EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Création d'une procédure pour la restitution
de certains restes humains intégrés aux collections publiques

Cet article instaure une procédure administrative permettant, sous certaines conditions, à l'État ou aux collectivités territoriales de faire sortir de leurs collections, par dérogation au principe d'inaliénabilité du domaine public, des restes humains identifiés d'origine étrangère afin de les restituer à l'État étranger qui les demande, sans avoir à recourir à une loi spécifique.

La commission s'est montrée favorable à l'adoption d'une disposition législative générale facilitant les restitutions de restes humains incorporés dans les collections publiques. Elle considère que la procédure et les critères prévus offrent un cadre clair et transparent pour simplifier et harmoniser le traitement des demandes de restitution, fondé sur une démarche scientifique et partenariale.

Dans l'objectif d'ouvrir rapidement la possibilité de restitution de restes humains originaires de territoires ultra-marins aux Outre-mer, elle a chargé le Gouvernement de préparer un rapport identifiant des voies de restitution pérennes susceptibles d'être mises en place.

I. - La situation actuelle : l'obligation de recourir à des lois spécifiques pour procéder à la restitution de restes humains appartenant aux collections publiques

Les restes humains conservés au sein d'établissements publics qui sont la propriété, soit de cet établissement public, soit de la collectivité territoriale, soit de l'État, sont, au même titre que les autres biens culturels leur appartenant, frappés d'inaliénabilité en application de l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques. La personne publique propriétaire n'est pas autorisée à en transférer la propriété.

L'article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques autorise le déclassement d'un bien du domaine public par un acte administratif. Cette procédure est cependant limitée aux biens qui ne sont plus affectés à un service public ou à l'usage direct du public. Cette procédure peut s'appliquer aux biens appartenant à une personne publique conservés dans les universités, les autres établissements publics d'enseignement supérieur ou de recherche ou les musées n'ayant pas l'appellation « musée de France ».

Pour les biens relevant des collections des musées de France appartenant à une personne publique, en revanche, le code du patrimoine ajoute une restriction supplémentaire à l'utilisation de cette procédure, puisqu'il la circonscrit aux seuls biens culturels qui ont perdu leur intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de la science ou de la technique (art. R. 451-24-1 du code du patrimoine). En pratique, cette condition empêche donc d'y recourir pour faire sortir des collections des restes humains aux fins de leur restitution, dans la mesure où ils n'ont pas perdu l'intérêt public qui a justifié leur incorporation dans les collections. Comme indiqué dans le vade-mecum consacré aux restes humains dans les collections publiques, ces restes conservent un intérêt pour la connaissance de l'espèce humaine et la compréhension culturelle de l'humanité3(*).

Le recours à la procédure de déclassement est par ailleurs formellement interdit s'agissant des biens culturels entrés dans les collections suite à un don ou un legs (art. L. 451-7 du code du patrimoine) du fait du principe d'irrévocabilité des donations.

La sortie des collections des restes humains appartenant aux collections publiques des musées de France requiert donc impérativement l'autorisation préalable du législateur. Celui-ci a en effet la possibilité d'introduire des dérogations ponctuelles ou générales au principe d'inaliénabilité, qui est un principe de valeur législative et non constitutionnelle.

À deux reprises par le passé, le Parlement a été amené à voter des lois spécifiques pour rendre possible, en 2002, la restitution des restes de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud et, en 2010, la restitution des têtes maories.

La nécessité de recueillir l'autorisation du Parlement avant toute restitution ralentit considérablement la procédure et peut décourager les initiatives.

L'adoption par le Parlement d'un cadre général pour les restitutions de certains restes humains constituerait donc une avancée. Dans la foulée de la loi de restitution des têtes maories, un groupe de travail pluridisciplinaire, mis en place conjointement par le ministère de la culture et le ministère de la recherche et de l'innovation en marge des travaux de la Commission scientifique nationale des collections, s'est penché sur la gestion des restes humains présents dans les collections publiques françaises et les problématiques juridiques qu'elle soulève.

Animé par Michel Van Praët, professeur émérite au Museum national d'histoire naturelle, ce groupe de travail a examiné les voies possibles de restitutions de restes humains qui permettraient de ne plus avoir à adopter de lois spécifiques, après avoir constaté que « les demandes de restitution de restes humains [...] constituent des cas particuliers parmi les revendications de biens culturels conservés dans les collections et apparaissent comme légitimes dans de nombreux cas, notamment quand elles portent sur des restes humains identifiés ».

Il a identifié plusieurs critères de restituabilité des restes humains qui permettraient à la France de répondre positivement aux demandes de restitution pouvant être considérées comme justifiées, notamment au regard des principes de dignité de la personne humaine et de respect des cultures et des croyances des autres peuples.

Il a notamment jugé important que la demande soit présentée officiellement par un État au nom d'un groupe humain vivant, toujours présent sur son territoire, et dont les traditions perdurent.

Il a considéré que chaque demande devrait faire l'objet d'un examen scientifique au cas par cas permettant d'identifier avec certitude les restes humains, d'apprécier la force et la réalité du lien communautaire entre les restes humains et l'État les revendiquant, et de prendre en compte la destination de la dépouille considérée.

Prenant appui sur les dispositions du Human Tissue Act adopté au Royaume-Uni en 2004, qui autorise neuf musées britanniques à déclasser des restes humains datant de moins de mille ans, il a jugé légitime de conditionner les restitutions au respect d'un critère d'ancienneté de quelques siècles au plus. Dans les faits, les Britanniques rejettent les demandes portant sur des restes humains vieux de plus de cinq cents ans, sauf lorsqu'un lien géographique, religieux, spirituel et culturel étroit et continu entre les restes humains revendiqués et un groupe humain vivant peut être démontré. Cette irrecevabilité s'explique pour des raisons scientifiques dans la mesure où il est pratiquement impossible d'établir le rattachement de restes humains à un groupe humain précis au-delà de cette durée du fait des nombreux brassages de population qui interviennent au cours des siècles. Les Britanniques considèrent d'ailleurs que les demandes de restitution portant sur des restes humains de plus de trois cents ans ont peu de chance d'aboutir4(*).

Le groupe de travail a en revanche écarté le critère de la perte d'intérêt scientifique des restes humains considérés, dans la mesure où il aurait systématiquement fait obstacle aux restitutions, puisque les restes conservent leur valeur scientifique et peuvent toujours se prêter à de nouvelles recherches. Il a par ailleurs considéré que la nécessité de préserver des traces et des vestiges d'un passé révolu devait être mis en balance avec d'autres valeurs, telles que le respect de chaque civilisation et l'amitié entre les peuples.

Malgré cet important travail, aucune suite n'a jamais été donnée au rapport du groupe de travail sur la gestion des restes humains patrimonialisés. Les obstacles juridiques aux restitutions de restes humains qui découlent du régime de la domanialité publique demeurent, ce qui a même conduit le Gouvernement à détourner la procédure de dépôt en juillet 2020 pour satisfaire, à la veille du 58e anniversaire de l'indépendance algérienne, la demande de l'Algérie de restitution de plusieurs crânes de résistants algériens décapités au XIXe siècle conservés dans les collections françaises.

Cette situation se révèle problématique dans un contexte où la montée en puissance de l'enjeu des restitutions sur la scène internationale laisse présager une augmentation du nombre de demandes relatives à des restes humains. À ce stade, les autorités françaises ont reçu trois demandes officielles :

- l'une, datant de 2009, émane de l'Australie au sujet des restes humains d'aborigènes d'Australie et d'indigènes du détroit de Torrès conservés dans les collections des musées français ;

- l'autre, transmise par l'Argentine en 2015, est relative au squelette monté du fils du cacique Lepitchoun conservé dans les collections du Muséum national d'histoire naturelle,

- la dernière, parvenue en 2021, provient du gouvernement malgache et concerne le crâne du roi Sakalava Toera.

II. - Le dispositif proposé : la mise en place d'une procédure administrative facilitant la restitution des restes humains identifiés réclamés par un État étranger

Cet article crée une procédure administrative permettant, sous certaines conditions, à l'État ou aux collectivités territoriales de faire sortir de leurs collections des restes humains qui leur appartiennent aux fins de leur restitution à un État étranger, sans avoir à recourir à une loi spécifique.

À cet effet, il insère, au sein du chapitre 5 du titre Ier du livre Ier du code du patrimoine, aujourd'hui consacré aux modalités de déclassement d'un bien culturel appartenant aux personnes publiques, une nouvelle section relative à la sortie des restes humains conservés dans les collections publiques, composé de six articles.

L'article L. 115-2 introduit une dérogation générale au principe d'inaliénabilité du domaine public, exclusivement réservée à la restitution à un État étranger, à des fins funéraires, de restes humains appartenant aux collections publiques. Il autorise dans ce but la sortie du domaine public de ces restes humains, y compris ceux incorporés aux collections des musées de France par dons ou legs, par dérogation au code du patrimoine.

L'article L. 115-3 définit les critères encadrant les restitutions de restes humains :

un critère matériel : les restitutions sont limitées aux restes humains d'origine étrangère identifiés, ce qui désigne, d'après l'exposé des motifs de la proposition de loi, à la fois les restes d'individus nommés, c'est-à-dire ceux dont l'identité est établie, et les restes d'individus anonymes mais dont l'origine, par exemple, l'appartenance à un groupe humain spécifique, est documentée ;

un critère juridique : les restitutions font suite au dépôt préalable d'une demande officielle de restitution par un État étranger ;

un critère de filiation : les restitutions ne peuvent concerner que des restes humains provenant d'individus nommés ou anonymes appartenant à un groupe humain dont la culture et les traditions restent actives ;

un critère éthique : les restitutions doivent être justifiées au regard des atteintes portées à la dignité humaine lors de la collecte des restes humains concernés ou au regard du respect dû aux croyances et cultures des autres peuples ;

un critère temporel : les restitutions sont circonscrites aux restes humains provenant /d'individus décédés depuis moins de cinq cents ans au moment du dépôt de la demande. Cette date glissante, justifiée par des considérations scientifiques (voir supra), permet de prendre en compte l'essentiel des cas de restes humains susceptibles de faire l'objet de demandes. Elle couvre en effet la période d'expansion européenne au cours de laquelle la plupart des restes humains ont été collectés, souvent moins à titre de trophée de guerre qu'à des fins de recherche scientifique.

L'article L. 115-4 prévoit la mise en place systématique d'un comité d'experts scientifiques paritaire en cas de doute sur l'identification des restes humains. Composé à parts égales de scientifiques désignés par l'État demandeur et par la France, il est chargé de vérifier l'origine des pièces conservées dans les collections ou d'en déterminer l'appartenance à un groupe humain, si besoin en ayant recours à des expertises génétiques.

Cette disposition s'inspire de l'une des recommandations du groupe de travail pluridisciplinaire, qui avait estimé qu'il serait indispensable pour rendre possible la sortie du domaine public qu'une phase d'identification et de documentation scientifique, menée de manière collégiale et si possible conjointement avec les requérants, intervienne impérativement avant la remise des restes lorsque l'origine de ceux concernés par une demande de restitution n'est pas documentée. Elle permet « d'éviter que des attributions imprécises ou anciennes non vérifiées conduisent à restituer des restes humains qui ne seraient pas issus de la communauté ou du pays ayant émis la demande ».

Dans le cadre de la demande de restitution de restes humains d'origine algérienne conservés dans les collections du Museum national d'histoire naturelle, un comité scientifique mixte franco-algérien avait d'ailleurs été chargé d'étudier une quarantaine de crânes provenant d'Algérie afin de tenter d'en déterminer l'origine algérienne et d'établir l'identité et l'histoire personnelle des individus concernés à partir de documents d'archives, de données anthropologiques et d'analyses scientifiques.

Le fonctionnement et le travail de ce comité avaient apporté une entière satisfaction et permis d'identifier, parmi les crânes examinés, ceux qui pouvaient être considérés comme restituables, ceux qui ne l'étaient pas du fait de l'établissement de leur origine non-algérienne et ceux qui nécessitaient des recherches complémentaires en raison d'une documentation encore insuffisante. Le souhait du Gouvernement de procéder à la restitution avant le 58e anniversaire de l'indépendance algérienne l'avait néanmoins conduit à privilégier l'envoi en Algérie des crânes considérés comme restituables sans attendre que le comité mixte ait finalisé ses analyses concernant les crânes insuffisamment documentés et qu'il ait rendu son rapport, ce qui suscita un certain émoi lorsque la presse révéla ces informations il y a un an.

Afin de garantir à l'avenir une procédure de restitution transparente et exemplaire, indispensable au regard de la sensibilité des restitutions de restes humains, l'article L. 115-4 prévoit la remise obligatoire par le comité d'experts d'un rapport au Gouvernement et à l'État demandeur concernant les travaux qu'il a conduits et la liste des restes humains dont l'origine a pu être établie.

L'article L. 115-5 donne compétence au Premier ministre pour autoriser la sortie des collections publiques par la voie d'un décret en Conseil d'État, sur la base d'un rapport établi par le ministre de la culture, le cas échéant conjointement avec le ministre de tutelle de l'établissement public national auquel le reste humain est affecté, permettant de s'assurer que les différentes conditions prévues par la présente proposition de loi auront été respectées. Les auteurs de la proposition de loi indiquent que le choix de recourir à un décret en Conseil d'État pour faire sortir les restes humains des collections a été opéré dans un souci d'apporter un contrôle supplémentaire dans le cadre de la procédure de restitution.

Dans un souci de respecter le principe de libre administration des collectivités territoriales, l'article L. 115-5 exige l'accord de la collectivité à la restitution dans le cas où le reste humain relève de son domaine public. La cérémonie officielle de restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande en 2012 avait ainsi été précédée d'une délibération du conseil municipal de Rouen en date du 21 mai 2010 actant le déclassement de la tête maorie du muséum de Rouen et autorisant sa restitution.

Afin de garantir une bonne information du législateur, qui délègue au pouvoir réglementaire sa compétence pour autoriser la sortie d'un bien des collections publiques au travers de la mise en place de cette nouvelle procédure, l'article L. 115-6 impose au Gouvernement de transmettre chaque année un rapport au Parlement relatif aux restitutions de restes humains. Celui-ci :

- dresse la liste des demandes de restitution pendantes ;

- comporte les décisions de sortie des collections publiques prises au cours de l'année écoulée et les travaux préparatoires ayant conduit à cette décision (rapport de l'établissement dans lequel les restes humains sont conservés, rapport du comité d'experts mixte en cas de doute sur l'identification, rapport du ministre de la culture et, le cas échéant, de l'autre ministre de tutelle, délibération éventuelle de la collectivité territoriale) ;

- mentionne les restitutions effectivement opérées au cours de l'année, dans la mesure où des délais s'imposent entre la décision de sortie des collections et la restitution proprement dite afin de procéder aux différentes formalités administratives (radiation des inventaires...) et d'organiser, avec le pays demandeur, la restitution.

Ces informations seront utiles pour permettre au Parlement de jouer sa fonction de contrôle de l'action du Gouvernement.

L'article L. 115-7 renvoie à un décret en Conseil d'État le soin d'organiser les modalités d'application de la procédure de restitution. Il demande spécifiquement au pouvoir réglementaire de fixer les conditions dans lesquelles l'identification des restes humains devra être réalisée et de prévoir les modalités et délais de restitution des restes humains à l'État demandeur, une fois ceux-ci sortis du domaine public.

III. - La position de la commission

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication défend déjà depuis plusieurs années l'idée d'adopter une disposition de portée générale permettant de faciliter les restitutions de restes humains appartenant aux collections publiques revendiqués par des pays tiers. L'une des recommandations de sa mission d'information consacrée à la question des restitutions de biens culturels appartenant aux collections publiques5(*), présentées en décembre 2020, allait dans ce sens. Dans la foulée de cette mission d'information, le Sénat adopta en première lecture, le 10 janvier 2022, la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques6(*), dont l'article 2 mettait en place un cadre pour la restitution des restes humains incorporés aux collections publiques. L'Assemblée nationale n'inscrivit jamais l'examen de ce texte à son ordre du jour du fait de l'opposition du Gouvernement aux dispositions de son article 1er, empêchant ainsi notre pays d'aller de l'avant en matière de restitution de restes humains.

La commission est pourtant convaincue qu'il s'agit d'un enjeu crucial pour nos musées. La demande sociale en faveur de pratiques plus éthiques les soumet à une pression de plus en plus forte pour justifier la présence d'un certain nombre de restes humains dans leurs collections. Elle a aussi permis, dans le même temps, une nette évolution des mentalités au sein des établissements publics sur les contours de leurs missions. Alors que la proposition de loi de restitution des têtes maories avait cristallisé la crainte de restitutions élargies susceptibles de déboucher sur une remise en cause de l'intégrité des collections publiques, les établissements se montrent aujourd'hui de plus en plus ouverts à la perspective de restitutions encadrées tant ils les considèrent comme nécessaires sur le plan éthique. Le comité consultatif d'éthique, mis en place par le Muséum national d'histoire naturelle, l'a d'ailleurs encouragé à restituer les restes humains nommément identifiés dont la collecte résulte de contextes historiques dramatiques (massacres, violences...). Toutefois, les établissements n'ont pas caché que les incertitudes et la lourdeur de la procédure parlementaire constituaient aujourd'hui à leurs yeux un frein.

La commission accueille donc très favorablement ce nouveau texte, qui fait suite à des discussions avec le ministère de la culture destinées à permettre un rapprochement des positions. Elle considère qu'il devrait permettre, d'une part, de simplifier la procédure de restitution, en permettant de s'affranchir de la nécessité d'adopter, pour chaque cas, une loi spécifique, et, d'autre part, de doter notre pays d'une procédure claire et transparente pour traiter de façon objective, et en partenariat avec les États d'origine, les demandes de restitution qui lui sont adressées.

Les critères de restituabilité ont recueilli un accueil favorable de la part de pays demandeurs, à l'instar de l'Australie, ou de la part des personnels scientifiques interrogés. La commission considère qu'ils sont suffisamment précis ou objectifs pour justifier la dérogation au principe d'inaliénabilité consentie par le législateur, en permettant de se prémunir contre des restitutions qui seraient le « fait du prince ». Ils correspondent, peu ou prou, à ceux qui figuraient déjà dans la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels extra-européens.

Seul le critère lié à l'absence de recherches scientifiques sur les restes humains concernés au cours des dix dernières années n'a pas été repris, afin d'éviter que des recherches ne puissent être volontairement lancées sur des restes humains pour en empêcher leur restitution. Le groupe de travail pluridisciplinaire sur les restes humains avait de toute façon estimé que la perte d'intérêt scientifique ne pouvait pas constituer un critère de restituabilité probant au regard de la valeur scientifique intrinsèque conservée par ces restes, en tant que vestige de l'histoire de l'humanité ou objet de recherches à venir.

Ce critère a été remplacé par un critère d'ancienneté des restes humains restituables, dont la date de décès présumée ne doit pas être supérieure à 500 ans. Comme le souligne le Royaume-Uni dans son guide pour la gestion des restes humains conservés dans les musées, « la vaste majorité des demandes de restitution concernent des restes de personnes décédées outre-mer au cours des cent à trois cents dernières années. Cela correspond précisément à la période au cours de laquelle intervint l'expansion des puissances européennes, avec les conséquences y afférentes sur les populations indigènes - une période qui ne remonte pas au-delà de cinq cents ans ». Mais ce sont avant tout des considérations scientifiques qui ont prévalu au choix de cette date limite. Au-delà d'une telle période, il devient très difficile de relier de manière probante des restes humains à un groupe humain spécifique. C'est d'ailleurs ce qui explique que le texte prévoit une date glissante de 500 ans, et non une date spécifique, comme par exemple l'année 1500, car d'ici quelques décennies, cette date aurait pu poser des problèmes scientifiques pour l'identification des restes demandés.

Là où la proposition de loi adoptée par le Sénat en 2022 prévoyait que la restitution des restes humains à l'État d'origine n'ait pas pour objet leur exposition, le présent article limite la finalité des restitutions aux besoins funéraires. L'objectif de ces deux dispositions reste cependant identique, à savoir éviter que des restes humains restitués au nom du respect de la dignité de la personne humaine ne se retrouvent transférés dans les vitrines d'un autre établissement. Les restitutions intervenues par le passé et les demandes de restitution actuelles ont de toute façon toutes des objectifs funéraires. La définition du mot « funéraire », qui renvoie au culte des morts et à l'hommage rendu aux morts, n'impose pas forcément l'inhumation ou l'incinération des restes restitués, mais peut aussi permettre la constitution d'un mémorial, comme pour les têtes maories, conservées dans un lieu sacralisé du Te Papa Museum, où elles ont perdu le statut d'objet de collection. L'essentiel est de permettre que les rites funéraires qui correspondent aux croyances et cultures de l'individu dont les restes sont restitués puissent être accomplis.

La commission se félicite par ailleurs de la disposition prévoyant la constitution d'un comité scientifique conjoint dans le but d'assurer l'identification des restes humains concernés par les demandes.

La commission a toujours défendu l'idée de la primauté à accorder à l'expertise scientifique dans le cadre de l'examen des demandes de restitution. Ce comité d'experts répond à cette préoccupation. Afin de sécuriser davantage l'instruction des demandes scientifiques de restitution, la commission a adopté, à l'initiative de sa rapporteure, un amendement visant à empêcher que les décisions de sortie des collections puissent intervenir avant que ce comité n'ait formellement rendu son rapport au Gouvernement et à l'État demandeur, afin d'éviter que ne puisse se reproduire ce qui s'était passé pour les crânes algériens, renvoyés en Algérie avant que le comité mixte mis en place n'ait remis son rapport définitif et n'ait même finalisé son analyse concernant l'ensemble des crânes qui lui avait été soumis pour examen ( COM-2).

Attachée au dialogue interculturel et au développement de coopérations culturelles et scientifiques au niveau international, la commission espère, de surcroît, que la mise en place de tels comités pourra permettre de renforcer la coopération avec l'État demandeur en donnant une occasion aux experts scientifiques de se connaître et de travailler ensemble. Elle considère qu'il serait souhaitable que les accords signés à l'occasion des restitutions comportent un volet consacré à la coopération culturelle et scientifique, lorsque l'État demandeur y souscrit. Elle est convaincue que les restitutions doivent être l'occasion de se pencher sur notre histoire commune et d'en écrire ensemble le récit, dans une volonté de dialogue, de compréhension mutuelle et d'apaisement.

Pour permettre à cette proposition de loi d'avoir un réel impact, la commission souhaite insister auprès du Gouvernement sur l'importance des moyens humains et financiers à allouer aux établissements afin de leur permettre d'approfondir le travail de recherche sur les restes humains appartenant à leurs collections et pour rendre ensuite accessible ces informations. Leur documentation, quand elle existe, reste insuffisante et n'est pas toujours fiable. La vaste majorité des pièces conservées dans les collections est aujourd'hui anonyme. Leurs origines demeurent vagues et leurs trajectoires historiques souvent ignorées. Cette situation constitue un réel obstacle aux restitutions, dans la mesure où aucun pays tiers ne peut formuler de demandes si elle n'a pas connaissance de la présence ces restes humains dans les collections françaises. Ce travail de documentation apparait indispensable afin de respecter non seulement notre engagement à restituer mais aussi le principe de dignité de la personne humaine. Même en l'absence de perspective de restitution, la documentation des restes humains est essentielle dans l'objectif de restaurer les individus concernés dans leur dignité.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 2 (nouveau)

Rapport du gouvernement consacré aux modalités de restitution
aux Outre-mer de restes humains originaires de territoires ultra-marins

Afin d'ouvrir rapidement la possibilité de restitution de restes humains originaires de territoires ultra-marins aux Outre-mer, la commission, à l'initiative de sa rapporteure, a adopté un article additionnel chargeant le Gouvernement de préparer, dans le délai d'un an après la promulgation du présent texte, un rapport identifiant des voies de restitution pérennes susceptibles d'être mises en place.

Au cours de ses différents travaux, la rapporteure s'est largement interrogée sur l'opportunité d'ouvrir le champ de cette procédure de restitution aux demandes relatives à des restes humains originaires de territoires ultra marins émanant de ces territoires.

Elle estime en effet que l'enjeu des restitutions revêt une importance particulière pour les collectivités ultra-marines, comme l'illustre la restitution du crâne du chef Ataï à la Nouvelle-Calédonie en 2014. Compte tenu des liens étroits entre ces territoires et notre passé colonial, elle considère que des restitutions seront nécessaires et qu'il serait, par conséquent, pertinent de simplifier l'instruction des demandes sans avoir à solliciter une autorisation du législateur au cas par cas. La commission avait d'ailleurs déjà identifié cet enjeu lors de l'examen de la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels extra-européens et voulu alors autoriser les groupes humains à pouvoir demander la restitution des restes humains d'origine française.

La rapporteure a été sensible au bien-fondé de la demande portée par l'association Moliko Alet+Po - « les descendants de Moliko » - et à l'exemplarité de la méthode et au caractère fédérateur de leur démarche. Créée en mémoire de Kali'nas victimes des exhibitions ethnographiques au XIXe siècle, cette association sollicite le retour en Guyane, à des fins funéraires, des restes humains de Kali'nas conservés au musée de l'Homme, décédés en métropole alors qu'ils étaient exhibés dans des zoos humains. En l'état actuel de la rédaction de la proposition de loi, seul le Suriname pourrait porter une demande de restitution, alors que l'essentiel des descendants de Moliko vivent aujourd'hui sur le territoire de la Guyane française et que l'association a déjà obtenu des chefs coutumiers implantés au Suriname leur accord pour que les restes soient restitués à la Guyane, où les rites funéraires traditionnels du peuple Kali'na y seraient pratiqués.

La commission a néanmoins convenu que la procédure interétatique mise en place par la présente proposition de loi n'était pas, en l'état, transposable aux outre-mer, qui relèvent d'une problématique nationale. Elle a estimé qu'il était impossible, pour des raisons juridiques, de mettre sur un pied d'égalité des États étrangers avec des collectivités ou des populations ultra-marine. Elle a par ailleurs craint que l'ouverture d'une voie de restitution réservée aux seuls territoires ultra-marins, qui exclurait le reste du territoire français, s'avère fragile sur le plan juridique, compte tenu de la rupture d'égalité devant la loi qui résulterait d'une telle disposition.

Le délai d'examen imparti de la proposition de loi ne permettait pas d'organiser les concertations nécessaires afin d'aboutir à une solution satisfaisante et juridiquement sans faille. Dans un souci de ne pas retarder l'adoption de ce cadre de restitution, attendu par plusieurs États étrangers ayant déjà présenté des demandes officielles, la commission, sur proposition de sa rapporteure, a donc préféré, à ce stade, manifester son engagement à trouver rapidement une solution à cet enjeu en octroyant au Gouvernement un délai d'un an pour présenter au Parlement des modalités adaptées et pérennes permettant de faciliter la restitution des restes humains originaires des territoires ultra-marins ( COM-3).

Dans l'attente de l'adoption d'un tel cadre, la commission a émis l'idée que des restes humains ultra-marins conservés dans les établissements métropolitains puissent être mis en dépôt dans les établissements culturels des territoires ultra-marins concernés. Elle a également rappelé qu'il serait toujours possible au législateur d'adopter une loi d'espèce pour faire sortir ponctuellement des collections des restes humains originaires de territoires ultra-marins, si le besoin s'en faisait sentir avant la mise en place d'un cadre pérenne.

La commission a adopté cet article additionnel


* 3 Vade-mecum « Les restes humains dans les collections publiques » réalisé par le groupe de travail sur la problématique des restes humains dans les collections publiques, 2018.

* 4 Guide du Gouvernement britannique pour la gestion des restes humains conservés dans les musées, 2005, 3.3.2.C voir page 27.

* 5 Rapport d'information n° 239 (2020-2021) de MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias « Le retour des biens culturels aux pays d'origine : un défi pour le projet universel des musées français »

* 6 Proposition de loi n° 41 (2021-2022) de Mme Catherine Morin-Desailly et MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques.

Les thèmes associés à ce dossier