C. LA LOI DE PROGRAMMATION DES FINANCES PUBLIQUES N'EST PAS RESPECTÉE

Force est de constater qu'une fois de plus, le Gouvernement a recouru à la technique du rabot , insuffisante pour parvenir à une réelle maîtrise de ses effectifs et de ses dépenses : celles-ci comme ceux-là augmentent, à rebours des engagements pris en loi de programmation des finances publiques.

1. Les effectifs repartent à la hausse

La consommation d'emplois constatée au cours de l'année 2015 s'établit, y compris les budgets annexes, à 1 872 796 ETPT 62 ( * ) . Elle est inférieure de 30 928 ETPT au maximum autorisé par la loi de finances initiale et en diminution de 4 563 ETPT par rapport à la consommation constatée en 2014.

Cependant, cette diminution apparente d'exécution à exécution résulte en réalité de mesures de périmètre (- 3 060 ETPT) et de corrections techniques (- 2040 ETPT).

Hors mesures de périmètre et corrections techniques, les emplois de l'État exprimés en ETPT connaissent bien une hausse et non une diminution par rapport à 2014, à hauteur de + 546 ETPT . Les créations d'emplois décidées en cours d'année n'ont donc pas été intégralement compensées par le Gouvernement, de façon contradictoire avec l'engagement de stabilisation des effectifs pris en loi de programmation des finances publiques : l'article 9 de la loi prévoit que « le plafond global des autorisations d'emplois de l'État et de ses opérateurs, mentionné aux articles 54 et 55 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, est stabilisé pour les années 2012 à 2017 ».

Graphique n° 32 : Décomposition de l'évolution du plafond d'emplois
consommé entre 2014 et 2015

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Au surplus, la hausse du plafond d'emplois de l'État sera sans doute encore supérieure en 2016 du fait de l'extension en année pleine des schémas d'emplois 2015 (exprimés en ETP 63 ( * ) et non en ETPT). En effet, alors que la loi de finances initiale pour 2015 prévoyait la suppression de 1 278 ETPT, ont en réalité été créés 6 934 ETP soit une hausse de 9 518 ETP par rapport à l'exercice 2014.

Graphique n° 33 : Schémas d'emplois prévus et exécutés en 2015

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

D'un point de vue qualitatif, le suivi des effectifs et des dépenses de personnel paraît, sur certains points, lacunaire : le Gouvernement n'a pas été en mesure d'indiquer à votre rapporteur général l'incidence budgétaire des titularisations de contractuels dans le cadre de la loi « Sauvadet », pas plus que de fournir une estimation des postes non pourvus en raison de difficultés de recrutement.

2. Les plafonds du budget triennal sont dépassés

À cet abandon de l'objectif de stabilisation des effectifs de l'État s'ajoute le dépassement des plafonds du budget triennal, dont la première annuité n'a pas été respectée 64 ( * ) .

À titre d'exemple, les crédits exécutés de la mission « Agriculture » sont supérieurs de 39,5 % à la prévision du budget triennal, tandis que l'exécution de la mission « Administration générale et territoriale » y est inférieure de 8 % 65 ( * ) .

Au total, les dépenses sont supérieures de près de 3 milliards d'euros aux plafonds définis par le triennal. Ce dépassement est d'autant plus surprenant que 2015 constituait la première annuité d'application du budget triennal défini par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2015 à 2019.

3. Les instruments de gouvernance des dépenses fiscales et des taxes affectées restent, pour l'heure, lettre morte
a) Une démarche d'évaluation des dépenses fiscales qui demeure très insuffisante au regard des enjeux budgétaires

La loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 prévoit deux dispositifs relatifs aux dépenses fiscales : d'une part, elle fixe un plafond sur le montant total des dépenses fiscales et leur montant hors CICE, d'autre part, elle prévoit que les dépenses fiscales et niches sociales créées à partir du 1 er janvier 2015 soient « revues » à l'issue d'une période de trois années. En outre, « le Gouvernement présente au Parlement, au plus tard six mois avant l'expiration du délai pour lequel la mesure a été adoptée, une évaluation de celle-ci et, le cas échéant, justifie son maintien pour une durée supplémentaire de trois années ».

L'efficacité de l'un comme l'autre dispositif paraît très faible.

Le coût des dépenses fiscales en 2015 est estimé à 83,2 milliards d'euros à méthode constante depuis le projet de loi de finances pour 2013, année de référence de fixation du plafond de la loi de programmation des finances publiques contre un plafond de 80,6 milliards d'euros en loi de programmation des finances publiques, soit un dépassement de 2,6 milliards d'euros . Il s'explique, selon les informations transmises par le Gouvernement, « par la montée en puissance du CICE plus rapide que prévue ».

Concernant la « revue » des dépenses fiscales nouvellement créées, trois dépenses fiscales ont été identifiées par le Gouvernement comme entrant en 2015 dans le champ du dispositif :

- la dépense fiscale n° 200206 relative à l'amortissement exceptionnel des immeubles à usage industriel ou commercial construits dans les zones de revitalisation rurale ou de redynamisation urbaine, ainsi que des travaux de rénovation réalisés dans ces immeubles. Cette dépense, dont le coût est inférieur à 500 000 euros, a été prorogée d'un an par l'article 47 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2014 et, d'après le Gouvernement , l'évaluation préalable associée au projet de loi de finances rectificative tient lieu d'évaluation . La dépense n'a pas été reconduite au-delà de 2015 ;

- la dépense fiscale n° 220104 relative à l'exonération d'impôt sur les bénéfices dans les zones de revitalisation rurale pour les entreprises créées ou reprises entre le 1 er janvier 2011 et le 31 décembre 2015, dont le coût s'est élevé à 18 millions d'euros en 2015. Cette dépense fiscale a été aménagée et prorogée par l'article 47 de la deuxième loi de finances rectificative de 2014. De la même façon, l'évaluation préalable associée au projet de loi de finances rectificative est censée être suffisante pour apprécier l'efficacité de la dépense fiscale et la pertinence de sa prolongation ;

- la dépense fiscale n° 230302 relative au suramortissement de 40 % de certains équipements, applicable aux investissements réalisés entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016, dont le coût s'établit à 350 millions d'euros pour 2015. Cette dépense fiscale, créée par amendement dans la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques du 6 août 2015 et prolongée dans le cadre du projet de loi pour une République numérique, est bornée dans le temps : elle s'applique aux investissements réalisés entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2017. Elle devra donc faire l'objet d'une évaluation au plus tard en novembre 2016. Pour l'heure, le Gouvernement se borne à indiquer que « les liasses fiscales permettant d'actualiser le coût de la dépense fiscale sur la base de données constatées n'ont pas encore été déposées ».

Aucune de ces trois dépenses fiscales n'a donc fait l'objet d'un travail d'évaluation distinct de l'évaluation préalable présentée en projet de loi de finances, comme le prévoit pourtant la loi de programmation.

b) Un dispositif ambitieux de maîtrise des taxes affectées qui ne produit pour l'instant aucun effet

Les taxes affectées aux opérateurs de l'État constituent un point de fuite de la dépense publique dans la mesure où elles ne sont pas comptées comme des dépenses et où l'évolution de leur montant n'est pas nécessairement en adéquation avec les besoins de leur affectataire.

Le principe du plafonnement , posé par l'article 46 de la loi de finances initiale pour 2012, constitue une réponse partielle à ce problème : des plafonds de ressources ont été fixés et, en cas de dépassement, il est procédé à un reversement de l'excédent du produit de la taxe au budget général de l'État. Ainsi, le dynamisme d'une taxe plafonnée ne bénéficie plus aux affectataires, au-delà du plafond défini initialement, mais permet de réduire le besoin de financement de l'État.

La loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 devait conduire à renforcer encore davantage l'encadrement de ces taxes affectées : outre une réduction annuelle du total du plafond , était posé le principe d'une alternative entre plafonnement et rebudgétisation à horizon 2017 assorti de l'interdiction de création d'une nouvelle taxe affectée non plafonnée . En réalité, seule une taxe a été rebudgétisée en loi de finances initiale pour 2016, au motif que son produit était insuffisant pour l'opérateur 66 ( * ) .

La réduction du plafond n'a pas non plus été respectée : la réduction de la somme des plafonds pour 2015 s'élève à 274 millions d'euros, contre un objectif fixé à 283 millions d'euros.

Les outils de gouvernance des finances publiques ne paraissent donc pas, pour l'heure, à la hauteur des enjeux budgétaires associés à la maitrise des dépenses fiscales et des taxes affectées aux opérateurs de l'État.


* 62 Emplois équivalent temps plein travaillé.

* 63 Emplois équivalent temps plein.

* 64 Pour mémoire, le budget triennal, défini en loi de programmation des finances publiques, porte uniquement sur le budget général de l'État et les plafonds sont fixés hors contributions au CAS « Pensions » et hors charge de la dette.

* 65 Un tableau général de l'exécution des crédits des missions par rapport aux plafonds du triennal est présenté en annexe du présent rapport.

* 66 Contribution d'archéologie préventive (CAP) dont l'Institut national d'archéologie préventive (Inrap) était l'affectataire.

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