D. UN DÉBAT À CONDUIRE À L'ÉCHELLE EUROPÉENNE

Au vu des considérations économiques et juridiques présentées par votre rapporteur, cette proposition de loi apparaît comme un outil inadapté, ne garantissant pas au surplus que l'objectif recherché soit correctement atteint : si elle impose aux entreprises des contraintes et donc des coûts supplémentaires, elle est loin de garantir une prévention complète et efficace des dommages, a fortiori pour des sous-traitants à l'étranger sur lesquels le contrôle d'un donneur d'ordre ne peut être que distant.

En outre, il convient d'aborder la question soulevée par ce texte au niveau de l'Union européenne, afin de concevoir un cadre juridique commun plus adapté en matière de responsabilité sociétale et de prévention des dommages humains, sociaux et environnementaux pouvant résulter, de façon directe ou indirecte, de l'activité des entreprises européennes, tout en veillant à l'égalité de traitement des entreprises au sein Union.

1. Une échéance proche : la transposition de la directive de 2014 sur la publication d'informations non financières

Ainsi que cela a été évoquée supra , la directive du 22 octobre 2014 précitée relative à la publication d'informations non financières va plus loin que la législation française actuelle en la matière, en prévoyant que les sociétés concernées devront rendre compte de leurs politiques de prévention des risques en matière sociale et environnementale, de droits de l'homme et de corruption et de leurs résultats, en précisant les « procédures de diligence raisonnable » mises en oeuvre à cette fin, incluant l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement dans cette démarche.

Les objectifs de cette récente directive, qui devra être transposée au plus tard en décembre 2016, correspondent assez largement aux objectifs poursuivis par la présente proposition de loi, même si les moyens juridiques retenus ne sont pas complètement les mêmes. Le principe de l'obligation de vigilance, au travers d'un plan établi à cet effet, s'apparente aux mesures de diligence raisonnable prévues par la directive.

Dans ces conditions, l'affirmation selon laquelle l'adoption par la France de la présente proposition de loi aurait un effet d'entraînement sur nos partenaires européens en vue de l'adoption rapide d'un texte européen similaire paraît particulièrement infondée à votre rapporteur. En effet, au vu des éléments portés à la connaissance de votre rapporteur par le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), l'adoption en 2014 de la directive précitée rend peu probable, même à moyenne échéance, une initiative de la Commission européenne sur le même sujet. En outre, parmi les nombreux États membres de l'Union par principe réticents à l'instauration de nouvelles contraintes pour leurs entreprises à l'échelle européenne, on trouve aussi les États membres qui sont traditionnellement actifs et moteurs sur les questions sociales et environnementales ou de transparence (Pays-Bas, Scandinavie...).

Votre rapporteur estime donc improbable la présentation au niveau européen d'une initiative analogue à la présente proposition de loi, de sorte que ce texte, s'il était adopté, créerait de façon durable des distorsions de concurrence au détriment des entreprises françaises.

2. Une perspective : la fixation d'un cadre européen commun pour prévenir les atteintes humaines, sociales et environnementales par les entreprises

Aller plus loin que la directive du 22 octobre 2014 précitée suppose préalablement, selon votre commission, qu'un nouveau consensus en ce sens apparaisse au niveau de l'Union européenne, de façon à appliquer les mêmes règles à toutes les entreprises qui interviennent sur le marché européen, dans un véritable cadre commun adapté à l'objectif recherché, écartant tout risque disproportionné de distorsions de concurrence.

En tout état de cause, l'adoption de la présente proposition de loi par l'Assemblée nationale constitue déjà une contribution au débat européen sur la question.

Ce débat avec nos partenaires européens, éclairé par l'adoption de la présente proposition de loi et par l'existence de textes comparables, mais à la portée plus restreinte, dans la législation d'autres États membres de l'Union, devra avoir lieu, le moment venu, sur la base de la directive.

À cet égard, le Parlement européen a adopté une résolution dans ce sens, le 29 avril 2015, à l'occasion du deuxième anniversaire du drame du Rana Plaza 42 ( * ) . Par cette résolution, il « invite la Commission et les gouvernements des États membres de l'Union et des pays tiers à envisager des propositions d'élaboration de cadres contraignants qui garantiront l'accès à un recours et à une indemnisation », en se référant aux normes internationales déjà connues. Le Parlement européen « se félicite du lancement, par la Commission, d'une initiative européenne phare sur la gestion responsable de la chaîne d'approvisionnement dans le secteur du prêt-à-porter, qui tiendra compte des initiatives existantes au niveau national » et considère que « l'Union a la capacité et le devoir de se faire le héraut de la gestion responsable des chaînes d'approvisionnement ». Dans la continuité de la directive précitée, le Parlement européen « juge nécessaire d'adopter, au niveau de l'Union, de nouveaux textes législatifs juridiquement contraignants à l'égard des entreprises de l'Union, pour obliger celles-ci à respecter le devoir de diligence en matière de droits de l'homme lorsqu'elles délocalisent leur production dans un pays tiers ».

Votre commission se place clairement dans la perspective tracée par cette résolution du Parlement européen.

À cet égard, votre rapporteur rappelle que l'Assemblée nationale a également adopté, en juin 2015, à l'initiative de notre collègue députée Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes, une résolution européenne relative à la responsabilité sociétale des entreprises au sein de l'Union européenne 43 ( * ) .

Aux termes de cette résolution, qui rappelle le « rôle moteur que doit avoir la France en matière de responsabilité sociétale des entreprises », l'Assemblée nationale juge « nécessaire que la responsabilité sociétale des entreprises soit inscrite en tant que telle dans le droit européen sous une forme contraignante » et qu'elle s'applique à « l'ensemble des entreprises ayant leur siège social dans un État membre de l'Union européenne ». Invitant la Commission européenne à « présenter dans les meilleurs délais une proposition législative ambitieuse », cette résolution envisage que le droit européen fixe des « obligations précises en matière de devoir de vigilance des entreprises vis-à-vis de leurs relations d'affaires, de leurs filiales, de leurs sous-traitants et de leurs fournisseurs à même de prévenir effectivement l'ensemble des risques humains, sociaux et environnementaux », en les assortissant de « sanctions effectives, proportionnées et dissuasives ».

Pour satisfaire à ces objectifs, que partage votre commission, le texte soumis à son examen paraît inadapté et prématuré, en raison tant de ses déficiences juridiques que des risques économiques qu'il ferait porter sur les seules entreprises françaises. Une réponse européenne reste à élaborer, mais la directive du 22 octobre 2014 précitée en constitue une première étape.

* *

*

Au vu de ces arguments juridiques, économiques et européens, votre commission, à l'initiative de son rapporteur, a rejeté la proposition de loi.

En conséquence, en application de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte adopté par l'Assemblée nationale.


* 42 Cette résolution est consultable à l'adresse suivante :

http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+TA+P8-TA-2015-0175+0+DOC+PDF+V0//FR .

* 43 Cette résolution est consultable à l'adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/responsabilite_societale_entreprises_UE.asp .

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