II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : EN L'ABSENCE D'ACCORD LOCAL AVANT LE 1ER JUILLET 2024, UN DÉGEL PARTIEL DU CORPS ÉLECTORAL POUR LES ÉLECTIONS DU CONGRÈS ET DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE DONT LA MISE EN oeUVRE POURRAIT CONTOURNER LE PARLEMENT

A. LE DÉGEL PARTIEL DU CORPS ÉLECTORAL POUR LES ÉLECTIONS AUX PROVINCES ET AU CONGRÈS

1. Des motivations plurielles et un changement de méthode assumé par le Gouvernement

Comme détaillé dans l'étude d'impact du projet de loi constitutionnelle, en premier lieu, le Gouvernement considère que « le gel du corps électoral pour ces élections, par référence à la situation existante au 8 novembre 1998, ne répond plus aux exigences démocratiques résultant de nos principes constitutionnels et des engagements internationaux de la France »4(*).

En deuxième lieu, il justifie les évolutions qu'il propose par le constat qu' « (...) il est devenu aujourd'hui difficile de justifier que des électeurs installés de façon permanente en Nouvelle-Calédonie après l'approbation de l'accord en novembre 1998 - donc depuis 25 ans pour certains - ne puissent toujours pas participer à l'élection des membres du congrès, alors même que cette assemblée adopte les lois du pays et les réglementations locales qui régissent leur quotidien, dans le champ de compétence très étendu de la Nouvelle-Calédonie ou des provinces, et déterminent les choix politiques fondamentaux du territoire. Il paraît tout aussi singulier qu'un citoyen français né en Nouvelle-Calédonie, et qui y réside toujours aujourd'hui, ne puisse participer à ces élections locales alors même qu'il peut voter à toutes les autres élections et, généralement, a aussi pu participer aux trois consultations d'autodétermination de 2018, 2020 et 2021. »5(*).

En dernier lieu, le Gouvernement « propose de corriger les distorsions qui résultent de l'écoulement du temps et des évolutions démographiques depuis plus de deux décennies »6(*).

Le rapporteur, à la suite des auditions menées à Nouméa, n'a pu que constater que la révision constitutionnelle proposée ne fait, à l'évidence, pas l'objet d'un consensus entre les parties calédoniennes.

D'une part, l'ensemble des partis du FLNKS auditionnés ont rejeté la révision constitutionnelle, pour des raisons tenant parfois aux critères proposés, mais avant tout du fait de la méthode employée par le Gouvernement.

D'autre part, les partis non-indépendantistes, sans pour autant demander un dégel total du corps électoral, avaient pris position pour une condition de domiciliation fixée à trois ans, plutôt qu'à dix ans comme proposé par le Gouvernement, afin d'accéder à la citoyenneté calédonienne et au droit de vote afférent.

C'est pourquoi, de l'aveu même du ministre de l'intérieur et des outre-mer auditionné par la commission des lois du Sénat, « la démarche du Gouvernement procède d'une initiative unilatérale [en déposant ce projet de révision constitutionnelle]7(*) » étant précisé que « le Gouvernement a prévenu depuis deux ans que, si un accord politique global n'était pas trouvé en Nouvelle-Calédonie, il n'avancerait pas sur d'autres sujets, par respect pour les parties prenantes »8(*).

2. Les conditions d'un dégel partiel du corps électoral pour les seules élections provinciales et au congrès de la Nouvelle-Calédonie

Dans le projet de révision constitutionnelle déposé sur le Bureau du Sénat, le Gouvernement proposé de dégeler partiellement le corps électoral amené à se prononcer lors des scrutins provinciaux calédoniens.

Pour ce faire, il propose, dans un nouvel article 77-1 de la Constitution, un double assouplissement des restrictions électorales aujourd'hui en vigueur :

- en premier lieu, en incluant l'ensemble des natifs dans le corps électoral aux élections provinciales et au congrès de la Nouvelle-Calédonie ;

- en second lieu, en introduisant une condition de résidence, pour tout citoyen français, d'au moins dix années ininterrompues en Nouvelle-Calédonie pour conditionner l'admission des nouveaux électeurs aux scrutins provinciaux et du congrès calédoniens, rompant ainsi avec le principe d'un corps électoral « gelé » tel qu'établi par le constituant en 2007.

Afin de tirer toutes les conséquences de cette évolution de nature du corps électoral pour les élections provinciales et au Congrès, le Gouvernement propose de supprimer le dernier alinéa de l'article 77 de la Constitution introduit par la révision constitutionnelle de 2007 qui a précisé que seul le tableau annexe de 1998 devait être retenu pour établir les listes. Ce faisant, le tableau annexe qui serait visé par l'article 77-1 de la Constitution serait « vivant », et recenserait les personnes non-admises à participer aux élections provinciales après 1998, par opposition à celui visé par l'alinéa ainsi abrogé de l'article 77 qui, lui, est arrêté, en 1998.

3. Les conséquences du dégel du corps électoral
a) Une incidence importante sur les effectifs de la liste électorale spéciale

Selon les données communiquées par l'Institut de la statistique de Nouvelle-Calédonie et confirmée par le Gouvernement, le dégel, fut-ce partiel, du corps électoral proposé aurait une incidence importante sur les effectifs de la liste électorale pour les scrutins provinciaux calédoniens.

Ainsi, cette liste verrait sa composition augmentée de près de 14,5 % sous le double effet de l'inscription de 12 441 natifs, dont l'inscription sera quasi-automatique compte tenu de la facilité à démontrer les critères nécessaires à celle-ci, et de l'éligibilité à l'inscription de près de 13 400 citoyens français résidents en continu depuis au moins 10 ans en Nouvelle-Calédonie.

Par ailleurs, effet corollaire de l'augmentation du nombre d'inscrits sur la liste électorale pour les élections provinciales, le corps électoral pour les provinciales serait, pour la première fois depuis 2018, plus important, en nombre d'inscrits, que celui défini pour les consultations d'accession à la pleine souveraineté.

b) Un dispositif pérenne

Différence notable avec les principes actés lors de l'Accord de Nouméa et traduit dans le dispositif constitutionnel en vigueur, pour la première fois, il est proposé au constituant d'adopter un dispositif pérenne - bien que le titre XIII demeure, en l'état du texte proposé par le Gouvernement, intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ».

En cela, le dispositif proposé constitue une innovation juridique majeure en ce qu'il consacrerait de manière pérenne une dérogation aux principes d'universalité et d'égalité devant le suffrage, et ce, sans lien avec une éventuelle trajectoire institutionnelle et politique évolutive propre à la Nouvelle-Calédonie.


* 4 Étude d'impact du projet de révision constitutionnelle, p. 2.

* 5 Ibid.

* 6 Ibid.

* 7 Audition de Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, par la commission des lois du Sénat, en date du 13 février 2024.

* 8 Compte-rendu de séance du Sénat en date du 27 février 2024.

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