B. LES PROPOSITIONS DU GROUPE DE HAUT NIVEAU SUR LE LAIT : UNE AVANCÉE PRUDENTE DANS LE SENS DE LA RÉGULATION.

1. La principale orientation du GHN : redonner aux producteurs un réel pouvoir de marché, dans un cadre qui reste celui de la concurrence.

Redonner un pouvoir de marché important aux producteurs dans la filière laitière constitue l'axe principal de la nouvelle régulation proposée par le GHN.

Le GHN remarque que si le secteur agricole est soumis au droit de la concurrence, interdisant des fixations concertées des prix entre producteurs, il existe déjà des marges de manoeuvres pour se regrouper afin de peser sur le marché .

Les seuils de concentration de l'offre admissibles par le droit européen dans le secteur laitier sont cependant peu élevés :

- les accords entre producteurs représentant moins de 5 % d'un marché pertinent ou moins de 40 millions d'euros de chiffre d'affaires sont autorisés, mais ce seuil est très bas, certainement trop au regard de la concentration de l'aval, beaucoup plus forte ;

- les producteurs peuvent négocier un prix unique si l'acheteur exige un prix unique d'achat et si la part de marché des producteurs est inférieure à 15 %. Mais ces conditions sont difficiles à remplir en pratique ;

- enfin, les producteurs de lait peuvent mettre en commun des moyens et négocier un prix unique, dès lors que leur part de marché est inférieure à 20 %.

Toutefois, tous ces seuils sont calculés par « marché pertinent », et cette notion est très floue . Elle s'analyse au cas par cas. Or, les acteurs du marché du lait veulent un cadre juridique stable.

Une majorité des États membres de l'Union européenne semble soutenir l'idée d'une modification du cadre juridique communautaire pour permettre de tels rapprochements dans le cadre d'organisations de producteurs (OP), pouvant fixer un prix unique. Le seuil au-delà duquel le regroupement ne serait plus admis pourrait être fixé à 2 à 3 % du marché européen.

La concentration sous forme d'OP est donc la voie principale préconisée par le GHN pour massifier l'offre, à l'instar des possibilités offertes par l'OCM unique en ce qui concerne les fruits et légumes . Des propositions législatives européennes pourraient être faites pour rapprocher le droit s'appliquant au lait de celui existant pour les fruits et légumes.

Les OP dans le secteur des fruits et légumes bénéficient de fonds communautaires importants pour gérer leurs programmes opérationnels. Pourquoi ne pas adopter le même système pour le lait dans la future PAC ? Si le GHN ne l'évoque pas, il n'est pas interdit de prôner un ciblage de ces aides sur les OP de taille importante, afin d'encourager au regroupement des producteurs sous ce type de formule.

Par ailleurs, le GHN propose de renforcer le rôle des organisations interprofessionnelles, à l'instar des missions qu'elles exercent dans le secteur des fruits et légumes et dans celui du vin, afin qu'elles organisent davantage les marchés laitiers entre ses différents acteurs : producteurs, transformateurs, distributeurs.

Le rôle des interprofessions dans le secteur des fruits et légumes

L'article 124 de l'OCM unique permet aux États membres de reconnaître des interprofessions dans tous les secteurs couverts par ce texte. Mais la définition de leur rôle est laissée à l'appréciation du droit national. Et en aucun cas les interprofessions ne peuvent mettre en oeuvre des pratiques anticoncurrentielles.

L'OCM unique donne cependant plus de missions aux interprofessions dans certains secteurs, notamment dans celle des fruits et légumes. L'article 123 de l'OCM unique leur permet en effet de mener des actions visant :

- à l'amélioration de la connaissance et de la transparence de la production et du marché ;

- à la contribution à une meilleure coordination de la mise sur le marché des fruits et légumes, notamment par des recherches et des études de marché ;

- à l'élaboration de contrats-types compatibles avec la réglementation communautaire ;

- à la mise en valeur des fruits et légumes ;

- à l'adaptation de l'offre aux attentes des consommateurs ;

- à des actions visant l'amélioration de la qualité des produits et le renforcement de la sécurité des produits ;

- à la mise en valeur et la protection des productions sous signes de qualité ;

- à la promotion de méthodes de production respectueuses de l'environnement ;

- à la définition de règles de production et de commercialisation plus strictes que les dispositions des réglementations communautaires ou nationales.

Ces pratiques autorisées permettent aux interprofessions de structurer de manière assez forte le fonctionnement des marchés des fruits et légumes.

2. Organiser des relations de long terme au sein de la filière laitière.

La fin des quotas crée une insécurité économique tant pour les producteurs que pour les industriels . Le GHN propose donc de donner de leur donner de la visibilité à travers la contractualisation.

C'est la voie choisie en France avec la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP).

Plusieurs organisations agricoles européennes contestent l'orientation vers la contractualisation, préférant une régulation publique des quantités sur le marché du lait, sur le modèle des quotas laitiers existant depuis 1984, éventuellement régionalisés, à une régulation privée dont les modalités restent largement à construire.

La contractualisation laisse cependant une plus grande liberté aux acteurs privés, tout en fixant des perspectives , des engagements réciproques de prix et de quantités.

Toutefois, la contractualisation ne se conçoit pas comme outil isolé de la nouvelle régulation laitière. Son bon fonctionnement dépend d'une part de la capacité des producteurs à s'organiser et d'autre part de la disponibilité de l'information sur le marché pour les producteurs. Ces derniers sont en effet souvent pénalisés par une asymétrie qui leur est préjudiciable dans la négociation.

C'est pourquoi le GHN recommande également d'améliorer la transparence des marchés laitiers , dans la droite ligne de la communication de la commission sur l'amélioration du fonctionnement de la chaîne alimentaire en Europe de mars 2010.

Le GHN propose à cet égard la création d'un Observatoire européen des prix agricoles, qui s'appuierait sur Eurostat et sur les instituts statistiques nationaux.

3. Des préconisations limitées en ce qui concerne les interventions publiques de soutien aux marchés.

Le GHN est cependant peu audacieux sur les mesures de marché. Celles-ci ont cependant prouvé leur utilité dans la crise du lait de l'année 2009. Les achats à l'intervention ont permis de sortir du marché de la poudre de lait et du beurre, contribuant à redresser les cours. Les aides au stockage privé ont eu le même effet positif.

Cependant, le GHN ne préconise pas un renforcement des mesures d'intervention sur les marchés, et ne les envisage que comme un filet de sécurité en cas de crise :

- d'une part, ces mesures d'intervention ne sont pas envisagées comme devant être massives : le GHN ne suggère pas d'augmenter les quantités garanties à l'intervention ;

- d'autre part, le GHN ne propose pas d'étendre la période d'intervention toute l'année .

Les réticences du GHN sur ce sujet peuvent s'expliquer par le risque de voir les demandes d'intervention exploser avec la disparition des quotas, les exploitations les plus compétitives ayant la faculté de pousser leur production à la hausse et de profiter des périodes de crise en produisant pour l'intervention, avec des coûts de productions inférieurs aux prix d'intervention.

4. Les autres recommandations du GHN

La mise en place de marchés à terme est envisagée par le GHN comme un outil de transparence supplémentaire mais ne saurait certainement pas constituer la réponse principale à la volatilité des prix.

En ce qui concerne l'instauration de labels d'origine, le GHN est peu directif. La réticence aux labels d'origine est traditionnelle au sein des institutions européennes où ceux-ci sont vus comme des obstacles non tarifaires aux échanges, comme des mesures discriminatoires, alors même que l'indication de l'origine donne pourtant une information essentielle au consommateur.

Les 7 recommandations du GHN

1° Encourager l'utilisation de contrats écrits formels relatifs aux livraisons de lait cru, prévoyant le prix, les volumes, les délais de livraison et une durée du contrat : le GHN invite la Commission européenne à proposer le cas échéant un cadre législatif, permettant aux Etats-membres de rendre la conclusion de tels contrats obligatoire ;

2° Permettre un regroupement des producteurs sur une base plus large, par exception au droit commun de la concurrence, afin de peser davantage sur le marché ;

3° Envisager l'extension des missions des interprofessions laitières, sur le modèle des interprofessions dans le secteur des fruits et légumes ;

4° Améliorer la transparence du marché par un instrument européen de surveillance des prix des denrées alimentaires, adossé à l'Office européen des statistiques (Eurostat) ;

5° Maintenir les mécanismes d'intervention actuels, jouant un rôle de filet de sécurité, et faciliter l'utilisation des marchés à terme ;

6° Envisager de modifier les règles d'étiquetage conformément à l'évolution de la législation relative à l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires, actuellement à l'étude ;

7° Renforcer l'innovation et la recherche sur la compétitivité du secteur laitier , dans le cadre d'une part des programmes de développement rural (PDR) prévus par le deuxième pilier de la PAC et d'autre part des programmes-cadre de recherche de l'Union (PCR).

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