IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

Votre commission porte, dans l'ensemble, une appréciation positive sur les mesures contenues dans la proposition de loi, qui lui paraissent de nature à renforcer la protection des victimes .

Elle s'interroge cependant sur le calendrier et la méthode proposés : le Parlement est saisi d'un texte, examiné en procédure accélérée, alors que se déroule, en parallèle, une grande concertation dans le cadre du Grenelle des violences conjugales. Certains sujets, en matière d'autorité parentale par exemple, sont débattus dans le cadre de groupes de travail, ce qui est légitime compte tenu de la sensibilité du sujet. Mais ils ne sont pas abordés dans la proposition de loi, de sorte qu'un nouveau texte devra être soumis au Parlement s'il apparaît à l'issue du Grenelle que des évolutions sont souhaitables sur ces sujets. Il aurait peut-être été plus logique d'attendre la fin du Grenelle pour légiférer, de manière globale, sur la lutte contre les violences conjugales.

A. SUR LES MESURES PÉNALES

La commission est favorable au déploiement du bracelet anti-rapprochement : il pourrait apporter une solution à la situation d'insécurité et d'anxiété dans laquelle vivent de nombreuses femmes victimes de violences. Il s'agit d'un dispositif technique qui s'insère aisément dans la gamme des outils à la disposition du juge pénal. La commission n'a ainsi adopté que des amendements de précision rédactionnelle aux articles 3 et 4 du texte.

L'enjeu essentiel sera de s'assurer que les conditions nécessaires au bon fonctionnement du bracelet anti-rapprochement seront réunies. L'État devra mobiliser des moyens techniques et humains adaptés pour s'assurer du succès du dispositif.

À cet égard, la commission ne peut que déplorer que les deux expérimentations votées par le législateur n'aient jamais été mises en oeuvre . Elles auraient pourtant permis de tester, à une échelle réduite, le fonctionnement du dispositif et de régler les problèmes pratiques qui ne manqueront pas de se poser dans les premiers temps de son déploiement.

Le principe d'une expérimentation avait été acté une première fois par l'article 6 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Prévue pour une durée de trois ans, l'expérimentation aurait dû se dérouler dans les ressorts des tribunaux de Strasbourg, d'Aix-en-Provence et d'Amiens et aurait concerné des personnes condamnées à au moins cinq ans d'emprisonnement.

Le décret d'application n'a cependant été publié que le 24 février 2012, soit dix-huit mois seulement avant le terme prévu de l'expérimentation. Surtout, il est apparu que les critères retenus étaient trop restrictifs en pratique, personne n'ayant été condamné, dans le ressort de ces tribunaux, à une peine correspondant au seuil à partir duquel le dispositif aurait pu être expérimenté.

Ensuite, une seconde expérimentation a été votée en 2017, à l'article 39 de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Cet article reprenait à l'identique le texte adopté sept ans plus tôt. À nouveau, l'expérimentation ne put avoir lieu en raison du niveau trop élevé du seuil de cinq années d'emprisonnement 29 ( * ) .

Certaines juridictions étaient pourtant volontaires pour participer à l'expérimentation. Entendue par votre rapporteur, Mme Gwenola Joly-Coz, présidente du tribunal de grande instance de Pontoise, a indiqué que sa juridiction était prête à s'investir dans ce projet.

Il est donc extrêmement regrettable que les gouvernements qui se sont succédé depuis 2010 n'aient pas fait preuve de davantage de volontarisme dans ce domaine, quitte à corriger par la loi les critères qui se seraient révélés inadaptés. Votre rapporteur ne peut s'empêcher de penser que de nombreuses vies auraient été sauvées si tant de temps n'avait pas été perdu. Et le ministère de la justice va devoir maintenant déployer sur l'ensemble du territoire le dispositif du bracelet anti-rapprochement sans bénéficier du précieux retour d'expérience qu'une expérimentation aurait rendu possible.

La commission est favorable aux ajustements proposés par le texte concernant le téléphone grand danger . Elle n'a en revanche pas été convaincue de l'utilité de demander un rapport sur l'élaboration d'une application téléchargeable, constatant qu'une telle application avait déjà été développée.

Votre rapporteur souhaite également insister sur l'importance de la formation et de la sensibilisation des forces de police et de gendarmerie à l'accueil des femmes victimes de violences conjugales . Trop de femmes, pas assez prises au sérieux, sont incitées à déposer une main courante au lieu de déposer plainte. Et trop de plaintes, classées sans suite, n'ont aucune suite judiciaire.

L'annonce, dans le cadre du Grenelle, que les commissariats et postes de gendarmerie seront évalués, en ce qui concerne l'accueil réservé aux femmes victimes de violences, et que les dossiers de féminicides donneront lieu à une analyse détaillée afin de comprendre à quel moment la chaîne pénale a échoué à prévenir le crime, apparaît de ce point de vue prometteuse. Sans attendre les annonces du Grenelle, le procureur de Pontoise, M. Eric Corbaux, entendu par votre rapporteur, a fait réaliser des monographies sur les quatre derniers féminicides intervenus dans sa juridiction : il ressort de cette analyse que trois victimes sur quatre n'avaient jamais engagé de démarches auprès des services de police ou de gendarmerie. Cet exemple souligne la nécessité d'identifier et de lever les freins à la libération de la parole , tant pour les femmes victimes que pour les mineurs victimes.

La spécialisation, dans les grandes juridictions, de magistrats formés à la problématique des violences faites aux femmes constitue également une piste intéressante, déjà suivie d'effets dans certains tribunaux. La création de tribunaux ou de chambres spécialisés, sur le modèle espagnol, mérite également d'être expertisée, même si elle impliquerait des changements de plus grand ampleur dans l'organisation judiciaire.


* 29 Les députés Philippe Gosselin et Sébastien Pietrasenta, conscients de cette difficulté, avaient proposé d'abaisser le seuil à trois ans, mais leur initiative avait été jugée irrecevable au regard de l'article 40 de la Constitution. En élargissant le nombre de personnes concernées par l'expérimentation, leur proposition aurait augmenté les charges publiques.

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