N° 715

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 juin 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques,

Par Mme Catherine MORIN-DESAILLY,

Sénatrice

Procédure de législation en commission,

en application de l'article 47 ter du Règlement

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mmes Nathalie Delattre, Véronique Del Fabro, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

Voir les numéros :

Sénat :

551 et 716 (2022-2023)

AVANT-PROPOS

Fruit d'une initiative sénatoriale transpartisane, cette proposition de loi vise à faciliter la restitution à des États étrangers de restes humains appartenant aux collections publiques. Elle introduit une dérogation générale au principe d'inaliénabilité rendant possible, sous certaines conditions, la sortie de restes humains du domaine public sans qu'une autorisation préalable du Parlement au cas par cas ne soit plus nécessaire.

Ce texte s'inscrit dans la continuité des travaux conduits par la commission de la culture en matière de restitution des biens culturels. Son adoption doterait notre pays du cadre qui lui fait défaut pour traiter de façon claire et transparente les demandes de restitution de restes humains adressées par des États étrangers et favoriser le dialogue scientifique et culturel avec les pays demandeurs.

La commission insiste sur l'importance des moyens mis à la disposition des établissements pour assurer une gestion plus éthique de leurs collections. Elle est par ailleurs consciente que ce texte ne constitue sans doute qu'une première étape, tant cette problématique ne peut être réduite, ni aux seules pièces d'origine étrangère, ni même à celles conservées dans les établissements publics si l'on veut traiter dans leur globalité les problèmes soulevés par les zoos humains. La commission a souhaité commander au Gouvernement un rapport explorant les modalités possibles de restitution de restes humains originaires de territoires ultramarins.

I. LE CONSTAT : UNE RÉPONSE DE LA FRANCE PEU SATISFAISANTE EN MATIÈRE DE RESTITUTION DE RESTES HUMAINS

A. UN ENJEU AIGU DU FAIT DE LA SENSIBILITÉ DE CES COLLECTIONS

Plusieurs centaines d'établissements publics en France (musées, monuments, services d'archéologie, universités) comptent des restes humains dans leurs collections. Il s'agit de collections sensibles qui nécessitent une vigilance particulière. Le code civil, qui prévoit que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort », commande un traitement respectueux, digne et décent de ces pièces. La convention de l'Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones imposent également de prendre en compte les représentations culturelles qui sont celles du lieu d'origine des restes humains.

Compte tenu de ces principes, la question de leur restitution peut se poser. Si une vaste majorité des restes humains conservés dans les collections publiques émane de France, une partie est d'origine étrangère, principalement européenne. Une part minoritaire provient d'anciennes colonies. Une très grande partie des collections extra-occidentales se trouve aujourd'hui au Musée de l'Homme, qui relève du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN).

700

900

5%

7%

23 665

Les restes humains non fossiles conservés au MNHN

pièces (restes crâniens et post-crâniens, échantillons de peau
ou cheveux)

originaires d'Afrique

originaires
de territoires
ultra-marins

restes humains nommés (identité établie ou descriptif)

restes nommés étrangers
(dont environ 100 cas potentiellement sensibles)

       

Source : MNHN

L'essentiel des restes provient de fouilles archéologiques. Mais les collections comportent également des pièces collectées dans des conditions désormais jugées inacceptables (trophées de guerre, vols, pillages, profanations de sépulture) et incompatibles avec le principe de respect de la dignité de la personne humaine qui leur est dû. Faute de documentation suffisante lors de leur entrée dans les collections, la majorité des pièces sont anonymes.

B. UN OBSTACLE À SURMONTER : L'INALIÉNABILITÉ DU DOMAINE PUBLIC

Le principe d'inaliénabilité des biens appartenant au domaine public fait obstacle à leur restitution. Si le déclassement des biens qui ne sont plus affectés à un service public ou à l'usage direct du public est, en principe, possible, le code du patrimoine réserve cette procédure aux seuls biens relevant des collections des musées de France qui ont perdu leur intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de la science ou de la technique. Il est impossible d'y recourir pour faire sortir des collections des restes humains, puisqu'ils conservent un intérêt en tant que vestige de l'histoire de l'humanité, ainsi qu'une valeur scientifique pour le lancement de nouvelles recherches. L'intervention du législateur est nécessaire pour déroger au principe à valeur législative d'inaliénabilité.

Ces difficultés expliquent le faible nombre de restitutions de restes humains intervenues jusqu'ici. Seules deux lois, résultant chacune d'une initiative sénatoriale, ont été adoptées afin de permettre des restitutions ponctuelles de restes humains. La lourdeur et la complexité de la procédure législative ont conduit à privilégier à plusieurs reprises d'autres voies de restitution malgré leur licéité discutable. Le recours à la procédure de dépôt en 2020 dans le but de restituer en urgence une vingtaine de crânes à l'Algérie, qui procéda immédiatement à leur inhumation, constitue un dévoiement à ne pas renouveler.

Les restitutions passées de restes humains conservés dans les collections publiques

2002

Restitution à l'Afrique du Sud de la dépouille de Saartjie Baarman, dite « Vénus hottentote »

Loi n° 2002-323 du 6 mars 2002

2002

Restitution à l'Uruguay de la dépouille de l'indien Charrua Vaimaca Peru

Procédure administrative

2012

Restitution à la Nouvelle-Zélande de vingt têtes maories

Loi n° 2010-501 du 18 mai 2010

2014

Restitution à la Nouvelle-Calédonie des crânes d'Ataï et de Sandja

Transfert de propriété privée : crânes entreposés au musée de l'Homme mais appartenant à une collection privée

2020

Restitution à l'Algérie de vingt-quatre crânes algériens

Convention de dépôt en date du 26 juin 2020

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

L'utilisation de stratégies de contournement est révélatrice du besoin urgent à définir un cadre juridique clair permettant de simplifier les restitutions de restes humains. La situation actuelle n'est satisfaisante ni pour les États demandeurs ni pour les établissements conservant ces pièces, soumis à une pression croissante pour justifier leur présence dans leurs collections. La demande sociale en faveur de pratiques plus éthiques a permis une évolution sensible des mentalités qui facilite aujourd'hui l'adoption d'un tel cadre.

Le travail amorcé au sein de la Commission scientifique nationale des collections à la demande du législateur suite à la loi sur les têtes maories, approfondi ensuite par le groupe de travail pluridisciplinaire sur les restes humains mis en place par le ministère de la culture et le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, a permis de faire considérablement avancer la réflexion sur les restitutions de restes humains et leurs critères éventuels.

Sur cette base, le Sénat avait adopté, le 10 janvier 2022, une proposition de loi1(*), dont l'article 2 définissait un cadre général pour la sortie des restes humains des collections publiques et leur restitution. Cette initiative n'a malheureusement pas abouti, l'Assemblée nationale n'ayant jamais inscrit l'examen du texte à son ordre du jour en raison de l'opposition du Gouvernement au contenu de son article 1er.

II. LA POSITION DE LA COMMISSION : UNE INITIATIVE MARQUANT UNE PREMIÈRE ÉTAPE NÉCESSAIRE

A. UNE PROCÉDURE DE RESTITUTION CLAIRE ET TRANSPARENTE REPOSANT SUR UNE DÉMARCHE SCIENTIFIQUE ET PARTENARIALE

Le contenu de la proposition de loi

La proposition de loi crée, au sein du code du patrimoine, une dérogation de portée générale au principe d'inaliénabilité. Elle autorise l'État et les collectivités territoriales à faire sortir de leur domaine public, par décret en Conseil d'État, sur la base d'un rapport établi par le ou les ministères de tutelle des établissements concernés, des restes humains identifiés comme étant issus du territoire d'un État étranger dans le but de les lui restituer.

La procédure est avant tout motivée par le souci de garantir le respect de la dignité de la personne humaine et le respect des cultures et croyances des autres peuples. Elle concerne exclusivement des restes humains dont l'ancienneté est inférieure à 500 ans, qui appartiennent à un groupe vivant dont la culture et les traditions restent actives, et dont la demande de restitution est portée par un État étranger. Elle n'est possible qu'à des fins funéraires tant il serait incohérent que la restitution se traduise par l'exposition des restes restitués dans l'État d'origine. Cette condition n'empêche cependant pas la constitution d'un mémorial.

Afin d'éviter que des restes humains qui ne correspondraient pas à la demande de l'État d'origine lui soient restitués, un comité scientifique, composé à parts égales de représentants français et de représentants de l'État demandeur, est chargé de vérifier l'identification des restes humains en cas de doute sur celle-ci.

Le Parlement devrait être destinataire chaque année d'un rapport relatif à l'application de cette procédure de manière à lui permettre de contrôler l'action du Gouvernement, une fois qu'il lui aura délégué son pouvoir à autoriser la sortie de ces restes humains des collections publiques.

La commission considère que ces dispositions offrent un cadre clair et transparent pour le traitement des demandes de restitution de restes humains adressées par des États étrangers. Les critères prévus par la proposition de loi sont suffisamment précis et objectifs pour justifier la dérogation au principe d'inaliénabilité consentie par le législateur. La procédure ménage par ailleurs une véritable place à l'expertise scientifique, permettant de se prémunir contre des restitutions qui seraient le « fait du prince ». Le texte répond ainsi à la préoccupation exprimée par la commission dans le cadre de ses travaux sur la restitution des biens culturels2(*), reprenant les critères qui figuraient déjà dans la proposition de loi votée par le Sénat en janvier 2022.

Elle est convaincue que ce cadre général peut permettre :

ü de faciliter les restitutions de restes humains et de permettre à notre pays d'examiner rapidement les demandes pendantes (Australie, Argentine, Madagascar), ainsi que de régulariser la restitution des crânes algériens avant l'expiration du délai de cinq ans prévu par la convention de dépôt conclue avec l'Algérie en 2020 ;

ü d'inciter nos établissements publics à adopter une démarche plus pro-active et à engager un travail en profondeur d'identification des restes potentiellement sensibles qu'ils conservent dans leurs collections, dans la mesure où il leur offre de véritables perspectives d'aboutissement de leurs efforts ;

ü de développer des coopérations culturelles et scientifiques avec les États demandeurs, grâce au travail qui pourra être amorcé au sein du comité scientifique mixte, qui fournit une opportunité de jeter les premières bases de l'écriture commune du récit de notre histoire passée.

B. L'APPORT DE LA COMMISSION : JETER LES BASES D'UNE NOUVELLE RÉFLEXION PORTANT SUR LA RESTITUTION DE RESTES ULTRA-MARINS

Compte tenu de son caractère complet pour traiter des demandes émanant d'États étrangers, la commission a seulement complété le texte dans le but de sécuriser davantage l'instruction scientifique des demandes de restitution. À l'initiative de Catherine Morin-Desailly, rapporteure, elle a adopté un amendement faisant en sorte que la décision de sortie des collections ne puisse pas intervenir avant la remise par le comité mixte de son rapport, contrairement à ce qui s'est produit lors de la restitution des crânes algériens.

Si la commission juge l'intervention du législateur indispensable afin de lever les obstacles juridiques aux restitutions de restes humains, cette proposition de loi ne constitue pour autant qu'un amorceur qui nécessite des actions complémentaires. La commission demande au Gouvernement d'agir rapidement, de son côté, pour donner aux établissements les moyens humains et financiers suffisants pour approfondir le travail de recherche sur leurs collections. En plus d'être primordiale pour rendre possibles les restitutions, la documentation des restes humains conservés dans les collections fait partie intégrante du respect de la dignité de la personne humaine associée à ces restes.

La commission est consciente que ce texte ne constitue qu'une première étape sur la voie des restitutions de restes humains appartenant aux collections publiques. Il n'apporte en effet une solution pérenne qu'aux États étrangers, laissant de côté le sujet des restitutions de restes humains d'origine française. La restitution en 2014 du crâne du chef Ataï à la Nouvelle-Calédonie illustre pourtant bien l'existence d'une problématique ultra-marine particulière, qui s'explique par les liens étroits entre ces territoires et notre passé colonial. La commission avait déjà identifié cet enjeu lors de l'examen de la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels extra-européens et avait alors voulu autoriser les groupes humains à pouvoir demander la restitution des restes humains d'origine française.

La question des zoos humains rend nécessaire de faciliter la restitution de restes humains ultra-marins. Le Musée de l'Homme conserve des restes de personnes originaires de territoires ultra-marins décédées en métropole alors qu'elles étaient exhibées dans le cadre de telles exhibitions ethnographiques. Il serait légitime qu'ils puissent retourner sur leurs terres d'origines à des fins funéraires. La problématique des zoos humains dépasse néanmoins le seul enjeu de permettre la restitution des biens conservés dans les collections publiques, puisqu'un certain nombre de corps sont également enterrés sur le territoire métropolitain - sous le Jardin d'Acclimatation par exemple.

Afin de ne pas obérer les chances d'adoption du texte, après l'échec de la tentative de 2022, et compte tenu de la difficulté à transposer aux territoires ultra-marins la procédure mise en place par cette proposition de loi en faveur des États étrangers, la commission a préféré ouvrir à ce stade la réflexion en adoptant un amendement, à l'initiative de sa rapporteure, octroyant au Gouvernement un délai d'un an pour présenter au Parlement des solutions permettant de définir un cadre pérenne pour la restitution des restes humains ultra-marins conservés dans les collections publiques.

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a adopté, selon la procédure de la législation en commission, la proposition de loi ainsi modifiée.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Création d'une procédure pour la restitution
de certains restes humains intégrés aux collections publiques

Cet article instaure une procédure administrative permettant, sous certaines conditions, à l'État ou aux collectivités territoriales de faire sortir de leurs collections, par dérogation au principe d'inaliénabilité du domaine public, des restes humains identifiés d'origine étrangère afin de les restituer à l'État étranger qui les demande, sans avoir à recourir à une loi spécifique.

La commission s'est montrée favorable à l'adoption d'une disposition législative générale facilitant les restitutions de restes humains incorporés dans les collections publiques. Elle considère que la procédure et les critères prévus offrent un cadre clair et transparent pour simplifier et harmoniser le traitement des demandes de restitution, fondé sur une démarche scientifique et partenariale.

Dans l'objectif d'ouvrir rapidement la possibilité de restitution de restes humains originaires de territoires ultra-marins aux Outre-mer, elle a chargé le Gouvernement de préparer un rapport identifiant des voies de restitution pérennes susceptibles d'être mises en place.

I. - La situation actuelle : l'obligation de recourir à des lois spécifiques pour procéder à la restitution de restes humains appartenant aux collections publiques

Les restes humains conservés au sein d'établissements publics qui sont la propriété, soit de cet établissement public, soit de la collectivité territoriale, soit de l'État, sont, au même titre que les autres biens culturels leur appartenant, frappés d'inaliénabilité en application de l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques. La personne publique propriétaire n'est pas autorisée à en transférer la propriété.

L'article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques autorise le déclassement d'un bien du domaine public par un acte administratif. Cette procédure est cependant limitée aux biens qui ne sont plus affectés à un service public ou à l'usage direct du public. Cette procédure peut s'appliquer aux biens appartenant à une personne publique conservés dans les universités, les autres établissements publics d'enseignement supérieur ou de recherche ou les musées n'ayant pas l'appellation « musée de France ».

Pour les biens relevant des collections des musées de France appartenant à une personne publique, en revanche, le code du patrimoine ajoute une restriction supplémentaire à l'utilisation de cette procédure, puisqu'il la circonscrit aux seuls biens culturels qui ont perdu leur intérêt public du point de vue de l'histoire, de l'art, de la science ou de la technique (art. R. 451-24-1 du code du patrimoine). En pratique, cette condition empêche donc d'y recourir pour faire sortir des collections des restes humains aux fins de leur restitution, dans la mesure où ils n'ont pas perdu l'intérêt public qui a justifié leur incorporation dans les collections. Comme indiqué dans le vade-mecum consacré aux restes humains dans les collections publiques, ces restes conservent un intérêt pour la connaissance de l'espèce humaine et la compréhension culturelle de l'humanité3(*).

Le recours à la procédure de déclassement est par ailleurs formellement interdit s'agissant des biens culturels entrés dans les collections suite à un don ou un legs (art. L. 451-7 du code du patrimoine) du fait du principe d'irrévocabilité des donations.

La sortie des collections des restes humains appartenant aux collections publiques des musées de France requiert donc impérativement l'autorisation préalable du législateur. Celui-ci a en effet la possibilité d'introduire des dérogations ponctuelles ou générales au principe d'inaliénabilité, qui est un principe de valeur législative et non constitutionnelle.

À deux reprises par le passé, le Parlement a été amené à voter des lois spécifiques pour rendre possible, en 2002, la restitution des restes de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud et, en 2010, la restitution des têtes maories.

La nécessité de recueillir l'autorisation du Parlement avant toute restitution ralentit considérablement la procédure et peut décourager les initiatives.

L'adoption par le Parlement d'un cadre général pour les restitutions de certains restes humains constituerait donc une avancée. Dans la foulée de la loi de restitution des têtes maories, un groupe de travail pluridisciplinaire, mis en place conjointement par le ministère de la culture et le ministère de la recherche et de l'innovation en marge des travaux de la Commission scientifique nationale des collections, s'est penché sur la gestion des restes humains présents dans les collections publiques françaises et les problématiques juridiques qu'elle soulève.

Animé par Michel Van Praët, professeur émérite au Museum national d'histoire naturelle, ce groupe de travail a examiné les voies possibles de restitutions de restes humains qui permettraient de ne plus avoir à adopter de lois spécifiques, après avoir constaté que « les demandes de restitution de restes humains [...] constituent des cas particuliers parmi les revendications de biens culturels conservés dans les collections et apparaissent comme légitimes dans de nombreux cas, notamment quand elles portent sur des restes humains identifiés ».

Il a identifié plusieurs critères de restituabilité des restes humains qui permettraient à la France de répondre positivement aux demandes de restitution pouvant être considérées comme justifiées, notamment au regard des principes de dignité de la personne humaine et de respect des cultures et des croyances des autres peuples.

Il a notamment jugé important que la demande soit présentée officiellement par un État au nom d'un groupe humain vivant, toujours présent sur son territoire, et dont les traditions perdurent.

Il a considéré que chaque demande devrait faire l'objet d'un examen scientifique au cas par cas permettant d'identifier avec certitude les restes humains, d'apprécier la force et la réalité du lien communautaire entre les restes humains et l'État les revendiquant, et de prendre en compte la destination de la dépouille considérée.

Prenant appui sur les dispositions du Human Tissue Act adopté au Royaume-Uni en 2004, qui autorise neuf musées britanniques à déclasser des restes humains datant de moins de mille ans, il a jugé légitime de conditionner les restitutions au respect d'un critère d'ancienneté de quelques siècles au plus. Dans les faits, les Britanniques rejettent les demandes portant sur des restes humains vieux de plus de cinq cents ans, sauf lorsqu'un lien géographique, religieux, spirituel et culturel étroit et continu entre les restes humains revendiqués et un groupe humain vivant peut être démontré. Cette irrecevabilité s'explique pour des raisons scientifiques dans la mesure où il est pratiquement impossible d'établir le rattachement de restes humains à un groupe humain précis au-delà de cette durée du fait des nombreux brassages de population qui interviennent au cours des siècles. Les Britanniques considèrent d'ailleurs que les demandes de restitution portant sur des restes humains de plus de trois cents ans ont peu de chance d'aboutir4(*).

Le groupe de travail a en revanche écarté le critère de la perte d'intérêt scientifique des restes humains considérés, dans la mesure où il aurait systématiquement fait obstacle aux restitutions, puisque les restes conservent leur valeur scientifique et peuvent toujours se prêter à de nouvelles recherches. Il a par ailleurs considéré que la nécessité de préserver des traces et des vestiges d'un passé révolu devait être mis en balance avec d'autres valeurs, telles que le respect de chaque civilisation et l'amitié entre les peuples.

Malgré cet important travail, aucune suite n'a jamais été donnée au rapport du groupe de travail sur la gestion des restes humains patrimonialisés. Les obstacles juridiques aux restitutions de restes humains qui découlent du régime de la domanialité publique demeurent, ce qui a même conduit le Gouvernement à détourner la procédure de dépôt en juillet 2020 pour satisfaire, à la veille du 58e anniversaire de l'indépendance algérienne, la demande de l'Algérie de restitution de plusieurs crânes de résistants algériens décapités au XIXe siècle conservés dans les collections françaises.

Cette situation se révèle problématique dans un contexte où la montée en puissance de l'enjeu des restitutions sur la scène internationale laisse présager une augmentation du nombre de demandes relatives à des restes humains. À ce stade, les autorités françaises ont reçu trois demandes officielles :

- l'une, datant de 2009, émane de l'Australie au sujet des restes humains d'aborigènes d'Australie et d'indigènes du détroit de Torrès conservés dans les collections des musées français ;

- l'autre, transmise par l'Argentine en 2015, est relative au squelette monté du fils du cacique Lepitchoun conservé dans les collections du Muséum national d'histoire naturelle,

- la dernière, parvenue en 2021, provient du gouvernement malgache et concerne le crâne du roi Sakalava Toera.

II. - Le dispositif proposé : la mise en place d'une procédure administrative facilitant la restitution des restes humains identifiés réclamés par un État étranger

Cet article crée une procédure administrative permettant, sous certaines conditions, à l'État ou aux collectivités territoriales de faire sortir de leurs collections des restes humains qui leur appartiennent aux fins de leur restitution à un État étranger, sans avoir à recourir à une loi spécifique.

À cet effet, il insère, au sein du chapitre 5 du titre Ier du livre Ier du code du patrimoine, aujourd'hui consacré aux modalités de déclassement d'un bien culturel appartenant aux personnes publiques, une nouvelle section relative à la sortie des restes humains conservés dans les collections publiques, composé de six articles.

L'article L. 115-2 introduit une dérogation générale au principe d'inaliénabilité du domaine public, exclusivement réservée à la restitution à un État étranger, à des fins funéraires, de restes humains appartenant aux collections publiques. Il autorise dans ce but la sortie du domaine public de ces restes humains, y compris ceux incorporés aux collections des musées de France par dons ou legs, par dérogation au code du patrimoine.

L'article L. 115-3 définit les critères encadrant les restitutions de restes humains :

un critère matériel : les restitutions sont limitées aux restes humains d'origine étrangère identifiés, ce qui désigne, d'après l'exposé des motifs de la proposition de loi, à la fois les restes d'individus nommés, c'est-à-dire ceux dont l'identité est établie, et les restes d'individus anonymes mais dont l'origine, par exemple, l'appartenance à un groupe humain spécifique, est documentée ;

un critère juridique : les restitutions font suite au dépôt préalable d'une demande officielle de restitution par un État étranger ;

un critère de filiation : les restitutions ne peuvent concerner que des restes humains provenant d'individus nommés ou anonymes appartenant à un groupe humain dont la culture et les traditions restent actives ;

un critère éthique : les restitutions doivent être justifiées au regard des atteintes portées à la dignité humaine lors de la collecte des restes humains concernés ou au regard du respect dû aux croyances et cultures des autres peuples ;

un critère temporel : les restitutions sont circonscrites aux restes humains provenant /d'individus décédés depuis moins de cinq cents ans au moment du dépôt de la demande. Cette date glissante, justifiée par des considérations scientifiques (voir supra), permet de prendre en compte l'essentiel des cas de restes humains susceptibles de faire l'objet de demandes. Elle couvre en effet la période d'expansion européenne au cours de laquelle la plupart des restes humains ont été collectés, souvent moins à titre de trophée de guerre qu'à des fins de recherche scientifique.

L'article L. 115-4 prévoit la mise en place systématique d'un comité d'experts scientifiques paritaire en cas de doute sur l'identification des restes humains. Composé à parts égales de scientifiques désignés par l'État demandeur et par la France, il est chargé de vérifier l'origine des pièces conservées dans les collections ou d'en déterminer l'appartenance à un groupe humain, si besoin en ayant recours à des expertises génétiques.

Cette disposition s'inspire de l'une des recommandations du groupe de travail pluridisciplinaire, qui avait estimé qu'il serait indispensable pour rendre possible la sortie du domaine public qu'une phase d'identification et de documentation scientifique, menée de manière collégiale et si possible conjointement avec les requérants, intervienne impérativement avant la remise des restes lorsque l'origine de ceux concernés par une demande de restitution n'est pas documentée. Elle permet « d'éviter que des attributions imprécises ou anciennes non vérifiées conduisent à restituer des restes humains qui ne seraient pas issus de la communauté ou du pays ayant émis la demande ».

Dans le cadre de la demande de restitution de restes humains d'origine algérienne conservés dans les collections du Museum national d'histoire naturelle, un comité scientifique mixte franco-algérien avait d'ailleurs été chargé d'étudier une quarantaine de crânes provenant d'Algérie afin de tenter d'en déterminer l'origine algérienne et d'établir l'identité et l'histoire personnelle des individus concernés à partir de documents d'archives, de données anthropologiques et d'analyses scientifiques.

Le fonctionnement et le travail de ce comité avaient apporté une entière satisfaction et permis d'identifier, parmi les crânes examinés, ceux qui pouvaient être considérés comme restituables, ceux qui ne l'étaient pas du fait de l'établissement de leur origine non-algérienne et ceux qui nécessitaient des recherches complémentaires en raison d'une documentation encore insuffisante. Le souhait du Gouvernement de procéder à la restitution avant le 58e anniversaire de l'indépendance algérienne l'avait néanmoins conduit à privilégier l'envoi en Algérie des crânes considérés comme restituables sans attendre que le comité mixte ait finalisé ses analyses concernant les crânes insuffisamment documentés et qu'il ait rendu son rapport, ce qui suscita un certain émoi lorsque la presse révéla ces informations il y a un an.

Afin de garantir à l'avenir une procédure de restitution transparente et exemplaire, indispensable au regard de la sensibilité des restitutions de restes humains, l'article L. 115-4 prévoit la remise obligatoire par le comité d'experts d'un rapport au Gouvernement et à l'État demandeur concernant les travaux qu'il a conduits et la liste des restes humains dont l'origine a pu être établie.

L'article L. 115-5 donne compétence au Premier ministre pour autoriser la sortie des collections publiques par la voie d'un décret en Conseil d'État, sur la base d'un rapport établi par le ministre de la culture, le cas échéant conjointement avec le ministre de tutelle de l'établissement public national auquel le reste humain est affecté, permettant de s'assurer que les différentes conditions prévues par la présente proposition de loi auront été respectées. Les auteurs de la proposition de loi indiquent que le choix de recourir à un décret en Conseil d'État pour faire sortir les restes humains des collections a été opéré dans un souci d'apporter un contrôle supplémentaire dans le cadre de la procédure de restitution.

Dans un souci de respecter le principe de libre administration des collectivités territoriales, l'article L. 115-5 exige l'accord de la collectivité à la restitution dans le cas où le reste humain relève de son domaine public. La cérémonie officielle de restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande en 2012 avait ainsi été précédée d'une délibération du conseil municipal de Rouen en date du 21 mai 2010 actant le déclassement de la tête maorie du muséum de Rouen et autorisant sa restitution.

Afin de garantir une bonne information du législateur, qui délègue au pouvoir réglementaire sa compétence pour autoriser la sortie d'un bien des collections publiques au travers de la mise en place de cette nouvelle procédure, l'article L. 115-6 impose au Gouvernement de transmettre chaque année un rapport au Parlement relatif aux restitutions de restes humains. Celui-ci :

- dresse la liste des demandes de restitution pendantes ;

- comporte les décisions de sortie des collections publiques prises au cours de l'année écoulée et les travaux préparatoires ayant conduit à cette décision (rapport de l'établissement dans lequel les restes humains sont conservés, rapport du comité d'experts mixte en cas de doute sur l'identification, rapport du ministre de la culture et, le cas échéant, de l'autre ministre de tutelle, délibération éventuelle de la collectivité territoriale) ;

- mentionne les restitutions effectivement opérées au cours de l'année, dans la mesure où des délais s'imposent entre la décision de sortie des collections et la restitution proprement dite afin de procéder aux différentes formalités administratives (radiation des inventaires...) et d'organiser, avec le pays demandeur, la restitution.

Ces informations seront utiles pour permettre au Parlement de jouer sa fonction de contrôle de l'action du Gouvernement.

L'article L. 115-7 renvoie à un décret en Conseil d'État le soin d'organiser les modalités d'application de la procédure de restitution. Il demande spécifiquement au pouvoir réglementaire de fixer les conditions dans lesquelles l'identification des restes humains devra être réalisée et de prévoir les modalités et délais de restitution des restes humains à l'État demandeur, une fois ceux-ci sortis du domaine public.

III. - La position de la commission

La commission de la culture, de l'éducation et de la communication défend déjà depuis plusieurs années l'idée d'adopter une disposition de portée générale permettant de faciliter les restitutions de restes humains appartenant aux collections publiques revendiqués par des pays tiers. L'une des recommandations de sa mission d'information consacrée à la question des restitutions de biens culturels appartenant aux collections publiques5(*), présentées en décembre 2020, allait dans ce sens. Dans la foulée de cette mission d'information, le Sénat adopta en première lecture, le 10 janvier 2022, la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques6(*), dont l'article 2 mettait en place un cadre pour la restitution des restes humains incorporés aux collections publiques. L'Assemblée nationale n'inscrivit jamais l'examen de ce texte à son ordre du jour du fait de l'opposition du Gouvernement aux dispositions de son article 1er, empêchant ainsi notre pays d'aller de l'avant en matière de restitution de restes humains.

La commission est pourtant convaincue qu'il s'agit d'un enjeu crucial pour nos musées. La demande sociale en faveur de pratiques plus éthiques les soumet à une pression de plus en plus forte pour justifier la présence d'un certain nombre de restes humains dans leurs collections. Elle a aussi permis, dans le même temps, une nette évolution des mentalités au sein des établissements publics sur les contours de leurs missions. Alors que la proposition de loi de restitution des têtes maories avait cristallisé la crainte de restitutions élargies susceptibles de déboucher sur une remise en cause de l'intégrité des collections publiques, les établissements se montrent aujourd'hui de plus en plus ouverts à la perspective de restitutions encadrées tant ils les considèrent comme nécessaires sur le plan éthique. Le comité consultatif d'éthique, mis en place par le Muséum national d'histoire naturelle, l'a d'ailleurs encouragé à restituer les restes humains nommément identifiés dont la collecte résulte de contextes historiques dramatiques (massacres, violences...). Toutefois, les établissements n'ont pas caché que les incertitudes et la lourdeur de la procédure parlementaire constituaient aujourd'hui à leurs yeux un frein.

La commission accueille donc très favorablement ce nouveau texte, qui fait suite à des discussions avec le ministère de la culture destinées à permettre un rapprochement des positions. Elle considère qu'il devrait permettre, d'une part, de simplifier la procédure de restitution, en permettant de s'affranchir de la nécessité d'adopter, pour chaque cas, une loi spécifique, et, d'autre part, de doter notre pays d'une procédure claire et transparente pour traiter de façon objective, et en partenariat avec les États d'origine, les demandes de restitution qui lui sont adressées.

Les critères de restituabilité ont recueilli un accueil favorable de la part de pays demandeurs, à l'instar de l'Australie, ou de la part des personnels scientifiques interrogés. La commission considère qu'ils sont suffisamment précis ou objectifs pour justifier la dérogation au principe d'inaliénabilité consentie par le législateur, en permettant de se prémunir contre des restitutions qui seraient le « fait du prince ». Ils correspondent, peu ou prou, à ceux qui figuraient déjà dans la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels extra-européens.

Seul le critère lié à l'absence de recherches scientifiques sur les restes humains concernés au cours des dix dernières années n'a pas été repris, afin d'éviter que des recherches ne puissent être volontairement lancées sur des restes humains pour en empêcher leur restitution. Le groupe de travail pluridisciplinaire sur les restes humains avait de toute façon estimé que la perte d'intérêt scientifique ne pouvait pas constituer un critère de restituabilité probant au regard de la valeur scientifique intrinsèque conservée par ces restes, en tant que vestige de l'histoire de l'humanité ou objet de recherches à venir.

Ce critère a été remplacé par un critère d'ancienneté des restes humains restituables, dont la date de décès présumée ne doit pas être supérieure à 500 ans. Comme le souligne le Royaume-Uni dans son guide pour la gestion des restes humains conservés dans les musées, « la vaste majorité des demandes de restitution concernent des restes de personnes décédées outre-mer au cours des cent à trois cents dernières années. Cela correspond précisément à la période au cours de laquelle intervint l'expansion des puissances européennes, avec les conséquences y afférentes sur les populations indigènes - une période qui ne remonte pas au-delà de cinq cents ans ». Mais ce sont avant tout des considérations scientifiques qui ont prévalu au choix de cette date limite. Au-delà d'une telle période, il devient très difficile de relier de manière probante des restes humains à un groupe humain spécifique. C'est d'ailleurs ce qui explique que le texte prévoit une date glissante de 500 ans, et non une date spécifique, comme par exemple l'année 1500, car d'ici quelques décennies, cette date aurait pu poser des problèmes scientifiques pour l'identification des restes demandés.

Là où la proposition de loi adoptée par le Sénat en 2022 prévoyait que la restitution des restes humains à l'État d'origine n'ait pas pour objet leur exposition, le présent article limite la finalité des restitutions aux besoins funéraires. L'objectif de ces deux dispositions reste cependant identique, à savoir éviter que des restes humains restitués au nom du respect de la dignité de la personne humaine ne se retrouvent transférés dans les vitrines d'un autre établissement. Les restitutions intervenues par le passé et les demandes de restitution actuelles ont de toute façon toutes des objectifs funéraires. La définition du mot « funéraire », qui renvoie au culte des morts et à l'hommage rendu aux morts, n'impose pas forcément l'inhumation ou l'incinération des restes restitués, mais peut aussi permettre la constitution d'un mémorial, comme pour les têtes maories, conservées dans un lieu sacralisé du Te Papa Museum, où elles ont perdu le statut d'objet de collection. L'essentiel est de permettre que les rites funéraires qui correspondent aux croyances et cultures de l'individu dont les restes sont restitués puissent être accomplis.

La commission se félicite par ailleurs de la disposition prévoyant la constitution d'un comité scientifique conjoint dans le but d'assurer l'identification des restes humains concernés par les demandes.

La commission a toujours défendu l'idée de la primauté à accorder à l'expertise scientifique dans le cadre de l'examen des demandes de restitution. Ce comité d'experts répond à cette préoccupation. Afin de sécuriser davantage l'instruction des demandes scientifiques de restitution, la commission a adopté, à l'initiative de sa rapporteure, un amendement visant à empêcher que les décisions de sortie des collections puissent intervenir avant que ce comité n'ait formellement rendu son rapport au Gouvernement et à l'État demandeur, afin d'éviter que ne puisse se reproduire ce qui s'était passé pour les crânes algériens, renvoyés en Algérie avant que le comité mixte mis en place n'ait remis son rapport définitif et n'ait même finalisé son analyse concernant l'ensemble des crânes qui lui avait été soumis pour examen ( COM-2).

Attachée au dialogue interculturel et au développement de coopérations culturelles et scientifiques au niveau international, la commission espère, de surcroît, que la mise en place de tels comités pourra permettre de renforcer la coopération avec l'État demandeur en donnant une occasion aux experts scientifiques de se connaître et de travailler ensemble. Elle considère qu'il serait souhaitable que les accords signés à l'occasion des restitutions comportent un volet consacré à la coopération culturelle et scientifique, lorsque l'État demandeur y souscrit. Elle est convaincue que les restitutions doivent être l'occasion de se pencher sur notre histoire commune et d'en écrire ensemble le récit, dans une volonté de dialogue, de compréhension mutuelle et d'apaisement.

Pour permettre à cette proposition de loi d'avoir un réel impact, la commission souhaite insister auprès du Gouvernement sur l'importance des moyens humains et financiers à allouer aux établissements afin de leur permettre d'approfondir le travail de recherche sur les restes humains appartenant à leurs collections et pour rendre ensuite accessible ces informations. Leur documentation, quand elle existe, reste insuffisante et n'est pas toujours fiable. La vaste majorité des pièces conservées dans les collections est aujourd'hui anonyme. Leurs origines demeurent vagues et leurs trajectoires historiques souvent ignorées. Cette situation constitue un réel obstacle aux restitutions, dans la mesure où aucun pays tiers ne peut formuler de demandes si elle n'a pas connaissance de la présence ces restes humains dans les collections françaises. Ce travail de documentation apparait indispensable afin de respecter non seulement notre engagement à restituer mais aussi le principe de dignité de la personne humaine. Même en l'absence de perspective de restitution, la documentation des restes humains est essentielle dans l'objectif de restaurer les individus concernés dans leur dignité.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 2 (nouveau)

Rapport du gouvernement consacré aux modalités de restitution
aux Outre-mer de restes humains originaires de territoires ultra-marins

Afin d'ouvrir rapidement la possibilité de restitution de restes humains originaires de territoires ultra-marins aux Outre-mer, la commission, à l'initiative de sa rapporteure, a adopté un article additionnel chargeant le Gouvernement de préparer, dans le délai d'un an après la promulgation du présent texte, un rapport identifiant des voies de restitution pérennes susceptibles d'être mises en place.

Au cours de ses différents travaux, la rapporteure s'est largement interrogée sur l'opportunité d'ouvrir le champ de cette procédure de restitution aux demandes relatives à des restes humains originaires de territoires ultra marins émanant de ces territoires.

Elle estime en effet que l'enjeu des restitutions revêt une importance particulière pour les collectivités ultra-marines, comme l'illustre la restitution du crâne du chef Ataï à la Nouvelle-Calédonie en 2014. Compte tenu des liens étroits entre ces territoires et notre passé colonial, elle considère que des restitutions seront nécessaires et qu'il serait, par conséquent, pertinent de simplifier l'instruction des demandes sans avoir à solliciter une autorisation du législateur au cas par cas. La commission avait d'ailleurs déjà identifié cet enjeu lors de l'examen de la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels extra-européens et voulu alors autoriser les groupes humains à pouvoir demander la restitution des restes humains d'origine française.

La rapporteure a été sensible au bien-fondé de la demande portée par l'association Moliko Alet+Po - « les descendants de Moliko » - et à l'exemplarité de la méthode et au caractère fédérateur de leur démarche. Créée en mémoire de Kali'nas victimes des exhibitions ethnographiques au XIXe siècle, cette association sollicite le retour en Guyane, à des fins funéraires, des restes humains de Kali'nas conservés au musée de l'Homme, décédés en métropole alors qu'ils étaient exhibés dans des zoos humains. En l'état actuel de la rédaction de la proposition de loi, seul le Suriname pourrait porter une demande de restitution, alors que l'essentiel des descendants de Moliko vivent aujourd'hui sur le territoire de la Guyane française et que l'association a déjà obtenu des chefs coutumiers implantés au Suriname leur accord pour que les restes soient restitués à la Guyane, où les rites funéraires traditionnels du peuple Kali'na y seraient pratiqués.

La commission a néanmoins convenu que la procédure interétatique mise en place par la présente proposition de loi n'était pas, en l'état, transposable aux outre-mer, qui relèvent d'une problématique nationale. Elle a estimé qu'il était impossible, pour des raisons juridiques, de mettre sur un pied d'égalité des États étrangers avec des collectivités ou des populations ultra-marine. Elle a par ailleurs craint que l'ouverture d'une voie de restitution réservée aux seuls territoires ultra-marins, qui exclurait le reste du territoire français, s'avère fragile sur le plan juridique, compte tenu de la rupture d'égalité devant la loi qui résulterait d'une telle disposition.

Le délai d'examen imparti de la proposition de loi ne permettait pas d'organiser les concertations nécessaires afin d'aboutir à une solution satisfaisante et juridiquement sans faille. Dans un souci de ne pas retarder l'adoption de ce cadre de restitution, attendu par plusieurs États étrangers ayant déjà présenté des demandes officielles, la commission, sur proposition de sa rapporteure, a donc préféré, à ce stade, manifester son engagement à trouver rapidement une solution à cet enjeu en octroyant au Gouvernement un délai d'un an pour présenter au Parlement des modalités adaptées et pérennes permettant de faciliter la restitution des restes humains originaires des territoires ultra-marins ( COM-3).

Dans l'attente de l'adoption d'un tel cadre, la commission a émis l'idée que des restes humains ultra-marins conservés dans les établissements métropolitains puissent être mis en dépôt dans les établissements culturels des territoires ultra-marins concernés. Elle a également rappelé qu'il serait toujours possible au législateur d'adopter une loi d'espèce pour faire sortir ponctuellement des collections des restes humains originaires de territoires ultra-marins, si le besoin s'en faisait sentir avant la mise en place d'un cadre pérenne.

La commission a adopté cet article additionnel

EXAMEN EN COMMISSION

JEUDI 8 JUIN 2023

___________

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, déposée le 26 avril dernier sur le Bureau du Sénat par nos collègues Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias.

Lors de sa réunion du 9 mai dernier, la Conférence des présidents a accepté que ce texte soit examiné selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du Règlement du Sénat. Je vous rappelle qu'en vertu de cette procédure le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement sur le texte concerné ne peut s'exercer qu'en commission.

Ce texte sera examiné lors de la séance publique du mardi 13 juin ; l'ordre du jour se limitera aux explications de vote et au vote du texte que nous allons élaborer au cours de la présente réunion. Je vous rappelle que celle-ci est ouverte à l'ensemble des sénateurs, mais seuls les membres de la commission de la culture présents dans la salle sont autorisés à prendre part aux votes.

Cette réunion fait par ailleurs l'objet, madame la ministre, d'une captation audiovisuelle diffusée en direct et en vidéo à la demande sur le site internet du Sénat.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure, coauteure de la proposition de loi. - Depuis l'adoption de la loi autorisant la restitution de la « Vénus hottentote » il y a maintenant plus de vingt ans, le Sénat a toujours joué un rôle moteur en matière de restitution de restes humains qui constituent des collections sensibles. Je veux rendre hommage à Nicolas About et à Philippe Richert qui, comme moi avec la loi sur les têtes maories, se sont fortement engagés pour que cet enjeu soit mieux pris en compte par notre pays. Je veux aussi remercier Max Brisson et Pierre Ouzoulias, coauteurs de cette proposition de loi : ces dernières années, nous avons poursuivi le travail de notre commission en matière de restitution de biens culturels. Je remercie aussi notre président pour son soutien constant. Je salue également Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections des musées de France et présente parmi nous aujourd'hui.

C'est un sujet qui nécessite beaucoup de ténacité - j'en veux pour preuve l'échec de notre tentative l'an passé avec la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, dont l'Assemblée nationale n'a malheureusement jamais inscrit l'examen à son ordre du jour. J'espère donc que le texte que nous examinons aujourd'hui connaîtra un sort plus heureux, car je suis convaincue que notre pays a besoin d'affirmer une position claire et de se doter d'un cadre pérenne pour répondre, en toute transparence, aux demandes de restitution. Je sais, madame la ministre, que vous êtes également sensible à cette nécessité, et je vous remercie pour le soutien que vous nous avez apporté jusqu'à présent.

Les collections de restes humains sont des collections particulières. Parce qu'il s'agit de corps humains ou d'éléments de corps humains, elles nécessitent un traitement respectueux, digne et décent.

Même si une part minoritaire des collections est d'origine étrangère et, parmi elle, seulement une minorité d'origine extra-européenne, la question de leur restitution peut se poser compte tenu des principes de respect de la dignité de la personne humaine et de respect des cultures et croyances des autres peuples. Bien que l'essentiel des restes humains provienne de fouilles archéologiques, on compte aussi dans les collections des établissements publics culturels et des universités des pièces collectées dans des conditions inacceptables, en particulier pendant la période coloniale - je pense aux trophées de guerre, aux vols, aux pillages ou encore aux profanations de sépulture.

Comme pour les biens culturels spoliés aux familles juives pendant la période nazie, le principe d'inaliénabilité fait obstacle à leur restitution. Le législateur est le seul compétent pour y déroger. C'est l'une des raisons pour lesquelles très peu de restitutions de restes humains sont intervenues jusqu'ici. On ne compte que deux restitutions par voie législative, toutes deux effectuées au cours des vingt dernières années, à savoir la Vénus hottentote et les têtes maories. La lourdeur et la complexité de la procédure législative ont conduit à privilégier à plusieurs reprises d'autres voies de restitution malgré leur licéité discutable. Nous nous étions tous émus de la restitution de crânes à l'Algérie en 2020 par le biais d'une convention de dépôt de cinq ans ; ces crânes sont désormais inhumés dans un cimetière d'Alger, mais, curieusement, ils restent toujours propriété de la France.

L'utilisation de ces stratégies de contournement est révélatrice, à mes yeux, du besoin urgent à définir un cadre juridique qui permette de simplifier les restitutions de restes humains.

La situation actuelle n'est évidemment pas satisfaisante pour les États demandeurs. Je pense à l'Australie, avec laquelle un travail scientifique conjoint sur les collections vient juste de débuter, alors que leur demande remonte à 2009 - nous avons rencontré il y a quelques semaines leurs représentants avec Pierre Ouzoulias. L'Argentine et Madagascar ont également transmis des demandes, bien que plus récemment.

J'ai pu constater aussi combien ces obstacles juridiques sont également devenus une source de difficultés pour les établissements conservant ces pièces : ceux-ci sont soumis à une pression croissante pour justifier leur présence dans les collections. Les mentalités ont considérablement évolué depuis l'affaire de la tête maorie de Rouen en 2007. L'adoption d'une dérogation de portée générale au principe d'inaliénabilité ne fait plus peur : je crois pouvoir dire qu'elle est même attendue.

Il faut dire que le travail amorcé à la demande du législateur au sein de la commission scientifique nationale des collections (CNSC) à la suite de la loi sur les têtes maories et poursuivi ensuite par le groupe de travail présidé par Michel Van Praët que nous avons reçu il y a trois ans, a permis de faire avancer la réflexion et d'identifier un certain nombre de critères de restituabilité qui font consensus. Dans son rapport remis au Président de la République, Jean-Luc Martinez souligne l'excellent travail de ce groupe de réflexion sur les restes humains. La présente proposition de loi s'en inspire très largement.

Que prévoit-elle exactement ?

Elle instaure une procédure administrative permettant à l'État et aux collectivités territoriales de faire sortir de leur domaine public, par décret en Conseil d'État, des restes humains identifiés comme étant issus du territoire d'un État étranger dans le but de les lui restituer.

Le texte définit strictement les conditions dans lesquelles cette procédure peut être utilisée. Elle concerne exclusivement des restes humains dont l'ancienneté est inférieure à 500 ans ; qui appartiennent à un groupe vivant dont la culture et les traditions restent actives ; dont les conditions de collecte portent atteinte au principe de la dignité humaine ou dont la présence dans des collections est incompatible avec sa culture et ses traditions ; et dont la demande de restitution est portée par un État étranger.

Elle n'est par ailleurs possible qu'à des fins funéraires - cela se traduira par un traitement de respect dû aux morts, et pas nécessairement par une inhumation. Cette condition n'empêche cependant pas la constitution d'un mémorial dans l'État d'origine. L'objectif est que cet hommage puisse être rendu hommage aux morts, dans le respect des croyances et cultures du pays d'origine.

Afin d'éviter que des restes humains qui ne correspondraient pas à la demande de l'État d'origine ne lui soient restitués, un comité scientifique, composé à parts égales de représentants français et de représentants de l'État demandeur, devrait être chargé de vérifier leur identification en cas de doute.

Afin de permettre au Parlement de contrôler l'action du Gouvernement une fois qu'il lui aura délégué son pouvoir d'autoriser la sortie des collections, le texte prévoit qu'il soit destinataire chaque année d'un rapport relatif à l'application de cette procédure.

J'ai le sentiment que ces dispositions répondent aux préoccupations exprimées depuis plusieurs années par notre commission. Celles-ci instaurent un cadre clair et transparent. Les critères prévus par la proposition de loi, similaires à ceux qui figuraient dans le texte que nous avions adopté en janvier 2022, sont suffisamment précis et objectifs pour justifier la dérogation au principe d'inaliénabilité consentie par le législateur. La procédure ménage par ailleurs une véritable place à l'expertise scientifique, permettant de se prémunir contre des restitutions qui seraient le fait du prince. Je vous proposerai néanmoins dans quelques instants un amendement pour sécuriser encore davantage la prise en compte du travail d'instruction scientifique. Son adoption me paraît nécessaire pour faciliter à l'avenir les restitutions de restes humains compte tenu de l'augmentation probable du nombre de demandes. À très brève échéance, ce dispositif nous permettra de régulariser la restitution des crânes algériens avant l'expiration du délai de cinq ans prévu par la convention de dépôt.

Je souhaite également attirer votre attention sur son intérêt diplomatique. Nous avons l'espoir que les comités scientifiques créés conjointement avec l'État demandeur constituent les prémices de coopérations culturelles et scientifiques à venir. Ils sont en tout cas un bon moyen de commencer à écrire en commun le récit de notre histoire passée, qui sera ainsi mieux comprise et mieux appréhendée.

Enfin, sur le plan interne, le texte constituera un outil important pour inciter nos établissements publics à adopter une démarche plus proactive et à engager un travail en profondeur d'identification et de documentation des restes sensibles qu'ils conservent dans leurs collections.

Reconnaissons en effet que l'inaliénabilité n'est pas l'unique obstacle aux restitutions. L'immense majorité des restes humains étant anonymes, leur origine vague ou inconnue constitue une réelle difficulté. Je crois pourtant que la documentation des restes humains conservés dans les collections fait partie intégrante du respect de la dignité de la personne humaine associée à ces restes.

Aussi, madame la ministre, j'en appelle à vous afin de donner aux établissements les moyens humains et financiers suffisants pour approfondir le travail de recherche sur leurs collections. Cette proposition de loi n'est qu'une amorce. Avec elle, le législateur fait sa part en levant les obstacles juridiques qui pèsent sur les restitutions de restes humains. Il revient ensuite au Gouvernement d'apporter son plein soutien à la recherche scientifique pour mettre au jour les provenances, les origines et les identités.

J'ajoute, pour finir, que cette proposition de loi ne sera sans doute qu'une première étape législative sur la voie des restitutions de restes humains appartenant aux collections publiques. Elle n'apporte en effet une solution pérenne qu'aux États étrangers, laissant de côté - pour le moment - le sujet des restitutions de restes humains d'origine française. La restitution en 2014 du crâne du chef Ataï à la Nouvelle-Calédonie illustre pourtant bien l'existence d'une problématique ultramarine particulière, qui s'explique par les liens étroits entre ces territoires et notre passé colonial. La commission avait déjà identifié cet enjeu lors de l'examen de la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels précitée et avait alors voulu autoriser les groupes humains à pouvoir demander la restitution des restes humains d'origine française.

La question des zoos humains rend nécessaire de faciliter la restitution de restes humains ultramarins. J'ai ainsi été saisie du cas de restes humains d'Amérindiens Kaliña, conservés au Musée de l'Homme, correspondant à des individus décédés à Paris alors qu'ils étaient exhibés dans de telles manifestations ethnographiques. En Guyane, leur restitution est sollicitée à juste titre par leurs descendants, qui se sont constitués en association. Je les ai longuement auditionnés. Il serait légitime qu'ils puissent retourner sur leurs terres d'origine à des fins funéraires.

Je vous proposerai dans quelques instants un amendement pour que nous puissions prendre date afin d'avancer rapidement sur cette question, qui préoccupe également nos collègues ultramarins. En attendant de trouver une solution pérenne à cette problématique, Pierre Ouzoulias propose l'idée de déposer, dans les établissements culturels des territoires concernés, certains des restes humains ultramarins conservés dans les établissements métropolitains. Je vous livre, madame la ministre, cette piste provisoire. Nous comptons sur vous pour avancer sur ce dossier sensible.

Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture. - Je remercie les auteurs de cette proposition de loi. Celle-ci est tout sauf technique : au contraire, elle renvoie à notre histoire, au plus profond de notre humanité, à notre rapport à la mort et à la fraternité. C'est, finalement, une proposition de loi assez philosophique.

Par le passé, des restes humains sont entrés dans nos collections publiques après avoir été acquis de manière illégitime, voire violente. Que l'intention fût à l'époque de recueillir des trophées ou de constituer des collections dont on croyait qu'elles disaient quelque chose des différences entre les hommes, le résultat est le même. Par ces actes, l'humanité a été blessée et des peuples ont été lésés. Aujourd'hui, nous souhaitons collectivement avancer sur le chemin des restitutions, et votre proposition de loi-cadre y pourvoit.

Comme vous l'avez dit, les restes humains ne peuvent pas pour l'instant être restitués ; la loi consacre le principe de l'inaliénabilité des collections publiques. Héritée de l'inaliénabilité du domaine royal et réaffirmée par la République, cette inaliénabilité des collections est un principe protecteur - il est important de le rappeler. Celui-ci a garanti la transmission du patrimoine de la Nation jusqu'à nos jours, dans l'intérêt de tous, pour le partage avec le plus grand nombre. Chacun en connaît la valeur et nul ne souhaite aujourd'hui le remettre en cause.

Cela dit, nous évoquons ici des restes humains - nous n'avons pas trouvé de meilleur terme. Quand ceux-ci sont arrivés dans des conditions suspectes et quand leur conservation dans un musée heurte les principes de la dignité humaine, nous devons être en mesure de nous interroger sur la légitimité de leur présence dans les collections publiques. Nous devons être en mesure de conduire avec méthode, avec raison et avec rigueur scientifique un processus de restitution dans le dialogue et la sérénité, sans pour autant renier le principe général d'inaliénabilité.

Je souhaite évoquer devant vous un exemple de restes humains mal acquis. Le squelette du fils d'un chef amérindien de la communauté Liempichún fait l'objet d'une demande de restitution par la communauté Mapuche ; celle-ci a reçu le soutien de l'Argentine, avec qui nous travaillons depuis plusieurs années. Sa sépulture semble avoir été pillée par l'équipage du comte Henry de la Vaulx, qui, entre 1896 et 1897, a parcouru la Patagonie en s'installant auprès des populations locales indiennes et en prélevant au cours de cette exposition ce qu'il appelait lui-même un butin. Je ne citerai qu'un seul passage du récit de l'exhumation du dépeçage du corps et de la cuisine macabre qu'Henry de la Vaulx décrit complaisamment dans son Voyage en Patagonie, paru en 1901. Il dit de lui-même : « Un moment, je me fais horreur. J'ai pour moi une excuse, que diable ! Car je rapporterai en France un beau spécimen de la race indienne. Qu'importe après tout que ce Tehuelches dorme en Patagonie dans un trou ou au Muséum sous une vitrine. » Parmi les 29 caisses et les 1 371 kilos du fonds la Vaulx, voilà au moins un reste dont il nous importe aujourd'hui que des experts français et argentins examinent la légitimité de sa présence dans les collections du Muséum national d'histoire naturelle.

Nous ne pouvons pas réparer les actions du passé, mais il est de notre devoir de créer les conditions d'un dialogue serein au présent. Cette loi, si elle est votée, permettra, par le consensus et l'étude historique et scientifique, d'extraire des collections des restes humains qui n'auraient pas dû y entrer. Les communautés d'origine pourront honorer la mémoire de l'un d'entre eux dans le respect de leurs rites funéraires.

On pourrait également parler des restes humains des aborigènes d'Australie. Depuis plus d'un siècle, ces restes - principalement des crânes - sont conservés dans plusieurs institutions muséales françaises, notamment au Muséum national d'histoire naturelle et au conservatoire d'anatomie de la faculté de Montpellier. Ces collections de crânes humains, grâce auxquelles on a cru pouvoir classer les individus, se sont développées dès la fin du XVIIIe siècle avec l'essor de la craniologie et de la phrénologie, ces sciences approximatives qui ont servi les théories raciales les plus sombres.

Dès les débuts de la colonisation de l'Océanie au XVIIIe siècle, ces crânes ont fait l'objet d'un commerce ignoble interdit en 1831 par le gouvernement britannique en Nouvelle-Zélande et en Australie ; celui-ci s'est malheureusement poursuivi illégalement bien après cette date. En 2014, au terme d'un long et fructueux dialogue entre la France et l'Australie, il a été décidé de mandater des experts chargés de recenser d'éventuels restes humains aborigènes figurant dans les collections de musées français en vue de leur rapatriement. Je salue la récente installation du comité conjoint franco-australien : les recherches d'identification et d'authentification de restes humains conduites depuis 2014 permettront de conclure un accord. Si elle est adoptée, cette proposition de loi facilitera leur restitution prochaine.

Jusqu'à présent, seules deux lois d'exception ont permis d'aller au bout d'une démarche de restitution avec l'Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande, grâce à votre implication et votre détermination, madame Morin-Desailly. Comme vous l'avez souligné, le Sénat s'est montré pour ces deux textes à l'avant-garde des préoccupations légitimes de notre époque et à l'initiative de ces deux textes. Certes, ces deux lois d'espèce furent l'occasion de débats de qualité dans nos assemblées ; elles ont en outre facilité l'émergence de ces sujets dans l'opinion publique. Elles ne concernent toutefois que des cas particuliers et n'ont pas permis de dégager des principes généraux.

Cette proposition de loi répond à ce manque. Dès mon arrivée au ministère de la culture, j'ai voulu engager un dialogue avec le Parlement autour de l'adoption de trois lois-cadres sur les restitutions. Je me réjouis que la première d'entre elles, la loi relative à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 ait fait l'objet d'un vote unanime au Sénat le 23 mai dernier. Je me réjouis également que le Sénat soit de nouveau en première ligne avec l'examen de cette proposition de loi. Madame Morin-Desailly, je tiens à saluer le travail que vous avez mené avec Max Brisson et Pierre Ouzoulias ; le rapport de décembre 2020 de la mission d'information fera date.

Contrairement à la loi sur les spoliations antisémites qui prend appui sur un cadre méthodologique éprouvé et des structures existantes, telles que la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS), le sujet que nous abordons aujourd'hui est en réalité un terrain vierge. Aussi cette loi est-elle très importante, car elle fixera pour la première fois une méthode et un cadre. Je sais que de nombreux échanges ont eu lieu avec les services de l'État, notamment les équipes du ministère, les professionnels du droit, des musées, mais aussi des instances internationales. Cette proposition de loi a également été éclairée par le rapport demandé par le Président de la République à Jean-Luc Martinez. Dans ses conclusions, ce dernier livre un panorama général de la situation et une synthèse des différentes solutions retenues par les États. Vous vous êtes également appuyés sur les dossiers en cours d'instruction avec l'Algérie, l'Australie, Madagascar ou encore l'Argentine. Vos propositions réaffirment la nécessité du dialogue bilatéral, du respect des personnes et des communautés, et aussi de la recherche scientifique. J'y souscris pleinement, et je m'engage à tout faire pour faciliter les recherches de provenance et les travaux d'identification.

Une fois encore, je remercie Mme Morin-Desailly et MM. Ouzoulias et Brisson pour cette proposition de loi empreinte de justice et de dignité.

M. Pierre Ouzoulias, coauteur de la proposition de loi. - Je tiens à rendre hommage à Catherine Morin-Desailly pour ces dix années de travail et d'abnégation afin d'imposer une question fondamentale que l'institution muséale a longtemps traitée par le déni. Sa force de persuasion a permis de parvenir à ce texte fort.

Les sénateurs ne doivent pas réparer l'Histoire, mais ils peuvent faire avancer le droit de manière à prendre en compte des idées philosophiques plus communément partagées aujourd'hui.

Madame Morin-Desailly, je vous ai accompagnée dans les derniers moments de votre odyssée - les plus favorables ! J'ai partagé avec vous le retour à Ithaque, mais je n'ai pas vécu l'épisode des sirènes ni celui des Lotophages. J'espère que ce texte sera adopté sans difficulté.

Par le biais de cette proposition de loi, nous défendons une certaine idée de l'universalisme : collectivement, nous pensons que le traitement des morts fait partie de toutes les sociétés. La dignité de la personne humaine se prolonge au-delà de la mort. Nous devons aussi respecter la façon dont tous les peuples rendent hommage à leurs défunts ; nous ne devons jamais portement de jugement : la formule retenue dans le texte est très juste. Ainsi, les zoroastriens exposent leurs morts dans des tours du silence et les corps sont livrés aux vautours. Certes, nous ne partageons peut-être pas leur vision du monde, mais celle-ci n'est pas moins digne que la nôtre.

Alors que les musées français se définissent comme porteurs de valeurs universelles, il était nécessaire de prendre en compte la valeur universelle de la dignité rendue aux morts. Cette proposition de loi contribue à réparer cette incongruité.

Il faut maintenant lancer un immense travail de récolement des collections. Madame la ministre, c'est l'occasion d'engager une belle collaboration entre les universités et les étudiants. Les musées pourraient demander aux étudiants de mener à bien cette tâche, à l'occasion de leurs travaux universitaires. Ainsi, nous dépasserions le simple récolement technique réalisé au sein d'un musée.

Nous avons essayé de prendre en compte la question des restes humains provenant des territoires d'outre-mer de la République. Mais il est vrai que la solution législative est complexe à élaborer, même s'il est indispensable de faire droit à ces revendications. Ma proposition d'organiser un déménagement des restes sur place, dans des collections publiques, satisferait - au moins provisoirement - certaines demandes.

Le ministère de la culture doit mener un travail important sur les restes humains. L'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) développe des protocoles adaptés au traitement de ces vestiges osseux. Madame la ministre, il serait utile que vous puissiez adresser des instructions à vos services afin de faire respecter l'esprit de la proposition de loi lors des fouilles. Les vestiges humains ne sauraient être considérés comme des objets archéologiques comme les autres.

Madame la ministre, je vous remercie pour la qualité de nos échanges, tant avec vous qu'avec vos services. Je me réjouis de la profondeur de notre réflexion commune lors de la préparation de ce texte.

M. Cédric Vial. - Je m'exprime au nom de Max Brisson qui n'a pu être présent ce jour. Je remercie également Catherine Morin-Desailly pour le long travail qu'elle a réalisé.

Le Sénat s'est construit une doctrine au fur et à mesure des travaux qui ont pu être menés sur la restitution des restes humains figurant dans les collections publiques. Nous n'avons pas d'opposition de principe aux restitutions, mais nous souhaitons l'établissement de règles claires pour éviter le fait du prince et ne pas rendre nos collections publiques otages des vicissitudes de notre diplomatie.

Nous réaffirmons aussi notre refus de lois de circonstance, intervenant au cas par cas, sans réflexion historique sur les objets, et conduisant à des restitutions parfois polémiques dans le cadre desquelles le Parlement a été considéré comme une chambre d'enregistrement des décisions de l'exécutif, voire informé a posteriori seulement de ces dernières et des restitutions concernées.

Notre volonté est également que toutes les restitutions bénéficient d'un accompagnement culturel et d'un échange inscrit dans le dialogue des cultures. Nous souhaitons l'instauration d'une instance indiscutable éclairant l'exécutif et le législateur sur les objets concernés, leurs histoires et les conditions de leur entrée dans les collections publiques.

Ces positions ont été affirmées une nouvelle fois dans le rapport que nous examinons ce jour. Jusqu'à l'an dernier, elles ont suscité une attitude pour le moins distante de la part du Gouvernement, ressentie parfois même comme du mépris sous le ministère de Mme Bachelot. Cela a pu créer une certaine tension avec le Sénat.

À la suite de votre arrivée, madame la ministre, voilà un an, nous avons assisté à un précieux revirement de position. Vous avez proposé au Sénat une nouvelle approche sous la forme d'un triptyque : un premier texte concernant la situation des biens culturels juifs spoliés durant la période nazie - texte rapporté par Béatrice Gosselin et adopté il y a quelques semaines à l'unanimité -, suivi d'un deuxième texte concernant les restes humains. Le texte de ce matin fait consensus : nous ne pouvons conserver certains de ces restes humains dans nos collections, leur restitution s'impose donc.

Il reste enfin à élaborer une loi-cadre qui fixerait les règles de l'ensemble des restitutions. Madame la ministre, les attentes du Sénat en la matière sont doubles : un éclairage scientifique indiscutable sur les objets pressentis, et une méthode claire qui autorise et encadre ces restitutions. Le Sénat, et particulièrement notre commission, est prêt à y travailler avec vous et votre administration. Nous voterons la proposition de loi.

M. Lucien Stanzione. - Je tiens tout d'abord à saluer l'excellent travail qui a été mené, lors des auditions particulièrement, par Mme Catherine Morin-Desailly et MM. Pierre Ouzoulias et Brisson. La proposition de loi que nous examinons revêt une importance capitale, car elle vise à préserver la dignité humaine. En permettant le déclassement des restes humains de moins de 500 ans présents dans les collections publiques, elle répond à une préoccupation fondamentale : le respect et la considération dus aux personnes dont les restes sont issus.

Lorsque les conditions de collecte ou de conservation sont susceptibles de soulever des interrogations, il est primordial de pouvoir restituer ces restes aux États étrangers d'origine qui en feraient la demande.

Pour garantir la rigueur et l'impartialité de ce processus, la proposition de loi prévoit la consultation d'un comité scientifique composé de représentants des deux États impliqués, ainsi que des institutions détentrices des restes concernés. Cette approche collaborative et pluridisciplinaire permettra d'évaluer avec précision les demandes de sortie du domaine public et de restitution, en tenant compte des aspects humains, éthiques et scientifiques de cette question.

De plus, la proposition de loi suggère d'inscrire un dispositif-cadre dans le code du patrimoine, afin d'éviter de légiférer, de manière répétitive, au cas par cas. En établissant un cadre général, nous pourrons gérer efficacement les futurs cas de restitution des restes humains, dans le respect de la dignité de chacun.

En adoptant cette proposition de loi, nous comblerons une lacune juridique majeure. Il ne nous restera plus qu'à mettre en place une loi-cadre sur la restitution des biens mal acquis détenus dans les collections françaises.

Les propositions que Mme la rapporteure nous présentera viseront à apporter des précisions quant à l'exécution du futur texte et à la possibilité d'étendre ses dispositions aux territoires d'outre-mer - après le délai requis par la réalisation d'une étude de faisabilité.

En soutenant cette proposition de loi et les amendements associés, nous affirmons notre engagement en faveur du respect de la dignité humaine, de la coopération internationale et de la justice dans la gestion des biens historiques et culturels. Nous avons pour responsabilité l'instauration de mesures législatives appropriées, afin de garantir un traitement équitable et éthique des restes humains détenus par les collections publiques. Notre groupe soutient pleinement cette proposition de loi et la votera sans difficulté.

M. Thomas Dossus. - Je salue également le travail constant de notre rapporteure, et félicite les coauteurs du texte pour leur travail. Ce texte est une loi de justice, de progrès et de dignité que nous voterons évidemment.

Ce sujet mobilise notre commission et le Sénat de façon constante - parfois en première ligne, comme cela a été dit. Nous partageons le besoin d'un cadre clair et transparent pour les restitutions. Ce texte constitue en la matière une première étape salutaire, le respect de la dignité des personnes étant au coeur de la démarche.

Nous avons besoin de progresser urgemment pour simplifier les restitutions de restes humains. Or la définition stricte du texte offre un cadre sécurisant et scientifique pour des restitutions à des fins funéraires. Le principe d'inaliénabilité du domaine public ne fait plus obstacle au respect de la dignité humaine. On nous propose une solution humaine, efficace, transparente et respectueuse à la fois des États demandeurs et des principes de nos collections. Nous voterons donc en faveur de ce texte, en espérant qu'il ne soit qu'une première étape pour élargir le cadre de ces restitutions.

M. Bernard Fialaire. - Je salue, à mon tour, le travail et l'abnégation de Catherine Morin-Desailly.

L'inaliénabilité des biens ne doit pas être totalitaire. Il faut prendre en compte dans la réflexion l'universalisme de certains biens, dont il convient d'analyser l'origine et le parcours, puis la résidence actuelle - l'ensemble de ces données devant être réétudié régulièrement. Nous avons à ce titre un travail de recherche de provenance à développer et à intégrer dans notre culture.

L'autre dimension de ce texte est le respect de la dignité humaine. Le texte invite à réfléchir au fait qu'un bien culturel n'est pas un bien commun, et que les restes humains ne sont pas non plus des biens culturels comme les autres. Cette évolution de nos consciences est nécessaire. Nous devons nous réinterroger en permanence sur ces questions, pour qu'elles fassent l'objet d'une juste prise en compte dans nos textes législatifs.

Pour toutes ces raisons, nous soutenons ce texte.

M. Pierre-Antoine Levi. - Je souhaite à mon tour féliciter la rapporteure pour sa ténacité et pour la présentation de ce texte, ainsi que Pierre Ouzoulias et Max Brisson qui y ont collaboré.

Dans la continuité du texte relatif à la restitution des biens spoliés pendant la période nazie, il nous faut légiférer sur les restes humains conservés dans les établissements publics - musées, monuments historiques, centres de conservation et d'étude archéologiques, universités. Ces collections dites « sensibles » nécessitent une attention particulière. En effet, le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort, comme cela est mentionné dans le code civil.

La question de la restitution de ces restes à leurs pays d'origine se pose avec acuité. Bien que la majorité des restes humains conservés dans les collections soit d'origine française, il existe des milliers de pièces collectées à l'étranger. Certains cas peuvent être litigieux, et susciter des demandes de restitution de la part de pays tiers. Il peut s'agir soit de personnes identifiées et clairement nommées, soit d'individus anonymes dont l'appartenance à un groupe est établie ou dont les conditions de collecte sont connues.

Cependant, la restitution des restes humains conservés dans les collections publiques est complexe, en raison du principe d'inaliénabilité du domaine public. Les restes humains, faisant partie de ce dernier, sont sous la responsabilité des entités publiques qui ne sont pas autorisées à les céder, que ce soit volontairement ou sous contrainte, à titre onéreux ou gratuit. Leur sortie du domaine public nécessite donc une intervention du législateur. C'est l'objet de la présente proposition de loi, qui vise à déroger au principe d'inaliénabilité.

Ce texte autorise la sortie définitive des restes humains du domaine public en vue de leur restitution, et fixe un cadre clair et transparent pour traiter les demandes de restitution émanant de pays tiers. Cette démarche facilitera les procédures de restitution, en évitant les délais inhérents à la procédure parlementaire, susceptibles de décourager les initiatives.

L'article unique de cette proposition de loi définit donc la procédure et les conditions dans lesquelles les restes humains pourront sortir des collections publiques.

Ce texte constitue une étape importante dans la réconciliation avec les pays et les peuples. Lors d'un débat survenu au sein du Parlement francophone bruxellois concernant la restitution des biens culturels africains, la présidente de cette instance, Julie de Groote, a résumé ainsi les enjeux associés : dignité, respect et mémoire collective. Il est de notre devoir, en tant que représentants du peuple, de veiller à ce que ces principes soient respectés. Le groupe Union Centriste votera favorablement cette proposition de loi.

M. Laurent Lafon, président. - Je salue à mon tour la longue implication de notre rapporteure sur ce sujet, ainsi que les deux autres auteurs du rapport.

Madame la ministre, le rapport de Jean-Luc Martinez prévoit d'inscrire dans le décret d'application de la loi-cadre que les frais d'analyse et de rapatriement des restes humains sont à la charge des pays demandeurs. Pourriez-vous nous rassurer sur cet aspect un peu mesquin du rapport ? Ce point pourrait-il ne pas constituer une règle intangible, mais faire au contraire l'objet de discussions entre les pays ?

Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Ce rapport est une proposition à débattre. D'autres options sont possibles : un partage équitable des frais, ou une prise en charge par la France dans certains cas. Une plus grande souplesse sera effectivement nécessaire dans la rédaction de cette disposition.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je vous propose que le périmètre pour l'application de l'article 45 de la Constitution comprenne les dispositions ayant trait à l'organisation, à la procédure et aux conditions applicables en matière de restitution de restes humains appartenant aux collections publiques. A contrario, je vous propose d'exclure de ce périmètre les dispositions relatives au cadre applicable aux restitutions d'autres types de biens culturels relevant de ces collections.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article unique

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement  COM-1 vise à étendre la procédure de restitution prévue par la présente loi aux demandes formulées par les populations d'outre-mer.

Comme je l'ai indiqué dans mon intervention liminaire, l'objectif de cet amendement est légitime. Il y a une vraie problématique ultramarine à ne pas sous-estimer. Pierre Ouzoulias et moi-même nous sommes beaucoup interrogés sur l'opportunité de déposer un amendement à ce sujet et sommes arrivés à la conclusion que la procédure prévue par ce texte n'était pas, en l'état, transposable aux territoires d'outre-mer. En effet, comment étendre une procédure interétatique, aussi conçue de manière à favoriser les coopérations culturelles et scientifiques, à des territoires français, qui relèvent d'une problématique nationale ? C'est la raison pour laquelle je suis contrainte d'émettre un avis défavorable sur cet amendement, non pas concernant le bien-fondé de la demande, mais concernant la proposition technique nécessaire pour y accéder.

Cet amendement soulève, de surcroît, de véritables difficultés juridiques puisqu'il met sur un pied d'égalité des États étrangers et des populations qui ne constituent pas en elles-mêmes une entité juridique.

J'ai été très sensible à la démarche des représentants de l'association Moliko Alet+Po qui sollicitent la restitution de leurs ancêtres disparus. Je proposerai donc que nous nous engagions à trouver une solution pour résoudre cette problématique ultramarine. Si l'adoption de ce nouveau cadre devait prendre trop de temps, il nous resterait toujours la possibilité d'une loi d'espèce pour faire sortir les restes humains en question, qui sont conservés dans les collections du musée de l'Homme. Toutefois, avant de pouvoir l'envisager, il faut s'assurer que l'ensemble des restes humains conservés dans ce musée ont été bien identifiés.

M. Pierre Ouzoulias. - Je partage l'avis de la rapporteure. Comme Michel Van Praët l'a montré, l'essentiel des restes humains conservés dans les collections publiques provient de France métropolitaine : on trouve des crânes de Bretons, d'Auvergnats, de Corréziens. Or on ne pourrait pas faire droit à la demande de restitution de ces biens des collectivités d'outre-mer et l'interdire à d'autres communautés, métropolitaines. Il y a là tout un travail à mener. Des solutions administratives pourraient être envisagées, l'idée étant de considérer qu'au moment de la cession des pièces aux collections, par legs, une forme de vice s'exerçait par rapport à la législation actuelle. Il est essentiel en tout cas que le récolement de ces collections nous fournisse des statistiques sur la masse des restes humains concernés.

Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Le Gouvernement partage l'avis de Mme la rapporteure. Le travail est engagé, y compris sur un plan interministériel, pour trouver une cohérence et un équilibre au sujet de cette préoccupation légitime. Dans le cadre de la proposition de loi, il est question des demandes de restitution adressées d'État à État. Les dispositions proposées ne peuvent s'appliquer à des demandes nationales. De plus, nous ne pouvons pas créer de situation impliquant une rupture d'égalité au sein de la République, entre les territoires d'outre-mer et les autres. Il y a là un chemin à trouver, nous nous y attelons.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement  COM-2 vise à sécuriser davantage l'instruction scientifique des demandes de restitution. Il a pour objet d'empêcher que la sortie de restes humains des collections puisse être décidée avant que le comité scientifique mixte n'ait formellement rendu son rapport au Gouvernement et à l'État demandeur - contrairement à ce qui s'est produit pour les crânes algériens, renvoyés en Algérie avant que le comité mixte mis en place n'ait remis son rapport définitif et n'ait même finalisé son analyse concernant l'ensemble des crânes qui lui étaient soumis.

L'amendement demande donc que le rapport du ministre de la culture, qui doit servir de guide à la décision de sortie des collections, soit établi sur la base des conclusions du rapport du comité mixte, lorsqu'un tel comité est mis en place, ce qui garantit sa remise formelle au préalable.

Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Avis favorable.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article unique

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement  COM-3 vise à octroyer au Gouvernement un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi pour remettre au Parlement un rapport identifiant les solutions possibles pour mettre en place une procédure pérenne de restitution des restes humains originaires du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, et de la Nouvelle-Calédonie, conservés dans les collections publiques.

Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Avis favorable.

L'amendement COM-3 est adopté et devient article additionnel.

La proposition de loi est adoptée, à l'unanimité, dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je voudrais remercier notre président d'avoir soutenu notre travail, et vous remercier aussi, madame la ministre, de votre attention. Nous aboutissons à une étape essentielle, dont nous pouvons être collectivement fiers. Il sera intéressant par ailleurs de voir comment ce texte sera reçu à l'Unesco.

Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Merci à vous pour ce travail de longue haleine qui trouve là un magnifique aboutissement. Je m'engage à ce que ce texte soit inscrit le plus rapidement possible à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Proposition de loi relative à la restitution des restes humains
appartenant aux collections publiques

Article unique

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme PHINERA-HORTH

1

Élargissement de la procédure de restitution aux demandes formulées par les populations d'Outre-mer

Rejeté

Mme MORIN-DESAILLY, rapporteure

2

Décision de sortie des collections conditionnée au dépôt préalable du rapport du comité scientifique mixte

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article unique

Mme MORIN-DESAILLY, rapporteure

3

Demande de rapport du Gouvernement au Parlement sur les voies pérennes de restitution possibles de restes humains originaires de territoires ultra-marins

Adopté

Proposition de loi n° 551 (2022-2023) relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 7(*).

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie8(*).

Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte9(*).

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a arrêté, lors de sa réunion du jeudi 8 juin 2023, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 551 (2022-2023) relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques.

Elle a considéré que ce périmètre incluait les dispositions relatives à l'organisation, à la procédure et aux conditions applicables en matière de restitution des restes humains appartenant aux collections.

En revanche, la commission a estimé que ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements ayant pour objet de définir les modalités de restitution d'autres types de biens culturels relevant de ces collections.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 8 mars 2023

- Audition du ministère de la culture :

Cabinet de la ministre : MM. Emmanuel MARCOVITCH, directeur de cabinet, Sylvain AMIC, conseiller en charge des musées, des métiers d'art, du design et de la mode, Mathieu FOURNET, conseiller en charge du cinéma et des affaires européennes et internationales, et Tristan FRIGO, conseiller chargé des relations avec le Parlement et les élus ;

Secrétariat général : MM. Yannick FAURE, chef du service des affaires juridiques et internationales, et Hugues GHENASSIA de FERRAN, sous-directeur des affaires juridiques ;

Direction générale des patrimoines, Service des musées de France : Mmes Christelle CREFF, cheffe du service, et Claire CHASTANIER, adjointe au sous-directeur des collections.

Mardi 30 mai 2023

- Musées de la ville de Strasbourg : M. Paul LANG, directeur.

- Établissement public du musée du quai Branly-Jacques Chirac : M. Emmanuel KASARHÉROU, président.

- Audition commune :

. Museum de Bourges : M. Sébastien MINCHIN, directeur,

. Association Moliko Alet+Po : Mme Corinne TOKA-DEVILLIERS, présidente et fondatrice.

Mercredi 31 mai 2023

- Muséum national d'histoire naturelle : M. Bruno DAVID, président.

Contributions écrites :

M. Michel VAN PRAËT, rapporteur du groupe de travail interministériel sur la gestion des restes humains patrimonialisés dans les collections publiques

M. André DELPUECH, conservateur général du patrimoine, chercheur au centre Alexandre Koyré (EHESS), ancien directeur du musée de l'Homme ;

M. Vincent NEGRI, Chercheur à l'Institut des Sciences sociales du Politique (ENS Paris-Saclay) ;

M. Pascal BLANCHARD, historien, chercheur associé au CNRS, co-président du groupe de recherche ACHAC ;

Mme Klara BOYER-ROSSOL, historienne, chercheuse et curatrice, membre du Centre international de recherche sur les esclavages et post-esclavages (CIRESC), CNRS-USR 2002, membre du comité éditorial de la revue Esclavages & P.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-551.html


* 1 Dossier législatif consacré à la proposition de loi de Catherine Morin-Desailly, Max Brisson, Pierre Ouzoulias et plusieurs de leurs collègues relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques.

* 2 Rapport d'information n° 239 (2020-2021) de MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias sur les restitutions des biens culturels appartenant aux collections publiques

* 3 Vade-mecum « Les restes humains dans les collections publiques » réalisé par le groupe de travail sur la problématique des restes humains dans les collections publiques, 2018.

* 4 Guide du Gouvernement britannique pour la gestion des restes humains conservés dans les musées, 2005, 3.3.2.C voir page 27.

* 5 Rapport d'information n° 239 (2020-2021) de MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias « Le retour des biens culturels aux pays d'origine : un défi pour le projet universel des musées français »

* 6 Proposition de loi n° 41 (2021-2022) de Mme Catherine Morin-Desailly et MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques.

* 7 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 8 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 9 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

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