Rapport n° 484 (2017-2018) de Mme Gisèle JOURDA et M. Michel RAISON , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 17 mai 2018

Disponible au format PDF (702 Koctets)

Tableau comparatif au format PDF (281 Koctets)


N° 484

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 mai 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, demandant la renégociation , par le Gouvernement, des articles 31 et 32 du règlement (UE) n°1305/2013,

Par Mme Gisèle JOURDA et M. Michel RAISON,

Sénateurs

et TEXTE DE LA COMMISSION

(Envoyé à la commission des affaires économiques.)

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Mmes Véronique Guillotin, Fabienne Keller, M. Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, Jean-François Rapin, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, René Danesi, Mme Nicole Duranton, MM. Thierry Foucaud, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Claude Haut, Olivier Henno, Mmes Sophie Joissains, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Georges Patient, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert.

Voir le numéro :

Sénat :

452 (2017-2018)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le 19 avril dernier, Mme Gisèle Jourda a déposé une proposition de résolution européenne (PPRE) demandant la renégociation des termes des articles 31 et 32 du règlement (UE) n° 1305/2013 du 17 décembre 2013.

Au premier abord, le sujet peut sembler technique.

Il revêt pourtant, à l'inverse, une dimension particulièrement concrète pour nos agriculteurs : il s'agit, en effet, de la clé de voûte juridique du mécanisme de l'Indemnité Compensatoire de Handicaps Naturels (ICHN) visant à compenser les surcoûts liés aux difficultés d'exploitation dans les zones défavorisées.

Ces indemnités apportent un soutien efficace et souvent indispensable aux agriculteurs installés dans des territoires où les conditions de production sont plus difficiles qu'ailleurs.

Créée en 1976, l'ICHN fait figure de mesure emblématique de la Politique agricole commune (PAC), à titre aussi bien politique, agricole que budgétaire.

Quelques éléments chiffrés permettent d'en comprendre toute l'importance pour notre pays.

L'ICHN joue un rôle majeur dans le développement rural et le maintien de l'activité économique. Elle fait partie des mesures du « second pilier » de la PAC. Elle est financée par l'État à hauteur de 25 %, avec un très fort cofinancement de l'Union européenne (75 %).

Le montant annuel de l'ICHN, en France, a nettement augmenté depuis 2014 pour atteindre 1 milliard d'euros. Au total, le nombre des bénéficiaires s'élève actuellement à 96 000, répartis sur le territoire de 16 120 communes 1 ( * ) , y compris en zone de montagne.

Dans ces conditions, la réforme en cours du zonage de l'ICHN constitue, fort logiquement, un sujet d'inquiétude majeur pour nos territoires et pour nos agriculteurs. Il était, dès lors, particulièrement opportun que le Sénat s'y intéresse.

POINT D'ÉTAPE SUR LA RÉFORME DU ZONAGE DE L'ICHN

Les zones défavorisées constituent des zones soumises à des contraintes naturelles dans lesquelles les agriculteurs sont éligibles à des aides compensatoires de l'Union européenne liées à ce handicap naturel.

On distingue actuellement trois types de zones défavorisées : les zones de montagne, les zones défavorisées dites « simples » (soumises à des contraintes naturelles importantes), et les zones affectées de handicaps spécifiques.

En outre, deux types d'aide coexistent aujourd'hui : l' ICHN « animale » et l' ICHN « végétale ».

L'unité de base pour la délimitation est la commune. Seules les zones défavorisées « simples » et affectées de handicaps spécifiques font l'objet d'une révision destinée à faire suite aux observations formulées par la Cour des comptes européenne, à compter de 2003.

Le classement dans les différentes zones d'ICHN apparaît utile à la fois pour l'application de la PAC (« second pilier ») et pour la politique de cohésion puisque, de fait, le classement en zone de montagne signifie aussi, pour beaucoup d'États membres (mais pas en France), l'éligibilité aux aides européennes de l'ancien objectif 1 de la politique de cohésion, destiné aux régions en retard de développement.

Ce classement mêle des critères géophysiques (altitude, pente...), déterminants pour le classement en « zone de montagne » et des critères socio-économiques (faible productivité, population faible ou en déclin fortement dépendante de l'activité agricole), surtout utiles pour le classement des autres zones défavorisées. Ces critères sont régulièrement modifiés. Sur longue période, depuis 1975, la place des critères géophysiques a diminué au profit des critères socio-économiques. Les modifications réglementaires sont liées à la redéfinition périodique des objectifs du « second pilier ». Les règlements dans ce domaine distinguent toujours les zones de montagne d'une part, et les zones qui présentent des « handicaps » (rédaction de 2005) ou des « contraintes » (rédaction de 2013) autres que ceux des zones de montagne.

La définition des zones se fait à deux niveaux : le niveau européen, qui fixe les critères de classement , et le niveau national , qui les précise ou les adapte . Même si le cadre européen est commun, les législations nationales ne sont pas uniformes. Il existe de nombreuses spécificités nationales ou régionales. L'altitude, par exemple : 1 000 m en Espagne, 200 m en Irlande ; même en France, l'altitude requise pour être une zone de montagne n'est pas uniforme (600 m dans les Vosges, contre 700 m dans le reste du pays). Les pays manifestement montagneux ont élaboré des législations spécifiques, très orientées vers le maintien à l'activité agricole (type « loi montagne » ou équivalent en France, en Espagne, en Italie, en Autriche...). Un critère souvent ajouté est le critère démographique, avec la prise en compte d'une démographie agricole vieillissante.

Les critères de zonage sont aujourd'hui définis par le règlement relatif au maintien du développement rural : les articles 31 et 32 du règlement 1305/2013 du Parlement et du Conseil du 17 décembre 2013. Ces critères sont repris dans des décrets rassemblés dans le code rural, avec quelques adjonctions - par exemple, les zones de haute montagne, ou les zones de piémont (articles D113-16 du code rural et de la pêche).


Les bénéficiaires de l'ICHN

« Les bénéficiaires de l'ICHN sont les exploitants qui exercent une activité agricole dans les zones défavorisées.

L'aide est attribuée aux éleveurs et peut également être versée pour les productions végétales commercialisées dans les zones de montagne. Plusieurs conditions existent pour être éligibles et percevoir l'aide à taux plein :

- être agriculteurs actifs au sens des aides de la PAC ;

- retirer au moins 50% de leurs revenus de l'activité agricole ;

- exploiter la surface minimale requise selon le type d'activité ;

- avoir au moins 80% de leur surface agricole en zone défavorisée ;

- respecter le niveau de taux de chargement pour les éleveurs (autrement dit, le rapport entre le nombre d'animaux et la surface fourragère).

Le montant de l'indemnité varie entre 35 et 450 euros par hectare, avec une dégressivité dans la limite d'un plafond de 75 hectares pour les surfaces fourragères dédiées à l'élevage et 50 hectares pour les cultures commercialisées. Elle se calcule en tenant compte du type de zone défavorisée, de l'importance du handicap et du type d'exploitation (production animale ou végétale).

Dans certaines régions, cette aide peut représenter 30 à 60% du revenu des agriculteurs, voire 80% dans certaines zones se trouvant en haute altitude. Le montant annuel de l'aide peut varier, selon le type d'exploitation et la zone, de 1.700 à 21.500 euros (avec l'application du principe de transparence en ce qui concerne les GAEC), en fonction des types de territoire, de culture et d'élevage. »

Source : site Internet ministère de l'Agriculture

L'Union européenne a décidé, en 2013, d'engager un processus de modification des critères d'éligibilité de ces zones.

La réforme en cours du zonage de l'ICHN ne concernera pas les zones de montagne , mais affectera, en revanche, fortement les deux autres catégories référencées de territoire : les zones défavorisées simples (appelées désormais « zones soumises à contraintes naturelles » ZSCN ), et, en second lieu, des zones affectées de handicaps spécifiques (devenues « zones soumises à contraintes spécifiques » ou ZSCS ).

Cette réforme porterait exclusivement sur des paramètres techniques, en cours de renégociation entre la Commission européenne et les États membres, sans modification, toutefois, de la réglementation européenne (à savoir les articles 31 et 32, ainsi que l'annexe III du règlement n° 1305/2013 du 17 décembre 2013).

L'adoption récente du règlement dit « Omnibus » a, fort opportunément, repoussé d'un an l'échéance du dossier, jusqu'en 2019.

Dès lors, le ministère de l'Agriculture se fixe pour objectif, d'ici à l'été 2018, d'aboutir à un consensus aussi large que possible avec les professionnels et les représentants des territoires sur les nouvelles cartes, avant de les faire valider par la Commission européenne. En revanche, les amendements déposés par les élus français (tendant à accroître les marges de subsidiarité pour améliorer la solidité juridique de l'ICHN, telle qu'elle fonctionne dans notre pays) n'ont pas été adoptés par le Parlement européen.

L'option d'un maintien du statu quo est exclue, dans la mesure où la réforme du zonage correspond aux demandes de la Cour des comptes européenne. Et le sujet fait l'objet de discussions techniques ouvertes en 2009.

ZONES À CONTRAINTES NATURELLES (ZSCN) ET ZONES À CONTRAINTES SPÉCIFIQUES (ZSCS) : QUELLE LATITUDE À DROIT CONSTANT POUR LES AUTORITÉS FRANÇAISES ?

S'agissant des zones à contraintes naturelles (ZSCN), deux conditions doivent être remplies pour que les communes soient incluses dans la carte .

Tout d'abord , il convient qu'au moins 60 % des surfaces agricoles soient concernées par l'une au moins des 8 contraintes correspondant à 8 critères biophysiques.

D'autre part , au regard de données économiques, l'activité agricole dans ces communes ne doit pas avoir surmonté ce handicap naturel . Les critères biophysiques sont définis très précisément par l'annexe III du règlement n° 1305/2013 : la France ne dispose ici d'aucune marge d'appréciation.

Ce point revêt une importance majeure dans la mesure où la Commission a contesté la mise en oeuvre, par la France, du classement en zone ZSCN (en l'espèce le travail de l'INRA) pour 2 de ces 8 critères (le pierrage et le drainage des sols), pour des motifs techniques complexes. Le ministère de l'Agriculture fait valoir qu'il est tenu par cette appréciation. Cela revient, « par ricochet », à déclasser bon nombre de communes dans toute la France pour une superficie totale atteignant, selon les professionnels, 5 % voire 7 % du territoire national.

Les communes exclues des zones ZSCN sont susceptibles d'être « rattrapées » au titre des ZSCS .

D'une façon générale, les États membres peuvent, en effet, y (re)classer de la sorte jusqu'à 10 % de leur territoire national (soit 6,7 millions d'hectares pour la France métropolitaine et l'Outre-mer) grâce à de réelles marges de souplesse juridique.

Pour ce faire, une commune est classée en ZSCN dans deux cas de figure : ou bien (cas particulier concernant environ 300 collectivités) si son territoire correspond à une variante du système des critères biophysiques (à savoir 2 critères combinés au moins , dont l'un avec des valeurs plus basses), ou bien encore et surtout si le territoire de ladite commune répond aux conditions fixées par des « adaptations régionales » .

La définition de celles-ci fait l'objet de la négociation en cours entre la France et la Commission. En fonction des contours précis des critères et des valeurs qui seront choisis in fine , on pourra « récupérer », ou non, telle ou telle catégorie de communes . La France, comme les autres États membres, doit faire valider le dispositif par la Commission.

À ce stade , les orientations arrêtées par les pouvoirs publics français, pour ces « adaptations régionales » ouvrant le classement en ZSCS, reposent sur la définition de deux grandes sous-catégories . Il s'agirait des zones ZSCN dites « élevage extensif » et des zones ZSCS dites « environnement-paysage ».

Les ZSCS « élevage extensif » reposeraient sur 2  critères alternatifs (« autonomie fourragère » ou « polyculture élevage »). Les zones ZSCS dites « environnement-paysage » seraient établies, pour leur part, sur la base de 4 critères alternatifs (« haies », « déprise agricole », « zone humides» ou « surfaces peu productives »).

Les niveaux d'aide envisagés seraient identiques pour les zones ZSCN dites « élevage extensif » et les zones ZSCS dites « environnement-paysage ».

L'ICHN, UN SUJET CONFLICTUEL ANCIEN ENTRE LA FRANCE ET LA COMMISSION EUROPÉENNE

S'agissant, en premier lieu, des zones ZSCN, de nombreuses communes françaises risquent d'être déclassées, du simple fait de la remise en cause, par la Commission européenne, du travail de l'INRA portant sur l'application des critères biophysiques au territoire français.

Malheureusement, il en va de même partout en France, d'autant plus que les administrations françaises ne semblent plus être en mesure de convaincre la Commission européenne de renoncer à imposer sa grille d'analyse dite « Joint Research Centre (JRC) ».

Ce constat souligne à lui seul l'utilité d'une prise de position politique du Sénat sur ce dossier décisif pour les intérêts de notre pays.

En revanche, en ce qui concerne, en second lieu, la délimitation des zones à contraintes spécifiques (ZSCS), tout dépendra des contours de la nouvelle carte nationale en cours d'élaboration, en fonction des critères retenus par la France pour le cadrage national qui sera présenté à l'Union européenne. C'est au ministre de l'Agriculture qu'il appartiendra d'arbitrer entre les multiples demandes provenant des territoires.

En dernière analyse, la France entretient un dialogue difficile avec la Commission européenne sur ce dossier, car il existe une différence de principe entre les deux parties, sur la nature même de l'ICHN.

L'origine de cette divergence avec l'Union européenne est désormais ancienne. Se fondant sur les règles du Gatt, puis de l'OMC, la Commission considère, depuis les accords de Marrakech, que l'ICHN telle qu'elle existe en France est, de facto - au-delà de la politique en faveur de la montagne qui a présidé à sa naissance -, une aide couplée déguisée à l'élevage. Elle fait valoir, a contrario , depuis une vingtaine d'années, la nécessité d'une réforme pour que ces aides figurent, à l'avenir, dans la « boîte verte ». D'où l'insistance de la Commission à ouvrir le bénéfice de l'ICHN aux productions végétales.

Cette position de principe n'a pu être qu'infléchie par les autorités françaises car notre pays se trouverait relativement isolé en Europe sur cette question, en ne bénéficiant que du soutien actif de l'Espagne, de l'Italie et de l'Autriche.

Dans ce contexte, depuis les années 2000, la stratégie des autorités française a consisté à accepter des aménagements successifs pour sauver l'essentiel (c'est-à-dire le maintien de l'économie générale de l'ICHN) tout en gagnant du temps.

Parmi les assouplissements acceptés, au fil du temps, par la France a figuré l'ouverture, à partir de 2015, de l'ICHN aux productions végétales y compris céréalières, limitée aux zone de montagne. Il ne s'agissait, au demeurant, en rien d'une demande des autorités, ou des agriculteurs français.

Or, aujourd'hui, la nécessité, pour des raisons techniques, de revoir les zonages de l'ICHN tend à rouvrir les discussions sur ce sujet, particulièrement sensible pour notre pays, avec un réel risque : envisager, à enveloppe budgétaire fermée, une extension supplémentaire de l'ICHN végétale en zones de piémont ou défavorisées simple conduirait mécaniquement à un « saupoudrage » autant qu'à une diminution du niveau des aides individuelles.

TEXTE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE : UN APPEL NÉCESSAIRE À UNE PRISE DE CONSCIENCE EUROPÉENNE

Au préalable, l'exposé des motifs de la proposition de résolution européenne souligne que la carte présentée aux membres du comité national de pilotage des zones défavorisées, le 20 février 2018, se traduirait par la sortie de 1 341 communes du dispositif. Or une telle issue défavorable entraînerait des conséquences économiques et sociales dévastatrices dans nos territoires, pour les exploitations les plus fragiles.

« Derrière les chiffres se profile en effet un drame humain qui va conduire à la disparition de nombreuses exploitations agricoles, et, en cascade, à un véritable processus de désertification de ces territoires auquel nous allons devoir collectivement faire face. (...) Que va-t-il en effet se passer face à l'appauvrissement de ces territoires ? Une fois les exploitations agricoles disparues, les habitants quitteront ces communes ; commerçants et artisans fermeront alors leurs portes, tandis que les écoles et l'ensemble des services publics, déjà lourdement affaiblis, disparaitront à très brève échéance. »

Ces risques apparaissent particulièrement importants dans la région Occitanie, notamment dans les départements de l'Aude et du Gers.

« C'est ainsi, face au risque de disparition de 55 exploitations agricoles, que les 25 communes de la Piège et du Razès, dans le département de l'Aude, ont décidé de se mobiliser. Les élus de la Piège ont décidé de placer, à l'entrée de leurs communes, des écriteaux « Village à vendre ». L'incompréhension des éleveurs, des habitants et des élus de ce territoire est d'autant plus forte qu'ils se sont beaucoup investis dans la modernisation de leurs exploitations, se convertissant pour beaucoup dans l'agriculture biologique.

Le département de l'Aude n'est pas isolé. Dans le Gers, ce sont 69 communes qui se trouvent exclus du dispositif de zonage. »

L'exposé des motifs de la proposition de résolution s'attache ensuite à présenter les « dégâts collatéraux » de la sortie du dispositif de l'ICHN, pour les agriculteurs des communes concernés, mais également pour l'ensemble de leurs habitants. En effet, d'après le réseau des chambres d'agriculture, un emploi agricole génère, « en amont » et « en aval » de la production, entre quatre et cinq emplois indirects.

« Soulignons également que la sortie de la cartographie des zones défavorisées simples implique pour les producteurs agricoles la caducité des agréments sanitaires, nécessaires pour la vente des produits issus de circuits courts au-delà de la distance de 80km (qui jusque-là, par dérogation du préfet, pouvait aller jusqu'à 200 km).

Enfin, la sortie du zonage entraînera des lourdes conséquences financières pour les jeunes agriculteurs, qui perdront alors la bonification de leur aide à l'installation. »

La proposition de résolution est constituée de six considérants et de trois demandes précises.

Ces six considérants, outre le cadre juridique applicable, explicitent la problématique du sujet. Ils rappellent, tout d'abord, que la négociation en cours avec la Commission européenne risque de se traduire, pour ainsi dire mécaniquement, par une issue globalement défavorable pour la France.

De fait, il n'est « pas prévu que toutes les communes exclues de la révision des carte des zones défavorisées « simples » soient intégrées dans le zonage complémentaire des zones soumises à contraintes spécifiques (ZSCS). »

En résumé, si rien ne change, une bonne partie de nos territoires serait, dans toutes les hypothèses, condamnée à perdre par rapport à l'existant, au terme de la négociation en cours. L'intérêt des échanges avec la Commission européenne se bornerait alors à réduire l'ampleur de cette perte et le nombre de communes touchées, ce qui ne constitue naturellement en rien une perspective satisfaisante.

Trois autres considérants font valoir que « les organismes représentatifs et des élus des territoires affectés ne peuvent se résigner à une telle situation » au regard des enjeux pour « l'économie, la démographie et le devenir environnemental des territoires concernés ». L'impact, pour le secteur de l'élevage, est ici plus particulièrement mis en avant :

« Considérant que, au regard des critères retenus à ce stade par le gouvernement français, cette cartographie se révèle profondément injuste et condamnerait, si elle devait rester en l'état, de nombreux éleveurs à cesser leur activité dont l'équilibre d'exploitation déjà très précaire ne tient souvent qu'au produit des aides liées au classement en zone défavorisée. »

Au terme de ce raisonnement, les trois points de la proposition de résolution européenne visent à sortir de ce cercle vicieux, en tranchant le « noeud gordien » de ce problème difficilement soluble. Se limiter à des négociations avec la Commission européenne sur des paramètres techniques de l'ICHN nous condamnerait à l'impuissance. Il nous faut donc envisager une approche plus ambitieuse, en demandant la révision du coeur du dispositif juridique, c'est-à-dire des articles 31 et 32 du règlement (UE) n°1305/2013 du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader).

La première demande formulée par la proposition de résolution consiste à demander la modification des termes dudit article 31, concernant les critères d'éligibilité des Zones soumises à contraintes naturelles (ZSCN) et à « ajouter des critères obligatoires aux huit critères biophysiques existants », en particulier celui de l'emploi.

Dans cette attente, le second point de la proposition de résolution européenne demande, dès maintenant, « au titre des adaptations régionales autorisées par l'article 32 du règlement précité (UE) n° 1305/2013, de prendre en compte le critère de continuité territoriale pour la définition du périmètre des Zones soumises à contraintes spécifiques (ZSCS), intégrant de ce fait les communes enclavées dans le zonage à contraintes spécifiques qui jusqu'ici se trouvent exclues de la cartographie des zones défavorisées simples. »

Enfin, la proposition de résolution invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.

*

À l'issue de la dernière réunion du comité de pilotage national, organisée le 20 février 2018, la redéfinition du zonage de l'ICHN serait engagée sur les bases suivantes : le nombre des communes « classées », pour l'ensemble de la France, passerait de 10 429 à 14 133, soit un solde positif de 3 704. Il y aurait 5 045 « entrées » et 1 341 « sorties ». Naturellement, pour ces dernières, les effets de seuil auraient des conséquences déstabilisatrices.

Les secteurs de la Piège et du Razès, dans le département de l'Aude en fournissent une édifiante illustration : au regard des critères pris en compte, ils se situent toujours à la limite, mais en-deçà des valeurs minimales requises. D'autres zones géographiques sensibles en Occitanie seraient elles aussi touchées, notamment dans le Gers, le Lot et l'Aveyron. S'y ajouteraient d'autres territoires, en particulier, dans la vallée du Rhône, en Dordogne, mais également dans les Deux-Sèvres, l'Indre-et-Loire, ou le Cher. D'une façon générale, au-delà de ces seuls exemples emblématiques, on retrouve des situations difficiles un peu partout en France.

Au niveau national, le risque d'un « saupoudrage » global des moyens budgétaires, puisque ce solde net positif de 3 704 communes bénéficiaires interviendrait à enveloppe constante, ne peut être ignoré.

Vos rapporteurs ne mésestiment nullement la difficulté de ce dossier. Pour autant, la question de l'ICHN justifie, assurément, une action résolue des pouvoirs publics français, autant que la mobilisation des services du ministère de l'Agriculture. Ces efforts seraient vains, sans une prise de conscience au niveau européen qui, elle, reste à faire.

C'est la raison pour laquelle la présente proposition de résolution européenne, recueille le plein soutien de vos deux rapporteurs, qui proposent, en conséquence, à votre commission des affaires européennes, de conclure à son adoption, sous réserve de deux modifications.

La première prendrait la forme d'un amendement de suppression de la référence au critère de l'emploi agricole, dans le point n°15 de la résolution. En effet, l'ajout d'un tel critère, dont on ne mesure pas totalement l'impact, pourrait, s'avérer contre-productif, dans tel ou tel territoire.

Le second amendement apporterait une précision rédactionnelle importante quant au critère de continuité territoriale, dans le point n°16 de la résolution. Il est proposé d'indiquer que ledit critère intègre « des territoires plus étendus et non uniquement des communes isolées dans le zonage à contrainte spécifique ».

EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le jeudi 17 mai 2018 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par Mme Gisèle Jourda et M. Michel Raison, le débat suivant s'est engagé :

M. Simon Sutour . - Je félicite Mme Jourda pour son initiative. J'observe que son propos, comme celui de M. Raison, a été écouté dans un silence de cathédrale. Car la question est cruciale, même si nous savons que notre tâche sera difficile. M. Botrel a posé, mardi, une question d'actualité au gouvernement sur les dotations aux collectivités locales. Si leur enveloppe globale, en légère augmentation, de 80 millions d'euros, ne bougera pratiquement pas, en revanche, certaines communes très pauvres verront baisser leur dotation, tandis que des communes « opulentes » la verront augmenter. Et l'on ne parvient pas, là non plus, à connaître les critères : la ministre s'est contentée de lire un papier, qui ne nous a rien appris.

Il en va de même pour l'ICHN. On ne comprend pas certaines sorties, ni pourquoi certaines communes, au contraire, entrent dans un dispositif qui se traduit par une cartographie, comme l'a dit Mme Jourda, en « peau de léopard ». Or, si elles ne reçoivent plus d'aide, il n'y aura plus d'agriculture dans ces zones ni d'aménagement du territoire, de paysages, ou même de vie. Mon département n'est pas trop touché, car les zones de montagne sont épargnées, mais tel n'est pas le cas des zones de piémont. Sans aides, ces paysages magnifiques que l'on appelle, en occitan, les bancèls ou les faïsses - les terrasses en français - retourneront à l'état sauvage, avec les risques d'incendie que cela entraîne, de surcroît.

Les gouvernements ne l'ont pas assez pris en compte, et cela jusqu'aujourd'hui : dans le « nouveau monde », l'« ancien monde » se perpétue... Il est bon que nous votions cette résolution, dans laquelle nous demandons au gouvernement de renégocier.

Je me demande si nous ne devrions pas y ajouter un avis politique, pour nous adresser directement à la Commission européenne.

M. Daniel Gremillet . - La France, ne l'oublions pas, est à l'origine de la politique de compensation du handicap, au temps de l'Europe des Six. On est en train de renier les fondements sur lesquels cette compensation avait été pensée, et qui visaient à permettre aux paysans, quel que soit leur territoire, d'exister sur le même marché, grâce à la solidarité de l'État et de l'Europe.

Différentes zones avaient été retenues, comme la montagne, le piémont, sur le fondement de critères objectifs et non de considérations politiques du moment. Il est vrai que l'élargissement a modifié la donne géographique de l'Union européenne, et l'on en est venu à s'éloigner du coeur du principe. Je m'interroge, comme M. Sutour, sur notre marge de manoeuvre.

Sur les nouveaux critères retenus par l'Europe, la France ne s'est pas battue comme elle l'aurait dû. La profession non plus ne s'est pas assez battue au sein des organisations agricoles européennes. Ne pas revenir sur ces nouveaux critères, c'est renier l'ancienne politique de compensation du handicap. Voyez les zones de piémont, qui concernent les Vosges et le Massif Central, plus que les Alpes et les Pyrénées. La montagne n'est pas une, et c'est bien pourquoi la haute montagne avait aussi été prise en compte.

Le sujet n'est pas anodin, car il emporte des conséquences en chaîne, y compris en termes d'aménagement du territoire. S'agit-il bien pour nous de demander un ajustement, ou ne devrions-nous pas, plutôt, remettre en cause, sur le fond, ce qui nous est proposé ?

M. Franck Menonville . - Je félicite nos deux rapporteurs pour cet exercice qui arrive à point nommé. L'ICHN touche au devenir de l'agriculture sur l'ensemble du territoire. Cette politique publique européenne a été bâtie pour que les territoires ayant des handicaps géographiques, climatiques reçoivent compensation, afin de préserver leur compétitivité et une présence économique.

Je tiens à souligner l'opacité qui a marqué ce dossier. À un an des élections européennes, c'est donner une bien mauvaise image de l'Europe. Il faut en analyser les causes et remettre l'ouvrage sur le métier, pour renouer avec la cohérence. Dans mon département, nous avons essayé de comprendre les critères proposés : les explications que nous avons obtenues ont été fort peu claires. Le fait est que ce dossier a été très mal géré depuis le début, et que les gouvernements successifs se sont contentés de se passer la patate chaude.

Nous devons faire preuve de volonté, pour imposer la continuité géographique. Alors que la réforme de la PAC se prépare, il est vital de préserver une agriculture compétitive sur l'ensemble du territoire : l'ICHN est indispensable au maintien de la diversité.

M. Benoît Huré . - Dans une vie antérieure, j'ai été représentant des jeunes agriculteurs, au moment même où l'on imaginait l'ICHN. Les idées et les critères étaient alors beaucoup plus simples, plus lisibles, mais au fil des décennies, la complexification administrative l'a brouillé.

Je remercie nos deux rapporteurs d'avoir accompli ce travail ciselé pour tenter de démêler une affaire qui arrive au plus mauvais moment. A la veille de la réforme de la PAC et d'élections européennes dont on peut craindre le pire, il est de notre devoir d'éviter tout ce qui serait susceptible de ranimer l'« eurobashing ».

La notion de compensation du handicap vise à faire en sorte que quel que soit le territoire, une même production puisse concourir sur le même marché. Nous voulons une agriculture sur l'ensemble du territoire, avec ses effets d'entraînement sur d'autres activités économiques. Quand un pays entre dans l'Union, on prévoit des mesures d'accompagnement. Nous devons nous situer dans le même état d'esprit.

Mieux vaudrait, à mon sens, en rester au statu quo et faire entrer la question dans la renégociation de la PAC. Il est vrai qu'avec ces nouveaux critères, si certaines communes sortent, d'autres sont, en revanche, appelées à entrer, que l'on a fait en quelque sorte rêver. Demandons-leur de prendre patience, pour définir des critères plus lisibles, comme l'altitude, la géologie, le potentiel agronomique.

M. Claude Haut . - Nous soutiendrons cette résolution, dont je remercie Gisèle Jourda d'avoir pris l'initiative. Le ministre de l'agriculture doit prendre l'affaire à bras le corps. On a mal pris la mesure de ce que représente l'ICHN. Sur la PAC, la Commission européenne fait déjà ses annonces, mais sur ce sujet de l'ICHN, le gouvernement français a encore du temps pour agir. Je ne sais si l'on parviendra à conserver à la fois toutes les communes bénéficiaires et à en ajouter d'autres, mais attelons-nous, pour le moins, à définir des critères objectifs. Je ne doute pas que l'on puisse, là-dessus, avancer.

M. René Danesi . - Je félicite à mon tour Mme Jourda de son initiative et M. Raison de son soutien. Nous parlions tout à l'heure des Alsaciens qui vont faire leurs emplettes en Allemagne, mais on pourrait aussi parler à l'inverse des Suisses, qui viennent acheter des fruits, des légumes, de la viande en France, parce que ces produits sont très coûteux chez eux. La Suisse, qui a souffert, lors des deux guerres mondiales, d'être un îlot entouré de belligérants, et qui a dû se rationner, a voulu aller vers l'autonomie, ce qui n'était pas simple dans un pays fait de beaucoup de montagne et de piémont. Cette politique coûte très cher au contribuable suisse, mais le consommateur y adhère : si la Suisse a refusé à deux reprises d'entrer dans l'Union européenne, alors que la banque, la finance, l'industrie menaient campagne pour l'y pousser, c'est bien parce qu'elle considérait que cela signerait la mort de son agriculture.

L'agriculture européenne, de plus en plus mondialisée, reste, même si elle s'est beaucoup « verdie », productiviste. Avec les difficultés budgétaires que connaît l'Union européenne, parce que les Britanniques ont « filé à l'anglaise », elle est tentée d'agir à la baisse sur tous les piliers. Et l'Ouest s'en trouve d'autant plus pénalisé qu'il faut encore se préoccuper de l'Europe centrale, même si elle a tendance à « mal voter »...

Certains ont dit que le dossier avait été mal géré, mais pouvait-il l'être mieux dans ce contexte d'agriculture productiviste, conçue, soit dit en passant, par la France, qui s'était donnée pour objectif de nourrir l'Europe et une partie du reste du monde, tandis que l'Allemagne se concentrait sur l'industrie. Mais aujourd'hui, l'Allemagne a réussi à mettre à flot l'agriculture de l'ancienne Allemagne de l'Est et sa production est supérieure à celle de la France dans le domaine agro-alimentaire. Avec ses plaines de grande culture à l'Est, elle ne sera pas la première à nous soutenir dans la politique de compensation des handicaps géographiques. Peut-on arriver, dans ces conditions, à soutenir l'ensemble de la production agricole française, ou n'est-on pas appelés à faire des choix, ou du moins à définir des priorités ? Pour moi, la compensation du handicap est prioritaire : à demander au Gouvernement français de tout défendre, on risque de ne rien obtenir. Je suis d'avis, pour conclure mon propos, outre notre résolution, de nous adresser directement à la Commission européenne.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Je salue le travail accompli par nos collègues, qui permet de nourrir les réflexions émanant de nos territoires. En Côte-d'Or, il n'y a pas que des viticulteurs : les Hautes Côtes sont des zones de piémont où l'avenir des agriculteurs est en jeu. Les débats sont nombreux et la profession viticole peine à prendre position sur les différents sujets soulevés.

Sur le terrain, des démarches ont été engagées, notamment au titre du volet de continuité territoriale. Il ne faudrait pas que les diverses initiatives s'entrechoquent. Aussi, j'aimerais savoir ce qu'ont donné vos échanges avec la profession.

En outre, si l'on procède à fonds constants, certains professionnels recevront moins de crédits. Méfions-nous de l'effet boomerang !

Mme Colette Mélot . - Je ne connaissais pas cette réforme du zonage, et pour cause, la Seine-et-Marne, le département dont je suis élue, n'est pas concernée, car il ne présente pas de handicap naturel.

J'adhère bien sûr à cette proposition de résolution. Cela étant, je souhaiterais savoir ce qu'il en est à l'échelle européenne : d'autres États de l'Union européenne sont-ils confrontés au même problème, sommes-nous soutenus par d'autres pays ? Nous avons grand besoin d'alliés !

M. Michel Raison . - À ma connaissance, la masse financière fournie par l'Union européenne pour compenser ces handicaps restera la même : nous sommes donc bien face à une bataille de répartition.

M. Benoît Huré . - C'est le piège !

M. Michel Raison . - Je ne ferai pas de reproche à « l'ancien monde », à l'ancien gouvernement, mais j'observe qu'il ne s'est pas précipité pour faire avancer le dossier...

M. Claude Haut . - Nous sommes toujours dans le même monde, monsieur Raison, vous le savez bien !

M. Michel Raison . - Ce n'était qu'un trait d'humour...

Avec la réforme, le nombre de communes concernées serait augmenté de 3 700, et la marge de manoeuvre ne serait que de 50 à 55 communes. Il faut également tenir compte des communes exclues, dont 26 dans l'Aude ; mais ce seul département comptera, en définitive, 112 communes supplémentaires. La situation d'ensemble est donc extrêmement délicate et, au-delà des effets de tribune, il faut être pragmatique.

M. Franck Menonville . - C'est clair.

Mme Gisèle Jourda . - Merci à toutes et à tous de leur contribution au débat, notamment à M. Gremillet, qui a éclairé l'historique de l'ICHN.

Il faut - si je puis dire - entrer à pas pressés dans une politique des petits pas, car cette refonte doit être achevée au 31 décembre prochain : la prochaine réglementation entrera en vigueur le 1 er janvier 2019.

La proposition de résolution porte sur les zones défavorisées, à l'exception des zones de montagne, lesquelles sont sanctuarisées. Cela étant, les communes de piémont peuvent faire l'objet d'un travail complémentaire ciblé.

Vous l'avez tous souligné, la réforme du zonage de l'ICHN inspire l'incompréhension au sein des territoires : à deux kilomètres de distance, une commune peut être classée et l'autre non.

Les agriculteurs et les éleveurs en circuit court ont bénéficié de la règle des 80 kilomètres, mais ils ne peuvent pas vendre leurs produits au-delà de ce périmètre, faute de quoi ils n'ont plus droit à la dérogation. À ce stade du dossier, les agriculteurs susceptibles de sortir du dispositif ne veulent pas entendre parler de mesures d'accompagnement : certaines communes ont encore un petit espoir de se voir appliquer le critère de continuité territoriale. Nous allons demander au Gouvernement d'inscrire ce critère dans la réglementation avant le 31 décembre 2018.

La question fondamentale est la suivante : avec toutes les cartes et les simulations qui ont été accumulées, comment se fait-il que le périmètre ne soit pas encore fixé ? Dans l'Aude, la commune de Bram figurait initialement dans le périmètre, et, au cours des deux derniers mois, elle en a été exclue. Pourquoi ? Mystère ! D'autres communes répondent aux critères géographiques de l'ICHN, mais non aux critères complémentaires. En définitive, les agriculteurs de l'Aude ne bénéficieront pas de compensation, du fait de l'accumulation des critères.

En outre, il faut replacer ce débat dans le contexte d'ensemble : la mise en cause de la politique de compensation, toutes zones confondues.

Les propositions de la profession ont été mentionnées. J'ai donné l'exemple qui m'a conduite à rédiger cette proposition de résolution : par le passé, on a négligé de se saisir de cette problématique, et la profession s'est trouvée démunie, pour ne pas dire prise à la gorge. Un silence assourdissant s'est fait. Ce sont les maires et les agriculteurs qui ont pris l'initiative d'alerter les responsables agricoles, ainsi que les politiques, les élus que nous sommes.

Cela étant, j'infléchis mon propos par la précision suivante : certains secteurs, par exemple dans l'Aude, ont obtenu le classement ICHN, alors qu'ils n'en bénéficiaient pas précédemment et que l'on ne s'attendait pas à leur entrée dans le dispositif.

Enfin, je relève que, pour ce qui concerne ces classements, il n'y a pas toujours d'unité, de conjonction des intérêts au sein de la profession. Nous aurions aimé entendre clairement les différentes voix syndicales. Mais, j'insiste, la date butoir approche : pour nos agriculteurs, l'enjeu, c'est aujourd'hui et maintenant. Il faut donc émettre une position politique claire.

M. Claude Kern . - Ce serait bien !

Nous avons besoin d'alliés, en effet. L'Italie, l'Espagne, l'Autriche sont parmi les pays les plus engagés à nos côtés.

M. Benoît Huré . - Nous sommes à deux ans d'une nouvelle PAC : militons pour le statu quo ! Nous aurons les moyens d'une vraie discussion quand, pour l'heure, nous sommes dans le flou sur les critères.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Nous sommes d'accord sur l'objectif à atteindre. Les acteurs professionnels, dans mon département, me disent avoir engagé des démarches sur la question de la continuité territoriale - ce qui représente une surface de 70 000 hectares. Accordons nos violons, pour ne pas alimenter la confusion, et demandons un gel pour remettre l'ouvrage sur le métier dans le cadre de la révision de la PAC.

Mme Gisèle Jourda . - Le zonage doit entrer en application au 1 er janvier 2019 : on ne peut pas attendre la PAC ! Il nous faut émettre une proposition avant le 31 décembre 2018. Si l'on ne propose rien, les communes concernées ne pourront plus être réintégrées. Proposons des critères objectifs.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Il n'est pas normal de déconnecter cette question de la PAC.

M. Benoît Huré . - N'oublions pas que nous sommes à enveloppe constante. S'il s'agit de partager la gamelle, on ne fera que des mécontents.

M. Jean Bizet , président . - Le coup est parti. Je propose que nous votions la proposition de Gisèle Jourda, avec les deux amendements présentés...

M. Daniel Gremillet . - Il faudrait être plus clairs sur les zones de piémont.

M. Jean Bizet , président . - ... et que l'on alerte, par un courrier, le président Juncker. Ma deuxième proposition est d'organiser une délégation, avec la commission des affaires économiques, pour rencontrer Phil Hogan. L'Europe qui protège doit protéger les citoyens et les filières les plus fragiles, c'est une question de solidarité, j'insiste sur le terme. J'aurais, personnellement, aimé entendre plus fortement la profession. Autant elle s'exprime sur l'approche sociétale de l'agriculture, autant elle reste oublieuse de l'approche économique. Cela me chiffonne.

M. Michel Raison . - « tout en préservant la spécificité de la zone de piémont » : ne pourrait-on ajouter ce membre de phrase, même s'il est vrai que la question est plutôt franco-française ?

M. Daniel Gremillet . - Cela existe aussi en Autriche.

M. Michel Raison . - Ces zones sont aussi difficiles que les zones de montagne, mais ne peuvent y être classée, parce qu'elles n'ont pas l'altitude requise.

M. Jean Bizet , président . - On peut le spécifier dans notre dialogue avec la Commission européenne.

M. Daniel Gremillet . - On peut retenir un critère simple, en retenant la zone de montagne Insee, qui recouvre la zone de montagne stricto sensu et la zone de piémont ICHN. Aujourd'hui, la France s'apprête à passer le piémont par pertes et profits.

De deux choses l'une, soit nous avons la capacité de réunir, pour fin décembre, une majorité de pays qui disent leur opposition, ce qui permettrait de renégocier les critères, soit on accepte un simple redécoupage. Les échéances de la PAC et celles de l'ICHN ne sont pas les mêmes, et c'est pourquoi nous nous trouvons dans une situation terrible.

M. Jean Bizet , président . - Je vous propose de voter la proposition de résolution, de l'adresser à la Commission européenne et de constituer une délégation pour rencontrer le commissaire européen Phil Hogan. Lors de la prochaine COSAC, les 18 et 19 juin, à Sofia, je peux travailler à sensibiliser un certain nombre d'Etats membres, mais nous devons garder présente à l'esprit la date butoir du 31 décembre 2018. Et encore une fois, je regrette que la profession agricole néglige le volet économique, car je n'oublie pas non plus l'autre date butoir, celle de juin 2019, pour la PAC.

*

À l'issue du débat, la Commission adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne dans la rédaction suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE MODIFIÉE

Le Sénat,

Vu le règlement (UE) n° 1305/2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader),

Vu les articles 31 et 32 du règlement (UE) n° 1305/2013,

Vu les résultats du comité national de pilotage des zones défavorisées simples du 20 février 2018,

Vu la présentation, le 20 février 2018, par le Ministre de l'agriculture et de l'alimentation au Président de la République, de la nouvelle carte des « zones défavorisées simples »,

Vu l'absence de publication officielle des critères retenus pour établir la carte relative aux zones soumises à contraintes naturelles que le gouvernement français va présenter à la Commission européenne, pour une mise en oeuvre au 1er janvier 2019,

Vu les déclarations du ministre chargé de l'agriculture et de l'alimentation et du secrétaire d'État chargé des Relations avec le Parlement à l'Assemblée nationale et au Sénat,

Vu les déclarations du commissaire européen à l'agriculture et au développement rural, Phil Hogan,

Considérant qu'il n'est aujourd'hui pas prévu que toutes les communes exclues de la révision des carte des zones défavorisées « simples » soient intégrées dans le zonage complémentaire des zones soumises à contraintes spécifiques (ZSCS) ;

Considérant que, au regard des critères retenus à ce stade par le gouvernement français, cette cartographie se révèle profondément injuste et condamnerait, si elle devait rester en l'état, de nombreux éleveurs à cesser leur activité dont l'équilibre d'exploitation déjà très précaire ne tient souvent qu'au produit des aides liées au classement en zone défavorisée ;

Considérant que les conséquences directes sur l'économie, la démographie et le devenir environnemental des territoires concernés seraient considérables et sans réel espoir d'amélioration ultérieure compte tenu de la réalité des handicaps actuels et de leur aggravation par les conséquences de cette réforme ;

Considérant que l'ensemble des éleveurs concernés, des organismes représentatifs et des élus des territoires affectés ne peuvent se résigner à une telle situation ;

Considérant pourtant que le règlement (UE) n° 1305/2013, prévoit, dans son article 31, que les « paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones de montagne et d'autres zones soumises à des contraintes naturelles ou autres contraintes spécifiques sont accordés annuellement par hectare de surface agricole, afin d'indemniser les agriculteurs pour tout ou partie des coûts supplémentaires et de la perte de revenu résultant de ces contraintes pour la production agricole dans la zone concernée » ;

Considérant pourtant que le règlement (UE) n° 1305/2013, prévoit, dans son article 32, paragraphe 4, alinéa 1 que « les zones autres que celles visées aux paragraphes 2 et 3 peuvent bénéficier des paiements prévus à l'article 31 si elles sont soumises à des contraintes spécifiques et lorsque la poursuite de la gestion des terres est nécessaire pour assurer la conservation ou l'amélioration de l'environnement, l'entretien du paysage rural et la préservation du potentiel touristique de la zone ou pour protéger le littoral » ;

Demande la renégociation des termes de l'article 31 du règlement (UE) n°1305/2013 du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), afin de modifier les critères d'éligibilité des Zones soumises à contraintes naturelles (ZSCN) et d'ajouter des critères obligatoires aux huit critères biophysiques existants ;

Dans cette attente, demande, au titre des adaptations régionales autorisées par l'article 32 du règlement précité (UE) n° 1305/2013, de prendre en compte le critère de continuité territoriale pour la définition du périmètre des Zones soumises à contraintes spécifiques (ZSCS), intégrant de ce fait des territoires plus étendus et non uniquement des communes isolées dans le zonage à contraintes spécifiques qui jusqu'ici se trouvent exclues de la cartographie des zones défavorisées simples ;

Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.

TABLEAU COMPARATIF

Texte de la proposition de résolution
____

Texte adopté par la commission
____

(1) Le Sénat,

(1) Sans modification

(2) Vu le règlement (UE) n° 1305/2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader)

(2) Sans modification

(3) Vu les articles 31 et 32 du règlement (UE) n° 1305/2013,

(3) Sans modification

(4) Vu les résultats du comité national de pilotage des zones défavorisées simples du 20 février 2018,

(4) Sans modification

(5) Vu la présentation, le 20 février 2018, par le Ministre de l'agriculture et de l'alimentation au Président de la République, de la nouvelle carte des « zones défavorisées simples »,

(5) Sans modification

(6) Vu l'absence de publication officielle des critères retenus pour établir la carte relative aux zones soumises à contraintes naturelles que le gouvernement français va présenter à la Commission européenne, pour une mise en oeuvre au 1er janvier 2019,

(6) Sans modificat+ion

(7) Vu les déclarations du ministre chargé de l'agriculture et de l'alimentation et du secrétaire d'État chargé des Relations avec le Parlement à l'Assemblée nationale et au Sénat,

(7) Sans modification

(8) Vu les déclarations du commissaire européen à l'agriculture et au développement rural, Phil Hogan,

(8) Sans modification

(9) Considérant qu'il n'est aujourd'hui pas prévu que toutes les communes exclues de la révision des carte des zones défavorisées « simples » soient intégrées dans le zonage complémentaire des zones soumises à contraintes spécifiques (ZSCS) ;

(9) Sans modification

(10) Considérant que, au regard des critères retenus à ce stade par le gouvernement français, cette cartographie se révèle profondément injuste et condamnerait, si elle devait rester en l'état, de nombreux éleveurs à cesser leur activité dont l'équilibre d'exploitation déjà très précaire ne tient souvent qu'au produit des aides liées au classement en zone défavorisée ;

(10) Sans modification

(11) Considérant que les conséquences directes sur l'économie, la démographie et le devenir environnemental des territoires concernés seraient considérables et sans réel espoir d'amélioration ultérieure compte tenu de la réalité des handicaps actuels et de leur aggravation par les conséquences de cette réforme ;

(11) Sans modification

(12) Considérant que l'ensemble des éleveurs concernés, des organismes représentatifs et des élus des territoires affectés ne peuvent se résigner à une telle situation ;

(13) Sans modification

(13) Considérant pourtant que le règlement (UE) n° 1305/2013, prévoit, dans son article 31, que « les paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones de montagne et d'autres zones soumises à des contraintes naturelles ou autres contraintes spécifiques sont accordés annuellement par hectare de surface agricole, afin d'indemniser les agriculteurs pour tout ou partie des coûts supplémentaires et de la perte de revenu résultant de ces contraintes pour la production agricole dans la zone concernée » ;

(14) Sans modification

(14) Considérant pourtant que le règlement (UE) n° 1305/2013, prévoit, dans son article 32, paragraphe 4, alinéa 1 que « les zones autres que celles visées aux paragraphes 2 et 3 peuvent bénéficier des paiements prévus à l'article 31 si elles sont soumises à des contraintes spécifiques et lorsque la poursuite de la gestion des terres est nécessaire pour assurer la conservation ou l'amélioration de l'environnement, l'entretien du paysage rural et la préservation du potentiel touristique de la zone ou pour protéger le littoral » ;

(15) Sans modification

(15) Demande la renégociation des termes de l'article 31 du règlement (UE) n°1305/2013 du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), afin de modifier les critères d'éligibilité des Zones soumises à contraintes naturelles (ZSCN) et d'ajouter des critères obligatoires aux huit critères biophysiques existants, notamment celui de l'emploi ;

( 15) Demande la renégociation des termes de l'article 31 du règlement (UE) n°1305/2013 du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), afin de modifier les critères d'éligibilité des Zones soumises à contraintes naturelles (ZSCN) et d'ajouter des critères obligatoires aux huit critères biophysiques existants ;

(16) Dans cette attente, demande, au titre des adaptations régionales autorisées par l'article 32 du règlement précité (UE) n° 1305/2013, de prendre en compte le critère de continuité territoriale pour la définition du périmètre des Zones soumises à contraintes spécifiques (ZSCS), intégrant de ce fait les communes enclavées dans le zonage à contraintes spécifiques qui jusqu'ici se trouvent exclues de la cartographie des zones défavorisées simples ;

( 16) Dans cette attente, demande, au titre des adaptations régionales autorisées par l'article 32 du règlement précité (UE) n° 1305/2013, de prendre en compte le critère de continuité territoriale pour la définition du périmètre des Zones soumises à contraintes spécifiques (ZSCS), intégrant de ce fait des territoires plus étendus et non uniquement des communes isolées dans le zonage à contraintes spécifiques qui jusqu'ici se trouvent exclues de la cartographie des zones défavorisées simples ;

(17) Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.

(17) Sans modification


* 1 Site Internet du ministère de l'Agriculture. Page http://agriculture.gouv.fr/quest-ce-que-lichn (mise à jour le 3 mai 2018).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page