Rapport n° 728 (2009-2010) de M. Yves DÉTRAIGNE , fait au nom de la commission des lois, déposé le 29 septembre 2010

Tableau comparatif au format PDF (46 Koctets)


N° 728

SÉNAT

SECONDE SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 septembre 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi organique , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , relatif à la limite d' âge des magistrats de l' ordre judiciaire ,

Par M. Yves DÉTRAIGNE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest , président ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, Jean-René Lecerf, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, M. François Zocchetto , vice-présidents ; MM. Laurent Béteille, Christian Cointat, Charles Gautier, Jacques Mahéas , secrétaires ; M. Alain Anziani, Mmes Éliane Assassi, Nicole Bonnefoy, Alima Boumediene-Thiery, MM. Elie Brun, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Pierre Fauchon, Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Christophe-André Frassa, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Mmes Jacqueline Gourault, Virginie Klès, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, François Pillet, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Richard Tuheiava, Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

2761 , 2766 et T.A. 528

Sénat :

714 et 729 (2009-2010)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

La commission des lois, réunie le mercredi 29 septembre 2010 sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest , président, a examiné le rapport de M. Yves Détraigne et établi son texte sur le projet de loi organique n° 714 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire.

Le rapporteur a souligné que si le projet de loi organique reportait à 67 ans la limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire, pour appliquer à ces derniers la réforme des retraites, cette modification aurait sans doute des répercussions sur l'évolution de carrière des magistrats et sur l'organisation des juridictions.

Ainsi, les personnes qui n'ont pas effectué une carrière complète au sein de la magistrature, ou qui ont connu des interruptions de carrière, seront conduites à prolonger leur activité jusqu'à l'âge de 67 ans. Tel sera en particulier le cas pour les femmes et pour les magistrats issus du troisième concours ou des voies de recrutement parallèles.

Le projet de loi organique aligne par ailleurs les conditions de maintien en activité des magistrats des premier et second degrés, qui peuvent actuellement demander à être maintenus en activité pour une durée de trois ans, sur celles applicables aux magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, qui ne peuvent prolonger leur activité au-delà de 68 ans.

Le maintien en activité suppose un changement d'affectation au sein de la juridiction, sinon une mobilité géographique. Ce changement de fonction pouvait sembler acceptable pour une durée de trois ans, mais risque de devenir dissuasif dès lors que le maintien en activité sera limité à une année.

En outre, la répartition des effectifs de magistrats au sein de chaque grade étant relativement rigide, le maintien au grade hors hiérarchie de magistrats concernés par le recul de la limite d'âge à 67 ans pourrait retarder l'accès à ce grade pour un les magistrats du premier grade. La commission a considéré que ces difficultés devaient être prises en compte dans le cadre de la refonte du statut de la magistrature actuellement en préparation.

La commission a enfin estimé que le ministère de la justice devait approfondir sa politique de gestion des ressources humaines, afin de mettre en oeuvre une gestion prévisionnelle évitant tout risque de diminution des effectifs de magistrats, compte tenu de l'augmentation attendue des départs à la retraite au cours de la présente décennie.

La commission des lois a adopté le projet de loi organique sans modification.

Elle a cependant considéré que le projet de loi organique devrait, le cas échéant, être amendé, pour tenir compte des modifications qui pourraient être apportées au projet de loi portant réforme des retraites.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La dégradation des comptes des régimes de retraite par répartition conduit le Gouvernement à soumettre au Parlement un projet de loi portant réforme des retraites. Ce projet de loi, dont la commission des affaires sociales est saisie au fond 1 ( * ) , prévoit le relèvement de deux années des limites d'âge applicables à l'ensemble des fonctionnaires civils relevant des trois fonctions publiques, ainsi qu'aux militaires.

Or, l'application de cette réforme aux magistrats de l'ordre judiciaire suppose l'adoption d'une loi organique. En effet, aux termes de l'article 64, troisième alinéa, de la Constitution, « une loi organique porte statut des magistrats ». Cette disposition, qui entraîne l'examen systématique de la loi organique statutaire par le Conseil constitutionnel, vise à garantir l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Ainsi, l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature définit les conditions d'exercice des magistrats, qu'il s'agisse des incompatibilités, des règles de recrutement et d'avancement, du régime disciplinaire ou des positions statutaires.

Le chapitre IX de cette ordonnance rassemble les dispositions relatives à la cessation des fonctions des magistrats de l'ordre judiciaire. La limite d'âge ainsi fixée n'est cependant pas spécifique aux magistrats qui sont, en la matière, soumis aux mêmes règles que les autres fonctionnaires de l'Etat. D'autres dispositions organiques définissent en revanche les conditions particulières dans lesquelles les magistrats peuvent être maintenus en activité au-delà de la limite d'âge.

Il paraît donc logique d'appliquer aux magistrats de l'ordre judicaire le relèvement de l'âge d'ouverture du droit à pension, prévu par le projet de loi portant réforme des retraites.

Aussi le projet de loi organique relatif à la limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 15 septembre 2010, après engagement de la procédure accélérée, inscrit-il dans le statut de la magistrature une augmentation de deux ans de la limite d'âge, qui serait ainsi portée de 65 à 67 ans.

Ce relèvement s'appliquerait de façon progressive aux magistrats nés entre 1951 et 1955. Le projet de loi organique aligne par ailleurs les conditions de maintien en activité des magistrats de cour d'appel et des tribunaux de grande instance sur celles applicables aux magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, soit une possibilité de rester en activité jusqu'à 68 ans.

I. L'APPLICATION AUX MAGISTRATS DE L'ORDRE JUDICIAIRE DU RELÈVEMENT DE L'ÂGE D'OUVERTURE DU DROIT À PENSION ET DU REPORT DE LA LIMITE D'ÂGE

A. LES PRINCIPES RETENUS PAR LE PROJET DE RÉFORME DES RETRAITES POUR ASSURER UN ÉQUILIBRE FINANCIER DU SYSTÈME À MOYEN TERME

1. Le report de l'âge d'ouverture des droits à pension et de l'âge limite d'activité

Le rapport du Conseil d'orientation des retraites publié en 2010 présente les projections sur la situation financière à moyen et long terme du système de retraite, selon trois scénarios établis à partir d'hypothèses d'évolution du taux de chômage et de croissance 2 ( * ) . Quel que soit le scénario économique retenu, le besoin de financement de l'ensemble du système de retraite, évalué à 10,9 milliards d'euros en 2008, atteindrait 40 milliards d'euros en 2015 et 56,3 à 79,9 milliards d'euros en 2030.

La dette sociale résultant de l'accumulation des déficits pourrait ainsi atteindre, selon le COR, 20 % du PIB en 2020 et 77 à 118 % du PIB en 2050. L'étude d'impact jointe au projet de loi organique présente les facteurs démographiques qui expliquent cette dégradation des comptes des régimes de retraite (arrivée des générations nombreuses de l'après-guerre à l'âge de la retraite, allongement de l'espérance de vie).

Il paraît donc indispensable de réformer le système de retraite pour en assurer la pérennité. Tel est l'objet du projet de loi présenté par le Gouvernement, qui emprunte la voie d'un report de l'âge de la retraite.

Ainsi, l'âge d'ouverture du droit à pension serait progressivement porté de 60 à 62 ans, dans le régime général comme dans les régimes de la fonction publique. Il convient cependant de distinguer les fonctionnaires des catégories dites actives, qui peuvent bénéficier d'un départ à la retraite anticipé dès 50 ans ou 55 ans, et les fonctionnaires appartenant aux catégories dites sédentaires.

L'âge de départ à la retraite serait néanmoins augmenté de deux ans pour ces deux catégories.

Le projet de loi portant réforme des retraites relève par ailleurs de 65 à 67 ans l'âge d'annulation de la décote 3 ( * ) , c'est-à-dire l'âge auquel la retraite est attribuée à taux plein, même si le salarié ne possède pas la durée d'assurance requise 4 ( * ) .

Ce relèvement de l'âge d'annulation de la décote obéirait à des modalités différentes pour le régime général et pour la fonction publique. En effet, dans le régime général, l'âge d'obtention automatique d'une retraite à taux plein sera progressivement relevé, si bien qu'il n'atteindra 67 ans qu'à compter des générations nées après le 1 er janvier 1956, soit à partir de 2023.

Dans les trois fonctions publiques, le mécanisme de la décote a été rendu applicable par la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, qui prévoit une pleine application de ce dispositif en 2020. Le taux de décote applicable aux retraites des fonctionnaires augmente ainsi chaque année et atteindra 1,25 % par trimestre en 2020.

A cette même date, le nombre maximal de trimestres manquants pouvant faire l'objet d'une décote s'élèvera à 20 et l'âge du « taux plein » coïncidera avec la limite d'âge à laquelle un fonctionnaire cesse son activité.

Au-delà de cette limite, et selon les règles particulières applicables à chaque corps, un fonctionnaire peut toutefois être maintenu en activité.

2. Le principe de convergence entre les régimes de la fonction publique et le régime général d'assurance vieillesse

L'effort nécessaire pour assurer l'équilibre du système de retraite doit être également partagé par l'ensemble des assurés. Aussi le projet de réforme poursuit-il la démarche de convergence entre les régimes de la fonction publique et le régime général, qui avait été mise en oeuvre par la loi du 21 août 2003.

Dans cet esprit, l'article 21 du projet de loi portant réforme des retraites porte progressivement le taux de cotisation des fonctionnaires de l'Etat (7,85 %) au niveau de celui qui s'applique aux salariés du régime général (10,55 %). Cet alignement concernera donc également les magistrats.

Le principe de convergence conduit en outre à appliquer aux fonctionnaires le relèvement de l'âge d'ouverture des droits et de l'âge d'annulation de la décote.

B. L'APPLICATION DE LA RÉFORME DES RETRAITES AUX MAGISTRATS

1. Le report progressif à 62 ans de l'âge d'ouverture des droits à pension

Aux termes de son article L. 2, les dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite sont applicables aux magistrats de l'ordre judiciaire.

S'agissant des catégories de fonctionnaires dites « sédentaires », dont les magistrats font partie, l'article L. 24 de ce code dispose que la liquidation de la pension intervient lorsque le fonctionnaire civil a atteint l'âge de soixante ans. L'article 9 du projet de loi portant réforme des retraites reporte cet âge à soixante-deux ans pour les assurés nés à compter du 1 er janvier 1956.

Le projet de loi renvoie par ailleurs à un décret la fixation de l'âge d'ouverture du droit à pension, de façon croissante à raison de quatre mois par génération, pour les assurés nés avant le 1 er janvier 1956. Le report de l'âge d'ouverture du droit à pension se ferait donc de façon progressive, conformément au principe de garantie générationnelle, retenu par la réforme des retraites de 2003.

En effet, les conditions d'ouverture de liquidation de la retraite, dont l'âge d'ouverture des droits et le nombre de trimestres de cotisation requis, ne peuvent être modifiés pour une génération qui atteint l'âge d'ouverture des droits.

Par conséquent, pour les fonctionnaires des catégories sédentaires, dont les magistrats, le relèvement de l'âge d'ouverture des droits ne s'appliquera qu'aux magistrats atteignant l'âge d'ouverture du droit à pension à compter de juillet 2011, c'est-à-dire ceux qui sont nés après le 1 er juillet 1951.

Générations

Âges d'ouverture des droits à pension

Magistrats nés avant le 1 er juillet 1951

60 ans

Magistrats nés entre le 1 er juillet
et le 31 décembre 1951

60 ans et 4 mois

Magistrats nés en 1952

60 ans et 8 mois

Magistrats nés en 1953

61 ans

Magistrats nés en 1954

61 ans et 4 mois

Magistrats nés en 1955

61 ans et 8 mois

Magistrats nés à compter du
1 er janvier 1956

62 ans

Conformément au principe de convergence entre les règles applicables au régime de retraite des fonctionnaires et celles du secteur privé, mis en oeuvre par la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, les magistrats qui choisiraient de liquider leur retraite avant d'avoir atteint la durée de cotisation requise pour l'obtention d'une pension à taux plein subiront une décote.

En effet, si le nombre d'annuités nécessaires s'élevait en 2003 à 37,5 années, il a atteint 40,5 années en 2010 et sera de 41 annuités en 2012. Aux termes de l'article 5 de la loi du 21 août 2005, il continuera à augmenter jusqu'en 2020, de façon à maintenir constant le rapport constaté entre la durée de cotisation et la durée moyenne de retraite, celle-ci augmentant sous l'effet de l'allongement de l'espérance de vie.

Les magistrats dont la durée d'assurance est inférieure au nombre de trimestres nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein se verront appliquer en 2015 un « coefficient de minoration », ou décote, de 1,25 % par trimestre, dans la limite de 20 trimestres (art. L. 14 du code des pensions civiles et militaires de retraite). Le coefficient de minoration doit augmenter progressivement jusqu'à cette date.

A l'inverse, les magistrats totalisant une durée d'assurance supérieure au nombre de trimestres requis pour obtenir une retraite à taux plein et ayant atteint l'âge de soixante ans peuvent bénéficier d'un coefficient de majoration de 1,25 % par trimestre supplémentaire, dans la limite de vingt trimestres

2. Le report de la limite d'âge à soixante-sept ans

L'article premier du projet de loi organique fixe à soixante-sept ans la limite d'âge pour les magistrats de l'ordre judiciaire.

Il s'agit de l'âge au-delà duquel un magistrat ne peut poursuivre son activité, sauf s'il est maintenu en activité à sa demande, ou s'il bénéficie de dispositifs de recul de la limite d'âge.

En toute hypothèse, ces dispositifs ne permettent pas à un magistrat de poursuivre son activité au-delà de soixante-treize ans.

En vertu du principe de garantie générationnelle, le report de la limite d'âge entrera en vigueur progressivement (article 2 du projet de loi organique). Ainsi, les magistrats nés avant le 1 er juillet 1951 conserveront une limite d'âge fixée à soixante-cinq ans, et la limite d'âge de soixante-sept ans s'appliquera aux magistrats nés à compter du 1 er janvier 1956.

Le nouvel âge d'ouverture des droits à pension et la nouvelle limite d'âge
résultant de la réforme pour les magistrats de l'ordre judiciaire

Date de naissance

Age d'ouverture des droits

Limite d'âge

Avant le 1 er juillet 1951

60 ans

65 ans

Second semestre 1951

60 ans et 4 mois

65 ans et 4 mois

1952

60 ans et 8 mois

65 ans et 8 mois

1953

61 ans

66 ans

1954

61 ans et 4 mois

66 ans et 8 mois

1955

61 ans et 8 mois

66 ans et 8 mois

1956 et postérieurs

62 ans

67 ans

II. LA NÉCESSAIRE PRISE EN COMPTE DE L'ALLONGEMENT DE LA CARRIÈRE DES MAGISTRATS DANS L'ORGANISATION DU CORPS

Si le report de l'âge d'ouverture des droits à pension ne devrait pas avoir de répercussions très fortes sur l'âge de départ à la retraite des magistrats, le recul de la limite d'âge aura d'importantes conséquences sur le déroulement de la carrière.

A. L'IMPACT DU REPORT DE L'ÂGE D'OUVERTURE DES DROITS À PENSION

1. Un âge moyen de départ à la retraite déjà supérieur à 62 ans

L'âge moyen de départ à la retraite des magistrats est déjà supérieur à 62 ans. Il s'élevait à 62,7 ans en 2008 et à 63,3 ans en 2009.

Par conséquent, le report de l'âge d'ouverture du droit à pension à 62 ans ne devrait pas avoir d'impact déterminant sur la carrière des magistrats.

L'âge moyen de départ à la retraite des magistrats résulte en effet de l'âge auquel ces derniers commencent leur carrière, cet âge étant relativement élevé, en raison du niveau d'études requis pour se présenter au premier concours de l'Ecole nationale de la magistrature 5 ( * ) . Par ailleurs, les magistrats issus des deuxième et troisième concours 6 ( * ) , ou de recrutements sur titres, ont nécessairement des carrières plus courtes, qui les conduisent à prolonger leur activité.

Aussi les magistrats utilisent-ils peu les dispositifs leur permettant de partir à la retraite de façon anticipée, notamment lorsqu'ils ont élevé trois enfants avant le 1 er janvier 2012 (art. L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite), ou parce qu'ils ont un taux d'invalidité d'au moins 80 % (loi du 11 février 2005). Seuls 37 % des magistrats ayant liquidé leur retraite en 2009 avaient moins de 62 ans.

L'application progressive du mécanisme de décote aux magistrats, comme à l'ensemble des fonctionnaires, conformément aux dispositions de la loi du 21 août 2003, devrait encore amplifier ce phénomène, en conduisant un nombre croissant de magistrats à prolonger leur carrière au-delà de 62 ans.

2. Un impact direct du report de la limite d'âge sur les magistrats ayant eu une carrière courte ou incomplète

Les syndicats de magistrats entendus par votre rapporteur ont souligné les conséquences que le recul de la limite d'âge à 67 ans aurait pour les personnes qui n'ont pas effectué une carrière complète au sein de la magistrature, ou qui ont connu des interruptions de carrière. Tel sera en particulier le cas pour les femmes et pour les « polypensionnés », c'est-à-dire pour les magistrats issus du troisième concours ou des voies de recrutement parallèles (intégration).

En outre, le projet de loi portant réforme des retraites prévoit l'extinction du dispositif permettant aux magistrats, comme aux autres fonctionnaires, de liquider leur retraite après quinze années de service s'ils ont élevé au moins trois enfants. Les magistrats qui ne remplissent pas ces conditions au 1 er janvier 2012 ne pourraient plus bénéficier de ce dispositif.

Cette extinction pourrait précipiter le départ d'un nombre relativement important de magistrats, notamment de femmes. Un tel phénomène devrait alors être compensé par des recrutements afin d'éviter une diminution des effectifs et de nouvelles difficultés de fonctionnement dans les juridictions.

B. LES CONSÉQUENCES DE LA RÉFORME SUR L'ATTRACTIVITÉ DU MAINTIEN EN ACTIVITÉ

L'article 3 du projet de loi organique aligne les conditions de maintien en activité des magistrats des premier et second degrés, qui peuvent actuellement demander à être maintenus en activité pour une durée de trois ans, sur celles applicables aux magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation, qui ne peuvent prolonger leur activité au-delà de 68 ans. Selon l'étude d'impact jointe au projet de loi organique, cette harmonisation vise à « éviter que les magistrats ne poursuivent leur activité au-delà d'un âge raisonnable ».

Par conséquent, la limite d'âge étant reportée de 65 à 67 ans, le maintien en activité des magistrats, quel que soit leur grade, ne pourra excéder un an. Dès lors, on peut penser que ce dispositif deviendra peu attractif.

En effet, le maintien en activité ne peut avoir lieu dans la même fonction. Il suppose donc, au minimum, un changement d'affectation au sein de la juridiction, sinon une mobilité géographique. Un tel changement de fonction, s'il pouvait sembler acceptable pour une durée de trois ans, risque de devenir dissuasif avec un maintien en activité limité à une année.

Toutefois, il convient de rappeler que le dispositif de maintien en activité ne concerne qu'un effectif réduit, puisque le nombre de magistrats maintenus en activité s'élève actuellement à 71. En outre, l'alignement prévu par le projet de loi organique permettra aux magistrats des cours et tribunaux de bénéficier jusqu'à 67 de gains indiciaires liés à l'ancienneté et au déroulement de leur carrière, ce que le maintien en activité en surnombre ne leur permettait pas.

L'Assemblée nationale a par ailleurs adopté en première lecture trois amendements de son rapporteur visant à prévoir que les magistrats désirant être maintenus en activité doivent le faire dans des fonctions correspondant à celles qu'ils exercent lorsqu'ils atteignent la limite d'âge, c'est-à-dire au siège s'ils sont magistrats du siège à ce moment-là, ou au parquet s'ils y exercent leurs fonctions. Ces modifications devraient permettre aux magistrats maintenus en activité d'être rapidement opérationnels et réduire les contraintes liées au changement de fonction.

C. LES CONSÉQUENCES DE LA RÉFORME SUR LA GESTION DU CORPS DES MAGISTRATS

1. Un risque de blocage des progressions de carrière

Les syndicats de magistrats entendus par votre rapporteur ont déploré l'absence de consultation préalable à la présentation du projet de loi organique au Conseil des ministres. Ils ont insisté sur le risque de blocage de l'évolution des carrières que pourrait provoquer la réforme.

La loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature a en effet redéfini la hiérarchie au sein de la magistrature, qui comporte trois grades : le second grade, le premier grade et le hors hiérarchie. S'ajoutent à ces trois grades les emplois fonctionnels du premier grade correspondant à l'échelle-lettre B Bis, soit, dans les tribunaux de grande instance les plus importants, les emplois de premier vice-président et de procureur de la République adjoint 7 ( * ) .

S'il n'existe aucune règle statutaire de répartition des effectifs au sein des grades, la circulaire de localisation des emplois que publie chaque année le ministère de la justice affecte cependant les magistrats de façon à assurer le bon fonctionnement des juridictions.

Ainsi, la circulaire du 8 avril 2010, localise 7740 postes de magistrats dans les cours d'appel et tribunaux 8 ( * ) , selon la répartition suivante :

Localisation des effectifs de magistrats en 2010
(circulaire du 8 avril 2010, hors Cour de cassation,
Ecole nationale des greffes et administration centrale)

Grade

Siege

Parquet

Total en nombre

En %

Total en nombre

En %

Hors hiérarchie

485

213

698

9,0%

698

9,0%

I B bis

198

198

396

5,1%

4644

60,0%

I

3300

948

4248

54,9%

II

1810

588

2398

31,0%

2398

31,0%

Total

5793

1947

7740

100,0%

7740

100,0%

Source : ministère de la justice

Toutefois, l'affectation réelle des effectifs tient compte d'impératifs de gestion, si bien que la répartition effective est légèrement différente de la répartition théorique définie par la circulaire de localisation, comme l'illustre le tableau suivant :

Répartition effective des magistrats au 21/09/2010
(hors Cour de cassation, Ecole nationale des greffes, administration centrale, détachements et autres situations sans affectation budgétaire)

Grade

Siege

Parquet

Total en nombre

En %

Total en nombre

En %

Hors hiérarchie

501

258

759

9,9%

759

9,9%

I

3176

698

3874

50,5%

4201

54,7%

I B bis

163

164

327

4,3%

II

1919

795

2714

35,4%

2714

35,4%

Total

5759

1915

7674

100,0%

7674

100,0%

Source : ministère de la justice

La répartition des effectifs de magistrats au sein de chaque grade apparaît néanmoins relativement rigide.

Ainsi, le maintien au grade hors hiérarchie de magistrats concernés par le recul de la limite d'âge à 67 ans risque de fermer l'accès à ce grade pour un certain nombre de magistrats du premier grade. On peut donc redouter une accentuation des blocages de carrière qui sont déjà observés.

Votre rapporteur considère que ces difficultés doivent être prises en compte dans le cadre de la refonte du statut de la magistrature actuellement en préparation.

Par ailleurs, le report de la limite d'âge, en entraînant le maintien en fonction de personnes en fin de carrière, qui exercent des responsabilités d'encadrement, risque d'aboutir à un ralentissement du travail des juridictions. En effet, le traitement du contentieux de masse est majoritairement confié aux magistrats du deuxième grade, dont le recrutement ne doit donc pas être diminué.

Les syndicats de magistrats se sont enfin inquiétés des mesures d'évolution de la grille indiciaire que le Gouvernement envisagerait de prendre pour assurer la mise en oeuvre du report de la limite d'âge. Ils ont exprimé leur hostilité à un allongement de la durée passée dans chaque échelon afin d'éviter la création d'échelons supplémentaires.

2. Une nécessaire gestion prévisionnelle des ressources humaines

Le présent projet de loi organique constitue la transposition à la magistrature de la réforme des retraites qui sera applicable au secteur privé comme à l'ensemble de la fonction publique. Cependant, cette réforme se révèlera moins anodine qu'il n'y paraît.

En effet, la fragilité des améliorations obtenues au cours des dernières années dans l'effectif de magistrats, et les tensions qui existent déjà dans le déroulement des carrières, doivent conduire le Gouvernement à envisager rapidement des mesures de réforme complémentaire qui lui permettront d'assurer la transition.

Le ministère de la justice s'est engagé depuis quelques années dans une nouvelle approche des ressources humaines. Le report de la limite d'âge et la modification des règles d'ouverture du droit à pension vont avoir des effets qui doivent être pris en compte dans ce cadre, sous peine de perdre le bénéfice des efforts conduits pour améliorer le fonctionnement de la justice.

Le projet de loi organique devant être examiné par le Sénat après l'adoption du projet de loi portant réforme des retraites, votre rapporteur sera attentif aux modifications qui seront apportées à cette réforme afin de présenter, le cas échéant, les amendements qui permettraient de les appliquer aux règles concernant la limite d'âge des magistrats.

*

* *

Votre commission a adopté le projet de loi organique sans modification.

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier (art. 76 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958) - Relèvement de la limite d'âge applicable aux magistrats de l'ordre judiciaire

Cet article fixe à 67 ans la limite d'âge applicable aux magistrats de l'ordre judiciaire. Cette limite d'âge ne s'appliquera cependant qu'à l'issue des mesures transitoires définies à l'article 2 du projet de loi organique. L'Assemblée nationale a adopté cet article sans modification.

Le premier alinéa de l'article 76 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 fixe à 65 ans la limite d'âge pour les magistrats de l'ordre judiciaire, « sous réserve des reculs de limite d'âge pouvant résulter des textes applicables à l'ensemble des agents de l'Etat ». Le projet de loi augmente de deux ans la limite d'âge, tout en maintenant cette réserve, qui permettra aux magistrats de demander à bénéficier des mesures de recul de la limite d'âge définies par les textes applicables aux agents de la fonction publique de l'Etat.

Plusieurs textes offrent en effet des possibilités de poursuite de l'activité, par recul de la limite d'âge :

- l'article 4 de la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté permet le recul de la limite d'âge d'une année par enfant à charge, sans que la prolongation d'activité puisse excéder trois ans. Cet article donne également aux fonctionnaires qui, au moment où ils atteignent leur cinquantième année, sont parents d'au moins trois enfants vivants, de reculer d'une année la limite d'âge. Ces deux avantages ne peuvent être cumulés que si l'un des enfants à charge est atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 % ou ouvre droit au versement de l'allocation aux adultes handicapés ;

- l'article 18 de la loi n° 48-337 du 27 février 1948 portant ouverture de crédits sur l'exercice 1948 en vue de la réalisation d'une première tranche du reclassement de la fonction publique et de l'amélioration de la situation des victimes de guerre permet à tout fonctionnaire ascendant d'un ou plusieurs enfants morts pour la France de bénéficier d'une prolongation d'activité à concurrence d'une année par enfant décédé dans ces conditions ;

- l'article 1-1 de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public, issu de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites, donne aux fonctionnaires qui atteignent la limite d'âge sans avoir acquis une durée de services liquidables leur permettant d'obtenir une retraite à taux plein, la possibilité d'être maintenus en activité, sur leur demande, sous réserve de l'intérêt du service et de leur aptitude physique. Cette prolongation ne peut excéder le nombre de trimestres nécessaires pour obtenir le pourcentage maximum de la pension civile 9 ( * ) , ni une durée de dix trimestres.

Si ces différentes possibilités de recul de la limite d'âge sont cumulables, elles ne peuvent, aux termes du dernier alinéa de l'article 4 de la loi du 18 août 1936, avoir pour résultat de retarder cette limite au-delà de 73 ans pour les fonctionnaires et employés civils classés dans la catégorie A.

Enfin, le projet de loi organique ne modifie pas le second alinéa de l'article 76 de l'ordonnance statutaire, qui fixe à 68 ans la limite d'âge des magistrats occupant les fonctions de premier président et de procureur général de la Cour de cassation.

Votre commission a adopté l'article premier sans modification .

Article 2 - Application progressive du relèvement de la limite d'âge

Cet article définit, par dérogation à l'article 76 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 modifié par l'article premier du projet de loi organique, le calendrier de relèvement de la limite d'âge pour les magistrats de l'ordre judiciaire.

Conformément au principe de « garantie générationnelle » institué par la réforme de 2003, et selon un schéma analogue à celui prévu pour le secteur privé, le relèvement de la limite d'âge interviendra de façon progressive.

Ainsi, les magistrats nés avant le 1 er juillet 1951, qui atteindront l'âge d'ouverture du droit à pension au premier semestre 2011 au plus tard, conservent une limite d'âge fixée à soixante-cinq ans. La réforme ne s'applique donc qu'aux magistrats nés après cette date, pour lesquels la limite d'âge est reculée de quatre mois par génération. Cette limite serait donc fixée à :

- soixante-cinq ans et quatre mois pour les magistrats nés entre le 1 er juillet et le 31 décembre 1951 ;

- à soixante-cinq ans et huit mois pour les magistrats nés en 1952 ;

- à soixante-six ans pour les magistrats nés en 1953 ;

- à soixante-six ans et quatre mois pour les magistrats nés en 1954 ;

- à soixante-six ans et huit mois pour les magistrats nés en 1955 ;

- à soixante-sept ans pour les magistrats nés depuis le 1 er janvier  1956.

Ainsi, 1.521 magistrats, sur un effectif total de 8.282 équivalents temps plein, devraient être touchés par cette réforme.

La commission des lois de l'Assemblée nationale a apporté à cet article deux modifications rédactionnelles proposées par son rapporteur.

Votre commission a adopté l'article 2 sans modification .

Article 3 (art. premier de la loi organique n° 88-23 du 7 janvier 1988) - Conditions de maintien en activité des magistrats ayant dépassé la limite d'âge

Cet article harmonise les conditions de maintien en activité des magistrats ayant dépassé la limite d'âge. En effet, selon leur place au sein de la hiérarchie judiciaire, les magistrats ayant atteint la limite d'âge peuvent demander leur maintien en activité au titre de deux dispositifs différents.

D'une part, aux termes de l'article premier de la loi organique n° 88-23 du 7 janvier 1988 portant maintien en activité des magistrats des cours d'appel et des tribunaux de grande instance, les magistrats des cours d'appel et des tribunaux de grande instance peuvent demander à être maintenus en activité pour une durée non renouvelable de trois ans, pour exercer les fonctions de conseiller, de substitut général, de juge ou de substitut. Ils doivent faire connaître au garde des sceaux, six mois au plus tard avant d'atteindre la limite d'âge, l'affectation qu'ils désireraient recevoir. Ce maintien en activité ne peut se prolonger au-delà de l'âge de soixante-dix ans (article 3 de la loi organique).

D'autre part, l'article premier de la loi organique n° 86-1303 du 23 décembre 1986 relative au maintien en activité des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation permet à ces derniers d'être maintenus, à leur demande, en activité en surnombre, pour exercer les fonctions de conseiller ou d'avocat général à la Cour de cassation, jusqu'à ce qu'ils atteignent la limite d'âge qui était en vigueur avant l'intervention de la loi organique du 13 septembre 1984, c'est-à-dire l'âge de soixante-huit ans.

Les magistrats maintenus en fonction en vertu de ces deux dispositifs conservent la rémunération afférente aux grade, classe et échelon qu'ils détenaient lorsqu'ils ont atteint la limite d'âge.

Selon l'étude d'impact jointe au projet de loi, le nombre de magistrats maintenus en activité en surnombre est de 71.

L'article 3 du projet de loi organique aligne les conditions de maintien en activité des magistrats des cours d'appel et des tribunaux de grande instance sur celles applicables aux magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation. Ainsi, aucun maintien en activité en surnombre ne pourrait se prolonger au-delà de l'âge de soixante-huit ans.

Le projet de loi organique initial modifiait l'article premier de la loi organique du 7 janvier 1988. La commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement de son rapporteur insérant dans l'ordonnance statutaire du 12 décembre 1958 les dispositions relatives aux conditions de maintien en activité des magistrats de l'ordre judiciaire (I). Cette modification améliore l'intelligibilité du droit en rassemblant au sein d'un nouvel article 76-1-1 des dispositions auparavant éclatées dans trois textes. Le II de l'article 3 procède en conséquence à l'abrogation de la loi organique du 13 septembre 1984, de la loi organique du 23 décembre 1986 et de la loi organique du 7 janvier 1988.

L'Assemblée nationale a par ailleurs adopté en première lecture, avec un avis favorable du Gouvernement, trois amendements de précision du rapporteur.

Le premier de ces amendements complète le deuxième alinéa de l'article 3, afin de prévoir que les magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation maintenus en activité y exercent des fonctions au siège (conseiller) ou au parquet (avocat général), correspondant à celles qu'ils exerçaient auparavant. Ce dispositif reprend ainsi le principe selon lequel un magistrat maintenu en activité ne peut exercer de fonctions d'encadrement, telles que celles de président de chambre ou de premier avocat général à la Cour de cassation 10 ( * ) .

Le deuxième amendement tire les conséquences de la nouvelle durée maximale d'un an pour le maintien en surnombre des magistrats du siège et du parquet des cours d'appel et des tribunaux de grande instance, en prévoyant que les magistrats devront alors postuler à des fonctions correspondant à celles qu'ils exercent au moment où ils ont atteignent la limite d'âge (alinéa 3). Il s'agit donc d'une transposition aux magistrats des cours et tribunaux de la règle applicable aux magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation.

Les magistrats du siège pourront ainsi être maintenus en activité dans les fonctions de conseiller ou de juge, et les magistrats du parquet dans les fonctions de substitut général ou de substitut. Ils seront dès lors immédiatement opérationnels dans les fonctions qu'ils ne pourront exercer pendant plus d'une année.

Enfin, le troisième amendement adopté par l'Assemblée nationale effectue à l'alinéa 4 une coordination avec la modification précédente. Par conséquent, dans la demande qu'ils devront formuler au plus tard six mois avant d'atteindre la limite d'âge, les magistrats souhaitant être maintenus en activité ne pourront plus demander indifféremment à exercer des fonctions au siège ou au parquet, puisqu'ils seront tenus de postuler à des fonctions proches de celles qu'ils exercent.

Votre commission a adopté l'article 3 sans modification .

*

Votre commission a adopté le projet de loi organique sans modification.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 29 SEPTEMBRE 2010

La commission procède à l'examen du rapport de M. Yves Détraigne et du texte qu'elle propose pour le projet de loi organique n° 714 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la limite d'âge des magistrats de l'ordre judiciaire.

M. Yves Détraigne , rapporteur . - La réforme des retraites relève de deux années les limites d'âge. Son application aux magistrats de l'ordre judicaire, nécessite, en vertu de l'article 64 de la Constitution, une loi organique. D'autres dispositions organiques définissent d'ailleurs le maintien en activité au-delà de la limite d'âge.

L'âge d'ouverture du droit à pension passera de 60 à 62 ans et celui d'annulation de la décote de 65 à 67 ans. Dans les trois fonctions publiques, le mécanisme de la décote a été prévu en 2003 avec une application progressive d'ici 2020, le nombre maximum de trimestres de la décote étant de 20. Un fonctionnaire peut toutefois demander à être maintenu en activité.

Le projet prolonge la démarche de convergence entre les secteurs privé et public engagée en 2003. Le taux de cotisation retraite des fonctionnaires sera porté à 10,55%. Le même principe conduit à appliquer le relèvement de deux ans des seuils aujourd'hui fixés à 60 et 65 ans. Les dispositions actuelles du code des pensions s'appliquent aux magistrats de l'ordre judiciaire, elles disposent que la liquidation des droits s'ouvre à 60 ans. L'article 9 de la réforme des retraites porte cet âge à 62 ans, un décret définissant sa mise en oeuvre progressive. Le relèvement s'appliquera à compter de juillet 2011. Conformément au principe de convergence, les magistrats qui demanderont la liquidation de leur pension sans avoir atteint la durée de cotisations exigée subiront une décote.

L'article 1 er du projet de loi organique fixe à 67 ans la limite d'âge des magistrats, sauf maintien en activité à leur demande. En toute hypothèse, aujourd'hui on ne peut aller au-delà de 73 ans.

Aux termes de l'article 2, le report de la limite d'âge entrera en vigueur progressivement : il reste à 65 ans pour les magistrats nés avant le 1 er juillet 1951 ; il s'appliquera complètement à ceux nés à partir de 1956. Le report de l'âge de liquidation ne changera pas fondamentalement les choses, puisque l'âge moyen de départ en retraite des magistrats était déjà de 62,7 ans en 2008 et de 63,3 ans en 2009. Le départ à la retraite résulte en effet de l'âge de début de la carrière ; or, d'une part, le concours de l'ENM est d'un niveau élevé qui implique une durée d'étude préalable, et, d'autre part, les magistrats recrutés par d'autres voies ont nécessairement une carrière courte dans la magistrature. L'application progressive de la décote amplifiera ce phénomène. Les syndicats de magistrats ont toutefois souligné les conséquences du présent texte pour les polypensionnés et pour les femmes. L'extinction du dispositif de départ avec 15 ans d'activité et trois enfants pourrait précipiter des départs. Il conviendra d'être vigilant, lors de la discussion budgétaire, au nombre de places offertes au concours de l'ENM, pour éviter une réduction des effectifs.

L'article 3 aligne les conditions du maintien en activité des magistrats des cours et tribunaux sur celles des magistrats hors hiérarchie du siège ou du parquet à la Cour de cassation. Ceux-ci ne pouvant aller au-delà de 68 ans, le maintien en activité ne pourra excéder un an. Or, un magistrat maintenu en activité doit changer de fonctions, sinon de juridiction : ce qui était peu attractif pour trois ans deviendrait dissuasif pour un an.

M. Jean-Claude Peyronnet . - Cela figure-t-il dans la loi ?

M. Yves Détraigne , rapporteur . - Le changement de fonction y figure.

Ne grossissons pas le trait : le nombre de magistrats prolongés n'est que de 71 aujourd'hui et l'alignement prévu par le projet portera tous les magistrats à 67 ans.

L'Assemblée a adopté trois amendements. Les magistrats maintenus en activité au-delà de 67 ans le seront dans des fonctions au siège ou au parquet, selon qu'ils exercent leur activité au siège ou au parquet, au moment où ils atteignent la limite d'âge. Cela leur permettra d'être rapidement opérationnels.

Les trois syndicats de magistrats ont déploré l'absence de consultation préalable : ils ont, comme tout un chacun, découvert dans la presse l'examen du projet en conseil des ministres. Ils ont insisté sur le risque de blocage des carrières puisque la loi organique du 25 juin 2001 a prévu trois grades, dont l'effectif est relativement rigide : maintenir deux ans des magistrats au grade le plus élevé va affecter la carrière des autres.

M. Pierre Fauchon . - Catastrophe !

M. Yves Détraigne , rapporteur . - Ces difficultés doivent être prises en compte dans la refonte du statut de la magistrature qui est en préparation. En outre, la réforme risque d'entraîner un ralentissement du travail des juridictions, le contentieux de masse étant confié aux magistrats les plus jeunes.

Le projet de loi organique transpose la réforme des retraites à la magistrature. Cela risque de se révéler moins anodin qu'il n'y paraît. Les progrès qui avaient été constatés dans les effectifs depuis le début des années 2000 restent fragiles et les tensions qui demeurent justifieront rapidement des mesures complémentaires. Le ministère de la Justice a désormais une direction des ressources humaines. Il faudra encore améliorer la gestion du personnel pour ne pas perdre le bénéfice des efforts accomplis. Si le Sénat amendait la réforme des retraites, il faudrait transposer ses amendements au projet de loi organique, qui viendra en discussion juste après. Pour l'instant, je propose de l'adopter conforme.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - On serait plus efficace en avançant en âge... Cela m'a perturbé.

M. Jean-Pierre Michel . - Propos de sénateur...

M. Yves Détraigne , rapporteur . - Les rigidités entre les trois grades font que les affaires les plus nombreuses sont confiées aux plus jeunes.

M. Jean-Pierre Michel . - Ce texte est la conséquence directe de la réforme des retraites, le groupe socialiste votera contre. Si, par miracle, celle-ci était modifiée sur la durée, il faudrait revoir celui-là : on va un peu vite.

Tout le raisonnement du rapporteur devrait le conduire à refuser une réforme aux résultats néfastes tant pour le fonctionnement avec un blocage de l'avancement au second grade - le plus important, mais qui va s'appauvrir - que pour les carrières, en particulier pour ceux qui ne sortent pas de l'école. Depuis 2003, on est passé de 375 places aux trois concours d'entrée à 105 : les autres sont pénalisés.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Il y a eu des concours complémentaires au second grade.

M. Jean-Pierre Michel . - Nous voterons contre ce texte. La Chancellerie aurait pu instituer le grade unique !

M. François Zocchetto . - Le tableau du nombre de places ouvertes au concours est saisissant. Qu'en est-il du nombre des départs et quid des deux prochaines années ? Il va y avoir pendant cinq ans des tranches d'âges peu représentées. Sait-on quel profil présentera la pyramide des âges ?

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Nous avons un état prévisionnel des départs.

M. Alain Anziani . - Le nombre de places au concours baisse chaque année, il est revenu de 375 à 105 ! On critique beaucoup les juges mais le nombre d'affaires augmente.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Il y a 8 597 magistrats, 5 000 femmes et 3 600 hommes, 54% sont au premier grade, 35% au second et 11% hors hiérarchie.

M. Yves Détraigne , président . - Notre président vient de répondre à certaines observations. J'ajoute que le secrétaire d'Etat à la Justice a répondu à l'Assemblée que la Chancellerie réfléchissait à une évolution du régime indemnitaire. Nous devons rester vigilants. Les statistiques montrent que les départs en retraite étaient inférieurs à 150 mais l'on arrive à une période d'accélération. Les choses évoluent et nous devrons être attentifs lors de l'examen des projets de loi de finances.

M. François Zocchetto . - J'ai été surpris que peu de magistrats demandent leur maintien en activité et je ne serais pas choqué que le plafond soit porté à 70 ans.

M. Yves Détraigne , rapporteur . - Aujourd'hui l'âge limite de maintien en activité est de 73 ans, mais je ne pense pas que ce soit fréquent. La limite d'âge sera de 68 ans pour l'ensemble des magistrats. On profite de ce texte pour harmoniser les choses. Il existe d'autres dispositions permettant un recul de la limite d'âge pour charges de famille, dans la limite de trois ans, ainsi que pour ceux qui ont trois enfants à 50 ans. La limite d'âge peut également être reculée d'un an pour un enfant atteint d'une invalidité de 80%.

M. Laurent Béteille . - Je partage assez largement l'opinion de François Zocchetto. Les dispositifs de maintien en activité ont un caractère baroque. Il ne serait pas plus mal qu'on arrive à une règle qui s'applique à tout le monde.

M. Bernard Frimat . - Je partage l'appréciation de notre collègue Jean-Pierre Michel. Le tableau que nous avons est saisissant. En 2010, il y aura 200 départs pour 105 recrutements à l'ENM en 2008 qui donneront la relève compte tenu du temps de formation. La technique budgétaire confirme que le gouvernement n'aime pas les magistrats - chacun de ses actes le montre.

Mme Jacqueline Gourault . -Il est un peu gênant d'étudier ce projet avant la réforme des retraites, car cela présuppose qu'elle sera adoptée à l'identique.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Il vient en discussion dans quinze jours, nous devons donc rapporter.

Mme Jacqueline Gourault .- Une adaptation du statut des magistrats aurait-elle été nécessaire s'il n'y avait pas eu réforme des retraites ?

M. Yves Détraigne , rapporteur . - Non ! Il s'agit juste de transposer la réforme des retraites et, à l'Assemblée, le projet de loi organique a été examiné dans la foulée de la réforme générale. Il faudra bien sûr l'adapter en déposant des amendements en cas de modification au Sénat.

M. Jean-René Lecerf . - Les chiffres sont très bizarres, ils ne correspondent pas à ce que nous disent les magistrats : pour eux le problème est plutôt celui des greffiers. Y a-t-il eu d'autres intégrations ?

M. Yves Détraigne , rapporteur . - La situation est meilleure aujourd'hui qu'il y a quelques années parce que les recrutements ont plus que compensé les départs en retraite. Cependant, nous attirons depuis deux ou trois ans l'attention du gouvernement sur la nécessaire anticipation des départs en retraite. Une partie de la réponse tiendrait, selon lui, à l'évolution des procédures, à l'informatisation, aux maisons de la justice et du droit avec leurs bornes interactives. Je suis sceptique et constate qu'on arrive au moment où l'on observe une baisse des effectifs. Nous devrons taper du poing sur la table.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Les recrutements ont longtemps été erratiques. Il n'y a eu aucune gestion prévisionnelle au ministère de la Justice pendant trente ans. Les chiffres présentés ici sont troublants. Anticipe-t-on les départs à la retraite ? Ces variations sont très gênantes, y compris pour les candidats aux concours. Il serait préférable d'avoir une vision à cinq ans. Est-ce l'influence de Bercy qui se fait sentir ?

M. Yves Détraigne , rapporteur . - Les premières lignes du tableau traduisent les effets de la loi d'orientation mais, si nous avons connu une augmentation des effectifs, nous risquons aujourd'hui de noter une baisse.

M. Bernard Frimat . - Un calcul de brigand montre que pour la période 2011-2019, on en est à 2 500 départs en retraite, 2 000 en tenant compte du recul de deux ans de la limite d'âge. Il faudrait que le gouvernement applique la logique du deux remplacements pour un départ... ! Notre rapporteur sera attentif aux chiffres du prochain budget. Le ministre met en avant l'informatisation mais pour analyser un dossier, il faut aussi que les neurones fonctionnent.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Quel que soit l'âge...

Le texte du projet de loi organique est adopté sans modification.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Mardi, nous auditionnerons Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer, sur les projets de loi sur Mayotte et aurons mercredi le rapport sur ces textes et le rapport sur la simplification du droit. J'ai demandé aux commissions pour avis de déposer leurs amendements sur ce texte complexe avant mercredi pour que nous les intégrions.

M. Jean-Pierre Sueur . - Aurons-nous tous les rapports ?

M. Jean-Jacques Hyest . - Non, mais nous aurons les amendements qui seront déposés auprès de nous le mardi.

M. Jean-Pierre Sueur .- La circonférence de ce texte étant partout et son centre nulle part, en lire les 200 articles n'est déjà pas une mince affaire. Si nous avons à 9h30 une épaisse liasse d'amendements...

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Les rapporteurs pour avis seront là. Il faudrait peut-être néanmoins commencer à 9 heures.

M. Jean-Claude Peyronnet . - On n'en est plus à une codification à législation constante.

M. Jean-Pierre Sueur . - La machine à ajouts était en marche à l'Assemblée ...

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Nous commencerons à 9 heures.

ANNEXE - LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

FO magistrats

- M. Emmanuel Poinas , secrétaire général

Syndicat de la magistrature

- Mme Clarisse Taron, présidente

- Mme Odile Barral , vice-présidente

Union syndicale des magistrats

- M. Christophe Régnard, président

- M. Nicolas Léger , chargé de mission


* 1 Voir le rapport fait au nom de la commission des affaires sociales par M. Dominique Leclerc. http://www.senat.fr/rap/l09-733-1/l09-733-1.html

* 2 Retraites : perspectives actualisées à moyen et long terme en vue du rendez-vous de 2010, huitième rapport du Conseil d'orientation des retraites, 14 avril 2010.

* 3 La décote est la réduction définitive appliquée au montant de la pension d'un assuré qui choisit de partir en retraite avant d'avoir atteint la durée de cotisation nécessaire ou l'âge requis pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein.

* 4 Le taux plein est le taux maximum de calcul d'une retraite, pour un assuré justifiant de la durée d'assurance nécessaire, tous régimes confondus. Peuvent aussi obtenir une retraite au taux plein, quelle que soit leur durée d'assurance, les personnes ayant atteint un âge limite (65 ans en l'état actuel du droit pour les salariés du privé et les non salariés, 60 ou 65 ans selon les cas pour les fonctionnaires) et les personnes se trouvant dans une situation particulière (reconnues inaptes au travail, invalides, anciens combattants, anciens prisonniers de guerre, anciens déportés ou internés politiques...).

* 5 Ce concours est ouvert aux étudiants titulaires d'un master et âgés de moins de 31 ans.

* 6 Le deuxième concours est ouvert aux fonctionnaires justifiant de 4 ans de service et le troisième concours est ouvert aux personnes n'ayant pas la qualité de fonctionnaires, mais justifiant de huit années d'exercice professionnel ou d'un mandat électif.

* 7 Le décret n° 69-469 du 27 mai 1969 fixant le classement hiérarchique des magistrats de l'ordre judiciaire précise que « l'échelon B bis n'est accessible qu'aux magistrats exerçant les fonctions dont la liste est fixée par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé du budget ». Ainsi, l'échelon de rémunération B bis n'est accessible qu'aux magistrats du 8ème échelon du premier grade occupant les emplois fonctionnels dont la liste est fixée par un arrêté du 28 avril 2004. Ces magistrats sont rémunérés sur cette base au titre d'une nomination à un emploi fonctionnel.

* 8 Cette localisation ne concerne pas les postes de la Cour de cassation, de l'administration centrale et de l'Ecole nationale des greffes.

* 9 Soit cent soixante trimestres.

* 10 Ce principe figure actuellement à l'article 1 er de la loi organique n° 86-1303 du 23 décembre 1986 relative au maintien en activité des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page