EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 5 juin 1996, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, puis de M. Jean Cluzel, vice-président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jacques Oudin sur le projet de loi n° 348 (1995-1996) relatif à l'encouragement fiscal en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires de commerce.

M. Jacques Oudin, rapporteur, a tout d'abord souligné que ce projet était l'aboutissement d'une longue réflexion, à laquelle il avait contribué dans le cadre du groupe de la mer au Sénat, et de l'Amicale interparlementaire de la mer, sur les moyens de redynamiser la flotte de commerce française et de renouer avec l'ambition maritime de la France.

M. Jacques Oudin a rappelé l'attachement du Président de la République au destin maritime de la France, qui suppose une politique inspirée au plus haut niveau de l'État et affirmée dans tous les domaines d'activité liés à la mer : l'aménagement et la protection du littoral, la marine nationale, la surveillance des côtes et la lutte contre la pollution marine, la recherche océanographique, le tourisme et la navigation, la pêche, les ports, la construction navale, mais aussi et surtout la marine marchande. Citant toujours le Président de la République, M. Jacques Oudin a observé que la capacité exportatrice de la France et sa compétitivité dépendaient de la qualité de sa marine marchande, surtout à une époque où le transport était devenu une variable croissante du prix de revient des produits.

Le rapporteur a alors rappelé le déclin prononcé de la flotte de commerce française depuis vingt ans, dans un contexte de croissance soutenue du commerce maritime international (6 % par an en moyenne). Passée du huitième au vingt-cinquième rang mondial et de 500 à 209 navires, la flotte de commerce française ne représente plus que 0,95 % de la flotte mondiale avec un tonnage de 3,95 millions de jauge brute en 1996 contre 6,5 en 1970. En vingt ans, les effectifs de la marine marchande ont été divisés par sept. Aujourd'hui, en dépit de son rang de quatrième puissance exportatrice, la France n'achemine que 15 % de son commerce extérieur maritime sur des navires battant pavillon français. Outre les incidences négatives pour l'emploi, cette situation peut fragiliser les positions commerciales de la France, et menacer son indépendance stratégique.

Il a observé que deux raisons expliquaient ce constat inquiétant : d'une part, la décolonisation qui a mis fin aux rentes de situation des armateurs français et, d'autre part, l'exacerbation de la concurrence sur les mers, qui n'est que l'un des aspects les plus visibles de la mondialisation de l'économie. Il a estimé que, dans ce contexte, les normes de qualité et de sécurité du pavillon français en induisant des coûts d'exploitation élevés, pesaient sur la compétitivité de la flotte de commerce française.

M. Jacques Oudin a souligné que l'armement maritime était une industrie à très forte intensité en capital et qu'il convenait, pour favoriser les investissements dans ce secteur, d'orienter l'épargne existante grâce à une aide fiscale incitative. Il a notamment insisté sur le fait qu'en dépit du contexte budgétaire actuel, une telle mesure était plus que justifiée par l'intérêt économique et stratégique de la flotte de commerce.

Après avoir évoqué les quatre catégories existantes d'aides budgétaires, fiscales et sociales en faveur de la marine, M. Jacques Oudin a souligné qu'elles tendaient à abaisser les charges d'exploitation des navires et n'apportaient, par conséquent, pas de solution efficace au problème de financement des armateurs. En effet, les subventions à l'investissement, qui représentent 10 à 15 % de la valeur du navire, ne sont pas d'un montant suffisant pour décider une opération d'investissement.

M. Jacques Oudin a observé que pour faire face au manque de fonds propres des armateurs français, l'outil le plus pertinent était l'encouragement fiscal en faveur de la souscription des quirats afin d'orienter l'épargne vers le transport maritime. Évoquant l'impact négligeable du régime actuel des quirats sur l'investissement maritime, il a rappelé que lui-même avait été à l'origine de plusieurs amendements visant à le rendre plus attractif. Il a souligné, par ailleurs, que la défiscalisation prévue par la loi "Pons" ne constituait pas une réponse adaptée aux besoins des armateurs français localisés en métropole.

Puis, le rapporteur a indiqué que le dispositif fiscal envisagé s'inspirait de systèmes étrangers analogues ayant fait la preuve de leur efficacité. Prenant l'exemple du dispositif allemand qui permet aux investisseurs d'imputer sur leurs revenus les pertes constatées au titre de leur investissement et prévoit un amortissement dérogatoire réduisant considérablement la durée d'amortissement des navires, M. Jacques Oudin a indiqué que ce mécanisme avait attiré 7,4 milliards de francs qui avaient permis de financer l'achat de 159 navires, soit une valeur de 20,4 milliards de francs. Il a souligné, en outre, que l'impact sur les chantiers allemands avait été très positif, ces derniers ayant bénéficié de la moitié des commandes de navires neufs.

M. Jacques Oudin a alors présenté le dispositif proposé par le projet de loi, qui a pour objectif d'encourager les personnes physiques et morales dont l'armement maritime n'est pas l'activité principale à placer leur épargne dans des parts de copropriété de navires civils de charge, en leur permettant de déduire de leurs revenus et bénéfices le montant total de leur investissement. Il a précisé que cette mesure bénéficierait tant aux navires neufs qu'aux navires d'occasion. Cette exonération, subordonnée à un agrément du ministre du budget, après avis du ministre chargé de la marine marchande, est limitée à 500.000 francs par an pour les personnes seules et à un million de francs par an pour les couples mariés. La souscription des parts devra avoir lieu avant le 31 décembre 2000 et les parts de copropriété devront être conservées par les souscripteurs pendant au moins cinq exercices fiscaux. Enfin, l'armateur responsable du projet devra détenir au moins 20 % des parts et ne pourra bénéficier de la défiscalisation.

Il a ajouté que si l'une ou l'autre des conditions qui ouvrent droit à l'exonération n'était pas remplie ou cessait de l'être, toutes les sommes antérieurement déduites seraient réintégrées dans le bénéfice ou le revenu de l'année au cours de laquelle le manquement intervenait. Toutefois, il a précisé que la condition de détention des parts de copropriété pendant cinq années à compter de la livraison du navire engageait distinctement chacun des quirataires et n'était donc sanctionnée que pour le seul quirataire vendant ses parts avant l'échéance prévue.

Citant les chiffres du Gouvernement, M. Jacques Oudin, rapporteur a estimé que le taux de rentabilité interne d'un tel investissement serait de l'ordre de 12 % pour les personnes physiques et de 8 % pour les sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés. Sur la base des flux d'investissements actuels, la mesure devrait attirer vers l'investissement maritime environ la moitié des sommes nécessaires au renouvellement annuel de la flotte, soit un milliard de francs par an, ce qui correspond à une dépense fiscale d'environ 400 millions de francs pour 500 emplois maritimes créés chaque année.

M. Jacques Oudin, rapporteur a enfin insisté sur l'impact positif d'une telle mesure pour le tissu social des régions littorales qui verraient confortés des secteurs d'emplois hautement qualifiés (matériaux, électronique, mécanique), et pour notre savoir-faire en matière maritime.

Le rapporteur a ensuite présenté les grandes lignes de ses propositions d'amendements qui tendent :

- à élargir le champ d'application de la mesure à tous les navires armés au commerce et à la pêche ;

- à aménager la fiscalité existante en faveur des navires de plaisance donnés en location à des loueurs professionnels ;

- à introduire une clause expresse de pavillon français ;

- à préciser la procédure d'agrément ministériel ;

- et enfin, à rendre plus accessible le bénéfice de l'avantage fiscal pour tous les épargnants.

À l'issue de cet exposé, M. Philippe Adnot, a partagé le constat dressé par le rapporteur et a donné son approbation de principe à l'égard d'une mesure visant à redynamiser la flotte française. Toutefois, relevant que les amendements étendant le champ de la mesure étaient gagés, il s'est opposé à tout prélèvement obligatoire nouveau et a demandé une évaluation du coût des modifications proposées.

M. Yann Gaillard a observé que, en dépit de son intérêt au regard des problèmes de la marine marchande, le projet de loi allait à contre-courant des orientations fiscales actuelles qui visent à remettre en cause les "niches" fiscales. Il a par ailleurs exprimé ses craintes face aux risques de double-emploi induits par la mesure relative aux navires de plaisance exploités commercialement qui bénéficient déjà de l'avantage "Pons".

M. Jacques Oudin, rapporteur, a alors précisé que, loin d'être une niche fiscale, la mesure en faveur des quirats avait un objectif précis de développement d'un secteur économique, ce qui n'était pas le cas par exemple de l'abattement forfaitaire de 20 % en faveur des salariés.

Répondant à M. Emmanuel Hamel qui l'interrogeait sur le nombre d'emplois susceptibles d'être créés d'ici l'an 2000, M. Jacques Oudin a évalué l'impact total à plusieurs milliers d'emplois.

Après avoir signalé combien il était paradoxal de discuter d'une exonération fiscale de cette ampleur à la veille de l'audition de M. Dominique de la Martinière, dont le récent rapport préconise la disparition des "niches fiscales", M. Alain Lambert, rapporteur général, a précisé que les gages fiscaux visant à compenser le coût de certains des amendements proposés auraient un caractère formel si le Gouvernement acceptait de les lever finalement.

La commission a ensuite abordé l'examen des articles.

Elle a tout d'abord adopté un premier amendement, insérant un article additionnel avant l'article premier , ayant pour objet de rappeler les différentes catégories d'armement possibles pour un navire civil.

À l' article premier , elle a adopté pour l'article 238 bis HN du code général des impôts, un amendement tendant à étendre le champ d'application de l'exonération aux navires armés au commerce, catégorie qui inclut, outre les navires civils de charge, les navires à passagers.

M. Jacques Oudin a fait valoir que les chantiers navals français étaient particulièrement performants dans le secteur des navires à passagers et qu'il serait par conséquent dommageable de maintenir ces derniers hors du champ de la loi.

M. Jacques Oudin a ensuite souligné que les difficultés de financement de la flotte de pêche industrielle étaient comparables à celles de la flotte de commerce, dans un contexte de surcroît très encadré par les politiques communautaires.

La commission a alors adopté un amendement tendant à étendre le champ d'application de l'exonération aux navires de plus de trente mètres de long armés à la pêche.

Puis, la commission a adopté un amendement ayant pour objet de réserver le bénéfice de l'exonération fiscale aux navires battant pavillon français.

La commission a ensuite adopté un amendement ayant pour objet de garantir la sécurité des investisseurs non professionnels en posant le principe d'un engagement contractuel de l'armateur de conserver ses parts pendant la durée de cinq ans conditionnant le bénéfice de l'avantage fiscal.

La commission a, par ailleurs, adopté un amendement tendant à préciser que l'agrément ministériel ne serait donné que si le navire était acquis au prix du marché. M. Jacques Oudin a rappelé à cet égard que les ferries desservant la Corse, qui sont subventionnés au titre de la continuité territoriale, étaient particulièrement onéreux à l'achat.

La commission a adopté par ailleurs sept amendements rédactionnels pour l'article 238 bis HN du code général des impôts ainsi que le principe d'un décret d'application.

Puis elle a adopté un amendement tendant à adapter le dispositif d'exonération fiscale pour les navires de pêche artisanale. M. Jacques Oudin a précisé que les patrons-pêcheurs conserveraient la majorité de la propriété de leur navire.

À l'article 163 unvicies du code général des impôts, la commission a adopté deux amendements rédactionnels.

À l'article 217 nonies du code général des impôts, la commission a également adopté deux amendements rédactionnels.

Puis, la commission a adopté un amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article premier , dont l'objet est d'autoriser à nouveau l'imputation des déficits industriels et commerciaux non professionnels sur le revenu global pour les propriétaires de navires de plaisance donnés en location à des loueurs de navires professionnels.

M. Jacques Oudin a indiqué que le secteur de la location professionnelle de navires de plaisance constituait un débouché essentiel pour l'industrie constructrice de ces navires, pour laquelle la France détient la première place mondiale. En réponse à M. Philippe Adnot, qui a considéré que cette prééminence naturelle constituait précisément un argument pour ne pas favoriser davantage le secteur, le rapporteur a précisé que le secteur de la construction avait subi une perte de chiffre d'affaires en France métropolitaine de 30 % depuis l'entrée en vigueur de l'article 77 de la loi de finances initiale pour 1996, qui a supprimé cette possibilité d'imputation.

M. Alain Lambert, rapporteur général, relevant que cet amendement revenait partiellement sur des dispositions essentielles de la dernière loi de finances, s'est inquiété de la cohérence des positions successives de la commission.

La commission a ensuite adopté un second amendement insérant un article additionnel après l'article premier et dont l'objet est d'élargir le public d'investisseurs susceptibles de bénéficier de l'avantage fiscal, en autorisant l'acquisition de parts de copropriété de navires par l'intermédiaire de fonds communs de placement à risques.

La commission a. en outre, adopté un troisième amendement insérant un article additionnel après l'article premier et tendant à modifier l'intitulé du projet de loi, qui deviendrait "Projet de loi relatif au financement et à la propriété des navires".

La commission a enfin adopté un amendement supprimant l'article 2 du projet de loi, devenu sans objet du fait de son précédent amendement de codification.

La commission a alors approuvé l'ensemble du projet de loi ainsi amendé.

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