B. LE PLAN DE RELANCE DOIT ÊTRE CORRECTEMENT CALIBRÉ POUR MAXIMISER L'EFFET D'ENTRAINEMENT SUR L'ACTIVITÉ ET LIMITER LE COÛT POUR LES FINANCES PUBLIQUES

Compte tenu des marges de manoeuvre limitées dont dispose la France sur le plan budgétaire, ce plan de relance doit toutefois être calibré de manière à maximiser son efficacité et limiter son coût pour les finances publiques .

De ce point de vue, les travaux théoriques et empiriques sur les relances budgétaires mises en oeuvre par le passé ont dégagé de façon assez claire les critères d'un « bon » plan de relance, résumés dans la règle dite des « 3T » : le plan de relance doit être timely (ponctuel), temporary (temporaire) et targeted (ciblé) 80 ( * ) .

1. L'importance des délais de mise en oeuvre plaide pour ne pas différer la relance

Le premier « T » ( timely ) renvoie à l'importance des délais de mise en oeuvre .

Il est nécessaire de calibrer le plan de relance de manière à ce que les mesures puisent déployer leurs effets suffisamment rapidement pour soutenir la demande au moment opportun .

À cet égard, le rapporteur général regrette la décision du Gouvernement de différer la mise en oeuvre du plan de relance à la rentrée .

En effet, les ménages et plus encore les entreprises ont besoin de visibilité pour prendre leurs décisions d'investissement et de consommation . En tardant à annoncer les mesures qu'il entend mettre en oeuvre, le Gouvernement risque donc de renforcer l'attentisme des acteurs économiques et d'accélérer la chute de la demande privée.

En outre, ce report semble faire fi des délais incompressibles entre l'annonce des mesures et leur mise en oeuvre effective , qui sont souvent relativement longs, en particulier lorsqu'il s'agit de déployer des projets d'investissement. Cette difficulté avait d'ailleurs réduit l'efficacité du précédent plan de relance mis en oeuvre pour juguler les effets économiques de la crise financière de 2008 81 ( * ) .

Aussi, il apparaît nécessaire de déployer de premières mesures de relance dès le présent projet loi de finances rectificative , sans attendre la rentrée.

2. La nécessité de préserver les finances publiques invite à privilégier les mesures réversibles

Le deuxième « T » ( temporary ) met l'accent sur la nécessité de préserver les finances publiques .

Les mesures qui ont un caractère pérenne ou qui sont difficilement réversibles (ex : hausse de l'emploi public) sont à éviter car elles conduisent à une dégradation structurelle et non conjoncturelle des comptes publics.

Ainsi que le recommande la Cour des comptes, les mesures accompagnant le rebond de l'économie doivent donc « conserver un caractère clairement temporaire » et « prévoir des clauses d'extinction » 83 ( * ) .

3. L'impératif d'efficacité plaide pour une relance centrée sur l'investissement et un soutien ciblé à la consommation et à l'emploi

Enfin, le dernier « T » ( targeted ), qui renvoie à la nécessité de retenir les mesures les plus efficaces, présente une double dimension.

D'une part, il invite à adopter une approche sectorielle consistant à soutenir les activités les plus pénalisées.

De ce point de vue, la présente crise présente la particularité de concentrer ses effets dans certains secteurs pour lesquels les règles de distanciation sociale impliquent un ralentissement considérable de l'activité . Il s'agit en particulier de l'hébergement-restauration, des activités culturelles et sportives, du tourisme, de l'événementiel, du transport aérien et de la construction.

Estimation de la perte d'activité en juin, par rapport à une situation « normale »

Part dans le PIB
(en %)

Perte d'activité en juin
(en %)

Contributions à la perte d'activité totale
(en points de PIB)

Agriculture, sylviculture et pêche

2

- 4

- 0,1

Industrie

14

- 14

- 1,9

Fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac

2

- 4

- 0,1

Cokéfaction et raffinage

0

- 9

0,0

Fabrication d'équipements électriques, électroniques, informatiques ; fabrication de machines

1

- 16

- 0,2

Fabrication de matériels de transport

1

- 41

- 0,6

Fabrication d'autres produits industriels

6

- 15

- 0,9

Industries extractives, énergie, eau, gestion des déchets et dépollution

2

- 3

- 0,1

Construction

6

- 31

- 1,7

Services principalement marchands

56

- 13

- 7,3

Commerce ; réparation d'automobiles et de motocycles

10

- 16

- 1,7

Transports et entreposage

5

- 28

- 1,3

Hébergement et restauration

3

- 20

- 0,6

Information et communication

5

- 7

- 0,4

Activités financières et d'assurance

4

- 6

- 0,2

Activités immobilières

13

- 1

- 0,1

Activités scientifiques et techniques ; services administratifs et de soutien

14

- 13

- 1,8

Autres activités de services

3

- 44

- 1,3

Services principalement non marchands

22

- 7

- 1,5

Total

100

- 12

- 12

Source : commission des finances du Sénat (d'après : Insee, point de conjoncture du 8 juillet 2020, p. 5)

D'autre part, ce troisième critère invite à privilégier les mesures permettant de soutenir fortement l'activité à court terme , c'est-à-dire celles dont « l'effet multiplicateur » sur l'activité est le plus élevé.

À cet égard, les études théoriques et empiriques sur les multiplicateurs suggèrent :

- qu'il est plus efficace de soutenir l'économie par une hausse des dépenses plutôt que par une baisse des impôts , du fait notamment du risque de déperdition par l'épargne ;

- qu'il est plus efficace de cibler les ménages à bas revenus , qui ont une plus forte propension à consommer.

Effet multiplicateur sur l'activité à court terme (un an) en bas de cycle

(effet sur le PIB d'une hausse de 1 %)

Multiplicateurs des dépenses

Investissement

1,2

Emploi public

1,6

Prestations sociales

1,0

Multiplicateurs des recettes

Cotisations sociales employeurs

1,2

Cotisations sociales employés

0,8

CSG

0,8

TVA

0,6

Note de lecture : une hausse de l'investissement de 1 % augmente le PIB de 1,2 % au bout d'un an.

Source : commission des finances du Sénat (d'après : Maya Bacache-Beauvallet, Dominique Bureau, Francesco Giavazzi et Xavier Ragot, « Quelle stratégie pour les dépenses publiques ? », Notes du Conseil d'analyse économique 2017-7, n° 43)

En outre, entre deux mesures ayant un effet d'entraînement assez proche sur l'activité à court terme, il convient de privilégier celle ayant les effets les plus favorables sur le potentiel de croissance de l'économie à long terme , dans une logique de « double dividende ».

De ce fait, la relance doit donner la priorité à l'investissement , qui est la composante de la demande la plus touchée par la crise et dont l'effet d'entraînement sur la croissance est très forte, tant à court terme qu'à moyen terme 84 ( * ) .

L'accent mis sur l'investissement doit être accompagné d' un soutien plus ciblé à la consommation et à l'emploi, ce qui impose concrètement de se concentrer en priorité sur les ménages modestes, les nouveaux entrants sur le marché du travail et les secteurs les plus fragilisés par la crise.

À l'inverse, une relance indiscriminée de la consommation par la baisse de la TVA, à l'image de ce qui a été annoncé en Allemagne, paraît peu pertinente en France , compte tenu notamment des déperditions par les marges des entreprises 85 ( * ) et les importations, qui réduisent fortement l'effet d'entraînement sur l'activité.

Les premières données sur la reprise de la consommation attestent d'ailleurs la réalité de ce risque.

Il apparaît en effet que la consommation des ménages a d'abord rebondi dans les secteurs très riches en importations , tels que la fabrication de machines et d'équipements électriques, électroniques et informatiques.

Décomposition de l'évolution de la consommation finale des ménages

(en %)

Part dans la consommation finale

Contenu en importations

Écart au niveau de consommation finale pré-covid en juin

Agriculture, sylviculture et pêche

3

52,3

4

Industries extractives, énergie, eau, gestion des déchets et dépollution

5

25,4

0,0

Fabrication de denrées alimentaires, de boissons et de produits à base de tabac

15

40,2

5

Cokéfaction et raffinage

4

72,4

- 10

Fabrication d'équipements électriques, électroniques, informatiques ; fabrication de machines

3

92,5

23

Fabrication de matériels de transport

6

84,3

5

Fabrication d'autres produits industriels

13

79,9

11

Construction

2

20,3

- 31

Commerce ; réparation d'automobiles et de motocycles

1

13,6

16

Transports et entreposage

3

24,0

- 43

Hébergement et restauration

7

14,9

- 20

Information et communication

3

24,4

0

Activités financières et d'assurance

6

13,1

0

Activités immobilières

19

2,5

0

Activités scientifiques et techniques ; services administratifs et de soutien

2

14,1

- 18

Administration publique, enseignement, santé humaine et action sociale

5

6,7

- 17

Autres activités de services

4

13,5

- 29

Source : commission des finances du Sénat (d'après : Insee, point de conjoncture du 8 juillet 2020 ; Alexandre Bourgeois et Antonin Briand, « Le ”made in France” », Insee Première n° 1756, 5 juin 2019)

Ce diagnostic conforte ainsi la nécessité d'adopter une approche ciblée et sectorielle pour la relance de la consommation .


* 80 Pour une synthèse, voir : Carine Bouthevillain, Gilles Dufrénot, Philippe Frouté et Laurent Paul, « Les politiques budgétaires dans la crise », De Boeck, 2013, pp. 46-47.

* 8182 Cour des comptes, « La mise en oeuvre du plan de relance de l'économie française », juillet 2010, p. 19.

* 83 Cour des comptes, rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, 30 juin 2020, p. 14.

* 84 Pour une synthèse récente, voir : OCDE, « Structure des finances publiques et croissance inclusive », OCDE, Études de politique économique, n° 25, décembre 2018.

* 85 Youssef Benzarti, Dorian Carloni, Jarkko Harju, Tuomas Kosonen, « What Goes Up May Not Come Down: Asymmetric Incidence of Value-Added Taxes », NBER Working Paper No. 23849, 2017.

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