N° 796

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, invitant le Gouvernement à agir au niveau européen et international pour appuyer la relance du processus de paix et de réconciliation entamée par l'accord de paix pour l'Irlande du Nord,

Par Mme Colette MÉLOT et M. Didier MARIE,

Sénatrice et Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique, Mme Véronique Guillotin, vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Mme Florence Blatrix Contat, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Valérie Boyer, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Cuypers, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Pierre Ouzoulias, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger.

Voir les numéros :

Sénat :

657 et 797 (2022-2023)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission des affaires européennes est saisie d'une proposition de résolution européenne (PPRE) n° 657 (2022-2023), de M. Pierre Laurent et plusieurs de ses collègues du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), invitant le Gouvernement à agir au niveau européen et international pour appuyer la relance du processus de paix et de réconciliation entamée par l'accord de paix pour l'Irlande du Nord.

Le présent rapport revient sur la mise en oeuvre du protocole nord-irlandais signé en 2020, dont les difficultés d'application ont conduit, non sans mal, à l'adoption du cadre de Windsor conclu en février 2023 entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Est également analysé, en deuxième partie, le contexte de tensions et blocages politiques en Irlande du Nord, dans lequel s'inscrit la présente PPRE, à l'occasion du 25anniversaire de l'accord du Vendredi Saint.

LE STATUT DE L'IRLANDE DU NORD, SOURCE DE DIFFÉRENDS ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET LE ROYAUME-UNI DANS LA MISE EN oeUVRE DU BREXIT

BREXIT : LES DATES CLÉS

29 mars 2017 : le gouvernement britannique soumet officiellement sa demande de retrait de l'Union européenne (UE) : le pays a alors deux ans pour négocier sa sortie avec les 27 autres États membres.

14 novembre 2018 : un premier projet d'accord de retrait est trouvé entre l'UE et le gouvernement de Theresa May. Il sera rejeté trois fois par le Parlement britannique.

21 mars 2019 : les 28 États membres s'entendent pour repousser la date de sortie du Royaume-Uni au 12 avril. Le 5 avril, un nouveau report est décidé pour une sortie au 31 octobre 2019.

17 octobre 2019 : un deuxième projet d'accord de retrait est trouvé, entre l'UE et le gouvernement de Boris Johnson. Après avoir dû reporter une troisième fois le Brexit, puis convoqué des élections anticipées qu'il remporte largement, le Premier ministre britannique fait valider l'accord par son Parlement, qui prévoit une sortie de l'Union européenne au 31 janvier 2020.

31 janvier 2020 : le Royaume-Uni quitte officiellement l'Union européenne. L'accord de retrait - également approuvé par le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen - entre en vigueur le 1er février 2020, marquant le début de la période de transition qui doit durer jusqu'au 31 décembre 2020. Il est assorti d'un protocole sur l'Irlande et l'Irlande du Nord destiné à s'appliquer à partir de la fin de la période de transition.

24 décembre 2020 : le Royaume-Uni et l'Union européenne concluent un accord de commerce et de coopération, qui définit leur nouvelle relation. Cet accord est signé le 30 décembre par les présidents du Conseil européen et de la Commission européenne ainsi que par le Premier ministre britannique.

31 décembre 2020 : la période de transition prend fin, le Royaume-Uni et l'Union européenne sont donc liés par un accord de commerce et de coopération, qui s'applique de manière provisoire à compter du 1er janvier 2021, et entre en vigueur au 1er mai 2021, à la suite de l'approbation, le 27 avril 2021, par le Parlement européen de la décision relative à la conclusion de l'accord et le 29 avril 2021 de l'adoption par le Conseil de ladite décision.

Du 29 mars à début avril 2021 : émeutes urbaines en Irlande du Nord.

21 juillet 2021 : le Royaume-Uni demande une renégociation du protocole nord-irlandais.

13 octobre 2021 : la Commission propose un allégement des contrôles douaniers entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord.

5 mai 2022 : victoire du Sinn Fein en Irlande du Nord aux élections législatives.

13 juin 2022 : le gouvernement britannique dépose un projet de loi intitulé « Northern Ireland Protocol Bill » prévoyant la désactivation unilatérale de certaines stipulations du protocole.

15 juin et 22 juillet 2022 : la Commission européenne lance sept procédures d'infraction contre le Royaume-Uni.

25 octobre 2022 : Rishi Sunak devient Premier ministre britannique.

27 février 2023 : l'Union européenne et le Royaume-Uni signent le cadre de Windsor qui adapte le protocole. 

22 mars 2023 : les députés britanniques approuvent le « frein de Stormont », dispositif clé du cadre de Windsor.

18 mai 2023 : victoire du Sinn Fein aux élections régionales d'Irlande du Nord.

LE PROTOCOLE NORD-IRLANDAIS, UNE SOLUTION VISANT À PRÉSERVER LA PAIX EN IRLANDE DU NORD ET L'INTÉGRITÉ DU MARCHÉ UNIQUE EUROPÉEN

Annexé à l'accord de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne du 17 octobre 2019, le protocole sur l'Irlande et l'Irlande du Nord visait à préserver d'une part la paix conclue par l'accord du Vendredi Saint, en évitant l'instauration d'une frontière terrestre entre l'Irlande et l'Irlande du Nord, et d'autre part à protéger l'intégrité du marché unique européen.

Le protocole soumet ainsi l'Irlande du Nord, qui continue de faire partie du territoire douanier du Royaume-Uni, à un ensemble de règles de l'UE relatives au marché unique des marchandises et à l'union douanière. Était ainsi prévue, dans le protocole, l'instauration de contrôles douaniers aux points d'entrée du territoire - essentiellement les ports en mer d'Irlande ainsi que les aéroports - sur les produits exportés depuis le Royaume-Uni vers l'Irlande du Nord pour vérifier leur conformité aux normes européennes.

Néanmoins, dès son adoption, ce protocole a été source de vives tensions entre Londres et Bruxelles, qui se sont aggravées en raison des diverses difficultés constatées sur le terrain. De fait, le cadre douanier et réglementaire du protocole nord-irlandais n'a jamais été pleinement appliqué par les pouvoirs publics britanniques.

JAMAIS PLEINEMENT APPLIQUÉ, LE PROTOCOLE A ÉTÉ SOURCE DE VIVES TENSIONS ENTRE LONDRES ET BRUXELLES

La mise en oeuvre du protocole sur l'Irlande du Nord s'est traduite dès son adoption par de grandes difficultés d'application - retards de livraison, pénuries de produits entraînées par ces nouveaux contrôles -, accrues par l'impréparation et la mauvaise volonté des autorités britanniques.

Qualifié par la presse anglo-saxonne de « dynamite du Brexit », le protocole a contribué à cristalliser les tensions entre Britanniques et Européens, mais aussi à l'intérieur même du Royaume-Uni. Le blocage politique nord-irlandais en est l'illustration (cf. infra)

Dès le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni avait demandé des périodes de grâce dans l'application du protocole pour la réalisation des contrôles douaniers et sanitaires et phytosanitaires (SPS). Jusqu'au 1er mars 2021, des mesures temporaires avaient été mises en place pour les biens alimentaires et les médicaments. Le 3 mars puis le 6 septembre 2021, le Royaume-Uni les avait unilatéralement prolongées pour les importations de produits alimentaires et les contrôles de produits carnés.

Face aux difficultés constatées sur le terrain, la Commission européenne avait ainsi présenté, le 13 octobre 2021, un paquet de propositions visant à assouplir les conditions de mise en oeuvre du protocole1(*). Malgré ces propositions, le climat de confiance dans les négociations avait été altéré par la décision de Boris Johnson de déposer, le 13 juin 2022, un projet de loi intitulé « Northern Ireland Protocol Bill » prévoyant la désactivation unilatérale de certaines stipulations du protocole.

Cette décision unilatérale du Royaume-Uni avait conduit la Commission européenne à lancer des procédures d'infraction contre le gouvernement britannique. Au total, la Commission européenne a déclenché sept procédures2(*) contre Londres pour non-respect du protocole. Dénonçant une violation manifeste du droit international, ces procédures avaient pour but de rétablir le respect du protocole, par le Royaume-Uni, dans un certain nombre de domaines clés afin de protéger la santé et la sécurité des citoyens de l'UE.

L'application du protocole nord-irlandais a continué de susciter de vifs débats entre le Royaume-Uni et l'Union Européenne. La succession de trois Premiers ministres britanniques à l'automne 2022, après la démission de Boris Johnson, n'a pas permis de faire progresser ce dossier de manière satisfaisante. Il a fallu attendre l'arrivée au pouvoir fin octobre 2022 du nouveau Premier ministre, M. Rishi Sunak, attaché à des relations plus apaisées avec l'Union européenne, pour entrevoir la possibilité d'une issue.

LE CADRE DE WINDSOR : UN ACCORD ÉQUILIBRÉ PRÉVOYANT DES ASSOUPLISSEMENTS DANS LA MISE EN oeUVRE DU PROTOCOLE ET ASSORTI DE GARDE-FOUS

Après des mois de négociations, le Premier ministre britannique et la présidente de la Commission européenne ont finalement annoncé, le 27 février 2023, la conclusion d'un accord sur les dispositions du protocole nord-irlandais, dit cadre de Windsor.

Cet accord prévoit d'alléger les contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires imposés aux marchandises provenant de Grande-Bretagne et entrant en Irlande du Nord mais non destinées à être exportées en Irlande, c'est-à-dire dans l'Union européenne. Il prévoit ainsi l'instauration d'une « voie verte » avec des formalités réduites pour les marchandises britanniques à destination exclusive de l'Irlande du Nord. Concrètement, les produits arrivant de Grande-Bretagne vers l'Irlande du Nord pour y rester ne seront plus soumis aux mêmes contrôles que ceux voués à être ensuite exportés vers la République d'Irlande, c'est-à-dire vers l'Union européenne.

En contrepartie, l'Union européenne a obtenu des procédures renforcées de surveillance du marché et des biens - avec la construction par le Royaume-Uni d'installations sanitaires et phytosanitaires, l'accès aux données douanières britanniques et l'étiquetage approprié des marchandises (« non destiné à l'UE ») - ainsi que la possibilité de suspendre ces facilités en cas de manquements aux nouvelles dispositions.

Le cadre de Windsor prévoit également un rôle accru du Parlement d'Irlande du Nord en cas d'évolutions règlementaires européennes risquant de créer des divergences trop fortes au sein du marché irlandais, avec la création du « Stormont Brake » (ou frein de Stormont). Ce mécanisme, à disposition du Parlement nord-irlandais, doit permettre à 30 de ses membres de demander au gouvernement britannique de mettre un terme à l'application en Irlande du Nord de dispositions modifiées ou remplaçant certaines dispositions du droit de l'Union listées dans le protocole, selon des conditions très précises (cf. encadré infra).

LES PRINCIPAUX ÉLÉMENTS DU CADRE DE WINDSOR :
DES CONCESSIONS FAITES AUX BRITANNIQUES EN ÉCHANGE DE GARDE-FOUS
AU BÉNÉFICE DE L'UNION EUROPÉENNE

Le cadre de Windsor a introduit un assouplissement des exigences initiales du protocole nord-irlandais, tout en mettant en place des garanties et mesures de sauvegarde :

1. En matière douanière : l'Union européenne a consenti à une extension du modèle des « opérateurs de confiance », constituant une réduction drastique des déclarations et contrôles pour des entreprises/exportateurs certifiés qui exportent en Irlande du nord des biens « non risqués » (not for EU). Toutefois, aucune réduction des contrôles n'a été mise en place pour les biens « à risque », c'est-à-dire ceux susceptibles d'être réexportés hors d'Irlande du Nord. En contrepartie, l'Union européenne a notamment obtenu un accès en temps réel aux données douanières du flux Grande-Bretagne/Irlande du Nord, ainsi qu'une surveillance par l'équipe de l'Union européenne à Belfast.

2. Contrôles sanitaires et phytosanitaires (SPS) : le cadre de Windsor a introduit des simplifications administratives pour les biens destinés à la consommation en Irlande du nord, ainsi que des simplifications pour les animaux domestiques. Certains produits interdits pour l'importation seront acceptés en Irlande du Nord s'ils viennent d'importateurs autorisés (ex : semences de pomme de terre, plantes). En réponse à ces assouplissements, le Royaume-Uni a accepté la construction de centres d'inspection SPS dans les ports d'arrivée en Irlande du Nord, ainsi que le partage des données douanières et SPS, et la mise en place d'un étiquetage « not for EU » pour les marchandises agroalimentaires vendues en Irlande du Nord.

3. TVA et droits d'accise : l'Union européenne a accepté des règles dérogatoires au régime de l'UE en Irlande du Nord concernant l'application de la réglementation relative à la TVA et aux droits d'accises, avec une TVA inférieure au minimum fixé par l'UE pour les biens « non-amovibles ». En contrepartie, l'Union européenne a obtenu un contrôle des effets de ce régime fiscal sur le marché intérieur et la possibilité de réversibilité des mesures.

4. Aides d'État : le cadre de Windsor a permis un assouplissement des règles d'application de la réglementation de l'UE en matière d'aides versées par le Royaume-Uni à des opérateurs d'Irlande du Nord. Le Royaume-Uni ne sera tenu de respecter les règles européennes que si les subventions ont un impact réel et prévisible sur les échanges entre l'Irlande du Nord et l'UE. En contrepartie, l'UE a demandé un contrôle des effets de ces aides sur le marché intérieur et une possibilité de réversibilité des mesures.

5. Contingents tarifaires : le nouvel accord prévoit que des marchandises provenant de pays tiers et importées par le Royaume-Uni en Irlande du Nord ne soient pas imputées sur le quota britannique prévu auprès de l'UE. Cela concerne uniquement l'acier dans un premier temps. Toutefois, l'accord introduit un contrôle des effets sur le marché intérieur et la réversibilité des mesures si en fait ces marchandises pénétraient ensuite le marché intérieur. Une extension de ces mesures à d'autres catégories de produits pourra être étudiée, de manière progressive et justifiée.

6. Médicaments : l'UE a accepté l'application de la règlementation britannique (autorisations de mise sur le marché) pour les médicaments exportés du Royaume-Uni vers l'Irlande du Nord. En contrepartie, elle a imposé une règle d'emballage spécifique sur lequel figure la mention « UK only » ainsi que des audits et inspections à réaliser par le Royaume-Uni avec une possible suspension unilatérale par l'UE.

7. Reprise dynamique de l'acquis communautaire : la règle initiale prévue à l'article 13-4 du protocole prévoit la transposition par le comité mixte3(*) des actes de l'Union pertinents au sein des annexes du protocole et la possibilité de prendre des mesures correctives en l'absence de transposition. L'accord de Windsor apporte un assouplissement à cette règle avec la création du « frein de Stormont », qui permet au Royaume-Uni de ne pas appliquer, de manière unilatérale, une disposition modifiant ou remplaçant une règlementation européenne. Dans ce cas, la règlementation préalable demeure applicable. L'UE a néanmoins mis en place des préconditions strictes : (i) saisine par 30 parlementaires de Stormont sur 90, représentant au moins 2 partis politiques ; (ii) justification par le Royaume-Uni de sa volonté de non-respect d'une réglementation européenne, si celle-ci a un « impact significatif, spécifique et durable, sur la vie quotidienne des communautés d'Irlande du nord »; (iii) des circonstances exceptionnelles et en dernier ressort ; en cas de différends, possibilité in fine pour l'UE de prendre des mesures correctives appropriées ; (iv) champ d'application restreint, hors TVA, aides d'État et énergie (pour lesquels la reprise dynamique de l'acquis communautaire continue à s'appliquer).

8. Rôle de la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) : il n'est pas modifié dans le texte, mais les déclarations politiques accompagnant la conclusion du cadre de Windsor rappellent la nécessité d'épuiser toutes les voies de conciliation amiables au préalable afin que la CJUE demeure une juridiction d'appel, en dernier recours.

Source : d'après les informations fournies par le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE)

L'adoption du cadre de Windsor a ainsi permis un renouveau dans les relations entre le Royaume-Uni et l'UE, dont les liens ont été mis à mal par des mois d'opposition et de tensions. À cette occasion, le Royaume-Uni a officiellement abandonné son projet de loi visant à démanteler le protocole nord-irlandais, tandis que la Commission européenne a mis en suspens ses procédures d'infraction.

Néanmoins, ce compromis n'a - pour le moment - pas permis de mettre fin aux tensions politiques en Irlande du Nord, toujours confrontée au blocage des institutions de la part des unionistes du Democratic Unionist Party (DUP).

C'est ce blocage que le sénateur Pierre Laurent et plusieurs de ses collègues du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), ont tenu à dénoncer en déposant la proposition de résolution européenne (PPRE) n° 657 (2022-2023), invitant le Gouvernement à agir au niveau européen et international pour appuyer la relance du processus de paix et de réconciliation entamée par l'accord de paix pour l'Irlande du Nord.

LA MISE EN oeUVRE DU BREXIT ET DU PROTOCOLE NORD-IRLANDAIS A RAVIVÉ LES TENSIONS EN IRLANDE DU NORD

Si l'accord du Vendredi Saint a permis de mettre fin aux violences, subsistent au sein de la population de profondes divisions et tensions, que le Brexit a fait ressurgir.

La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne a ainsi ravivé - au moment des négociations - la crainte, chez les unionistes, d'une frontière terrestre entre les deux Irlande mais également celle - avec la mise en oeuvre du protocole nord-irlandais - d'un éloignement entre l'Irlande du Nord et le Royaume-Uni.

UN BLOCAGE DES INSTITUTIONS NORD-IRLANDAISES PAR LE DEMOCRATIC UNIONIST PARTY, DEPUIS LES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DE MAI 2022, DÉNONCÉ PAR LES AUTEURS DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE...

Les élections législatives de mai 2022 ont, pour la première fois depuis la création de l'Irlande du Nord, placé les nationalistes du Sinn Fein en première place en voix et en sièges. Arrivés en seconde place du scrutin régional, les unionistes du Democratic Unionist Party (DUP) refusent, depuis cette date, de participer aux institutions aux côtés du Sinn Fein, en raison notamment de leur opposition au protocole nord-irlandais, et ce contrairement aux dispositions de l'accord de paix - prévoyant un partage du pouvoir entre unionistes et nationalistes (cf. encadré infra).

L'ACCORD DU VENDREDI SAINT, UN ACCORD DE PAIX
APRÈS TROIS DÉCENNIES DE VIOLENCE

L'accord du Vendredi Saint fut signé le 10 avril 1998 à Belfast, par le Premier ministre britannique Tony Blair et son homologue irlandais Bertie Ahern, ainsi que par les responsables des principaux partis unionistes et nationalistes, sous l'égide de George Mitchell, émissaire de Bill Clinton, président des États-Unis.

Cet accord a mis fin à trois décennies de violences et de divisions entre les nationalistes catholiques, favorables à une réunification de l'Irlande, et les unionistes protestants, partisans du maintien de l'Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni. Ces affrontements - qualifiés de « troubles » - avaient débuté à la fin des années 1960 ; les attentats à la bombe, les assassinats et les émeutes se sont poursuivis jusqu'au début des années 1990. Un cessez-le-feu provisoire a été décrété en 1994, mais les conflits se sont poursuivis.

L'accord du Vendredi Saint a ainsi mis un terme à ces violences, par le partage du pouvoir entre nationalistes et unionistes au sein d'institutions démocratiques semi-autonomes, dont une assemblée, un gouvernement et des organes de coopération avec la République d'Irlande ainsi qu'avec les autres «  régions » du Royaume-Uni.

L'accord a été approuvé par des référendums simultanés en Irlande du Nord et en Irlande en mai 1998 et a ensuite été incorporé dans le droit constitutionnel britannique et irlandais et dans d'autres domaines de la législation. La dévolution des pouvoirs de Westminster à la nouvelle assemblée et au nouvel exécutif d'Irlande du Nord en juin 1998 a marqué la mise en oeuvre officielle de l'accord.

Le parti unioniste du DUP s'oppose, depuis son adoption, au protocole nord-irlandais, qu'il considère comme une atteinte à l'appartenance de l'Irlande du Nord au Royaume-Uni. Après des mois de négociations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, la signature en février 2023 du cadre de Windsor, allégeant drastiquement les contrôles pour les biens circulant entre le Royaume-Uni et l'Irlande du Nord, aurait pu apaiser les tensions et faire évoluer la position du DUP. Cela n'a pas été le cas.

En effet, malgré l'adoption du cadre de Windsor et les assouplissements qu'il contient, le blocage politique en Irlande du Nord persiste. Le 22 mars dernier, les huit députés du DUP ont voté contre le frein de Stormont, mécanisme clé de l'accord renforçant le rôle du Parlement nord-irlandais. Pour le parti unioniste, le « Stormont brake » ne garantit pas la souveraineté britannique sur l'Irlande du Nord.

Toutefois, le DUP apparaît aujourd'hui comme un parti fragilisé, et divisé. Les récentes élections régionales de mai 2023 ont confirmé une perte de vitesse du parti unioniste, le Sinn Fein étant à nouveau sorti premier des urnes, avec 30,9 % des voix et un gain de 39 sièges dans les conseils locaux.

C'est dans ce contexte de blocage politique des institutions nord-irlandaises et à l'occasion du 25anniversaire de l'accord du Vendredi Saint, qu'a été déposée le 31 mai 2023, par le groupe CRCE du Sénat, la proposition de résolution européenne (PPRE) n° 657, soumise à l'examen de la commission des affaires européennes.

...DONT LA SOLUTION POLITIQUE APPARTIENT AU ROYAUME-UNI ET À L'IRLANDE

UN ATTACHEMENT À L'ACCORD DU VENDREDI SAINT ET AU CADRE DE WINDSOR RÉAFFIRMÉ PAR LES RAPPORTEURS...

Les rapporteurs de la commission ont tenu à rappeler, à l'occasion de l'examen de cette PPRE, leur attachement, d'une part, à l'accord du Vendredi Saint et au maintien d'une paix durable en Irlande, et, d'autre part, au cadre de Windsor. Sur ce dernier point, ils estiment que l'Union européenne ne doit pas entrer dans une nouvelle discussion du protocole nord-irlandais, en raison des oppositions internes britanniques dont l'Union n'est pas responsable.

Alors que la proposition de résolution européenne, déposée par le groupe CRCE, invite le Gouvernement - sur le modèle de la résolution du Sénat américain adoptée en mai dernier4(*) - à agir pour appuyer la relance du processus de paix et exiger la restauration du système de pouvoir partagé, les rapporteurs estiment qu'il faut demeurer prudent sur l'action du Sénat et celle du Gouvernement, en la matière.

...MAIS UNE VOLONTÉ DE NE PAS S'INGÉRER DANS LES AFFAIRES INTÉRIEURES BRITANNIQUES QUI A CONDUIT LA RAPPORTEURE COLETTE MÉLOT À PROPOSER LE REJET DE CETTE PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE...

Bien que notre pays entretienne d'excellentes relations avec l'Irlande - dont la France est effectivement le plus « proche voisin dans l'UE » depuis la sortie du Royaume-Uni et avec laquelle elle a signé un plan d'action pour 2021-2025 -, les rapporteurs considèrent qu'il est délicat d'interférer dans cette crise politique dont la solution relève, à leur sens, des affaires intérieures du Royaume-Uni, pouvant éventuellement être aidé en cela par l'Irlande.

Les rapporteurs considèrent que la France ne peut se placer sur le même plan que les États-Unis dont la relation historique avec l'Irlande et le rôle clé de modérateur dans les accords de paix peuvent justifier une implication particulièrement forte. La récente visite du président Joe Biden en Irlande a prouvé le lien particulier unissant les deux nations.

Les rapporteurs estiment qu'une telle résolution émanant du Sénat français risque d'être instrumentalisée dans des jeux de politiques internes difficiles à maîtriser. Ils redoutent ainsi que le Sénat soit accusé d'ingérence dans les affaires intérieures du Royaume-Uni, avec lequel tant la France que l'Union européenne sont entrées dans une phase d'apaisement, laissant entrevoir de nouvelles coopérations. Le récent sommet franco-britannique de mars dernier en est la preuve. De même, au niveau européen, les relations reprennent avec le Royaume-Uni et la confiance se rétablit progressivement : les rapporteurs estiment qu'il serait dommage de l'altérer.

Pour l'ensemble de ces raisons, la rapporteure Colette Mélot ne peut soutenir la présente proposition de résolution européenne, et a proposé son rejet.

... ET LE RAPPORTEUR DIDIER MARIE À PROPOSER UN CERTAIN NOMBRE D'AMENDEMENTS À SON TEXTE

Tout en partageant sa prudence, le rapporteur Didier Marie estime cependant qu'elle ne doit pas conduire le Sénat à rester silencieux. Il considère, en effet, que cette situation de blocage est préoccupante pour le processus de paix, vital pour l'île d'Irlande et essentiel pour l'Union européenne tout entière.

Didier Marie a ainsi proposé un certain nombre d'amendements à la PPRE initiale visant à refléter un équilibre, entre la volonté de manifester l'attachement du Sénat à une paix durable en Irlande, et le souci de ne pas laisser croire à une ingérence de sa part dans les affaires intérieures d'États voisins.

Parmi ces amendements, figure une nouvelle rédaction des trois derniers alinéas de la PPRE :

- à l'alinéa 16, la proposition de résolution amendée indiquerait ainsi que « considérant que la France, qui est désormais le plus proche voisin de l'Irlande dans l'Union européenne, doit, au sein de celle-ci et avec l'ensemble des États membres, accorder une attention particulière à la situation sur l'île d'Irlande ».

- à l'alinéa 17, le rapporteur propose que soit écrit que le Sénat « invite le Gouvernement et l'Union européenne à maintenir leur vigilance quant au plein respect de l'accord du Vendredi Saint et du cadre de Windsor » ;

- à l'alinéa 18, la nouvelle rédaction proposée prévoit que le Sénat « appelle le Gouvernement et l'Union européenne à soutenir les efforts du Royaume-Uni et de l'Irlande, à qui il appartient de trouver les moyens de débloquer la situation ».

*

En conséquence, après que la rapporteure Colette Mélot eut proposé de rejeter la proposition de résolution européenne n° 657 (2022-2023), déposée par M. Pierre Laurent et plusieurs de ses collègues, et le rapporteur Didier Marie de l'adopter telle que modifiée par ses amendements, en vue de son renvoi à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission des affaires européennes du Sénat a décidé, lors de sa réunion du 28 juin 2023, de rejeter cette proposition de résolution européenne.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes, réunie le jeudi 28 juin 2023, a engagé le débat suivant :

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, notre commission a été saisie d'une proposition de résolution européenne (PPRE) déposée par notre collègue Pierre Laurent et des membres du groupe CRCE, le 31 mai dernier, concernant le processus de paix en Irlande du Nord, à l'occasion du 25ème anniversaire de l'accord du Vendredi Saint.

Cette PPRE nous donne l'occasion de revenir sur les enjeux liés au statut spécifique de l'Irlande, dans le cadre de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, et plus largement sur la mise en oeuvre de l'accord de retrait et du protocole sur l'Irlande et l'Irlande du nord - dit protocole nord-irlandais. Notre commission, par le biais notamment du groupe qu'elle a créé avec la commission des affaires étrangères et dont je salue les membres, suit de près ces sujets depuis le référendum britannique approuvant le Brexit. Une délégation de ce groupe s'est d'ailleurs rendue, en octobre dernier, à Dublin et Londres, alors que le Royaume-Uni était en pleine crise politique, à la veille de la démission de Liz Truss. Notre commission a également entendu, en avril dernier, l'ambassadrice de France au Royaume-Uni, quelques semaines après la conclusion de l'accord de Windsor qui amende et complète le protocole nord-irlandais. Demain d'ailleurs, nous poursuivrons ces travaux en auditionnant la Cour des comptes sur son rapport fort intéressant concernant la mise en oeuvre du Brexit en France.

Dès à présent, nous allons entendre le rapport de nos collègues Colette Mélot et Didier Marie, tous deux membres du groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique, sur la proposition de résolution qui nous est soumise, et je les en remercie.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Comme l'a indiqué le président Jean-François Rapin, la présente proposition de résolution européenne s'intéresse à la situation de crise politique en Irlande du Nord, qui pourrait fragiliser le processus de paix, reposant sur l'accord du Vendredi Saint signé il y a 25 ans, en avril 1998, au terme de trois décennies de violence entre catholiques et protestants. En effet, depuis les élections législatives de mai 2022 - qui ont placé le Sinn Fein en première place en voix et en sièges, pour la première fois depuis la création de l'Irlande du Nord -, le Democratic Unionist Party (DUP) bloque la formation d'un nouveau gouvernement. Contrairement aux dispositions de l'accord de paix - prévoyant un partage du pouvoir entre unionistes et nationalistes -, le DUP refuse de participer aux institutions aux côtés du Sinn Fein.

La raison est similaire à celle qui avait conduit le premier ministre DUP, Paul Givan, à démissionner en février 2022, déclenchant alors ces élections : une opposition au protocole nord-irlandais, tel que conclu entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Il faut rappeler que le Brexit a ravivé les tensions en Irlande du Nord - tensions qui persistent toutefois depuis la signature de l'accord du Vendredi Saint, comme a pu nous le rappeler M. Aurélien Antoine, professeur de droit et spécialiste de l'Irlande du Nord. Le Brexit n'a été qu'un catalyseur des difficultés politiques latentes en Irlande du Nord. La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne a ainsi fait ressurgir - au moment des négociations - la crainte d'une frontière terrestre entre les deux Irlande mais également celle - avec la mise en oeuvre du protocole nord-irlandais - d'un éloignement entre l'Irlande du Nord et le Royaume-Uni.

Quelques mots de rappel sur le protocole nord-irlandais qui a été annexé à l'accord de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, conclu en octobre 2019. Ce protocole maintient, de fait, l'Irlande du nord dans le marché unique européen, en créant une frontière invisible en mer entre l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. Cette solution a été trouvée pour préserver à la fois l'accord de paix en évitant l'instauration d'une frontière terrestre entre les deux Irlande, mais aussi pour protéger l'intégrité du marché unique européen. En contrepartie, le protocole avait prévu l'instauration de contrôles douaniers aux points d'entrée du territoire (essentiellement les ports en mers d'Irlande ainsi que les aéroports) sur les produits exportés depuis le Royaume-Uni vers l'Irlande du Nord pour vérifier leur conformité aux normes européennes.

Cette solution a été jugée intolérable par le DUP, qui y voit une atteinte à l'appartenance de l'Irlande du Nord au Royaume-Uni. La mise en oeuvre de ce protocole fut ainsi source de vives tensions entre Londres et Bruxelles pendant de nombreux mois. De fait, diverses difficultés ont été constatées sur le terrain : retards de livraison, pénuries de produits entrainées par ces nouveaux contrôles, mais également par l'impréparation et la mauvaise volonté des autorités britanniques. En réponse, la Commission européenne avait proposé, en octobre 2021, d'assouplir les conditions de mise en oeuvre du protocole. Malgré ces propositions, le climat de confiance dans les négociations avait été altéré par la décision de Boris Johnson prise en juin 2022 de déposer un projet de loi prévoyant la désactivation unilatérale de certaines stipulations du protocole.

Il a fallu attendre l'arrivée au pouvoir du nouveau Premier ministre Rishi Sunak, pour entrevoir la possibilité d'une issue. Après des mois de négociations, le Premier ministre britannique et la présidente de la Commission européenne ont finalement annoncé, le 27 février dernier, la conclusion d'un accord additionnel - dit cadre de Windsor - qui complète et amende les dispositions du protocole nord-irlandais. Cet accord - jugé comme relativement équilibré par les interlocuteurs que nous avons pu auditionner (SGAE, Ministère, professeur de droit) - prévoit des assouplissements dans la mise en oeuvre du protocole en faveur des Britanniques, assorties toutefois de garde-fous au bénéfice de l'Union européenne.

Parmi les concessions faites au Royaume-Uni, figure la création d'une « voie verte » pour les marchandises provenant de Grande Bretagne et entrant en Irlande du Nord mais non destinées à être exportées en Irlande, c'est-à-dire dans l'Union européenne : ces biens voient leurs contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires drastiquement diminués. En contrepartie, l'Union européenne a obtenu des procédures renforcées de surveillance du marché et des biens - avec la construction par le Royaume-Uni d'installations sanitaires et phytosanitaires, l'accès aux données douanières britanniques, et l'étiquetage approprié des marchandises (« non destiné à l'UE ») - ainsi que la possibilité de suspendre les facilités consenties en termes d'allègements des contrôles en cas de manquements aux nouvelles dispositions.

Autre assouplissement en faveur des Britanniques : la création d'un mécanisme dit « frein de Stormont », qui permettra au Parlement nord-irlandais - par le biais de 30 de ses membres - de demander au gouvernement britannique de mettre un terme à l'application en Irlande du Nord de nouvelles dispositions du droit de l'Union, qui modifieraient ou remplaceraient des dispositions existantes. La mise en oeuvre de ce dispositif est toutefois assortie d'un certain nombre de conditions : il concernera uniquement des dispositions de l'UE listées dans le protocole et il devra être démontré que ces dispositions en question ont une incidence significative et durable sur la vie quotidienne des communautés d'Irlande du Nord, ce mécanisme ne pouvant être déclenché que dans les circonstances les plus exceptionnelles et en dernier recours.

M. Didier Marie, rapporteur. - Malgré l'adoption de ce cadre de Windsor et les assouplissements qu'il contient, le blocage politique en Irlande du Nord persiste. Le 22 mars dernier, les huit députés du Democratic Unionist Party ont ainsi voté contre le frein de Stormont, soumis par le Premier ministre au Parlement britannique - qui l'a pour sa part largement approuvé par ailleurs.

Alors que la société civile et les milieux économiques nord-irlandais sont également favorables à ce nouveau cadre, le DUP s'y oppose et semble s'enfermer dans une position dogmatique. Il ressort de nos auditions que le Democratic Unionist Party fait aujourd'hui figure d'un parti divisé - au sein d'une mouvance unioniste elle-même divisée - et bousculé car - au-delà de la question du protocole - il craint pour l'avenir de l'Irlande du Nord.

Les élections législatives qui ont eu lieu en mai 2022 ont conduit à une défaite du DUP, bien que le partage des sièges entre unionistes et nationalistes au sein de l'assemblée nord-irlandaise reste relativement équilibré. Cette perte de vitesse du DUP a été confirmée par les récentes élections locales de mai dernier qui ont permis au Sinn Féin de confirmer sa position de premier parti (30,9 % des voix et gain de 39 sièges dans les conseils locaux), sans toutefois provoquer d'effondrement des unionistes. Un des faits notables de ces élections est également l'ascension d'un parti non confessionnel - l'Alliance - qui semble bénéficier des voix d'électeurs unionistes modérés, exaspérés par l'attitude dogmatique du DUP.

Le DUP semble ainsi fragilisé, d'autant que le dernier recensement en Irlande du Nord, paru le 22 septembre 2022, fait état, pour la première fois depuis la partition de l'Irlande, d'un nombre de Nord-Irlandais se disant catholiques (45,7 %) supérieur à celui de ceux se disant protestants (43,5 %).

Toutefois, selon un sondage publié le 3 décembre 2022 par l'Irish Times, l'un des plus grands quotidiens irlandais, une forte majorité des Irlandais du Nord resterait en faveur du maintien dans le Royaume-Uni (50 % contre 27 %) alors que, par ailleurs, en République d'Irlande, une grande majorité des électeurs soutiendrait l'unification (66 % contre 16 %), tandis qu'une forte proportion, avoisinant les 50 % sur certains sujets (comme la modification du drapeau ou de l'hymne national), serait réticente à l'idée de toute concession aux Unionistes pour y parvenir.

La question de la réunification n'est donc pas encore à l'ordre du jour : mais elle progresse à bas bruit sur la scène politique irlandaise, et pourrait monter en puissance si le Sinn Fein remportait les élections législatives dans la partie sud de l'île, prévues au deuxième trimestre 2024. Toutefois, il semblerait que, malgré ces victoires, le Sinn Fein ne semble pas en capacité, à court terme, de devenir majoritaire en Irlande du Nord.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Face à cette situation de blocage politique et à l'intransigeance du DUP, que pouvons-nous faire ? La proposition de résolution européenne, déposée par nos collègues du groupe CRCE, invite le Gouvernement - sur le modèle de la résolution adoptée par le Sénat américain en mai dernier - à agir pour appuyer la relance du processus de paix et exiger la restauration du système de pouvoir partagé.

Si notre attachement à l'Accord du Vendredi Saint et au cadre de Windsor ne fait aucun doute, nous pensons toutefois qu'il faut demeurer prudent sur l'action du Sénat et celle du Gouvernement, en la matière.

Bien que nos relations soient excellentes avec l'Irlande - dont nous sommes effectivement le plus « proche voisin dans l'UE » depuis la sortie du Royaume-Uni et avec lequel nous avons signé un plan d'action pour 2021-2025 -, il nous semble délicat d'interférer dans cette crise politique dont la solution relève, à notre sens, des affaires intérieures du Royaume-Uni, pouvant éventuellement être aidé en cela par l'Irlande.

En tout cas, la France ne peut - nous semble-t-il - se placer sur le même plan que les États-Unis dont la relation historique avec l'Irlande et le rôle clé de modérateur dans les accords de paix peuvent justifier une implication particulièrement forte. La récente visite du Président Joe Biden en Irlande a prouvé le lien particulier unissant les deux nations.

Le risque d'une telle résolution de la part du Sénat français serait de voir notre position instrumentalisée dans des jeux de politiques internes que nous ne maîtrisons pas : notre assemblée risquerait d'être accusée d'ingérence dans les affaires intérieures du Royaume-Uni, avec lequel tant la France que l'Union européenne sont entrées en phase d'apaisement, laissant entrevoir de nouvelles coopérations. Le récent sommet franco-britannique de mars dernier en est la preuve. De même, au niveau européen, les relations reprennent avec le Royaume-Uni et la confiance se rétablit progressivement : il serait dommage de la rompre.

Pour l'ensemble de ces raisons, il me semble difficile de soutenir la présente proposition de résolution européenne.

M. Didier Marie, rapporteur. - Pour ma part, j'estime cependant que cette prudence ne doit pas nous conduire à rester silencieux : cette situation de blocage est préoccupante pour le processus de paix, vital pour l'île d'Irlande et essentiel pour l'Union européenne tout entière. Cette proposition de résolution doit ainsi trouver le moyen de réaffirmer - sans ingérence aucune dans les affaires intérieures de nos voisins - notre attachement au respect de l'accord de paix et du cadre de Windsor. Sur ce dernier point, l'Union européenne - unie dans les négociations - ne veut et ne doit pas entrer dans une nouvelle discussion du protocole nord-irlandais, en raison des oppositions internes britanniques dont l'Union n'est pas responsable et qui devront être réglées par le Royaume-Uni.

Pour ces raisons - outre des amendements de forme -, je vous propose, en mon nom, les modifications suivantes à la présente PPRE :

- à l'alinéa 7 : le déplacement, dans les visas, de la référence à la résolution du Sénat américain ;

- à l'alinéa 8, le renforcement des dispositions concernant les liens unissant la France à l'Irlande. À noter que, depuis le Brexit, les échanges de biens entre nos deux pays sont en hausse : ils ont ainsi augmenté de 25 % entre 2021 et 2022. Par ailleurs, le nombre de liaisons entre les ports irlandais et français a quadruplé depuis 2019, passant de 12 traversées à près de 50 par semaine ;

- à l'alinéa 9, une nouvelle rédaction du paragraphe pour souligner le soutien apporté au processus de paix par la France et l'Union européenne, qui n'ont cependant pas eu le même rôle modérateur que les États-Unis ;

- aux alinéas 10 et 11, une nouvelle rédaction des deux paragraphes ;

- par ailleurs, la suppression de l'alinéa 14 de la PPRE initiale concernant les projets de loi britanniques, qui me semble dépasser le champ de la résolution, consacrée à l'Irlande du Nord ;

- à l'alinéa 12, la suppression de la mention « en violation des accords de paix », appréciation diplomatiquement sensible ;

Enfin, conformément aux motivations énoncées précédemment, je vous propose une nouvelle rédaction des trois derniers alinéas de la PPRE, comme suit :

- à l'alinéa 16, la proposition de résolution indiquerait ainsi que « considérant que la France, qui est désormais le plus proche voisin de l'Irlande dans l'Union européenne, doit, au sein de celle-ci et avec l'ensemble des États membres, accorder une attention particulière à la situation sur l'île d'Irlande » ;

- à l'alinéa 17, le Sénat « invite le Gouvernement et l'Union européenne à maintenir leur vigilance quant au plein respect de l'accord du Vendredi Saint et du cadre de Windsor » ;

- à l'alinéa 18, il « appelle le Gouvernement et l'Union européenne à soutenir les efforts du Royaume-Uni et de l'Irlande, à qui il appartient de trouver les moyens de débloquer la situation politique en Irlande du Nord afin d'assurer une paix durable sur l'île d'Irlande ».

Ces amendements me semblent ainsi refléter un équilibre, entre la volonté de montrer un attachement à une paix durable en Irlande, et le souci de ne pas laisser croire à une ingérence de notre part dans les affaires intérieures d'États voisins. L'exercice n'était pas aisé.

Toutefois, pour certains analystes, un des espoirs de cette sortie de crise serait que le DUP - au vu de la succession de ses revers électoraux - revoie finalement sa position et accepte finalement de siéger avec le Sinn Fein. C'est donc une affaire à suivre dans les semaines et mois qui viennent.

M. Jean-François Rapin, président. - Je salue la manière dont nos deux rapporteurs se sont efforcés de trouver un modus vivendi et je vous propose d'entamer le débat.

M. Pierre Laurent. - Merci pour les propos qui viennent d'être tenus et pour le travail de qualité qui a été effectué. J'indique d'emblée que je suis d'accord avec les amendements présentés par Didier Marie. J'entends également les appels à la modération pour éviter ce qui pourrait apparaître comme une ingérence dans les affaires intérieures du Royaume-Uni. Afin de prévenir ce risque, un certain nombre de modifications sont proposées et la rédaction du texte a été améliorée. Je souligne qu'il serait dommage qu'au nom de cette prudence, nous renoncions à nous prononcer de manière consensuelle sur le sujet que nous traitons.

La situation en Irlande et en Irlande du Nord a été un point sensible des négociations post-Brexit et je fais observer que Michel Barnier, en tant que négociateur de la Commission européenne, tout en faisant preuve, en général, d'une grande prudence, a néanmoins été très ferme concernant les relations impliquant le Royaume-Uni, l'Irlande et l'Irlande du Nord. Sans cette fermeté, nous aurions pu nous retrouver dans une situation extrêmement conflictuelle dans la région. Je rappelle que l'Irlande reste potentiellement l'un des trois foyers de tension dans l'Union européenne avec Chypre et les Balkans : aucun n'est totalement éteint et il est donc extrêmement important de faire progresser ainsi que de soutenir le processus de paix dans ces régions, surtout compte tenu de la montée des conflits en Europe et ailleurs.

Nous devons d'autant plus maintenir notre vigilance que nous sommes à nouveau entrés dans une période de tension. On peut discuter de l'imputation de la responsabilité de cette situation à tel ou tel mais on doit constater que l'Irlande du Nord ne dispose plus, de fait, d'autorité gouvernementale en raison du refus du DUP d'assumer l'application des accords de paix dans le cadre des nouveaux rapports de force politiques issus des élections. Je pense par conséquent qu'il est a minima de notre devoir de formuler un message appelant simplement à respecter pleinement les accords de paix, sans franchir aucune ligne rouge.

J'ajoute que les Irlandais du Sud ou du Nord - qui ont largement rejeté le Brexit lors du référendum - affirment leur très grand attachement à l'Union européenne. Nous devons donc adresser aux uns et aux autres des signaux puissants de solidarité. La France, qui est maintenant leur premier voisin de l'Union européenne, ne doit pas donner l'impression de les laisser se débrouiller avec la montée des tensions : cela reviendrait à faire preuve d'ingratitude envers des populations qui ne cessent d'affirmer leur volonté de participer à l'Union européenne. J'estime d'ailleurs que les évolutions politiques et électorales irlandaises tiennent non seulement à des spécificités historiques, nationales ou sociales mais aussi, en grande partie, à l'évolution des relations avec l'Union européenne.

Enfin, tout en mentionnant que je ne serai plus sénateur à partir du mois de septembre, je suggère à notre commission d'aller sur place en Irlande ainsi qu'en Irlande du Nord pour rencontrer les acteurs politiques : cela nous aiderait probablement à mesurer les évolutions en cours.

Je répète donc que nous devons essayer, dans les limites soulignées par les rapporteurs, de porter ce témoignage de solidarité. L'objectif de cette proposition de résolution n'était pas de lui donner une dimension partisane mais d'envoyer un message consensuel et j'espère que nous serons nombreux à en soutenir le texte modifié par les amendements présentés par Didier Marie.

M. Pascal Allizard.- Je voudrais intervenir au nom du groupe Les Républicains sur ce sujet grave, sensible et dont nous avons tous compris l'importance. Quand on se souvient de la violence qui a endeuillé cette île pendant de si longues décennies, on ne peut que partager la légitime inquiétude exprimée par chacun de nos collègues sur ces tensions qui se ravivent.

Toutefois, le texte qui nous est soumis soulève deux principaux problèmes. Le premier tient à la tonalité d'ensemble de cette proposition de résolution. Certes, ce texte réaffirme le soutien de la France à l'application intégrale des accords du Vendredi Saint et entend ainsi contribuer à réenclencher une dynamique de paix et de réconciliation : à l'évidence, personne ici ne peut s'opposer à cette intention de principe. Pourtant, il nous semble que cette résolution est principalement irriguée par un parti pris fortement marqué en défaveur des mouvements unionistes et du Gouvernement britannique. S'agissant d'un texte qui appelle à la sauvegarde de la concorde civile en Irlande du Nord, il nous semble probablement contre-productif de distribuer assez ouvertement les bons et les mauvais points - si vous me permettez de m'exprimer ainsi. Comme l'ont souligné à juste titre les intervenants, chacun peut avoir son opinion sur l'histoire de ce conflit, les responsabilités historiques des uns et des autres ainsi que les responsabilités dans sa potentielle résurgence. Ce dernier phénomène suscite une inquiétude partagée mais je ne pense pas que cette proposition de résolution soit la méthode la plus opportune pour contribuer à l'apaisement des tensions. Ceci dit, je tiens à saluer le travail réalisé par nos rapporteurs avec des propositions qui permettent de ramener subtilement le texte à un équilibre plus conforme aux objectifs qu'il énonce. Reste néanmoins l'exposé des motifs qui, lui aussi, véhicule une argumentation qui nous parait orientée. Par définition, cet exposé des motifs n'est pas modifié par le travail des rapporteurs. Formellement, nous n'avons pas - me semble-t-il - à nous prononcer aujourd'hui sur sa teneur mais il restera attaché au texte et en éclairera les motivations.

Le second problème que nous soulevons concerne l'opportunité de cette résolution. Les propositions de nos rapporteurs, aussi judicieuses soient-elles, ne permettront probablement pas de contourner le fait que l'adoption de ce texte, quelle que soit sa rédaction, serait considérée - telle est en tous cas notre opinion - par nos amis britanniques comme une ingérence claire dans leurs affaires intérieures. C'est là notre principale préoccupation car nous ne traitons pas ici du Brexit à proprement parler ni de la frontière douanière entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, ce qui intéresserait directement la France. Nous traitons en revanche ouvertement des affaires politiques de la province d'Irlande du Nord, et donc d'affaires intérieures britanniques. Symétriquement, je ne pense pas que nous verrions d'un très bon oeil nos collègues de Westminster adopter un texte d'une nature similaire concernant la France.

Le Royaume-Uni est un pays ami et allié : c'est un grand pays doté d'un État de droit et d'une démocratie d'une extraordinaire robustesse. Rien ne s'oppose à ce que la France, à travers notre assemblée, lui envoie des messages de sympathie dans d'éventuels moments de difficultés mais je crois que rien ne justifie non plus que le Parlement français formule de manière officielle des commentaires ou des appréciations sur la gestion de ses affaires intérieures, et a fortiori quand elles sont d'une telle sensibilité. C'est pourquoi le groupe Les Républicains votera contre l'adoption de cette résolution, même utilement amendée par nos rapporteurs.

M. André Gattolin.- Pour ma part, je n'ai jamais été opposé au droit d'ingérence entre pays de l'Union européenne et autres structures européennes. Les démocraties que nous sommes ont le droit de juger le fonctionnement démocratique des autres pays et telle est la tâche que j'accomplis en tant que membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il m'a été reproché, il y a quelques années, d'avoir critiqué les décisions de la cour constitutionnelle espagnole que j'estimais un peu honteuses à l'égard du mouvement indépendantiste catalan, sans pour autant soutenir l'indépendantisme. Je pense qu'une des difficultés fondamentales de l'Union européenne est que l'unité de valeur sur laquelle nous avons construit cette architecture est à la fois l'État-nation et l'État membre. De ce point de vue, heureusement que l'adhésion de la Tchécoslovaquie est intervenue postérieurement à sa séparation en deux États distincts. Je pense que le statisme des relations entre nos pays ne rend pas bien compte de l'évolution des peuples et des territoires dans toute leur diversité : il convient de mieux prendre conscience du fait que l'Europe n'est pas uniquement constituée d'États membres avec des populations homogènes.

De ce point de vue, je reconnais que cette proposition de résolution soulève une difficulté car l'Union européenne s'est structurée autour d'un droit principalement commercial mais n'a pas institué de normes sur l'État de droit. Je pense néanmoins qu'il ne faut pas s'interdire, à un moment donné, de nous intéresser à la situation irlandaise, de même que je ne serais pas du tout gêné qu'un pays tiers évoque les relations de la Corse à la France, par exemple. Ce sont des questions que l'on se pose au Conseil de l'Europe alors qu'on ne les aborde pas dans le cadre de l'Union européenne. Pour ces raisons, et compte tenu des améliorations qui ont été proposées au texte par le rapporteur, je voterai celui-ci.

M. Didier Marie, rapporteur. - J'entends bien les remarques formulées par Pascal Allizard, au nom du groupe Les Républicains, sur le risque d'ingérence qu'il signale et sur la façon dont les Britanniques ainsi que le Gouvernement pourraient interpréter notre résolution. J'y répondrais par deux observations.

D'une part, les amendements que je propose nuancent très fortement le texte de la proposition de résolution initiale. En témoignent les deux derniers alinéas du texte qui vous est soumis : le premier « invite le Gouvernement et l'Union européenne à maintenir leur vigilance quant au plein respect de l'accord du Vendredi Saint et du cadre de Windsor ». Le second « appelle le Gouvernement et l'Union européenne à soutenir les efforts du Royaume-Uni et de l'Irlande, à qui il appartient de trouver les moyens de débloquer la situation politique en Irlande du Nord, afin d'assurer une paix durable sur l'île d'Irlande». Ainsi le Sénat ne s'immiscerait pas dans les affaires irlandaises : le texte se limite à souhaiter le respect des accords et souligne qu'il appartient au Royaume-Uni ainsi qu'à l'Irlande de trouver une solution.

D'autre part, je souligne que l'Union européenne reste concernée par ce qui se passe à la frontière entre le Royaume-Uni, dont fait partie l'Irlande du Nord, et la République d'Irlande : en effet, il s'agit bien de la relation entre un pays tiers et l'Union européenne. J'ajoute que si l'accord de Windsor n'est pas respecté et si le DUP continue d'ériger des blocages, une nouvelle crise risque de se déclencher. Il faut rappeler que le Gouvernement britannique, sous le gouvernement de Boris Johnson, a utilisé le protocole nord-irlandais pour faire pression sur l'Union européenne et tenter de trouver des arrangements quant à la mise en oeuvre du Brexit. Le nouveau Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a souhaité rétablir des relations plus équilibrées entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, mais rien ne nous dit, au regard de la volatilité de la situation politique britannique, qu'un nouveau Premier ministre ne réutiliserait pas la question nord-irlandaise comme moyen de pression sur l'Union européenne. C'est la raison pour laquelle l'Union européenne et la France, solidaire des 26 autres pays, peuvent se permettre de faire un commentaire sans s'ingérer dans les affaires du Royaume-Uni.

Par ailleurs, pour répondre à Pierre Laurent, je précise que la proposition de résolution amendée rétablit plusieurs éléments. Outre le fait qu'il s'agit d'une affaire britannique et irlandaise, la France ne peut se placer sur le même plan que les États-Unis : en effet, les États-Unis ont été les parrains et les garants de l'accord du Vendredi Saint dont le diplomate américain George J. Mitchell a coordonné les négociations. Le président Joe Biden s'est récemment déplacé en Irlande sans aller à Londres, ce qui en dit long sur l'attachement qu'il porte à la situation irlandaise. De plus, tout le monde sait que tant le Congrès que différents partis politiques américains ainsi que des groupes divers et variés interviennent, y compris matériellement et financièrement, auprès des partis irlandais et de la société civile irlandaise.

Enfin, cette résolution, tout en évitant l'ingérence et en replaçant le rôle de la France au niveau qui doit être le sien de solidarité avec les autres pays européens, rappelle son attachement au processus de paix. De façon générale, l'Union européenne souhaite la paix partout et en particulier dans les trois foyers de tensions évoqués par Pierre Laurent. De plus, la situation que nous évoquons est très particulière car elle a historiquement soulevé de nombreuses difficultés dans les relations entre le Royaume-Uni et l'Irlande, mais aussi avec des ricochets avec les pays les plus proches, dont la France fait aujourd'hui partie.

Au final, j'ai essayé avec ma collègue rapporteure de trouver un chemin pour permettre que ce texte puisse être approuvé. Je le voterai mais j'entends les réserves qui sont émises par les uns et les autres.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Je rappelle avant tout notre soutien à l'Union européenne à qui il appartient, avec le Royaume-Uni, de s'emparer des difficultés dont nous débattons, comme cela a été mentionné dans la PPRE. Le sujet est extrêmement délicat et, alors que nos relations avec le Royaume-Uni se sont apaisées, le moment n'est pas du tout propice à exprimer des divergences avec ce grand pays ami. J'appelle donc à la plus grande prudence et à la solidarité avec l'Union européenne pour faire avancer la situation.

Je me félicite d'avoir pu travailler sur ce sujet avec Didier Marie sur cette PPRE mais je ne la voterai pas.

M. Pierre Laurent. - Jusqu'à preuve du contraire, la France a toujours apporté son appui officiel aux accords de paix et, à ma connaissance, cette position n'a jamais changé. Certains d'entre nous souhaitent peut-être que celle-ci évolue en fonction des nouvelles orientations exprimées par le Gouvernement britannique, mais la position de la France et de l'Union européenne a toujours été de soutenir l'application des accords de paix et le Sénat américain s'est récemment prononcé dans le même sens. Aucune inflexion n'est proposée à cette position prise historiquement depuis la signature des accords de paix par la France et l'Union européenne.

M. Pascal Allizard.- Je voudrais redire très clairement que nous ne sommes absolument pas dans un déni de réalité des tensions et des difficultés. Et c'est justement en ayant pleinement conscience de celles-ci que nous ne jugeons pas opportun aujourd'hui de voter ce texte, tout en exprimant beaucoup de respect à l'égard du travail accompli.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous propose de voter d'abord sur le paquet d'amendements proposé par Didier Marie et qui modifie substantiellement le texte.

La commission adopte les modifications de rédaction proposées par le rapporteur.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous passons maintenant au vote sur le texte dans son entier.

La commission rejette la proposition de résolution européenne et autorise la publication du rapport.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE REJETÉE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la Charte des Nations unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945,

Vu le traité instituant la Communauté économique européenne du 25 mars 1957,

Vu le traité sur l'Union européenne du 7 février 1992,

Vu l'accord de paix pour l'Irlande du Nord du 10 avril 1998, signé par le Royaume-Uni, la République d'Irlande, le Sinn Féin et les unionistes (accord du Vendredi saint),

Vu l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique du 14 novembre 2018,

Vu le protocole sur l'Irlande du Nord du 24 janvier 2020 signé entre le Royaume-Uni et l'Union européenne,

Vu le cadre de Windsor du 27 février 2023 signé entre le Royaume-Uni et l'Union européenne,

Considérant les liens particuliers tissés entre la France et l'Irlande depuis la Révolution Française et les débuts du mouvement républicain irlandais ;

Considérant la participation historique de la France et de l'Union européenne en faveur de la signature des accords de paix de l'Irlande du Nord et de leur application pleine et entière ;

Considérant que ce traité international fut accepté et validé par voie référendaire, ce qui lui confère une légitimité indiscutable ;

Considérant le difficile processus de négociation relatif au statut de la frontière entre la République d'Irlande et l'Irlande du Nord, occasionné par l'application du vote du Brexit ;

Considérant plusieurs projets de loi britanniques, dont certains enfreignent le droit international et sapent les protections internationales en matière de droits de l'homme ;

Considérant qu'en violation des accords de paix, les unionistes refusent depuis les élections de 2021 de former un gouvernement avec le Sinn Féin ;

Considérant que le 4 mars 2021, des groupes « paramilitaires loyalistes » ont déclaré ne plus apporter leur soutien aux accords de paix conclus en 1998 alors qu'ils en sont signataires ;

Considérant que le cadre de Windsor du 27 février 2023 n'a pas changé la position de blocage des unionistes ;

Considérant que le processus entamé en 1998 est en danger à l'occasion de son 25e anniversaire ;

Considérant la résolution DAV23525 VW9 adoptée le 4 mai 2023 par le Sénat des États-Unis d'Amérique renouvelant son soutien à une application pleine et entière de l'accord du Vendredi saint ;

Considérant qu'une action volontariste de la France, qui est désormais le plus proche voisin de l'Irlande dans l'Union européenne, en faveur d'un futur de l'Irlande démocratique, inclusif et partagé pour tous les Irlandais serait à la hauteur de notre histoire ;

Invite le Gouvernement à agir au niveau européen et international en vue du respect total des dispositions de l'accord de paix pour l'Irlande du Nord ;

Demande le maintien d'une position ferme de l'Union européenne au-delà du cadre de Windsor face au blocage maintenu des unionistes ;

Exige, dans le cadre du respect des accords de paix précités, la restauration du système de pouvoir partagé.

LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la résolution en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/tableau-historique/ppr22-657.html

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

· Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE)

- M. Benoit Catzaras, secrétaire général adjoint ;

- M. Benjamin Guichard-Sulger, chef du bureau commerce et aide au développement ;

- M. Pablo Nivon, adjoint au chef du bureau commerce et aide au développement, en charge du suivi des relations entre l'UE et le Royaume-Uni ;

- Mme Constance Deler, cheffe du bureau Parlements. 

· Direction de l'Union européenne du Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

- M. David Cvach, directeur de l'Union européenne ;

- Mme Anne Prédour, sous-directrice des politiques internes et des questions institutionnelles ;

- Mme Isabelle Marqués-Gross, sous-directrice de l'Europe occidentale et nordique ;

- Mme Catherine Veber, adjointe à la sous-directrice de l'Europe occidentale et nordique ;

- M. Vincent Gouillart, rédacteur à la sous-direction de l'Europe occidentale et nordique.

· M. Aurélien Antoine, professeur agrégé de droit public, directeur de l'Observatoire du Brexit.


* 1 Cette proposition était structurée autour de quatre axes et prévoyait notamment : 1) une réduction à hauteur de 80 % des contrôles sanitaires et phytosanitaires pour une large gamme de produits qui transitaient du Royaume-Uni vers l'Irlande du Nord pour être consommés en Irlande du Nord ; 2) une réduction de 50 % des formalités douanières nécessaires pour les biens transitant du Royaume-Uni vers l'Irlande du Nord ; 3) l'établissement d'un « dialogue structuré » entre les parties prenantes en Irlande du Nord (autorités publiques, société civile et entreprises) et la Commission ; 4) une adaptation du droit de l'Union pour assurer la sécurité de l'approvisionnement en médicaments de l'Irlande du Nord depuis le Royaume-Uni.

* 2 La Commission européenne a adopté le 22 juillet 2022 quatre procédures d'infraction contre le Royaume-Uni pour ne pas avoir respecté des parties importantes du protocole sur l'Irlande et l'Irlande du Nord, s'ajoutant aux trois procédures lancées le 15 juin 2022.

* 3 Constitué de représentants européens et britanniques, le comité mixte veille à garantir l'application de l'accord de retrait conclu entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

* 4 https://www.congress.gov/bill/118th-congress/senate-resolution/157/text/ats