C. L'EUROPE LIBÉRALE ENCOURAGE LA CONCURRENCE SOCIALE DÉLOYALE À TRAVERS LE DETACHEMENT DES TRAVAILLEURS

La loi « Travail » a poursuivi le renforcement de l'arsenal juridique relatif à la lutte contre les fraudes au détachement , initié par la loi relative à la concurrence sociale déloyale 61 ( * ) , à travers diverses mesures comme :

- l'obligation pour le maître d'ouvrage de vérifier que ses sous-traitants, directs et indirects, ainsi que les entreprises de travail temporaire qui contractent le cas échéant avec elles, déclarent tout détachement de travailleurs 62 ( * ) ;

- l'information obligatoire de l'inspection du travail lorsqu'un salarié détaché est victime d'un accident du travail 63 ( * ) ;

- le versement par tout employeur qui détache ses salariés en France d'une contribution destinée à financer le développement d'une base de données informatisée regroupant les déclarations de détachement 64 ( * ) ;

- la suspension par l'autorité administrative de l'activité d'une entreprise lorsque l'employeur ne lui a pas transmis de déclaration préalable de détachement dans les quarante-huit heures qui suivent ce détachement 65 ( * ) ;

- le renforcement des échanges d'informations relatives aux déclarations préalables de détachement entre les agents chargés de lutter contre le travail illégal 66 ( * ) ;

- l'alignement des droits des travailleurs intérimaires détachés sur ceux dont bénéficient les travailleurs intérimaires salariés d'une entreprise établie en France 67 ( * ) .

Votre rapporteur constate qu' aucune mesure d'application n'a été prise sur ces dispositions , alors même que la lutte contre les fraudes au détachement de travailleurs a été érigée au rang de priorité par le Gouvernement.

Il considère en outre que toutes ces avancées ne sont en réalité que des expédients tant que les deux textes européens qui régissent le détachement de travailleurs n'auront pas été révisés de fond en comble .

Tout d'abord, la directive fondatrice du 16 décembre 1996 68 ( * ) concernant le détachement de travailleurs fixe comme principe que ce sont les règles du pays d'accueil qui s'appliquent en matière de droit du travail . Mais ces règles sont limitées à un noyau dur de droits des salariés peu protecteur, engendrant une concurrence sociale déloyale entre travailleurs en Europe que chacun peut observer sur nos territoires depuis plusieurs années.

Les dispositions de la directive d'exécution du 15 mai 2014 69 ( * ) venue préciser certaines dispositions de la directive de 1996, sans en bouleverser l'économie générale, ont été presque toutes transposées en droit interne par la loi relative à la concurrence sociale déloyale précitée.

Une tentative de révision de la directive de 1996 a été engagée cette année par la Commission européenne mais elle se heurte à de nombreux obstacles, en raison notamment de l'opposition des pays de l'Est qui ont estimé qu'elle pénalisait leurs ressortissants et que le principe de subsidiarité n'avait pas été respecté. Le projet ne comporte pourtant que de timides avancées : application des règles du droit du travail de droit commun du pays d'accueil lorsque la durée du détachement dépassait vingt-quatre mois, respect de la rémunération mensuelle minimale du pays d'accueil et non plus seulement des taux de salaire minimal, possibilité d'imposer le respect des règles nationales à l'ensemble de la chaîne de sous-traitance, ou encore égalité de traitement entre les travailleurs intérimaires détachés et les travailleurs intérimaires établis dans le pays.

Votre rapporteur prend acte des efforts affichés par le Gouvernement pour convaincre les responsables européens de la nécessité de réviser la directive de 1996, compte tenu de ses effets délétères sur les entreprises des pays d'accueil.

En outre, il est urgent de modifier le règlement (CE) 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, qui prévoit que le travailleur détaché demeure affilié à son régime de protection sociale pendant les vingt-quatre premiers mois du détachement. Ce faisant, les travailleurs détachés originaires des pays de l'Est, même s'ils sont rémunérés selon les règles applicables en France, bénéficient par construction d'un avantage comparatif par rapport aux salariés français, de l'ordre de 30 % du salaire brut dans certains cas de figure.

Votre rapporteur ne méconnaît pas la difficulté de recueillir l'unanimité des Etats membres pour réviser ce règlement, mais la concurrence sociale déloyale des travailleurs détachés mine la pérennité de notre modèle social . Face à l'intransigeance de certains pays, la France ne devrait-elle pas prendre des mesures dérogatoires, voire suspendre l'application de la directive, comme Manuel Valls, alors Premier ministre, l'avait lui-même envisagé ?


* 61 Loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale.

* 62 Art. 105 de la loi « Travail ».

* 63 Idem.

* 64 Art. 106.

* 65 Art. 107.

* 66 Art. 109.

* 67 Art. 112.

* 68 Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

* 69 Directive 2014/67/UE du Parlement Européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) n° 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur («règlement IMI»).

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