B. DES COMPLÉMENTS INDISPENSABLES

Au-delà de ces trois adjonctions, votre commission spéciale a également porté plusieurs profondes améliorations au texte initial du Gouvernement, qui visent à le préciser ou le compléter sur trois sujets essentiels : l'offre et l'utilisation du crédit sur le lieu de vente , l'information et la protection du consommateur avant la contractualisation et en cours de contrat, le fonctionnement de la procédure de surendettement et du FICP .

1. Clarifier la « zone grise » commerce-crédit

Comme cela a été rappelé supra au IV du présent exposé général, deux des propositions de loi déposées au Sénat depuis octobre dernier comportaient des dispositions visant à résoudre le double problème posé par les cartes de fidélité auxquelles est associée une réserve de crédit renouvelable et l'offre de crédit sur le lieu de vente . En effet, la conjonction de la « fièvre acheteuse » et de « l'argent facile » (en apparence) dans une même unité de lieu et de temps conduit à trop d'exemples de consommateurs abusés par des offres alléchantes mais déloyales , entrés dans le crédit quasiment à leur insu, quand ce n'est pas le fonctionnement même de la ligne rechargeable qui leur reste insoupçonné jusqu'au moment où se révèle brutalement la situation de surendettement.

Le Gouvernement s'est également montré préoccupé par le malendettement, le déséquilibre de la relation entre le prêteur et l'emprunteur sur le lieu de vente et la confusion assez fréquente entre utilisation de la carte de fidélité et fonctionnement du compte renouvelable. Sans toutefois reprendre les mesures parfois radicales de certaines des propositions (la distinction physique entre carte de fidélité, carte de paiement et carte de crédit suggérée par celle de Mme Nicole Bricq, l'interdiction de proposer et d'ouvrir un compte de crédit renouvelable dans tout lieu de vente, également suggérée par celle-ci, ou dans les seules surfaces de plus de 1 000 m² comme celle de M. Philippe Marini), le projet de loi comporte des dispositions qui poursuivent le même objectif de loyauté de la relation commerciale tout en s'appuyant sur le renforcement de la responsabilité des acteurs . Dans cette optique, la mesure consistant à imposer de manière claire et systématique l'usage au comptant de la carte de paiement/crédit est essentielle, et votre commission l'a naturellement approuvée sans réserve.

Mais elle a cependant souhaité renforcer ce volet sur plusieurs points qu'elle considère tout autant indispensable à un assainissement des relations entre prêteurs, vendeurs et consommateurs , afin de clarifier davantage cette « zone grise », pour reprendre les termes utilisés par Mme Pierrette Crosemarie, rapporteur du CESE, lors de son audition.

C'est ainsi que, sur la proposition de votre rapporteur , votre commission spéciale a adopté six amendements visant à imposer :

- que la phase dialogue entre prêteur et emprunteur précédent la conclusion du contrat de crédit se déroule, lorsque le crédit est proposé sur le lieu de vente, dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges ; cette prescription obligera dans les faits l'enseigne commerciale à prévoir un espace dédié , préservé des passages du reste de la clientèle, pour que le prêteur ou l'intermédiaire financier puisse mener avec le consommateur un dialogue serein de nature à éclairer ce dernier ; en tout état de cause, échange et signature du crédit ne pourront dorénavant plus se faire à la va-vite en tête de gondole ou à proximité des rayons, dans un espace totalement ouvert ne satisfaisant nullement à cette exigence nouvelle de confidentialité ;

- que le prêteur soit responsable de la formation à la distribution du crédit à la consommation et à la prévention du surendettement des personnes qu'il charge d'agir pour son compte sur le lieu de vente , qu'elles soient ses salariés ou des intermédiaires de crédit ; ces personnes devront en outre être inscrites sur un registre , tenu par le prêteur à la disposition de l'autorité de contrôle sur le lieu de vente ;

- que les cartes bancaires auxquelles est associée une réserve de crédit renouvelable , telles que la nouvelle carte Double Action du Crédit Agricole , soient assujetties à la même obligation de paiement au comptant « par défaut » que ce que le texte du Gouvernement prévoit pour les cartes de fidélité/paiement/crédit ; il serait en effet totalement vain d'établir une législation spécifique à ces cartes de fidélité si, dans le même temps, plus de 50 millions de cartes bancaires étaient susceptibles d'y échapper ;

- que lorsque l'achat des biens et/ou des services donne lieu à proposition sur le lieu de vente d'un contrat de crédit renouvelable pour le régler, le consommateur puisse , si le montant de ses acquisitions dépasse un seuil fixé par décret , disposer de la possibilité de souscrire une offre de crédit amortissable alternative ; il s'agit ainsi, comme le préconisait d'une façon différente un article de la proposition de loi de M. Philippe Marini 169 ( * ) , de soumettre les prêteurs et intermédiaires de crédit à l' obligation de proposer deux offres à leurs clients afin que ceux-ci puissent librement choisir la formule qui convient le mieux à leurs besoins comme à leurs capacités financières ; le défaut d'une telle remise d'une offre alternative serait sanctionnée par une amende de 1 500 euros .

Pour votre rapporteur, cette disposition, dès lors qu'elle est combinée avec la réforme du taux de l'usure , apparaîtra très vraisemblablement, lorsque les effets de la loi seront analysés, comme l'un de ses apports majeurs . En effet, elle porte en germe une transformation radicale du modèle commercial des établissements de crédit qui seront doublement contraints, tant par le rapprochement des coûts des deux types de crédit que par l' exigence des consommateurs attisée par cette obligation légale, d'accorder une importance nouvelle au crédit amortissable dans leurs comptes de résultats . Certains des acteurs ont du reste déjà anticipé ce bouleversement du marché du crédit à la consommation, comme en témoigne la récente redéfinition de la stratégie commerciale du groupe LaSer...

En revanche, et eu égard à cet ensemble cohérent de dispositions nouvelles, il n'a pas semblé opportun à votre commission spéciale de donner suite à certaines mesures supplémentaires, qui pourraient du reste avoir pour conséquence pratique de faire disparaître le crédit renouvelable, issue à la fois irréaliste au plan économique et injustifiée au regard de l'intérêt que cette forme de crédit présente pour la très grande majorité des consommateurs.

C'est ainsi, notamment, qu'elle a rejeté un amendement de Mme Nicole Bricq et ses collègues qui imposait la distinction physique entre cartes de fidélité, cartes de paiement et carte de crédit . Sans même prendre en considération les effets économiques probablement foudroyants sur l'activité du secteur du commerce qu'une telle mesure engendrerait, il semble à votre rapporteur que même le consommateur n'y trouverait pas son compte . Aujourd'hui, la plupart d'entre nous possèdent déjà dans leur portefeuille entre une demi-douzaine et une dizaine de cartes : carte bancaire, carte Vitale, carte(s) d'association, de club sportif, de cinéma..., évidemment cartes de fidélité (FNAC, enseignes de la grande distribution, magasins spécialisés...), parfois cartes d'abonnement (transports en commun, parking, Vélib' à Paris ou similaire dans d'autres grandes villes...). Si certaines d'entre elles devaient être dédoublées, voire « détriplées », il faudrait prévoir un sac pour les transporter toutes...

La commission spéciale n'a également pas approuvé deux amendements de Mme Brigitte Bout et un amendement de M. Michel Mercier , M. Claude Biwer , Mme Muguette Dini et les membres du groupe UC visant à étendre à quatorze jours le délai de mise à disposition des fonds , actuellement maintenu par le Gouvernement à sept jours, comme l'y autorise la directive communautaire. Si ces trois amendements sont compréhensibles en termes de cohérence intellectuelle - puisqu'il maintienne le lien actuel entre délai de mise à disposition des fonds et délai de rétractation, dès lors que ce dernier est porté de sept à quatorze jours par la nouvelle législation -, il est absolument certain que leurs conséquences économiques sur l'activité commerciale, sur le lieu de vente comme par correspondance, seraient extrêmement préjudiciables, notamment dans les zones frontalières. C'est du reste la raison pour laquelle la directive a bien autorisé le distinguo entre ces deux délais, le Conseil et le Parlement européens étant parfaitement conscients de cet enjeu majeur.

* 169 Du reste repris par un amendement de Mme Nicole Bricq et ses collègues examiné par la commission spéciale.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page