II. LE GOUVERNEMENT A FAIT LE CHOIX DU REMPLACEMENT DE L'ÉLECTION PAR UNE DESIGNATION FONDÉE SUR L'AUDIENCE DES ORGANISATIONS SYNDICALES ET PATRONALES

A. LES DEUX AUTRES SCÉNARIOS ALTERNATIFS ONT ÉTÉ ÉCARTÉS PAR LE GOUVERNEMENT

1. L'aménagement du système actuel d'élection au suffrage universel direct

Ce scénario, examiné dans le rapport précité de M. Jacky Richard, implique les mesures suivantes :

- organisation en amont d'une campagne de sensibilisation et de communication sur les conseils de prud'hommes et l'élection des conseillers ;

- suppression du vote à l'urne et du vote par scrutin ;

- généralisation du vote électronique et maintien du vote par correspondance sans condition.

Ce premier scénario comporte des avantages certains :

- il s'inscrit dans la continuité en conservant une élection au suffrage universel direct ;

- il bénéficiait d'une large approbation parmi les organisations syndicales et patronales consultées en 2008 ;

- sa mise en oeuvre technique ne présenterait pas a priori de difficultés majeures.

Mais, aux yeux du Gouvernement, ses inconvénients l'emportent sur ses avantages supposés car :

- l'impact de cette réforme sur le taux de participation électoral est incertain et risquerait d'être très limité ;

- le coût de l'élection resterait très élevé ;

- l'élection demeurerait complexe à organiser ;

- il ne tient pas compte de la mesure de la représentativité syndicale et patronale.

2. La création d'un système d'élection ad hoc au suffrage universel indirect

Ce scénario, qui avait la préférence de M. Jacky Richard en 2008, implique une recomposition du corps électoral.

Du côté des salariés, les mesures suivantes sont préconisées :

- dans les entreprises de plus de 10 salariés, les délégués du personnel titulaires (ou les membres élus des délégations uniques du personnel), soit environ 300 000 personnes, seraient les électeurs prud'homaux en charge d'élire les conseillers prud'hommes représentant les salariés ;

- dans les entreprises de moins de 10 salariés, le rapport de M. Jacky Richard propose de prendre appui sur le dispositif spécifique de mesure de l'audience syndicale prévue dans les TPE.

Du côté des employeurs, le rapport préconise « l'organisation d'une élection ad hoc de délégués des employeurs appelés ensuite à élire les juges prud'hommes ». Organisée sous l'autorité des services de l'Etat et de préférence à l'échelon départemental, cette élection imposerait des scrutins par internet et par correspondance. Les quelque 600 000 employeurs choisiraient entre 30 000 et 35 000 délégués, chargés d'élire les juges prud'homaux.

Ce scénario, selon ses promoteurs, comporte des avantages non négligeables :

- il permet de maintenir le principe d'une nomination des conseillers prud'hommes fondée sur le principe du suffrage universel, fût-il indirect ;

- il pourrait garantir un taux de participation satisfaisant ;

- il laisse la possibilité à toute personne d'accéder aux charges publiques et ne pose donc pas de risque d'inconstitutionnalité sur ce point ;

- il serait moins compliqué techniquement à mettre en oeuvre que les élections actuelles, tout en garantissant un coût moindre.

Néanmoins, Michel Sapin, lors de la séance du 16 janvier dernier, a indiqué devant le Sénat que les organisations syndicales ne souhaitent pas « un mécanisme de désignation à deux étages ». En outre, le Gouvernement considère, à travers l'étude d'impact annexée au projet de loi initial déposé le 28 mars 2014, que ce scénario n'apportait pas de « plus-value » évidente par rapport aux mesures de représentativité syndicale et qu'il n'était guère compatible avec le calendrier de renouvellement des conseillers prud'hommes, fixé initialement à décembre 2015.

3. Le choix du Gouvernement en faveur d'une désignation fondée sur l'audience est arrêté depuis novembre 2013

Votre rapporteur constate que le Gouvernement a très tôt manifesté sa volonté de remplacer l'élection prud'homale par une désignation des conseillers prud'hommes fondée sur l'audience des organisations syndicales et patronales.

Dans un courrier de Michel Sapin transmis aux partenaires sociaux dès le 14 novembre 2013 , le ministre du travail mentionnait la désignation des conseillers prud'hommes parmi les dispositions du volet « démocratie sociale » du futur projet de loi sur la formation professionnelle et l'apprentissage. Il précisait que « ce projet de loi sera l'occasion d'envisager une évolution des modalités de désignation des conseillers prud'hommes ». Le ministre ajoutait que « la mise en oeuvre de la loi du 20 août 2008 a changé la donne. La désignation des conseillers prud'hommes sur la base des résultats de la mesure de l'audience est désormais possible. À terme, elle pourra concerner le collège employeur comme le collège salariés, compte tenu de la réforme en cours en matière de représentativité patronale ». Par conséquent, le Gouvernement envisageait « d'intégrer dans le projet de loi un article habilitant le gouvernement à préparer ces modifications par la voie d'une ordonnance ».

Le 17 décembre 2013 , le Conseil supérieur de la prud'homie est saisi de l'article sur la réforme prud'homale du futur projet de loi sur la démocratie sociale et la formation professionnelle. Celui-ci autorisait le Gouvernement « dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, à prendre par ordonnance les dispositions législatives prévoyant la désignation des conseillers prud'hommes en fonction de l'audience des organisations syndicales définie au 5° de l'article L. 2121-1 du code du travail et de celle des organisations professionnelles d'employeurs définie à l'article du projet de loi relatif à l'audience professionnelle ». La future ordonnance devait porter sur les dix points suivants :

- le mode de désignation des conseillers prud'hommes, dans le respect de l'indépendance de l'autorité judiciaire ;

- les modalités de répartition des sièges par organisation, section, collège et conseil ;

- les conditions des candidatures et leurs modalités de recueil et de contrôle ;

- les modalités d'établissement de la liste de candidats ;

- la procédure de nomination des conseillers prud'hommes ;

- les modalités de remplacement en cas de vacance ;

- la durée du mandat des conseillers prud'hommes ;

- le régime des autorisations d'absence des salariés pour leur formation à l'exercice de la fonction prud'homale ;

- le cas échéant, le régime transitoire applicable jusqu'à l'entrée en vigueur du dispositif qu'elles instituent ;

- et, le cas échéant, les adaptations nécessaires en matière de définition des collèges et sections.

Les ordonnances selon l'article 38 de la Constitution

Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.

Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.

A l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif.

A la demande du groupe communiste, républicain et citoyen (CRC), le Sénat a organisé le 16 janvier 2014 une séance de questions-cribles consacrée au devenir des élections prud'homales. Le Gouvernement a alors confirmé sa volonté de mettre en place un nouveau mode de désignation se substituant à l'élection.

Le 20 janvier 2014 , le ministère du travail décide finalement de dissocier la question de la désignation des conseillers prud'hommes du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale. Un projet de loi spécifique est délibéré en conseil des ministres le 22 janvier et déposé à l'Assemblée nationale . Le texte est conforme à celui présenté devant le Conseil supérieur de la prud'homie. Le nouveau mode de désignation fondé sur la mesure de la représentativité syndicale et patronale entrerait pleinement en vigueur en 2017. Une période transitoire de deux ans est prévue entre 2015 et 2017 avec, pour les conseillers employeurs, un mode de désignation spécifique en l'attente de la mise en oeuvre des nouvelles règles de représentativité patronale.

Le 28 mars 2014 , le Gouvernement retire le projet de loi de l'Assemblée nationale et le dépose au Sénat, pour des raisons de calendrier parlementaire.

Le 16 avril , lors de la Conférence des présidents, le nouveau Gouvernement demande l'inscription du projet de loi à l'ordre du jour du Sénat du 14 mai .

Le 29 avril , devant la commission des affaires sociales du Sénat, François Rebsamen, ministre du travail, estime que le projet de loi initial créerait « un système transitoire entre 2015 et 2017, nécessairement très complexe, avec des règles différentes pour les salariés et les employeurs ». C'est pourquoi il propose à la place « de proroger à nouveau, une dernière fois, le mandat des conseillers actuels jusqu'en 2017 », date à laquelle entrera en vigueur « le régime définitif entièrement fondé sur la représentativité des organisations représentatives des salariés comme des employeurs ». Il annonce dans cette perspective la consultation du Conseil d'Etat sur une lettre rectificative au projet de loi.

Le 10 juin , le Gouvernement consulte le Conseil supérieur de la prud'homie sur le projet de lettre rectificative au projet de loi qui est soumis au Conseil d'Etat le 12 juin.

Le 16 juillet , la lettre rectificative est délibérée en conseil des ministres, entraînant la rectification du projet de loi déposé au Sénat.

Cette lettre rectificative prévoit la prorogation des mandats actuels des conseillers prud'hommes jusqu'à 2017, date à laquelle le Gouvernement disposera d'une mesure d'audience complète à la fois du côté des organisations professionnelles d'employeurs et des organisations syndicales de salariés.

La réforme proposée par le Gouvernement entend éviter le choc de deux légitimités : celle issue des mesures de représentativité syndicale et patronale au niveau national, et celle issue des élections des conseillers prud'hommes. Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale (UPA), abonde en ce sens : il faut « éviter les contradictions entre les élections professionnelles et les élections prud'homales ».

Votre rapporteur considère, à titre personnel, que cette réforme est inspirée par des raisons pragmatiques et ne constitue pas un affaiblissement des conseils de prud'hommes car elle ne modifie ni ses compétences ni son mode de fonctionnement.

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