II. LE RECOURS AUX ORDONNANCES EST NON SEULEMENT JUSTIFIÉ DANS LE CAS PRÉSENT MAIS, DE PLUS, IL NE SE TRADUIT PAS PAR UN EFFACEMENT DU PARLEMENT

Apparues sous la IIIe République, sous l'appellation de décrets-lois et abondamment pratiquées en vertu de « lois de pleins pouvoirs » ou de « lois de pouvoirs spéciaux » notamment pendant l'entre deux-guerre et sous la IVe République, les ordonnances sont trop souvent présentées sous le seul angle d'un dessaisissement des pouvoirs du Parlement dans des domaines essentiels de la vie publique au profit du pouvoir exécutif.

Or, il convient non seulement de rappeler que le recours aux ordonnances s'avère une nécessité dans le fonctionnement de nos institutions mais encore qu'il ne prive pas le Parlement de ses compétences et moyens de contrôle. Le Conseil Constitutionnel s'est d'ailleurs attaché à les renforcer à travers sa jurisprudence et en encadrant strictement les prérogatives du pouvoir exécutif dans de telles circonstances.

Si on excepte les circonstances particulières créées à la guerre d'Algérie, on constate que les quelques 220 ordonnances adoptées depuis le début de la Ve république, en vertu de l'article 38 de la Constitution, sont intervenues dans trois domaines essentiels : l'application de traités communautaires européens, l'aménagement du statut des territoires et collectivités d'outre-mer, et enfin la réalisation de réformes de nature économique ou sociale.

Or, le recours aux ordonnances a été opéré quelles que soient les majorités en place à travers 25 lois d'habilitation successives. Ainsi depuis 1958, il n'y a pas eu une législature sans loi d'habilitation.

S'agissant plus précisément du Parlement, il faut noter que son rôle reste important depuis le vote de la loi d'habilitation jusqu'à la mise en oeuvre des ordonnances qui en découlent et l'adoption de la loi de ratification.

A. AU NIVEAU DE LA LOI D'HABILITATION

Il convient de souligner en premier lieu que la procédure de l'article 38 est d'abord une procédure d'autorisation : autorisation accordée par le Parlement au Gouvernement, à la demande de ce dernier.

1. Les principes généraux

Le premier alinéa de l'article 38 de la Constitution est explicite : « le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances pendant un délai limite des mesures qui sont normalement du domaine de la loi » .

Si la loi d'habilitation permet bien au Gouvernement d'intervenir dans le domaine de la loi, c'est le Parlement qui décide de son principe et en fixe l'étendue. Par sa jurisprudence, le Conseil Constitutionnel a précisé, par ailleurs, le champ d'application de l'article 38 et les limites de l'habilitation ainsi accordée.

Il est clair d'abord que si le Gouvernement a seul le droit d'initiative en matière d'ordonnances, le Parlement dispose toujours du pouvoir essentiel d'accorder ou de refuser au Gouvernement l'habilitation qu'il lui demande ou d'en limiter son étendue.

De plus, le contenu de la loi d'habilitation doit répondre à certaines règles.

2. Les délais

La loi d'habilitation doit fixer premièrement deux délais qui enserrent dans le temps les pouvoirs dérogatoires du Gouvernement.

Le premier délai est celui pendant lequel le Gouvernement pourra prendre des ordonnances. Ce délai d'habilitation a été, par le passé, très variable allant d'un mois (loi du 22 avril 1982) à trois ans et demi (loi du 6 juillet 1982). Selon une étude effectuée en 1987 ( ( * )5) la durée moyenne est comprise entre 10 et 15 mois, un tiers des délais d'habilitation étant néanmoins inférieur à 6 mois. Les délais les plus longs ont été constatés pour des ordonnances destinées à l'application des traités européens et à la détermination du statut de territoires d'outre-mer.

Le délai de quatre mois fixé par la présente loi d'habilitation constitue donc une durée brève et traduit tant la détermination du Gouvernement de mener rapidement à bien ses réformes que le souci de respecter les engagements pris auprès du Parlement notamment le 15 novembre dernier.

Le second délai est celui dans lequel le Gouvernement doit saisir le Parlement des ordonnances édictées en vue de leur ratification. Il est ordinairement de l'ordre de un à trois mois, à compter de l'expiration du délai d'habilitation.

En l'espèce, l'article 3 du projet de loi d'habilitation prévoit qu'un projet de loi portant ratification des ordonnances prises sera déposé au plus tard le 31 mai 1996 c'est-à-dire avec un écart de seulement un mois par rapport à l'expiration probable de l'habilitation. Là encore, le calendrier retenu est cohérent avec les engagements pris par le Gouvernement.

3. Le programme

Deuxièmement, l'habilitation étant destinée à permettre au Gouvernement « l'exécution de son programme » , ce dernier est donc tenu de le faire connaître au Parlement. Comme l'a précisé le Conseil Constitutionnel (décision n° 86-207 DC du 25-26 juin 1986), le Gouvernement doit « définir avec précision les finalités des mesures qu'il se propose de prendre ainsi que leurs domaines d'intervention » .

La forme que doit prendre cette information du Gouvernement est laissée à l'appréciation de ce dernier et le Conseil Constitutionnel n'a pas retenu l'idée selon laquelle seul le programme présenté dans le cadre de l'article 49 de la Constitution (en vertu duquel le Premier ministre peut engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale), serait recevable.

Dans le cas du présent projet de loi d'habilitation, un « programme » a effectivement soumis au Parlement lors de la déclaration de politique générale du 15 novembre dernier et a fait l'objet dans les deux Assemblées d'un vote de confiance sans équivoque.

S'agissant donc des finalités de l'habilitation, elles ont été parfaitement détaillées dans le cadre de ce programme et sont rappelées dans le texte même du projet de loi.

Quant aux domaines d'intervention, ils sont énumérés de façon précise à l'article premier. Il faut noter à cet effet que chaque mesure est exposée avec la finalité qui lui est impartie.

Ainsi, les mesures visées aux 1°, 2°, 4° ont pour objectif d'assurer l'équilibre financier des branches concernées. Les autres sont destinées notamment à améliorer la qualité des soins et la maîtrise des dépenses de santé (3°), à assurer une répartition plus adaptée des responsabilités, une attribution plus efficace des moyens des établissements de soins et une meilleure maîtrise des coûts (5°), à simplifier et rationaliser les structures et la gestion des institutions, régimes et branches de sécurité sociale (6°), à consolider et à apurer la dette constatée au 31 décembre 1995 ainsi que du déficit prévisionnel de l'exercice 1996 (7°), enfin à recentrer des missions du fonds de solidarité vieillesse (8°).

La décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977 stipule que « s'il est spécifié à l'alinéa 1er de l'article 38 de la Constitution, que c'est pour l'exécution de son programme que le Gouvernement se voit attribuer la possibilité de demander au Parlement l'autorisation de légiférer, par voie d'ordonnances pendant un délai limite, ce texte doit être entendu comme faisant obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, lors du dépôt d'un projet de loi d'habilitation et pour la justification de la demande présentée par lui, quelle est la finalité des mesures qu'il se propose de prendre » .

La même décision en déduit qu'il y a lieu d'exclure toute autre interprétation et notamment celle qui serait tirée d'un rapprochement avec les énonciations de l'alinéa 1er de l'article 49 au motif, d'une part, qu'elle ne ferait aucune place, pour une éventuelle justification de recours aux dispositions de l'article 38, aux notions de circonstances imprévues ou de situation requérant des mesures d'urgence et, d'autre part, qu'en raison de sa généralité elle « aurait pour résultat d'étendre, sans limites définies, le champ d'application de la procédure d'habilitation... au détriment du respect des prérogatives du Parlement » .

Le Conseil Constitutionnel a repris en l'enrichissant la motivation de cette décision dans sa décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986 qui précise que l'article 38 « doit être entendu comme faisant obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement quelle est la finalité des mesures qu'il se propose de prendre et leurs domaines d'intervention. »

* (5) Revue française de droit administratif. Septembre/octobre 1987

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