B. LA MOINS MAUVAISE DES SOLUTIONS À COURT TERME

D'une manière générale, compenser le manque à gagner d'un impôt sur les bénéfices par un impôt sur le revenu brut n'est pas une solution pleinement satisfaisante . En particulier, les taxes sur le chiffre d'affaires ont pour inconvénient de frapper indifféremment les entreprises qui font du profit et celles qui n'en font pas . Il faut toutefois rappeler que c'est le cas de la TVA elle-même, dont la TSN reprend de nombreux éléments d'assiette et de procédure, et que le seuil de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires au niveau mondial permet de viser des entreprises qui ont de toute façon une capacité contributive substantielle, même en l'absence de profit sur un exercice donné 24 ( * ) .

Les modalités de recouvrement de la TSN suscitent également certaines réserves : dans la mesure où la proposition de directive prévoit une procédure purement déclarative et un contrôle et un recouvrement assurés par un seul État membre au choix de l'assujetti, tout en n'accompagnant ces mesures d'aucun moyen de contrôle spécifique, la TSN pourrait ne pas être recouvrée à sa juste valeur. Ceci dit, un recouvrement même imparfait vaut mieux qu'une absence de recouvrement . En outre, les États membres disposent d'ores et déjà des moyens et procédures de contrôle prévus pour la TVA , notamment via le guichet unique, qui donne globalement satisfaction et pourrait être prochainement étendu. En outre, et contrairement à l'optimisation fiscale légale, une fraude délibérée en matière de TSN ferait courir aux grandes entreprises multinationales concernées des risques juridiques et financiers considérables au regard du « gain » espéré.

Dès lors, et compte tenu du fait qu'un accord international sur les règles applicables à l'impôt sur les sociétés sera difficile à obtenir à court terme, la mise en place d'une taxe transitoire sur le chiffre d'affaires apparaît comme la moins mauvaise des solutions possibles à court terme, en dépit de son caractère imparfait.

Cette solution aurait en outre le mérite d'éviter la multiplication de mesures unilatérales au niveau des États membres, dont l'hétérogénéité est un obstacle à la construction du « marché unique numérique » porté par la Commission européenne et soutenu par l'ensemble des États membres. L'étude d'impact identifie une quinzaine de mesures unilatérales déjà appliquées ou prochainement en vigueur 25 ( * ) , dont le point commun est souvent de porter sur le chiffre d'affaires, compte tenu de l'impossibilité de taxer « justement » le bénéfice : « il est impossible d'anticiper concrètement des mesures unilatérales qui n'auraient pas encore été notifiées [à la Commission européenne], mais il existe un risque avéré que les mesures unilatérales continuent à se multiplier dans un avenir proche . Bien que ni la portée ni les recettes des taxes indirectes pesant spécifiquement sur les entreprises numériques ne soient pour l'instant significatives, on observe un basculement progressif vers l'introduction de taxes indirectes au niveau mondial 26 ( * ) ».

La mise en place d'une taxe temporaire sur le chiffre d'affaires à l'échelle de l'Union européenne apparaît donc, compte tenu de ces remarques, comme pleinement justifiée sur le principe. Toutefois, un soutien au principe ne doit pas interdire d'examiner en détails les caractéristiques de cette taxe, dont certaines peuvent sembler problématiques .


* 24 En d'autres termes, le fait qu'une entreprise ou un groupe de cette taille ne réalise pas de profit témoigne la plupart du temps d'un arbitrage volontaire en faveur de l'investissement, plutôt que d'une incapacité structurelle à dégager un résultat net. C'est d'ailleurs la caractéristique principale du modèle de croissance des « start-up » du secteur numérique.

* 25 Sont concernés les États membres suivants : Hongrie, Royaume-Uni et Italie (taxe sur la publicité en ligne), France, Allemagne, Roumanie, Croatie, Portugal, Belgique, République Tchèque (taxe sur les services numériques et notamment la vidéo pour financer la création cinématographique). S'y ajoutent des mesures anti-abus portant sur l'impôt sur les sociétés (Royaume-Uni, Italie, Slovaquie). S'agissant des pays tiers, il existe des taxes directes et indirectes sur les activités numériques dans les pays suivants : États-Unis, Inde, Canada, Brésil, Israël, Australie. Voir l'annexe 6 de l'étude d'impact pour les détails.

* 26 Source : étude d'impact, section 9.1. Traduction commission des finances.

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