B. L'INDISPENSABLE RÉFLEXION AUTOUR DE L'OPPORTUNITÉ D'UNE LOI-CADRE

1. Un outil susceptible de faciliter les réparations

Face à une possible multiplication des restitutions dans les années à venir, se pose la question de l'intérêt d'adopter une loi-cadre pour faciliter les restitutions en évitant le recours systématique à une autorisation au cas par cas du Parlement, qui a pour effet d'allonger la durée de la procédure , à rebours des Principes de Washington qui évoquent la nécessité de « prendre des mesures dans les meilleurs délais ». L'exemple fourni par l'article 3 en est une parfaite illustration : près de quatre années ont séparé la recommandation de la CIVS (février 2018) et le vote du conseil municipal de la Ville de Sannois (mai 2018) de l'examen par le Parlement du présent projet de loi.

Même si le Gouvernement n'a pas souhaité s'engager sur cette voie pour conserver à ce premier texte législatif sa dimension symbolique et garantir son adoption rapide par le Parlement, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot-Narquin, a fait savoir, lors de l'examen en première lecture à l'Assemblée nationale, que le Gouvernement était favorable au principe de la loi-cadre et qu'il était convaincu que cette solution finirait par s'imposer.

2. Une élaboration complexe

La réflexion n'apparait pas encore mûre à ce stade pour permettre d'envisager une telle loi-cadre . Elle est de surcroît compliquée par le débat actuel sur la restitution des biens coloniaux, bien qu'il soit difficile de bâtir un cadre commun à l'ensemble de ces restitutions, les critères ne pouvant être identiques. Les restitutions de biens coloniaux concernent des relations d'État à État, tandis que les biens spoliés sont restitués aux héritiers des propriétaires victimes.

Deux pistes principales sont aujourd'hui évoquées pour faciliter les restitutions de biens spoliés sans autorisation au cas par cas du législateur :

- l'adoption d'un cadre législatif général définissant les critères applicables pour permettre à l'autorité administrative d'opérer directement des restitutions de biens spoliés ;

- la mise en place d'une procédure judiciaire , à l'initiative de l'autorité administrative, en vue d'obtenir l'annulation de l'entrée du bien spolié dans les collections publiques.

Chacune de ces pistes soulève des interrogations, qui appellent de mûres réflexions.

Le cadre général soulève l'épineuse question des critères à y faire figurer . Le présent projet de loi fournit un exemple de la diversité des cas d'oeuvres spoliées. Le retour des oeuvres y est justifié par différents motifs : vente sous la contrainte, pillage, vol, vente dans un contexte trouble. Les crimes ont des origines géographiques différentes et se sont produits à des moments distincts de l'histoire (certains pendant l'Occupation et d'autres avant même 1939).

Or, pour être opérationnel, un cadre législatif général doit fixer précisément les critères de restituabilité. Le législateur ne peut pas renvoyer cette tâche au pouvoir réglementaire au risque d'être sanctionné pour incompétence négative. Dès lors, comment définir des critères qui ne soient ni trop étroits pour ne pas faire obstacle à des restitutions légitimes, ni trop larges pour ne pas remettre en cause le principe d'inaliénabilité des collections, qui est un pilier de nos musées auquel il serait dangereux de renoncer ?

Quelle autorité serait investie du pouvoir de contrôler le bien-fondé de la restitution et quels seraient son rôle, sa composition et son degré de responsabilité ? Si la CIVS pourrait sembler une instance appropriée, quitte à en faire évoluer la composition, elle est aujourd'hui limitée par son champ d'action, qui reste circonscrit aux seules spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation.

De prime abord séduisante par sa simplicité et son adaptabilité, la solution d'une procédure judiciaire n'apporte pas la garantie d'atteindre l'effet recherché . Comment faire en sorte que l'annulation de l'entrée dans les collections puisse se traduire par la restitution effective de l'oeuvre spoliée par le précédent propriétaire s'il ne s'agissait pas de la victime ? Si l'on peut envisager que l'ordonnance du 21 avril 1945 pourrait permettre au juge, s'agissant des spoliations intervenues en France, de demander effectivement la restitution aux ayants droit du propriétaire dépossédé, les autres possesseurs étant considérés comme de mauvaise foi, il n'est pas certain que les pays voisins disposent de législations similaires permettant d'annuler toutes les ventes successives pour restituer au propriétaire victime de la spoliation. La procédure pourrait donc se révéler inefficace pour restituer les oeuvres conservées dans les collections publiques spoliées à l'étranger.

Enfin, de manière générale, si la loi-cadre devrait rendre plus aisées les restitutions et y apporter un nouveau coup d'accélérateur, elle leur fera sans doute aussi perdre, par leur automaticité, beaucoup de leur portée symbolique . Or les familles conçoivent aussi la restitution comme une reconnaissance symbolique de la spoliation. Il sera donc impératif d'associer les familles de victimes à la réflexion autour de la loi-cadre, afin de s'assurer qu'il s'agit d'une évolution qui peut les satisfaire.

Ces nombreuses questions sans réponse plaident une nouvelle fois pour faire de la recherche de provenance une priorité . Elle permettra de faire la lumière sur la diversité des cas éventuels pour pouvoir bâtir, le cas échéant, un dispositif approprié.

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La commission a adopté le projet de loi sans modification .

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