LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

L'INQUIÉTUDE SUSCITÉE PAR LES TEXTES PRÉPARATOIRES

LE « NON PAPER »

Selon les auteurs de la proposition de résolution européenne, « la Commission travaille à une modification des règles d'identification et de commercialisation des productions viticoles » . En réalité, il y a bien un texte, au statut flou mais au contenu explicite.

En procédant à rebours, le stade final de l'initiative de la Commission est une proposition de règlement, formalisée, imprimée, traduite, diffusée. Le stade avant cette proposition est un projet d'acte, qui est lui-même préparé par un document de travail, un document préparatoire. Les documents sont en anglais. Il peut s'agir d'un « preliminary draft » ou d'un « working paper » . Le cas présent est encore différent puisqu'il s'agit d'un document non daté, non signé, sans en-tête. Un « non paper » , qui est censé donner une piste de réflexion sans engager l'institution, en l'espèce la Commission.

Il y aurait donc plusieurs « non papers » de ce type, dont nous avons eu connaissance. Le principal s'appelle « working document on wine labelling » . Ce document a été transmis aux experts des États membres impliqués dans le processus décisionnel des actes délégués et des actes d'exécution. Il a également été porté à la connaissance des professionnels de la viticulture. Formellement, le Sénat n'avait pas à être saisi de ce texte. De bons contacts avec le milieu viticole ont permis aux rapporteurs de cette proposition de résolution européenne d'en prendre connaissance.

Le rappel de procédure permet d'évoquer un problème de fond, soulevé par notre collègue Simon Sutour en 2013 dans son rapport sur la place des actes délégués dans la législation européenne « Les parlements nationaux peuvent s'inquiéter d'une pratique contraire sur un point important à l'esprit du traité de Lisbonne. Le traité a fait évoluer le rôle des parlements nationaux et leur a confié un pouvoir de contrôle de la subsidiarité. Mais ils ne peuvent exercer leur contrôle de subsidiarité que sur les propositions d'actes législatifs, ce qui n'est pas le cas des actes délégués. Le renforcement des pouvoirs des parlements nationaux dans le contrôle de la législation européenne s'arrête donc au seuil des actes délégués » 1 ( * ) .

LA LOGIQUE DU PROJET DE LA COMMISSION : SIMPLIFIER AU RISQUE DE DÉTRUIRE

Ces textes portent principalement sur les normes de commercialisation, principalement l'étiquetage, les appellations d'origine protégée, les indications géographiques protégées (définies aux articles 93 et suivants du règlement OCM unique). Les vins AOP et IGP représentent aujourd'hui 95 % de la production française. Les mentions traditionnelles ne sont pas mentionnées.

Une appellation d'origine protégée (AOP) sert à désigner un produit, dont la production est limitée à une zone géographique considérée, obtenu à partir de variétés de vigne précisée, et dont « la qualité et les caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement à un milieu géographique particulier et aux facteurs naturels et humains qui leur sont inhérents » . La reconnaissance d'une AOP est proposée par l'INAO et est conditionnée au respect des règles extrêmement rigoureuses (cahier des charges, contrôle, décret...). On compte près de 360 AOP vins en France. (exemples d'AOP : Gigondas, Morgon, Margaux, Corbières...)

Une indication géographique (IG) est une indication renvoyant à une région, un lieu déterminé, qui possède une qualité, une réputation ou d'autres caractéristiques particulières attribuables à cette zone géographique. Il est produit à partir de raisin dont au moins 85 % viennent de la zone géographique considérée. On compte une soixantaine d'IG vins en France. Les IG sont surtout répandues dans les régions viticoles du sud de la France, notamment le vignoble du Languedoc-Roussillon (exemples d'IG : Duché d'Uzès, pays d'Oc...).

Une mention traditionnelle est un critère d'identification d'un vin complétant son indication géographique d'origine : vendanges tardives, premier cru, château, clairet, clos... Comme pour les AOP et les IG, l'enregistrement d'une mention traditionnelle suit une procédure rigoureuse avec demande d'enregistrement, ouverture d'un droit à opposition... certaines mentions traditionnelles ont un impact commercial important (« château », « grand cru »...) C'est l'un des enjeux de la future réglementation.

Dans la réglementation actuelle, les trois sujets - étiquetage, indications géographiques, mentions traditionnelles - sont liés. L'étiquetage renvoie à l'utilisation des labels de qualité et aux mentions traditionnelles. Les appellations ouvrent des droits, notamment celui de l'utilisation des mentions traditionnelles. La Commission européenne proposerait d'éclater cet ensemble, de travailler en horizontal, avec un règlement « normes de commercialisation » qui recouvrirait les questions d'étiquetage, un règlement « indications géographiques et appellations d'origine ». Le cas des mentions traditionnelles n'est pas encore tranché mais pourrait lui aussi faire l'objet d'un règlement séparé.

Ce projet de réglementation revient à nier la spécificité viticole. Il y a une vraie spécificité viticole, du point de vue normatif. Le vin est le seul produit réglementé depuis les plantations jusqu'à l'étiquetage en passant par les pratiques oenologiques.

Mieux, ces règles ne sont pas seulement des règles sanitaires et d'information du consommateur, mais sont des outils de gestion des marchés . L'étiquetage, par exemple, n'est pas rattaché à la réglementation « santé et information du consommateur », mais est un dispositif qui relève de l'OCM vins. Le droit viticole est un levier à vocation économique. C'est en particulier le cas des indications géographiques et appellations d'origine. Deux labels qui servent à segmenter le marché et à valoriser les produits.

On ne peut dissocier étiquetage, labels d'origine et mentions traditionnelles. Ce sont trois règles indissociables, essentielles à la gestion du marché.

Cet avant-projet, même présenté sous forme de « non paper » , suscite beaucoup d'appréhension de la part des milieux professionnels et des États viticoles. Tous gardent en mémoire l'expérience désastreuse de la réforme annoncée des droits de plantation. Il ne faut pas faire les mêmes erreurs, et ne pas s'engager dans une libéralisation débridée du secteur, dans un contexte de grande vulnérabilité.

Cet avant-projet a suscité une forte mobilisation. Les oppositions se sont manifestées au Conseil, au Parlement européen et dans les États membres. La France et l'Italie sont les plus critiques. L'Allemagne, l'Espagne, l'Autriche, tous les États ayant des vins à indication géographique sont mobilisés. Sans même évoquer la spécificité du secteur, argument facile et trop vague qui masque parfois une forme d'entrave au changement, tous demandent de maintenir une cohérence. Étiquetage, indications géographiques, mentions traditionnelles forment un tout. On ne peut parler d'étiquetage sans évoquer l'utilisation des labels géographiques. On ne peut parler de vins à indication géographique sans évoquer les vins sans indication géographique.

Cette opposition a été entendue. Depuis le dépôt de cette proposition de résolution, la situation a beaucoup évolué. Fin février, au vues des critiques de plusieurs députés de la Commission de l'agriculture du Parlement européen, le directeur adjoint de la DG Agri (direction générale de l'agriculture) a annoncé que sa direction « proposerait au commissaire de retirer ce texte et de recommencer un nouveau processus de discussion ». Quelques jours plus tard, le Commissaire européen venu personnellement - et pour la première fois - devant le groupe d'étude du vin du Parlement européen a confirmé qu'il reportait ce texte à l'automne.

La présente proposition de résolution européenne a moins d'acuité. Elle n'en a pas moins de force.


* 1 M. Simon Sutour, La place des actes délégués dans la législation européenne - Sénat n° 322 (2013-2014).

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