IV. LES IMPÉRATIFS ÉCONOMIQUES DICTÉS AUX ENTREPRISES CONDUISENT À UNE REMISE EN CAUSE SANS PRÉCÉDENT DES DROITS DES SALARIÉS

A. UN ASSOUPLISSEMENT DANGEREUX DES RÈGLES DU LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE

L'article 67 de la loi « Travail », en vigueur depuis le 1 er décembre 2016, a assoupli les conditions du licenciement économique .

La loi enserre désormais très étroitement l'office du juge lorsqu'il doit apprécier la réalité des difficultés économiques d'une entreprise qui procède à des licenciements économiques.

En premier lieu, votre rapporteur rappelle que la nouvelle définition du licenciement économique est marquée du sceau du libéralisme car, n'étant pas exhaustive, elle autorise l'employeur à licencier un salarié pour tout motif non-inhérent à sa personne et qui résulte d'une suppression ou d'une transformation d'emploi ou encore d'un refus d'une modification d'un élément essentiel du contrat de travail. Si ces termes existaient dans le code du travail avant l'entrée en vigueur de la loi « Travail », l'adjonction du mot « notamment » ouvre le champ des situations pouvant être invoquées par l'employeur pour procéder à un licenciement économique.

En deuxième lieu, un employeur pourra désormais facilement procéder à des licenciements économiques en se fondant sur la durée de sa baisse de commandes ou du chiffre d'affaires .

L'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement sera en effet présumée si l'employeur s'appuie sur des difficultés économiques causées soit par une évolution significative d'au moins un indicateur économique, tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Il suffira en effet à l'employeur à la tête d'une entreprise employant moins de onze salariés de mettre en avant une baisse de ses commandes ou de son chiffre d'affaires pendant seulement un trimestre pour pouvoir procéder à un licenciement économique.

Cette durée passe à deux trimestres pour les entreprises employant au moins onze salariés et moins de cinquante salariés, trois trimestres pour celles employant au moins cinquante salariés et moins de trois cents salariés, et un an pour les entreprises de trois cents salariés et plus.

La loi prévoit donc des durées différentes en fonction de la taille de l'entreprise, ce qui pourrait entraîner une censure du Conseil constitutionnel pour non-respect du principe d'égalité devant la loi 51 ( * ) .

Elle n'a toutefois pas précisé l'ampleur de la baisse des commandes ou du chiffre d'affaires justifiant un licenciement économique :
s'agit-il de 5, 10 ou 30 % ? Aucun décret n'est prévu par la loi pour préciser ce point pourtant essentiel, ce qui signifie que l'employeur dispose d'une liberté d'appréciation totale , sous le contrôle du juge si le salarié conteste son licenciement.

En troisième lieu, les nouvelles règles du licenciement économique risquent d'être rapidement contournées . Le Gouvernement est bien conscient de ce danger car il avait mentionné dans son avant-projet de loi l'interdiction pour l'employeur de s'appuyer sur des difficultés économiques rendues artificielles grâce à des jeux d'écriture comptables ou à des réorganisations de la production au sein d'un groupe . Le texte prévoyait en effet que « ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique les difficultés économiques créées artificiellement à la seule fin de procéder à des suppressions d'emplois ». Face à l'imprécision de cette notion et à son caractère inopérant, le Conseil d'Etat avait tenté de l'encadrer sans toutefois être suivi par le Gouvernement. Cette disposition a finalement été supprimée par un amendement du rapporteur de l'Assemblée nationale dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité en première lecture en application de l'article 49, alinéa 3 de la Constitution.

La ministre du travail rappelle que le salarié pourra toujours contester le bien-fondé de son licenciement devant le juge prud'homal. Mais c'est passer sous silence la difficulté et la lourdeur que représente la constitution d'un recours prud'homal , d'autant que les délais de jugement sont très longs, compte tenu du manque chronique de crédits budgétaires nécessaires au bon fonctionnement des conseils de prud'hommes. En outre, le contrôle exercé par le juge se trouve très encadré à travers la définition dans la loi des situations laissant présumer l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement économique. Nul ne sait actuellement si le juge exercera un contrôle minimum en se limitant à sanctionner l'erreur manifeste d'appréciation de l'employeur ou s'il exercera un contrôle approfondi , voire de proportionnalité . Il y a toutefois fort à parier que de nombreux groupes, notamment internationaux, organiseront de manière ciblée, progressive et déguisée des difficultés économiques dans une entreprise en particulier, en attribuant une large partie de son activité à d'autres entités du groupe ou en cessant d'investir sur le site. Il sera alors très difficile pour les salariés de prouver l'existence d'artifices comptables mis en oeuvre par l'employeur, tandis que le juge prud'homal n'aura pas nécessairement les outils à sa disposition, ni le temps voire la compétence technique pour les détecter.

En dernier lieu, votre rapporteur constate avec regret que la nouvelle définition du licenciement économique consacre dans la loi la notion jurisprudentielle de la nécessaire réorganisation de l'entreprise en vue de sauvegarder sa compétitivité . Utilisée par la Cour de cassation, elle n'aurait pas dû être inscrite dans la loi , selon votre rapporteur, car elle autorise les licenciements économiques avant même la survenue de difficultés économiques , d'autant qu'elle n'est assortie d'aucun critère légal pour l'objectiver. En définitive, la nouvelle définition du licenciement économique illustre les paradoxes du Gouvernement, qui s'est employé à préciser la notion de « difficultés économiques » sans se pencher sur celle de « sauvegarde de la compétitivité » de l'entreprise, pourtant plus floue.

Votre rapporteur ne peut par ailleurs passer sous silence les reculs qu'entraînera l'application des barèmes indicatifs pour fixer l'indemnité forfaitaire accordée lors de la conciliation ou en cas de jugement devant le conseil de prud'hommes 52 ( * ) . Alors que les plafonds retenus dans ces barèmes sont considérés comme trop faibles par de nombreux syndicats de salariés en comparaison avec les indemnités actuellement prononcées, la méthodologie retenue par le Gouvernement pour fixer les planchers dans ces deux barèmes n'a pas été rendue publique . Il est en outre à craindre que les conseillers prud'homaux prononcent à terme des indemnités alignées sur ces montants et n'individualisent plus les sanctions en fonction des spécificités des recours.


* 51 Dans sa décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques , le Conseil constitutionnel a censuré l'article relatif à l'encadrement du montant de l'indemnité prononcée par le conseil de prud'hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, au motif qu'il entraînait une différence de traitement injustifiée entre les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse en fonction de la taille de l'entreprise, sans lien avec les préjudices subis (considérants 148 à 153).

* 52 Décrets n° 2016-1582 du 23 novembre 2016 modifiant le barème de l'indemnité forfaitaire de conciliation fixé à l'article D. 1235-21 du code du travail et n° 2016-1581 du 23 novembre 2016 portant fixation du référentiel indicatif d'indemnisation prévu à l'article L. 1235-1 du code du travail.

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