er juillet 1995 au 31 décembre 1996, ce qui traduisait une rupture avec la pratique antérieure. Il en déduisait que l'indépendance des magistrats du parquet, s'agissant de leur nomination, était encore imparfaitement assurée.

Afin de mettre fin à cette situation et de lever les soupçons d'intervention de l'autorité politique en matière de nominations, le projet de loi constitutionnelle prévoit de soumettre l'ensemble des nominations des magistrats du parquet, y compris celle des procureurs généraux, à l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui liera donc la décision de l'autorité de nomination.

Il laisse cependant au garde des Sceaux, comme actuellement, le pouvoir de proposition pour les nominations à toutes les fonctions de magistrats du parquet. L'assimilation des garanties statutaires des magistrats du parquet à celles des magistrats du siège, à laquelle tend le projet de loi constitutionnelle n'est donc pas complètement achevée sur ce point.

Dans la pratique, compte tenu du faible nombre d'avis défavorables et du nombre encore plus faible de ceux auxquels il était passé outre par l'autorité de nomination, la modification proposée du régime de nomination des magistrats du parquet revêt un caractère essentiellement symbolique pour les nominations des magistrats autres que les procureurs généraux.

En revanche, elle a une toute autre portée s'agissant des procureurs généraux dont la nomination en conseil des ministres relève actuellement de l'appréciation discrétionnaire du pouvoir exécutif.

B. Les attributions disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature

1. La situation actuelle : une compétence de décision à l'égard des magistrats du siège et une compétence consultative à l'égard des magistrats du parquet


Le Conseil supérieur de la magistrature statue traditionnellement comme conseil de discipline des magistrats du siège. Cette compétence est actuellement exercée par la formation compétente à l'égard des magistrats du siège, sous la présidence du Premier président de la Cour de cassation.

Depuis la réforme constitutionnelle de 1993, à l'initiative du Sénat, le CSM intervient également en matière disciplinaire à l'égard des magistrats du parquet, mais seulement à titre consultatif, comme pour les nominations de ces magistrats. La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet, alors présidée par le Procureur général près la Cour de cassation, émet donc un simple avis sur les sanctions disciplinaires à l'égard des magistrats du parquet, qui sont prononcées par le garde des Sceaux, alors que les sanctions disciplinaires concernant les magistrats du siège sont prononcées par la formation compétente du CSM.

Dans la pratique, le CSM est très rarement saisi par le garde des Sceaux qui a l'initiative des poursuites disciplinaires.

Selon les statistiques établies par le CSM, la formation compétente à l'égard des magistrats du siège a prononcé seulement 13 décisions au fond (ainsi que 8 interdictions temporaires) entre le 1er juin 1994 et le 31 mars 1998.

La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet a pour sa part émis 11 avis au fond (et un relatif à une interdiction temporaire) entre le 1er juin 1994 et le 31 mars 1998.

Le Conseil supérieur de la magistrature a cependant regretté, dans son rapport annuel de 1995, que ses compétences disciplinaires soient exercées par deux formations distinctes, soulignant que " deux instances engagées pour des faits connexes et indissociables, à l'encontre des chefs d'une même juridiction " avaient dû être soumises à deux organes différents.

2. Le projet de loi constitutionnelle fait du Conseil supérieur de la magistrature le conseil de discipline de l'ensemble des magistrats

Répondant au souhait d'unification, le projet de loi constitutionnelle tend à confier à la formation désormais unique du CSM le pouvoir de statuer comme conseil de discipline, et donc de prononcer les sanctions disciplinaires à l'égard de l'ensemble des magistrats du siège et du parquet.

Les garanties disciplinaires offertes aux magistrats du parquet seraient ainsi totalement alignées sur celles des magistrats du siège.

Le CSM statuant en conseil de discipline serait alternativement présidé par le Premier président de la Cour de cassation ou le Procureur général près ladite cour selon qu'il statuerait à l'égard d'un magistrat du siège ou à l'égard d'un magistrat du parquet, la pratique actuelle étant donc maintenue sur ce point.

C. Les propositions de votre commission des Lois : l'approbation de l'extension des compétences du Conseil supérieur de la magistrature sous réserve de deux aménagements

Votre commission approuve l'extension des compétences du Conseil supérieur de la magistrature à laquelle tend le projet de loi, notamment par l'exigence d'un avis conforme pour les nominations des magistrats du parquet se substituant à l'avis simple prévu jusqu'ici. Elle vous propose cependant d'y apporter deux aménagements.

1. L'extension du pouvoir de proposition du Conseil supérieur de la magistrature aux nominations des présidents de certaines juridictions d'outre-mer

Votre commission vous propose tout d'abord de procéder à un aménagement technique de la rédaction de l'article 65 de la Constitution afin de répondre à une préoccupation légitimement exprimée par notre excellent collègue Daniel Millaud dans le cadre d'une proposition de loi constitutionnelle 10( * ) concernant la nomination des présidents de certaines juridictions d'outre-mer.

Selon les dispositions actuelles de l'article 65 de la Constitution que le projet de loi constitutionnelle n'envisage pas de modifier sur ce point (sous réserve de l'institution d'une formation unique) les premiers présidents des cours d'appel et les présidents des tribunaux de grande instance sont nommés sur les propositions du Conseil supérieur de la magistrature.

Cependant, en raison de l'organisation juridictionnelle particulière des territoires et collectivités territoriales d'outre-mer, il n'existe pas de tribunaux de grande instance dans les territoires d'outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna) et dans les collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, ces tribunaux étant remplacés par des tribunaux de première instance. En outre, il n'existe pas de cour d'appel à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon où les tribunaux supérieurs d'appel jouent le rôle de juridiction d'appel.

Les présidents de ces tribunaux de première instance et de ces tribunaux supérieurs d'appel, qui ne sont pas mentionnés dans la rédaction actuelle de l'article 65 de la Constitution, sont nommés sur l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature comme les autres magistrats du siège.

Ils ne bénéficient donc pas des mêmes garanties de nomination que ceux de leurs collègues qui président des juridictions équivalentes en métropole, alors même que les premiers présidents de cours d'appel des territoires d'outre-mer sont, pour leur part, soumis au même régime de nomination que les premiers présidents de cour d'appel de métropole.

Ainsi que le suggérait opportunément la proposition de loi constitutionnelle déposée par M. Daniel Millaud, votre commission vous propose de mettre fin à cette situation injustifiée et de rétablir l'égalité entre les présidents de juridictions d'outre-mer et ceux de métropole quant à leur régime de nomination, en réparant l'omission actuelle de la rédaction de l'article 65 de la Constitution sur ce point, afin d'étendre le pouvoir de proposition du Conseil supérieur de la magistrature aux nominations des présidents des tribunaux de première instance et des tribunaux supérieurs d'appel.

2. L'encadrement de la compétence du Conseil supérieur de la magistrature en matière d'avis

Dans le cadre de sa mission d'assistance du Président de la République en sa qualité de garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, qui lui est confiée par l'article 64 de la Constitution, le Conseil supérieur de la magistrature est tout d'abord conduit à répondre aux demandes d'avis que lui adresse le chef de l'Etat. De 1994 à 1998, une seule demande d'avis lui a été adressée par le Président de la République, le 22 décembre 1994, concernant l'éventuel dessaisissement d'un magistrat instructeur.

Par ailleurs, selon les rapports d'activité du Conseil supérieur de la magistrature, le Garde des Sceaux a demandé à plusieurs reprises l'opinion du Conseil sur des questions relatives à l'institution judiciaire.

En outre, selon les termes de son dernier rapport d'activité, " le Conseil supérieur de la magistrature a considéré que l'article 64 de la Constitution lui donnait aussi, en dehors de toute demande expresse, le pouvoir de faire connaître au Président de la République son avis sur les grandes questions relatives à la magistrature ".

Il a ainsi pris à deux reprises (le 19 décembre 1996, puis le 16 octobre 1997) l'initiative d'émettre des avis sur le statut des magistrats du ministère public, dans le cadre desquels il a formulé des propositions de réforme.

Votre commission considère que ces initiatives excèdent les compétences du Conseil supérieur de la magistrature telles qu'elles sont explicitement définies par la Constitution et le conduisent à jouer un rôle qui n'est pas le sien.

Elle souhaite donc encadrer, pour l'avenir, la possibilité pour le Conseil supérieur de la magistrature de donner des avis en la subordonnant aux seules demandes du Président de la République. Cette disposition s'inscrirait dans la logique de l'article 64 de la Constitution qui -rappelons-le- prévoit que le Président de la République est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature dans son rôle de garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire.

En outre, selon votre commission, ces avis ne devraient porter que sur des questions d'ordre général intéressant le statut des magistrats, à l'exclusion de toute question concernant des affaires particulières qui risqueraient d'interférer avec les compétences confiées au Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire.

Aussi, votre commission a-t-elle souhaité préciser explicitement dans le texte même de l'article 65 de la Constitution que le Conseil supérieur de la magistrature se réunirait en formation plénière pour répondre aux demandes d'avis formulées par le Président de la République.

En résumé, votre commission vous propose donc d'adopter un amendement tendant à une nouvelle rédaction de l'article 65 de la Constitution destinée à :

- maintenir au sein d'une formation plénière deux formations spécifiques respectivement compétentes à l'égard des magistrats du siège et des magistrats du parquet ;

- substituer à la désignation de deux membres par le Président du Conseil économique et social la désignation conjointe de ces membres par les présidents des trois plus hautes juridictions (qui désigneraient donc en tout quatre personnalités) ;

- étendre le pouvoir de proposition du Conseil supérieur de la magistrature aux nominations des présidents de certaines juridictions d'outre-mer ;

- et encadrer strictement la compétence du Conseil supérieur de la magistrature en matière d'avis.

Article 2
Dispositions transitoires

Cet article, adopté sans modification par l'Assemblée nationale, tend à préciser qu'à titre transitoire le Conseil supérieur de la magistrature actuel continue à exercer les compétences qui lui sont aujourd'hui conférées par l'article 65 de la Constitution dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993, jusqu'à la première réunion du nouveau Conseil supérieur de la magistrature qui sera constitué en application de la présente loi constitutionnelle.

Dans la mesure où il envisageait une réforme prochaine du Conseil supérieur de la magistrature, le Gouvernement avait un temps envisagé de proroger, à titre transitoire, le mandat des membres désignés en 1994, dont le mandat venait à expiration au début du mois de juin 1998.

Cependant, il a finalement renoncé à soumettre au Parlement un projet de loi organique rédigé en ce sens, qui aurait présumé de l'adoption ultérieure du présent projet de loi constitutionnelle.

Aussi des élections ont-elles été organisées au cours du mois de mai dernier en vue du renouvellement des membres du Conseil supérieur de la magistrature représentant les magistrats.

Le Conseil supérieur de la magistrature ainsi renouvelé vient d'être constitué à l'issue de ces élections et de la désignation des autres membres par le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat, la liste des nouveaux membres ayant été publiée au Journal Officiel daté du 5 juin 1998.

Ainsi que le prévoient les dispositions du présent article, il devrait exercer les attributions résultant de la rédaction actuelle de l'article 65 de la Constitution jusqu'à la désignation des membres constituant la nouvelle composition du Conseil supérieur de la magistrature, sur la base de la loi organique qui devrait être adoptée pour l'application de la présente loi constitutionnelle.

Cependant, il convient de souligner que les dispositions constitutionnelles transitoires ont jusqu'à présent toujours été inscrites dans le texte même de la Constitution.

Votre commission des Lois estime donc préférable de faire figurer les dispositions transitoires prévues à l'article 2 au sein même de la Constitution, de même que les dispositions transitoires relatives au Conseil supérieur de la magistrature avaient été insérées dans l'article 93 de la Constitution par la loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993.

En effet, la procédure d'examen de la présente loi, comme des précédentes lois constitutionnelles adoptées à ce jour sous la Vème République, est une procédure de révision de la Constitution et ne peut donc conduire à l'adoption de dispositions constitutionnelles qui lui demeureraient extérieures.

Elle vous propose donc d'adopter un amendement tendant à insérer ces dispositions à la fin de la Constitution dans le cadre de l'article 90 laissé vacant par son abrogation par la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995, tout en prévoyant qu'elles seront abrogées à la date de la première réunion du CSM dans sa composition issue de la présente loi.

*

* *

Sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations et sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois vous propose d'adopter le présent projet de loi constitutionnelle .




ANNEXE 1

AUDITIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

MARDI 16 JUIN

MME ELISABETH GUIGOU
GARDE DES SCEAUX
MINISTRE DE LA JUSTICE
M. PIERRE TRUCHE
PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DE CASSATION,
PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE RÉFLEXION SUR LA JUSTICE
M. JEAN-FRANÇOIS BURGELIN
PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR DE CASSATION


Mme Elisabeth GUIGOU, Garde des Sceaux,
Ministre de la Justice

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a tout d'abord rappelé que le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature n'était que l'un des éléments de la réforme qu'elle avait engagée. Elle a indiqué que cette réforme comporterait des dispositions visant à améliorer le fonctionnement de la justice au quotidien, des dispositions relatives à la présomption d'innocence, enfin des dispositions sur la nature des liens entre le pouvoir politique et les Parquets. Elle a souligné que le projet de loi constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature se situait au sommet de cet édifice législatif.

Mme le garde des sceaux a précisé que trois textes auraient pour objet d'améliorer le fonctionnement de la justice : un projet de loi sur l'accès au droit comprenant des dispositions sur la connaissance, par les citoyens, de leurs droits et sur la possibilité de les défendre, ainsi que des dispositions sur les modes amiables de règlement des conflits, un texte sur l'amélioration de l'efficacité de la procédure pénale tendant en particulier à instaurer une nouvelle procédure de compensation judiciaire, enfin un projet de décret réformant la procédure civile. Elle a ajouté que l'amélioration du fonctionnement de la justice devait également passer par une augmentation des moyens qui lui étaient consacrés et elle a rappelé que le budget du ministère de la justice avait connu une forte progression en 1998.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a ensuite observé que le Gouvernement déposerait, à l'automne, au Parlement un projet de loi relatif à la présomption d'innocence qui devait encore faire l'objet d'arbitrages et que ce projet de loi contiendrait notamment des dispositions relatives à la protection des droits de la défense et à la détention provisoire avec en particulier l'instauration d'un juge des libertés. Elle a fait valoir que le projet de loi ménagerait l'ouverture de fenêtres de publicité au cours de la procédure pénale et qu'il contiendrait des dispositions sur la presse, notamment afin d'interdire la diffusion d'images des personnes menottées, de prévoir un droit de réponse audiovisuel comparable à celui qui existerait en matière de presse écrite, enfin de veiller à ce que les décisions de non-lieu ou de relaxe fussent traitées de manière comparable aux décisions de mise en examen. Elle a indiqué qu'en matière de référés, il paraissait souhaitable qu'un temps de réflexion soit prévu entre le prononcé du référé et la mise en oeuvre des mesures.

Mme le garde des sceaux a enfin indiqué qu'un projet de loi relatif à l'action publique avait été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Elle a souligné que ce projet tendait à supprimer la possibilité pour le garde des sceaux de donner des instructions dans les dossiers individuels, mais que celui-ci conserverait naturellement le pouvoir de définir des orientations de politique générale. Elle a observé que ce texte tendait à décrire le rôle du garde des sceaux qui jusqu'à présent était à peine mentionné. Elle a ajouté que le projet de loi visait également à renforcer le contrôle effectif du Parquet sur la police judiciaire.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a alors précisé que le projet de loi constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature visait à garantir effectivement l'indépendance des magistrats du Parquet. Elle a indiqué que le projet proposait que le Conseil supérieur de la magistrature donne désormais un avis conforme sur les nominations de l'ensemble des membres du Parquet et que le pouvoir de sanction disciplinaire à l'égard de ces magistrats serait transféré du garde des sceaux au Conseil supérieur de la magistrature. Elle a fait valoir que la composition du Conseil supérieur de la magistrature serait modifiée de manière à ce qu'elle reflète mieux la composition de la Nation. Elle a indiqué que le Conseil supérieur de la magistrature comporterait désormais vingt et un membres, parmi lesquels onze ne seraient pas des magistrats. Elle a enfin souligné que le projet de loi constitutionnelle serait suivi de deux projets de lois organiques visant d'une part à préciser les conditions de désignation des magistrats appelés à siéger au sein du Conseil supérieur de la magistrature, d'autre part à apporter des précisions sur le statut de la magistrature et à prévoir la possibilité, pour les citoyens, de disposer d'une voie de recours en cas de dysfonctionnement de la justice.

Concluant son propos, Mme le garde des sceaux a observé que le projet de loi constitutionnelle avait été soumis au président de la République et approuvé par celui-ci et qu'il avait été adopté sans modifications par l'Assemblée nationale.

M. Jacques Larché, président , a constaté que plusieurs dispositions évoquées par Mme Elisabeth Guigou figuraient au nombre des propositions résultant des travaux de plusieurs missions d'information de la commission des lois du Sénat. Il a considéré que la réforme de longue haleine annoncée pourrait être facilitée par le dépôt initial de certains textes au Sénat.

M. Charles Jolibois, rapporteur , après avoir regretté que le texte sur le Conseil supérieur de la magistrature soit présenté comme le couronnement d'un édifice dont les éléments n'étaient pas encore connus, s'est inquiété du rôle que pourrait conserver le garde des sceaux dans une optique d'indépendance du Parquet, et notamment des moyens qu'il aurait de préserver l'unité de la politique pénale à travers tout le territoire. Il s'est également interrogé sur l'incidence, au regard de la séparation actuelle des magistrats du siège et du parquet, d'une disparition, au sein du Conseil supérieur de la magistrature, des formations spécifiques à ces deux types de magistrats.

En réponse à M. Charles Jolibois, rapporteur , Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice , a considéré que la prééminence formelle de la loi constitutionnelle justifiait son examen par le Parlement avant tout autre texte. Elle a rappelé que la réforme proposée parachevait, dans la ligne des propositions du rapport de la commission présidée par M. Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation, la réforme de 1993.

Elle a considéré que cette nouvelle réforme était indispensable pour lever les soupçons qu'avait suscités dans l'opinion la transgression à plusieurs reprises des avis du Conseil supérieur de la magistrature sur des nominations de magistrats du Parquet.

Faisant part de son expérience personnelle, elle a indiqué que depuis son entrée en fonctions, elle s'était refusé à donner au Parquet des instructions sur des dossiers individuels et qu'elle s'était donné pour règle de suivre les avis du Conseil supérieur de la magistrature en matière de nomination. Mais elle a souligné qu'elle s'était attachée à donner des consignes générales par voie de circulaire, par exemple concernant l'attitude à adopter lors de la coupe du monde de football, et qu'elle avait régulièrement réuni les procureurs généraux, pour leur transmettre des instructions générales ou recueillir leurs avis.

Elle a jugé fondamental, compte tenu du principe de l'opportunité des poursuites, que le garde des sceaux définisse la politique pénale par voie de consignes générales. Elle a indiqué que ces consignes seraient transmises aux procureurs généraux, ces derniers disposant d'une certaine latitude pour les adapter à la situation locale.

Elle a insisté sur le fait que l'indépendance des magistrats du Parquet par rapport au pouvoir politique allait de pair avec l'accroissement du pouvoir hiérarchique interne, les procureurs généraux donnant des instructions aux procureurs, ainsi qu'avec le renforcement du pouvoir disciplinaire, les chefs de cour se voyant reconnaître le pouvoir d'engager une procédure devant le Conseil supérieur de la magistrature. Elle a rappelé que les magistrats auraient l'obligation de rendre compte de leur action à leur supérieur hiérarchique et que le garde des sceaux lui-même remettrait annuellement un rapport sur les orientations de la politique pénale et sur l'usage du droit d'action spécifique qui lui serait reconnu.

Elle s'est déclarée persuadée que le nouveau système, fondé sur la confiance envers les magistrats, améliorerait les conditions d'application de la politique pénale.

Elle a rappelé que le garde des sceaux conserverait en outre le pouvoir de proposition concernant la nomination des magistrats du siège et du parquet.

Concernant la séparation des magistrats du siège et du parquet, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a considéré que ces deux types de magistrats étaient formés dans la même école et qu'ils étaient gardiens des libertés individuelles, mais qu'ils exerçaient des fonctions différentes. Elle a contesté la référence souvent faite au modèle anglo-saxon qui, selon elle, aboutissait à une justice à deux vitesses favorisant ceux qui avaient les moyens de recourir à de bons avocats. Elle a indiqué que le choix d'une formation unique au sein du Conseil supérieur de la magistrature résultait d'une démarche pragmatique tendant à éviter un accroissement trop important de ses effectifs tout en assurant la représentation de l'ensemble des sensibilités syndicales.

Elle a enfin évoqué la possibilité d'exiger de la part des magistrats, au cours de leur carrière, un choix entre ces deux fonctions.

En réponse à M. Jean-Jacques Hyest, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a donné des indications sur les modalités envisagées pour l'élection des dix représentants des magistrats au Conseil supérieur de la magistrature. Elle a fait ressortir que cinq collèges interviendraient :

- deux collèges à la Cour de cassation élisant respectivement un conseiller et un procureur ;

- deux collèges dans les cours d'appel élisant respectivement un premier président de cour d'appel et un procureur général ;

- le collège des magistrats des cours et tribunaux élisant six magistrats du Siège ou du Parquet au scrutin proportionnel.

Elle a estimé qu'il était normal de recourir au président du Conseil économique et social pour désigner deux membres du Conseil supérieur de la magistrature, ce conseil figurant déjà dans la Constitution et représentant les forces vives de la Nation.

En réponse à M. Pierre Fauchon qui s'était inquiété de l'organisation du travail d'un conseil comprenant vingt-trois membres (en incluant le Président de la République et le garde des sceaux), Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, après avoir rappelé que la commission d'avancement du ministère de la justice comprenait actuellement dix-neuf membres, a indiqué que des sections de travail internes au Conseil pourraient être constituées.

En réponse à M. Robert Pagès qui se préoccupait des conséquences du pouvoir de proposition conservé par le garde des sceaux sur les nominations, elle a considéré que la mise en oeuvre systématique avant toute nomination de la procédure dite " de transparence " interdirait la mise à l'écart durable injustifiée d'un magistrat, un dialogue pouvant se nouer entre les membres du Conseil supérieur de la magistrature, sensibilisés aux cas individuels, et le garde des sceaux, plus attentif à la gestion globale du corps.

Répondant à M. Michel Dreyfus-Schmidt , Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a confirmé que le Conseil supérieur de la magistrature siégerait en formation disciplinaire sous la présidence du premier président ou du procureur général de la Cour de cassation, selon les cas, hors de la présence du Président de la République et du garde des sceaux, sans qu'il soit pour autant nécessaire de le préciser davantage dans la Constitution. Elle a ensuite considéré qu'il n'était pas anormal, par le jeu des différents collèges électoraux, d'aboutir à une surreprésentation au Conseil supérieur de la magistrature des magistrats ayant le plus d'expérience, compte tenu des pouvoirs dont ce conseil disposait en matière de nominations et en matière disciplinaire. M. Michel Dreyfus-Schmidt a fait observer qu'une telle surreprésentation ne serait pas incompatible avec l'instauration d'un collège unique élisant des magistrats de divers grades.

En réponse à une observation de MM. Jean-Jacques Hyest, Michel Dreyfus-Schmidt et Pierre Fauchon, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, a reconnu que le Président de la République, sans pouvoir choisir d'autres personnes, pourrait, en théorie, s'opposer à la nomination des hauts magistrats du Siège proposée par le Conseil supérieur de la magistrature mais que cette hypothèse était jusqu'à présent un cas d'école.

M. Pierre Truche
Premier président de la Cour de cassation,
président de la commission de réflexion sur la justice

M. Pierre Truche a exprimé sa préférence pour le maintien de deux formations au sein du Conseil supérieur de la magistrature, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège et l'autre à l'égard de ceux du parquet, prenant en compte la nature distincte des fonctions accomplies.

Il a exposé que, dans la plupart des cas, les décisions du Conseil supérieur de la magistrature étaient prises à l'unanimité, notamment en matière disciplinaire, soulignant ainsi qu'il était difficile de faire la différence entre les membres magistrats et les " laïcs ".

M. Pierre Truche a souligné l'importance qu'il y avait à ce que les magistrats ne soient pas majoritaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature afin d'éviter tout risque de corporatisme.

Il a considéré que la nomination conjointe de deux membres du Conseil supérieur de la magistrature par le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes ne soulèverait aucune difficulté.

M. Pierre Truche a estimé que, conformément aux usages, il n'était pas opportun que le Président de la République et le garde des sceaux prennent part aux votes du Conseil supérieur de la magistrature.

Il a considéré que la nature des décisions à prendre par le Conseil supérieur de la magistrature, notamment en matière disciplinaire, ne se prêtait pas à une délibération par vingt-deux membres.

Traitant ensuite de la responsabilité des magistrats, M. Pierre Truche a rappelé que l'Etat supportait les conséquences civiles des fautes des magistrats. Il a souligné l'importance de l'initiative du Conseil supérieur de la magistrature de publier ses décisions en matière disciplinaire et il s'est réjoui qu'on envisage d'étendre aux chefs de cour la possibilité de saisir le Conseil.

Il a fait valoir que l'importance et la qualité du travail fourni par la très grande majorité des magistrats exigeait de sanctionner ceux d'entre eux qui s'avéraient négligents dans le traitement des dossiers.

M. Pierre Truche a suggéré, qu'après l'exercice de leurs fonctions pendant dix ou douze ans, les magistrats soient appelés à opter définitivement soit pour les fonctions du siège, soit pour celles du parquet.

M. Charles Jolibois, rapporteur, qui l'interrogeait sur les raisons pour lesquelles il préconisait deux formations distinctes au sein du Conseil supérieur de la magistrature, M. Pierre Truche a répondu que l'opportunité de cette distinction découlait de l'exercice de deux métiers différents au sein de la magistrature.

Il a souhaité l'institution d'un juge des libertés disposant de moyens spécifiques.

A M. Jacques Larché, président, qui lui demandait si le juge des libertés devrait reprendre l'instruction des affaires qui lui seraient soumises, M. Pierre Truche a indiqué que le rôle de ce juge consisterait à entendre les parties, puis à trancher la question de liberté en litige.

En réponse à M. Charles Jolibois, rapporteur, M. Pierre Truche a indiqué que la possibilité de saisine du Conseil supérieur de la magistrature par un justiciable en cas de dysfonctionnement des tribunaux n'était pas souhaitable, ceux-ci pouvant d'ores et déjà saisir les chefs de Cour. Il a estimé en revanche opportun que les chefs de Cour puissent eux-mêmes saisir le Conseil supérieur de la magistrature, relevant que ceux-ci n'étaient plus disposés à tolérer une activité insuffisante de la part de certains magistrats.

M. Robert Badinter a souligné que le pouvoir de proposition en matière de nomination était plus important que celui d'exprimer un avis conforme car, dans le premier cas, l'autorité investie du pouvoir de nomination ne pouvait nommer une personne non proposée.

En réponse à M. Michel Dreyfus-Schmidt, M. Pierre Truche a considéré qu'il n'existait aucun inconvénient à ce que des magistrats soient jugés par des magistrats.

Interrogé par M. Jacques Larché, président, sur l'obligation de réserve des magistrats, M. Pierre Truche a estimé souhaitable que le serment prononcé en début de carrière soit élargi au devoir de réserve.

Répondant à M. Michel Dreyfus-Schmidt sur l'opportunité de faire également bénéficier les avocats du " tronc commun " qui serait constitué par les dix à douze premières années de carrière des magistrats, M. Pierre Truche a fait observer qu'une telle suggestion se heurterait d'abord à un problème matériel du fait que, par exemple, il y aurait à Paris quinze magistrats pour mille avocats en formation.

M. Pierre Truche , toujours en réponse à M. Michel Dreyfus-Schmidt , a considéré que les membres du Conseil supérieur de la magistrature nommés par le Président de la République, le Président du Sénat ou le Président de l'Assemblée nationale, ne se montraient pas moins indépendants que les autres dans l'exercice de leurs fonctions.

M. Robert Badinter lui a demandé si, au regard de l'établissement d'un " corpus " des obligations des magistrats, il n'était pas préférable de prévoir la constitution d'une seule formation disciplinaire au sein du Conseil supérieur de la magistrature. M. Pierre Truche a admis qu'il existerait, dans cette hypothèse, un risque de variation d'interprétation de ces obligations, soulignant toutefois que, dans la pratique, les membres communs aux deux formations pourraient jouer un rôle d'uniformisation.

M. Jean-François Burgelin
Procureur général près la Cour de cassation

M. Jean-François Burgelin a tout d'abord regretté que l'Assemblée nationale n'ait pas entendu de magistrats du Parquet, alors que ceux-ci étaient les principaux intéressés par les modifications proposées par le présent projet de loi constitutionnelle.

Il a ensuite souligné que ce texte, allait dans le bon sens, mais il lui a reproché de ne pas résoudre certains problèmes liés à la rédaction actuelle de l'article 65 de la Constitution.

Au premier paragraphe de l'article 65, M. Jean-François Burgelin a relevé l'ambiguïté de la place du Président de la République et du garde des sceaux respectivement président et vice-président d'un organe dont ils étaient destinataires des propositions et avis.

Il a estimé que de ce point de vue la composition du Conseil supérieur de la magistrature proposée par le projet de loi constitutionnelle méritait d'être confrontée à l'analyse de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui a jugé que le Conseil d'Etat luxembourgeois, à la fois juge administratif et conseil du Gouvernement, n'offrait pas des garanties suffisantes d'impartialité.

M. Jean-François Burgelin a estimé que l'expression " personnalités n'appartenant ni à l'ordre judiciaire ni au Parlement " n'était pas suffisamment normative. Il a souligné que, si la notion de " corps judiciaire " était bien connue, à condition toutefois de savoir si elle ne désigne que les seuls magistrats en exercice ou si elle inclut les magistrats honoraires, celle d'" ordre judiciaire " pouvait laisser penser que les membres des tribunaux de commerce ou des conseils de prud'hommes pouvaient être concernés.

Sur le fond, M. Jean-François Burgelin a fait part de deux interrogations principales. En premier lieu, il a jugé le nombre de membres du Conseil supérieur de la magistrature, à savoir vingt et une personnes, considérable ; il a marqué son scepticisme sur la disproportion entre le nombre de membres du Conseil supérieur de la magistrature qui seraient appelés à statuer disciplinairement et l'objet de la plupart des affaires disciplinaires.

En second lieu, il a jugé inopportune la mise à l'écart du procureur général près la Cour de cassation en matière de désignation des membres du Conseil supérieur de la magistrature, alors que le président du Conseil économique et social désignerait deux membres et que le premier président de la Cour des comptes, le vice-président du Conseil d'Etat, le premier président de la Cour de cassation désigneraient conjointement deux membres.

M. Jean-François Burgelin a en effet rappelé qu'à la Cour de cassation, le procureur général était statutairement l'alter ego du premier président, et que la mise à l'écart du premier était symboliquement regrettable. A la question de M. Charles Jolibois, rapporteur, sur l'unité du Conseil supérieur de la magistrature, M. Jean-François Burgelin a marqué que la dualité de formation s'était, à ses yeux, déjà révélée un échec, puisqu'en pratique le Conseil supérieur de la magistrature se réunissait en formation plénière, sans que celle-ci n'ait d'existence constitutionnelle ou légale.

Il s'est déclaré réservé à l'égard d'une séparation nette entre le parquet et le siège, qui remettrait en cause une tradition française d'unité du corps judiciaire, craignant en particulier que la séparation entre siège et parquet ne provoque une " fonctionnarisation " de ce dernier, et ne porte atteinte à deux principes fondamentaux, le respect de la personne et le contradictoire.

Pour ces raisons, M. Jean-François Burgelin s'est déclaré attaché à l'unité de recrutement, de formation et de début de carrière des magistrats du siège et du parquet.

En réponse à M. Pierre Fauchon , qui s'inquiétait du fonctionnement pratique d'un conseil comprenant vingt et un membres, M. Jean-François Burgelin a fait valoir deux idées.

Premièrement, il a jugé excellente la proposition de rendre les " non-magistrats " majoritaires dans le Conseil supérieur de la magistrature. Mais il n'a pas caché que le travail quotidien du Conseil supérieur de la magistrature, minutieux et répétitif, pourrait à l'avenir décourager les membres non-magistrats, pour aboutir à l'effet inverse de l'objectif visé, à savoir une majorité réelle de magistrats. Il a toutefois indiqué que tel n'avait pas été le cas jusqu'à présent.

Deuxièmement, il a confirmé que le chiffre de vingt et un membres lui semblait démesuré par rapport au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature.

M. Jacques Larché, président, après avoir noté que la fonction de membre du Conseil supérieur de la magistrature s'exerçait à plein temps, a souhaité savoir quel pouvait être le nombre le plus approprié de membres du Conseil supérieur de la magistrature permettant de respecter le principe d'une majorité de non-magistrats. M. Jean-François Burgelin a estimé que le chiffre actuel, douze membres en comptant le Président de la République et le garde des sceaux, était satisfaisant.

En réponse à M. Charles Jolibois, rapporteur, M. Jean-François Burgelin a indiqué que les moyens humains du Conseil supérieur de la magistrature ne permettaient pas d'alléger la charge de travail personnelle de chacun des membres.

M. Jean-François Burgelin a conclu en attirant l'attention sur la question du nombre de membres du Conseil supérieur de la magistrature, spécialement en matière disciplinaire.


ANNEXE 2

Auditions de M. Charles Jolibois, rapporteur

Association professionnelle des magistrats (APM)

 
 

- M. Georges Fenech

président

 

- M. Alain Terrail

président d'honneur

Association française des magistrats instructeurs (AFMI)

 
 

- M. Jean-Michel Gentil

président

Union syndicale des magistrats (USM)

 
 

- M. Valéry Turcey

président et secrétaire général

Syndicat de la magistrature (SM)

 
 

- Mme Catherine Vannier

vice-présidente

Barreau de Paris

 
 

- Mme Dominique de la Garanderie

bâtonnier

Conseil national des barreaux (CNB)

 
 

- M. Philippe Leleu

président

 
 
 
 
 
 
 
 

Conférence des Bâtonniers

 
 

- M. Gérard Christol

président

 

- M. Jacques-Henri Robert

professeur de droit pénal à l'Université

de Paris II

ancien membre de la Commission de

réflexion sur la justice

 
 

Conseil supérieur de la magistrature

 
 

- M. Alain Mombel

président de la formation compétente

à l'égard des magistrats du siège

 

- M. Dominique Barella

président de la formation compétente

à l'égard des magistrats du Parquet

 

- M. Jean Gicquel

président de la formation plénière

 
 

Conférence nationale des premiers présidents de cours d'appel

 
 

M. Jean-Claude Chilou

président

 
 

Conférence nationale des procureurs généraux

 
 

M. Louis Fouletier

président

(contribution écrite à la demande du rapporteur)


ANNEXE 3

L'EXEMPLE ITALIEN :
UNE INDÉPENDANCE TOTALE
DU PARQUET

Compte-rendu du déplacement à Rome
d'une délégation de la commission des Lois
composée de M. Charles Jolibois, rapporteur,
et de M. Michel Dreyfus-Schmidt

Avant de se prononcer sur le projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature, la commission des Lois a souhaité procéder à une étude de droit comparé concernant la justice italienne.

Le système judiciaire italien lui est en effet apparu présenter un intérêt particulier dans la perspective de l'examen de ce projet de réforme car il constitue un exemple original d'une totale indépendance du Parquet, sans équivalent en Europe 11( * ) .

A l'initiative de son président, M. Jacques Larché, la commission a donc désigné en son sein une mission chargée d'étudier le fonctionnement de la justice en Italie, composée de M. Charles Jolibois, rapporteur du projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature, et de M. Michel Dreyfus-Schmidt.

Les entretiens auxquels a procédé la mission 12( * ) ont été centrés autour du thème de l'indépendance du Parquet. Ils ont porté sur le statut des magistrats du ministère public et sur le rôle du Conseil supérieur de la magistrature -qui font actuellement l'objet de projets de réforme en Italie-, ainsi que sur la nouvelle procédure pénale de type accusatoire mise en place dans ce pays depuis 1989.

I. LE STATUT DU MINISTÈRE PUBLIC ITALIEN : DES MAGISTRATS INDÉPENDANTS ET AUTONOMES

Les magistrats du Parquet italien jouissent d'une totale indépendance vis à vis de tout autre pouvoir, qui leur est reconnue par la Constitution ; ils bénéficient en outre d'une très large autonomie dans l'exercice des fonctions du ministère public.

A. UNE INDÉPENDANCE INCONTESTÉE

1. Un statut et des garanties identiques à ceux des magistrats du siège

En Italie, les magistrats du Parquet sont des magistrats de l'ordre judiciaire dont le statut est identique à celui des magistrats du siège.

Leur indépendance vis à vis de tout autre pouvoir est reconnue par la Constitution dont l'article 104 dispose que " la magistrature constitue un ordre autonome et indépendant de tout autre pouvoir " alors que l'article 107 précise que les magistrats du ministère public jouissent de toutes les garanties résultant des dispositions légales et réglementaires relatives à l'ordre judiciaire.

Les magistrats du Parquet n'ont donc aucun lien hiérarchique avec le ministre de la justice qui ne peut en aucun cas leur adresser des instructions individuelles ou même des directives générales.

Comme les magistrats du siège, ils sont inamovibles , en vertu de l'article 107 de la Constitution.

Leur carrière se déroule suivant les mêmes règles et les mêmes garanties que celle des magistrats du siège, avec lesquels ils sont réunis dans un corps unique recruté par le même concours. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est compétent pour statuer à leur égard en matière de nominations, de mutations et d'avancement, comme en matière disciplinaire, selon les mêmes modalités qu'à l'égard des magistrats du siège et dans la même formation.

Les magistrats peuvent en toute liberté passer du Parquet au siège et vice-versa (sous réserve d'une décision favorable préalable du CSM qui actuellement ne constitue qu'une simple formalité).

2. Une indépendance qui n'est pas remise en cause par les projets de réforme actuels

A l'issue des entretiens avec l'ensemble des interlocuteurs rencontrés par la mission, il est frappant de constater que le principe de l'indépendance du Parquet apparaît perçu, en Italie, comme un principe sur lequel il n'est plus possible de revenir.

Les projets de séparation complète des carrières des magistrats du siège et des magistrats du Parquet, qui étaient défendus par une partie de la classe politique mais se heurtaient à une vive opposition des magistrats, semblent aujourd'hui abandonnés.

Le projet de révision constitutionnelle adopté par la " bicamerale " 13( * ) , qui comprend un volet relatif à la justice, réaffirme le principe de l'indépendance du Parquet ainsi que l'inamovibilité de ses membres.

Il prévoit cependant des mesures tendant à rendre plus difficile le passage du Parquet au siège et vice-versa :

- ce passage ne pourrait plus s'effectuer dans le ressort de la même juridiction et nécessiterait donc une mobilité géographique ;

- il serait en outre soumis à la réussite à un concours interne.

L'ensemble des magistrats resteraient recrutés par un concours unique mais la nomination en tant que magistrat du ministère public serait désormais subordonnée à l'exercice préalable des fonctions de juge du siège pendant une durée de trois ans.

B. UNE TRÈS LARGE AUTONOMIE

1. Une organisation non hiérarchisée

Les membres du Parquet italien sont non seulement indépendants à l'égard du pouvoir exécutif mais également à l'égard de leurs propres chefs de juridictions.

Même si les chefs de Parquet disposent d'un pouvoir d'organisation, de surveillance, de coordination et d'impulsion qui leur permet de demander à être informés du déroulement d'une enquête ou des décisions susceptibles d'être prises, chaque substitut exerce en effet les fonctions du ministère public de façon pleinement autonome.

Il n'existe pas de définition de la politique pénale, ni de coordination générale de l'action publique au niveau national, puisque le Parquet est théoriquement tenu de poursuivre toutes les infractions constatées en application du principe de légalité des poursuites , consacré par l'article 112 de la Constitution, aux termes duquel le ministère public a l'obligation d'exercer l'action pénale.

Le ministère public près la Cour d'appel ne peut pas exercer directement l'action publique ni ordonner des enquêtes. Le Procureur général près la Cour d'appel dispose toutefois d'un pouvoir d'évocation lui permettant de se substituer au Parquet de première instance dans des hypothèses limitées (notamment en cas de défaut de mise en oeuvre de l'action publique dans les délais légaux), mais cette procédure n'est jamais appliquée.

Par ailleurs, l'autonomie des membres du Parquet est encore renforcée par le fait que l' autorité judiciaire dispose directement de la police judiciaire ainsi que l'affirme l'article 109 de la Constitution.

Les magistrats du Parquet peuvent donc réquisitionner librement et sans restriction, pour les besoins de leurs enquêtes, les différentes forces de police, qu'il s'agisse de la police nationale, des carabiniers ou encore de la " Guardia di Finanza " (police douanière et fiscale).

2. Une coordination récente de l'action publique en matière de lutte contre la mafia

L'organisation décentralisée des enquêtes et l'éclatement de l'action publique résultant de l'autonomie de chaque membre du Parquet ont cependant montré leurs limites face au développement de la criminalité organisée de type mafieux dont le cadre d'action dépasse la compétence territoriale d'un seul Parquet.

Aussi la nécessité d'améliorer la coordination de l'action publique en matière de lutte contre la mafia a-t-elle conduit à la création, en 1991, dans le cadre du Parquet du Procureur général près la Cour de cassation, d'un Parquet spécialisé organisé de façon hiérarchisée : la Direction nationale antimafia ou Parquet national antimafia 14( * ) .

Le Parquet national antimafia est compétent à l'égard de certains crimes et délits particulièrement graves considérés comme des manifestations typiques du banditisme mafieux : association de type mafieux, séquestration de personnes visant à l'extorsion de fonds, association visant au trafic illicite de stupéfiants ou de substances psychotiques, et plus généralement tous les crimes et délits ayant été commis en usant soit de la force intimidatrice, soit de la situation d'assujettissement et d'" omerta " résultant du lien associatif de type mafieux.

Dirigée par le Procureur national antimafia, la Direction nationale antimafia, installée à Rome, comprend différents services dans lesquels sont affectés vingt magistrats.

En outre, à l'échelon régional ont été constitués 26 parquets spécialisés sous l'autorité de Procureurs antimafia de district qui sont compétents, pour les enquêtes relatives aux infractions susvisées, sur un territoire correspondant au district de la Cour d'appel (alors que les Parquets " de droit commun " dirigés par les Procureurs de la République près les tribunaux, au nombre de 164, ont une compétence limitée au territoire plus restreint de l'arrondissement).

Le Procureur national antimafia exerce un rôle d'impulsion et de coordination à l'égard des Procureurs antimafia de districts ; il peut leur donner des directives spécifiques et organiser des réunions de concertation afin d'améliorer l'efficacité des enquêtes.

En cas de violations réitérées de ces directives, il peut exercer un pouvoir d'évocation permettant d'éviter une inaction injustifiée de l'activité d'investigation, mais cette procédure n'a encore jamais été mise en oeuvre.

Pour l'exercice de ses fonctions, le Procureur national antimafia a à sa disposition, outre les services centraux et interprovinciaux de la Police nationale, des Carabinieri et de la " Guardia di Finanza ", un service de police judiciaire spécialisé : la Direction d'investigation antimafia, constituée de membres des différentes forces de police,

Cette organisation tendant à une coordination centralisée de la lutte contre la mafia semble donner satisfaction et faire la preuve de son efficacité par des résultats fructueux. En effet, les statistiques présentées à la mission font apparaître une diminution sensible du nombre de meurtres constatés qui, dans la province de Reggio-di-Calabria, est passé de 929 pour la période 1986-1991 à 406 pour la période 1992-1998.

*

Le projet de révision constitutionnelle élaboré par la " bicamerale " prend également en compte la nécessité d'une coordination de l'action publique. En effet, tout en réaffirmant l'indépendance et les garanties des magistrats du Parquet, il prévoit que les dispositions législatives sur l'organisation judiciaire assurent la coordination de l'activité des magistrats du ministère public à l'intérieur d'un même Parquet et si nécessaire entre différents Parquets.

II. LE CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE ITALIEN : SYMBOLE DE L'INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE OU INSTANCE D'" AUTOGOUVERNEMENT " DES JUGES ?

L'indépendance totale à l'égard du pouvoir exécutif dont jouissent les magistrats du Parquet, et plus généralement l'ensemble des magistrats italiens, a pour corollaire l'existence d'un Conseil supérieur de la magistrature puissant qui est chargé de gérer leurs nominations et leurs carrières.

Prévu par la Constitution de 1946 mais mis en place à partir de 1958 seulement, le Conseil supérieur de la magistrature italien, majoritairement composé de magistrats élus par leurs pairs, dispose d'attributions étendues. Comme en France, il fait actuellement l'objet d'un projet de réforme constitutionnelle, mais qui semble au premier abord s'orienter dans une direction inverse de celle qui est aujourd'hui envisagée dans notre pays.

A. LA SITUATION ACTUELLE

1. Une formation unique composée en majorité de magistrats

Le Conseil supérieur de la magistrature italien (CSM) comprend actuellement une formation unique compétente à l'égard des magistrats du Parquet comme à l'égard des magistrats du siège.

Le Président de la République en est le président de droit, mais le CSM est en fait administré par son vice-président élu par ses membres parmi ceux qui ont été désignés par le Parlement.

Sont en outre membres de droit le Premier président et le Procureur général de la Cour de cassation.

Les autres membres (au nombre de 30) sont élus pour les deux tiers par l'ensemble des magistrats en leur sein et pour un tiers par le Parlement parmi les professeurs de droit et les avocats totalisant plus de quinze ans d'exercice de leur profession, ainsi que le prévoit l'article 104 de la Constitution.

- 20 membres sont des magistrats élus par l'ensemble des magistrats du siège et du Parquet sans distinction de grade ni de catégorie.

Deux sièges sont toutefois réservés aux magistrats de la Cour de cassation (au nombre de 300 sur un total de 8.000 magistrats environ). Les deux magistrats représentant la Cour de cassation sont élus par un collège national regroupant l'ensemble des magistrats.

Les autres représentants des magistrats sont élus au scrutin de liste et à la représentation proportionnelle par quatre collèges de magistrats correspondant à la division du territoire italien en quatre circonscriptions 15( * ) .

Pour ces élections, les quatre " courants " composant l'Association nationale des magistrats (ANM) présentent chacun leurs listes. Il en résulte une certaine politisation des membres ainsi élus, qui sont tous des représentants d'une organisation de magistrats.

- Les 10 autres membres (dits membres " laïques " ou " non togati ") sont élus par le Parlement (les deux chambres réunies) au scrutin secret et à la majorité des trois cinquièmes des parlementaires 16( * ) .

Dans la pratique, il semble que la désignation de ces membres " laïques " -choisis parmi les professeurs de droit ou les avocats ayant plus de quinze ans de Barreau-, s'effectue à la proportionnelle des groupes politiques.

Les membres élus du CSM restent en fonction quatre ans et ne sont pas immédiatement rééligibles. Leur fonction est incompatible avec un mandat de parlementaire ou de conseiller régional.

Le Président de la République peut dissoudre le CSM si celui-ci se trouve dans l'impossibilité de fonctionner.

2. De larges attributions

Le Conseil supérieur de la magistrature italien a des attributions étendues à l'égard de l'ensemble des magistrats du siège et du Parquet.

- Il exerce tout d'abord les compétences administratives inhérentes à la gestion des carrières des magistrats et statue ainsi en matière de recrutements, affectations, promotions, mutations, en application de l'article 105 de la Constitution. Il a en ce domaine un pouvoir de décision et non de simple proposition, le ministre de la justice étant tenu d'enregistrer le choix du CSM dans le décret de nomination.

L'avancement s'effectue essentiellement à l'ancienneté, les mécanismes de sélection des juges en fonction de leurs mérites aux différentes étapes de la carrière ayant été supprimés au nom de l'égale dignité de toutes les fonctions judiciaires.

L'organisation et le fonctionnement des services relatifs à la justice relèvent pour leur part de la compétence du ministre de la justice, en vertu de l'article 110 de la Constitution.

- La section disciplinaire , composée de neuf membres élus par le Conseil supérieur de la magistrature en son sein (dont 6 magistrats et 3 " laïques ") et présidée par son vice-président, statue en matière disciplinaire à l'égard de l'ensemble des magistrats.

Le ministre de la justice a l'initiative des poursuites disciplinaires. Les sanctions disciplinaires sont prises à l'issue d'une procédure à caractère juridictionnel et sont susceptibles d'un recours en cassation devant la Cour de cassation. Les audiences de la section disciplinaire sont publiques.

- Enfin, le Conseil supérieur de la magistrature exerce un pouvoir paranormatif qui n'avait pas été prévu par la Constitution.

Lorsque des problèmes d'interprétation des lois se posent dans l'exercice de ses fonctions administratives, il édicte en effet des " résolutions de principe " ou des " circulaires " qui jouent un rôle semblable à celui des normes réglementaires.

Il émet en outre des avis sur les projets ou propositions de loi concernant la justice.

*

Le Conseil supérieur de la magistrature italien joue donc un rôle important qui semble s'être renforcé au cours des dernières années. Selon son actuel vice-président, M. Grosso, il est devenu le symbole de l'indépendance de la magistrature. Ainsi que l'a souligné M. Boato, député, rapporteur du projet de révision constitutionnelle élaboré par la " bicamerale ", on peut aussi y voir une instance d'" autogouvernement des juges " qui apparaît fortement politisée, avec des risques de dérives corporatistes.

B. LES PROJETS DE RÉFORME

Les dispositions relatives à la justice du projet de réforme constitutionnelle élaboré par la " bicamerale " (dites " système des garanties ") prévoient notamment une réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

1. Une proposition contestée de division du Conseil supérieur de la magistrature en deux formations

Allant à l'inverse de l'évolution aujourd'hui envisagée en France, le texte adopté par la " bicamerale " tend tout d'abord à la création de deux sections distinctes au sein du Conseil supérieur de la magistrature pour l'exercice de ses fonctions administratives, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège et l'autre compétente à l'égard des magistrats du ministère public, des compétences spécifiques étant par ailleurs attribuées à la formation plénière réunissant les deux sections 17( * ) .

A la suite de discussions longues et délicates qui ont abouti à un éclatement de la majorité parlementaire sur ce point, cette disposition a été adoptée avec le soutien d'une partie de l'opposition.

C'est la disposition la plus controversée du projet de réforme constitutionnelle. Elle suscite de très vives contestations de la part des magistrats.

D'après les informations recueillies auprès des différents interlocuteurs rencontrés par la mission, il semble aujourd'hui probable qu'elle ne sera finalement pas retenue par les assemblées plénières du Parlement qui pourraient lui préférer la fixation d'une proportion de représentants du Parquet au sein d'une formation unique. Le nombre de représentants du Parquet serait déterminé en fonction de leur nombre au sein de l'ensemble des magistrats italiens ; selon M. Ayala, sous-secrétaire d'Etat à la justice, il pourrait ainsi être fixé à 5 sur un total de 20 magistrats élus.

2. Une augmentation de la proportion des membres " laïques " (non magistrats)

Le texte adopté par la " bicamerale " prévoit par ailleurs d'accroître légèrement la proportion des membres " laïques " qui seraient désormais désignés par le seul Sénat, mais toujours parmi les professeurs de droit et les avocats ayant plus de 15 ans de Barreau.

Cependant, les membres magistrats resteraient largement majoritaires au sein du Conseil supérieur de la magistrature. Ils constitueraient en effet les trois cinquièmes de la composition de chaque section, la proportion des membres " laïques " étant portée à deux cinquièmes contre un tiers actuellement (soit 40 % au lieu de 33 %).

L'idée de prévoir une majorité en faveur des membres laïques a été évoquée au cours des débats de la " bicamerale " mais a été abandonnée devant les fortes résistances des magistrats et d'une partie de la classe politique.

3. Une séparation des fonctions administratives et disciplinaires

En ce qui concerne les fonctions disciplinaires, le texte adopté par la " bicamerale " prévoit la création d'un organe distinct du Conseil supérieur de la magistrature : la Cour de justice de la magistrature, composée de neuf membres issus pour six d'entre eux du Conseil supérieur de la magistrature (dont quatre magistrats et deux " laïques ") et pour trois d'entre eux du Conseil supérieur de la magistrature administrative (dont deux magistrats et un " laïque ").

Cette nouvelle Cour de justice de la magistrature serait chargée de statuer sur les sanctions disciplinaires à l'égard des magistrats et se substituerait donc à l'actuelle section disciplinaire du CSM.

Les fonctions administratives et juridictionnelles seraient totalement séparées, les membres de la Cour de justice de la magistrature ne participant pas aux activités du CSM.

Un Procureur général, désigné par le Sénat, serait le seul titulaire de l'action disciplinaire à l'encontre des magistrats ; il pourrait engager une enquête disciplinaire de sa propre initiative, ou à la demande du ministre de la justice, du procureur général près la Cour de cassation ou du CSM.

4. Une limitation des autres pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature

La " bicamerale " a souhaité réagir contre le développement du pouvoir paranormatif du Conseil supérieur de la magistrature, qui lui est apparu constituer un empiétement sur la compétence du pouvoir législatif.

Elle a donc prévu dans le texte du projet de révision constitutionnelle que les membres du Conseil supérieur de la magistrature ne pourraient émettre d'avis sur les projets de loi, avant leur présentation au Parlement, que sur la demande du ministre de la justice, et qu'il leur serait interdit d'adopter des actes ayant une orientation politique.

*

La " bicamerale " a par ailleurs souhaité inscrire dans la Constitution un certain nombre de grands principes relatifs à la justice, s'inspirant notamment des fondements de la nouvelle procédure pénale accusatoire mise en place depuis 1989 :

- principe du procès équitable ;

- principe du contradictoire ;

- principe de l'égalité des parties devant un juge " tiers " ;

- " principi dell'oralità, della concentrazione e dell'immediatezza " (c'est-à-dire, selon le rapport de M. Boato, le caractère principalement oral du procès, son déroulement dans le cadre d'une audience unique ou de quelques audiences rapprochées, et avec une relation directe entre le juge et la personne dont le juge doit évaluer les déclarations).

III. LES DIFFICULTÉS DU FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE PÉNALE ITALIENNE DANS LE CADRE DE LA NOUVELLE PROCÉDURE PÉNALE DE TYPE ACCUSATOIRE

Les entretiens avec les différents interlocuteurs rencontrés par la mission ont par ailleurs mis en lumière les difficultés auxquelles se heurte actuellement le fonctionnement de la justice pénale italienne.

L'application du principe de la légalité des poursuites en montre les limites. La nouvelle procédure pénale de type accusatoire mise en place en 1989 apparaît particulièrement lourde et complexe. Au total, la justice pénale italienne semble véritablement asphyxiée par des délais beaucoup trop longs.

A. LES LIMITES DU PRINCIPE DE LÉGALITÉ DES POURSUITES

1. L'impossibilité pratique de poursuivre tous les délits en même temps

L'obligation constitutionnelle d'exercer l'action publique qui est faite aux magistrats du parquet se révèle être un principe largement théorique.

En effet, dans la pratique, l'impossibilité de poursuivre toutes les infractions constatées avec une même attention et une égale efficacité conduit les magistrats du parquet à définir des priorités , au détriment de l'égalité des justiciables devant la loi.

Les affaires " sensibles " sont souvent privilégiées aux dépens du contentieux de masse.

L'exercice de l'action publique revêt donc concrètement un caractère discrétionnaire qui peut varier selon la personnalité de chaque membre du Parquet, en l'absence de définition d'ensemble de la politique pénale.

2. L'engorgement des tribunaux

L'application du principe de la légalité des poursuites aboutit aussi à l'engorgement des tribunaux confrontés à une masse d'infractions mineures. Cet engorgement est tel qu' il semble relativement fréquent que les petits délits soient finalement prescrits avant d'avoir été jugés.

B. UNE NOUVELLE PROCÉDURE PÉNALE LOURDE ET COMPLEXE

La procédure pénale italienne a été profondément réformée en 1989 avec la suppression du juge d'instruction et le passage à un système de type accusatoire, ce qui a substantiellement renforcé le rôle du ministère public, notamment au cours de la phase d'instruction.

1. Une enquête préliminaire menée par le ministère public

L'enquête préliminaire est conduite par le ministère public qui dispose à cette fin de la police judiciaire.

Cependant, les magistrats du parquet sont soumis, pour les actes les plus graves portant atteinte aux libertés individuelles (notamment le placement en détention provisoire), au contrôle d'un magistrat du siège : le juge de l'enquête préliminaire (qui pour sa part n'a aucun pouvoir d'enquête).

Ce juge statue également sur les " incidents probatoires " qui peuvent être déclenchés par les parties pour recueillir des preuves qui risqueraient de disparaître ou de se détériorer par la suite.

La preuve devant en principe se former en cours de l'audience de jugement, l'enquête préliminaire n'a en effet pas pour objet de constituer des preuves en vue du jugement mais seulement d'établir les faits qui peuvent donner lieu au déclenchement de l'action pénale et qui permettront de soutenir l'accusation.

Seuls les procès-verbaux des actes de l'enquête considérés comme non susceptibles de réitération (par exemple un compte-rendu d'autopsie, mais non les procès-verbaux d'interrogatoires de la police) peuvent être transmis à la juridiction de jugement.

2. Une " procédure ordinaire " complexe

A l'issue de l'enquête préliminaire, le juge de l'enquête préliminaire, saisi d'une requête du ministère public, statue en audience préliminaire sur le renvoi en jugement.

La procédure peut toutefois être conclue à ce stade, si les parties en sont d'accord, par l'utilisation des " rites abrégés ", comme on le verra plus loin.

Si tel n'est pas le cas, l'affaire est renvoyée, suivant le " rite ordinaire ", à la juridiction de jugement (à laquelle ne participe pas le juge de l'audience préliminaire).

La preuve doit en principe se former au cours de l'audience à partir des débats contradictoires entre les parties devant le juge, suivant les principes d'oralité et d'immédiateté.

Afin d'assurer l'égalité des parties, le juge des débats qui est appelé à statuer à l'issue de l'audience n'a pas accès à l'ensemble des pièces du dossier de l'enquête préliminaire 18( * ) mais seulement à celles qui correspondent à des actes considérés comme ne pouvant être répétés. Ces pièces sont donc triées sous le contrôle du juge de l'audience préliminaire pour constituer un deuxième dossier destiné aux débats.

Les pièces de ce dossier des débats peuvent seules être utilisées directement comme preuves. Les autres ne peuvent être utilisées par les parties qu'à titre de contestation, le juge pouvant alors admettre ou non ces preuves ; ainsi, au cours de l'interrogatoire des témoins peuvent être utilisées les déclarations faites précédemment par ceux-ci.

3. Des procédures simplifiées peu utilisées

Des procédures simplifiées (" rites abrégés ") peuvent être utilisées avec l'accord des parties. Elles permettent dans certains cas de conclure au stade de l'audience préliminaire sur la base du dossier de l'enquête préliminaire, en évitant l'audience des débats.

- Le jugement abrégé (accord sur la procédure seulement) permet d'obtenir une réduction du tiers de la peine ; le juge statue alors sur la peine au vu de l'ensemble du dossier de l'enquête préliminaire.

- Le " patteggiamento " (accord sur la peine) peut être demandé par le ministère public ou la personne poursuivie, avec l'accord du juge, sur la base de la reconnaissance de la culpabilité, en vue de l'application d'une peine concrète 19( * ) ne dépassant pas deux ans d'emprisonnement. Il permet d'obtenir une réduction du tiers de la peine ; en outre, cette mesure qui n'a pas le caractère d'une condamnation n'entraîne pas les effets accessoires de la peine.

Cependant, ces procédures simplifiées sont peu utilisées car les prévenus préfèrent parier sur la complexité et la lenteur de la " procédure ordinaire ". Dans la pratique, ils ont en effet intérêt à " jouer la montre " en utilisant toutes les voies de recours possibles qui permettent de retarder l'exécution de la condamnation éventuelle et laissent espérer le bénéfice de la prescription.

De plus, dans certains cas, l'accusé peut paradoxalement faire appel de son propre accord.

C. L'ASPHYXIE DE LA JUSTICE PÉNALE ITALIENNE PAR DES DÉLAIS BEAUCOUP TROP LONGS

La mise en place de cette nouvelle procédure pénale, qui comporte des mécanismes très sophistiqué de " garanties ", a entraîné un allongement considérable des délais. De plus, les différentes voies de recours : appel 20( * ) et cassation, semblent très fréquemment utilisées.

La durée de traitement d'un dossier n'est pas inférieure à trois ans (sauf si le prévenu est placé en détention provisoire dont la durée est limitée).

La durée totale de la procédure serait en moyenne de dix ans avant l'épuisement de toutes les voies de recours.

*

Au total, la combinaison du principe de légalité des poursuites, de l'application de la nouvelle procédure pénale et du manque de moyens entraîne donc une véritable asphyxie de la justice pénale italienne confrontée aux délais les plus longs d'Europe.

Ce bilan que certains qualifient de catastrophique a amené bon nombre des interlocuteurs de la mission à s'interroger sur la pertinence de la nouvelle procédure pénale.

Par ailleurs, le fonctionnement pratique du système judiciaire italien montre que l'indépendance totale des membres du Parquet peut conduire -nonobstant le principe de légalité des poursuites-, à un exercice discrétionnaire de l'action publique, au détriment de l'égalité des citoyens devant la loi et de la cohérence de la politique pénale. Des problèmes de coordination de l'action publique se posent en tout état de cause.

En outre, l'indépendance des magistrats du Parquet vis à vis du pouvoir exécutif permet certes de lever les soupçons d'intervention de l'autorité politique en matière de nominations, mais elle n'empêche pas une forte politisation des magistrats comme du Conseil supérieur de la magistrature et comporte des risques de dérives corporatistes.

Même si elle peut apparaître satisfaisante à bien des égards sur le plan théorique, l'organisation judiciaire italienne est donc bien loin de constituer un modèle idéal qu'il serait souhaitable de transposer en France.

*

* *


PERSONNALITES RENCONTREES LORS DU DÉPLACEMENT D'UNE DÉLÉGATION
DE LA COMMISSION DES LOIS EN ITALIE DU 17 AU 19 MAI 1998


 

Entretien à l'Ambassade de France avec

M. Jean-Michel Dumond, ministre-conseiller

 

Entretien au ministère de la justice avec MM. Giorgio Lattanzi, directeur général des affaires pénales, et Domenico Carcano, son adjoint

M. Philippe Labrégère, magistrat de liaison en Italie

 

Entretien au siège de la direction générale anti-mafia avec M. Emilio Ledone, coordonnateur des affaires internationales

 

Entretien avec M. Carlo Federico Grosso, vice-président du Conseil supérieur de la magistrature, au siège du conseil

 

Entretien au Palais de justice avec M. Vecchione, procureur du tribunal de Rome, et avec ses collaborateurs

 

Entretien au ministère de la justice avec M. Giuseppe Ayala, sous-secrétaire d'Etat à la justice

M. Jean-Bernard Mérimée, ambassadeur de France

 

Entretien à la Chambre des députés avec M. le député Marco Boato (rapporteur de la réforme constitutionnelle relative au statut de la magistrature)



1 Cf. rapport n° 49 (1996-1997) " Quels moyens pour quelle justice ? " M. Charles Jolibois, président ; M. Pierre Fauchon, rapporteur.

2 Cf. rapport n° 247 (1994-1995) " Justice et transparence " M. Jacques Bérard, président ; M. Charles Jolibois, rapporteur.

3 cf. compte-rendu de déplacement figurant en annexe du présent rapport.

4 cf. décision n°92-305 DC du 21 février 1992.

5 Les modalités de cette élection seront précisées à l'occasion de l'examen de l'article 1er.

6 Cf. compte-rendu annexé au présent rapport.

7 Cf. compte-rendu de déplacement annexé au présent rapport.

8 Egalement comme dans la situation actuelle, la présidence du CSM statuant comme conseil de discipline resterait toutefois exercée alternativement par le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près cette Cour selon l'appartenance au siège ou au parquet du magistrat mis en cause.

9 Cf. art. 1er de l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l'Etat, dans sa rédaction résultant de l'article 9 de la loi organique n° 92-189 du 25 février 1992.

10 n° 319 (1997-1998).

11 Cf., pour un aperçu de la situation dans les autres pays, l'étude de droit comparé sur le statut du parquet réalisée par le ministère de la justice et publiée en annexe du rapport de la commission de réflexion sur la justice constituée sous la présidence de M. Pierre Truche.

12 Voir programme de la mission annexé.

13 Commission mixte, composée pour moitié de députés et pour moitié de sénateurs, chargée d'élaborer un projet de réforme d'ensemble de la Constitution.

14 dont la mission a rencontré deux représentants

15 La constitution de ces quatre collèges fait l'objet d'un tirage au sort quatre mois avant les élections pour le renouvellement du CSM.

16 A partir du troisième tour la majorité des trois cinquièmes des votants suffit.

17 La formation plénière serait notamment compétente en matière de recrutement et de passage du siège au Parquet et vice-versa.

18 qui est en revanche à la disposition des parties

19 définie en fonction des circonstances et de la réduction ultérieure du tiers

20 qui existe en toute matière, y compris en matière criminelle

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