III. LA POSITION DE LA COMMISSION : UNE ÉTAPE INDISPENSABLE AU REDRESSEMENT DE L'AFPA MAIS INSUFFISANTE POUR GARANTIR LE DÉVELOPPEMENT DE SON ACTIVITÉ

A. UN PREMIER PROJET D'ORDONNANCE INSUFFISANT ET PROFONDÉMENT REMANIÉ

A l'issue d'une demi-douzaine de réunions de travail entre le rapporteur du Conseil d'État et les services de la DGEFP, l'ordonnance du 10 novembre 2016 apporte un grand nombre d'améliorations par rapport à la première version du texte élaborée en juillet dernier.

Tout d'abord, le projet d'ordonnance ne définissait pas avec exactitude l es missions de l'Agence. Il ne distinguait pas les missions de service public de celles relevant de la sphère concurrentielle. Il érigeait au rang de mission l'intégration sociale et professionnelle des personnes vulnérables, qui a disparu de l'ordonnance. A l'inverse, il ne mentionnait pas la mission relative aux actions de formation en matière de développement durable et de transition écologique, présente dans l'ordonnance.

Ensuite, le projet d'ordonnance ne répondait pas de manière satisfaisante aux règles européennes relatives aux SIEG . En effet, aucune disposition n'encadrait le montant des compensations versées par l'État, en méconnaissance des règles définies par la décision de la Commission européenne du 20 décembre 2011. Il n'obligeait l'Epic qu'à créer une filiale pour assurer la formation des salariés, sans l'obliger à en instituer une dédiée à la formation des demandeurs d'emploi. Le texte ne prévoyait par ailleurs aucun droit pour les organismes de formation d'utiliser les plateaux techniques de l'Epic, alors qu'ils seront financés par une subvention de l'État justifiée par la mission de certification des titres professionnels assimilable à un SIEG.

Enfin, le projet d'ordonnance accordait une moindre place aux régions que ne le fait l'ordonnance. D'une part, les représentants des régions ne disposaient pas d'un droit de vote majoré, cette prérogative étant réservée aux représentants de l'État. D'autre part, le projet d'ordonnance ne conférait pas au Cnefop le soin de rendre un avis sur la nomination du directeur général de l'Epic.

Plus généralement, les observations du Conseil d'État ont permis de rationaliser la présentation de l'ordonnance, notamment en ce qui concerne son volet immobilier, nonobstant les réserves de votre rapporteur sur le caractère peu lisible de la présentation des missions de l'Agence dans la version finale de l'ordonnance (cf. supra ).

B. DES GARANTIES SOLIDES AU REGARD DU DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA CONCURRENCE QUI DEVRONT ÊTRE CONFIRMÉES DANS LES FAITS

Les échanges soutenus avec les services de la Commission européenne au cours du processus d'élaboration de l'ordonnance et la volonté du Gouvernement de garantir la parfaite conformité de la transformation de l'Afpa avec le droit communautaire ont permis de faire évoluer de manière significative le projet initial. Au terme des auditions qu'il a réalisées, votre rapporteur estime que l'ordonnance offre de fortes garanties théoriques visant à diminuer tout risque de distorsion de la concurrence au profit de l'Epic , mais qu'il convient maintenant de définir les conditions d'une mise en oeuvre assurant à tous les acteurs concernés un accès libre et non faussé aux marchés de la formation professionnelle continue.

Au cours de l'année 2016, le Gouvernement a mené un dialogue avec la direction générale (DG) de la concurrence de la Commission européenne afin de recueillir ses observations sur la réforme envisagée et de lever tout risque d'incompatibilité avec la réglementation communautaire relative aux aides d'État et à l'exercice par une structure publique d'un SIEG (cf. supra ). L'engagement d'une procédure de pré-notification à partir du mois de juillet 2016 a permis de formaliser cette demande d'avis, facultative au regard de l'article 2 de la décision de la Commission européenne du 20 décembre 2011 précitée qui exempte de notification les compensations octroyées , quel que soit leur montant, aux SIEG en matière d'accès et de réinsertion sur le marché du travail .

Au total, sept notes des autorités françaises ont été transmises à la Commission européenne pour présenter la situation de l'Afpa et la création du nouvel Epic. Dans ce cadre, elle a été informée du financement de l'association par l'État dans le cadre du Pasp et de l'émission en 2013, 2014 et 2015 d'obligations associatives pour un montant total de 200 millions d'euros (cf. supra ). Par un premier courrier du 11 octobre 2016, qui n'a pas été transmis à votre rapporteur , la DG concurrence a identifié plusieurs risques en matière de respect des règles de concurrence dans le dispositif envisagé par le Gouvernement. En conséquence, celui-ci a apporté plusieurs modifications à son projet pour y remédier, tenant compte des suggestions formulées par Bruxelles.

S'agissant des activités de l'Epic entrant dans le champ concurrentiel , l'ordonnance rend finalement obligatoire de les confier à des filiales de celui-ci, de statut privé. Alors que sa première version ne prévoyait la création d'une filiale que pour la formation des personnes en emploi, cette obligation a finalement été étendue à la formation des demandeurs d'emploi (cf. supra ).

Afin que le transfert à titre gratuit à l'Epic d'une part importante du patrimoine immobilier de l'État mis à la disposition de l'Afpa ne puisse être considéré comme une aide d'État, les conditions de réutilisation du produit de la cession de certains de ses éléments ont été plus strictement encadrées .

Il était initialement prévu qu'il ne pourrait financer que les investissements nécessaires à l'exercice des missions remplies par l'établissement public dans le cadre du service public de l'emploi (politique du titre ; identification des nouveaux métiers et des nouvelles compétences ; expertise prospective sur l'évolution des besoins des territoires en matière de formation ; appui aux opérateurs du conseil en évolution professionnelle ; formation et qualification des salariés et des demandeurs d'emploi). Au final, c'est l'existence d'un lien direct entre ces biens immobiliers répartis dans toute la France et la mission conférée à l'Epic de contribuer à l'égal accès aux services publics de l'emploi et de la formation professionnelle sur l'ensemble du territoire qui rend cette dévolution conforme au droit communautaire . En conséquence, le nouvel article L. 5315-7 du code du travail prévoit que le produit de la cession d'un bien transféré par l'État à l'établissement public ne peut qu'être réinvesti pour remplir cette mission d'équité territoriale dans l'accès à la formation ou être affecté au budget de l'État.

Par ailleurs, les infrastructures de formation de l'Afpa et transférées à l'Epic ayant été financées par des ressources publiques, la Commission européenne a suggéré d'en faire un outil de la politique régionale de formation professionnelle afin de permettre à ses principaux acteurs d'en bénéficier, moyennant le versement d'une redevance pour service rendu. Absente du projet d'ordonnance, cette mutualisation des plateaux techniques de l'établissement public est finalement ouverte par les nouveaux articles L. 5315-8 et L. 5315-9 du code du travail au profit des organismes de formation habilités par un conseil régional dans le cadre d'un SIEG et de ceux agréés pour délivrer des titres professionnels du ministère de l'emploi ou travaillant au développement des formations à de nouveaux métiers ou à de nouvelles compétences (cf. supra ).

Dans un courrier adressé aux autorités françaises le 28 novembre 2016, la Commission européenne a estimé que les risques juridiques qu'elle avait identifiés avaient été correctement pris en compte dans les versions finales de l'ordonnance et de son décret d'application 84 ( * ) , mettant ainsi un terme à la pré-notification de la réforme à ses services. Si le Gouvernement estime qu'il a ainsi obtenu une validation sans réserves ni nuances de sa transformation de l'Afpa en Epic, il ne faut pas y voir un blanc-seing garantissant la parfaite compatibilité de celle-ci avec le droit communautaire , et ce d'autant plus que la pré-notification reste une procédure informelle et facultative de consultation de la Commission européenne.

Ce sont surtout les conditions de mise en oeuvre de ce texte , et les règles de fonctionnement interne qu'adoptera l'Epic, qui vont déterminer si son intervention dans le champ concurrentiel porte atteinte ou non à la concurrence . Le point principal reste les modalités de facturation des prestations et services fournis par l'Epic à ses filiales , qui exerceront une activité concurrentielle. Elles ne seront pas les employeurs des formateurs, et devront recourir aux locaux et équipements de l'Epic, en particulier à ses plateaux techniques. Selon les informations recueillies par votre rapporteur lors de ses auditions, la méthodologie pour déterminer ces coûts reste à définir , notamment la ventilation des charges indirectes. Il est essentiel qu'une comptabilité analytique robuste soit mise en place et que l'ensemble des charges soient remboursées à prix coûtant afin de mettre un terme à la logique de vente à perte qui caractérisait parfois l'association .

L'objectif doit bien être de tendre à la vérité des coûts , en évitant tout autant les sous-facturations que les surfacturations . La même problématique est posée concernant la mise à disposition des plateaux techniques de l'Epic . Dans l'attente de l'élaboration des cahiers des charges déterminant les modalités de calcul de la redevance pour service rendu qui devra être versée par les organismes utilisateurs, votre rapporteur ne peut que mettre en garde contre toute volonté de retenir des critères qui aboutiraient à rendre purement virtuelle cette mutualisation ou qui, au contraire, ne permettraient pas à l'Epic d'assurer l'entretien de ses installations.


* 84 Décret n° 2016-1539 du 15 novembre 2016 relatif à l'établissement public chargé au sein du service public de l'emploi de la formation professionnelle des adultes.

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