N° 128

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 13 décembre 1995.

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 décembre 1995.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, CONSIDÉRÉ COMME ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE AUX TERMES DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3, DE LA CONSTITUTION, APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, autorisant le Gouvernement, par application de l' article 38 de la Constitution, à réformer la protection sociale.

Par M. Charles DESCOURS.

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean-Pierre Fourcade, président ; Jacques Bimbenet, Claude Huriet, Charles Metzinger, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Michelle Demessine, M. Charles Descours, Mme Marie-Madeleine Dieulangard. MM. Jacques Machet, secrétaires ; José Balarello, Henri Belcour, Jacques Bialski. Paul Blanc, Mme Annick, Bocandé, MM. Eric Boyer, Louis Boyer, Jean-Pierre Cantegrit, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux. Jean Chérioux, Georges Dessaigne, Mme Joëlle Dusseau, MM. Guy Fischer, Alfred Foy, Serge Franchis, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Alain Gournac, Roland Huguet, André Jourdain, Pierre Lagourgue, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Simon Loueckhote, Jean Madelain, Michel Manet, René Marquès, Serge Mathieu, Georges Mazars, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Louis Philibert, André Pourny, Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, André Vézinhet, Jean-Pierre Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (10ème législ ) 2405, 2414, 2415 et TA 430

Sénat 122 (1995-1996).

Protection sociale .

Votre commission a procédé, le mercredi 13 décembre 1995, à l'examen du projet de loi autorisant le Gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à réformer la protection sociale.

Votre commission rappelle qu'avec une très large majorité des membres des deux Assemblées, elle a approuvé sans réserve le plan de réforme de la sécurité sociale présenté par M. Alain Juppé, Premier ministre, le mercredi 15 novembre 1995.

Elle constate que le présent projet de loi, tel qu'il a été amendé à l'Assemblée nationale, constitue la traduction très précise des mesures d'urgence distinguées, dans ce plan, par le Premier ministre.

Elle vous demande donc d'en approuver l'économie et de ne pas en modifier les termes.

Elle considère que le recours aux ordonnances est particulièrement justifié en ce qui concerne les mesures de reprise de la dette et de redressement financier de la sécurité sociale. Elle estime, en revanche, qu'une autre procédure aurait peut-être pu être envisagée pour la réforme hospitalière et les mesures structurelles destinées à maîtriser les dépenses de santé.

Elle comprend toutefois les motivations du Gouvernement. Elle veut croire que le délai de quatre mois qu'il a retenu suffira à la préparation de ces mesures structurelles.

Elle observe que le Gouvernement s'est engagé à informer et à consulter les commissions permanentes compétentes des deux Assemblées sur les ordonnances et à permettre au Parlement de débattre du projet de loi de ratification avant l'été 1996.

Elle juge, enfin, que la rédaction du texte garantit que ni l'accès aux soins, ni les régimes de retraite par répartition, ni les droits des futurs retraités des régimes spéciaux ne pourront être remis en cause dans le cadre de cette habilitation. Cette rédaction interdit également de modifier la nature des prestations familiales ou d'en aménager le régime fiscal.

C'est pour l'ensemble de ces raisons que votre commission a choisi d'adopter le présent projet de loi sans le modifier.

Mesdames, messieurs,

Le présent projet de loi d'habilitation est la première étape de la mise en oeuvre du plan de réformes de notre protection sociale présenté le 15 novembre dernier par le Premier ministre à l'occasion de sa déclaration de politique générale et de l'engagement de la responsabilité de son Gouvernement.

Ce plan constitue un tournant majeur dans l'histoire de notre protection sociale. Les difficultés de ce système ont donné lieu depuis 1945 à une trentaine de rapports officiels et à un nombre considérable de « plans de redressement ». Pour la première fois, l'actuel gouvernement propose un véritable plan d'ensemble, à la mesure des enjeux réels : assurer l'avenir de notre système de protection sociale tout en maintenant les acquis auxquels nos concitoyens sont légitimement attachés.

Ce plan de réformes repose, comme le Premier ministre l'a rappelé, sur une exigence forte à laquelle votre commission des Affaires sociales est particulièrement sensible : la justice. Cet objectif sera poursuivi tant au niveau du financement (substitution croissante et progressive d'une CSG à l'assiette élargie aux cotisations calculées uniquement sur les revenus du travail) qu'au plan des dépenses (mise en place, par exemple, d'un régime universel d'assurance maladie).

Cet objectif est, de plus, cohérent avec l'état des lieux et les perspectives extrêmement préoccupantes liées aux dérives multiples actuellement constatées, quelles que soient les branches, de l'ensemble de nos régimes de sécurité sociale.

La « refondation » que le Gouvernement propose de réaliser passe par un préalable indispensable : l'assainissement de la situation présente c'est-à-dire l'apurement de la dette sociale accumulée à ce jour et le retour l'équilibre des comptes sans lesquels aucune réforme de structure, aussi ambitieuse soit-elle, n'a de chances de réussir.

Le présent projet de loi d'habilitation répond donc à cette nécessité : prendre les mesures immédiates et urgentes qu'impose la situation de nos régimes sociaux. Il correspond également à la volonté du Gouvernement d'agir au plus vite, conformément aux engagements courageux pris devant la représentation nationale, le 15 novembre dernier.

En autorisant ainsi le Gouvernement à recourir aux ordonnances pour la mise en oeuvre de mesures d'urgence, le Parlement n'abandonne pas pour autant ses prérogatives.

Si le Parlement consent à autoriser le Gouvernement à intervenir dans le domaine législatif, il en définit le cadre et la durée. Le juge constitutionnel l'a d'ailleurs incité à le faire de façon la plus précise, sous peine d'encourir sa censure.

De plus, le Parlement reste pendant toute la durée de cette habilitation en mesure d'exercer un contrôle approfondi sur l'action du Gouvernement à travers les procédures habituelles.

Enfin, le Gouvernement a de lui-même annoncé qu'il associerait étroitement le Parlement. Il convient de rappeler que c'est devant la représentation nationale que le Premier ministre a choisi de dévoiler l'ensemble de son plan. Ce dernier reprend d'ailleurs de nombreuses suggestions des parlementaires exposées à l'occasion du débat sur l'évolution de la protection sociale. Par ailleurs, le Premier ministre a précisé que les commissions compétentes du Parlement seront informées et consultées tout au long de la phase de mise au point des ordonnances. Enfin, il s'est engagé à organiser un débat à l'occasion de la ratification des ordonnances avant l'été 1996.

Votre commission des Affaires sociales regrette donc les procès d'intention faits au Gouvernement et à la majorité qui le soutient sur le thème du « dessaisissement du Parlement ». Elle souhaite par l'examen approfondi et par le vote du présent projet de loi concourir à la réussite de ce plan. C'est, en effet, l'avenir de notre protection sociale qui en constitue le véritable enjeu.

I. LA GRAVITÉ DE LA CRISE DE NOTRE SYSTÈME DE PROTECTION SOCIALE JUSTIFIE LA MISE EN oeUVRE DE MOYENS EXCEPTIONNELS

Le Gouvernement s'est fixé un objectif clair : sauvegarder notre protection sociale. A travers le présent projet de loi d'habilitation, il cherche à s'en donner les moyens.

Dès l'annonce de son plan de réforme de la protection sociale le 15 novembre au Parlement, le Premier ministre avait en effet annoncé l'emploi de cette procédure à caractère exceptionnel dans les domaines suivants : les modalités de remboursement de la dette sociale, les mesures immédiates de rééquilibrage financier des branches de la sécurité sociale, l'organisation des caisses du régime général, la réforme hospitalière et les instruments de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé.

Il convient de souligner d'emblée que les ordonnances ne couvrent donc pas l'ensemble des réformes visées par le plan gouvernemental. Le Premier ministre a en effet précisé que d'une part, une révision constitutionnelle sera engagée dès janvier 1996 afin de renforcer les compétences du Parlement dans le nouveau système de protection sociale, d'autre part, des réformes essentielles telles que la création du régime universel d'assurance maladie, le régime des prélèvements obligatoires et le dispositif d'épargne-retraite feront l'objet de projets de loi ordinaires.

En revanche, pour les questions précisément visées par le projet de loi d'habilitation, le recours à la procédure des ordonnances apparaît, en droit comme en opportunité, pleinement justifié.

En effet, l'alinéa premier de l'article 38 dispose que : « le Gouvernement peut pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi » . Or c'est précisément une partie du programme que le Premier ministre a exposé devant l'Assemblée nationale à l'occasion de sa déclaration de politique générale sur la réforme de la protection sociale, qui est en cause.

Si la jurisprudence du Conseil constitutionnel n'établit pas de lien absolu entre la notion de « programme » au sens de l'alinéa premier de l'article 49 de la Constitution et celle figurant à l'article 38, les finalités des ordonnances sont, en l'espèce et par ce biais, parfaitement claires.

Par ailleurs, l'opportunité des ordonnances n'est pas douteuse : la gravité de la crise traversée par l'ensemble de notre système de protection sociale et l'urgence des réformes à entreprendre requièrent des mesures efficaces et rapides.

A. LA CRISE DE NOTRE SYSTÈME DE PROTECTION SOCIALE MENA CE D'EN ANÉANTIR LES ACQUIS

Le système français de protection sociale a été fondé il y a cinquante ans autour de quelques idées simples et ambitieuses : la solidarité entre tous les Français, l'universalité de la protection sociale et la responsabilité de chacun au profit de tous. Son histoire est celle de la mise en oeuvre, souvent délicate, des principes posés alors.

Mais les résultats, remarquables, qui ont placé dans ce domaine la France aux premiers rangs des pays industrialisés sont aujourd'hui gravement menacés. La protection sociale est en crise non seulement d'un point de vue financier, avec un accroissement continu de ses déficits, mais également au plan de ses principes comme en témoigne la montée des phénomènes d'exclusion.

L'habilitation demandée par le Gouvernement vise à lui permettre de prendre les mesures énergiques rendues indispensables par les retards accumulés au niveau décisionnel depuis tant d'années. Elle répond aussi à l'engagement pris par le Premier ministre devant la représentation nationale d'agir rapidement et efficacement.

1. Les acquis menacés de la protection sociale

Brièvement, il est nécessaire de rappeler les progrès considérables accomplis depuis 1945 grâce à notre système de sécurité sociale car nos concitoyens y sont attachés et en sont légitimement fiers. Ce sont ces acquis que le Gouvernement tente de préserver.

a) Une couverture sociale étendue

La protection sociale dont bénéficient aujourd'hui les Français est particulièrement complète. Les principales étapes de sa généralisation ont été rappelées récemment dans le rapport du Gouvernement au Parlement sur la protection sociale de novembre 1995.

Entre 1945 et les années 1970, la sécurité sociale a été généralisée progressivement à l'ensemble de la population active. Cet objectif a été atteint dans le domaine de la vieillesse par la mise en place progressive des régimes autonomes de retraite : en 1948 pour les artisans, les industriels et les commerçants et les professions libérales, en 1952 pour les exploitants agricoles. Dans le domaine de la maladie, la généralisation est passée par la création d'un régime d'assurance obligatoire au profit des exploitants agricoles (en 1961) et des professions non salariés non-agricoles (en 1966). Des dispositions ont parallèlement prévu l'extension du régime général à plusieurs catégories de la population, notamment les étudiants, les militaires de carrière et les veuves de guerre.

La généralisation de la sécurité sociale hors du champ professionnel a été relancée au milieu des années 1970. Elle est allée jusqu'à son terme dans la branche famille qui, depuis 1978, est universelle. L'assurance maladie, pour sa part, a été étendue par l'assouplissement des règles d'entrée, d'octroi et de maintien des prestations ainsi que par la création d'un régime d'assurance personnelle auquel les personnes démunies peuvent être affiliées.

L'assurance vieillesse, enfin, est obligatoire pour tous les actifs depuis 1975. Comme en assurance maladie, la loi a prévu des dispositions généreuses qui permettent de bénéficier de droits sans même exercer d'activité régulière. Ainsi, dix semaines de salariat au plafond de cotisation suffisent à valider une année complète d'assurance et les périodes d'interruption volontaire de l'activité salariée sont prises en compte pour la détermination de la durée d'assurance dans des conditions favorables.

Au-delà de la sécurité sociale, des régimes paritaires de retraite et de prévoyance complémentaire s'ajoutant aux mutuelles se sont constitués afin de compléter la protection des régimes de base, en particulier en matière de retraite et d'assurance vie. En dehors de la sécurité sociale, et de manière autonome, une protection contre le risque chômage a, par ailleurs, été mise en place. Elle dispose d'institutions et de modes de financement spécifiques.

Au total, les services du Ministère du travail et des affaires sociales estiment que l'ensemble des dépenses de protection sociale représentaient en 1994, 2.600 milliards de francs (y compris la prévoyance complémentaire), soit 35 % de la richesse nationale.

La croissance de l'effort social qui a accompagné les progrès du système de protection sociale est tout à fait considérable quels que soient les indicateurs.

Ainsi, en 1960, les dépenses de protection sociale ne représentaient encore que 15,8 % de la richesse nationale et moins de 20 % du revenu disponible des ménages. De même, en vingt-cinq ans, les prestations servies par le seul régime général de la sécurité sociale ont-elles été multipliées par plus de quinze en valeur et par trois en volume.

b) Un niveau élevé de redistribution

La protection sociale est devenue, par ailleurs, un formidable moyen de redistribution des revenus entre les actifs et les retraités ou encore entre les familles et le reste de la population.

La retraite a été, pendant de nombreuses années, synonyme de pauvreté. Jusqu'aux années 1960, le sort réservé en France aux personnes âgées n'était pas digne d'un grand pays développé. Cette situation a considérablement évolué.

La montée en charge des systèmes de retraite de base et complémentaire a été rapide. Ainsi, les prestations sociales vieillesse ont progressé de 15 milliards de francs en 1960 à 937 milliards de francs en 1994, passant de 5 % à 12,7 % du PIB, et les prestations de retraite servies par le régime général ont été multipliées par cinq en volume au cours des vingt-cinq dernières années. Cela s'est traduit par une amélioration significative de la situation des personnes âgées.

Le niveau de vie des retraités les plus jeunes est désormais, en moyenne, à parité globale avec celui des actifs. Ce diagnostic posé par le Livre blanc sur les retraites en 1991, et confirmé depuis lors par le rapport Briet, repose sur l'analyse de deux indicateurs. D'une part, les bénéficiaires du minimum vieillesse sont de moins en moins nombreux (1.100.000 en 1992 contre 2.550.000 en 1959). D'autre part, le niveau des retraites est devenu comparable à celui des salaires : la retraite moyenne nette du secteur privé représente environ 80 % du salaire moyen net (près de 90 % y compris les avantages accessoires et les pensions de réversion).

De même, les moyens consacrés par les pouvoirs publics à la politique sociale en faveur des familles sont considérables, au regard des montants financiers en jeu comme du caractère complet des instruments. Ainsi, selon les comptes de la protection sociale, la politique familiale mobilise-t-elle environ 300 milliards de francs en 1994, soit 4,1 % de la richesse nationale, la France se situant au troisième ou au quatrième rang en Europe. Les familles allocataires sont plus de 5,8 millions (en 1993) et le nombre d'enfants bénéficiaires de la politique familiale dépasse 12,2 millions (en 1993). En outre, les instruments de la politique familiale sont riches et variés. Les prestations familiales sont plus nombreuses (vingt-quatre) et d'une étendue plus vaste qu'ailleurs en Europe. Le volume des prestations versées par la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) a été multiplié par près de 1,7 depuis 1970. S'y ajoutent des aides fiscales à hauteur de 100 milliards de francs environ (dont 68 milliards de francs au titre du quotient familial), ainsi que des aides personnelles au logement.

c) Une situation sanitaire d'un bon niveau

La santé des Français a connu une amélioration continue depuis 1945. Un rôle essentiel dans cette évolution revient au système de protection sociale, en particulier à l'assurance maladie et aux dispositifs complémentaires.

Comme le soulignent les conclusions du dernier rapport général du Haut comité de la santé publique, l'amélioration des indicateurs synthétiques de la santé en France est nette :

- l'espérance de vie à la naissance est passée de 55 ans pour les hommes et 61 ans pour les femmes en 1935 à respectivement 73,1 ans et 81,3 ans aujourd'hui, ce qui permet à la France de se placer au premier rang de l'Union européenne ;

- l'espérance de vie sans incapacité atteint 63,8 ans pour les hommes (+ 3 ans entre 1980 et 1992) et 68,5 ans pour les femmes (+ 2,7 ans) ;

- le taux de mortalité périnatale a chuté entre 1960 et 1990 de 18,1 pour 1.000 à 8,3 pour 1.000.

D'autres performances sont à souligner. C'est le cas en matière d'espérance de vie des femmes, uniquement dépassée par celle des Japonaises (81,7 ans). Un second point fort concerne la santé des personnes âgées. La France bénéficie également d'une position avantageuse en matière de maladies cardio-vasculairés (sauf pour la mortalité cérébro-vasculaire où elle est devancée en Europe par la Suède et la Suisse).

Tous ces progrès, nos concitoyens en sont conscients. Mais ce qu'ils commencent à découvrir également, c'est que ceux-ci sont menacés. Le Premier ministre a précisé dans sa déclaration du 15 novembre 1995 la double menace qui pèse sur l'avenir de notre protection sociale : une crise financière immédiate et, plus profondément, une crise structurelle.

2. La gravité de la crise actuellement constatée

Notre système de protection sociale traverse une crise d'une extrême gravité qui touche tous les régimes et tout particulièrement le régime général.

Mais au-delà des aspects financiers, la crise se révèle également de nature structurelle. Elle est liée aux difficultés croissantes de notre système de protection sociale à répondre pleinement aux idéaux de justice et de responsabilité qui avaient inspiré ses fondateurs.

Elle appelle ainsi des mesures d'une autre nature que celles qui ont été mises en oeuvre par le passé.

a) Une crise financière d'une ampleur exceptionnelle

Les régimes de sécurité sociale de base n'ont cessé d'être déficitaires depuis 1990. Mais surtout, un seuil quantitatif a été franchi à compter de 1993 puisque, inférieurs à 15 milliards de francs jusqu'en 1992, ces déficits sont constamment restés supérieurs à 50 milliards depuis cette date. En 1993, le solde de 55,6 milliards a correspondu à un recul de la masse salariale entraînant une baisse du produit des cotisations tandis que les dépenses continuaient leur progression à leur rythme tendanciel.

Bien que notre économie ait renoué avec la croissance, les besoins de financement des régimes de base sont restés à un niveau élevé. Plus grave, on constate que tous les régimes obligatoires, y compris les régimes complémentaires, sont désormais touchés. Dans le cadre du présent rapport sera surtout évoquée la situation de régime général qui illustre la gravité de la situation actuelle.

S'agissant du régime général, malgré l'apurement de la dette intervenue fin 1993 à hauteur de 110 milliards, les déficits ont continué à se creuser : - 54,8 milliards en 1994 ; - 64,4 milliards en 1995. Pour 1996, le déficit prévisionnel, avant le plan gouvernemental, s'établit à 60,4 milliards ( ( * )2) .

Toutes les branches de ce régime sont concernées, à part celles des accidents du travail structurellement équilibrée.

Pour la maladie, le déficit est passé de 31,5 milliards en 1994 à 36,6 milliards en 1995. Après avoir progressé de 2,9 % en 1994, les dépenses de la CNAMTS ont augmenté de 4,9 % en 1995.

Les dépenses d'assurance maladie hors hospitalisation progressent en 1995 de 3,6 %. Les progressions les plus élevées concernent la pharmacie (+ 8,5 %), les honoraires médicaux (+ 5,5 %), les analyses (+ 4,8 %), les auxiliaires médicaux (+ 3,9 %).

Les dépenses d'hospitalisation progressent de 4,7 % dont 5,8 % pour les établissements sous budget global, celles de l'hospitalisation privée de 4,9 %.

Pour 1996, le déficit prévisionnel, avant réforme, s'établissait à 35 milliards.

Les causes de cette dérive ont été analysées par deux rapports importants : santé 2010 du commissariat général au Plan (juin 1993) et le Livre blanc sur le système de santé et d'assurance maladie (décembre 1994).

Les facteurs médicaux et démographiques n'expliquent qu'en partie l'augmentation des dépenses. L'incidence de l'avancée et de la diffusion des techniques thérapeutiques ou diagnostiques de pointe ainsi que du vieillissement de la population française est réelle mais modeste. Selon le rapport Santé 2010, l'impact direct du vieillissement démographique n'a représenté que 0,25 point sur les 3,3 % de croissance annuelle du volume des dépenses de santé dans les années 1980 ; il devrait atteindre 0,3 point dans les années 1990 et ne pas dépasser 0,5 point entre 2000 et 2040.

En revanche, les caractéristiques mêmes du système de soins jouent un rôle important dans la croissance des dépenses de santé et d'assurance maladie. Ainsi, le manque de coordination entre les acteurs du système de soins (généralistes, spécialistes, système hospitalier) figure parmi les facteurs identifiés de surconsommation médicale. Les lacunes du système d'information jouent également. Enfin, la croissance prononcée de l'offre (par exemple, le nombre de médecins est passé de 59.000 en 1967 à 160.000 en 1993) suscite un phénomène dit « d'induction de la demande ».

Pour la vieillesse, le déficit avoisine 14,7 milliards en 1995, après un découvert de 12,8 milliards en 1994.

Comme le précise le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale d'octobre dernier, ces résultats sont décevants. En effet, l'amélioration de la situation économique, les recettes supplémentaires résultant de la suppression au 1er septembre 1995 de la remise forfaitaire de 42 francs sur les cotisations vieillesse consentie lors de la création de la CSG et surtout la montée en charge de la loi du 22 juillet 1993 sur les pensions de retraite laissaient espérer un redressement durable de cette branche.

Le rapport de groupe de travail présidé par M. Raoul Briet sur les perspectives à long terme des retraités, récemment publié, a pourtant confirmé que : « la réforme décidée en 1993 (allongement de la durée d'assistance, calcul sur les 25 meilleures années, indexation des pensions sur les prix, mise en place du Fonds de solidarité vieillesse) a permis de remettre la branche vieillesse dans une situation proche de l'équilibre à l'horizon 2005 contre un besoin de financement de plus de 3 points avant réforme, en supposant maintenue dans les faits l'indexation des pensions sur les prix et réduit de moitié le besoin de financement résiduel à l'horizon 2015 (un peu plus de 4 points contre près de 8 avant réforme) » .

Toutefois, toujours selon la Commission des comptes, une partie de l'explication de cette déception peut être trouvée dans les règles régissant le financement de la branche en provenance du FSV, qui conduisent sur certains postes à de moindres recettes ( ( * )3) , ainsi que dans certains « avantages » accordés aux retraités (comme par exemple, la revalorisation exceptionnelle de 0,5 % intervenue au 1er juillet).

Pour 1996, le déficit prévisionnel (avant réforme) s'établissait à 14,4 milliards.

Sur le long terme, on sait que la croissance des dépenses des régimes de retraite est liée à trois facteurs principaux : le mouvement continu de généralisation des retraites et d'amélioration de la législation, les importantes revalorisations des pensions qui, jusqu'en 1993 surtout, ont été supérieures à l'évolution en prix et, enfin, l'allongement des durées de carrière.

Pour la famille, le déficit est passé de 10,4 milliards en 1994 à 13,2 milliards en 1995. Cette évolution résulte notamment de la montée en charge des dispositions de la loi famille du 25 juillet 1994 dont le coût est estimé à 3,7 milliards en 1996 et à 6,6 milliards en 1997.

Pourtant, les allocations familiales proprement dites reculent de façon constante du seul fait des facteurs démographiques (0,10 % en 1994, 0,37 % en 1995, - 0,4 % en 1996). En revanche, les prestations liées à la petite enfance progressent très fortement, en volume, notamment en 1995 : + 70,4 % pour l'allocation de garde d'enfant à domicile, + 36 % pour l'allocation parentale d'éducation, + 33 % pour l'allocation familiale pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée.

Pour 1996, le découvert de cette branche (avant réforme) s'établissait à 11,9 milliards avec, cependant, une nette réduction de l'écart entre les dépenses et les recettes par rapport à 1995. Sur le long terme en effet, la détérioration de la situation démographique pèse lourdement sur l'équilibre de cette branche et ceci de trois manières différentes : la diminution du nombre total de naissances, la régression des familles nombreuses et l'espacement croissant entre les naissances.

b) Une crise structurelle qui nécessite une réforme en profondeur

On constate en effet un décalage croissant entre les principes censés présider à l'organisation et au fonctionnement de notre système de protection sociale et la réalité.

Trois aspects sont particulièrement préoccupants et concernent la persistance, voire l'accroissement de certaines inégalités, la dilution des responsabilités et l'inadaptation croissante du mode de financement même de la protection sociale.

Il existe dans notre pays des inégalités de couvertures dans les cotisations et dans les prestations qui sont choquantes.

S'agissant du système de santé par exemple, les prises en charge variant de 100 % (systèmes médicaux intégrés à l'entreprise) à 50 % pour certaines prestations (soins courants, petit appareillage) dans le régime des non salariés.

Les difficultés pour accéder aux soins sont notables au bas de l'échelle des revenus et certains experts considèrent même qu'elles se sont accrues au cours des années 1980. Selon le Haut comité de la santé publique, en 1991, les personnes ayant les revenus les plus faibles réalisaient 20 % de recours aux médecins en moins que l'ensemble de la population alors que ce pourcentage n'était que de 15 % en 1980.

Le Premier ministre a donné lui-même un aperçu des dysfonctionnements qui frappent notre système de santé le 13 novembre dernier devant les députés :

« Qu'y a-t-il en fait, derrière ces statistiques ? L'insuffisance de la prévention, si souvent dénoncée, l'existence de gaspillages incontestables et incontestés et l'absence d'évaluation et de contrôle des coûts dans notre système de soins. Le coût d'une même opération chirurgicale peut varier de 50 % selon l'établissement où elle a lieu. Le nombre d'analyses de biologie par hospitalisé peut varier du simple au triple selon les régions. Sans parler bien sûr de la surconsommation de médicaments qui singularise notre pays. On consomme ainsi en France quatre fois plus de neuroleptiques qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni. »

S'agissant du financement, il faut noter que la logique initiale conçue sur un principe d'assurance sociale au profit des travailleurs apparaît de plus en plus mal adaptée aux caractéristiques actuelles du système qui intègre de nombreuses prestations de solidarité nationale.

En effet, outre la généralisation des prestations familiales et la prise en charge par la protection sociale de l'assurance personnelle des plus démunis, la sécurité sociale a accompagné la crise économique à partir du choc pétrolier des années 1970, jouant ainsi un rôle d'amortisseur de la crise. L'extension des prestations familiales a été à cet égard un important facteur de lutte contre l'exclusion.

Au-delà, la sécurité sociale a introduit des mécanismes de redistribution des revenus en créant ou en développant des prestations sous conditions de ressources. Même dans les branches où était maintenu le lien travail-cotisation-prestation, elle a multiplié les prestations acquises sans contrepartie, de cotisations ou avec des cotisations allégées (assurance-maladie des retraités).

Or, le financement est resté assis pour l'essentiel sur les revenus professionnels sous forme de cotisations sociales. En 1990, la part des cotisations dans le total des recettes de régime général s'élevant à 90 %, elle était, au cours de cette même année, de 80 % pour l'ensemble des régimes de sécurité sociale. En 1995, ces proportions ont légèrement décru avec un niveau respectif de 86 % et 75 % en raison de l'introduction de la contribution sociale généralisée ( ( * )4) .

Comme l'a souligné le rapport sur le financement de la protection sociale du Commissariat général du plan de juillet 1995, ce mode de financement a un effet défavorable sur l'emploi des non-qualifiés. Tous régimes confondus (régime général, retraites complémentaires, UNEDIC), le taux de cotisations patronales et salariales au niveau du SMIC est passé de 57,8 % en 1980 à 61,4 % en 1992. Or, c'est précisément sur ce type d'emplois que le taux de chômage en France apparaît le plus important par rapport aux pays étrangers.

S'agissant enfin des responsabilités entre les différents acteurs de la protection sociale, votre rapporteur dès 1994 avait dans un rapport d'information consacré à l'avenir de la protection sociale et à la place du Parlement dans sa définition souligné la confusion de la répartition et de la clarté des responsabilités au sein de l'organisation de la protection sociale.

Cette confusion est entretenue par les imperfections du cadre juridique définissant les compétences respectives. A cet égard, l'objectif de clarification des responsabilités annoncé par le Premier ministre est fondamental. Même s'il va au-delà du cadre défini par le présent projet de loi d'habilitation, il convient de rappeler l'architecture souhaitée par le Gouvernement pour réaliser combien elle innove en la matière.

Le Parlement sera replacé au coeur du nouveau dispositif décisionnel. Il se prononcera, en premier, afin de définir, sur proposition du Gouvernement :

- les orientations générales et les objectifs des politiques de protection sociale ;

- les ressources financées par l'impôt ;

- le taux d'évolution de l'ensemble des dépenses qui permettra de garantir l'équilibre du système ;

- les critères de répartition des objectifs quantifiés nationaux ainsi arrêtés.

Puis, sur la base des délibérations de la représentation nationale, le Gouvernement devra conclure avec les caisses nationales, des conventions d'objectifs et de gestion.

L'organisation des caisses de sécurité sociale sera par ailleurs modifiée. Au niveau national, la composition des conseils d'administration sera revue de sorte que syndicats, patronat et personnalités qualifiées y trouvent donc leur place. Les partenaires sociaux y désignent leurs représentants. Les pouvoirs du directeur général seront renforcés de sorte qu'il puisse notamment nommer les directeurs des caisses locales. Un conseil de surveillance comprenant en particulier des parlementaires sera institué auprès de chaque caisse nationale.

Au niveau local, le réseau des caisses sera réorganisé avec l'objectif de constituer un seul organisme par département et par branche, sans pour autant diminuer le nombre de services de proximité.

* (2) Commission des comptes de la sécurité sociale - Octobre 1995

* (3) imputables principalement à la prise en charge de la validation des périodes de chômage

* (4) Chiffres cités par le rapport du gouvernement au Parlement sur la protection sociale d'octobre 1995

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