EXPOSÉ GÉNÉRAL

La présente proposition de loi vise, comme son titre l'indique, à réformer le système de répression des abus de marché. C'est également l'objet principal des propositions de lois identiques 1 ( * ) présentées par votre rapporteur et notre collègue Claude Raynal le 7 octobre 2015.

Cette réforme s'impose au législateur en raison de la censure par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 18 mars 2015, des dispositions organisant la répression des délits et des manquements d'initié au motif qu'elles permettaient un cumul des poursuites dans des conditions contraires au principe de nécessité des peines.

Il convient de rétablir ces dispositions dans une version conforme aux exigences constitutionnelles et d'adapter de la même manière les dispositions relatives aux autres abus de marché (diffusion de fausses informations, manipulation de cours ou d'indice), la décision du Conseil constitutionnel leur étant clairement transposable même si elles n'ont pas encore été contestées devant ce dernier.

S'il semble possible de concevoir un système de cumul des poursuites administratives et pénales qui réponde aux critères fixés par le Conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu un arrêt Grande Stevens du 4 mars 2014 qui devrait conduire la France à se conformer au principe ne bis in idem .

L'essentiel reste d'assurer une répression effective, rapide et dissuasive des abus de marché.

En effet, au-delà du gain personnel illicite réalisé par les auteurs de ces agissements et des pertes subies par certains investisseurs, les abus de marchés mettent à mal des intérêts publics primordiaux.

De fait, ces agissements portent atteinte à l'égalité d'accès des investisseurs à l'information financière, qui est consubstantielle de l'organisation des marchés boursiers, comme au fonctionnement même de ces marchés . Ainsi que le souligne la convention du Conseil de l'Europe du 20 avril 1989 sur les opérations financières des « initiés », le délit d'initié, « compromet [...] l'égalité des chances entre investisseurs et la crédibilité du marché ».

Cette crédibilité est d'autant plus compromise que le préjudice résultant de tels agissements est difficilement réparable et fait rarement l'objet d'une action civile, faute d'identification aisée des victimes. Or la confiance dans l'intégrité des marchés constitue une condition essentielle de leur développement et de leur liquidité et leur permet de remplir pleinement leur fonction de bonne allocation des ressources et des risques et de financement de l'économie.

Les abus de marché constituent d'ailleurs en eux-mêmes un facteur de distorsion de cette bonne allocation et l'asymétrie d'information à laquelle ils contribuent est source d'instabilité.

Au-delà donc de la question juridique du cumul de poursuites, la réforme du système de répression des abus de marché doit également être l'occasion d'améliorer celui-ci.

À cet égard, il est heureux qu'à l'occasion de l'examen de la loi n° 2014-1662 du 30 décembre 2014 portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (dite « loi DDADUE »), le Parlement ait, à l'initiative de votre commission des finances, refusé au Gouvernement l'autorisation de réaliser par voie d'ordonnance la transposition de la directive 2 ( * ) et du règlement 3 ( * ) européens sur les abus de marché (dits « paquet MAD-MAR »).

En effet, ces textes conduisent à la refonte des dispositions incriminant les abus de marché, sur le plan tant pénal qu'administratif et fixent aux États membres des plafonds minimum de sanction.

Comme l'indiquait notre collègue Richard Yung dans son rapport 4 ( * ) sur la loi DDADUE fait au nom de votre commission des finances, il n'était pas opportun que le Parlement se dessaisisse de cette « refonte d'ensemble, cohérente et structurante », impliquant des « évolutions [qui] sont relativement peu techniques et peuvent être traitées directement par la loi » et devant être coordonnée avec le « débat sur l'application du principe non bis in idem ».

La présente proposition de loi comme les propositions de loi identiques de votre rapporteur et de notre collègue Claude Raynal visent ainsi à assurer la transposition du parquet MAD-MAR dans le cadre de la nouvelle architecture du système de répression des abus de marché résultant de l'application du principe ne bis in idem .

Ce faisant, l'objectif de la présente réforme doit être double : une Autorité des marchés financiers (AMF) confortée comme régulateur et garante du bon fonctionnement des marchés financiers ; une juridiction pénale renforcée et crédibilisée par des procédures plus rapides et des sanctions plus sévères.

I. LE SYSTÈME DE RÉPRESSION DES ABUS DE MARCHÉ EN VIGUEUR AVANT LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU 18 MARS 2015

A. LE CUMUL DES POURSUITES ADMINISTRATIVES ET PÉNALES DES ABUS DE MARCHÉ

1. La double incrimination des abus de marchés

Les abus de marché font l'objet d'un cumul d'incriminations : ils peuvent à la fois constituer une infraction pénale poursuivie devant le juge répressif et un manquement administratif au règlement général de l'AMF susceptible d'être sanctionné par la Commission des sanctions de cette autorité. Cela concerne : le délit d'initié 5 ( * ) et le manquement d'initié 6 ( * ) ; le délit de diffusion de fausse information 7 ( * ) et le manquement à la bonne information du public 8 ( * ) ; le délit de manipulation de cours 9 ( * ) et le manquement de manipulation de cours 10 ( * ) . La loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013 a également prévu la répression de la manipulation d'indice sur le plan tant pénal 11 ( * ) qu'administratif 12 ( * ) .

Comparaison entre délit boursier et manquement boursier

Source : AMF

a) Le délit et le manquement d'initié

Aux termes de l'article L. 465-1 du code monétaire et financier, le délit d'initié est le fait pour un dirigeant de société ou une personne détenant des informations privilégiées à l'occasion de ses fonctions « de réaliser, de tenter de réaliser ou de permettre de réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations ». Est également sanctionné le fait, pour ces personnes, de communiquer une information privilégiée « à un tiers en dehors du cadre normal de sa profession ou de ses fonctions ».

L'information privilégiée est quant à elle définie par l'article 621-1 du règlement général de l'AMF comme « une information précise qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d'avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers qui leur sont liés ».

Le manquement d'initié reçoit en substance la même définition que le délit, même si, comme le concède dans son rapport le groupe de travail du parquet national financier, « quelques nuances peuvent être relevées entre le délit et le manquement, notamment en ce qui concerne l'élément moral ».

De fait, le manquement d'initié constitue une infraction strictement objective. La Commission des sanctions a ainsi eu l'occasion de rappeler que la circonstance que la transmission de l'information privilégiée soit intervenue de manière involontaire ou maladroite, sans volonté spéculative, n'est pas de nature à exonérer le mis en cause de sa responsabilité « dans la mesure où les éléments constitutifs du manquement, qui est objectif, sont réunis » 13 ( * ) ou encore que l'absence d'intention délictueuse, « à la supposer établie, est sans incidence sur la caractérisation du manquement » 14 ( * ) .

b) Le délit de fausse information du marché et le manquement à la bonne information du public

L'article L. 465-2 alinéa 2 du code monétaire et financier définit le délit de fausse information du marché comme étant le « fait, pour toute personne, de répandre ou de tenter de répandre dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d'un émetteur ou de ses titres admis aux négociations sur un marché réglementé au sens de l'article L. 421-1 ou pour lesquels une demande d'admission sur un tel marché a été présentée [...] ».

Ce délit est plus strictement défini que le manquement à la bonne information du public duquel il se rapproche cependant. En effet, la caractérisation du manquement peut se fonder sur la simple imprécision d'une information voire son absence et n'exige pas que la personne mise en cause ait eu connaissance ou ait eu conscience du caractère trompeur ou inexact de l'information qu'il a diffusée 15 ( * ) .

c) Le délit et le manquement de manipulation de cours

Le premier alinéa de l'article L. 465-2 du code monétaire et financier définit le délit de manipulation de cours comme étant le « fait pour toute personne, d'exercer ou de tenter d'exercer, directement ou par personne interposée, une manoeuvre ayant pour objet d'entraver le fonctionnement régulier d'un marché réglementé ou d'un système multilatéral de négociation en induisant autrui en erreur ».

Comme l'indique le rapport du groupe de travail du parquet national financier, le délit de manipulation de cours « apparaît plus restrictif » que le manquement, car « il exige une manoeuvre de nature à entraver et à induire en erreur alors que le manquement revêt une dimension plus économique et moins morale. Il implique la seule conscience de donner des indications mensongères sur l'offre et la demande d'un titre sur le marché réglementé ».

2. Un système de répression permettant le cumul des poursuites et des sanctions

Les mêmes faits peuvent faire l'objet, de manière cumulative, d'une sanction pénale conformément aux articles L. 465-1 et suivants du code monétaire et financier, et d'une sanction administrative ou disciplinaire conformément aux dispositions des articles L. 621-15 du code monétaire et financier et du livre 6 du règlement général de l'AMF.

La répression administrative est confiée à l'AMF, autorité publique indépendante chargée de veiller à la protection de l'épargne investie dans les produits financiers, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés financiers. À cette fin, elle dispose de pouvoirs de contrôle, d'enquête et de sanction 16 ( * ) .

La répression pénale 17 ( * ) réserve, quant à elle, un rôle particulier au parquet national financier, sous l'autorité du procureur de la République financier 18 ( * ) , qui s'est vu confier une compétence exclusive en matière d'exercice de l'action publique pour la poursuite des délits boursiers.

Système de répression des abus de marché

Source : commission des finances de l'Assemblée nationale


* 1 Proposition de loi n° 19 relative à la répression des infractions financières, présentée par M. Albéric de Montgolfier et proposition de loi n° 20 relative à la répression des infractions financières, présentée par M. Claude Raynal, enregistrées à la Présidence du Sénat le 7 octobre 2015.

* 2 Directive (UE) 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché.

* 3 Règlement (UE) n ° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission.

* 4 Rapport n° 7 (2014-2015).

* 5 Article L. 465-1 du code monétaire et financier.

* 6 Article 622-1 du règlement général de l'AMF.

* 7 Deuxième alinéa de l'article L. 465-2 du code monétaire et financier.

* 8 Article 632-1 du règlement général de l'AMF.

* 9 Premier alinéa de l'article L. 465-2 alinéa 1 du code monétaire et financier

* 10 Article 631-1 du règlement général de l'AMF.

* 11 Article L. 465-2-1 du code monétaire et financier.

* 12 Article 632-1 du règlement général de l'AMF.

* 13 Décision de la Commission des sanctions de l'AMF n° SAN-2005-12 du 21 avril 2005.

* 14 Décision de la Commission des sanctions de l'AMF n° SAN-2009-13 du 11 décembre 2008.

* 15 L'article 632-1 du règlement général de l'AMF dispose que « toute personne doit s'abstenir de communiquer, ou de diffuser sciemment, des informations, quel que soit le support utilisé, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications inexactes, imprécises ou trompeuses [...] , y compris en répandant des rumeurs ou en diffusant des informations inexactes ou trompeuses, alors que cette personne savait ou aurait dû savoir que les informations étaient inexactes ou trompeuses. »

* 16 Cf. le commentaire de l'article 1 er de la présente proposition de loi.

* 17 Id.

* 18 Créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière

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