EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. UNE LOI IMPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT, REJETÉE PAR NOS CONCITOYENS ET QUI PARACHÈVE LA DEMOLITION DU DROIT DU TRAVAIL ENGAGÉE DEPUIS PLUSIEURS ANNÉES

A. UNE LOI CONSTRUITE AU MÉPRIS DU DIALOGUE SOCIAL

Depuis 2007, la loi « Larcher » 1 ( * ) impose au Gouvernement d'organiser, préalablement à toute réforme portant sur les relations individuelles et collectives de travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle, une concertation avec les partenaires sociaux représentatifs au niveau national et interprofessionnel 2 ( * ) . A cette occasion, ces derniers peuvent l'informer de leur souhait d'engager une négociation sur le thème retenu en vue de la conclusion d'un accord national interprofessionnel (ANI), ce qui doit en toute logique conduire à une suspension temporaire
de la réforme, dans l'attente de l'achèvement de cette négociation.

En vertu de ces dispositions, qui figurent désormais à l'article L. 1 du code du travail, il revient au Gouvernement de définir le cadrage
de cette concertation, via un document d'orientation qu'il communique aux partenaires sociaux et qui doit présenter un diagnostic de la situation, les objectifs poursuivis par la réforme ainsi que les principales options pour les remplir. Seul un cas de figure prévu par la loi permet au Gouvernement de s'exonérer de cette obligation : l'urgence . Il doit alors justifier, auprès des partenaires sociaux, sa décision de mener une réforme sans la faire précéder d'une concertation.

Lors de la campagne présidentielle de 2012, François Hollande avait pris à ce sujet un engagement fort en affirmant que « tout texte de loi concernant les partenaires sociaux devra être précédé d'une concertation avec eux » (engagement n° 55 de son programme), et que cette règle serait inscrite dans la Constitution. Sur ce dernier point, si un projet de loi constitutionnelle 3 ( * ) en ce sens a bien été déposé à l'Assemblée nationale, il n'a pour l'heure jamais été inscrit à son ordre du jour.

Jusqu'à présent, cette règle avait été respectée par le Gouvernement : les quatre principales réformes gouvernementales traitant du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle adoptées par le Parlement entre 2012 et 2015 ont bien été précédées d'une négociation nationale interprofessionnelle :

- la loi du 1 er mars 2013 portant création du contrat de génération 4 ( * ) , qui fait suite à l'ANI du 19 octobre 2012 relatif au contrat de génération, signé par l'ensemble des partenaires sociaux ;

- la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi 5 ( * ) , qui transpose l'ANI du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels des salariés, signé par le Medef, la CGPME, l'UPA, la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC ;

- la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle , à l'emploi et à la démocratie sociale 6 ( * ) , qui reprend l'ANI du 14 décembre 2013 relatif à la formation professionnelle, signé par le Medef, l'UPA, la CFDT, FO, la CFE-CGC et la CFTC ;

- la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi 7 ( * ) , qui avait donné lieu à une négociation nationale interprofessionnelle dont l'échec a été constaté le 22 janvier 2015.

En revanche, cette procédure n'a pas été suivie pour la loi « Travail » . La feuille de route établie à la suite de la conférence sociale du 19 octobre 2015 a bien mentionné le lancement d'une négociation alimentée par un document d'orientation du Gouvernement portant sur les principes et la méthode de construction du compte personnel d'activité 8 ( * ) . Elle prévoyait néanmoins seulement l'engagement d'une concertation , sans cadre formalisé par écrit, sur la nouvelle architecture du code du travail visant à étendre le rôle de la négociation collective, en particulier d'entreprise, au détriment de la loi.

Les organisations syndicales et patronales auditionnées 9 ( * ) par votre commission lors de l'examen du projet de loi l'avaient confirmé : sur ce texte, l'article L. 1 du code du travail n'a pas été respecté , suscitant de leur part une très forte amertume face à la méthode employée. Elles avaient ainsi l'impression d'assister à un retour à la situation antérieure à la loi « Larcher » , le Gouvernement choisissant soigneusement ses interlocuteurs parmi les partenaires sociaux.

Confronté à cette situation, le Conseil d'Etat, dans l'avis rendu sur le projet de loi 10 ( * ) , s'est trouvé en difficulté pour expliquer que l'article L. 1 n'avait pas été violé. Après avoir reconnu qu'il devait être appliqué en raison de l'ampleur des dispositions du projet de loi relatives à la négociation collective, il a estimé que cet article avait été respecté « dans les circonstances propres aux conditions d'élaboration du projet », sous-entendant ainsi que ces dernières ne se sont pas conformées aux pratiques traditionnelles , et ce sans qu'aucun facteur objectif, notamment l'urgence, ne le justifie.

Ce raisonnement pour le moins surprenant semble reconnaître le bien-fondé, inadmissible aux yeux de votre rapporteur, d'une application à géométrie variable de l'article L. 1 . Surtout, s'il aboutit à la conclusion que le Gouvernement ne se trouve pas en infraction par rapport à la loi « Larcher », il ne se prononce pas sur la nature de la concertation qui aurait été menée. Celle-ci aurait pris la forme d'un simple courrier adressé aux organisations représentatives d'employeurs et de salariés, ce qui ne correspond évidemment pas à l'esprit de cette procédure de concertation sociale préalable approfondie.

En tout état de cause, cette loi est en contradiction complète avec l'engagement pris par le Président de la République de faire vivre le dialogue social au niveau national. Elle a au contraire exacerbé les divisions , tant parmi les représentants des salariés que parmi ceux des employeurs. Elle a surtout fortement contribué à faire naître un climat de défiance entre le Gouvernement et les partenaires sociaux qui n'est pas résorbé et risque de persister, quel que soit le gouvernement qui sortira des urnes au terme des échéances électorales du printemps 2017.


* 1 Loi n° 2007-130 du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social.

* 2 Organisations syndicales : CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC ; organisations patronales : Medef, CGPME, U2P.

* 3 Projet de loi constitutionnelle n° 813 relatif à la démocratie sociale, déposé le 14 mars 2013.

* 4 Loi n° 2013-185 du 1 er mars 2013.

* 5 Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013.

* 6 Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014.

* 7 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015.

* 8 Qui a finalement abouti à une position commune, et non à un ANI, proposée par le Medef et signée uniquement par la CFDT, FO, la CFE-CGC et la CFTC.

* 9 Auditions des mercredi 18 et 25 mai 2016.

* 10 Conseil d'Etat, Avis sur un projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, 17 mars 2016 ; NOR : ETSX1604461L.

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