2. UNE PROPOSITION DE LOI INADAPTÉE AUX CIRCONSTANCES

A. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

La proposition de loi soumise à l'examen du Sénat combine plusieurs formes d'amnistie.

Une amnistie en fonction des événements - les « conflits du travail » et les « mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux, relatifs aux problèmes liés à l'éducation, au logement, à la santé, à l'environnement et aux droits des migrants » - est articulée avec une amnistie liée au quantum de peine - « les délits passibles de moins de dix ans de prison » (articles 1er et 2 de la proposition de loi) - ou à un type de peine - les sanctions disciplinaires (article 3).

La proposition de loi comporte également une amnistie en fonction des personnes concernées : « les représentants élus du personnel » licenciés pour faute à l'occasion de l'exercice de leur mandat (article 4).

L'amnistie comprend l'effacement des condamnations prononcées, l'extinction de l'action publique et la répression de toute référence à une sanction ou condamnation amnistiée. Elle s'étend à l'effacement de toutes empruntes, traces biologiques ou informations nominatives relatives aux infractions amnistiées et contenues dans les fichiers de police (article 5).

La proposition de loi est applicable sur l'ensemble du territoire de la République (article 6), toute distinction dans l'application de la loi entre territoires étant potentiellement source d'inconstitutionnalité.

B. UN CHAMP D'AMNISTIE PARTICULIÈREMENT LARGE

Bien qu'il tire toutes les conséquences juridiques de l'évolution de la jurisprudence relative aux lois d'amnistie et que l'économie générale de la proposition de loi soit juridiquement robuste, deux critiques peuvent être adressées au texte examiné.

La première concerne le caractère mal défini de la notion de « mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux », qui paraît très étendue au point d'être insaisissable, voire de poser des difficultés d'interprétation. La loi pénale étant d'interprétation stricte, toute imprécision tend à priver un dispositif d'effet. Des divergences d'interprétation sont cependant possibles et pourraient être dommageables sur des questions d'amnistie.

La seconde concerne le champ de l'amnistie prévu, qui est particulièrement large puisqu'il concerne la plupart des délits survenus « à l'occasion » de conflits du travail ou de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux. Il ne concerne donc pas uniquement les manifestants venus pour la défense d'une cause, mais aussi ceux qui ont pu se joindre à eux dans l'intention de commettre des délits. La proposition de loi s'étend par ailleurs à toutes les infractions passées, sans limitation en amont dans le temps. L'amnistie s'étend non seulement aux délits mais à toutes les sanctions disciplinaires touchant les salariés du secteur privés, les fonctionnaires et les étudiants et élèves. Pour ces deux dernières catégories de personnes, l'amnistie entraîne, s'il y a eu exclusion, réintégration dans l'établissement universitaire ou scolaire.

Le rapporteur regrette de n'avoir pu obtenir aucun élément sur le nombre d'affaires potentiellement concernées au pénal. Le système d'information statistique du ministère de la Justice ne permet semble-t-il pas d'identifier les circonstances au cours desquelles une infraction a été commise. Faute de tels éléments, qui ne couvriraient qu'une partie du champ de l'amnistie, il est impossible d'approcher de manière incontestable le nombre de cas concernés ne serait-ce que par l'article 1er de la proposition de loi. Le rapporteur note que les services du ministère ont ouvert la perspective d'une évolution des outils pour permettre à l'avenir d'obtenir ce type d'information.

Des exceptions à l'amnistie sont prévues par la proposition de loi. Ainsi l'article 3 prévoit que les étudiants ou élèves exclus à la suite de faits de violence et amnistiés ne seront pas réintégrés de droit dans l'établissement. Les fautes lourdes ayant conduit au licenciement ne seraient pas non plus comprises dans le champ de l'amnistie (article 4).

Plus largement l'article 1er dispose que ne seraient pas couvertes par l'amnistie les violences à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique ayant entraîné une incapacité de travail et les atteintes volontaires à l'intégrité d'un mineur de quinze ans ou d'une personne particulièrement vulnérable.

Ces exceptions paraissent cependant assez faibles. Plusieurs types d'atteintes aux personnes et aux biens comme le vol précédé, accompagné ou suivi de violence sur autrui ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant huit jours seraient en effet amnistiés en application du texte s'il était adopté.

Tant du point de vue des personnes auxquelles elle pourrait s'appliquer que des infractions comprises dans son champ, la proposition de loi paraît aller bien au-delà de l'objectif de protection du droit à l'action collective et syndicale qui figure dans son objet.

L'amnistie n'offre pas la possibilité de prendre en compte l'intentions des auteurs et les circonstances exactes des délits et fautes commis à l'occasion de manifestations ou de conflits sociaux, nationaux ou intra-entreprise. En cela elle paraît une réponse inadaptée à la gestion des troubles survenus aux cours des dernières années.

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Réunie le mercredi 25 octobre 2023, la commission n'a pas adopté la proposition de loi n°926 (2022-2023) portant amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives.

En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.

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