EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 14 OCTOBRE 2020

M. François-Noël Buffet , président . - Nous examinons désormais le rapport de notre collègue Christophe-André Frassa sur la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, déposée par Philippe Bas, Bruno Retailleau, Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues. Ce texte est inscrit à l'ordre du jour de la séance du lundi 19 octobre 2020.

M. Christophe-André Frassa , rapporteur . - Nos collègues Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille ont déposé en février dernier une proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République. Son examen, qui était initialement prévu en mars, a été repoussé du fait du confinement. Je salue d'ailleurs notre ancienne collègue Catherine Troendlé, à qui je succède en tant que rapporteur.

La société tend aujourd'hui à se fragmenter face à la montée du communautarisme. Pour reprendre les mots de Robert Badinter, le « communautarisme, c'est la mort de la République. Si nous devions avoir des communautés qui négocient leur adhésion ou leur participation, ce serait fini. Ce serait un autre type de République. » Dans le même esprit, le politologue Jérôme Fourquet décrit la France comme un « archipel d'îles » s'ignorant entre elles. Cette fragmentation remet en cause notre pacte social, fondé sur l'indivisibilité de la République, la souveraineté nationale et l'unité du peuple.

Sur le terrain, les coups de boutoir du communautarisme se font de plus en plus pressants, comme l'a démontré notre récente commission d'enquête sur la radicalisation islamiste. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail fourni, sous la présidence de Nathalie Delattre, par son rapporteur, notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, dont chacun connaît l'engagement sur ce dossier.

Le communautarisme défie la République dans tous les secteurs de la vie quotidienne, en particulier dans les services publics, les entreprises et le monde sportif. Ce phénomène, longtemps nié par certains, est abondamment documenté.

Dans leur ouvrage intitulé Inch'allah, l'islamisation à visage découvert , les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme décrivent par exemple les refus de soins, le mari d'une patiente s'exclamant : « ma femme peut crever, mais au moins je suis en paix avec Dieu. »

Le vivre-ensemble est également remis en cause à l'école : dans le rapport de la commission d'enquête sénatoriale, un recteur admet « qu'il est difficile d'enseigner Voltaire dans certaines classes ». « L'absentéisme sélectif » est aussi une réalité, par exemple pour éviter les cours de natation ou de SVT.

S'agissant des entreprises, 65 % des salariés observent des faits religieux sur leur lieu de travail et 55 % des managers déclarent ne pas disposer des ressources nécessaires pour gérer d'éventuelles situations conflictuelles.

La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi El Khomri », a constitué une première étape. Elle clarifie le fait que le règlement intérieur de l'entreprise peut contenir des dispositions restreignant la manifestation des convictions des salariés. Elle reste toutefois peu mise en oeuvre : seuls 32 % des entreprises ont complété leur règlement en ce sens.

Dernier exemple, le monde du sport. Le sociologue Médéric Chapitaux mentionne plusieurs situations concrètes, comme un club de football portant le nom de Maccabi et refusant de jouer le vendredi et le samedi soir ou des professeurs de clubs de boxe refusant la participation de boxeuses, car elles ne seraient pas suffisamment habillées.

Le communautarisme dépasse donc la problématique de la laïcité : la question n'est plus d'organiser les relations entre les Églises et l'État mais, plus largement, de préserver l'unité nationale dans une société laïque.

Les croyants en sont les premières victimes. Comme l'a écrit notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio, « la majorité des musulmans est attachée au modèle républicain. Aspirant à l'anonymat, elle est aujourd'hui prisonnière d'une minorité qui revendique une pratique rigoriste, radicalisée et visible ».

Les femmes paient également un lourd tribut au communautarisme. Nadia Remadna, présidente de la Brigade des mères, a par exemple avoué qu'elle n'aurait jamais pensé « devoir se battre ici, dans ce pays, pour boire de l'alcool ou fumer une cigarette ».

Face à ces difficultés, le Président de la République enchaîne les discours : discours aux Bernardins, à Mulhouse, au Panthéon, aux Mureaux, etc . Les actes tardent toutefois à venir, malgré l'annonce d'un projet de loi pour la fin de l'année. L'action des cellules départementales de lutte contre l'islamisme mériterait également d'être évaluée plus en profondeur.

Nous pourrons débattre de la notion de « séparatisme », qui peut paraître trop étroite pour rendre compte de la réalité du communautarisme. Sur le terrain, des groupes comme les Frères musulmans ne cherchent pas à vivre en marge de la société mais, au contraire, à y répandre leur mode de vie dans une logique d'entrisme.

Le texte que nous examinons aujourd'hui poursuit un objectif très clair : réaffirmer la prééminence des lois de la République.

Il vise à inscrire, à l'article 1 er de la Constitution, le principe selon lequel « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer du respect de la règle commune ». Il s'agit d'un acte politique pour donner un coup d'arrêt au communautarisme. J'observe d'ailleurs que cet objectif semble faire consensus.

Dans son discours de Mulhouse prononcé le 18 février dernier, le Président de la République a affirmé qu'on « ne doit jamais accepter que les lois de la religion puissent être supérieures aux lois de la République ». Le recteur de la Grande mosquée de Paris a également déclaré que « la loi de ce pays doit être nécessairement le cadre commun ».

Juridiquement, la proposition de loi constitutionnelle conforte des garanties qui relèvent aujourd'hui de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et notamment de ses décisions de 1999 et de 2004. Il s'agit de graver dans le marbre cette jurisprudence, mais également de l'étendre.

Le texte couvre les relations entre les collectivités publiques et les particuliers, ce qui correspond à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais également les interactions collectives dans le secteur privé. La notion de « règle commune » intègre, en effet, les lois et règlements de la République, mais aussi les règlements intérieurs des services publics, des entreprises et des associations.

Ce texte s'adresse ainsi aux acteurs de terrain, pour leur donner les moyens juridiques de réagir face aux revendications communautaristes. Je pense notamment aux maires, aux chefs d'entreprise, aux enseignants, aux médecins...

Pour le professeur Dominique Chagnollaud, le texte comporte « une règle de conciliation constitutionnelle », permettant de répondre aux coups de boutoir du communautarisme par des règles claires. Jean-Éric Schoettl, conseiller d'État honoraire, partage cette analyse. Il affirme que « la République a besoin de repères simples à formuler et à respecter. Non, les règles actuelles ne suffisent pas, tant est grande la confusion des esprits. »

L'affaire de la crèche associative Baby Loup illustre ces difficultés : il a fallu plus de cinq ans pour déterminer le droit applicable, la crèche ayant dû, dans l'intervalle, suspendre ses activités puis déménager dans une commune voisine. Il en est de même pour les procédures de licenciement engagées pour prosélytisme religieux, qui sont très difficiles à mener.

La proposition de loi constitutionnelle ne remet pas en cause la conception française de la laïcité. Elle n'affecte pas, notamment, la possibilité, pour les collectivités publiques, de financer la rénovation de lieux de culte dans une logique patrimoniale. De même, les régimes de l'Alsace-Moselle et de la Guyane ne seraient pas remis en cause. Je tiens à rassurer nos collègues issus de ces territoires.

Je rappelle enfin que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) accepte des limitations portées à la liberté religieuse, dès lors qu'elles respectent trois critères cumulatifs : être prévues par la loi, poursuivre un but légitime et être proportionnées au but poursuivi. Dans une jurisprudence de 2017, la CEDH précise par exemple que les croyances religieuses ne justifient pas que des écolières soient exemptées de cours de natation.

J'en viens maintenant au second article de la proposition de loi constitutionnelle. Il impose aux partis et groupements politiques de respecter le principe de laïcité, au même titre que les principes de souveraineté nationale et de démocratie. Il apporte ainsi une nuance à l'article 4 de la Constitution, qui dispose que les partis « se forment et exercent leur activité librement ».

L'objectif est ainsi de lutter contre les partis communautaristes, qui prônent l'application de règles différentes en fonction de l'origine ou de la religion des citoyens. À l'inverse, cette disposition ne concerne pas les partis se revendiquant d'une tradition religieuse, mais respectant l'unité du peuple français, comme les partis issus de la démocratie chrétienne.

Sur le plan opérationnel, le texte donnerait une base constitutionnelle pour interdire le financement des partis communautaristes, voire pour envisager leur dissolution. Là encore, la jurisprudence de la CEDH ne s'oppose pas à de telles mesures.

En conclusion, je vous propose d'adopter sans modification la proposition de loi constitutionnelle de Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille. Elle permet de réaffirmer la prééminence des lois de la République dans un contexte où les coups de boutoir du communautarisme remettent en cause notre vivre ensemble.

M. Jean-Yves Leconte . - Cette proposition de loi constitutionnelle avait déjà été inscrite à notre ordre du jour avant les élections municipales de mars 2020, avant d'être reportée à cause de la crise sanitaire. On l'examine aujourd'hui alors que le Gouvernement a annoncé un projet de loi sur le séparatisme. On a quelque peu l'impression qu'il s'agit d'un outil que le groupe Les Républicains utilise à des fins politiques. Je salue les efforts de notre rapporteur pour le défendre, mais sa tentative a été laborieuse : il a même dû citer Robert Badinter, sans convaincre...

Ce texte est inutile et dangereux. Inutile, car il laisse à penser que la loi, qui doit déjà s'appliquer à tous, pourrait être conditionnelle. Paradoxalement, cette démarche en vient à affaiblir la valeur de la loi. Dangereux, car il met en cause la liberté des partis politiques.

La laïcité, qui doit être animée par un esprit de progrès et de conviction, est malmenée par une définition qui la réduit à une dimension simplement normative. La laïcité à la turque a engendré M. Erdogan... Au contraire, la laïcité doit être synonyme d'émancipation. Notre tradition politique n'aurait jamais pu prospérer en France si notre laïcité n'avait pas été fondée sur la liberté.

Ce n'est pas par la loi que nous pourrons combattre les idéologies dangereuses, mais par nos convictions. Ne nous fions pas à des textes qui ne sont que des protections de papier !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Merci à notre rapporteur pour son analyse et la clarté de ses propos. Son analyse est juste. Ce texte est effectivement un geste politique, mais les Français ont besoin d'entendre des propos courageux. Nous sommes à un tournant et nous ne pouvons pas être dans le déni à cet égard. J'invite Jean-Yves Leconte à venir dans les banlieues, son analyse évoluerait peut-être...

Le communautarisme s'installe et nous empêche de vivre selon les règles de la République. Nous devons protéger les femmes et les enfants. Aujourd'hui des enfants sont élevés en dehors des règles de la République. Quels adultes deviendront-ils ? Il ne faut pas oublier non plus qu'une partie de la population musulmane est justement venue en France pour profiter de son caractère inclusif.

En tout état de cause, il ne faut pas nier la réalité. Il est trop facile de prétendre que les dérives n'existent pas au motif qu'on ne les vit pas au quotidien !

M. Philippe Bas . - Merci à notre rapporteur qui a su expliquer les intentions des auteurs de cette proposition de loi constitutionnelle. Merci aussi à Jacqueline Eustache-Brinio - qui s'est beaucoup investie dans la lutte contre la radicalisation - pour son soutien.

Les islamistes recourent à une casuistique pour faire culpabiliser les autorités publiques : ils demandent des dérogations à la règle commune au nom de la liberté religieuse qui est garantie par l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ils s'en servent pour mettre en avant leur conception de la religion, qui n'est pas celle de tous les musulmans. Il appartient alors au juge, dans sa jurisprudence, de trouver les moyens de concilier les principes d'égalité devant la loi et celui de liberté religieuse. La règle, aussi claire qu'elle puisse paraître de premier abord, ne l'est pas en réalité. Il faut donc la proclamer !

En 1789, lorsque les citoyens ont proclamé la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, celle-ci n'avait pas de valeur juridique, mais sa force était telle qu'elle est devenue fondatrice. Nous avons besoin d'une nouvelle proclamation. Elle permettrait de donner un cadre aux milliers de décisions qui doivent être prises chaque jour sur ces sujets. Cette proposition de loi constitutionnelle n'est donc pas inutile, ni dangereuse, mais salvatrice.

Qui peut aussi s'opposer à ce que l'on ajoute dans la Constitution que les partis doivent respecter la laïcité ? L'enjeu est d'éviter que des partis communautaristes ne se forment.

M. Jean-Pierre Sueur . - L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose : « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

La loi est donc prééminente en vertu de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de la Constitution et de son préambule. Les textes sont clairs. Il n'est pas utile de réaffirmer que la loi est prééminente : elle l'est déjà ! Il suffit de l'appliquer !

J'ai l'impression que ce texte participe d'une opération politique, voire politicienne, d'autant plus qu'on l'examine au cours d'une semaine de contrôle. Le président Patrick Kanner a demandé que le Conseil d'État soit saisi en application de l'article 39 de la Constitution. Pourquoi ne l'a-t-il pas été ?

De plus, voter un texte pour affirmer que la loi est prééminente n'est-ce pas sous-entendre qu'elle ne l'est pas ? Nous risquons finalement d'affaiblir la loi...

Mme Esther Benbassa . - Chaque historien des religions sait qu'une personne qui a la foi peut considérer que la loi de Dieu est supérieure à la loi des hommes, sans pour autant s'exonérer du respect de la loi commune. C'est le « b.a.-ba » de la religion ! On peut être croyant et respecter les lois de la République.

On évoque le séparatisme religieux, mais les citoyens des minorités religieuses demandent avant tout une application égale de la loi et dénoncent des distorsions dans son application en raison de leur appartenance. Il est vrai que certains, comme les islamistes, veulent s'exonérer de la règle commune, mais on ne fait pas une loi pour une minorité !

Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Si, cela est nécessaire !

Mme Esther Benbassa . - Ce texte vise, sans la nommer, la communauté musulmane en France, qui va se sentir encore plus stigmatisée. C'est dommage, car nous avons besoin de davantage de cohésion sociale. De plus, les musulmans ne doivent pas être réduits à une croyance : en France, les musulmans sont de plus en détachés à l'égard de la religion.

Nous nous opposons aussi à la modification constitutionnelle proposée à l'article 2, qui vise l'islam politique. La loi du 9 décembre 1905 prévoit déjà la distinction entre l'Église et l'État. La France est un État de droit, non de foi. La loi religieuse ne saurait prendre le pas sur la loi des hommes. Le parti Égalité et justice (PEJ), considéré comme l'émanation française de l'AKP, le parti de M. Erdogan, n'a récolté que 10 000 voix dans 68 circonscriptions lors des dernières élections législatives. On est donc loin de la vague islamiste que certains décrivent ! Allez-vous proposer, par cohérence, la suppression du parti chrétien-démocrate ?

M. François Bonhomme . - Cela n'a rien à voir.

Mme Esther Benbassa . - Ce parti s'affiche clairement comme chrétien.

Mme Nathalie Goulet . - J'ai cosigné cette proposition de loi constitutionnelle, car il me semble important de garantir la prééminence des lois de la République, même si cela peut sembler une évidence. L'égalité devant la loi est un principe constitutionnel.

J'espère que nous pourrons aussi travailler sur le droit des associations et leur financement selon qu'elles ont un lien direct ou indirect avec un lieu de culte. Beaucoup d'associations « jonglent » entre les statuts prévus par les lois de 1901 et 1905. Cela constitue une tricherie manifeste ! Pourtant, chaque fois que l'on a proposé d'aligner les statuts et les contrôles, pour viser les associations loi 1901 qui ont un lien avec un lieu de culte, cette proposition a été repoussée : dans le cadre de la loi « Égalité et citoyenneté » du 27 janvier 2017, le Conseil constitutionnel y a vu un cavalier législatif. On n'a jamais réussi à faire passer cette disposition qui est pourtant de bon sens.

Réaffirmer la prééminence des lois de la République n'est donc pas inutile. Je rappelle que les premiers à avoir réclamé des horaires séparés à la piscine sont les femmes de la communauté juive de Strasbourg. Nous devrons toutefois être vigilants dans notre manière de traiter ce texte qui précède celui du Gouvernement sur les séparatismes, même si le terme a disparu. Donc, oui sur le principe, mais attention aux modalités.

M. Alain Richard . - Nous nous opposons à cette proposition de loi constitutionnelle : ce n'est pas en ajoutant des dispositions déclaratoires dans la Constitution que l'on résoudra les éventuelles imperfections qui existent dans notre législation.

M. Éric Kerrouche . - Madame Eustache-Brinio, il faut éviter de concevoir la société à l'aune de son expérience personnelle : on risque de prendre son expérience personnelle pour une expérience universelle, ce qui ne correspond pas à la réalité.

Attention aussi au glissement progressif de « communautaire » à « communautarisme ». C'est un peu comme si on affirmait que tous les conservateurs participent à La Manif Pour Tous ! Évitons les raccourcis trop rapides.

Aux dernières élections législatives, l'Union des démocrates musulmans français (UDMF), parti traditionnellement présenté comme communautaire, a recueilli 10 % des voix dans 50 bureaux de vote et 15 % dans 20 bureaux de vote, pour une moyenne de 0,13 % des voix exprimées au niveau national. Bref, du point de vue politique, ce parti est un microphénomène.

De même, il ne faut pas penser que la religion est le ressort du vote musulman. Le potentiel électoral de l'UDMF est de 4 à 5 %, non 0,13 %. Les études montrent que le vote musulman, à la différence du vote des catholiques pratiquants, n'obéit pas à une logique confessionnelle. C'est factuel. Le risque de confusion est donc évident et ce texte à portée symbolique risque d'accroître les fractures.

Certains comportements sont séparatistes. Il faut les combattre, mais pas par la stigmatisation, laquelle ne répond en rien aux phénomènes que nous observons.

M. François Bonhomme . - Je suis favorable à cette proposition de loi constitutionnelle car elle répond à un phénomène qui perdure depuis des décennies. Notre collègue Jean-Yves Leconte en appelle, contre ce texte, à Robert Badinter, j'en appellerai pour ma part à... Élisabeth Badinter : au nom des valeurs universalistes, la philosophe disait en 2015 ne pas croire à la différence heureuse. Elle reprochait à « la gauche communautariste » d'avoir accepté le concept d'islamophobie et ruiné de ce fait celui de laïcité. Élisabeth Badinter ajoutait que l'exaspération était devenue telle que « l'observation religieuse des règles laïques » allait devenir un impératif pour vivre en paix. Je regrette qu'Élisabeth Badinter n'inspire pas davantage la gauche universaliste...

M. Jean-Pierre Sueur . - Pas sûr qu'elle adopterait cette proposition de loi constitutionnelle...

M. Christophe-André Frassa , rapporteur . - Jean-Yves  Leconte juge ce texte est inutile et dangereux. Pour ma part, je le trouve nécessaire : la situation actuelle est-elle à ce point sans difficulté qu'une condamnation constitutionnelle du communautarisme serait inutile ? Cette mention dans la Constitution présente, certes, un aspect déclaratif, comme nous le dit Alain Richard, mais elle ne serait pas la seule dans ce registre et il est important que notre Constitution condamne explicitement le communautarisme. Cette mention serait-elle dangereuse ? Je ne vois pas pourquoi...

Esther Benbassa prend l'exemple du Parti chrétien-démocrate, mais ce parti ne fait pas de ses racines chrétiennes un programme, un manifeste politique ; il les indique seulement comme un point d'origine.

Mme Esther Benbassa . - En êtes-vous bien sûr ?

M. Christophe-André Frassa , rapporteur . - Ce parti n'interdit pas l'adhésion aux non-chrétiens. On peut également penser à la démocratie chrétienne en Italie, qui ne réserve pas l'adhésion aux catholiques pratiquants...

M. Jean-Yves Leconte . - Le christianisme est pourtant une source d'inspiration de ces partis...

M. Christophe-André Frassa , rapporteur . - Oui, mais ils ne visent pas à instaurer un État chrétien. Ce n'est pas la même chose...

Esther Benbassa dit encore que le fait de placer la loi de Dieu au-dessus de la loi de l'État n'est pas propre à l'islam. Je souhaiterais toutefois lui rappeler un passage du Talmud, que le Grand-rabbin de France a cité au cours de son audition : pour les Juifs, « la loi de l'État a force de loi ».

Enfin, je m'inscris en faux contre le postulat regardant ce texte et mon rapport comme une charge contre les musulmans : prenez le temps de les lire, vous constaterez que les exemples mentionnés concernent toutes les religions et que nous ne stigmatisons en rien les musulmans...

Jean-Pierre Sueur nous reproche de ne pas avoir saisi le Conseil d'État, mais on le fait rarement - voire jamais - sur une proposition de loi dont l'inscription est demandée par un groupe politique.

M. Jean-Pierre Sueur . - Il y a pourtant eu une demande écrite dans ce sens pour cette proposition de loi constitutionnelle...

M. Christophe-André Frassa , rapporteur . - Elle a été adressée au président du Sénat, en application de l'article 39 de la Constitution. Je vous réponds à la place qui est la mienne.

Éric Kerrouche estime que cette proposition de loi constitutionnelle est un texte de fracture, mais je ne vois pas en quoi. Au contraire, je pense qu'il est utile d'ancrer dans la Constitution ce principe d'opposition au communautarisme.

C'est peut-être clair pour l'État, mais la Constitution sert de référence bien au-delà de l'État : il y a les collectivités territoriales, les entreprises, les associations, etc . Mon rapport mentionne des problèmes très concrets d'application des règles communes dans la société. Il a fallu attendre cinq ans pour que le droit applicable soit clarifié dans l'affaire Baby Loup , est-ce normal ? Un tiers seulement des entreprises appliquent la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi El Khomri » : elle n'a certes que quatre ans, mais les difficultés d'application témoignent d'un problème sérieux et justifient une inscription dans la Constitution.

Je remercie tous ceux qui soutiennent cette proposition de loi constitutionnelle. Je partage l'idée que la laïcité n'a nul besoin d'un adjectif, et que lui adjoindre un adjectif, c'est toujours l'amoindrir. De même suis-je convaincu, comme le président Philippe Bas, que la laïcité est une exigence fondamentale.

Sur le financement des associations, nous ne réglons certes pas toutes les difficultés avec ce texte, mais nous faisons un premier pas, d'autres suivront.

Enfin, l'Union des démocrates musulmans français, que vous prenez comme référence pour mesurer l'impact de l'islam politique, est loin de suffire à circonscrire le phénomène et nous visons bien plus large avec cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme Esther Benbassa . - Je me réjouis que vous me répondiez en citant le Talmud et cette phrase araméenne qui dit que « La loi de ton royaume sera ta loi ». Cette formule est récitée à la fin du Shabbat, après avoir imploré Dieu pendant toute la fête... Elle démontre - c'est là que vous apportez de l'eau à mon moulin - qu'on peut penser que la loi de Dieu est supérieure, tout en se prévalant de la loi commune... Cela tient à ce que les Juifs sont un peuple de diaspora depuis longtemps, alors que les musulmans le sont depuis peu, l'islam ayant longtemps été une religion de conquête...

EXAMEN DES ARTICLES

Articles additionnels avant l'article 1 er

M. Christophe-André Frassa , rapporteur . - Je suis défavorable aux amendements COM-1 , COM-2 et COM-3 de Jean-Louis Masson. Ils poursuivent des objectifs extérieurs au texte que nous examinons.

Les amendements COM-1, COM-2 et COM-3 ne sont pas adoptés.

La commission adopte la proposition de loi constitutionnelle sans modification.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Articles additionnels avant l'article 1 er

M. MASSON

1

Primauté de la langue française sur le territoire national

Rejeté

M. MASSON

2

Remise en cause, par un texte ultérieur, des résultats d'un référendum

Rejeté

M. MASSON

3

Possibilité, pour tout parlementaire, de saisir le Conseil constitutionnel d'une loi adoptée par le Parlement

Rejeté

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