Rapport n° 680 (2018-2019) de M. Mathieu DARNAUD , fait au nom de la commission des lois, déposé le 18 juillet 2019

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N° 680

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juillet 2019

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , relative à la Polynésie française ,

Par M. Mathieu DARNAUD,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Bigot, André Reichardt, Mme Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

2085 , 2119 et T.A. 317

Sénat :

666 et 681 (2018-2019)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le jeudi 18 juillet 2019 , sous la présidence de
M. Philippe Bas , président , la commission des lois a examiné le rapport de M. Mathieu Darnaud et établi son texte sur la proposition de loi n° 666 (2018-2019), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la Polynésie française.

Ce texte a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 1 er juillet 2019 par M. Guillaume Vuilletet en réaction à la décision de non-conformité partielle rendue par le Conseil constitutionnel le 27 juin 2019 concernant la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française. Il reprend, dans les mêmes termes , six articles de cette loi déclarés « cavaliers législatifs » par le Conseil et portant des dispositions spécifiques à la Polynésie française :

- cinq articles facilitant la gestion et la sortie de l'indivision foncière ;

- un article précisant le cadre des concessions des aérodromes d'État .

Ces articles avaient tous été introduits par le Sénat, en commission ou en séance, et leur rédaction avait fait l'objet d'un accord avec l'Assemblée nationale.

La commission des lois, par cohérence avec ses travaux antérieurs et pour permettre une entrée en vigueur rapide, a adopté la proposition de loi sans modification .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à examiner, en première lecture et en procédure accélérée, la proposition de loi n° 666 (2018-2019) relative à la Polynésie française, adoptée par l'Assemblée nationale le 11 juillet 2019.

Ce texte, déposé par notre collègue député Guillaume Vuilletet, vise à rétablir six articles de la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française qui ont été censurés comme « cavaliers législatifs » par le Conseil constitutionnel le 27 juin 2019.

Ces articles tendent à faciliter la gestion et la sortie de l'indivision successorale et à préciser le cadre juridique des concessions des aérodromes d'État en Polynésie française

I. LE CONTEXTE : RÉTABLIR RAPIDEMENT DES DISPOSITIONS CENSURÉES PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL

La loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française 1 ( * ) a été adoptée en mai 2019 concomitamment à la loi organique portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française 2 ( * ) . Elle a fait l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel par le Premier ministre en même temps que la loi organique, sans qu'aucun grief particulier ne soit invoqué.

Dans le cadre de son examen, le Conseil a estimé que certaines dispositions « ne présent [ai] ent pas de lien, même indirect , avec celles qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat ni avec celles qui figuraient dans le projet de loi organique portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française déposé sur le bureau du Sénat et examiné concomitamment à ce premier projet de loi ».

Il a, contre l'avis du Gouvernement qui considérait que « l'ensemble des dispositions de la loi déférée présentent un lien avec le projet de loi initial, du seul fait qu'elles traitent de problématiques propres à la Polynésie française » 3 ( * ) , prononcé une censure d'office sur le fondement de l'article 45 de la Constitution 4 ( * ) .

Ont été ainsi déclarés non conformes à la Constitution, dans l'ordre du texte, les huit articles suivants :

- l'article 6 relatif à la compétence des communes en matière de crématoriums ;

- les articles 10, 11, 12, 13 et 14 relatifs au droit successoral ;

- l'article 15 relatif aux conditions d'exploitation d'un aérodrome relevant de la compétence de l'État ;

- l'article 16 relatif à l'exemption de la dépénalisation du stationnement payant .

Notre collègue député Guillaume Vuilletet, rapporteur des deux projets de loi précités, a aussitôt déposé une proposition de loi pour pallier cette censure purement procédurale. Il n'a toutefois pas repris l'ensemble des huit articles censurés comme « cavaliers législatifs », laissant de côté les dispositions relatives aux crématoriums et à la dépénalisation du stationnement payant .

Les six articles de la proposition de loi reprennent à l'identique les rédactions issues du texte élaboré le 7 mai 2019 par la commission mixte paritaire et approuvé par les deux chambres.

La commission des lois de l'Assemblée nationale n'a pas apporté d'autre modification qu'une simplification du titre 5 ( * ) . La proposition de loi a ensuite été adoptée en séance selon la procédure d'examen simplifiée 6 ( * ) .

II. L'OBJET : FACILITER LA GESTION ET LA SORTIE DE L'INDIVISION SUCCESSORALE ET PRÉCISER LE CADRE JURIDIQUE DES CONCESSIONS DES AÉRODROMES D'ÉTAT EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

A. UN OBJET INCOMPLET AU REGARD DE LA CENSURE INTERVENUE

L'auteur de la proposition de loi a fait le choix de n'inclure dans son texte que les dispositions relatives à l'indivision successorale et aux aérodromes.

Votre rapporteur regrette que n'aient pas été intégrés deux sujets importants - les crématoriums et le stationnement payant - sur lesquels un accord avait pourtant été trouvé entre les deux assemblées .

Faute de base légale, la crémation des corps ne peut être effectuée en Polynésie française, ce qui oblige les familles qui souhaitent y recourir à entreprendre des voyages onéreux en Nouvelle-Zélande. C'est la raison pour laquelle votre rapporteur avait fait adopter un article ad hoc lors de la discussion de la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française.

Par ailleurs, le Gouvernement avait souhaité revenir sur la dépénalisation du stationnement payant opérée par la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 7 ( * ) qui empiète ainsi sur une compétence locale en matière de réglementation pénale et routière.

Soucieux de permettre une adoption rapide du texte - en particulier des dispositions sur l'indivision successorale, qui sont discutées pour la troisième fois au Parlement en moins d'un an et demi 8 ( * ) - et compte tenu du risque d'irrecevabilité au regard de l'article 45 de la Constitution 9 ( * ) , votre rapporteur a fait le choix de ne pas proposer de réintroduire les dispositions manquantes . Celles-ci méritent toutefois une réponse législative dans un proche avenir.

B. DES MESURES POUR FACILITER LA GESTION ET LA SORTIE DE L'INDIVISION SUCCESSORALE EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

La question foncière est particulièrement complexe en Polynésie française où « les nombreuses indivisions réunissent parfois des centaines d'indivisaires à la faveur de successions non liquidées depuis quatre à cinq générations et alimentent l'abondant contentieux des ?affaires de terre? », ainsi que l'a relevé en 2016 le rapport d'information fait au nom de la délégation aux outre-mer 10 ( * ) . Ces situations d'indivision entraînent un gel du foncier et constituent un frein au développement économique et social des territoires polynésiens.

En 2018, lors de la discussion de la proposition de loi déposée par nos collègues députés Olivier Faure et Serge Letchimy 11 ( * ) , des dispositions reprenant les recommandations de ce rapport 12 ( * ) avaient été adoptées à l'initiative du Sénat en première lecture. Celles-ci avaient finalement été retirées du texte en discussion , d'un commun accord entre le Gouvernement et les parlementaires polynésiens, avec la promesse de réexaminer des dispositifs plus aboutis dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française déposé sur le bureau du Sénat à la même période.

En février 2019, lors de la discussion de ce projet de loi, votre commission a donc souhaité réintroduire des dispositions relatives à l'indivision en Polynésie française pour apporter enfin une solution à un problème connu de longue date. C'est dans ce cadre qu'ont été intégrés, à l'initiative de nos collègues Lana Tetuanui et Thani Mohamed Soilihi, les cinq articles censurés par le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l'article 45 de la Constitution, que le texte examiné par votre commission vise à rétablir.

Les articles 1 er à 5 de la proposition de loi, reprenant les rédactions adoptées par le Sénat, ont déjà fait l'objet de commentaires par votre rapporteur à l'occasion de l'examen de la loi censurée 13 ( * ) . Ils ne feront donc l'objet que d'un rappel succinct.

Table de correspondance

Projet de loi n° 293 (2018-2019) portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française

Proposition de loi n° 666 (2018-2019) relative à la Polynésie française

Article 9

Article 1 er

Article 10

Article 2

Article 11

Article 3

Article 12

Article 4

Article 13

Article 5

• Conditions de l'attribution préférentielle d'un bien au conjoint survivant ou au copropriétaire qui y réside (article 1 er )

Cet article vise à adapter aux spécificités polynésiennes - en particulier l'ancienneté des successions - la condition de résidence exigée du conjoint survivant ou d'un héritier copropriétaire pour bénéficier de l'attribution préférentielle d'une propriété en application du 1° de l'article 831-2 du code civil.

Il tend ainsi à permettre au conjoint survivant ou à l'héritier copropriétaire de demander l'attribution préférentielle du bien, s'il démontre qu'il y a sa résidence « par une possession continue, paisible et publique depuis un délai de dix ans antérieurement à l'introduction de la demande », et non « à l'époque du décès ».

Un tel dispositif est déjà applicable dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon 14 ( * ) .

• Retour à la famille du défunt des biens de famille, en l'absence de descendants de celui-ci (article 2)

Cet article prévoit un dispositif dérogatoire du droit commun permettant le retour à la famille du défunt , lorsqu'il n'a pas de descendants, des biens immobiliers qu'il détenait en indivision avec celle-ci.

Ce dispositif va plus loin que l'article 757-3 du code civil en instituant, en Polynésie française, un droit de retour au bénéfice des frères et soeurs du défunt, ou de leurs descendants, de la totalité des biens « de famille », et non pas seulement de la moitié, dès lors que le défunt les détenait en indivision avec ses collatéraux ou ascendants, et à condition que ses frères et soeurs ou leurs descendants soient eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l'origine de la transmission.

• Attribution en nature ou en valeur de sa part à l'héritier omis, sans remise en cause du partage intervenu (article 3)

Cet article vise à empêcher la remise en cause d'un partage judiciaire par un héritier omis : l'héritier omis ne pourrait que « demander de recevoir sa part, soit en nature , soit en valeur , sans annulation du partage ». Cette demande n'est aujourd'hui qu'une simple faculté laissée au demandeur par le deuxième alinéa de l'article 887-1 du code civil.

Un tel dispositif est déjà applicable dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon 15 ( * ) .

• Dispositif dérogatoire temporaire de partage des biens indivis (article 4)

Cet article vise à prévoir, sous certaines garanties, un dispositif dérogatoire et temporaire favorisant les sorties d'indivision , en permettant le partage des biens immobiliers indivis à l'initiative du ou des indivisaires titulaires d'au moins deux tiers en pleine propriété des droits indivis, alors que l'article 815-3 du code civil exige le consentement de tous les indivisaires pour effectuer un tel acte.

Ce dispositif est quasiment identique à celui prévu par la loi du 27 décembre 2018 pour les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Il aurait vocation à s'appliquer jusqu'au 31 décembre 2028 .

• Expérimentation d'un dispositif dérogatoire de partage par souche (article 5)

Cet article consacre le partage par souche tel qu'opéré par la cour d'appel de Papeete qui accepte que l'un des membres d'une branche de la famille représente toute la branche, en interprétant de manière extensive la notion de représentation de l'article 827 du code civil 16 ( * ) . . Cet article institue une expérimentation jusqu'au 31 décembre 2028 .

C. UNE DISPOSITION POUR PRÉCISER LE CADRE JURIDIQUE DES CONCESSIONS DES AÉRODROMES D'ÉTAT EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

L'article 6 de la proposition de loi reprend l'article 15 de la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française censuré par le Conseil constitutionnel.

Cet article avait été introduit en séance par amendement du Gouvernement, avec avis favorable de votre commission , et avait fait l'objet d'un accord en commission mixte paritaire.

Il s'agit de préciser le cadre juridique dans lequel l'État peut concéder l'exploitation d'un aérodrome qui relève de sa compétence en Polynésie française. Il prévoit que l'État peut imposer au concessionnaire, à la demande de la Polynésie française, de créer une société ad hoc associant l'opérateur économique qui dispose du pouvoir de direction et la Polynésie française qui, en raison de ses compétences très larges en matière de développement économique et touristique, a un intérêt tout particulier à la gestion de ces aérodromes. Les statuts de cette société doivent garantir la capacité de l'opérateur à mettre en oeuvre son offre.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : UNE ADOPTION SANS MODIFICATION POUR PERMETTRE UNE ENTRÉE EN VIGUEUR RAPIDE

Suivant son rapporteur, votre commission a adopté la proposition de loi sans modification , par cohérence avec ses travaux antérieurs et pour permettre une entrée en vigueur rapide, même si elle considère qu'il eût été opportun d'intégrer dans le texte initial les deux dispositions relatives aux crématoriums et à la dépénalisation du stationnement payant.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

JEUDI 18 JUILLET 2019

M. Mathieu Darnaud , rapporteur . - La proposition de loi relative à la Polynésie française a été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale le 1 er juillet dernier par notre collègue député Guillaume Vuilletet. Il a souhaité ainsi réagir à la décision de non-conformité partielle du Conseil constitutionnel le 27 juin 2019 sur la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française.

Le Conseil, saisi de cette loi ordinaire par le Premier ministre en même temps que de la loi organique portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française, a en effet estimé que certaines dispositions ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le projet de loi initial ; il a prononcé une censure d'office sur le fondement de l'article 45 de la Constitution.

Le rapporteur de l'Assemblée nationale a voulu rétablir rapidement les articles censurés en déposant cette proposition de loi, ce qui est une initiative louable. Toutefois, je regrette - et ce sentiment est partagé par nos collègues polynésiens - que cela ait été fait de manière quelque peu précipitée et incomplète.

Huit articles ont été censurés comme « cavaliers législatifs » par le Conseil constitutionnel. Seuls six ont été repris dans la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. Ont été laissées de côté, sans que l'on comprenne pourquoi, les dispositions relatives aux crématoriums et à la dépénalisation du stationnement payant.

Je vous rappelle que, faute de base légale, la crémation des corps ne peut être effectuée en Polynésie française et qu'il s'agissait d'une demande présentée par l'assemblée de la Polynésie française dans son avis sur le projet de loi. Quant à la dépénalisation du stationnement payant opérée par la loi de 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi Maptam, elle empiète sur une compétence locale en matière de réglementation pénale et routière. Ces deux sujets méritaient donc d'être repris.

Toutefois, soucieux de permettre une adoption et une entrée en vigueur rapides du texte, en particulier pour les dispositions sur l'indivision successorale - elles sont attendues de longue date ! -, je vous proposerai une adoption conforme.

Le texte qui nous est soumis comprend cinq articles facilitant la gestion et la sortie de l'indivision foncière ainsi qu'un article précisant le cadre des concessions des aérodromes d'État ; nous avons déjà eu l'occasion de les examiner à l'occasion du texte censuré par le Conseil constitutionnel. Les dispositions relatives aux indivisions successorales s'inspirent, pour l'essentiel, des recommandations du rapport d'information de 2016 de la délégation aux outre-mer sur la sécurisation des titres fonciers dans les outre-mer.

L'article 1 er vise à adapter aux spécificités polynésiennes, en particulier l'ancienneté des successions, la condition de résidence exigée du conjoint survivant ou d'un héritier copropriétaire pour bénéficier de l'attribution préférentielle d'une propriété, en application de l'article 831-2 du code civil.

L'article 2 prévoit un dispositif dérogatoire au droit commun permettant le retour à la famille du défunt sans descendants de la totalité des biens immobiliers qu'il détenait en indivision avec celle-ci.

L'article 3 vise à empêcher la remise en cause d'un partage judiciaire par un héritier omis.

L'article 4 prévoit, sous certaines garanties, un dispositif dérogatoire et temporaire, jusqu'au 31 décembre 2028, favorisant les sorties d'indivision.

L'article 5 institue une expérimentation, jusqu'au 31 décembre 2028, du partage par souche tel qu'il est opéré par la cour d'appel de Papeete, qui accepte que l'un des membres d'une branche de la famille représente toute la branche, en interprétant de manière extensive la notion de représentation de l'article 827 du code civil.

Enfin, l'article 6 précise le cadre juridique dans lequel l'État peut concéder l'exploitation d'un aérodrome qui relève de sa compétence en Polynésie française.

Ces articles avaient tous été introduits par le Sénat, en commission ou en séance, dans la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française. Ils reprennent à l'identique les rédactions issues du texte élaboré le 7 mai 2019 par la commission mixte paritaire et approuvé par nos deux chambres. La seule modification apportée par l'Assemblée nationale a été de simplifier le titre initial : la proposition de loi visant à faciliter la gestion et la sortie de l'indivision successorale et l'exploitation d'un aérodrome en Polynésie française est devenue « proposition de loi relative à la Polynésie française ».

Il me semble que nous devons être cohérents avec nos précédents travaux, tout en permettant une entrée en vigueur rapide des articles en discussion. C'est pourquoi je vous propose d'adopter la proposition de loi sans modification, même si elle est malheureusement incomplète.

M. Philippe Bas , président . - Mais elle est certainement fort bien écrite, puisque ni le rapporteur ni aucun collègue n'ont jugé utile de déposer des amendements...

M. Jean-Pierre Sueur . - Ce texte est le révélateur du zèle avec lequel le Conseil constitutionnel applique l'article 45 de la Constitution, et nous sommes les victimes de ce phénomène. J'ajoute que notre assemblée contribue elle-même à accentuer ce problème, puisque de plus en plus d'amendements sont jugés irrecevables au moment même de l'examen des textes. Ainsi, le nombre d'amendements jugés irrecevables sur le projet de loi relatif à l'énergie et au climat qui est en débat cette semaine au Sénat est considérable. J'avais moi-même déposé des amendements relatifs aux éoliennes ; ils ont été déclarés irrecevables, ce qui est un comble pour un texte consacré à l'énergie et au climat... Le Sénat devrait vraiment se saisir de la question de l'application de l'article 45 de la Constitution.

Sur le fond, comme le rapporteur, je ne comprends pas bien pourquoi cette proposition de loi ne reprend pas tous les articles censurés, y compris ceux sur le stationnement payant et sur les crématoriums. Sincèrement, je suis tenté de déposer des amendements pour reprendre ces dispositions, ne serait-ce que pour manifester mon étonnement !

M. Mathieu Darnaud , rapporteur . - Il semblerait que la non-reprise de ces dispositions dans le texte résulte d'un défaut de coordination avec le ministère de la justice. Nos collègues polynésiens ne souhaitent pas que l'adoption de ce texte soit retardée. En effet, ces dispositions sont attendues de longue date. La rapidité et l'efficacité priment l'exhaustivité !

M. Jean-Pierre Sueur . - J'insiste sur le caractère ubuesque de la situation. Si nous réintroduisons un jour ces dispositions par voie d'amendement, elles risquent d'être de nouveau censurées par le Conseil constitutionnel au motif qu'elles n'auraient pas de lien avec le texte en discussion. Et si nous déposons une proposition de loi spécifique, son inscription à l'ordre du jour du Sénat, et encore plus à celui de l'Assemblée nationale, est aléatoire... Cet exemple nous montre bien les grandes difficultés auxquelles se heurte aujourd'hui l'initiative parlementaire.

M. Philippe Bas , président . - Nous connaissons en effet très bien cette situation et je ne peux que partager les propos de Jean-Pierre Sueur. Les restrictions semblent s'ajouter les unes aux autres et constituent finalement une forme d'impasse parlementaire, alors même que notre régime démocratique a besoin de respiration. Je regrette d'ailleurs que le débat constitutionnel ait été reculé sous un prétexte fallacieux, puisque le Sénat a répété à de nombreuses reprises sa disponibilité pour discuter de ces sujets. Une assemblée ne peut s'opposer à une réforme qu'après en avoir débattu et avoir voté ! On ne peut pas dire avant cette étape qu'elle s'y oppose... Comme le disait justement Leonid Brejnev depuis Tbilissi au moment d'engager la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe : « À un moment, il faut goûter le vin pour voir s'il est bon ! »

La proposition de loi est adoptée sans modification.


* 1 Loi n° 2019-707 du 5 juillet 2019 portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française.

* 2 Loi organique n° 2019-706 du 5 juillet 2019 portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française.

* 3 Observations du Gouvernement du 14 juin 2019.

* 4 Décision n° 2019-784 DC du 27 juin 2019.

* 5 La proposition de loi s'intitulait au départ « Proposition de loi visant à faciliter la gestion et la sortie de l'indivision successorale et l'exploitation d'un aérodrome en Polynésie française ».

* 6 En application de l'article 106 du Règlement de l'Assemblée nationale, le Président de séance met directement aux voix l'ensemble du texte.

* 7 Loi n° 2014?58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM).

* 8 Lors de la discussion en première lecture de la loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, puis lors de la discussion de la loi n° 2019-707 du 5 juillet 2019 portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française.

* 9 L'Assemblée nationale a déclaré irrecevables deux amendements du rapporteur visant à réintroduire les deux articles pour défaut de lien, même indirect, avec le texte.

* 10 « Une sécurisation du lien à la terre respectueuse des identités foncières : 30 propositions au service du développement des territoires », rapport d'information n° 721 (2015-2016) de MM. Thani Mohamed Soilihi, Mathieu Darnaud et Robert Laufoaulu, fait au nom de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, déposé le 23 juin 2016.

* 11 Loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer.

* 12 Il s'agissait de dispositions relatives au partage par souche, à l'attribution préférentielle d'un bien et aux conséquences de l'omission d'un héritier lors d'un partage.

* 13 Rapport n° 292 (2018-2019) de M. Mathieu Darnaud, fait au nom de la commission des lois, déposé le 6 février 2019.

* 14 Loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer.

* 15 Loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer.

* 16 Cette position est contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 2 e civ, 13 septembre 2007, 06-15.646).

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