EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le jeudi 30 octobre 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport de MM. Gérard Longuet et Thierry Foucaud, rapporteurs spéciaux sur la mission « Enseignement scolaire ».

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Avec 66,4 milliards d'euros en crédits de paiement pour 2015, la mission « Enseignement scolaire » constitue le premier budget de la France, du moins tant que les taux d'intérêt restent mesurés... Elle figure parmi les seules missions du budget de l'État dont les crédits augmentent (+ 2,21 %), alors même que les effectifs sont stables, dans le primaire comme dans le secondaire. Cette tendance devrait se poursuivre : sur l'ensemble de la programmation triennale 2015-2017, les crédits de la mission progresseront de 1,31 %.

Dans cette mission, 93 % des crédits sont alloués à des dépenses de personnel. Le plafond d'emplois de la mission représente à lui seul 43 % du total de l'État au sens large. Le moindre éternuement sur le statut des personnels a donc un impact budgétaire massif.

Le projet de budget qui nous est soumis présente des aspects positifs. Ainsi, certains auxiliaires de vie scolaire pourront prétendre à un contrat à durée indéterminée (CDI) après six années de contrat à durée déterminée (CDD). L'État respectera ainsi ses obligations, comme tout autre employeur. Les efforts des précédents gouvernements pour améliorer la scolarisation des enfants handicapés seront également poursuivis. Enfin, le renforcement de la formation initiale des enseignants, pour complexe que le dispositif en puisse apparaître, est bienvenu : il s'agit d'un des paramètres de la performance de notre système scolaire.

En revanche, ce budget comporte deux biais majeurs. Il se concentre sur la question des effectifs d'enseignants, comme si c'était la seule solution à tous les problèmes, et il laisse de côté des questions plus fondamentales. Qui sont les élèves et comment l'enseignement devrait-il être organisé pour eux ? Une politique conservatrice des effectifs se substitue à une réflexion qualitative plus globale sur l'offre scolaire.

Nous connaissons les enjeux comme élus, parents, voire grands-parents : décrochage scolaire, persistance voire accroissement des inégalités selon l'origine sociale des enfants, résultats très médiocres des élèves français dans les comparaisons internationales. L'unique réponse du Gouvernement semble consister à augmenter les effectifs. Ainsi, 9 561 postes seront créés en 2015, pour un coût direct annuel de 300 millions d'euros - à multiplier par les quarante années de vie professionnelle - et un coût indirect considérable, dans le primaire comme dans le secondaire, lié à la formation.

Cette politique du chiffre se heurte à une réalité qui n'avait pas été prévue lorsque le Président de la République a pris l'engagement de créer 60 000 postes supplémentaires dans l'éducation, mais l'analyse de l'exécution 2013 fait apparaît un faible rendement des concours : seulement 72 % des postes ont été pourvus dans le second degré. Dans les académies de Créteil et Versailles, le taux d'amission s'élève à plus de 60 % au concours externe 2014 de professeur des écoles, ce qui est problématique : la poursuite de cette politique du chiffre ne risque-t-elle pas de se traduire par une diminution du niveau attendu aux différents concours de recrutement ? Le turnover de la profession augmente. Si les plus anciens retardent leur départ en retraite pour bénéficier du taux plein, les départs en cours de carrière se multiplient. Il faut en tenir compte.

La politique d'augmentation des effectifs se traduit par une diminution du contingent d'heures supplémentaires effectivement réalisées depuis 2012, de sorte que l'offre scolaire n'augmente pas en proportion du nombre de postes. C'est la contrepartie de ce qui a été fait entre 2007 et 2012, où la réduction apparente des effectifs était compensée par le maintien de l'offre scolaire, grâce à toutes sortes d'artifices, par exemple en augmentant les heures supplémentaires ou en jouant sur la comptabilisation des stagiaires. Ne vaut-il pas mieux des professeurs qui travaillent plus, sont mieux payés, plus présents et deviennent expérimentés que des effectifs plus nombreux, qui travaillent moins et quittent plus facilement l'enseignement parce qu'ils n'y trouvent pas leur compte ?

Le foisonnement des options, en particulier dans le secondaire, a un coût et il renforce les inégalités. Bien sûr, comme sénateurs, nous nous attachons à défendre nos établissements. Mais les moyens dépensés dans les régions qui perdent des habitants manquent cruellement dans celles qui en gagnent.

L'augmentation des moyens ne s'est pas traduite par une amélioration des résultats enregistrés par le système scolaire français. Les rapports anciens sur le sujet reflètent la nostalgie d'une école du passé idéalisée. Le système d'évaluation actuel permet du moins des comparaisons internationales. Le système scolaire français y enregistre des résultats moyens, voire médiocres, et déclinants. Surtout, l'écart entre les élèves les plus forts et les plus faibles tend à s'accroître. Cela n'augure rien de bon, et témoigne des effets limités de l'école républicaine sur l'ascension sociale.

Dans Comment sommes-nous devenus si cons ? , Alain Bentolila considère que cette stagnation du niveau des élèves français tient à la fois à des facteurs exogènes et à des phénomènes plus profonds, à des effets de groupe. Je suis très préoccupé de l'avenir des jeunes hommes dans notre pays

Mme Michèle André , présidente . - Vous avez raison...

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - La télévision et les jeux vidéo, le sport et l'extrême aboutissent à ce que les petits garçons rejettent l'éducation comme féminine et considèrent la lecture comme un refus d'intégration dans le groupe. Ce budget ne traite en rien les problèmes de la société. Les aborder serait pourtant plus intéressant que de remplir le tonneau des Danaïdes.

Il n'y aura pas de réussite scolaire sans un renforcement de l'autorité du chef d'établissement sur les élèves, comme sur leurs familles : tant qu'il n'y aura pas une menace crédible d'exclusion, cette autorité, partant, celle de l'enseignant sur la classe restera trop faible. Le statut matériel et juridique du principal, du proviseur et du directeur d'école est crucial. Voilà les raisons pour lesquelles je vous propose de réserver notre position sur les crédits de cette mission afin de nous laisser le temps d'obtenir d'autres explications.

Quant à l'article 55 rattaché à la présente mission, qui prévoit la prorogation partielle du fonds d'amorçage des rythmes scolaires, le compte n'y est pas. Le Gouvernement, qui a décidé seul de cette réforme, devrait en assumer les conséquences et trouver un financement pérenne. Ce n'est pas le cas pour l'instant. C'est pourquoi, je vous propose également de réserver cet article. Entre deux mauvaises solutions, mieux vaut choisir la réflexion. Si nous votons contre, les communes auront le sentiment que nous les abandonnons ; si nous votons pour, elles croiront que nous entérinons une réforme qu'elles récusent.

M. Thierry Foucaud , rapporteur spécial . - Je partage les remarques sur les élèves handicapés ou sur les concours de l'Éducation nationale. Je suis plus réservé sur ce qui a été dit de la politique du chiffre, d'autant que le Gouvernement précédent avait supprimé 80 000 emplois en cinq ans. Cette politique de recrutement est nécessaire, cela ne fait aucun doute. Le problème vient de la manière dont elle a été mise en oeuvre depuis 2012. Nous nous sommes heurtés au refus permanent de reconstituer un vivier d'enseignants mieux formés - les emplois d'avenir professeur ne remplacent pas un vrai pré-recrutement. Les derniers concours de recrutement n'ont pas attiré suffisamment de candidats. Par ailleurs, l'échec des candidats recalés s'explique bien souvent par le fait qu'ils ne disposaient pas des bonnes conditions pour réussir, c'est-à-dire de la possibilité d'étudier et de se préparer aux épreuves plutôt que d'officier comme remplaçants devant une classe.

Un plan pluriannuel de recrutement par discipline, s'appuyant sur les prévisions de départs à la retraite faciliterait les créations de postes tout en donnant de la visibilité aux étudiants souhaitant s'engager dans cette voie. Nous aurions d'ailleurs tout intérêt à relire le bon rapport sur le métier d'enseignant présenté en 2012 au nom de la commission de la culture par notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin.

L'on nous dit que les coûts ne cessent d'augmenter. Oui, pour les familles et les collectivités, mais pas forcément pour l'État.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Exact !

M. Thierry Foucaud , rapporteur spécial . - Beaucoup de remarques se fondent sur des analyses déjà obsolètes, datant de 2005 et 2010. Les surnombres, par exemple, ont été fortement réduits par les 80 000 suppressions de postes. Idem pour la question des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED). Il est tout à fait normal de constater une diminution des heures supplémentaires, dans la mesure où il y a eu une embauche d'enseignants. Je ne partage pas le point de vue de mon collègue sur ce sujet.

Quant aux rythmes scolaires, ou bien nous nous rallions à la solution qui a été préconisée, ou bien nous proposons un amendement afin de pérenniser les aides. Comme Gérard Longuet, j'utilise mon « joker » et demande le temps de la réflexion. Le Premier ministre a annoncé la pérennité des aides dans les zones sensibles et celle des aides provenant des allocations familiales - disposons-nous de moyens suffisants ? Durant la récente campagne sénatoriale, cette question préoccupait fortement les élus ruraux.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je vous remercie pour votre présentation de cette mission importante. La multiplicité des options offertes au choix des élèves est une particularité française. Elles sont parfois coûteuses. Sont-elles vraiment nécessaires ? Le budget de l'Éducation nationale, le premier de l'État, est consacré à 93 % aux dépenses de personnel. À combien estime-t-on les effectifs d'enseignants sans affectation ? Les professeurs d'allemand, notamment, seraient sous-employés. Il me semble sage de suivre les recommandations du rapporteur sur l'article 55, car l'Assemblée nationale nous transmettra une version sensiblement modifiée du dispositif.

M. Roger Karoutchi . - J'ai enseigné pendant longtemps en Île-de-France, avant de devenir inspecteur général, puis de représenter la France à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) où j'ai âprement négocié sur le Programme international pour le suivi des acquis de l'élève (PISA). Nous regardons avec une décontraction étonnante notre système éducatif se défaire. C'est de la folie ! Depuis quinze à vingt ans, le niveau des élèves est en chute libre. Il est scandaleux de recruter des maîtres à tout prix, comme si leur mission se résumait à de la garderie, comme si l'école était une crèche. Nous cédons à l'obligation de faire du chiffre, à la pression des lobbies. Plutôt que de réfléchir, nous nous dispersons. Quand j'ai présidé un jury de bac, 27 options mobilisaient 27 enseignants, pour un seul élève parfois. Il est urgent de revenir aux fondamentaux pour que l'on ne puisse plus avoir son bac, grâce aux options et pas aux matières générales. Il faut avoir le courage de dire que notre système va à vau-l'eau.

Recentrons l'éducation sur ce qu'elle doit être : cinq ou six matières essentielles, connues et maîtrisées par des enseignants compétents. Créer 9 500 postes ne suffit pas. Pourquoi n'y aurait-il pas en Seine-Saint-Denis des enseignants de la même qualité qu'ailleurs ? Parce qu'on y envoie n'importe qui pour remplacer ceux qui ne veulent pas y aller. Sans un recentrage des matières et des compétences, le système explosera. On est devenu fou : on n'apprend plus le français, mais le secourisme ! On annonce que le prochain rapport PISA sera encore plus calamiteux. Dans un système à bout de souffle, nous ne pouvons pas en rester au quantitatif.

Mme Michèle André , présidente . - Nous devrions aller à la commission de la culture pour regarder le contenu des programmes.

M. Vincent Delahaye . - Roger Karoutchi a raison : de la qualité plutôt que de la quantité ! Je remercie le rapporteur pour son travail documenté. Un tableau manque, néanmoins, que j'avais déjà demandé l'an dernier, pour évaluer le nombre d'élèves par classe et par enseignant. Il faudrait aussi décomposer les 989 000 emplois entre enseignants et non-enseignants pour mesurer l'évolution globale des personnels.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Il y a 12 millions d'élèves et 1 million d'enseignants.

M. Vincent Delahaye . - Les 989 000 postes ne sont pas tous occupés par des enseignants. Le Premier ministre a annoncé une aide de l'État pour achever la mise en place des nouveaux rythmes scolaires. Son montant serait de 307 millions d'euros. On a le sentiment d'une sous-dotation. Combien manquerait-il ?

M. Serge Dassault . - Le problème scolaire ne date pas d'aujourd'hui. J'ai été maire d'une commune difficile, avec un fort taux de délinquance. Chaque année, 150 000 élèves sortent du circuit de l'Éducation nationale, sans connaissances ni compétences, sans métier ni ambition. Ils enchaînent collège, lycée, un ou deux ans d'université, puis plus rien. Ce n'est pas terrible pour un tel budget.

Le collège unique empêche la mise en place d'un enseignement professionnel organisé. Il gagnerait à être divisé en deux sections, l'une pour la formation professionnelle, l'autre pour la formation supérieure. Il n'y a plus de sélection, plus de note, plus de sanction, plus de récompense, bref plus de discipline. Le certificat d'études a été supprimé. Il vérifiait l'acquisition du socle commun de connaissances, à la sortie du primaire. Désormais, tout le monde passe au collège, sans forcément savoir lire, ni écrire. Il faut refuser ce budget, plein de dépenses inutiles.

M. Maurice Vincent . - J'ai entendu des remarques caricaturales. Le système est fortement perfectible ? Il a quand même donné quelques prix Nobel, récemment, et beaucoup d'autres réussites, sans doute. Pour discuter de ce budget global, notre approche doit être la plus large possible. Je récuse l'expression « politique du chiffre ». Grâce à la création de nouveaux postes, nous avons rattrapé notre retard et renforcé l'encadrement là où c'était nécessaire, avec le dispositif « plus de maîtres que de classes ». De récents rapports du Sénat montrent que la formation des maîtres, réorganisée avec succès, renforce la capacité des étudiants à apprendre leur métier d'enseignants.

Déjà, sous le ministère de Luc Chatel, la réforme des rythmes scolaires apparaissait comme une nécessité. On s'interrogeait pourtant déjà sur leur coût, avec la certitude que les communes ne seraient pas entièrement remboursées. Un effort réel a été réalisé par l'État.

Les performances de notre système éducatif doivent être améliorées. Il faudrait corriger cet effet pervers qui veut que l'argent, les meilleurs professeurs et le meilleur taux d'encadrement bénéficient à des élèves sélectionnés et déjà très bons. Chacun sait qu'un élève brillant donnera des résultats remarquables. Il faudrait réfléchir à d'éventuels redéploiements.

M. Richard Yung . - Le système éducatif français, c'est le système mandarinal par excellence : tout y dépend de la réussite aux concours, alors que la moitié du travail des enseignants consiste dans la pédagogie : comprendre les équations, c'est bien, savoir les enseigner, c'est encore mieux. Leur formation pose problème. Si l'enseignement primaire français est très bon - on nous demande d'ailleurs de plus en plus souvent à l'étranger de créer des écoles primaires françaises...

Mme Michèle André , présidente . - Absolument !

M. Richard Yung . - ... il en va, hélas, autrement de l'enseignement secondaire. Cela tient pour une bonne part au statut de nos enseignants, déconsidérés, mal formés et mal payés. On a rétabli ce que l'on appelait autrefois les Instituts universitaires de formation des maitres (IUFM) : espérons que cela aide à remonter un peu la pente. Cela étant, ce budget comporte des éléments positifs, je le voterai sans réserve.

M. Marc Laménie . - Je m'efforcerai d'être bref, sous peine que notre commission des finances se transforme en commission « éducation et culture ». Sur une masse financière de 66 milliards d'euros, 90 % sont affectés aux personnels. Quelle proportion de ces effectifs est réellement affectée sur le terrain, combien d'entre eux, employés dans la hiérarchie, du ministère aux inspections d'académie, n'enseignent pas du tout ? Nous autres élus de base n'avons pas voix au chapitre sur ces sujets.

Ce système va à vau-l'eau, et nous ne pouvons que constater le gâchis financier. Que fait-on pour remédier à l'absentéisme et à la multiplication des arrêts de travail sans remplacement qui portent préjudice aux enfants ?

M. Francis Delattre . - Mon département doit gérer des ghettos sociaux où l'enseignement est très difficile. Les inégalités du système éducatif sont criantes : pour 1,2 million d'habitants, nous n'avons pas une seule classe préparatoire aux grandes écoles. Est-ce un drame ? Face aux inégalités, des initiatives surgissent sur le terrain. L'université de Cergy-Pontoise, par exemple, est maintenant le neuvième ou le dixième pôle mathématique. Et cette université a des résultats : ma modeste commune a produit Jean-François Clervoy, un des rares astronautes à avoir voyagé sur les navettes américaines. Quant au secteur de l'habillement et de la mode, il est très dynamique à Sarcelles. Ce système éducatif, qui se veut élitiste, l'est de moins en moins sur le terrain.

Tout se joue pour les enfants entre quatre et huit ans. Nous avons mené des expériences de classes bilingues immédiatement après la maternelle, avec des résultats étonnants. N'est-ce pas là qu'il faut concentrer les moyens, plutôt que dans un système qui ne produit pas ce que le marché, la civilisation et la mondialisation attendent ? Quoique le rapporteur soit de ma famille politique, je ne partage pas entièrement sa critique des rythmes scolaires. Le problème, ce sont les inégalités qu'ils engendrent : seules les communes qui ont les moyens créeront des tiers temps pédagogiques intéressants. Les jeunes de nos quartiers savent qu'il y a davantage d'emplois à prendre dans la culture, le sport ou les arts que dans la métallurgie : proposons leur une ouverture intelligente. Pour les 120 000 jeunes qui quittent le système sans aucune formation, l'apprentissage n'est qu'une issue parmi d'autres. Sortons de ce classicisme qui se voulait élitiste. Roland Drago dispensait de magnifiques cours sur les libertés publiques à Assas, mais l'université de Cergy-Pontoise offre une formation aux emplois municipaux, et ceux qui en sortent ne restent pas sur le carreau. Vivent les inégalités !

M. Philippe Dominati . - Je ne trouve pas du tout que le rapport soit caricatural. Il pose plusieurs questions pertinentes. Au-delà du débat gauche-droite sur les effectifs, le problème est de savoir ce qu'ils représentent dans le budget global. Les personnels ont-ils les moyens de remplir leurs missions ? Il semble que non : alors que nous avons 1,5 million d'élèves de moins que l'Allemagne, nos budgets de l'éducation sont à peu près équivalents. Et les enseignants allemands sont bien mieux payés : près d'un tiers de plus que les français. Il semblerait que notre handicap réside dans nos infrastructures : pour 15 000 lycées en Allemagne, il y en a 37 000 en France. Une politique d'aménagement du territoire est-elle envisagée pour y remédier ?

Je souhaiterais par ailleurs ajouter, même si cela est une question annexe, que la drogue se diffuse particulièrement dans les établissements scolaires. Si le malaise entre ministères de l'intérieur et de l'éducation sur ce point est perceptible, je me demande comment ce dernier travaille à trouver la bonne solution.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Nous avons entendu un excellent rapport, qui donne lieu à un débat fort. Je suis pour ma part opposée à la création de nouveaux postes : nous n'avons pas les moyens d'une telle fuite en avant. Nous venons d'assister à un tour de passe-passe budgétaire à hauteur de 3,6 milliards d'euros pour faire plaisir à Bruxelles, en voilà assez : efforçons-nous de fonctionner désormais à budget constant, et d'accroître la qualité plutôt que la quantité.

Je ne croyais pas aux rythmes scolaires, mais je me suis efforcée de les mettre en oeuvre. Pour quel résultat ? Les enseignants eux-mêmes viennent maintenant me demander de ne pas multiplier les activités le vendredi parce que les enfants sont fatigués. On marche sur la tête ! Il s'agit de calmer le jeu, et pas seulement en maternelle.

Sur le fonds d'amorçage, tout a été dit : nous devrions le maintenir. Je m'inquiète surtout des crédits des Caisses d'allocation familiales (CAF). Je vais en bénéficier, ma notification m'est arrivée il y a quelques jours. Mais leur répartition se fait à périmètre constant : ce qui est consacré aux rythmes scolaires nous est retiré sur d'autres postes. Ce siphonage est extrêmement dangereux, il nous incombe de le dire clairement !

M. Jean-Claude Requier . - Nous avons lieu de nous inquiéter de la qualité du recrutement des enseignants : seuls 70 % des postes ouverts au CAPES de mathématiques, par exemple, ont été pourvus. Pourquoi ? Quant à leur formation, j'avoue que je suis un nostalgique des écoles normales d'instituteurs. Mes parents les avaient faites. Recrutés par concours, ces jeunes gens étaient motivés. S'ils étaient ensuite lâchés dans la nature, c'était après avoir reçu une formation solide.

Il est vrai qu'il y a trop d'options au lycée : pour ma part, je préfèrerais améliorer le menu ordinaire, quitte à simplifier la carte, d'autant que le choix des options est en réalité un moyen de choisir son établissement. Les notes au bac connaissent d'ailleurs une inflation impressionnante : on notera bientôt sur vingt-cinq, les mentions « très bien » pleuvent, alors qu'elles devraient rester exceptionnelles.

On crée des postes, mais le Lot en perdra vingt ou vingt-cinq l'année prochaine. Allez donc expliquer cela à nos administrés !

En tant que vieux radical attaché à l'instruction publique, je voterai ce budget, mais en tant qu'ancien professeur, je considère que l'on « pourrait mieux faire ».

Mme Michèle André , présidente . - Je découvre vos talents les uns après les autres, mes chers collègues, c'est un enchantement.

M. Dominique de Legge . - La richesse de notre débat reflète la qualité du rapport, qui a posé les bonnes questions. Au-delà des apparences, nous ne sommes peut-être pas si opposés les uns aux autres. Je n'en veux pour preuve que l'excellente intervention de mon prédécesseur.

Je voudrais revenir à l'article 55 : « Prorogation du fonds d'amorçage pour la mise en oeuvre des rythmes scolaires ». Il ne s'agit donc que d'une participation, non d'une prise en charge complète. Le terme d'amorçage fait craindre, de surcroît, que ce financement ne soit pas pérenne : la réforme ne serait-elle pas pérenne ? Quelle est la position de nos rapporteurs sur cet intitulé ?

M. Jacques Genest . - Je m'inquiète de la dégradation de l'enseignement en milieu rural. La France étant en grande partie rurale, il est hasardeux de comparer le nombre de ses établissements scolaires à ceux d'autres pays.

Ma commune de 848 habitants voit se succéder les professeurs tous les trois mois, aucun n'étant renouvelé d'une année sur l'autre. À l'époque où j'étais fonctionnaire, il fallait rester deux ou trois ans dans un poste. Je ne comprends pas que la même règle ne soit pas appliquée par l'Éducation nationale.

En tant que président des maires ruraux de l'Ardèche, je sais que beaucoup de rectorats plaident pour des écoles de trois classes. D'un point de vue d'urbain, c'est une taille modeste ; en milieu rural, c'est énorme, un peu comme les communautés de communes à 20 000 habitants !

Sur les rythmes scolaires, on a créé une profonde inégalité, non seulement financière, mais aussi dans le recrutement des intervenants : comment une commune éloignée de quarante kilomètres de la ville moyenne la plus proche en trouvera-t-elle ? Alors que l'école doit être le creuset de l'égalité, le Gouvernement en fait celui des discriminations et de l'élitisme. L'école à deux vitesses est une catastrophe. L'État dispose d'un pouvoir régalien, qu'il en assume donc la responsabilité !

Mme Michèle André , présidente . - Nos rapporteurs ont demandé une réserve qu'il paraît convenable de leur accorder, afin qu'ils puissent prolonger leurs réflexions. Reste à déterminer le moment opportun pour examiner ces missions réservées.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Le mieux serait de les examiner à la suite du tome II du rapport général consacré aux articles de la première partie, le 12 novembre.

Mme Michèle André , présidente . - Préparez-vous donc, pour cette date, à une longue journée.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx . - Je regrette que nous ne votions pas aujourd'hui : nous avons suffisamment d'éléments pour un vote négatif sur cette mission.

Mme Michèle André , présidente . - Les rapporteurs spéciaux ont exposé, avant votre arrivée, les raisons de ce délai.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Venant d'un département où la densité de population est de trente et un habitants au kilomètre carré - entre dix et quinze pour certaines intercommunalités - je connais, comme Jacques Genest, le problème des mobilités excessives. Cela recoupe la remarque de Jean-Claude Requier : les enseignants ne viennent dans ces zones que par obligation. Lorsque nous avions des écoles normales départementales, les instituteurs qui en sortaient avaient choisi un milieu qu'ils connaissaient. Il y a bien là, aujourd'hui, un problème de gestion du personnel.

Je suis plus nuancé sur les écoles de trois classes : leur pertinence dépend de la longueur du ramassage scolaire.

Je crois à la responsabilité du directeur d'école, je crois à son autorité sur les enseignants, je crois à la communauté éducative. Encore faut-il qu'il y ait une communauté éducative suffisante pour suivre les élèves...

Je ne reviens pas sur les inégalités introduites par le dispositif relatif aux rythmes scolaires : c'est une évidence.

Monsieur de Legge, sur l'article 55, attendons de savoir ce qu'en dira l'Assemblée nationale. C'est la raison pour laquelle nous demandons la réserve, Madame Des Esgaulx. Je suis un homme de conviction, mais je veux laisser à toutes les parties, y compris à la défense, le temps de s'exprimer.

Il s'agit bien à l'article 55 d'un amorçage. Cette affaire n'est pas terminée, parce qu'elle pose davantage de problèmes qu'elle n'en règle. Tout est dit - tout, à vrai dire, et son contraire. Comme le soulignait Francis Delattre, l'Éducation nationale se prive du concours des élus locaux, alors que ceux-ci déploient, à tous niveaux, des trésors d'imagination et parfois de générosité pour résoudre des problèmes qui leur sont familiers. Si les préfets et les recteurs, mutés presque aussi souvent que les instituteurs, ne connaissent pas le terrain, les élus ont le souci de se succéder à eux-mêmes : ils ont ainsi réglé, entre autres, les problèmes du périscolaire, avant et après les heures de classe : les garderies, les demi-pensions, le soutien scolaire... Nous n'avons pas attendu Vincent Peillon pour prendre notre part de responsabilité en fonction des moyens dont nous disposions. Toutes les difficultés récentes sont venues du caractère obligatoire du dispositif uniforme que l'on nous a imposé. Les élus sont pourtant des partenaires d'autant plus utiles de l'Éducation nationale qu'ils ont avec les parents un contact qui fait parfois défaut aux enseignants.

Le terme d'« amorçage » signifie bien que le Gouvernement a l'intention de se retirer lorsqu'il pourra le faire. Mais il en sera sans doute empêché par des raisons politiques liées à l'enjeu de l'égalité évoqué par Jacques Genest.

Je partage le point de vue de Jean-Claude Requier, mais le monde rural a changé. Il existe désormais des rurbains ou des ruraux périurbains, qui font du rural une utilisation passagère, et n'ont pas le même enracinement que les véritables ruraux. À l'heure du centenaire de la première guerre mondiale, je suis nostalgique des écoles normales départementales et des hussards noirs de la République.

Le problème, c'est que l'enseignement ne provoque pas de gains de productivité. Il faut toujours doter les élèves d'un enseignant. À titre de comparaison, voyez le nombre de vaches ou d'hectares dont peut s'occuper un agriculteur d'aujourd'hui, et combien il en exploitait hier. Tous les métiers ont gagné en productivité sauf celui d'enseignant : voilà la raison de la dégradation relative de sa situation. Nous verrons lorsque nous aborderons le statut des enseignants les réponses à y apporter.

Je rejoins Marie-Hélène Des Esgaulx : répondre aux problèmes de l'éducation nationale par la création de nouveaux postes n'est pas une bonne idée. Ce serait faire semblant de régler les problèmes, sans les traiter en profondeur. S'il y avait une négociation sur les pouvoirs des chefs d'établissement, leur autorité sur les enseignants, et la réforme du statut, nous pourrions faire des efforts dans ce sens, dans une logique donnant-donnant. Mais donner de nouveaux effectifs à un système qui ne les gère pas... Autant souffler dans un violon. Je remercie également Marie-Hélène Des Esgaulx d'appeler notre attention sur le siphonage des crédits de la CAF par le périscolaire.

Je suis entièrement d'accord avec Francis Delattre. Les élus locaux connaissent leur territoire : ils sont la réponse à l'évolution différenciée de l'enseignement selon les caractéristiques sociologiques des territoires. Tout se joue en effet entre quatre et huit ans. Les principaux partenaires restent les enseignants, les élèves et leurs familles. Or celles-ci ont de plus en plus vis-à-vis de l'éducation nationale une attitude de consommateurs : elles mettent leur enfant à l'école comme leur voiture chez le garagiste, et entendent récupérer celle-ci réparée et celui-là éduqué. Cela ne marche pas comme cela ! Les adultes doivent se montrer solidaires pour encadrer les enfants diaboliques - chaque enfant est tenté de manipuler les adultes pour tirer son épingle du jeu. Là où les élus locaux, les enseignants et les parents travaillent ensemble, le système fonctionne ; ailleurs, il ne marche pas.

J'ai été pendant deux ans président du conseil d'administration d'un lycée agricole. Entre les représentants du monde agricole, les parents qui choisissent d'y placer leur enfant, et les enfants, largement responsabilisés et généralement internes - l'internat facilite la vie communautaire et la prise de responsabilités -, la solidarité est forte et les résultats sont là.

Monsieur Dominati, vous avez raison sur la comparaison entre la France et l'Allemagne. Il y a deux explications. La densité de population d'abord : elle est de 120 habitants au kilomètre carré en France, mais de 350 en Allemagne, ce qui a pour conséquence que l'offre scolaire allemande est plus regroupée. Le fédéralisme ensuite : l'éducation est de la compétence des Länder. En France, les élus locaux demandent à Paris la diminution du budget - en fait celle des impôts - et dans leur territoire le maintien des collèges à moins de 100 élèves et des lycées professionnels qui en comptent moins de 300. Cette schizophrénie française favorise l'éparpillement de l'offre. La seule façon d'en sortir, c'est de demander aux gens de se prendre en main ! Nos collectivités territoriales sont cantonnées aux questions d'intendance, et ne s'occupent pas de la politique scolaire. Résultat : lorsque les parents leur demandent d'en faire plus, elles se retournent vers Paris ; le recteur ne fait qu'appliquer les décisions nationales, et finit par demander un changement d'affectation quand il n'en peut mais. Notre système n'est pas bon, j'en ai la certitude absolue.

Monsieur Laménie, le taux d'absentéisme dépend du degré : 76 % des enseignants du primaire sont face aux élèves, contre 92 % dans le secondaire. L'absentéisme dans le primaire s'explique largement par la féminisation de l'enseignement, et à certaines politiques de soutien. S'agissant des enseignants sans affectation, le rapport de Jean-Yves Chamard de 2005 a vieilli : l'actualiser pourrait faire l'objet d'une mission de contrôle de notre commission.

Richard Yung pense que la formation pédagogique s'améliore. Nous n'avons pas encore trouvé le bon système. Je doute que le Gouvernement ait trouvé le meilleur. Ce sujet reste à l'ordre du jour. Le primaire est-il ce point fort de notre système que les autres pays nous envient ? Peut-être. Le maillon faible est en tout cas le collège, car le primaire offre la perspective d'apprendre et de découvrir, le lycée celle d'être formé. Entre les deux, le collège a du mal à se positionner. J'étais partisan du collège unique en tant qu'habitant de zone rurale, où l'on ne peut pas diversifier les collèges, sauf à faire de l'internat. Je me pose désormais plutôt la question de l'autonomie de l'établissement, qui évite de faire la distinction entre les établissements à banquette en bois, et ceux à tapis rouge vers les classes préparatoires. Autonomie, modulation financière en fonction des résultats - sur la base d'une vraie politique, pas seulement aux meilleures écoles parisiennes - dont le suivi est assuré par les élus locaux, voilà les conditions d'un changement réel.

Maurice Vincent souligne que tout ne va pas mal, et il a raison. L'éducation nationale est un immense système. L'ennui, c'est qu'il y a une sorte de jeu de rôle : les enseignants se plaignent, l'administration temporise, et les élus, par fièvre, poussent des cris d'alarme et oublient. Ayons un travail constant sur ces sujets. À la vérité, si mon rapport servait à vous faire vendre une entreprise, vous achèteriez un chat dans un sac, autrement dit quelque chose dont vous ignorez tout ; manquent en effet les effectifs des élèves, ceux des enseignants, les pyramides des âges, les qualifications, les ratios aux niveaux national et régional... Toutes choses qu'il conviendra de faire.

Je rejoins également Serge Dassault. On ne peut pas faire vivre une collectivité sans autorité ni discipline. J'ai été ministre de la défense : les régiments fonctionnent grâce à la discipline. C'est la force des armées, mais aussi celle de l'enseignement. Nous sommes là pour former les jeunes, pas pour les écouter - nous les écouterons plus tard, ou ailleurs. En toute logique, ceux qui détiennent l'instruction la donnent, ceux qui ne savent rien apprennent. Cette conception des choses est un peu traditionnelle, je le reconnais, mais elle me semble adaptée à un public qui n'a pas le bonheur de disposer d'un soutien familial. Certains chefs d'établissements de banlieue difficile ont de bons résultats : il faut les aider. Ils ne le seront jamais par une administration centralisée, qui gère des effectifs globaux, des statistiques, des moyennes. Réintroduisons les élus locaux dans la vie des établissements.

Roger Karoutchi a raison : acceptons le jugement objectif de l'enquête PISA de l'OCDE. Ne nous renvoyons pas à la figure nos échecs respectifs. Certes, l'OCDE n'a pas toujours raison ; mais acceptons de nous comparer - tout en sachant que se comparer ne suffit pas toujours pour se comprendre.

Un tiers des classes est en sous-effectifs, en raison de la multiplicité des options, tandis que les classes des enseignements standards sont surchargées. La Cour des comptes a dénombré en 2013 375 voies disciplinaires de recrutement possibles dans le secondaire, et 272 matières enseignées. Cela explique aussi le nombre d'enseignants sans affectation. La gestion active des carrières doit être une priorité du ministère, qui est sans doute la direction des ressources humaines la plus inhumaine qui soit. Pourquoi ne pas imaginer des carrières différentes, fut-ce pour 2 % des effectifs, ce qui fait tout de même 20 000 enseignants ? L'armée s'en accommode même pour les officiers supérieurs.

M. Thierry Foucaud , rapporteur spécial . - Chacun détient une part de vérité. L'année dernière et la précédente, Claude Haut et moi avions reçu les représentants des enseignants des secteurs public et privé. La question essentielle reste celle de la formation.

Par ailleurs, la situation a changé ; la crise politique et morale dans laquelle nous somme touche l'école : le père de famille sans profession n'a plus l'autorité du père d'hier, qui travaillait...

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - ... et ramenait la paye à la maison !

M. Thierry Foucaud , rapporteur spécial . - Absolument. La géographie de la France - ruralité, urbain, périurbain - a changé elle aussi. L'intelligence existe partout, y compris dans les quartiers difficiles. Apprendre à apprendre est devenu un enjeu fondamental. Je ne crois pas que nous ayons trop d'enseignants. Notre situation budgétaire nous oblige bien sûr à prendre en compte la quantité, mais ne perdons pas de vue la qualité. C'est une revendication des enseignants eux-mêmes. Si nous n'apprenons pas à apprendre aux enfants des quartiers difficiles, la vie deviendra plus difficile dans notre pays.

Marie-Hélène Des Esgaulx a raison d'attirer l'attention sur les CAF. Ces fonds seront-ils pérennisés pour les communes ? Des moyens complémentaires seront-ils donnés aux CAF ?

J'ai été maire pendant trente-deux ans. En tant qu'élu local, on voit bien ce qu'il en est. On a fait croire aux gens que leurs enfants pouvaient tous devenir ingénieurs ou médecins. Résultat : nous manquons de plombiers, d'électriciens, de couvreurs... Ce sont des métiers nobles et valorisants. Il faudrait réorienter les formations en fonction de ces besoins.

Je m'abstiendrai sur ces crédits.

Mme Michèle André , présidente . - La réserve ayant été demandée, nous ne voterons pas sur ces crédits ni sur l'article rattaché ce matin. En attendant, nous veillerons à travailler sur ces questions avec la commission de la culture : les problèmes de fond évoqués ce matin sont plus de leur compétence que de la nôtre, essentiellement financière. Je rappelle que le président du Sénat organise depuis plusieurs années l'opération « Talents des cités », qui récompense de jeunes gens de quartiers que l'on pourrait croire plus fragiles et qui ont pourtant fait leur chemin dans la vie. Ayons ces éléments d'optimisme à l'esprit.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de réserver sa position sur les crédits de la mission « Enseignement scolaire » et sur l'article 55 rattaché.

*

Réunie à nouveau le mardi 18 novembre 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à un nouvel examen du rapport de MM. Gérard Longuet et Thierry Foucaud, rapporteurs spéciaux sur la mission « Enseignement scolaire ».

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - C'est un rapporteur spécial malheureux qui vous présente son amendement n° 1 : non certes à cause de la matière, qui est passionnante, ou de l'auditoire, des plus distingués, mais de l'insuffisance de mes travaux sur un budget de 66 milliards d'euros, qui engage l'avenir de notre pays puisqu'il concerne la formation de sa jeunesse. Nous n'avons pas tout à fait les moyens d'assurer nos missions : prendre en marche le train du budget de l'enseignement scolaire quelques semaines avant le vote est impossible. Comment auditer les comptes d'une aussi grande entreprise en si peu de temps ? Je plaide donc coupable ; coupable de superficialité, mais avec les circonstances atténuantes qui s'attachent aux conditions dans lesquelles un sénateur de la V e République exerce ses fonctions.

Je vous propose d'adopter les crédits sous réserve d'un amendement - sans préjudice d'un second amendement, personnel, que je pourrais présenter ou soutenir en séance - qui revient sur la création d'emplois supplémentaires. Dans le texte de l'Assemblée nationale, une confusion est faite entre les enseignants actuellement stagiaires - qu'il est impossible de ne pas titulariser dans le courant de l'année prochaine - et ceux qui le deviendront en 2015 en réussissant les concours de recrutement. Je propose de revenir sur ces dernières créations de 6 569 postes, pour 90 millions d'euros d'économies, dont 47 millions d'euros au titre du programme 140 « Enseignement scolaire public du premier degré », 32 millions d'euros à celui du programme 141 « Enseignement scolaire public du second degré », 7 millions d'euros à celui du programme 139 « Enseignement privé du premier et second degrés » et 4 millions d'euros à celui du programme 230 « Vie de l'élève », en autorisation d'engagements comme en crédits de paiement.

En France, les effectifs des enseignants du premier degré sont dans la moyenne de l'OCDE ; ce n'est pas le cas pour le second degré, pour des raisons, nullement scandaleuses, qui tiennent à la dispersion de l'offre pédagogique. Nous proposons donc en outre le non-remplacement d'un enseignant sur deux dans le secondaire, soit 5 200 postes, pour une économie estimée pour le seul tiers d'année 2015 à 55 millions d'euros sur le programme 141 et 15 millions d'euros sur le programme 139. Cela représente au total une économie de 160 millions d'euros, montant qui doublera dès 2016.

S'agissant de l'article 55, supprimer les crédits mettrait les collectivités territoriales en face de responsabilités qu'elles ne peuvent pas assumer ; mais voter les crédits tels quels signifierait l'acceptation d'une situation inacceptable. Le moindre mal, en attendant un éventuel amendement de la commission des affaires culturelles, c'est d'accepter le statu quo, sachant qu'à l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a décidé d'abonder le fonds d'amorçage de la réforme des rythmes scolaires ; faute de mieux, acceptons cette proposition insuffisante : ne pas la voter aggraverait la situation financière de nombreuses communes.

Nous devons enfin engager un travail de fond sur la performance du ministère de l'éducation nationale. Nous manquons singulièrement d'analyses précises sur son efficacité, même si nous sommes conscients qu'il lui faut gérer une faible densité géographique et une grande diversité de publics scolaires.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Quelques mots sur les résultats PISA : le nombre d'enseignants est plus élevé en France que dans les pays de l'OCDE, mais avec des résultats qui se dégradent. La hausse des effectifs n'est pas la seule réponse possible. Avec la multiplicité des options au collège et au lycée, nombre de professeurs ont très peu d'élèves, voire pas du tout. Je voterai cet amendement courageux et vertueux budgétairement.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - En France, le rapport est d'un enseignant du secondaire pour 12,5 élèves, contre 13,5 dans l'OCDE. Cet écart de 8 %, soit un douzième, représente 36 000 enseignants sur 450 000. Ils ne sont pas en sureffectif, mais nous ne pouvons pas nous abstenir de toute réflexion. J'ai la satisfaction de constater qu'autrefois les enquêtes PISA étaient traités comme quantité négligeable par le ministère, mais qu'aujourd'hui tout le monde y fait référence, y compris notre collègue Brigitte Gonthier-Maurin dans son rapport sur la situation de l'enseignant. Sans être une référence absolue, cette enquête pose la question et oblige le ministre à répondre. Je souhaite donc que la commission des finances interroge le ministre à ce sujet.

M. Jean Germain . - Les rapports de Brigitte Gonthier-Maurin et PISA signalent qu'il y a plus d'enseignants par élève en France qu'ailleurs ; mais n'oublions pas qu'ils sont nettement moins payés. Vous proposez de baisser leur nombre tout en continuant à les payer moins que dans les pays qui réussissent mieux que nous. La majorité du Sénat a beau jeu de chercher des économies au-delà des 21 milliards d'euros du Gouvernement ; encore faut-il qu'elles soient fiables. Même si l'on peut souhaiter une réorientation de l'enseignement secondaire sur laquelle votre amendement a le mérite d'ouvrir le débat, votre position serait impossible si vous étiez aux responsabilités. Nous voterons contre.

M. Thierry Foucaud , rapporteur spécial . - Je suis opposé à l'amendement de mon collègue, avec qui je m'accorde toutefois pour regretter que nous n'ayons pas le temps d'un travail en profondeur. Cessons de toujours nous comparer avec nos voisins et assumons une certaine identité française dans ce domaine. Je suis préoccupé par la mise en place des rythmes scolaires. Le maintien du fonds d'amorçage à son niveau actuel répond en partie aux attentes des collectivités territoriales, sans pour autant répondre à la question de la pérennisation de ces ressources, nécessaire et que les élus appellent de leurs voeux.

Même le ministre de l'agriculture se pose des questions sur les formations passées de quatre à trois ans ; des Limousins m'ont rapporté qu'un jeune en compagnonnage à Limoges dans le cadre d'un bac pro+2 n'avait pu se rendre en cours cette semaine, faute de financement, car sur les dix jeunes intéressés, seuls cinq avaient pu s'inscrire. Pourquoi ? Parce qu'ils n'avaient pas trouvé d'entreprise pour leur alternance. Cela est d'autant plus regrettable qu'il existe une pénurie de certains métiers.

M. Pierre Jarlier . - Les élus locaux font pression chaque année sur le recteur ou sur l'inspecteur d'académie pour sauver un poste d'enseignement ici ou là. Soyons cohérents ! En montagne, les distances sont parfois telles qu'elles peuvent occasionner une rupture de l'égalité des chances. Ces créations de poste desserrent l'étau. Il faut maintenir le nombre de postes pendant trois ans tout en optimisant la carte scolaire ; je ne peux voter cet amendement.

M. Vincent Capo-Canellas . - Il n'est jamais facile de procéder à une coupe budgétaire ; mais si nous n'agissons pas, nous risquons d'être taxés d'irresponsabilité. Les postes non pourvus - je le vois en Seine-Saint-Denis - posent souvent un problème plus grave que le nombre théorique de postes, car ils obligent le ministère à recruter directement à l'ANPE des personnes au niveau master, non formées. Cela met en cause la façon dont le ministère gère ses ressources humaines. Mon groupe votera cet amendement en responsabilité.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - C'est la vocation de la commission des finances de poser des questions financières. Je comprends l'attitude de Pierre Jarlier, mais distinguons enseignement primaire, où il n'est pas question de toucher au nombre d'enseignants, et secondaire, où nous serons obligés de procéder à des regroupements. Il n'est pas possible de défendre un enseignement professionnel à haute valeur ajoutée et spécialisé sans accepter l'internat ; les parents doivent accepter de se séparer de leurs chers bambins qui, souvent, en meurent d'envie...

Si nous nous refusons à l'optimisation financière, nous n'avons aucune chance de remettre en question les habitudes. Jean Germain a bien compris mon intention d'ouvrir le débat...

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Enseignement scolaire » ainsi modifiés et l'article 55 rattaché sans modification.

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Réunie le jeudi 20 novembre 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a décidé de confirmer sa décision de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Enseignement scolaire » tels que modifiés par son amendement, ainsi que l'adoption, sans modification, de l'article 55.

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