II. LA PROPOSITION DE LOI VISE À METTRE FIN À UNE AMBIGüITÉ JURIDIQUE

A. UNE SITUATION JURIDIQUE AMBIGüE ET INSATISFAISANTE

1. Les travailleurs de plateformes peuvent demander leur requalification en tant que salariés

Le choix des parties de se placer dans une relation commerciale plutôt que dans le cadre d'un contrat de travail ne lie pas le juge, qui peut, lorsqu'il constate dans les faits l'existence d'un lien de subordination entre le travailleur et le donneur d'ordre, requalifier cette relation.

Les travailleurs peuvent donc demander au conseil de prud'hommes la requalification de leur contrat, le versement du rappel des salaires et l'indemnisation des préjudices subis, y compris lorsqu'ils se trouvent dans une situation pour laquelle le code du travail prévoit une présomption de travail indépendant 5 ( * ) .

Au cours de la période récente, deux arrêts fondateurs de la Cour de cassation ont affirmé que la situation dans laquelle travaillaient des livreurs 6 ( * ) ou des chauffeurs 7 ( * ) devait être regardée comme constitutive d'une indépendance fictive et donc comme une relation de travail salarié.

2. L'abstention du législateur face à une jurisprudence encore mal établie

Malgré les décisions de la Cour de cassation, les décisions de justice continuent à être prononcées sur la base d'une analyse au cas par cas de la situation des travailleurs. Ainsi, des décisions récentes de cour d'appel ont appliqué le raisonnement posé par la Cour de cassation pour arriver à une conclusion inverse 8 ( * ) .

La situation actuelle est donc porteuse d'une insécurité juridique dont on ne peut pas se satisfaire .

Toutefois, jusqu'à présent, le législateur s'est toujours refusé à reconnaître le statut de salarié aux travailleurs des plateformes ou à leur étendre les garanties dont bénéficient les salariés comme il l'a fait pour d'autres catégories de travailleurs atypiques (journalistes, mannequins, VRP...).

Les dernières évolutions législatives, telle la loi d'orientation des mobilités du 24 décembre 2019 9 ( * ) ou l'ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs de plateformes 10 ( * ) , ont au contraire visé à conforter, sans l'affirmer définitivement, leur statut d'indépendant en se bornant à imposer certaines obligations de transparence et de dialogue social aux plateformes.

B. UNE PROPOSITION DE LOI VISANT À PERMETTRE AUX TRAVAILLEURS DE PLATEFORMES DE FAIRE VALOIR LEURS DROITS

1. Créer une action de groupe au profit des travailleurs de plateformes

L'action de groupe, introduite dans le droit français sous le précédent quinquennat, vise à renforcer la protection des droits des citoyens en permettant à plusieurs justiciables victimes d'un même préjudice de se regrouper pour agir en justice. Des actions de groupe sont possibles dans le domaine de la consommation, de la santé ou encore en matière de discriminations.

L'article 1 er de la proposition de loi innove en étendant l'action de groupe aux travailleurs subissant un préjudice du fait du recours à un statut fictif d'indépendant . Il s'agit de permettre à la multitude des travailleurs placés dans la même situation vis-à-vis des plateformes de faire ensemble valoir leurs droits de manière plus efficace.

2. Instaurer une présomption de salariat en cas de dépendance à un algorithme

L'article 2 de la proposition de loi tend à abroger les dispositions actuelles qui prévoient une présomption de travail indépendant, applicables notamment au cas des travailleurs de plateformes exerçant sous un statut d'entrepreneur.

Il substitue à ces dispositions une présomption de salariat applicable dès lors qu'un travailleur tire plus des deux tiers de son revenu d'activité de l'utilisation d'un algorithme exploité par une plateforme. Il s'agit en quelque sorte d'inverser la charge de la preuve, puisque cette présomption pourra toujours être écartée si la plateforme est en mesure de démontrer l'absence de tout lien de subordination.

3. Donner au conseil de prud'hommes la capacité de se prononcer

Les demandes de requalification sont examinées par le conseil de prud'hommes. Il convient de donner à cette instance la capacité d'apprécier la réalité des conditions de travail des travailleurs de plateformes. À cette fin, l'article 3 permet au conseil de prud'hommes d'exiger la production des algorithmes utilisés par la plateforme et de se faire assister d'un expert le cas échéant.


* 5 C'est le cas pour les travailleurs enregistrés auprès des Urssaf.

* 6 Cour de cassation, arrêt n° 1737 du 28 novembre 2018 (17-20.079).

* 7 Cour de cassation, arrêt n° 374 du 4 mars 2020 (19-13.316).

* 8 Par exemple, cour d'appel de Lyon, 15 janvier 2021, n° 19/08056 ou cour d'appel de Paris, 7 avril 2021, n° 18/02846.

* 9 Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.

* 10 Ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation.

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