II. COMPTE RENDU INTÉGRAL DES AUDITIONS DES MERCREDI 28 JANVIER, MERCREDI 4 ET JEUDI 5 FÉVRIER 2004

Audition de M. Jean-Marie SPAETH,
président du conseil d'administration de la Caisse nationale
d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)
(mercredi 28 janvier 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Mes chers collègues, nous accueillons maintenant M. Jean-Marie Spaeth, président de la CNAMTS. Monsieur le président, je vous invite à nous donner votre sentiment à propos du projet de loi sur l'égalité des droits pour les personnes handicapées. Nous recueillerons ensuite vos réactions par rapport aux questions qui vous seront posées par le rapporteur et par les commissaires.

M. Jean-Marie SPAETH - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité, d'autant plus que le conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance maladie a soulevé de nombreuses interrogations sur le thème de l'égalité des droits des personnes handicapées.

En préalable, je rappelle que, dans la droite ligne des orientations sur la prise en charge des personnes handicapées, qui ont été adoptées par le conseil d'administration en avril 2003, en présence de Mme Marie-Thérèse Boisseau, la CNAMTS partage les principaux objectifs qui sont affichés dans le projet de loi, visant à garantir l'accès à la pleine citoyenneté des personnes handicapées et surtout, le libre choix de leur projet de vie. Cela suppose effectivement de mettre en place un droit à la compensation des conséquences du handicap, dont le projet de loi a vocation à définir les contours, prenant ainsi en compte la diversité des besoins des personnes handicapées.

Le conseil d'administration de la CNAMTS tient aussi à exprimer son accord avec l'objectif de simplification administrative qui conduit à créer un guichet unique pour l'ensemble des droits et prestations destinées aux personnes handicapées autour de maisons départementales du handicap.

Par contre, le conseil d'administration regrette qu'en l'état actuel, ce projet de loi ne soit cependant pas à la hauteur des ambitions, des attentes et des besoins exprimés par les personnes handicapées, compte tenu des incertitudes qu'il comporte sur le niveau des prestations garanties et leur mode de financement. Il ne permet donc pas, au stade actuel, de garantir une amélioration effective des conditions d'existence des personnes handicapées.

Ces incertitudes sont de plusieurs ordres.

En premier lieu, elles portent sur les conditions et sur les critères d'attribution de la prestation de compensation, qui sont renvoyés à des dispositions réglementaires, mais dont les bénéficiaires sont définis de façon restrictive. En effet, les bénéficiaires de la prestation de compensation devraient être âgés d'au moins vingt ans et d'au plus soixante ans.

En deuxième lieu, des questions subsistent quant à l'articulation précise entre la prestation de compensation et les prestations dispensées aujourd'hui par l'assurance maladie, puisque cette prestation pourrait absorber le financement des structures médico-sociales relevant de l'assurance maladie, tout en excluant la partie des aides techniques qui ressort de la liste des produits et prestations (LPP), c'est-à-dire l'ancien tarif interministériel des prestations sanitaires (TIPS) , et de ses conditions de prise en charge. Comme l'ensemble des prestations relevant de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la régulation future des secteurs d'activité correspondants est laissée dans l'ombre.

En dernier lieu, le conseil d'administration s'interroge sur l'absence d'explications quant au financement des maisons départementales du handicap et des équipes pluridisciplinaires qui les composent. De plus, leur articulation future avec l'expérience en cours des « sites pour la vie autonome » demeure indéterminée. Enfin, les conditions de fonctionnement de la future Commission des droits et de l'intégration des personnes handicapées, dont les décisions ont vocation à s'imposer à tous les financeurs, dont l'assurance maladie, ne sont pas précisées.

Pour ces raisons, le conseil d'administration de la CNAMTS n'a pas véritablement apprécié la portée d'un projet de loi, dont il a été reconnu qu'il risquait de ne pas être opérant. Néanmoins, nous considérons que les intentions que le projet de loi a affichées sont positives. En outre, des incertitudes subsistent sur la caisse d'autonomie, dont nous ne voyons que mal ce que pourraient être ses finalités et son articulation avec l'assurance maladie.

Pour conclure, je remarque que nous avons travaillé à partir des orientations qui ont fait l'objet d'un débat préalable. Par la suite, nous avons examiné ce projet de loi sur l'égalité des droits pour les personnes handicapées s'articulait avec notre projet.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie, monsieur le président, pour la densité de votre intervention.

M. Paul BLANC, rapporteur - Monsieur le président, vous vous êtes certainement déjà posé les questions que je suis sur le point de vous poser. Je souhaite néanmoins que vous nous exposiez la manière dont vous avez envisagé de répondre à ces questions.

D'abord, les appareillages et les aides techniques constituent un moyen important de compensation des conséquences du handicap. Leur prise en charge reste à ce jour défaillante, même si la CNAMTS intervient déjà, de façon obligatoire ou volontaire, pour prendre en charge une partie de ces frais. Le projet de loi vise à améliorer ce système, notamment en solvabilisant la demande d'aides techniques grâce à la prestation de compensation.

Comment concevez-vous l'articulation de la prise en charge, en matière d'aides techniques, entre l'État et l'assurance maladie, dans le cadre de cette nouvelle prestation ?

M. Jean-Marie SPAETH - Théoriquement, la prestation de compensation, telle que le projet de loi la définit, introduit une solution de continuité entre d'une part, le complément de prise en charge nécessaire pour la partie des aides techniques qui relèvent d'une prise en charge par l'assurance maladie au titre de la LPP, comme les fauteuils roulants, et d'autre part, les aides techniques qui ne relèvent pas de la LPP, car elles relèvent plus de l'accompagnement à la vie courante que d'une prise en charge médicale. La prestation de compensation doit, par ailleurs, assurer une solvabilisation des aménagements de logement et des aides humaines, comme les auxiliaires de vie, qui peuvent être indispensables au quotidien des personnes handicapées.

Néanmoins, le projet de loi laisse en suspens de nombreuses questions.

Premièrement, le projet de loi définit de façon restrictive les bénéficiaires de la prestation de compensation. En effet, il ne propose de prise en charge, que pour les personnes handicapées de plus de vingt ans et de moins de soixante ans, ainsi que pour les personnes ayant un taux d'incapacité égal ou supérieur à 80 %, c'est-à-dire les bénéficiaires de l'AAH. Or notre vision des handicapés est plus large que celle de l'ensemble des personnes éligibles à l'AAH. Par conséquent, à travers la compensation, émerge un droit nouveau. Mais les personnes qui sont exclues de l'AAH demeurent dans une logique d'action sociale de la Caisse nationale. Telle est, finalement, notre première interrogation.

Deuxièmement, en ce qui concerne la prise en charge des aides techniques qui ne relèvent pas de la LPP, des incertitudes majeures ne sont pas levées. D'abord, comment certifier la liste des appareillages pris en charge ? Ensuite, comment certifier ou garantir la qualité des équipements pris en charge, outre le marquage CE ?

Troisièmement, crée-t-on les conditions d'une prise en charge sur la base de tarifs opposables, sachant que pour les articles de la LPP, des écarts importants entre les tarifs pratiqués et les bases de prise en charge se creusent ? En l'absence de tarifs opposables, la solvabilisation de la demande risque d'alimenter une inflation tarifaire, dont les personnes handicapées pâtiront tout particulièrement, non éligibles à la prestation de compensation. Dans ces conditions, est-il nécessaire de revoir le panier de soins et les frontières de la CMU complémentaire, qui exclut les bénéficiaires de l'AAH, pour assurer une prise en charge et des tarifs opposables pour la population handicapée la plus défavorisée ?

Quatrièmement, la question la grille d'évaluation n'a pas trouvé de réponse précise, comme celle de la constitution sur l'ensemble du territoire d'un réseau cohérent d'équipements techniques labellisés.

Ces questions, dont la liste n'est pas exhaustive, demeurent donc en suspens. Par ailleurs, je vous remettrai une fiche qui contient l'ensemble des questions et qui reprend quelques exemples, afin de trouver des réponses.

M. le PRÉSIDENT - Nous vous en remercions.

M. Paul BLANC, rapporteur - Le projet de loi prévoit également de mieux contrôler l'offre d'aide, à travers une réglementation des professions liées à l'appareillage et aux aides techniques.

Comment fonctionnent, à ce jour, les relations entre l'assurance maladie et les professionnels de l'appareillage et les prestataires d'aides techniques ? La réglementation de ces professions constitue-t-elle, selon vous, un progrès ? Correspond-t-elle à une demande des professionnels, des caisses ou des patients ?

M. Jean-Marie SPAETH - Avant la réforme du TIPS, les caisses régionales d'assurance maladie « agréaient », via des conventions obligatoires, les orthoprothésistes, les podo-orthésistes et les ocularistes. A défaut d'un agrément, aucune prise en charge par l'assurance maladie ne pouvait intervenir.

Depuis la réforme de la LPP, qui est intervenue au mois de mars 2001, les relations de l'assurance maladie avec les professionnels de l'appareillage et les prestataires d'aides techniques sont régies par des accords nationaux, qui ne nécessitent pas d'approbation ministérielle. Ils n'ont donc plus de caractère obligatoire depuis mars 2001. Ainsi, la non-adhésion du professionnel ne lui interdit pas la délivrance de prestations aux assurés sociaux qui seront remboursés. Cela limite la portée des accords conventionnels aux seuls professionnels qui souhaitent faire bénéficier les assurés de la dispense d'avance des frais. Finalement, et contrairement à ce qui se pratiquait auparavant, seul le mécanisme l'avance de frais joue. Cela génère donc des disparités significatives sur l'ensemble du territoire.

A mon sens, il est nécessaire de progresser sur ce terrain et de combler un vide. En effet, si les rapports conventionnels conduisent à des relations tarifaires avec les autres professionnels de santé, tel n'est pas le cas des professionnels de l'appareillage et des prestataires d'aides techniques.

M. Paul BLANC, rapporteur - Le projet de loi met en place des « maisons départementales des personnes handicapées », regroupant les compétences qui sont aujourd'hui dévolues aux COTOREP, aux CDES et aux sites pour la vie autonome.

Comment concevez-vous le rôle de la CNAMTS au sein de cette nouvelle instance ?

M. Jean-Marie SPAETH - Tout d'abord, il faut rappeler que l'assurance maladie est favorable au concept de guichet unique. J'aurais l'occasion, par ailleurs, de le rappeler en évoquant de nombreux sujets, tant la notion de guichet unique est présente dans l'adaptation de notre système d'assurance maladie. Elle participe donc concrètement à leur expérimentation dans le cadre des « sites pour la vie autonome », qui sont leur préfiguration. Elle participe à leur financement partiel sur les ressources de l'action sanitaire et sociale des caisses d'assurance maladie : une enveloppe de 53 millions d'euros leur est actuellement dédiée pour le financement de la logistique et des prestations complémentaires aux prestations légales de l'assurance maladie, souvent en partenariat avec la mutualité et les conseils généraux.

Une des premières actions à envisager serait de donner un support légal plus solide à ces financements, et de conforter leur montant, dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion État / CNAMTS, en discussion actuellement avec l'État.

Ensuite, il reste à concevoir la façon dont ces « maisons départementales » vont fonctionner : on touche là aux questions préalables à résoudre avant leur mise en place, sur l'évaluation des besoins des personnes handicapées et la constitution d'un réseau d'équipes d'évaluateurs. Est-il pertinent que le département ait tout à la fois la maîtrise de l'évaluation des besoins et de leur financement ? Vous connaissez sans doute mon point de vue sur la difficulté de gérer un dossier lorsque l'on est à la fois juge et partie. Ne faut-il pas garantir l'indépendance de l'équipe d'évaluation par rapport aux financeurs ? Il y a toute une répartition des rôles à concevoir, sur laquelle l'assurance maladie est prête à apporter son savoir-faire.

En outre, en tant qu'acteurs de l'assurance maladie, nous considérons dans ce domaine, comme dans bien d'autres, qu'il y a une nécessité à réinventer un partenariat entre les uns et les autres, même si les décisions politiques peuvent être diverses. Dès lors, le partenariat peut s'appuyer sur plusieurs fondements. D'abord, le partenariat peut reposer sur l'apport du service social de l'assurance maladie. Ensuite, il peut s'appuyer sur la capacité d'expertise de la CNAMTS, par le biais des praticiens « conseils du service ». Enfin, le partenariat peut se concevoir en termes d'accueil : les points d'accueil de l'assurance maladie sur l'ensemble du territoire peuvent être une des portes d'entrée dans le dispositif du futur droit à la compensation, notamment pour orienter les personnes qui sollicitent une évaluation par une équipe technique d'évaluation de la « maison départementale ».

Finalement, cette offre de services pourrait s'inscrire dans un cadre conventionnel ou contractuel qui reste à définir, ou bien à travers la constitution d'un groupement d'intérêt public (GIP), qui réunit l'ensemble des partenaires du dispositif. L'idée du GIP est une proposition parmi d'autres ; nous sommes, en effet, ouverts à toute forme de partenariat, car nous pensons que seul un partenariat clair, négocié et contractualisé est de nature à mettre en synergie l'ensemble des compétences et des richesses qui existent en France dans ce domaine.

M. Paul BLANC, rapporteur - En ce qui concerne les services sociaux, je remarque que la part représentée par les caisses est mineure, par rapport à la part des départements. Cela étant, je suis favorable, à titre personnel, à la mise en place d'un partenariat.

M. Jean-Marie SPAETH - Je ne puis vous préciser ce qu'est le nombre exact d'assistantes sociales. En revanche, je suis certain du fait qu'elles sont nombreuses dans les caisses régionales et dans les caisses départementales.

M. Paul BLANC, rapporteur - Les départements comptent également de nombreuses assistantes sociales, mais je suis d'accord sur le principe d'un travail en collaboration de l'ensemble des assistantes sociales.

M. le PRÉSIDENT - Nous avons bien compris ce que sera l'offre de services que M. Jean-Marie SPAETH a présentée. Nous attendrons d'obtenir le point de vue des élus des départements sur la question.

M. Alain VASSELLE - Je poserai deux questions à M. Jean-Marie Spaeth.

La première question porte sur les périmètres de prise en charge entre la CNAMTS et l'allocation de compensation. Vous avez partiellement répondu au rapporteur sur l'articulation de la prise en charge, en matière d'aides techniques, entre l'État et l'assurance maladie. Mais je souhaiterais, si cela vous est possible, que vous précisiez ce que sont les limites au-delà desquelles les partenaires sociaux estimeraient que ce nous faisons supporter à la CNAMTS ne relèverait plus de l'assurance, mais de la solidarité nationale.

En effet, la rédaction du texte fait apparaître, dans l'exposé des motifs sur la compensation des handicaps, que la compensation doit prendre en charge les aides techniques, les aides à l'aménagement et les aides spécifiques. Nous avons le sentiment que la compensation couvre l'essentiel des dépenses, alors que l'assurance maladie ne devrait intervenir qu'à la marge. Pourriez-vous nous apporter quelques éclairages supplémentaires en la matière ?

Avant de poser la deuxième question, je rappelle que le texte nous a été remis très récemment. Il est donc difficile de poser des questions pertinentes sur ce projet de loi, malgré les débats que nous menons depuis un an avec le président de la commission des Affaires sociales et M. le rapporteur. Quoi qu'il en soit, je souhaite vous interroger sur les personnes handicapées qui ne sont pas couvertes par la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC). Il me semble que la CNAMTS intervient, sur demande, par une prise en charge des frais d'assurance. Or cette prise en charge n'est que forfaitaire. Le projet de loi ne constituerait-il pas une opportunité de progresser dans ce domaine ?

On pourrait envisager d'une part, une révision à la hausse du seuil qui permettrait à tous les bénéficiaires de l'AAH de bénéficier de la CMUC et d'autre part, une prise en charge par la CNAMTS de la quasi-totalité de la dépense de l'assurance que les personnes handicapées doivent régler. En effet, l'AAH représente souvent la seule ressource de ces personnes, mais elle ne permet pas de couvrir l'ensemble de leurs besoins, ce dont je peux apporter la preuve.

M. Jean-Marie SPAETH - En France, l'AAH ne fonctionne qu'en tant que revenu de remplacement.

M. le PRÉSIDENT - Avez-vous réellement le sentiment que l'AAH ne joue que le rôle de revenu de remplacement ? L'AAH n'a-t-elle pas un rôle à jouer dans la compensation ?

M. Jean-Marie SPAETH - Oui, en effet, il n'y aura jamais de frontière véritablement étanche entre les deux fonctions. Cela étant, les bénéficiaires de l'AAH perçoivent cette allocation davantage dans une optique de revenu de remplacement.

M. Paul BLANC, rapporteur - Ne faudrait-il pas séparer clairement la compensation et le revenu d'existence ?

M. Jean-Marie SPAETH - Oui, une telle séparation est envisageable, mais la compensation permet de clarifier la situation.

S'agissant des aspects financiers, je suis en mesure, actuellement, de vous communiquer uniquement les masses financières globales ; je vous transmettrai les chiffres détaillés ultérieurement. Le budget social des handicapés en France, pour l'année 2001, s'est élevé à 24 milliards d'euros, dont 11 milliards d'euros sont pris en charge par l'assurance maladie, soit près de la moitié. Cette intervention financière est effectuée au titre des différents fonds que l'assurance maladie gère, parmi lesquels le fonds national d'assurance maladie, le fonds national des accidents du travail, le fonds national d'action sanitaire et sociale et le fonds national de prévention et d'éducation sanitaires.

Par ailleurs, la part de la LPP qui est consacrée aux personnes handicapées représentait 214 millions d'euros en 2001. Pour mémoire, la LPP, c'est-à-dire la liste des produits et des prestations, correspond à l'ancien TIPS et elle représente l'ensemble des besoins matériels des personnes handicapées, ce qui ne concerne pas nécessairement que les aides techniques.

Au sujet de la CMU complémentaire, le nombre des bénéficiaires varie en fonction des seuils et de l'augmentation des minima sociaux, soit l'AAH, soit le minimum vieillesse. En la matière, l'assurance maladie a toujours considéré qu'il convenait d'éviter les effets de seuil et elle s'efforce de lisser ces effets par le biais des actions sociales, notamment par une aide à la mutualisation.

Bien évidemment, ces actions doivent être financées : elles relèvent alors du budget de l'action sociale. Or le budget de l'action sociale de l'assurance maladie doit pouvoir financer des situations qui concernent d'autres personnes que les publics bénéficiaires des minima sociaux. L'assurance maladie doit, en effet, être en mesure de soutenir les individus ou les ménages qui perçoivent des revenus moyens, afin de leur éviter de basculer dans la précarité ou dans la pauvreté. Finalement, l'action sociale ne doit pas se limiter à des seuils.

Nous avons obtenu de la part du ministère un renouvellement en 2004 des processus et des moyens financiers pour effectuer les lissages que j'ai évoqués. Néanmoins, nous souhaitons une évolution de la CMU, afin d'éviter les effets de seuils.

Quoi qu'il en soit, cette question fait partie des débats sur les rapports entre l'assurance maladie de base et les assurances complémentaires, dans le cadre de l'évolution et de l'adaptation du système d'assurance maladie, qui interviendront avant la fin de l'année.

M. André LARDEUX - Monsieur le président, vous avez évoqué le souhait de la simplification, que je partage. Vous avez également donné votre aval sur les « maisons départementales du handicap », ce qui suscite, ici encore, mon approbation, en tant que président d'un conseil général. Estimez-vous que, dans le cadre de la prise en charge actuelle, cette « maison départementale » pourrait fonctionner sans modifier les fondements institutionnels ?

En outre, le projet de loi soumet les employeurs publics aux mêmes obligations que les employeurs privés, en matière d'effectifs de salariés handicapés. Quel est le pourcentage des salariés handicapés dans les organismes de sécurité sociale français ?

M. Jean-Marie SPAETH - Je ne suis pas en possession des chiffres sur les effectifs de salariés handicapés des caisses d'assurance maladie. Je ne manquerai pas, toutefois, de vous les communiquer. Suite aux débats internes au conseil d'administration sur les conditions des personnes handicapées, nous nous sommes également interrogés sur l'évolution à envisager. Je suis d'autant plus sensible à ce dossier, que j'ai été un des créateurs de l'AGEFIPH, laquelle a travaillé en partenariat avec les ministères.

Pour ma part, je considère qu'aucune raison ne justifie l'application de règles différentes au sein de l'administration ou des entreprises publiques, par rapport à celles qui régissent les entreprises privées en la matière. La différence, dans ce domaine, entre le secteur privé et le secteur public est une situation que je qualifie de choquante. Malgré tout, une prise de conscience a eu lieu dernièrement et des progrès sensibles sont à signaler. L'AGEFIPH est un outil qui peut être parfaitement utilisé par les acteurs du secteur public.

M. Paul BLANC, rapporteur - Le secteur public devrait-il cotiser à l'AGEFIPH ?

M. Jean-Marie SPAETH - Il s'agit d'une autre question. L'AGEFIPH repose sur le principe du fonds libératoire, ce qui n'est pas le meilleur système. Ce principe a pour conséquence le fait que les entreprises doivent embaucher au moins 6 % de salariés handicapés, pour se défaire de la contrainte du paiement d'une cotisation. En outre, les fonds de l'AGEFIPH ne concernent que l'intégration des personnes handicapées en milieu de travail ordinaire, ce qui exclut les CAT.

Cependant, un système fondé sur l'auto-assurance est concevable. Pour illustrer ce propos, certaines entreprises, notamment dans le secteur semi-public, dans lesquelles les salariés ont droit aux indemnités de chômage, s'auto-assurent. Certaines collectivités locales ont passé des conventions avec l'Unedic, alors que d'autres préfèrent adopter un système d'auto-assurance. J'estime, pour ma part, que la règle d'auto-assurance n'est pas une règle scandaleuse et que son mode d'expression et de réalisation peut être adapté.

Cela étant, je ne vois pas d'objection particulière à ce que le législateur prévoie un fonds libératoire pour son administration. Personnellement, cette solution me paraîtrait quelque peu ambiguë.

En ce qui concerne la « maison départementale », j'ai suggéré l'idée, précédemment, que nous pouvions partager les compétences que nous détenons. En revanche, le cloisonnement n'est pas une bonne solution, contrairement au partenariat ou à la négociation contractuelle.

Autrement dit, si le législateur doit fixer les règles dans ses grandes lignes, il revient au milieu local d'adapter celles-ci. L'intervention du législateur ne serait justifiée que si le contrat ou le partenariat ne jouaient pas leur rôle. In fine , l'État doit être le garant de l'intérêt général.

Mme Michelle DEMESSINE - En dépit des réponses que M. Jean-Marie Spaeth a apportées, le projet de loi sur l'égalité des droits pour les personnes handicapées laisse planer certains doutes. D'abord, en ce qui concerne les aides techniques, quelles sont celles qui relèveront des caisses d'assurance maladie et celles qui relèveront de la compensation ?

Ensuite, quel est l'investissement de la caisse en termes de remboursement des aides techniques ?

De plus, les aides techniques seront-elles remboursées intégralement ? Sur ce point, j'observe qu'il subsiste un problème conséquent, dont la résolution ne sera pas aisée.

Enfin, au sujet de l'AAH et de la frontière entre le revenu de l'existence et la compensation, considérez-vous qu'une allocation dont le montant s'élève à 50 % du SMIC permet aux personnes handicapées de subvenir à l'ensemble de leurs besoins ? Il me semble que l'AAH ne constitue qu'un revenu d'existence et qu'elle ne peut, en tout état de cause, être considérée comme une allocation de compensation que de manière partielle et insuffisante.

M. Jean-Marie SPAETH - Je suis d'accord avec vous. En ce qui concerne le volume et le niveau de remboursement, je ne suis pas en mesure de vous répondre. En effet, le ticket modérateur s'applique de manière différenciée et le système actuel ne repose pas sur une opposabilité des prix. En outre, la gamme des produits est très variable, comme les fauteuils roulants. Cependant, je vous transmettrai les premiers éléments de réponse, dès que nous serons en possession des statistiques.

Mme Michelle DEMESSINE - En outre, nous ne détenons aucune information sur la répartition entre ce qui relèvera de l'assurance maladie et ce qui relèvera de la compensation.

M. Jean-Marie SPAETH - La problématique est aujourd'hui identique à celle que nous aurons à résoudre demain. Par exemple, nous avons une idée préconçue sur la nécessité d'acheter un fauteuil roulant. Toutefois, la notion de nécessité se discute aussi avec les usagers.

Ensuite, je note qu'une partie des besoins des personnes handicapées relèvera de leur propre décision, en fonction de la vision que ceux-ci auront de leur bien-être. Dès lors, les débats au sein de la CNAMTS porteront sur l'utilité scientifique, l'utilité collective et l'utilité individuelle. Ces débats seront infinis et ils donneront lieu à des arbitrages et à des décisions collectives. En effet, le rapport entre le collectif et l'individuel sera toujours un sujet complexe, qui n'a pas de réponse définitive.

M. le PRÉSIDENT - Néanmoins, il est certainement nécessaire, monsieur le président, de se doter d'une structure d'appel, qui permette à la personne handicapée de formuler des recours contre les décisions qui la concernent. De plus, dans le cadre de cette structure, cette personne ne doit pas, en outre, se trouver de nouveau face aux mêmes individus qui ont pris la décision initiale d'attribution du matériel ou de non-remboursement. Or après expertise, il est possible de déterminer ce que sont les matériels qui répondent aux besoins des personnes handicapées.

Dans l'exemple du fauteuil roulant, la compensation du handicap nécessite la prise en charge effective des frais supplémentaires liés à l'acquisition de ce fauteuil.

M. Jean-Marie SPAETH - Je partage votre point de vue. Cependant, il subsiste des difficultés d'arbitrages économiques et médicaux. Ces arbitrages ont une part sociétale, au sens noble du terme, mais ils ne seront jamais totalement régis. Nous partageons totalement les orientations de cette loi. Pour autant, il semble que le projet de loi est insuffisamment opérationnel et qu'il manque de transparence, tant du point de vue des personnes handicapées que d'un point de vue social.

M. le PRÉSIDENT - Monsieur le président, je vous remercie.

Audition de M. Laurent COCQUEBERT
directeur général de l'Union nationale des associations de parents
et amis de personnes handicapées mentales (UNAPEI)
(mercredi 4 février 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Mesdames et Messieurs, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui réunis afin de poursuivre le cycle des auditions relatives au projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Je rappelle que ces auditions sont ouvertes au public, à la presse et à l'ensemble de nos collègues sénateurs. Nos débats font en outre l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue d'une diffusion ultérieure. J'ai le plaisir d'accueillir M. Laurent Cocquebert, directeur général de l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales. Je vous cède la parole afin que vous puissiez nous faire part de vos réflexions sur ce projet de loi, ainsi que des amendements que vous souhaiteriez voir apporter à ce texte. Vous pourrez ensuite répondre aux questions des commissaires.

M. Laurent COCQUEBERT - Merci monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs, ce texte comporte des avancées positives. Pour autant, nous regrettons qu'un certain nombre d'éléments soient en retrait par rapport à nos demandes et que certains pans du dispositif ne soient pas traités.

Je ne pourrai pas être exhaustif quant aux avancées positives permises par le texte. Je vous prie de m'en excuser. Il s'agit de la première tentative de définition du handicap dans notre législation. Cette définition manquait dans le texte actuellement en vigueur. Son objet était ainsi, pour ainsi dire, « tautologique » : étaient retenues comme handicapées les personnes reconnues comme telles par les commissions compétentes pour en décider. Ce traitement n'était pas rigoureux. La définition proposée est intéressante. Elle croise une approche centrée sur la déficience de la personne et une approche centrée sur la prise en compte de son environnement. L'interaction entre ces deux données n'est certes pas assez marquée dans le texte, qui reste perfectible sur ce point. Il s'agit toutefois d'une avancée conceptuelle notable.

La définition large qui est donnée de la compensation est également une bonne chose, même si elle pourrait être encore élargie. Elle comprend des aides humaines, techniques et animalières, des prestations financières et l'accueil et l'accompagnement en institution, ce qui est fondamental s'agissant des personnes handicapées mentales. En revanche, le volet important de la protection juridique n'est pas compris dans cette définition.

Nous sommes également satisfaits de la clarification qui est faite des compétences et des responsabilités de l'Education nationale qui est confortée dans son rôle de dispensatrice de la pédagogie quel que soit l'endroit où elle est déployée, aussi bien dans l'école ordinaire, à travers l'intégration scolaire, que dans les établissement médico-sociaux. De fait, pour ces derniers, dans le cadre actuel de la législation, nous avons de grandes difficultés à obtenir un nombre suffisant de postes d'instituteurs détachés et adéquatement formés. Or la vocation des établissements médico-sociaux est de permettre aux enfants handicapés d'accéder à une pédagogie certes adaptée mais surtout s'inscrivant pleinement dans le champ de responsabilité de l'Education nationale. De plus, en contrepartie de cette responsabilisation accrue, le texte prévoit des incitations propres à encourager les établissements spécialisés à mettre davantage leur plateau technique à la disposition de l'école.

Le projet de loi marque de plus une avancée sur le problème de l'accessibilité. Ce chantier, concernant les personnes handicapées mentales, est toutefois très peu défriché. Il ne s'agit pas seulement de permettre l'accessibilité, absolument légitime, des bâtiments publics aux personnes à mobilité réduite mais aussi de satisfaire les enjeux tout à fait concrets posés aux personnes handicapées mentales, comme la mise en place d'une signalétique adaptée aux personnes qui ne savent ni lire ni écrire ou la mise à disposition de personnel formé à cet effet. Nous souhaitons que cette loi soit l'occasion pour les pouvoirs publics - l'État mais aussi les collectivités locales et les établissements publics - de se saisir de ce volet central.

Enfin, ce texte témoigne d'une volonté notable de simplification administrative à travers la création des maisons départementales des personnes handicapées. Il reste toutefois insuffisamment explicite. Nous ne disposons en effet que de peu d'éléments sur le statut de ces instances futures et sur leur administration de rattachement. Faut-il comprendre du silence du texte qu'elles seront gérées, comme c'est le cas aujourd'hui pour les commissions départementales d'éducation spéciale (CDES) et les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP), par des commissions émanant de l'État ? De même, il n'est pas précisé si ces maisons seront rattachées au département ou à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Nous ne disposons donc pas d'une vision suffisamment claire de l'intégralité du dispositif.

Ce problème rejoint les motifs d'insatisfaction que nous inspire le texte. L'aspect pourtant fondamental de l'organisation institutionnelle future en est absent. Quelles que soient ses intentions, il nous semble difficile d'avoir un avis très éclairé sans disposer du pan complémentaire de la création de la future Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. La présentation rapide du texte à votre haute assemblée permet certes de préserver la dynamique qui a été engagée. Toutefois, pour la compréhension globale du dispositif, il aurait été souhaitable que cette question soit couplée avec l'examen du projet de loi qui permettra la création de cette future caisse. De fait, nous ne savons pas actuellement quel sera le statut des maisons départementales des personnes handicapées, comment sera financée la prestation de compensation et quels seront demain nos interlocuteurs et ceux des personnes handicapées que nous représentons.

Nous considérons également que la question de la compensation doit être complétée. Une composante fondamentale pour les personnes handicapées mentales, celle de la protection juridique, est absente. Les associations qui les représentent partagent cette préoccupation. Une mesure de tutelle est le moyen social qui permet de rendre une personne handicapée mentale plus autonome. Cette forme de « filet de sécurité » la prémunit contre les tentations ou des personnes indélicates. Il s'agit donc d'un élément fondamental de la compensation du handicap. Nous regrettons que la version présente du texte ne l'intègre pas. Doivent être également absolument corrigés par le débat les conditions d'accès à la compensation qui, en l'état, serait soumise à des critères d'âge, de taux d'incapacité et de revenu. Nous voyons ici le souci des pouvoirs publics d'édicter des normes à travers la définition de critères d'appréciation des besoins et d'octroi des prestations. Il nous semble cependant que nous sommes en présence d'un dispositif quelque peu rigide et susceptible de ne pas répondre à une partie de la demande exprimée.

Tel est brièvement notre jugement sur l'économie générale de ce projet. Je tiens néanmoins à tempérer ce regard positif mais critique en soulignant l'engagement financier important consenti par les pouvoirs publics. Lors de la présentation du texte à l'occasion du dernier conseil des ministres, la poursuite et l'amplification des plans pluriannuels de création de places ont été également décidées, ce que nous accueillons avec beaucoup de satisfaction. Cette décision atteste la volonté des pouvoirs publics d'améliorer de manière très concrète les situations difficiles de milliers de personnes handicapées qui restent actuellement sans solution. Une politique plus générale en faveur des personnes handicapées dépasse donc le projet de loi qui nous occupe aujourd'hui. Je tenais à le souligner.

M. Paul BLANC, rapporteur - Monsieur le directeur général, quelle appréciation portez-vous sur la définition du droit à compensation proposée par le projet de loi ? La nouvelle prestation de compensation vous paraît-elle constituer une traduction satisfaisante de ce droit ? Quelles améliorations de ce dispositif jugeriez-vous souhaitable ?

M. Laurent COCQUEBERT - Concernant la protection juridique, il me semble nécessaire de ne pas se tromper de débat. On a nous objecté qu'il est difficile de considérer la protection juridique comme un élément de la compensation dans la mesure où, sur le plan technique du droit civil, une telle mesure est privative d'un certain nombre de droits individuels. Il me semble nécessaire de ne pas adopter une vision aussi réductrice de la question. Dans le cas des personnes handicapées mentales, - les plus concernées par ce dispositif -, cette mesure n'est pas du tout perçue comme une privation de liberté mais comme le moyen d'une plus grande autonomie et d'une exposition à un certain nombre de risques personnels, ce qui, sans cette protection, reste impossible. L'accompagnement des personnes handicapées mentales fait dilemme entre la nécessité de les rendre plus autonomes, répondant ainsi à une de leur aspiration et à l'évolution des comportements, et le souci de ne pas les exposer à des risques qui pourraient leur être dommageables. La protection juridique est précisément le moyen de concilier ces contraintes a priori contradictoires. Pour reprendre une formule relativement provocatrice que nous avons eu l'occasion d'opposer à des contradicteurs de la Chancellerie, la protection juridique n'est pas, socialement, une privation de liberté, mais au contraire une mesure émancipatrice. Les civilistes « orthodoxes » considèrent cette idée comme une hérésie profonde. Il est toutefois nécessaire de dépasser cette approche purement technique et de replacer ce type de mesure dans sa finalité sociale réelle. Telle est la responsabilité des parlementaires. Il vous revient de trancher sur ces questions de fond. Les décisions prises ne seront pas neutres quant au sens de la politique conduite en faveur des personnes handicapées.

Je ne reviendrai pas, par ailleurs, sur les conditions d'accès à la prestation. En revanche, j'insisterai sur la situation complexe à laquelle nous sommes confrontés par le fait que les questions d'organisation institutionnelle et de répartition des compétences n'ont pas été tranchées. La prestation de compensation nous est ainsi présentée comme une prestation unique mais en réalité acquittée par trois financeurs distincts, l'État, les conseils généraux et l'assurance maladie. Traiter avec le recul nécessaire un projet de loi de ce type sans avoir plus de précisions sur les missions de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) est un exercice impossible. Cette prestation unique, porteuse de simplification pour la vie quotidienne des personnes handicapées mais payée par trois financeurs différents, témoigne d'une forme de contradiction entre les ambitions affichées et les contraintes d'une législation à répartition des compétences constante. Le dispositif est ainsi très peu lisible. Telles sont brièvement les améliorations qui nous semblent devoir être apportées à ce texte concernant la compensation.

M. Paul BLANC, rapporteur - Les personnes handicapées mentales constituent le public le plus important parmi les travailleurs de centres d'aide par le travail (CAT). Les garanties nouvelles apportées par le projet de loi pour ces derniers vous paraissent-elles aller dans le bon sens ? Comment jugez-vous notamment le nouveau système de la garantie de ressources en CAT ?

M. Laurent COCQUEBERT - La question des garanties offertes aux travailleurs handicapés de CAT constitue un débat délicat. Un statu quo est impossible. La situation de « non-droit », pour le dire rapidement, qui caractérise leur statut n'est ni satisfaisante ni viable à moyen terme. Cependant, les faire basculer dans le salariat serait une dangereuse utopie. Le salariat est certes créateur de droit. Néanmoins, il est aussi créateur d'aléas économiques. Il est solidaire d'un pouvoir de direction et d'une exigence de productivité. Faire relever le statut des travailleurs de CAT du statut de droit du salariat commun aurait été un remède de nature à tuer le malade. Par conséquent, les clarifications apportées nous paraissent aller dans le bon sens. Nous sommes bien en présence d'une institution médico-sociale dont les travailleurs handicapés ne sont pas des salariés mais des usagers. Pour autant, il nous semble indispensable de rendre obligatoire une modalité particulière de contrat de séjour en CAT. Les dispositions de la loi de 2002 qui a créé le contrat de séjour étaient d'une redoutable ambiguïté sur cette question. L'expression « contrat de séjour » est inadaptée : il n'y a pas de « séjour » au sens propre, avec logement et pension, en CAT. En outre, cela aurait été un non-sens de faire signer de tels contrats à des personnes qui ont des capacités d'expression extrêmement limitées et à la fois, au détour d'une interprétation restrictive du texte, d'en refuser la signature à des travailleurs de CAT capables d'entretenir un certain dialogue avec l'institution qui les accueille. De ce point de vue, considérer que les CAT doivent proposer des contrats de séjour à des travailleurs handicapés nous semble une clarification tout à fait salutaire. Nous l'avions d'ailleurs demandée à l'occasion des débats relatifs à la loi de 2002, mais sans succès. Notre doctrine sur ce point n'a pas changé. La clarification de certaines dispositions en matière de droit aux congés ou de formation professionnelle est également très importante. Il n'est pas possible de demander aux CAT d'être plus performants en matière d'insertion professionnelle s'ils ne disposent pas de tous les outils nécessaires. Au-delà des soutiens médico-sociaux, il y a en effet la place pour le développement du soutien professionnel, au sens traditionnel, dans les CAT. Ces dispositions vont donc dans le bon sens. Elles constituent l'antidote à un certain nombre de propos malveillants tenus il y a quelques mois dans un ouvrage dont l'auteur a été condamné hier, je vous l'apprends, pour diffamation à l'égard de l'UNAPEI.

Par ailleurs, la position de l'UNAPEI concernant la garantie de ressources répond à sa conception plus générale du CAT. Pour nous, si le CAT est un lieu de travail adapté aux capacités de production des personnes, il est cependant un lieu de travail à part entière. Nous considérons comme politiquement intenable que des lieux de travail soient jugés plus valorisants que d'autres. Il n'y a pas de hiérarchie possible entre le milieu ordinaire, l'atelier protégé ou, demain, l'entreprise de travail adapté, et le CAT. Par conséquent, sur le plan de la rémunération, il nous semblerait politiquement aberrant que la réforme des ressources des travailleurs handicapés en CAT se traduise par leur réduction. Actuellement, les ressources d'un travailleur de CAT titulaire d'une carte d'invalidité s'élèvent au minimum à 90 % du SMIC. Établir une ségrégation ou hiérarchiser les lieux de production revient à opérer implicitement une sélection entre les personnes qui sont employées.

Par ailleurs, il serait contradictoire de promouvoir l'autonomie des personnes handicapées tout en les privant des moyens de leur autonomie, à savoir des ressources qui leur permettent, le cas échéant, de se loger de manière autonome ou d'avoir un certain nombre de loisirs. Les possibilités en sont déjà réduites avec 90 % du SMIC. Si ce pourcentage était réduit à 70 ou 75 %, il s'agirait d'un profond non-sens. Cette question constitue à notre sens le préalable nécessaire à tout travail de réflexion sur l'évolution du système de rémunération des travailleurs de CAT. Il ne faut toutefois pas cacher que le système actuel est à la fois peu incitatif et très opaque. Il présente sur ces points de larges marges d'amélioration. Un travailleur handicapé de CAT titulaire d'une carte d'invalidité est assuré d'avoir 90 % du SMIC avec un salaire direct de 5 %. Les simulations montrent qu'un travailleur handicapé ayant un salaire direct de 20 % du SMIC et une carte d'invalidité bénéficie de 95 % du SMIC. Le mécanisme de l'allocation adulte handicapé (AAH) différentielle que nous connaissons actuellement est certes un amortisseur d'une extraordinaire efficacité. Il ne donne toutefois pas de prime extrêmement lisible au développement d'un salaire direct plus important. Un travail de clarification est donc à mener afin qu'un euro de salaire direct supplémentaire se traduise in fine par un euro supplémentaire de pouvoir d'achat global. Je répète, posément mais clairement, qu'il nous semble inconcevable qu'une réforme de ce type puisse conduire à un recul quelconque du niveau de ressource global des travailleurs de CAT. Le problème est d'une complexité encore accrue si nous considérons la situation des travailleurs à temps partiel. Compte tenu du système actuel, un travailleur à temps partiel qui touche 5 % du SMIC atteint 70 % du SMIC avec l'allocation adulte handicapé (AAH) différentielle. Nous ne sommes pas contre un mécanisme d'aide aux postes plus forfaitaire et ainsi simplifié. Toutefois, concernant les travailleurs à temps partiel, il ne faut pas que nous aboutissions à un système dont la décote serait strictement proportionnelle au temps non travaillé. Ne concevons pas, de grâce, un système qui, sur l'autel de la simplicité, verrait un travailleur à temps partiel touchant aujourd'hui, de par son âge différentiel, 70 % du SMIC, ne plus toucher que 35 % du SMIC. Les mécanismes distributifs du système actuel devront être conservés, d'une manière ou d'une autre, dans le futur système, sans quoi la réforme tant annoncée se caractérisera par un recul social retentissant pour plus de 100.000 personnes handicapées, dont 65.000 dépendent de l'UNAPEI. C'est pourquoi nous sommes extrêmement sensibles à cet aspect du dossier. Reste que le système actuel mérite d'être clarifié de manière à ce qu'il soit plus lisible pour les personnes auxquelles il bénéficie.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous avez fait allusion aux maisons départementales pour personnes handicapées et avez quelque peu regretté que le projet de loi ne développe pas assez la partie touchant leur organisation institutionnelle. A quelles conditions cette nouvelle structure représentera-t-elle un progrès pour les personnes handicapées ? Comment concevez-vous la participation des associations représentatives des personnes handicapées à leur fonctionnement ? Quelles améliorations ou précisions jugeriez-vous souhaitables à ce sujet ?

M. Laurent COCQUEBERT - L'enjeu de ces nouvelles maisons est très clairement de permettre aux personnes handicapées de bénéficier d'un interlocuteur unique à même d'évaluer l'intégralité de leurs besoins et de leur apporter une réponse satisfaisante parce que coordonnée. Sur le plan méthodologique, il reste à développer toute une culture de l'évaluation des besoins individuels des personnes. Celle-ci n'est pas en effet le fait des actuels CDES et COTOREP, auxquels cela n'a pas été, il est vrai, demandé, et qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour le faire. Il ne faut pas accabler de maux les structures existantes qui fonctionnent souvent avec des moyens dérisoires. Ce constat sévère ne peut néanmoins être passé sous silence. Il s'agit donc que ces nouvelles instances bénéficient des outils techniques et des compétences humaines requises pour pouvoir procéder à l'évaluation de l'ensemble des besoins des personnes handicapées. Elles ne devront pas répondre simplement de manière ponctuelle à des problèmes eux aussi ponctuels. Il devra être possible de répondre au besoin de telle ou telle allocation, aide technique ou orientation dans un établissement.

Il nous semble également fondamental que l'évaluation des besoins témoigne d'une exigence d'indépendance particulière, notamment sur la question de l'autorité qui sera amenée à financer les différentes prestations. Nous souhaiterions qu'il soit garanti que les évaluations et les propositions de plans de compensation individuelle ne soient jamais conditionnées par de quelconques questions relatives aux contingences financières du moment. Ce point nous semble extrêmement important. Sans cela, il serait illusoire de parler d'un droit à la compensation du handicap. J'ai conscience que ce discours peut paraître iconoclaste auprès de certaines collectivités locales. Néanmoins, il s'agit là d'un préalable absolument indispensable. Il impose notamment que la constitution de la commission qui sera chargée d'ouvrir les droits obéisse à une composition véritablement pluridisciplinaire à travers des acteurs émanant, bien évidemment, des organismes payeurs et des collectivités locales mais aussi des associations et, éventuellement, des organismes représentant les professionnels. Ainsi serons-nous assurés que le plan de compensation individuelle sera proposé exclusivement dans le souci de répondre aux besoins des personnes. Parmi les propositions qui sont portées, outre par l'UNAPEI, par plusieurs associations, une a trait particulièrement au souhait que ces maisons départementales des personnes handicapées soient constituées en groupements d'intérêt public (GIP). Nous avons eu d'autant moins de mérite à y penser que M. Piveteau l'avait fait avant nous. Cette idée intéressante reste cependant à approfondir. Le GIP constitue une personne morale indépendante ayant vocation naturelle à associer autour d'une même table des acteurs différents, de statut public comme privé. Il peut sans doute exister d'autres solutions institutionnelles. Toutefois, l'exigence de pluridisciplinarité des équipes qui composeront ces maisons départementales des personnes handicapées nous semble absolument fondamentale afin que nous soyons assurés qu'aucun besoin des personnes n'ait été négligé. Le rattachement ou l'autonomie de ces maisons doivent être eux aussi clarifiés, notamment dans leurs relations à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Si elles sont rattachées à un quelconque organisme, il s'agit de préciser qui les financera. Une chose est d'afficher des objectifs ambitieux pour ces maisons, une autre est de leur en donner les moyens. Les CDES, les COTOREP et les sites pour la vie autonome fonctionnent aujourd'hui avec des moyens insuffisants. Il est évident que si nous nous contentons de regrouper cette « pauvreté », le service rendu complémentaire risque d'être en deçà des espérances et des ambitions affichées. Telles sont, très rapidement, les précisions qui nous semblent devoir être apportées au dispositif des maisons départementales des personnes handicapées.

Mme Michelle DEMESSINE - Votre demande principale relativement à la compensation est celle d'une protection juridique. Celle-ci n'est pas du tout présente dans le texte. Je partage votre point de vue quant à son importance. J'aimerais connaître votre avis sur la proposition de M. Perben actuellement en discussion sur la protection des victimes. Quelle est votre appréciation de ce débat aujourd'hui récurrent relativement aux personnes handicapées ? J'aimerais connaître, en outre, vos attentes particulières vis-à-vis de la prestation de compensation pour le public des handicapés mentaux. Quels sont ses besoins spécifiques ? Quels types de handicaps mentaux posent aujourd'hui plus particulièrement problème ?

Par ailleurs, il est vrai que ces propositions marquent un tournant pour les CAT. Je partage votre sentiment : le statu quo n'est pas du tout satisfaisant et doit être examiné plus précisément. Les critiques sont certes importantes. Ainsi de l'attaque perpétrée à travers le livre que vous avez cité. La Cour des comptes a également émis une série de critiques. Ces critiques croissantes ne me paraissent pas justifiées. Elles sont dues vraisemblablement à l'insuffisance de transparence du dispositif. Je partage également votre inquiétude quant à une possible régression de la situation à travers le texte. La demande de représentativité des usagers doit être prise en considération de manière plus approfondie. Il s'agit de ne pas oublier qu'il s'agit d'établissements médico-sociaux. Le changement de leur statut pourrait constituer lui aussi une régression. Vous avez fait référence aux contrats de séjour, qui, dans leur forme actuelle, ne sont pas du tout adaptés à leur public. Ce constat doit constituer le fondement de notre démarche. Il me semble opportun de réfléchir à la mise en place d'un dispositif spécifique pour les personnes handicapées travaillant dans les CAT. Un statut spécifique doit être défini, ne relevant ni du salariat dont elles n'ont pas les moyens ni d'un simple statu quo.

Vous proposez également un nouveau plan de financement. Pour moi, le mécanisme différentiel, s'il présentait des défauts, avait tout de même de nombreuses qualités. Je crains qu'un système d'aides forfaitaires ne montre rapidement ses limites, à travers notamment des freins et des handicaps supplémentaires. Le mécanisme différentiel permettait, de manière spécifique, de faire preuve de souplesse et de prendre en compte toutes les différences en termes d'activités exercées, et de nature et de niveau de handicap. Des améliorations doivent certes lui être apportées. Néanmoins, des aides forfaitaires risqueraient peu à peu de décider elles-mêmes des publics et des activités mises en place. Plus le handicap sera lourd et difficile, moins il sera compris dans l'aide forfaitaire. Je vois là un grand danger, notamment en termes de diminution des ressources. Il existe certes aujourd'hui un véritable problème de transparence du système. Celui-ci pourrait toutefois être pallié par la mise en place de structures beaucoup plus démocratiques. Il serait possible d'imaginer une participation beaucoup plus importante d'un certain nombre d'acteurs locaux. Les hôpitaux ne bénéficient-ils pas de conseils d'administration ? Sans aller jusque là, pourquoi n'instaurerions-nous pas un système de concertation et d'accompagnement de la société civile pour le traitement de ces problématiques ?

M. Laurent COCQUEBERT - La prestation de compensation ne suffit pas à répondre à elle seule à toutes les aides dont ont besoin les personnes handicapées mentales. Je ne parle pas là de la compensation envisagée de manière plus globale mais de la prestation. L'article 2 du projet de loi, soit le futur article L. 245-2 du code de l'action sociale et des familles, montre que la logique qui sous-tend la prestation de compensation est celle de la recherche de solutions individuelles. Elle permettrait à chaque personne de pouvoir bénéficier à titre individuel d'une aide à domicile, d'aides techniques ou d'aménagements de leur domicile. Ces éléments présentent un intérêt indiscutable pour des personnes déjà suffisamment autonomes pour pouvoir vivre et s'organiser seules. Ils ne répondent cependant pas, à l'évidence, aux besoins de personnes trop lourdement handicapées. La création de ce type de prestations ne permettra pas à des personnes actuellement accueillies en foyer de vie, en foyer d'accueil médicalisé, en maison d'accueil spécialisé ou même, dans le cas des travailleurs handicapés de CAT, en foyer d'hébergement, de vivre dans la cité comme tout un chacun. La prestation, telle qu'elle a été définie et sous les réserves que j'ai énoncées, est tout à fait opportune pour des personnes handicapées dont le degré ou le type de handicap leur permet de conserver la possibilité d'organiser elles-mêmes leur propre prise en charge. Elle ne répond en revanche nullement aux besoins des personnes que nous accueillons. C'est pourquoi nous avons demandé que les questions de l'accueil et de l'accompagnement institutionnel soient considérées comme un élément de la compensation, même si cela ne semble pas actuellement ressortir du périmètre de la prestation de compensation.

La question du CAT est révélatrice de la nécessité plus générale du développement des moyens et des outils de la participation, de l'accueil et de l'accompagnement des personnes handicapées. Il s'agit qu'elles soient moins « objets » que sujets de l'accompagnement. C'est là tout le danger du formalisme de la loi du 2 janvier 2002. Elle a consacré en théorie des avancées juridiques et conceptuelles très importantes, comme le contrat de séjour, le livret d'accueil, le conseil de la vie sociale et la charte des droits et libertés. Toutefois, ces avancées se heurtent pratiquement aux difficultés de compréhension et de communication des personnes handicapées mentales. Proposer un contrat de séjour rédigé par un agrégé des facultés de droit à une personne handicapée mentale respecte formellement les exigences de la loi mais la vide de sa portée pratique et de son contenu. Le but de tous ces outils est, de fait, d'engager un dialogue avec la personne et de prendre davantage en compte ses aspirations. Ils ne doivent pas conduire à une multiplication des démarches administratives afin de satisfaire les exigences des contrôles de la direction départementale de l'action sanitaire et sociale (DDASS) ou de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCCRF). Il est vrai qu'il est possible de valoriser davantage le rôle du conseil de la vie sociale en CAT. Nous travaillons à l'UNAPEI depuis plusieurs années sur ce que nous appelons la « communication aidée » à travers un dispositif de pictogrammes et de photos permettant aux personnes handicapées d'avoir accès à un langage écrit simplifié et permettant de donner sens pour elle à ce qu'est un contrat de séjour ou un règlement de fonctionnement. Ainsi des dispositions relativement « technocratiques », si vous me permettez un jugement aussi sévère, peuvent-elles prendre sens aux yeux de personnes ne sachant ni lire ni écrire. Il ne faut donc pas se satisfaire d'un respect formel de la loi mais, de manière plus ambitieuse, se donner les moyens d'associer réellement les personnes handicapées à leur accueil et à leur accompagnement. Nous partageons donc pleinement, madame Demessine, votre souhait. C'est là l'un des chantiers prioritaires sur lesquels nous travaillons actuellement.

M. Guy FISCHER - Vous avez insisté sur le fait que la recherche de solutions personnelles pourrait prévaloir. La définition des besoins à satisfaire, en particulier dans le contexte de la renégociation des schémas départementaux des personnes handicapées, fait peser d'autant plus d'interrogations qu'il est souvent dit que le nombre global de places à créer serait suffisant. Vous avez insisté sur les plans pluriannuels. Où est la vérité ? Doit-on aujourd'hui encore investir dans des établissements, ou les solutions personnelles et les aides individuelles doivent-elles prévaloir ? Quel doit être l'équilibre entre ces deux aspects ?

M. Laurent COCQUEBERT - Pour nous, il faut être d'une extrême prudence sur cette question. De manière très concrète, des personnes disposant de toute leur agilité intellectuelle et d'un certain degré d'autonomie ne souhaitent pas aller en institution et préfèrent bénéficier d'une auxiliaire de vie et d'appareillages adaptés. Ce souhait nous semble particulièrement compréhensible et légitime. Toutefois, ces solutions ne sont pas transposables à toutes les personnes handicapées, en particulier celles que nous accueillons. Nous pouvons également nous interroger sur le degré de qualité et de professionnalisme permis par le développement de ce type de solutions. S'agit-il d'un réel progrès d'employer soi-même des personnes non qualifiées et, parfois, en situation irrégulière ? L'institution médico-sociale doit évoluer. La loi de 2002 incite fortement à ce que les pratiques changent. C'est là le devoir absolu des associations. Toutefois, il nous semblerait extrêmement illusoire que le développement de ce type de solutions personnelles vienne constituer une panacée susceptible de se substituer au développement de solutions plus collectives. La réponse à cette question est, quoi qu'il en soit, inscrite dans la loi : la logique de compensation est une logique de réponse aux besoins individuels, ce qui signifie pour certaines personnes une autonomie totale, à travers la logique de solvabilisation individuelle, et pour d'autres, à l'évidence, des démarches plus collectives globalement satisfaites dans les institutions actuelles, certes perfectibles, mais présentant depuis la loi de 2002 les conditions d'une nouvelle dynamique.

M. le PRÉSIDENT - Monsieur le directeur général , je vous remercie.

Audition de MM. Jean-Marie SCHLERET, président,
et Jean-Pierre GANTET, vice-président,
du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH)
(mercredi 4 février 2004)

M. le PRÉSIDENT - Nous accueillons maintenant MM. Jean-Marie Schleret et Jean-Pierre Gantet, respectivement président et vice-président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), afin de connaître la position du CNCPH sur le texte qui nous est soumis. Messieurs, vous avez la parole.

M. Jean-Marie SCHLERET - Merci, monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs, je rappellerai d'emblée dans quelles conditions notre conseil a été amené à travailler à l'élaboration des premières orientations du projet et à la constitution du projet de loi. Il a rendu, le 13 janvier dernier, un avis qui est, par la force des choses, ce qui ne surprendra personne, contrasté. Le Conseil national consultatif n'est pas uniquement constitué des associations représentatives des personnes handicapées. Il compte également des représentants des collectivités, dont M. le sénateur Paul Blanc, qui a suivi avec une grande assiduité nos travaux. Les caisses, les organisations syndicales, les organismes de recherche ainsi que différents ministères sont également représentés. Cette composition témoigne de la complexité du travail dont a la charge un conseil consultatif comme le nôtre. Je souligne, à cet égard, que cette composition représentative aurait dû bénéficier de quelques moyens suffisants pour travailler. Nous avons ainsi été dans l'obligation de recourir à un volontariat effréné de la part des associations. Je fais là allusion au rapport « Vivre avec le handicap » publié par la Cour des comptes au mois de juin dernier. Celui-ci soulignait que les CNCPH précédents n'avaient pas remis de rapports annuels comme les textes l'imposent. Nous connaissons actuellement les mêmes difficultés alors que depuis treize mois, à travers sept commissions et huit commissions plénières, nous avons fait travailler les associations sans qu'elles aient eu jusqu'à présent le moindre remboursement de leurs frais, ce que doit entendre la représentation nationale. Nous ne disposons que de moyens de fonctionnement tout à fait réduits, puisque nous ne mettons à la disposition du président du CNCPH qu'un secrétariat de séance.

Néanmoins, à travers ces sept commissions, la consultation a progressé, conformément à la vocation même du CNCPH. Il a été de plus associé de manière tout à fait exemplaire et, sans doute sans précédent, par le cabinet de Marie-Thérèse Boisseau, à l'ensemble des travaux de préparation de ce projet de loi et à l'examen des différents thèmes en jeu. Nous ne pouvons donc être que satisfaits que les associations aient pu prendre part aux travaux, en accord avec la mission du CNCPH qui est de garantir la participation des personnes handicapées, de leurs familles et de leurs représentants à la définition des politiques publiques et peut-être, par la suite, à leur évaluation. Cette participation génère toutefois d'autant plus d'attentes. Vous ne vous étonnerez pas qu'un certain nombre d'associations membres du CNCPH soient aujourd'hui un peu déçues, si bien qu'elles expriment d'abord leurs regrets plutôt que leurs satisfactions. C'est du moins ainsi que j'interprète leur attitude. Pour sa part, le CNCPH a choisi d'adopter une position non seulement responsable, comme toutes les associations, mais aussi mesurée.

Dès le mois de juin, alors que nous n'en étions qu'à la définition des orientations, nous avions noté d'importantes évolutions par rapport à la loi de 1975 en matière d'accessibilité, de compensation, de non-discrimination et d'égalité des droits et des chances. Un débat sur le titre de la loi avait eu alors lieu. Il a été revu. Il n'indiquait dans un premier des temps que « l'égalité des droits ». Or certains nous ont fait valoir que la Constitution suffisait à garantir l'égalité des droits. Il a été alors choisi l'expression « égalité des chances ». D'autres nous ont fait remarquer qu'il était utopique d'imaginer que des personnes polyhandicapées puissent bénéficier d'une telle égalité des chances. Le CNCPH a alors souhaité que soient associés les deux aspects. Ils se renforcent en effet mutuellement. La question de l'égalité des droits est en fait celle de l'égalité de l'accès au droit. Nous sommes également satisfaits que nos remarques aient été reprises sur ce point. Les termes « participation » et « citoyenneté » sont essentiels : cette loi s'attache à la pleine citoyenneté des personnes handicapées.

La concertation progressant pendant l'automne, nous avons pris plus particulièrement conscience d'une difficulté qui n'est pas sans rapport avec l'avis contrasté du CNCPH. La satisfaction de tous à l'égard des attendus de la loi, au niveau de ses orientations, a été en effet déçue dès lors que nous sommes rentrés dans la rédaction du texte législatif lui-même. Cette situation n'est plus du tout celle de 1975, à l'époque de Roger Lenoir alors que l'affirmation des droits des personnes handicapées était neuve. Aujourd'hui, au contraire, nous sommes confrontés à un nombre important de codes à modifier et nous avons des articles complexes à introduire. Ainsi mesurons-nous déjà une forme de hiatus entre le caractère satisfaisant des orientations et le caractère décevant de leur traduction dans le texte qui n'est pas à la hauteur des espérances soulevées. De plus, nous n'avons obtenu ce texte que très tardivement, le 10 décembre. Son examen par les commissions, qui ont dû être organisées rapidement afin de pouvoir rendre leur avis avant le 13 janvier, a donc été rendu difficile. Avant de rentrer plus avant dans nos explications, je voudrais passer la parole à M. Gantet afin qu'il nous fasse part de son approche globale des questions de la compensation et de l'accessibilité. Nous regrettons, à cet égard, que dans l'architecture de la loi, la compensation vienne en premier lieu. Celle-ci n'est en effet jamais que ce qui doit suivre l'affirmation d'une accessibilité pleine et entière, et non pas seulement physique, aux structures des pouvoirs publics et également à l'ensemble des services, au premier plan desquels ceux de la scolarité et de l'emploi. C'est alors seulement qu'il serait possible de décliner logiquement l'ensemble des mesures à mettre en oeuvre pour garantir cet accès au droit et, à défaut de véritable égalisation, cette plus grande égalité des chances.

M. le PRÉSIDENT - Je comprends votre regret de n'avoir reçu le texte que le 10 décembre. Nous l'avons nous-mêmes reçu il y a peu de temps, ce qui ne va pas sans difficulté quand bien même nous travaillons, comme vous, sur ce sujet depuis longtemps.

M. Jean-Pierre GANTET - L'accessibilité ne concerne pas les seuls déplacements quotidiens. Elle concerne l'accès plus général à des possibilités telles que, pour les déficients sensoriels, le droit à l'information. Sa revendication en tant que droit ne suffit pas. Son accès doit être assuré. Or, dès lors que les orientations sont déclinées en dispositions législatives, elles deviennent de fait beaucoup plus complexes. Sans annonce visuelle, une personne malentendante n'a pas accès à l'information comme une personne malvoyante sans annonce sonore.

La compensation telle qu'elle est présentée ne répond pour nous qu'à ses exigences minimales. Elle ne comprend pas les situations de handicap. Elle ne s'adresse qu'à des personnes reconnues comme handicapées, de surcroît âgées de moins de vingt ans ou de plus de soixante ans, les premières relevant notamment de l'allocation d'éducation spéciale (AES). Or nous savons tous que cette prestation couvre les besoins de scolarité mais aucunement tous les besoins d'un jeune de cet âge. De même, après soixante ans, les personnes handicapées dépendent de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) qui ne constitue pas, à proprement parler, une compensation du handicap. Des progrès ont certes été enregistrés sur ce point. La Commission technique de la sécurité sociale s'est penchée sur ce problème pour tenter d'intégrer le handicap dans les groupes iso-ressources (GIR). Toutefois, nous ne sommes là qu'au début du travail à engager. Nous aurions souhaité qu'une loi-cadre, générale et intervenant trente ans après la première loi, couvre l'ensemble des besoins de compensation de la personne handicapée, de la prévention et du dépistage du handicap jusqu'à la fin de l'existence. La compensation est également limitée par le taux d'invalidité. Il était justifié de décliner le panel des prestations auxquelles chaque degré de handicap ouvrait droit. Or , en l'état, l'état médical de la personne est le premier critère de sélection du droit à la compensation, ses besoins réels n'étant considérés que dans un second temps. Cette barrière est anormale et anachronique. De même, la sélection par le revenu est tout à fait contraire à l'esprit de la loi qui voudrait que le maximum de personnes handicapées travaillent. Cette intention est certes tout à fait louable mais nous sommes cependant moins optimistes que le législateur. Nous sommes toutefois convaincus qu'un nombre beaucoup plus important de personnes handicapées doivent pouvoir travailler. Un certain nombre de mesures intéressantes ont été prises dans ce domaine, comme celle de la possibilité de cumuler l'AAH et le droit de retour. Néanmoins, malgré ces avancées significatives, conserver le revenu de la personne comme critère d'accès à la compensation est contradictoire. Si, par sa volonté, son intelligence et son acharnement, une personne handicapée parvient à gagner correctement sa vie, elle se verra alors dans l'obligation de payer elle-même sa compensation. C'est là une profonde anomalie.

M. le PRÉSIDENT - Vous pourrez nous adresser toutes vos remarques et propositions d'amendements. Elles seront discutées au sein de la commission.

M. Paul BLANC, rapporteur - Le problème posé par la scolarité n'a pas été évoqué. Les familles font souvent part des difficultés qu'elles rencontrent pour scolariser leurs enfants handicapés. Le projet de loi vous paraît-il suffisamment ambitieux sur ce point ? Quels pourraient être, selon vous, les axes d'amélioration ?

M. Jean-Marie SCHLERET - Une commission spécifique travaille sur ce sujet depuis de nombreux mois. Nous avions affiché sur ce point des ambitions que nous n'avons pas retrouvées, dans un premier temps, dans l'avant-projet de loi, à travers notamment quelques termes qui peuvent passer pour anodins pour un lecteur lambda, mais qui vous feront certainement réagir. L'article 6 prévoyait en effet que les élèves handicapés sont « inscrits et reçoivent une formation prioritairement dans l'école ou l'établissement d'enseignement public ou privé sous contrat le plus près possible du domicile, le cas échéant dans le cadre de dispositifs adaptés ». Les termes « prioritairement » et « adaptés » remettaient profondément en cause l'approche forte marquée par la volonté de Mme la secrétaire d'État Marie-Thérèse Boisseau. Le texte tel qu'il apparaît aujourd'hui a évolué sur ces deux points. Le terme « prioritairement » a été supprimé. S'agissant des besoins d'enfants présentant des handicaps lourds, comme les enfants autistes, qui requièrent des soins et des dispositifs particuliers - le rapport Chaussy nous a particulièrement éclairés sur ce point -, le texte précise que l'enseignement pourra être dispensé « au besoin dans le cadre de dispositifs adaptés ». L'expression « le cas échéant » signifiait au contraire une forme d'impossibilité constitutive à l'accès à l'enseignement. Il convient également de ne pas oublier les étudiants présentant un handicap. Un long débat a eu lieu autour de l'établissement d'un possible statut d'étudiant handicapé. Nous avons combattu au sein du CNCPH cette possibilité. Un tel statut conduirait à une forme de discrimination. Dans sa première version, l'article 10 du texte préconisait que « les établissements d'enseignement supérieur encouragent et facilitent » l'accès des étudiants handicapés. Cela n'est pas acceptable. Le texte revu précise, maintenant à l'article 7, que les « établissements d'enseignement supérieur assurent » l'accueil des étudiants handicapés. L'argument qui nous a été opposé mérite certes d'être examiné. Il s'appuyait sur l'autonomie des universités et le rôle décisionnel des présidents d'université.

Plus généralement, les situations particulières doivent être prises en compte. Les familles d'enfants autistes souhaitent notamment une inscription dans l'établissement scolaire le plus proche du domicile. Les difficultés ainsi engendrées ne doivent pas être minimisées. En l'état, le mieux est l'ennemi du bien. Elles ne se posent pas seulement au niveau de l'école élémentaire mais dès l'école maternelle et même dès le premier accueil en dispositif de garde, en crèche ou en halte-garderie. Le fait d'une bonne intégration se joue dès ce niveau. Il faut évoquer dans ce domaine le rôle des CDES. A de très nombreuses reprises, les familles d'enfants autistes ont insisté sur le fait que les formulaires et les fiches en usage sont absolument inadaptés à leur cas. Ce système doit lui aussi être revu si nous voulons assurer une formation scolaire digne de ce nom, aussi bien dans le dispositif de droit commun que dans les structures d'accueil spécialisé, qu'elles viennent en complément du dispositif commun ou qu'elles constituent l'unique alternative pour l'enfant. Le monde enseignant doit également être associé à cet effort. Le rapport remis au ministre de l'éducation nationale a souligné l'insuffisance de formation des enseignants en général. Ce point est fondamental. Il existe certes les auxiliaires de vie scolaire. Ce dispositif est toutefois insuffisant. Le monde de l'Education nationale doit dorénavant être prêt à accueillir des élèves handicapés, quelle que soit la nature de leur handicap. Ce point renvoie également à la question de l'accessibilité. J'ai par ailleurs la responsabilité de l'Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires et d'enseignement supérieur. Je connais à cette occasion les difficultés posées par l'accueil et la sécurité des élèves handicapés. La responsabilité des collectivités locales est sur ce point en question. Des investissements adéquats devront être consentis. De même, le rapport de l'Education nationale préconisait l'établissement de douze ou quinze heures de formation obligatoire pour les enseignants. Cette proposition reste largement insuffisante.

M. le PRÉSIDENT - Ce nombre d'heures reste en effet très modeste pour permettre l'accueil et l'aide aux enfants quels que soient leurs handicaps.

Mme Michelle DEMESSINE - Je suis particulièrement contente que cette question de l'intégration en milieu scolaire soit posée. Le texte me paraît en effet faire preuve d'angélisme sur ce point. Il est certes honorable et nécessaire d'être volontariste. Néanmoins, j'observe une certaine tendance, sous couvert de bonnes intentions, à nier le handicap lui-même. Il s'agit de rester vigilant. Cette volonté d'intégration ne doit pas conduire à un systématisme forcené, ce qui aurait des effets plus dommageables encore que la situation que nous connaissons aujourd'hui. Je suis pourtant une grande partisane de l'intégration en milieu ordinaire. Toutefois, il ne faut faire preuve d'aucune radicalité, ni dans un sens ni dans l'autre. J'ai observé les plus belles réussites en matière d'intégration scolaire à l'occasion de passages répétés d'un système à l'autre tout au long du parcours scolaire. Cette logique doit être davantage travaillée et affinée. Il est de même généreux de souhaiter une scolarisation dans l'établissement le plus proche du domicile. Toutefois, cette intention est dangereuse. Elle pourrait laisser croire aux parents qu'il s'agit toujours de la meilleure solution. C'est en effet ce que souhaitent toujours les parents dans un premier temps sans concevoir encore toute la dimension et le poids du handicap de leur enfant, en particulier lorsqu'il est petit. Pour moi, il faut affirmer haut et fort à l'adresse de l'Education nationale et du monde enseignant que l'intégration des enfants handicapés relève de leur mission. Les moyens doivent cependant leur en être donnés sans quoi cette politique échouera nécessairement. Je crains que les enfants ne restent alors au fond de la classe. Je suis en cela partisane d'examens et de dispositions prises au cas par cas. En regard de la normalité, aller à l'école la proche de son domicile est préférable mais ce n'est pas toujours la meilleure solution. Les conditions d'accueil doivent être réunies. Les classes ne doivent pas être trop surchargées afin que les enseignants puissent disposer du temps nécessaire pour s'occuper des enfants handicapés. L'établissement doit également permettre le meilleur accès de l'enfant en étant assez spacieux et assez commode pour leur circulation. Je ne m'oppose donc pas à cette volonté d'intégration mais j'insiste sur le piège qu'elle pourrait constituer.

M. le PRÉSIDENT - Je partage cet avis. D'un point de vue social, le but de la compensation est de proposer la réponse la plus appropriée aux besoins de l'enfant et la plus favorable, sur le plan pratique, à la famille. Face à cet enjeu, il n'importe pas de savoir si l'enseignant ou les parents d'élèves sont importunés par l'accueil d'un enfant handicapé. La société doit se plier et s'adapter aux contraintes. Si l'accueil dans l'établissement le plus proche du domicile n'est pas le plus adapté, il faudra bien sûr admettre d'autres solutions. Quel est votre sentiment sur cette question ?

M. Jean-Marie SCHLERET - Les modèles mis en place à travers l'Europe ne sont pas nécessairement des modèles importables en France, en particulier le modèle italien qui a été mis en place à la fin des années 70 et qui fait problème, notamment pour l'accueil spécialisé. L'Italie était certes beaucoup moins avancée que la France dans ce domaine. En revanche, je retiendrais l'expérience, non de la Suède, mais de la Norvège et du Danemark qui, avertis que le mieux peut être l'ennemi du bien, ont conçu que le plus important n'était pas de faire rentrer de force un enfant dans une structure qui n'est pas la plus appropriée à son handicap mais que l'école ne se désintéresse pas de son parcours. L'école ne doit pas se dédouaner de cette responsabilité en faisant valoir son incapacité sur ce point. Elle doit apporter, dans une réponse circonstanciée, les éléments justifiant l'impossibilité de l'accueil d'un enfant handicapé, sans préjuger notamment d'un accueil futur éventuel de l'enfant. Vous avez fait mention des aidants familiaux. Je signale à cet égard que le CNCPH a souhaité qu'ils soient intégrés dans la compensation, ce qui n'apparaissait pas dans le premier texte. Le fait qu'une mère de famille ou qu'une parente prenne de son temps pour apporter son soutien à une personne handicapée, mineure ou majeure, doit être couvert par la prestation.

M. Guy FISCHER - Vous avez évoqué la compensation minimum qui a été retenue. Mme la ministre, dans les réponses qu'elle nous a faites hier, a insisté sur l'universalité de la prestation de compensation. Au vu des critères retenus, nous pouvons en douter. Avez-vous examiné plus précisément l'apport de ce projet de loi en matière de financement ? Mme la ministre affirme que les 850 millions d'euros dégagés constituent une somme inédite par rapport aux financements antérieurs. Jugez-vous qu'il s'agit là d'une véritable avancée par rapport aux besoins à satisfaire ou faut-il relativiser cet effort, dans l'attente notamment que le rapport que remettront les commissaires au mois de mai, comme M. Jamet me l'a annoncé hier soir, ne viennent lever les incertitudes qui pèsent sur ce point ?

M. Jean-Marie SCHLERET - Il est difficile de procéder à l'évaluation financière du dispositif. Dans un premier temps, un effort d'environ un milliard d'euros a été annoncé par Mme la secrétaire d'État qui souhaitait ainsi obtenir son financement. Je souligne à cet égard qu'il n'est pas courant qu'une loi votée par la représentation nationale trouve son financement dans les meilleurs délais. Selon les critères qui seront définis pour la fixation de la compensation, cette somme est susceptible de doubler, voire de tripler. Pour notre part, nous évaluons les besoins à un milliard d'euros. En revanche, cette question renvoie à l'insatisfaction, dont le CNCPH s'est fait l'écho, générée par le manque de lisibilité du dispositif. Outre les questions de l'accessibilité et de la compensation, les maisons départementales des personnes handicapées et la commission des droits et de l'autonomie, si elles voient le jour, s'inscriront dans un dispositif national qui n'est pour l'instant pas arrêté. Nous avions beaucoup travaillé avec Denis Piveteau sur l'Agence nationale du handicap. MM. Briet et Jamet, que nous avons auditionnés il y a une dizaine de jours au CNCPH, ont témoigné des incertitudes qui subsistent sur ces questions, notamment sur le point du pilotage départemental. Or la fixation de critères pour la détermination de la compensation implique la constitution de commissions d'évaluation dont l'indépendance devra, en outre, être assurée. Ce dispositif n'est pas encore suffisamment précisé pour que nous puissions juger de l'ensemble du projet législatif.

M. Jean-Pierre GANTET - Il faut reconnaître que le texte constitue une avancée sur le plan budgétaire. Le budget consacré au handicap a été plutôt favorisé l'an dernier et cette année, et pourra bénéficier de ces 850 millions d'euros supplémentaires. Ceci étant, la Cour des comptes estime que le handicap représente en 2002, toutes sommes confondues, un budget de 26,2 millions d'euros. Si nous leur ajoutons 850 millions d'euros, nous parvenons au total de 27 milliards d'euros. Cet effort, certes appréciable, ne correspond en aucun cas aux avancées promises. Les incertitudes qui pèsent sur l'organisation définitive du dispositif rendent extrêmement difficile le chiffrage de leur coût. Le gouvernement vient d'adjoindre à la loi un certain nombre de plans d'action. Nous lui en sommes tout à fait reconnaissant. Cependant, pour qu'un plan d'action soit efficace, ses objectifs doivent être clairement définis - ils le sont en général -, qu'un calendrier soit établi - il est généralement bien fait -, que des critères de suivis et d'évaluation soient fixés - les textes sont beaucoup plus discrets sur ce point - et que le financement en soit assuré - aucun de ces plans d'action n'en porte la trace -. Les incertitudes sont très nombreuses. Je suis donc dans l'incapacité de répondre à votre question.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie, messieurs, pour votre témoignage. Nous restons à votre disposition pour recevoir vos propositions d'amendements, les étudier et éventuellement les traduire dans le futur texte si la commission en est d'accord.

M. Jean-Pierre GANTET - J'ajoute que le comité d'entente travaille actuellement à l'élaboration d'un certain nombre d'amendements qui seraient communs aux différents acteurs concernés. Nous les soumettrons au CNCPH qui, s'il en est d'accord, vous les transmettra. Ces amendements, dont le nombre est de huit ou dix, nous paraissent très importants afin de pallier les imprécisions de la loi ; en l'état actuel elle est en effet susceptible de prêter à des interprétations diverses dans les décrets d'application. C'est pourquoi nous souhaiterions que huit ou dix phrases clés expriment clairement la volonté du législateur.

M. le PRÉSIDENT - Je vous invite à nous les transmettre dans les délais les plus brefs. La commission arrêtera en effet son choix sur les amendements la semaine prochaine. Merci messieurs.

Audition de Mme Laurence TIENNOT-HERMENT, présidente,
et M. Jean-Claude CUNIN, responsable du pôle revendications
de l'Association française contre les myopathies (AFM)
(mercredi 4 février 2004)

M. le PRÉSIDENT - Mes chers collègues, nous accueillons maintenant Mme Laurence Tiennot-Herment, présidente, et M. Jean-Claude Cunin, responsable du pôle « revendications », de l'Association française contre les myopathies.

Nous sommes heureux de recevoir les responsables de l'Association française contre les myopathies. Pouvez-nous nous donner votre sentiment sur ce texte ?

Mme Laurence TIENNOT-HERMENT - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, l'association française contre les myopathies défend une éthique associative qui s'incarne dans des valeurs et des fondamentaux dont le principal est le suivant : à l'AFM, nous disons ce que nous faisons et nous faisons ce que nous disons. Je souhaitais aussi insister sur le fait que nous dépendons chaque année de la générosité publique. Lorsque le compteur s'allume au début du Téléthon, nous ne disposons que de trente heures pour montrer exactement ce que nous avons fait dans l'année et ce que nous allons faire l'année suivante. Nous sommes jugés à partir de ces informations. Nous sommes donc dans l'obligation de faire ce que nous disons et de dire ce que nous faisons.

Le 14 juillet 2002, le Président de la République a annoncé qu'il ferait de la question du handicap un des grands chantiers de son quinquennat. Le 3 décembre 2002, lors de l'installation du CNCPH, le Président a également annoncé qu'il fallait maintenant personnaliser le soutien apporté à chaque personne handicapée, en tenant compte de ses caractéristiques et de son projet de vie dans le cadre d'un nouveau droit à compensation des conséquences et surtout des surcoûts entraînés par le handicap. Depuis quelques semaines, à travers leurs interventions, M. Mattei et Mme Boisseau insistent sur le fait que ce grand projet de loi est fondé sur deux grands principes, la non-discrimination et le droit à compensation universelle. Je me réjouis, en tant que présidente de l'AFM, de ces annonces et de ces grands principes qui tendraient à restaurer la personne en situation de handicap dans sa citoyenneté.

Cependant, la traduction de ces annonces et principes dans le projet de loi est très en deçà de leurs ambitions. Le droit à compensation universelle, qui devait en être la clé de voûte, est en réalité réduit à une simple prestation de compensation forfaitaire et discriminante. De fait, elle exclut les enfants de moins de vingt ans, sous prétexte qu'existe l'allocation d'éducation spéciale (AES). Or cette allocation ne couvre pas les besoins en aide technique, de manière insuffisante les besoins en aide humaine et exige dans certains cas, en particulier les plus lourds, la cessation d'activité d'un des deux parents. Cette prestation est également discriminante en ce qu'elle est modulée en fonction des revenus, ce qui est proprement incongru : les dépenses de santé sont-elles, en effet, remboursées en fonction des niveaux de revenu ? Enfin, cette prestation est discriminante en ce qu'elle ne s'applique qu'aux personnes dont le taux d'invalidité excède 80 %. Qu'est-il proposé pour les personnes dont le taux est inférieur mais qui n'ont pas moins de besoins spécifiques du fait de leur incapacité ?

Nous demandons donc la mise en place d'un véritable droit à compensation universelle, tel qu'il a été voté par vous-mêmes dans le cadre de la loi de modernisation sociale dans son article 53 : « la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap, quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie, et à la garantie d'un minimum de ressources lui permettant de couvrir la totalité des besoins essentiels de la vie courante ». Ce droit à compensation est également décrit dans le rapport de M. Paul Blanc, page 57, sous ces termes : « l'allocation compensatrice individualisée devra donc obéir à une règle simple mais essentielle : garantir à chaque personne handicapée la prise en charge intégrale des frais liés à la compensation de son handicap ».

Je comprends de cette définition qu'à partir de l'évaluation individualisée des besoins des personnes prenant en compte leurs potentialités, leurs projets et leur environnement, le droit à compensation doit assurer la couverture intégrale de leurs besoins en aides humaine, technique et animalière et en adaptation du cadre de vie, qu'elles vivent en domicile ou en institution. Il me paraît également inconcevable que ce projet de loi soit absolument dissocié de la réforme en cours de l'assurance maladie et de la loi concernant la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Quelles seront les prérogatives de ces différentes instances, notamment en matière de financement ? Ces questions ne peuvent être considérées séparément. Par ailleurs, je ne peux que constater que cette loi manque d'ambitions. La question de l'intégration des personnes en situation de handicap dans la société reste marginale. Nous étions au contraire en droit d'attendre de la loi qu'elle leur permette d'exercer pleinement leur vie citoyenne et de participer pleinement à la vie économique et sociale de notre pays. En réponse à cette remarque, il m'est dit que le ministère est dans l'obligation de faire des lois en fonction des budgets dont il dispose. Cette loi vaudra pour les deux décennies à venir. Quelle est l'utilité, alors, des lois de programmation, des règlements ou des décrets d'application ?

Enfin, en tant que mère, je rappellerai la situation quotidienne de nos familles. Faute de la non-prise en compte des besoins en aide humaine, ce que connaissent aujourd'hui nombre de nos malades, il y a de la part de l'État non-assistance à personne en danger et euthanasie passive. Nos enfants ne peuvent en effet s'alimenter et faire un mouvement seuls. La prise en compte de ces besoins vitaux est indispensable aujourd'hui pour un grand nombre de nos adhérents. Je vous remercie de m'avoir entendue.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie. Votre propos comporte un nombre de vérités que je partage pleinement.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je partage moi aussi un certain nombre de vos points de vue. Vous avez fait allusion à une phrase de mon propre rapport. Je ne reviendrai donc pas sur mes propos, n'ayant pas l'habitude de renier mes écrits et mes paroles. Toutefois, vous avez insisté sur les aspects négatifs du projet de loi. N'en jugez-vous cependant pas quelques aspects positifs ?

Mme Laurence TIENNOT-HERMENT - Cette loi manque d'ambition. Le droit à compensation devait en être la véritable clé de voûte. Le projet marque certes des avancées significatives pour certaines catégories de personnes en situation de handicap. Mais était-ce la seule ambition de ce projet ? Pour moi, cette question doit être traitée à un niveau culturel et philosophique supérieur. La loi de 1975 s'attachait à l'intégration des personnes en situation de handicap. Aujourd'hui, cette loi devrait s'attacher à leur participation pleine et entière. Si le droit à compensation avait été appliqué tel que vous l'avez décrit dans votre rapport, il aurait permis une véritable égalisation des droits et des chances.

M. Guy FISCHER - Mme Demessine et moi-même partageons un certain nombre de vos propositions critiques. Dans le dialogue que nous avons eu avec Mme la ministre, nous avons principalement débattu du caractère universel de la compensation. Trente ans après la première loi, sommes-nous dans la bonne voie ou notre chemin est-il entravé par des questions de financement ? Nous pouvons nous interroger. Les incertitudes concernant la répartition des rôles entre l'État, l'assurance maladie et les collectivités territoriales ainsi que celles concernant l'architecture de la nouvelle Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie sont nombreuses. Pensez-vous que les délibérations du Sénat sont a priori entravées par l'insuffisance de moyens capitaux pour la mise en oeuvre d'une véritable politique ?

M. Jean-Claude CUNIN - Mes prédécesseurs à cette tribune ont abordé à plusieurs reprises ce problème. Nous partageons ces préoccupations. Il est de fait difficile de définir une politique d'ensemble sans connaître encore comment seront déclinés les organisations concernées et les moyens nécessaires. Ainsi pouvons-nous paraître négatifs quant au projet d'ensemble. De fait, les points positifs que nous pourrions souligner sont des points de détail alors que la problématique générale, concernant notamment la mise en oeuvre de la compensation, pose encore de nombreuses questions. Pourquoi cette loi est-elle complétée, avant même d'exister, par un certain nombre de programmes ? Le programme pour les personnes très lourdement handicapées nous concerne particulièrement. Il y a urgence pour ces personnes. Or ce programme prévoit que l'année 2004 sera consacrée à la définition de son action, l'année 2005 à son expérimentation dans deux départements, sa généralisation effective n'intervenant qu'en 2006 et 2007. Même si l'expression de non-assistance en danger a pu vous choquer, imaginez-vous ce que vont devenir les personnes qui sont en situation de grande dépendance ou d'urgence d'ici à 2007 ? Or la loi permettait une alternative très simple : si le droit à la compensation était mis en oeuvre tel qu'il a été imaginé, appuyé sur l'évaluation des besoins individuels et permettant leur prise en charge intégrale, aucun programme complémentaire ne serait nécessaire. Dès l'application de la loi au 1 er janvier 2005, nous aurions été en mesure de prendre aussi bien en compte la situation d'une personne capable d'aller à l'école ou de travailler que celle d'une personne lourdement dépendante actuellement en situation d'urgence à domicile. La loi aurait dû permettre d'apporter cette double réponse. Si des programmes complémentaires sont nécessaires, c'est bien qu'elle est lacunaire.

Par ailleurs, nous partageons le jugement de nos prédécesseurs sur la prestation de compensation. Il est contradictoire qu'une loi dont l'objectif est de lutter contre la discrimination fixe des critères d'âge, de degré de handicap et de revenu. Sur ce dernier point, au nom de quoi la société pourrait-elle dire à l'une des deux personnes ayant fait les mêmes études, ayant le même diplôme et exerçant le même travail pour un même salaire qu'elle ne peut jouir, comme sa femme et ses enfants, du fruit de son travail comme son collègue, parce qu'elle doit prélever sur son revenu les sommes nécessaires au paiement d'une partie de son aide technique et humaine et à l'aménagement de son véhicule et de son logement ? Ces problèmes très concrets doivent être pris en considération pour qu'une véritable égalisation des chances et qu'un véritable droit à compensation voient le jour. S'il n'est pas possible dès aujourd'hui d'assurer la viabilité financière d'un droit à compensation universelle, une solution à moyen terme doit être trouvée et des paliers définis pour sa réalisation. Un de ces paliers pourrait être une forme de panachage des dispositions actuelles du projet de loi et des propositions de M. Blanc dans son rapport. Cette discrimination vis-à-vis des enfants pourrait ainsi être supprimée dans un premier temps. Dans votre rapport, vous émettiez en effet l'idée d'une allocation compensatrice personnalisée des frais linéaires, permanents et récurrents des personnes handicapées. Un droit de tirage sur les fonds départementaux a également été évoqué. Nous proposons à cet égard, dans le document qui vous a été remis, une prestation ponctuelle de compensation traitant des problèmes d'investissement lourd, comme les aides techniques, les aménagements du logement et les aides animalières qui sont ponctuellement d'un coût élevé. Ce complément pourrait être sans condition d'âge si l'on considère que l'allocation d'éducation spéciale (AES) constitue la prestation linéaire et continue pour les enfants, sous réserve qu'elle réponde effectivement aux besoins des plus lourdement handicapés et dépendants, notamment en permanence d'aide humaine. Comme le rappelait M. Paul Blanc dans son rapport, l'AES vient d'être réformée. Le temps nous permettra d'en ajuster les effets. Aujourd'hui, un enfant de moins de dix-huit ans, tétraplégique et trachéotomisé à domicile, bénéficie d'une allocation de 1.059 euros, à la condition qu'il jouisse d'un complément. Or ce complément n'est délivré qu'à la condition qu'un des deux parents abandonne son activité professionnelle, ce qui rend les conditions d'existence des familles monoparentales particulièrement difficiles.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie pour ces remarques. Elles correspondent à l'esprit de la proposition de loi que nous avons déposée avec M. Blanc. Il est effectivement intéressant de mettre en perspective ces dispositions. C'est là, certainement, un manque de la loi. Nous avons conscience qu'un certain nombre de charges ne pourront être assumées immédiatement. La loi doit toutefois s'inscrire dans un projet global. Nous allons y travailler. L'un d'entre nous a réagi à votre propos sur la non-assistance à personne en danger. Pour ma part, j'admets que certaines situations auxquelles sont confrontées des personnes isolées et dépourvues de moyens relèvent pratiquement de la non-assistance à personne à danger. A cet égard, nous sommes confrontés à un grand défi. Il appartient aux hommes politiques d'y répondre, même s'ils ne peuvent donner que ce qu'ils collectent. Nous devons là assumer nos responsabilités, compte tenu que nous parlons là des personnes les plus faibles.

Mme Michelle DEMESSINE - Madame la présidente, j'aimerais savoir si vous partagez la réflexion suivante. Le débat que nous venons d'avoir révèle, comme j'en ai fait part à Mme la ministre lors de son audition, l'imbroglio profond du système des aides techniques. Celles-ci constituent une part très importante de la compensation. Je crains qu'elles ne prennent la part majoritaire. Nous avons cependant encore le temps d'en discuter. Or, à l'origine, les aides techniques étaient à la charge de l'assurance maladie. Celle-ci ne répondant que partiellement ou mal aux besoins des personnes handicapées, dont elle n'a pas, en outre, pris en compte les évolutions, d'autres institutions, comme les conseils généraux ou vous-mêmes, à travers le Téléthon, ont été mises à parti pour compenser ses déficiences. Les sites autonomes ont même été mis en place à cet effet afin de regrouper tous les financeurs. Ils sont aujourd'hui si surchargés qu'ils ne peuvent répondre à toutes les demandes. Une troisième source de financement est aujourd'hui envisagée à travers la compensation. Cette situation démontre une profonde rupture d'égalité entre les citoyens. Une personne qui a besoin d'une prothèse est remboursée intégralement. Elle n'a pas besoin, pour ce faire, au contraire des personnes handicapées, de solliciter une autre institution. Je suis profondément convaincue que la prise en charge de la totalité des aides techniques doit revenir à l'assurance maladie. Cette prise en charge clarifierait particulièrement les dispositions de la compensation. Nous aurions alors plus de liberté pour définir ses véritables prérogatives afin de permettre le passage de l'intégration à la participation effective à la citoyenneté.

Par ailleurs, je remarque, en particulier à l'adresse de mes collègues, la très grande attente soulevée par ce projet qui porte sur l'avenir d'une génération entière. Cette attente a été de plus décuplée par les déclarations du Président de la République. Nous devons en être conscients. Les personnes handicapées ne sont pas seules dans l'attente, leurs familles le sont également. Celles-ci assurent en effet aujourd'hui en grande partie la compensation. Ainsi vivent-elles dans l'angoisse de ne plus pouvoir, un jour, faire face à cette situation, d'autant qu'elles permettent, aidées en cela par les progrès techniques, aux personnes handicapées d'avoir une vie plus épanouie. Nous devons prendre en compte cette responsabilité de la société vis-à-vis de ces personnes et de leurs familles.

Mme Laurence TIENNOT-HERMENT - Face aux incertitudes de ce projet de loi et aux réformes en cours de l'AES et de l'assurance maladie, il m'est difficile de me prononcer sur l'opportunité d'une prise en charge intégrale des aides techniques par l'assurance maladie. En tant que Présidente d'association, je peux toutefois revendiquer la prise en charge effective, par quelque entité que ce soit, de l'intégralité des charges techniques et humaines, qui ne doivent plus revenir aux familles. Je connais particulièrement cette situation. Je sortirai, si vous me le permettez, du cadre de ma responsabilité au sein de l'AFM. Mon fils est décédé il y a trois mois, à l'âge de dix-neuf ans et demi, alors qu'il passait de la période CDES à la période COTOREP. Seule pour l'élever, je ne disposais pour subvenir à ses besoins, alors qu'il vivait à mon domicile, ayant mené un long combat afin qu'il puisse aller au lycée - il venait de passer son bac au mois de juin dernier - que de la somme dérisoire de 1.085 euros par mois. J'ai été dans l'obligation d'arrêter toute activité professionnelle afin de pouvoir lui dispenser les soins très techniques dont il avait besoin. Une grande partie de nos familles connaissent cette situation invivable. Or les établissements dans lesquels ces enfants sont placés reçoivent 300 euros par jour pour s'en occuper. Cette somme n'est un problème pour personne, mis à part la question du nombre de places qui vont, fort heureusement, croître grâce à cette loi. Cette disproportion est inacceptable. Bien que nous devions assurer seuls la charge des aides techniques et humaines nécessaires et subvenir aux besoins quotidiens de nos enfants, nous nous battons de plus pour les intégrer et leur permettre d'avoir la vie la plus normale possible, puisque ce sont des enfants qui n'ont aucun problème et qui n'ont qu'une envie, celle de participer à la vie citoyenne.

M. le PRÉSIDENT - Madame la présidente, je vous remercie, pour vos propos et pour ce témoignage sans conteste très utile pour notre réflexion.

Audition de M. Philippe VAN DEN HERREWEGHE,
Mme Cécile KERBEL et M. Dominique LEDOUCE
du Collectif des démocrates handicapés (CDH)
(mercredi 4 février 2004)

M. le PRÉSIDENT - Nous accueillons maintenant les représentants du CDH. Mes chers collègues, j'accueille M. Philippe Van den Herreweghe, Mme Cécile Kerbel et M. Dominique Ledouce du Collectif des démocrates handicapés (CDH).

M. Philippe VAN DEN HERREWEGHE - Le Collectif des démocrates handicapés, créé en décembre 2000, est un mouvement politique. Considérant que le monde associatif n'avait pas assez pesé pour l'intégration des personnes handicapées et qu'il était nécessaire d'attaquer les élus sur leur propre terrain, nous avons en effet décidé la création d'un mouvement politique. Nous comptons ainsi témoigner auprès des hommes politiques des situations qu'ils ne rencontrent jamais, parce qu'ils ne vivent pas avec le handicap et parce que celui-ci est invisible dans notre société comme dans notre monde politique. Pour le vivre quotidiennement, nous avons une bonne connaissance du handicap. Nous avons donc la tâche d'apprendre comment il est vécu et comment nous pouvons le vivre ensemble.

Après une rédaction menée à huis clos, le projet de loi ne traduit pas le volet démocratique de la citoyenneté des personnes handicapées et la prise en main de leur propre destin. Or il revient à la société tout entière de s'adapter afin de permettre aux personnes handicapées d'exercer leur citoyenneté. L'égalité des droits et des chances des personnes handicapées implique une révolution culturelle. Elle passe inévitablement par la rédaction d'un texte de loi suivi de décrets d'application, eux-mêmes suivis de contrôles et de sanctions graduelles. La loi du 3 juin 1975 a reconnu les droits sociaux des personnes handicapées. La nouvelle étape consiste à favoriser la participation des citoyens handicapés à la vie démocratique et sociale. Jusqu'à présent, les personnes handicapées ne prenaient la parole que parce qu'on la leur donnait. Le plus souvent, on parlait pour elles. Aujourd'hui, elles ont envie de parler d'elles et de leurs besoins. Par leur vécu, elles sont les plus compétentes pour déterminer la manière dont elles doivent être traitées dans notre société. Les parents des personnes handicapées sont également compris dans cet enjeu.

L'enjeu de cette loi est de construire une politique du handicap en France pour les décennies à venir en faisant des personnes handicapées des citoyens à part entière et non des assistés incapables. Eu égard au chantier prioritaire du Président de la République, le projet de loi concrétise peu, dans les faits, la citoyenneté des personnes handicapées. Les 850 millions d'euros supplémentaires financés par les jours chômés ou les RTT abandonnés ne peuvent permettre une politique ambitieuse susceptible de rehausser la mauvaise situation de la France par rapport aux pays européens les plus avancés. Le CDH propose donc des amendements permettant d'inscrire un certain nombre de principes et de mesures significatives nécessaires à de véritables avancées. Le CDH a développé différentes propositions pour lutter contre la maltraitance des personnes handicapées. Il regrette que cet aspect essentiel, comme certaines propositions innovantes des sénateurs, n'aient pas été traités dans le projet de loi. La prise en compte de ces amendements et propositions apportera à ce projet de loi la dimension que nous exigeons de la représentation nationale et des convictions républicaines de tous les élus. Cinq dispositions principales permettront de faire de la personne handicapée un acteur :

Il faut créer un statut d'association représentative de personnes handicapées : cette disposition paraît essentielle pour la mise en oeuvre d'une loi qui doit distinguer les associations gestionnaires d'établissements et les associations représentant les personnes handicapées ou leurs parents.

Il faut créer un Conseil national de l'égalité des personnes handicapées. Sur le modèle scandinave, il assurera la participation des personnes handicapées à l'élaboration et à la mise en oeuvre des lois, devra être consulté et donner un avis sur tout texte présenté.

Les maisons départementales des personnes handicapées devront constituer un service de proximité cogéré par les usagers handicapés. Il faut prévoir au sein de la commission des droits et de l'intégration des personnes handicapées la participation des associations représentatives des personnes handicapées.

Il faut permettre l'accès aux urnes et aux émissions électorales à tous les handicaps (bulletins de vote en braille, émissions sous-titrées, isoloirs accessibles). La possibilité du vote électronique doit pouvoir être envisagée pour les personnes handicapées.

Les personnes handicapées ne pouvant manifester comme tout citoyen, pour des raisons physiques, de déplacement ou financières, l'État doit favoriser le droit de pétition afin d'ouvrir un débat national au sein du Parlement et afin qu'elles puissent ainsi dialoguer avec la représentation nationale.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je vous remercie. Quelle appréciation portez-vous sur la définition du droit à compensation proposée par le projet de loi ? La nouvelle prestation de compensation vous paraît-elle constituer une traduction satisfaisante de ce droit ? Quelles améliorations de ce dispositif jugeriez-vous souhaitables ?

M. Philippe VAN DEN HERREWEGHE - Vous parlez de droit et de droit pour tous. Nous pouvons considérer que ce droit à compensation ne doit pas être limité par des contraintes physiques, d'âge ou de revenu. C'est pourquoi nous sommes extrêmement choqués du fait que ce droit soit interdit aux personnes de moins de vingt ans, qui bénéficieront de l'allocation d'éducation spéciale (AES) plafonnée à la hauteur de 7.000 francs, ce qui est proprement insuffisant pour un enfant de seize ans gravement handicapé et ayant besoin de soins à toute heure du jour et de la nuit. C'est là encore le père ou la mère qui vont devenir prisonniers du handicap toute leur vie. Ce point est extrêmement important. Il est inconcevable d'exclure de la compensation des citoyens qui grandissent aujourd'hui avec beaucoup d'espoir. S'ils ne reçoivent pas cette possibilité d'être aidés, leur enfance et leur adolescence seront gâchées. Il faut donc leur donner, de manière essentielle, toutes leurs chances.

De même, le CDH est extrêmement choqué et refuse que le droit à compensation soit limité par le taux d'invalidité. Il est fait mention d'une ouverture des droits à partir d'un taux de 80 %. Cela est inacceptable. Aujourd'hui, les taux d'invalidité sont curieusement fixés à 78 ou 79 %. Le projet de loi était-il connu avant que nous n'en ayons nous-mêmes connaissance ? Il importe également de ne pas tenir compte du revenu ou du patrimoine. Nous ne pouvons pas imaginer qu'une personne de 27 ans devenant paraplégique suite à un accident de la route et conservant son travail soit dans l'obligation de payer elle-même son fauteuil et son aide à domicile, voyant ainsi son revenu amputé de moitié. Le droit à la compensation doit être égal pour tous et sans critères de sélection.

La question de l'aide humaine est elle aussi essentielle. Celle-ci dépendait jusqu'à aujourd'hui d'une association. Nous demandons que cette aide humaine soit versée directement à la personne handicapée afin qu'elle puisse elle-même embaucher son aide à domicile. Elle a de fait des critères d'appréciation plus appropriés qu'une institution. Un contrôle a posteriori pourrait être assuré. Il importe de faire confiance aux personnes handicapées. En outre, le recours à une tierce personne est parfois nécessaire pour assurer des actes essentiels. Nous souhaiterions que soit également intégrée la notion d'acte courant ou quotidien, que ce soit dans un lieu privé ou pour sortir ou se divertir. Enfin, si la prestation de compensation doit être plafonnée selon des conditions de revenu, il faut faire de même pour la Sécurité sociale. Conformément à un traitement égalitaire de tous, aucune raison ne s'oppose à ce que les personnes handicapées puissent bénéficier de cette aide. De surcroît, celle-ci ne doit être ni suspendue ni réduite en cas d'hospitalisation. Un locataire doit en effet payer son loyer tous les mois et a à sa charge les coûts réguliers imposés par la vie courante. Ainsi la suspension de l'AAH en cas d'hospitalisation de plusieurs semaines met-elle aujourd'hui les personnes handicapées dans des situations très difficiles sur le plan financier. Il nous faut prendre en considération que la personne doit bénéficier d'un revenu minimum et pouvoir vivre décemment et dignement.

M. Paul BLANC, rapporteur - Quelle appréciation portez-vous sur les dispositions du projet de loi relatives à l'accessibilité ? Quelles sont, selon vous, les améliorations nécessaires pour donner un contenu au principe de « l'accès de tous à tout » ?

M. Dominique LEDOUCE - Avant de considérer l'accessibilité à la scolarité, à l'emploi, au logement ou au transport, j'aborderai cinq thèmes concernant l'accès de « tous à tout ».

Nous avons travaillé sur la notion de « bien-traitance ». Les sénateurs ont fait des propositions sur la maltraitance des personnes handicapées en institution. Nous souhaiterions que le projet de loi comprenne un article concernant la « bien-traitance » des personnes handicapées. Le CDH demande la nomination d'un défenseur des personnes handicapées sous la forme d'une haute autorité indépendante appuyée sur un réseau de correspondants locaux. Nous demandons également l'instauration d'un numéro vert afin de permettre aux personnes handicapées, vivant en institution ou à domicile, de faire part des actes de maltraitance dont elles sont les victimes.

Nous avons également souhaité une « solution adaptée sur le territoire national ». Ce projet de loi concerne en effet les personnes handicapées résidant en France or beaucoup de personnes handicapées françaises sont, comme nous le disons de manière singulière, « déportées » ou « exilées » en Belgique. Nous souhaiterions qu'une convention soit passée à l'occasion de l'adoption de cette loi entre la Belgique et la France concernant les conditions d'accueil des personnes handicapées. Il y a de bons établissements en Belgique mais aussi de mauvais. Nous souhaiterions que les personnes handicapées françaises « déportées » ou « exilées » en Belgique bénéficient des mêmes conditions d'accueil qu'en France. Un article dans le projet de loi doit satisfaire ce point.

Nous souhaitons également qu'un titre de la loi traite de la question de la sexualité des personnes handicapées. Un nombre important de nos adhérents ont émis ce souhait. Cette question pourrait être abordée sous l'angle de la prévention ou de l'éducation sexuelle.

Afin de permettre une vie culturelle, sportive et touristique aux personnes handicapées, nous souhaitons voir la mise en accessibilité des lieux culturels, en particulier des bibliothèques avec mise à disposition de supports adéquats, notamment à disposition des personnes aveugles. Nous souhaiterions également que soit assurée l'accessibilité des sites Web et que soit dispensé un soutien artistique aux personnes handicapées.

Enfin, concernant les soins infirmiers, nous souhaitons qu'un article de loi précise le statut des auxiliaires de vie et qu'elles aient l'obligation d'une formation qualifiante.

Concernant l'accessibilité à la scolarité, nous souhaitons que l'école du quartier constitue l'école de référence pour les enfants handicapés. L'ensemble des bâtiments doivent être rendus accessibles. Nous exigeons par ailleurs que l'ensemble, et non quelques-uns, des enseignants soient formés à la scolarisation et à l'éducation des enfants handicapés. Pour l'enseignement supérieur, nous souhaitons une adaptation du code national des examens permettant la pleine égalité des candidatures des personnes handicapées. Nous souhaitons notamment que la pratique de la langue des signes soit prise en compte. Le mot d'ordre général de la scolarisation doit être celui de tout faire pour que les enfants et les adolescents handicapés puissent aller en milieu ordinaire avec et comme les autres enfants. Il ne faut pas nous dédouaner de nos responsabilités à travers des articles de loi concernant la scolarisation en milieu spécialisé qui permettraient à l'Education nationale de se substituer en refusant d'accueillir un enfant et en l'orientant vers un établissement spécialisé.

Concernant l'emploi, le travail adapté et le travail protégé, nous nous interrogeons sur plusieurs points. Un emploi sous-entend un revenu. Nous souhaitons à cet égard que les personnes handicapées puissent bénéficier d'un revenu d'existence et, par conséquent, que l'allocation adulte handicapé (AAH) soit égale au SMIC et qu'elle soit indexée sur son évolution. Les personnes handicapées se trouvent confrontées à des situations d'urgence pour la rémunération de leur auxiliaire de vie du fait de la diminution de leur allocation. Elles doivent alors réduire leur prestation en aide humaine.

Sur le plan de la formation professionnelle, nous en avons assez que les personnes handicapées soient dans l'obligation de partir loin de chez elles afin de pouvoir suivre une formation dans un établissement spécialisé. Il existe dans toutes les villes des centres du Groupement des établissements publics locaux d'enseignement (GRETA) et de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). Nous souhaitons qu'ils s'ouvrent aux personnes handicapées, 80 % d'entre elles étant très peu qualifiées.

Concernant l'emploi, nous sommes satisfaits, par rapport au premier projet de loi, de l'article qui touche à l'aménagement d'horaires individualisés. Il est en effet important que les personnes handicapées, en fonction de la nature de leur handicap, puissent bénéficier d'horaires aménagés. Nous sommes également satisfaits de la suppression de la liste des aptitudes particulières. En revanche, la suppression de l'article L. 323-12 du code du travail constituerait pour nous une aberration en permettant de ne plus tenir compte des catégories de reconnaissance du travailleur handicapé. Ainsi serait légitimée l'équivalence entre un handicap et une unité bénéficiaire. Nous nous sommes interrogés sur les moyens de faciliter l'emploi d'une personne handicapée par rapport à une personne présentant un handicap léger. Nous attirons votre attention sur le risque de favoriser l'entrée sur le marché du travail des personnes dont le handicap est léger au mépris des personnes dont le handicap est plus lourd. Un employeur privilégiera toujours une personne disposant d'une carte de station debout pénible plutôt qu'une personne possédant un fauteuil roulant. Nous vous interpellons sur ce point.

En outre, le nouveau projet de loi fait passer la contribution AGEFIPH (Association nationale de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées) de 500 à 600 fois le SMIC horaire. La sanction proposée par le texte des sénateurs était toutefois beaucoup plus importante. Elle s'élevait à 1.500 fois le SMIC horaire. Nous devons être clairs sur cette question. S'il s'agit de favoriser l'emploi des personnes handicapées, il faut alors nous en donner les moyens. Il est vrai qu'il faut favoriser les entreprises qui assument leur responsabilité en embauchant des personnes handicapées. Toutefois, 40 % des entreprises françaises refusent d'employer des personnes handicapées ou de travailler avec des structures protégées. Une action doit être menée. Vous avez proposé de porter la contribution AGEFIPH à 1 500 fois le SMIC horaire. Faites-le. Par ailleurs, les dispositions concernant la convention de branche et les accords professionnels sont satisfaisants, à condition du moins que le rythme de leur mise en oeuvre soit favorable. Il est proposé de procéder à des négociations entre le patronat et les représentants syndicaux sur la question de l'emploi des personnes handicapées tous les trois ans. Si nous voulons véritablement favoriser l'emploi des personnes handicapées, il faut, selon nous, impulser une dynamique sur les premières années en demandant une négociation tous les ans. Sur le plan de la fonction publique, un important effort doit également être mené. Il est notamment du devoir de l'État de montrer l'exemple aux entreprises privées. La création d'une AGEFIPH publique nous paraît une bonne chose. Toutefois, des moyens adéquats devront être dégagés afin de satisfaire véritablement les dispositions de la loi. Nous avons donc quelques réserves quant à leur viabilité future.

Nous souhaitons, par ailleurs, l'établissement d'une retraite à la carte pour les travailleurs lourdement handicapés. Nous demandons un droit à la retraite à taux plein au terme de vingt années de cotisation avec prise en compte des dix meilleures années pour les personnes présentant un taux d'invalidité supérieur à 80 %. Nous invitons à cet égard les sénateurs à présenter des amendements tenant compte du vieillissement des personnes handicapées, dont l'avenir est toujours sombre. Le projet ne prévoit également aucune disposition susceptible de pallier le vieillissement des parents. Des propositions ont certes été faites concernant l'accueil temporaire. Il nous paraît toutefois important de donner les moyens d'une véritable politique pour les personnes handicapées âgées.

Par ailleurs, nous sommes certes intéressés mais surtout réticents à l'égard du concept d'entreprise adaptée. Il est nécessaire de moderniser le nom des « ateliers protégés » afin qu'ils deviennent de véritables « entreprises adaptées ». Nous craignons cependant que cette disposition ne traite pas du fond du problème. Il ne suffira pas que ces entreprises adaptées soient intégrées dans le circuit économique ordinaire pour que les personnes handicapées qui y sont employées soient réellement intégrées dans le monde du travail. Les adhérents au CDH qui nous interpellent sur ce sujet souhaitent surtout s'intégrer dans le milieu ordinaire et plus encore bénéficier d'un nouveau statut, ce que ne permet pas le concept d'entreprise adaptée. Nous souhaitons que ce point soit précisé. Je rappelle que les sénateurs étaient déjà allés dans ce sens en proposant, en filigrane, de permettre aux personnes handicapées d'aller vers le milieu ordinaire. Nous restons sceptiques, à l'instar de nos adhérents salariés, quant à la possibilité pour les entreprises adaptées de constituer un marchepied vers les entreprises ordinaires. Nous sommes toutefois satisfaits du choix des expressions « contrats de soutien » et « aide par le travail ». La réalité à laquelle sont confrontés les travailleurs de centres d'aide par le travail (CAT) est cependant tout autre. Ils n'y bénéficient pas, en particulier, de soutien. Les salariés travaillent 39 heures. En région parisienne, certains centres d'aide par le travail que nous avons pu visiter ressemblent à de véritables ateliers clandestins. Les soutiens prévus doivent être davantage précisés. Ils sont nécessaires pour les personnes handicapées. Le droit au congé constitue également à nos yeux une disposition tout à fait légitime. Plus généralement, nous souhaitons que les centres d'aide par le travail soient des centres « hors les murs ». Ils ne doivent pas seulement être des zones concentrées réservées uniquement à des personnes handicapées. Ainsi le centre d'aide, ouvert à toute personne, pourra aider une personne handicapée à évoluer vers le milieu ordinaire. Tel est le dispositif que souhaitent aujourd'hui les personnes handicapées, qui veulent être avec et comme les autres en milieu ordinaire.

Nous souhaitons également que la proposition de CAT publics soit suivie d'effets conformes à son importance. Une proposition de CAT des collectivités locales et territoriales avait déjà été formulée en 1957 dans le cadre du texte concernant les personnes handicapées. Si un nouvel article reste sans effet pendant cinquante ans encore, nous serons nécessairement insatisfaits. Nous proposons donc que dans chaque département, les administrations publiques comme les DRAS, la direction départementale du travail, la direction de l'équipement se concertent afin de créer des CAT publics. Un délégué pourrait permettre, à l'image du délégué interministériel, de mobiliser l'ensemble des administrations et services à cette fin. J'ajoute qu'il nous paraît important de prévoir des budgets en recherche et développement pour les entreprises adaptées et les centres d'aide par le travail.

Concernant le chapitre du cadre bâti, du transport et des nouvelles technologies, la création d'un Observatoire national du logement nous paraîtrait importante. Il permettrait de recenser les offres et les demandes. Il ne me semble pas que cette proposition apparaisse dans le projet de loi. Nous demandons aux bailleurs sociaux une proportion minimale de 15 % de logements aménagés, adaptables et réservés. Pour les personnes handicapées en fauteuil, nous souhaitons que les logements qui leur sont proposés ne soient pas excentrés mais au coeur même de la ville afin qu'elle puissent vivre parmi l'ensemble de leurs concitoyens. Nous souhaitons de plus que toutes les communes, y compris les plus petites à travers les structures intercommunales, puissent mettre en oeuvre des schémas d'accessibilité cohérents. Il est en effet bienvenu de parler de « chaînes de déplacement ». Le problème de la mise en oeuvre de l'accessibilité reste cependant entier. Les sénateurs ont proposé la création d'un fonds d'accessibilisation, décliné notamment au niveau des communes. Nous souhaitons en effet la création de ce fonds afin de nous donner les moyens d'une véritable politique en matière d'accessibilité. Le CDH parle à cet égard de « Plan Marshall ». Je vous remercie.

Mme Sylvie DESMARESCAUX - Si je puis abonder dans votre sens, je ne peux cependant vous laisser parler, en tant qu'élue transfrontalière, comme ma collègue Michelle Demessine, de « déportation » des personnes handicapées en Belgique. J'ai moi-même beaucoup travaillé avec des établissements belges. Vos propos ont peut-être dépassé vos pensées ou vous n'avez jamais visité d'établissements belges. J'ai été profondément choquée. Des établissements belges sont de très bonne qualité, comme en France et comme ailleurs. Vous demandez l'établissement de conventions or certaines sont déjà établies. Lorsque je travaillais au conseil général du Nord, j'en ai établi de nombreuses. Une convention était en effet nécessairement passée entre le conseil général et l'établissement d'accueil. Ces demandes émanaient d'ailleurs des enfants et des parents eux-mêmes qui, satisfaits de l'établissement, ne souhaitaient pas en changer. De telles conventions existent pour les établissements pour les personnes âgées, lesquels offrent eux aussi un niveau de prestation de qualité.

M. Philippe VAN DEN HERREWEGHE - Nous ne disons pas que les établissements belges sont de mauvaise qualité. Nous voulons dénoncer au contraire la non-prise en charge par notre pays des personnes handicapées qui ont besoin d'aller en centre spécialisé ou en maison d'accueil. Ces structures n'existent pas et ne sont pas programmées. La seule solution pour les parents est de trouver en Belgique, bien organisée pour accueillir ce type de handicap, un tel établissement, qu'ils habitent Marseille ou Bordeaux. Nous demandons donc une réflexion départementale sur les besoins. Mme Marie-Thérèse Boisseau m'avait d'ailleurs confié à l'occasion d'une émission à laquelle nous avons participé ensemble que le problème aujourd'hui est celui de l'identification des besoins. Dans le cadre de la décentralisation, un travail extrêmement important doit être mené à cette fin. Il faut notamment demander aux préfets d'identifier les besoins des départements en termes de dépendance et de handicap. Nos connaissances sur ce sujet sont aujourd'hui incertaines. Je regrette à cet égard que le budget de 850 millions d'euros ait été fixé avant la définition même de la loi. Il aurait été intéressant que la représentation nationale vote d'abord la loi et en donne, dans un deuxième temps, le coût. La fixation d'une somme préalable, définissant a priori le cadre des possibilités permises, me paraît une procédure limitée. Par ailleurs, j'ai noté 53 occurrences du mot « décret » dans le projet de loi : il reste donc un travail très important à mener.

M. Jean-Pierre GODEFROY - Vous vous êtes présentés comme un mouvement politique. Je vous poserai donc une question politique. Vous vous êtes réjouis, comme moi, de l'extension, sous une nouvelle forme, de la contribution à l'AGEFIPH pour les établissements publics. Cette question me préoccupe beaucoup, non sur le fait d'une imposition de cette nature mais sur la forme qu'elle prend. Nous allons, en effet, créer un fonds libératoire financé par le contribuable ou sur des budgets communaux, qui sera cependant utilisé par ailleurs. Le bénéfice de cette taxe ne s'imposera donc pas sur l'ensemble du territoire mais sur des zones ciblées. Je m'interroge sur l'efficacité de cette forme de libération. Ne serait-il pas plutôt préférable, dans le cas des collectivités territoriales, que la sanction ne soit pas libératoire mais imposée ? Les collectivités locales qui ne répondraient pas aux exigences d'emploi des personnes en situation de handicap pourraient être pénalisées sur leur dotation d'équipement, leur dotation de fonctionnement, leur dotation de solidarité urbaine quand elles en bénéficient et leur fonds de compensation de la taxe professionnelle. Portant ainsi sur le budget municipal, la sanction exercerait une plus efficace pression sur les communes. A l'inverse, les collectivités territoriales pourront ne pas être aussi contraintes si elles sont astreintes à un fonds libératoire.

M. Philippe VAN DEN HERREWEGHE - La sanction est une mauvaise solution. Nous sommes aujourd'hui dans l'obligation d'y recourir du fait de notre méconnaissance des enjeux réels de cette question. Je regrette que, dans le cadre de l'emploi, nous n'ayons pas exigé des entreprises que leurs Directions des Ressources Humaines soient pourvues d'une compétence handicap. La personne en charge du recrutement dans l'entreprise devrait être dans l'obligation de mener régulièrement des stages dans des CAT ou des entreprises adaptées afin de comprendre le handicap et les conditions particulières du travail d'une personne handicapée. Revenant sur la question de l'amende ou de la contribution, je remarquerai que toute amende payée par l'État est payée par les citoyens. Ceux-ci paieront de même la réduction des budgets communaux. Pour moi, la meilleure formule est celle qui permettra de faire en sorte que les personnes disposant des meilleures compétences pour juger, sans préjugés, du travail d'une personne handicapée, soient en charge du recrutement dans les entreprises. Un employeur a aujourd'hui les moyens de se séparer d'un salarié. Moi-même, travaillant aujourd'hui en entreprise, je ne suis pas spécialement protégé : je peux être licencié du jour au lendemain, comme cela est légitime. Il faut cependant que des personnes compétentes soient en charge de ces décisions.

M. le PRÉSIDENT - Ne pensez-vous pas nécessaire, d'une part, que l'AGEFIPH fasse l'objet d'un contrôle extrêmement rigoureux et régulier, par exemple de la part de la Cour des comptes, et, d'autre part, que soit publiée annuellement la liste des communes et des entreprises qui ne respectent pas les impositions supplémentaires qui leur ont été infligées ? Ainsi celles-ci auraient-elles le souhait de ne plus apparaître sur cette liste.

M. Philippe VAN DEN HERREWEGHE - Je partage pleinement votre avis. Il est anormal que l'AGEFIPH soit une association. De plus, des rapports recensant les entreprises et leurs quotas d'embauche des personnes handicapées devraient effectivement être établis. Ces rapports devraient être rendus publics par l'AGEFIPH. Nous sommes conscients que l'entrepreneur recherche davantage, ce qui est légitime, une compétence plutôt qu'un handicap. Je sais toutefois pertinemment qu'entre une personne handicapée allergique et une personne atteinte de myopathie, à compétences égales, la première sera recrutée.

M. Gilbert BARBIER - Vous avez souhaité que l'aide humaine soit versée directement à la personne. Cela signifie-t-il qu'il serait éventuellement possible de salarier une personne de sa propre famille ?

M. Philippe VAN DEN HERREWEGHE - Nous rencontrons souvent des personnes handicapées qui bénéficient d'une aide à domicile trente ou quarante heures par semaine ou même deux heures et demie par jour et qui se plaignent de l'absence de pouvoir qu'elles ont sur elle, jugeant par exemple qu'elle choisit ses horaires comme elle l'entend ou qu'elle n'est pas obligée vis-à-vis d'elles du fait du manque d'aides à domicile sur le marché du travail. C'est pourquoi nous estimons très important que l'aide humaine soit directement versée à la personne handicapée et non à une association, qui prélève d'ailleurs un bénéfice sur la somme, afin que la personne handicapée puisse faire elle-même le choix de son aide, pourquoi pas parmi les membres de sa famille ou en la personne du gardien de son immeuble.

M. le PRÉSIDENT - Il faudra donc sans doute aider la personne handicapée dans la gestion des aides. Etes-vous favorables au développement d'associations mandataires ou à la généralisation des centres communaux d'action sociale (CCAS) en tant que mandataires ? La charge administrative de ce dispositif pourrait en effet être lourde pour certaines personnes handicapées.

Mme Cécile KERBEL - J'aborderai à ce propos la question des maisons départementales des personnes handicapées. L'avant-projet de loi avait défini que la Commission des droits et de l'intégration des personnes handicapées prendrait ses décisions sur la base d'une équipe pluridisciplinaire. Nous avons noté une petite modification de ce point dans le projet de loi qui stipule que les décisions pourront être également prises sur la base des souhaits exprimés par la personne. Nous aurions souhaité que les maisons départementales des personnes handicapées assurent, outre une mission d'accueil et d'information, un accompagnement des personnes handicapées. Celles-ci sont aujourd'hui plongées dans un dédale de procédures administratives trop complexes. Les maisons départementales devront également accompagner la famille, l'entourage ou même les aidants de la personne handicapée. Nous souhaitons également que des réseaux locaux soient mis en place dans chaque commune en liaison avec ces maisons départementales afin de prendre en charge l'accueil, l'information, l'orientation et l'accompagnement des personnes handicapées. J'insiste sur cette notion d'accompagnement qui est essentielle. Nous voudrions de plus que dans chaque maison départementale soit nommé un défenseur des personnes handicapées en lien avec le défenseur national attaché plus précisément à la question de la maltraitance. En outre, le projet de loi ne précise pas la composition et les conditions d'indépendance des équipes pluridisciplinaires. Il s'agit de pallier ce manque. Cette équipe devra être compétente dans les domaines médicaux, techniques, sociaux et citoyens. Elle devra également pouvoir s'adjoindre des experts en fonction de l'âge et de la spécificité du handicap.

Plus généralement, nous regrettons le fait que ce projet de loi ne fasse pas apparaître la question de la liberté des personnes handicapées et de leur famille, notamment sur le point de la scolarité. Les parents devraient notamment avoir la décision finale en ce qui concerne le choix de la scolarité dans un établissement ordinaire. Nous souhaitons donc que le titre de la loi soit, conformément aux fondements de notre République : « La loi pour la liberté, l'égalité et la fraternité des citoyens handicapés ».

M. Philippe VAN DEN HERREWEGHE - Les personnes handicapées et leurs parents subissent effectivement aujourd'hui davantage qu'ils ne choisissent. Le projet de loi doit comprendre qu'ils doivent pouvoir vivre et circuler librement, sans refuser de manière récurrente les propositions qui leur sont faites ou sans demander sans cesse de l'aide. Si le regard porté sur les personnes handicapées est aujourd'hui difficile, c'est précisément parce qu'il ne leur est pas permis de circuler et de rencontrer l'autre. Je vous demande de considérer avec toute l'importance qui lui est due cette question de la rencontre des personnes handicapées avec les autres citoyens.

M. le PRÉSIDENT - Madame, Messieurs, je vous remercie. Mes chers collègues, nous pouvons clore cette séance.

Audition de Mme Marie-Sophie DESAULLE, présidente,
et de M. Patrice TRIPOTEAU, directeur général administratif,
de l'Association des paralysés de France (APF)
(jeudi 5 février 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Nous poursuivons nos auditions dans le cadre du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Nous accueillons Mme Marie-Sophie Desaulle, présidente de l'Association des paralysés de France (APF), accompagnée par M. Patrice Tripoteau, directeur général administratif.

Madame la présidente, je vais céder la parole afin que vous nous donniez votre sentiment sur ce projet de loi. Ensuite le rapporteur et les commissaires vous interrogeront.

Mme Marie-Sophie DESAULLE - Merci, monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous accueillir cet après-midi. En guise d'introduction, je vous dirai que les personnes en situation de handicap moteur et les familles de ces personnes attendent avec une grande impatience une loi qui a été annoncée depuis quelques années. Nous espérons que celle-ci va finir par aboutir. Notre présence aujourd'hui nous invite à penser qu'il va en être ainsi. Aujourd'hui la déception ressentie par les personnes est sans doute à la hauteur des attentes et des besoins exprimés au quotidien par les personnes concernées par le handicap.

Nous considérons aujourd'hui que de nombreux amendements doivent être apportés à ce projet de loi, pour que celui-ci corresponde réellement à une refondation nécessaire de la politique du handicap. Ce projet de loi ayant d'ores et déjà été annoncé par M. Mattei, je peux m'appuyer sur ses propos selon lesquels ce texte relève d'une « approche personnaliste », et non environnementale. Or nous souhaitions que l'approche environnementale soit retenue pour que notre société puisse évoluer et que chacun s'y sente bien. Ainsi la logique d'aide à la personne, et donc de solidarité, aurait été reléguée au second plan. De notre point de vue, il s'agit là du défaut principal de ce projet de loi. Celui-ci contient toutefois des dispositions très positives que j'entends vous exposer rapidement. Avant cela, je souhaiterais vous faire part des principaux reproches que nous souhaitons adresser à ce projet de loi.

Tout d'abord, la définition du handicap telle que proposée dans ce projet est celle que l'organisation mondiale de la santé (OMS) retenait dans les années 80, et non celle actuellement retenue par l'OMS et portée au sein de l'Union européenne. Il s'agit donc là d'un retard par rapport aux conceptions actuelles de ce qu'est une personne handicapée. L'intérêt d'opérer une telle distinction est de rappeler que cette situation de handicap tient à la fois à des facteurs personnels et environnementaux. Or cette conception de la personne en situation de handicap ne figure pas dans l'article premier du projet de loi.

Plus généralement, la construction même de la loi montre des insuffisances puisqu'elle aborde la compensation et les ressources, avant de traiter de la problématique de l'accès de tous à tout. En toute logique, il aurait été préférable d'envisager l'évolution de la société, avant d'examiner les modalités d'actions sur les facteurs personnels. Ainsi nous proposons que la construction de la loi soit revue afin que le message puisse être clairement transmis à la société. Il est en effet important de ne pas oublier la dimension symbolique de cette loi, qui vise à décrire comment notre société s'organise pour accueillir les personnes handicapées et leur permettre de vivre avec tout le monde.

Le document que nous vous avons remis expose l'ensemble des amendements que nous proposons, ainsi que leur justification. L'amendement n° 4, correspondant à l'article L. 114-1, rappelle que notre demande porte sur l'accès aux droits fondamentaux des personnes handicapées. Cette demande n'est pas très différente de ce qui a été voté il y a un an par le Parlement dans le cadre de la loi sur la modernisation sociale. Cet amendement rappelle par ailleurs que l'exercice des droits fondamentaux est prioritairement assuré par la mise en oeuvre d'une politique de non-discrimination. Ensuite, il envisage les aides éventuellement nécessaires pour les personnes handicapées (fauteuil roulant, auxiliaire de vie...). La politique que nous souhaitons voir définie par la représentation nationale ne constitue pas une politique de solidarité, mais plutôt une politique de non-discrimination, c'est-à-dire d'évolution de la société.

Nous sommes satisfaits de la reconnaissance du droit à compensation. Toutefois, nous ne sommes pas totalement d'accord sur la définition de la prestation de compensation puisque celle-ci contient une barrière d'âge (moins de vingt ans/plus de vingt ans) qui, de notre point de vue, n'est pas acceptable. Une prestation de compensation ne devrait pas dépendre de l'âge de la personne concernée, et ce quelle que soit la nature du handicap. La loi devrait donc afficher ce principe, et prévoir éventuellement, de façon transitoire, un temps pour arriver à l'harmonisation des dispositifs, qui peut ne pas être immédiate. Nous estimons que la loi doit afficher un tel principe, et non pas se limiter à des aménagements a minima d'un certain nombre de dispositions.

Nous sommes également en désaccord avec le maintien de l'allocation adulte handicapé (AAH). Nous considérons en effet que les personnes ne pouvant pas travailler doivent avoir un revenu d'existence. Si l'on parle de la participation des personnes, il faut sortir de la logique d'allocation pour passer à une logique de revenu d'existence, qui répond à une logique de citoyenneté. Un tel revenu doit être attaché à la personne. Il ne faut pas en effet continuer à enfermer les personnes dans une logique d'assistance économique par rapport à leur entourage. Une telle disposition est importante car il faut bien comprendre que certaines personnes ne se marient pas car leur union aurait des conséquences financières importantes. Il faut donc accepter l'idée selon laquelle une personne ne pouvant pas travailler puisse bénéficier d'un revenu d'existence imposable et attaché à cette personne.

Concernant l'accès de tous à tout, nous estimons que le projet de loi contient un certain nombre de dispositions intéressantes relatives à l'école, à l'université et à l'emploi. Sur ce dernier point, nous considérons que la transposition de la directive européenne n'est pas totale. Dans ce domaine, notre demande porte sur les dispositions visant à favoriser l'emploi des personnes les plus lourdement handicapées. Ainsi il me semble que la contribution AGEFIPH devrait être modulée pour les entreprises qui emploient des personnes très lourdement handicapées. Nous ne sommes pas hostiles à l'idée de compter une personne pour un travailleur handicapé.

M. le PRÉSIDENT - Vous n'êtes pas hostile au principe du « un pour un ».

Mme Marie-Sophie DESAULLE - Non, si en contrepartie une entreprise employant une personne très lourdement handicapée voit sa contribution AGEFIPH diminuer.

Nous estimons par ailleurs que les dispositions du projet de loi concernant le transport sont plutôt positives, puisqu'elles sont précises et font l'objet d'engagements dans le temps. En revanche le constat n'est pas aussi positif s'agissant du cadre bâti, notamment du cadre bâti existant, puisque globalement le nombre de dérogations demeure très important. Cet état de fait nous amène à nous interroger sur la réalité de l'évolution de l'existant. De plus aucun calendrier n'a été défini. Je vous rappelle que le grand défaut de la loi de 1975 portait précisément sur l'absence de date butoir dans la mise en oeuvre des principes définis.

En outre, nous tenons à vous indiquer que nous n'aimons pas l'appellation « maison départementale des personnes handicapées », dans la mesure où nous ne souhaitons pas qu'il s'agisse d'un lieu, ni d'une structure, mais plutôt d'un dispositif d'information et d'accueil situé au plus proche des personnes. Au-delà de cet aspect sémantique, force est de reconnaître qu'il est assez difficile de comprendre aujourd'hui comment les choses vont fonctionner puisque le rapport de MM. Briet et Jamet n'est pas encore disponible. Nous insistons sur le fait que la commission, selon la forme envisagée, nous semble être un simple habillage des actuels CDES et COTOREP, qui ont montré leur faillite. Nous ne voyons pas comment s'organisera réellement l'évaluation des équipes techniques. Nous aurions souhaité que la loi soit plus précise sur les objectifs et les organisations de cette commission.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie de votre exposé synthétique et clair. Il permet au rapporteur de poser ses questions complémentaires.

M. Paul BLANC, rapporteur - Madame la présidente, je comprends que vous auriez souhaité que l'accessibilité soit en première partie du projet de loi et que la compensation figure dans une seconde partie. De mon point de vue, il aurait été préférable que tout soit sur un même pied d'égalité, dans la mesure où l'accès de tous à tout suppose des moyens, qui sont conditionnés par la compensation du handicap et les ressources. Ce classement était inévitable, mais je suis tout à fait d'accord sur le fait que l'accessibilité et la compensation pouvaient être mises à égalité.

Concernant le problème de la garantie des ressources, vous semblez être favorable à la distinction entre la compensation du handicap et la garantie des ressources. Cela signifierait que l'on remplacerait l'allocation adulte handicapé (AAH) par la compensation et la garantie des ressources. Aujourd'hui, l'AAH sert à la fois de garantie de ressources et de compensation du handicap.

Mme Marie-Sophie DESAULLE - Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce point, qui est effectivement soutenu par le gouvernement.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je vous pose simplement la question. Il ne s'agit pas d'un point de vue.

Mme Marie-Sophie DESAULLE - De notre point de vue, l'AAH a toujours été versée dans une logique de revenu d'existence. Il se trouve que par défaut, certaines personnes ont dû payer une partie de leur fauteuil roulant, qui n'est à ce jour pas intégralement pris en charge par la solidarité nationale. Notre demande est de dire que les personnes ont besoin, pour vivre et pour participer à la société, d'un revenu d'existence, notamment celles qui ne peuvent pas travailler du fait de leur handicap. Ce revenu doit être attaché à la personne et intégrer les revenus du foyer fiscal. Son versement ne s'inscrit donc pas dans une logique d'allocation de type subsidiaire. Un tel revenu permettrait aux personnes handicapées d'être citoyennes. Nous considérons que ce revenu d'existence devrait être de l'ordre du SMIC puisque ce dernier constitue le salaire minimum d'une personne qui travaille.

M. Paul BLANC, rapporteur - Cela signifie que l'AAH ne pourrait pas être cumulée avec les revenus du travail.

Mme Marie-Sophie DESAULLE - En théorie, oui. Mais la prestation de compensation doit être correctement calculée puisque les handicapés qui travaillent doivent faire face à des surcoûts professionnels qui ne sont pas pris en compte. La compensation devrait tenir compte de tels surcoûts.

M. Paul BLANC, rapporteur - Considérez-vous que le cadre bâti puisse être isolé de l'ensemble de l'accessibilité de la cité ?

Mme Marie-Sophie DESAULLE - Pour l'APF, l'ensemble de la cité doit être accessible aux handicapés. De mon point de vue, le terme « cité » fait également référence au milieu rural, car je suis particulièrement sensible aux transports entre les villes, notamment en milieu rural. Il faut que la chaîne des déplacements soit cohérente. Il ne faudrait pas avoir la tentation de penser que le premier élément de la chaîne ne doit pas être touché, sous prétexte que les deuxième et troisième éléments ne seront pas accessibles. Il faut plutôt commencer, fixer les échéances et définir les moyens.

A vingt mètres de l'APF, un café est en train de faire des travaux majeurs qui n'ont pas nécessité l'établissement d'un permis de construire puisqu'il s'agit d'un aménagement interne. Or les deux marches d'entrée dudit café ont été maintenues. Cette situation traduit un défaut de la loi, qu'il convient de corriger. Il est inacceptable que ce café continue d'être inaccessible. Dans le domaine des transports, nous sommes relativement satisfaits puisqu'un plan à six ans a été défini. En revanche, un tel plan fait défaut au cadre bâti. Si cette absence perdure, les gens auront accès à des transports accessibles, mais ils ne pourront ni sortir de leur logement, ni avoir accès aux lieux recevant du public.

M. Paul BLANC, rapporteur - Dans la cité, il faut que l'ensemble des acteurs soient coordonnés. Quel lieu serait le plus approprié pour assurer cette coordination ?

Mme Marie-Sophie DESAULLE - Le projet de loi prévoit une commission d'accessibilité pour les communes de plus de 10.000 habitants. Un tel seuil nous semble quelque peu élevé si l'on souhaite que cette question soit traitée dans le milieu rural. Il convient de préciser que les difficultés de mobilité ne sont pas liées à l'âge, ni au milieu d'habitation. Cette loi ne doit pas être simplement ciblée sur la personne handicapée en fauteuil roulant de vingt ans, mais elle doit répondre aux besoins d'une société qui évolue et vieillie. Les commissions peuvent être des lieux d'échange adéquats.

Les autorisations de travaux ne concernent aujourd'hui que les établissements recevant du public, mais ne concernent pas les locaux de travail, ni les logements collectifs. La loi devrait étendre cette disposition afin que l'accessibilité devienne une réalité plus présente.

M. Paul BLANC, rapporteur - La maison départementale des personnes handicapées ne pourrait-elle pas être ce lieu où chacun pourrait se retrouver ?

Mme Marie-Sophie DESAULLE - Non. La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie traite la compensation des capacités personnelles. Le sujet de l'accès de tous à tout doit concerner tout le monde et ne doit donc pas seulement être traité dans le cadre de la maison départementale des personnes handicapées. Il devrait plutôt être traité dans les commissions départementales consultatives des personnes handicapées, avec l'Education nationale, les directions du travail, les ingénieurs des Ponts et Chaussées, et éventuellement les architectes des monuments historiques. Il ne faudrait pas que pour un lieu donné, la politique du handicap se limite à la maison départementale des personnes handicapées, qui ne devrait traiter que des éléments personnels des personnes handicapées. La politique du handicap s'inscrit dans une logique globale puisqu'elle concerne divers domaines de la société. Ce serait une erreur majeure que de vouloir traiter cette question dans la maison départementale des personnes handicapées.

M. Paul BLANC, rapporteur - La maison départementale ne s'occuperait donc que de la compensation individuelle. Or les aménagements relèvent d'une compensation collective.

Mme Marie-Sophie DESAULLE - Je ne connais pas le concept de « compensation collective ». Un service, comme un centre d'aide par le travail (CAT) ou un foyer d'accueil médicalisé, constitue une réponse aux besoins de compensation individuelle de la personne. Ce point est très important car le foyer ou le CAT doit s'adapter au projet de vie de la personne, et non l'inverse.

L'APF ne connaît donc que la compensation individuelle. A côté, il y a la question de l'accessibilité de la société. Les dispositions relevant de ce domaine ne constituent pas, de notre point de vue, des compensations. La question est donc de savoir comment une société peut être accueillante vis-à-vis de tous, notamment vis-à-vis de ceux qui sont différents. Il ne s'agit donc plus là de compensation, mais plutôt de l'évolution d'une société dans le cadre du cadre bâti. Ce point concerne donc également la formation, l'information et la sensibilisation de tous les professionnels spécialisés dans l'accueil du public. L'APF est donc également sensible à la manière dont vont être formés les enseignants pour être en capacité d'accueillir un enfant handicapé. De telles dispositions sont clairement de nature à faire évoluer la manière avec laquelle une société accueille des personnes handicapées, et devraient ainsi permettre à celles-ci de vivre avec et comme tout le monde.

M. le PRÉSIDENT - Nous allons maintenant passer aux questions des commissaires.

M. Guy FISCHER - Vous n'avez pas parlé du financement. La mise en application du dispositif proposé à travers la prestation de compensation pourrait-elle se traduire par un recul du niveau global des ressources des travailleurs handicapés ?

Mme Marie-Sophie DESAULLE - Du travailleur handicapé : non. Mais de la personne qui ne travaille pas : oui. Le projet de loi favorise clairement l'accès à l'emploi des travailleurs handicapés en milieu ordinaire. Les travailleurs handicapés en CAT devraient voir leur situation actuelle maintenue. En revanche, je suis très inquiète pour les personnes qui ne peuvent pas travailler et qui vivent à domicile. A cet égard, je vous rappelle que dans le dispositif actuel, les personnes vivant à domicile de manière autonome bénéficient de l'AAH et d'un complément d'AAH. Dans le projet de loi, je ne sais pas ce que devient ce complément. J'espère que les personnes handicapées ne vont pas voir diminuer leurs ressources. L'APF s'intéresse aux orientations et actions proposées. Globalement, les programmes d'actions nous semblent intéressants puisqu'ils contiennent un certain nombre de réponses tant pour les personnes vivant à domicile qu'en termes de création de structures pour les adultes et les enfants.

M. Guy FISCHER - Ces annonces ne visaient-elles pas à masquer le manque d'engagement financier du projet de loi par lui-même ?

Mme Marie-Sophie DESAULLE - Je ne saurais répondre à cette question, dans la mesure où je ne connais pas la volonté du Gouvernement. De notre point de vue, la loi revêt une portée symbolique. A ce titre, elle doit définir les grands principes qui vont conduire l'action. Ainsi nous ne considérons pas que ce projet de loi doive envisager les financements. Nous voulons qu'une telle loi puisse fonctionner pendant trente ans, les décrets et les programmes d'action ultérieurs permettant ensuite de concrétiser les grands principes de cette loi tout en tenant compte des évolutions des besoins et des attentes des personnes.

M. Paul BLANC, rapporteur - Concernant les ressources des travailleurs handicapés en CAT, quelle est votre préférence : l'aide au poste ou le complément de ressources ?

Mme Marie-Sophie DESAULLE - La logique de l'aide au poste me convient très bien. L'APF estime que l'on parle de « travailleur handicapé » de façon non justifiée. Il convient en effet de rappeler que les CAT constituent des structures médico-sociales. Le travail n'y est donc pas une fin, mais un moyen permettant une participation des personnes à la vie de la société. Dans les CAT, le travail constitue par conséquent un outil d'accompagnement de personnes lourdement handicapées. La logique de l'aide au poste ne nous pose pas de difficultés, puisqu'elle donne la possibilité à ces personnes d'avoir les moyens de vivre. Nous proposons par ailleurs que des lieux soient créés au sein des CAT afin d'encourager l'expression spécifique de ces personnes qui vivent dans un milieu de travail. Dans ces lieux, pourraient notamment être traitées les questions d'hygiène et de sécurité. Dans les CAT de l'APF, nous avons mis en place ce type de commission qui fonctionne de manière satisfaisante. Nous considérons ainsi qu'il serait opportun d'envisager la création de ces structures au niveau des CAT.

M. Paul BLANC, rapporteur - Cette initiative relèverait plutôt de la loi relative aux institutions médico-sociales. L'aide au poste ne risque-t-elle pas de bloquer l'évolution de la personne handicapée, si celle-ci souhaite passer dans le milieu ordinaire de travail ?

Mme Marie-Sophie DESAULLE - De mon point de vue, il s'agit là d'un leurre. Il faut en effet avoir vu les personnes qui sont en CAT pour savoir que seul 1 % de ces personnes a une possibilité d'évolution vers le milieu ordinaire de travail. Le Gouvernement n'a pas compris les spécificités des populations accueillies dans les CAT. Il me paraît choquant que l'on fasse miroiter de telles possibilités à ces personnes et à leur famille. Les personnes en CAT ont besoin d'un niveau d'accompagnement médico-social qui ne permet pas de sortir de cette structure. Il ne faudrait pas que la loi donne l'impression que ce 1 % puisse constituer une règle générale. Si tel n'était pas le cas, on donnerait l'illusion de possibilités d'insertion dans le milieu ordinaire de travail. Dans les CAT, les personnes handicapées ne peuvent pas être insérées dans une logique de contrat de travail classique, car ceci poserait un problème de salaire et de relation hiérarchique. Dans les CAT, la logique hiérarchique ne peut pas être substituée à la logique d'accompagnement. Mon discours serait sans doute différent si nous parlions de l'entreprise de travail adapté et des ateliers protégés.

M. Paul BLANC, rapporteur - Depuis octobre, un budget global a été instauré au niveau des CAT. Comment concilier le budget global des CAT avec l'aide à la personne et à la compensation ? Pourrait-on concevoir que la compensation se fasse au cas par cas, et serait ensuite intégrée dans le budget global d'un CAT ?

Mme Marie-Sophie DESAULLE - Pour toutes les structures médico-sociales, nous considérons qu'il faut partir des besoins et des attentes de la personne pour ensuite reconstruire la logique globale du financement desdites structures. D'une manière générale, nous estimons que cette question relève de la loi relative à l'action sociale et médico-sociale. Ainsi je m'étonne que la question des CAT soit si présente dans le projet de loi, puisque celle-ci porte sur la participation et la citoyenneté des personnes, et non sur les principes organisant la réponse médico-sociale, notamment à travers les CAT. J'insiste sur ce point car ceci montre la conception que l'on a de ces structures, qui sont généralement considérées comme étant une passerelle d'emplois en milieu ordinaire. Or il ne s'agit que d'une réponse de l'action sociale et médico-sociale.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je suis d'accord avec vous, mais je vous pose cette question, car en son temps, j'ai regretté que la loi des institutions médico-sociales vienne avant celle que nous examinons aujourd'hui. Selon ce que vous venez de me dire, le budget global des CAT est en contradiction avec ce que nous risquons de voter si l'aide à la personne est mise en oeuvre. Je suis parfaitement conscient des imbrications - et contradictions - entre la loi qui existe déjà et le présent projet de loi.

Mme Marie-Sophie DESAULLE - Je suis également d'accord avec vous. Je dresserai un même constat concernant les foyers d'accueil médicalisés, et plus généralement l'ensemble des structures. Je ne voudrais pas que le raisonnement porte uniquement sur les CAT, alors que toute la logique de l'action sociale et médico-sociale est aujourd'hui conçue sur des dotations globales et des enveloppes fermées. Ceci entre en contradiction avec le projet de la personne et l'individualisation de la réponse. Je suis d'accord avec vous sur le fait que la loi sur les principes aurait dû être promulguée avant celle relative aux réponses sociales et médico-sociales.

M. André LARDEUX - La répartition actuelle des rôles entre les départements, l'État et l'assurance-maladie vous convient-elle, ou devrait-elle évoluer ? Par ailleurs, vous nous avez précédemment parlé du milieu rural et des transports. Vous avez suggéré que le seuil de 10.000 habitants soit abaissé. Dans quelle proportion souhaitez-vous qu'il soit réduit ? Il est en effet évident que de nombreuses petites communes seront incapables de faire face aux obligations que la loi établira. En matière de transport, quel type d'organisation souhaiteriez-vous voir mis en place par les autorités compétentes, c'est-à-dire les départements ?

Mme Marie-Sophie DESAULLE - Nous proposons un seuil de 5.000 habitants, conformément à d'autres réglementations. J'entends la difficulté pour les petites communes de se mettre en conformité, mais l'expérience a prouvé qu'une personne handicapée quelque peu active dans une commune peut inciter à cette mise en accessibilité, et ce y compris pour les petites communes. Certaines d'entre elles ont réalisé un travail remarquable dans ce domaine, sans que d'importants frais financiers aient été engagés. Il convient par conséquent de se méfier de l'idée selon laquelle de tels travaux sont coûteux et difficiles.

Par ailleurs, l'APF considère que les transports publics doivent en priorité bénéficier de l'accessibilité. Dans ce domaine, nous sommes particulièrement choqués par le fait qu'on continue d'acheter des bus ne disposant pas de planchers abaissés. Je ne comprends même pas pourquoi de tels véhicules continuent d'être fabriqués. Ainsi nous considérons que le matériel roulant renouvelé doit être accessible. Ce principe d'achat est clairement de nature à réduire les coûts unitaires de production. Le programme à six ans nous semble correct, puisqu'il s'inscrit dans une stratégie de renouvellement des matériels roulants.

Enfin, la question de la répartition des compétences et des financements n'est bien évidemment pas traitée dans le présent projet de loi. L'APF est très favorable à la création d'une branche de la sécurité sociale, qui deviendrait une branche de la protection sociale, avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Nous considérons que cette caisse devrait jouer un rôle majeur en assurant la gestion de tous les fonds relevant de la compensation, qui sont aujourd'hui financés par l'État, par l'assurance-maladie et par les collectivités territoriales. Cette gestion centralisée permettrait d'assurer à la fois visibilité et transparence, car la question de la compensation des incapacités constitue l'un des enjeux du XXI e siècle. Les personnes présentant des pathologies chroniques et les personnes âgées sont en effet de plus en plus nombreuses. Outre la question de la transparence, il y a un problème de répartition des moyens de façon équitable sur le territoire français. Si la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie peut assurer la répartition des fonds en fonction du nombre de personnes handicapées et des structures d'ores et déjà existantes, un traitement équivalent des personnes pourrait être assuré sur l'ensemble du territoire. Par ailleurs, nous considérons que la gestion des offres de service doit être assurée par le département, dans une logique de délégation de gestion. Il est clair que la réponse à cette question mériterait d'être détaillée.

Mme Michelle DEMESSINE - Je suis d'accord sur le fait que le réseau de transport public doit être rendu accessible aux handicapées. Je ne comprends pas pourquoi ce point est encore aujourd'hui discuté, puisqu'il pourrait faire l'objet d'obligations. Toutefois, j'estime que cette priorité ne répond pas de manière exhaustive à la demande, qui porte notamment sur les transports adaptés. J'ai aujourd'hui l'impression que seules les grandes zones urbaines commencent à porter une certaine attention sur ce domaine. Cette réflexion devrait s'étendre aux communautés d'agglomérations et aux communautés de communes, qui prennent en charge les transports et qui mènent une réflexion dans le domaine des transports. Dans les zones rurales et semi-rurales, les transports adaptés constituent un vrai sujet, qui mériterait d'être davantage traité dans le projet de loi.

Mme Marie-Sophie DESAULLE - Notre position consiste à dire que les transports publics devraient se mettre en accessibilité et éventuellement organiser les transports nécessaires pour les personnes qui ne peuvent pas utiliser les transports publics. Ainsi nous considérons qu'il appartient à l'autorité chargée du transport public - et non aux associations, comme cela est le cas aujourd'hui - de mettre en place les transports adaptés lorsqu'ils sont nécessaires.

M. le PRÉSIDENT - Madame la présidente, je remercie une nouvelle fois l'APF d'avoir répondu à notre invitation.

Audition de M. Patrick GOHET,
délégué interministériel aux personnes handicapées
(jeudi 5 février 2004)

M. le PRÉSIDENT - Nous accueillons maintenant M. Patrick Gohet, délégué interministériel aux personnes handicapées. Nous aimerions connaître votre sentiment sur le projet de loi dans sa forme actuelle, et savoir comment vous souhaiteriez peut-être le voir évoluer. Après votre intervention, les commissaires et le rapporteur vous interrogeront.

M. Patrick GOHET - Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir bien voulu m'entendre sur ce projet de loi. D'emblée, je salue la part importante que la Haute Assemblée prend, en particulier depuis quelques années, dans la politique du handicap. L'ancien directeur général de l'UNAPEI que je suis n'a pas oublié le rôle qui a été le vôtre dans l'issue de l'affaire Perruche. A cet égard, vous avez été cohérents avec vous-même puisque ce que vous aviez entamé dans le cadre de cet amendement a été poursuivi dans le rapport du sénateur Paul Blanc, qui constitue un document exhaustif reprenant l'ensemble des questions relatives à la politique du handicap. Vous avez également mené une enquête sur la maltraitance dont les personnes handicapées peuvent être les victimes. Vous avez même élaboré une proposition de loi destinée à réformer la législation de 1975. Considérant que tout cela est important, je tenais à le souligner.

La politique du handicap constitue une politique globale, encadrée dans notre état de droit par une législation, qui ne se limite pas à une loi. Ce projet de loi ne saurait en effet répondre à toutes les questions. D'autant plus qu'il serait stigmatisant s'il avait la prétention de le faire. Il en est beaucoup d'autres qui doivent être sollicités pour intégrer le handicap dans leurs préoccupations.

On ne saurait douter de l'effectivité du programme d'action qui a été rendu public la semaine dernière. Il en allait de même pour les programmes d'action des précédents gouvernements. Vous avez observé qu'en 2003, les mesures envisagées ont été doublées par rapport à celles adoptées par le précédent gouvernement. Il en sera de même en 2004. Ainsi il n'y a pas lieu de douter de la détermination des pouvoirs publics à mener à terme ce programme de création de moyens, car ceux-ci sont tout simplement nécessaires. Il est important que les assurés sociaux et les contribuables soient engagés dans cet effort, qui doit être mené jusqu'à son terme. Vous me permettrez d'ajouter à ce projet de loi et à ces programmes d'actions une liste de quatre-vingt-dix-sept mesures que l'on m'a chargée de piloter. Dix-huit ministères ont été réunis autour d'une même table - et ce jusqu'en 2008 - sur des sujets extrêmement divers. Cette initiative vise à montrer que les pouvoirs publics n'ont pas uniquement l'intention de proclamer des principes et de proposer des textes de portée très générale, mais souhaitent également mettre en oeuvre des mesures engageant l'ensemble de la collectivité publique.

A mes yeux, ce projet de loi constitue un compromis. Il s'agit même d'un bon compromis. Dans le troisième temps de mon intervention, je m'attacherai à préciser dans quelle mesure il s'agit d'un compromis perfectible.

Le projet de loi : le fruit d'un compromis

Pendant six mois de travail intense, dix-huit ministères se sont mis autour d'une table pour travailler sur ce projet. Compte tenu des cultures et objectifs de chacun de ces ministères, ce texte résulte d'un véritable compromis. Il s'agit également d'un compromis entre les pouvoirs publics et la société civile. A cet égard, il convient de rendre hommage à l'implication exceptionnelle des organisations représentatives - qu'elles soient associatives ou professionnelles - dans le cadre du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Animées d'une doctrine et soucieuses de leurs objectifs, elles ont mené une intense réflexion pendant neuf mois. Il s'agit également d'un compromis entre un héritage et des apports nouveaux. Il est absolument insupportable d'entendre publiquement que rien ne se fait dans le domaine du handicap. Il n'en est rien puisqu'il existe des commissions, des institutions et des allocations, qui pourraient certes faire davantage. Nier tout cela serait nier l'action de la quasi-totalité des gouvernements qui depuis une trentaine d'années se sont succédés et ont travaillé, de manière différente selon leur sensibilité. Cela reviendrait également à nier l'effort qui a été demandé depuis une trentaine d'années à nos concitoyens, en leur qualité de contribuables et d'assurés sociaux.

Nous partons d'un héritage marqué par une dominante, qui consiste à prendre en compte l'état de la personne, plutôt que sa situation. La loi de 1975 constitue notre héritage. Il convient de le concilier avec des apports nouveaux qui nous viennent de l'Union européenne (non-discrimination, égalité des chances, participation, etc.) et de l'OMS. Cette dernière insiste sur l'adaptation ou la non-adaptation de l'environnement de la personne à son état. Il s'agit là d'un apport extrêmement important.

Il nous faut également construire un compromis entre une ambition et une volonté. De mon point de vue, il n'y a pas à douter de l'ambition et de la volonté politiques qui animent l'ensemble de la collectivité publique. Il faut également tenir compte du contexte et des circonstances. Pour autant, ce projet de loi, qui se veut refondateur, ne doit pas être un texte de circonstance. Il doit donc inclure une perspective fondatrice, tout en tenant compte du contexte actuel.

Ce texte constitue surtout un compromis entre des handicaps divers. Les auditions que vous réalisez doivent vous révéler à la fois un socle commun de positions et des spécificités fortes auxquelles il faut répondre. Il s'agit là peut-être du compromis le plus important à construire.

Un bon compromis

Dans une autre instance et au milieu de femmes et d'hommes pour lesquels j'ai la plus profonde amitié, j'ai entendu qualifier ce texte de mauvais et de honteux. Je récuse ces deux adjectifs. Ce texte est un bon compromis car il constitue une avancée par rapport à ce qui existe aujourd'hui. Je souhaiterais vous dire en quoi il constitue une avancée.

Le titre de la loi est appelé à être changé, à l'initiative du gouvernement. Le titre nouveau, demandé par le Comité d'entente des associations, est le suivant : Loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la pleine citoyenneté des personnes handicapées. Ce titre résume bien l'objectif du texte. Cette modification correspond à une évolution de la considération de la personne handicapée. Après avoir été stigmatisés comme constituant une population particulière, ces femmes et ces hommes veulent tout simplement être en premier lieu tenus pour des personnes et des citoyens. Cette aspiration se retrouve dans le titre nouveau que Mme Boisseau se propose de soumettre à votre analyse.

Ce compromis me semble bon car le handicap fait désormais l'objet d'une définition, qui ne correspond certes pas tout à fait à celle de l'OMS. Dans ce projet, je n'ai souhaité participer à aucune querelle doctrinale. Pendant quinze ans, j'ai été directeur général de l'UNAPEI. Durant cette période, les débats sur la protection/intégration et le milieu ordinaire/milieu protégé ont été vifs. Je n'ai jamais participé à ces débats, car ceux-ci ne tenaient pas compte des réalités. La personne handicapée a en effet besoin d'une protection plus ou moins importante, selon la nature et le degré de son handicap. Pour certaines personnes, une forte protection leur permet d'être intégrées à la cité. Je comprends ce débat, mais je reste pragmatique et observe que ce texte reconnaît le handicap psychique. Il reconnaît également le multi-handicap. Il faudra tirer toutes les conclusions de cette reconnaissance, notamment en se posant les questions suivantes : comment évaluer ces handicaps ? Comment adapter les structures ? Que penser des solutions qui ont déjà été imaginées pour répondre aux situations des personnes concernées ? 150.000 personnes attendent des réponses concrètes à ces questions.

Par ailleurs, ce texte retient les deux leviers qui doivent être ceux de la politique du handicap aujourd'hui. Le premier levier concerne ce qui relève de la personne - considérée avec ses incapacités - et de la compensation. Une personne handicapée connaît, sur le plan de ses capacités, un « moins », qu'il convient de compenser par un « plus » pour arriver à un signe égal. Celui-ci n'existe pas si l'environnement n'est pas adapté aux besoins de cette personne. Il est normal que les personnes handicapées soient fatiguées d'entendre que leurs difficultés leur sont strictement imputables, en raison de leur incapacité. Si l'environnement dans lequel évoluent ces personnes n'est pas, par exemple, adapté à l'utilisation du fauteuil roulant, il est clair qu'elles ne seront pas en mesure de vivre dignement. Le deuxième levier a trait à l'accessibilité.

Un autre point positif du projet de loi concerne les dispositions relatives à la scolarisation. Aujourd'hui, l'Education nationale admet qu'elle ne doit ignorer aucun élève handicapé. Nous sommes loin de mesurer les conséquences de ces dispositions, notamment au niveau des textes d'application. Concernant l'emploi, cela faisait des années qu'aucune avancée n'avait été observée. Le précédent gouvernement avait été à l'initiative de protocoles dans les ministères, dont la mise en oeuvre se fait encore attendre. Il faut mettre en place un dispositif contraignant, qui figure aujourd'hui dans le projet de loi. Ce dispositif doit concerner les trois fonctions publiques. De même, le texte contient un dispositif sur les aménagements raisonnables, qu'il vous appartiendra de conforter. La suppression de toute forme de récupération doit par ailleurs être soulignée. Sur ce point, j'ai toutefois vu passer des amendements de l'UNAPEI prévoyant des mesures transitoires. Le texte contient également des mesures sur la rente survie, des dispositions sur l'atelier protégé - qui est considéré comme une entreprise ordinaire - et le CAT, dont la vocation médico-sociale a été confirmée. Sur ce point, il convient de veiller à ne pas exposer le CAT à un risque de requalification, en particulier au titre de la législation européenne. Il faut améliorer au maximum le statut des personnes handicapées en CAT, mais il ne faut pas donner prise à ceux qui ont en fait leur « tête de turc » parce qu'ils considèrent que le CAT procède de la concurrence déloyale. N'oublions pas l'offensive considérable dont le CAT a fait l'objet il y a plus d'an. Le CAT est un établissement médico-social, comme le confirme la loi. On veut aménager autant que possible le statut de la personne usagée - et non pas salariée -, mais il faut savoir s'arrêter à la limite juridique au-delà de laquelle le CAT risquerait d'être requalifié en entreprise quasi-ordinaire, et verrait donc son existence menacée. Or le CAT permet à des femmes et des hommes assez lourdement handicapés d'exercer une activité de type professionnel, qu'ils ne pourraient pas exercer hors de cette structure.

Enfin, l'idée sous-jacente et importante de la « maison départementale des personnes handicapées » - dont l'appellation ne convient pas à Mme Desaulle - est celle du guichet unique, qui doit être déclinée. Il est clair que la place des associations dans cette structure devra être clairement définie.

Un compromis perfectible

Nous sommes au tiers de la démarche. Le dépôt du projet de loi ne fige pas tout, puisqu'il sera suivi d'un débat parlementaire, qui pourra être l'occasion de faire progresser les choses, de navettes et de la rédaction des textes d'application. Nous avons donc devant nous de nombreuses échéances qui permettront de faire progresser ce compromis. La secrétaire d'État a elle-même estimé qu'il s'agissait d'un compromis perfectible. Le fonctionnaire que je suis ne peut pas anticiper sur ce qu'arbitrera le gouvernement. En revanche, je peux tout à fait indiquer les points du projet de loi pouvant être améliorés. Il faut en particulier être attentif aux critiques et aux propositions qui font l'objet d'une démarche unanime de la part de nos interlocuteurs. A la lecture des amendements venant des associations et du comité d'entente, je suis frappé par les points de quasi-unanimité ressortant de leurs travaux.

Tout d'abord, il convient de mentionner la question du handicap de grande dépendance. Il s'agit là du point noir de la politique du handicap dans notre pays. La notion de handicap de grande dépendance doit être clairement définie, en tenant compte en particulier du fait que, pour certains, la déficience majeure est intellectuelle, alors que pour d'autres elle est motrice. Par conséquent, les réponses, institutionnelles et individuelles, apportées à ces deux situations diffèrent. Le ministère a mis en place un groupe de travail sur ce sujet. Par ailleurs se pose la question des moins de vingt ans et du statut de l'allocation d'éducation spéciale (AES) - s'agit-il d'une compensation ou d'une prestation familiale ? J'observe que le précédent gouvernement, en mettant en place une AES déclinée au moyen de six compléments, a fait un pas dans le processus de la compensation.

La troisième question porte sur la fonction de la protection juridique. D'une manière générale, on considère que celle-ci est privative de droit. Mon expérience m'invite à penser que pour certains, la protection juridique constitue un élément de leur compensation, car sans protection, ils ne seraient pas à l'abri de l'exploitation des autres, voire des torts qu'ils peuvent eux-mêmes se causer - je pense ici aux personnes handicapées psychiques et mentales. Il est très difficile d'opérer cette révolution dans l'approche de la protection juridique. Les questions posées par la Chancellerie ne sont pas infondées, mais la réalité concrète vécue au quotidien fait que la protection juridique constitue un élément de la compensation.

La quatrième question concerne les ressources. Nous sommes aujourd'hui dans l'attente de savoir, d'une part, ce que sera le domaine d'intervention de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, et, d'autre part, de voir quel sera le périmètre de la compensation. Il est difficile au gouvernement d'anticiper sur ce point puisque que les réflexions sont en cours, avec en particulier les départements. En outre, n'ignorons rien de ce que peut penser la Sécurité sociale, qui par ailleurs fait elle-même l'objet d'une réflexion autour de la réforme de sa gouvernance. Il est clair que le dispositif que nous avons sous les yeux ne porte que sur ce que le gouvernement peut proposer. Et puis il y a le reste. Certains disent qu'il aurait été préférable d'être en présence d'un dispositif global. Sur ce point, il y a du pour et du contre. Je pense que le souci de la secrétaire d'État était de faire avancer un certain nombre de points, sachant que cela faisait des mois qu'elle avait sollicité le travail des organisations professionnelles et associatives. En tant que fonctionnaire, j'assume ce choix en toute loyauté. Nous allons retrouver la problématique du revenu d'existence adapté. N'oublions pas que pour l'AAH elle-même, nous n'avions jamais obtenu une telle reconnaissance. Aujourd'hui, certains ont eu le courage de mettre la question sur la table, avec en complément la compensation des besoins et la prise en compte des aidants familiaux et associatifs lorsque l'association a dû imaginer une solution, à défaut d'en obtenir une de la puissance publique. Sur ce point, je pense en particulier au handicap psychique. Il convient de tirer toutes les conséquences de cette intégration dans le dispositif législatif, notamment au niveau de la spécificité de l'accueil qui doit être accordé aux handicapés psychiques dans les structures. Cette prise en compte se retrouve à la fois dans les groupes d'entraide mutuelle, et dans l'accueil et l'accompagnement adaptés, ce handicap se traduisant par des situations oscillantes - entre stabilité et crise.

La question des ressources en CAT doit également être posée. Une personne handicapée, active en CAT dans la limite de ses possibilités, concourt à la vie de la cité. Le total de ses ressources doit être avoisinant des ressources que l'on attribue aux autres travailleurs. Il faut rendre cela compatible avec un dispositif incitatif à l'emploi. Il s'agit donc là d'une équation pour le moins délicate.

Se pose par ailleurs la question de la prestation de compensation. Je suis frappé par le fait qu'aucune organisation ne récuse la notion de prise en compte des ressources. Il s'agit là d'un vrai sujet de débat, qu'il conviendra de trancher, d'autant plus que les prises de position sont unanimes. Je n'en dirai pas davantage puisque les arbitrages gouvernementaux figurent dans la loi. Pour ma part, je dirai qu'il faut encore réfléchir à cette question au cours des échanges à venir.

Concernant l'accessibilité, il me semble que les dérogations devraient être qualifiées juridiquement, pour que celles-ci ne se transforment pas en refuge pour ne rien faire. Les débats avec les associations devraient permettre de trouver ce qualificatif. La question de la globalisation de l'accessibilité doit également être posée. Celle-ci peut être physique ou intellectuelle. Je reconnais qu'il ne sera pas aisé de traduire l'accessibilité vis-à-vis de ceux qui ont des difficultés de repérage dans l'espace et dans le temps. Si la France réussit sur ce point, son travail législatif et réglementaire constituera un modèle pour le reste de l'Europe. Il faut que dans les lieux où l'on délivre des services, des hommes et des femmes soient capables d'identifier l'existence de personnes ayant des difficultés de repérage dans l'espace et dans le temps, et sachent comment les accueillir et les orienter. Il faut donc une réelle mobilisation de tous les prestataires de services, au sens large du terme.

Enfin, j'ai entendu beaucoup de choses concernant le milieu rural, auquel je suis très attentif. J'estime à cet égard que les politiques globales doivent l'emporter sur les politiques sectorielles. Je n'ai aucune suggestion à faire au chef de l'État ou au chef de gouvernement. Toutefois j'ai toujours été étonné que la politique de la ville n'ait pas eu de pendant pour les autres espaces géographiques. Mme Desaulle a demandé que le seuil de 10.000 habitants soit rabaissé à 5.000. Cette proposition sera sans doute mise en discussion devant vous.

Concernant la politique de compensation, j'ai pointé un certain nombre de questions qui font que l'on ne saurait considérer la définition et le contenu comme étant achevés.

S'agissant du dispositif d'évaluation, d'attribution et d'accompagnement, je suis très attaché à l'idée de « maison départementale des personnes handicapées », qui permettrait de regrouper un ensemble de services - en partant de l'existant - et de constituer une chaîne de réponse aux besoins. Il faut tout d'abord savoir accueillir, écouter et informer. Lorsque j'étais directeur général de l'UNAPEI, j'avais calculé qu'une mère, à qui l'on venait de faire savoir que son enfant était handicapé, mettait environ dix-huit mois pour savoir tout ce à quoi elle avait droit. Il faut donc qu'une adresse, un numéro de téléphone et un site Internet universellement connus soient mis à disposition. L'intérêt du site Internet est réel pour les personnes qui ne seront pas en mesure d'aller voir un professionnel et de lui parler en face à face des difficultés de son enfant.

La deuxième vocation de la maison départementale des personnes handicapées est d'aider à l'élaboration du projet de vie, par une évaluation fine des difficultés et des capacités. Un certain savoir-faire a d'ores et déjà été acquis, notamment au niveau des sites pour la vie autonome. Ensuite, le projet devra être validé, à travers les commissions qui seront regroupées pour que cette validation s'inscrive dans une logique globale. Enfin, il conviendra d'aider à la réalisation du projet de vie, car force est de reconnaître la difficulté de trouver le bon fournisseur ou le bon guichet. De plus, il faut que les associations soient présentes, car non seulement la politique du handicap revêt un incontournable caractère transversal, mais ces associations disposent également de réels savoir-faire. Un débat porte sur le fait de savoir si seules les associations représentatives doivent participer à cette démarche, ou si celle-ci peut également concerner les associations gestionnaires. Sur ce point, il convient de ne pas bousculer l'histoire : ce n'est pas un hasard si ceux qui sont concernés ont dû à la fois imaginer des solutions, les faire comprendre et contribuer à leur mise en oeuvre. En outre, les associations font preuve d'un réel appétit de participation. Cet état de fait doit être pris en ligne de compte.

En conclusion, je souligne le fait que l'ensemble du dispositif n'est pas encore connu. Il est important de déceler l'existence du risque relatif à la perte ou au manque d'autonomie. Face à ce risque, notre société doit se solidariser, selon des modalités de financement qui devront être discutées. Bien que je comprenne les choix qui ont été faits par le gouvernement dans ce domaine, il ne m'appartient pas ici d'en discuter. Cette prise de conscience du risque et de la nécessité de se solidariser constitue un progrès considérable. Concernant la mise en oeuvre, on ne saurait nier au début des années 80 le fait que l'on ait confié au département le soin de s'investir pour partie dans le dispositif. Ce point ne sera pas remis en cause. De mon point de vue, Mme Desaulle n'a pas exprimé la demande de façon exhaustive. Tout le monde nous dit que la solidarité nationale doit jouer et que celle-ci doit être garantie par l'État. On nous dit également qu'il faut des solutions de proximité et une unité de pilotage, qui reviennent naturellement au département, dès lors qu'une relation contractuelle forte et précise est définie entre l'État et la collectivité. Un dispositif efficace peut être construit - en tenant compte de l'histoire de ce dont on hérite - autour de la délégation de compétences - selon l'expression de Mme Desaulle - et de ce que j'appelle une « départementalisation contractualisée garantie par l'État ».

M. le PRÉSIDENT - Le rapporteur souhaite vous poser des questions.

M. Paul BLANC, rapporteur - Votre exposé constitue-t-il une feuille de route ? Par ailleurs, la maison départementale des personnes handicapées, avec la participation des associations et le pilotage du département, pourrait-elle prendre la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP) ?

M. Patrick GOHET - Je n'ai pas la prétention d'avoir donné une feuille de route. Il s'agit plutôt d'une contribution.

Par ailleurs, le rapport de M. Piveteau prévoyait des GIP dans un contexte différent, puisqu'il les avait prévus avant l'épisode sanitaire de l'été et avant le processus de reconnaissance du risque dépendance. A cette époque, il avait préconisé la création d'une agence. Je pense qu'il y a là une vraie question pour la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie : celle-ci ne sera-t-elle que collectrice et redistributrice ? Ou va-t-elle de surcroît travailler à la définition de référentiels et garantir ces derniers ? Pour sa part, la demande sociale craint que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie soit à la fois juge et partie. Je pense qu'il est difficile d'admettre pour une collectivité la dissociation de la décision en opportunité et de la décision en faisabilité. En revanche, il est important que les représentants des personnes handicapées soient présents pour rappeler la demande sociale. L'élu dispose d'une pleine légitimité globale, mais le représentant de la personne handicapée a une pleine légitimité pour exprimer ce qui concerne l'usager. Je pense par conséquent qu'il faut concilier les deux.

Enfin, certains expriment des réticences à l'idée qu'il n'y ait pas de GIP. Les associations sont plutôt favorables à la création d'un tel GIP. Cette question fait l'objet d'une réflexion dans le cadre de la mission de MM. Briet et Jamet.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie de votre exposé très complet. Il s'agit maintenant que nous travaillions ensemble à relever ce défi.

Audition de M. Jean CANNEVA,
président de l'Union nationale des amis et familles
de malades mentaux (UNAFAM)
(jeudi 5 février 2004)

M. le PRÉSIDENT - Nous accueillons maintenant M. Jean Canneva, président de l'Union nationale des amis et des familles de malades mentaux (UNAFAM). Je vous remercie d'avoir accepté de participer à cette audition. Vous avez le choix d'aborder globalement le sujet ou de nous présenter en dix minutes votre sentiment sur le projet de loi, avant de répondre aux questions des commissaires et du rapporteur.

M. Jean CANNEVA - Merci, monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs , je vous remercie de nous entendre. Je représente un handicap jusqu'à présent totalement inconnu, y compris dans certains rapports du Sénat. Depuis la loi de 1975, le handicap psychique existe au niveau de l'allocation adulte handicapé (AAH), mais il n'existe absolument pas en matière d'accompagnement social. Or la population en cause représente environ 600.000 personnes (300.000 schizophrènes et 300.000 cas de psychoses manioco-dépressives), selon les rapports actuels de santé de M. Mattei. Le handicap psychique provient de la maladie mentale. Il provoque des incapacités lourdes, qui ont dû être définies, car les médecins ne voulaient pas de ce handicap, considérant que les malades devaient rester avec des perspectives ouvertes, et que le handicap les enfermait dans une stigmatisation qu'ils ne souhaitaient pas. Pourtant la population concernée est à 95 % dans la cité, et non dans les grands hôpitaux, et est visible de tous. Il est clair qu'il y a une superposition entre la population exclue et la population malade. M. Emmanuelli considère que 30 % des SDF sont malades. Dans le cadre d'un colloque organisé vendredi dernier au Sénat, une juge d'application des peines expliquait que les prisons comptaient nombre de personnes malades.

Cette population totalement inconnue jusqu'à présent finit par être considérée, à travers cette loi, au même titre que les autres handicaps. Cette évolution appréciable concrétise les efforts menés par certains pendant de nombreuses années. Il existe désormais quatre grands types de handicap :

- le handicap moteur ;

- le handicap sensoriel ;

- le handicap mental ou intellectuel ;

- le handicap psychique.

Il existe également des poly-handicaps et des handicaps de grande dépendance. Le fait que la loi distingue ces quatre catégories montre qu'à l'intérieur des grandes options de cette loi, il existe une grande diversité de handicaps. A cet égard, nous avons eu beaucoup de difficultés à entrer dans les critères de la loi. Par ailleurs, il est clair que la situation des handicapés psychiques dans la cité est dramatique, puisque leur situation se situe à la frontière entre le sanitaire et le social : ils sont souvent abandonnés et oubliés, notamment lorsqu'ils n'ont pas de famille.

Les grands principes de la loi portent tout d'abord sur la non-discrimination. Dans ce domaine, le travail à faire est considérable, car la discrimination par rapport à la maladie mentale est particulièrement importante, comme en témoignent les émissions télévisées sur les malades mentaux. Lors d'une récente émission, quatre expériences violentes ont été présentées. La première concernait une EMD, la deuxième portait sur les urgences du CPEA de Paris, la troisième se déroulait dans les prisons de Strasbourg et la dernière relatait le meurtre d'une mère par son fils. En outre, l'organisatrice de ces reportages m'a demandé de faire venir témoigner une mère en fin d'émission. Je lui ai répondu que cela n'était pas possible, dans la mesure où le dernier reportage traitait crûment du meurtre d'une personne. La stigmatisation des malades mentaux en France est considérable. Un important effort de non-discrimination doit par conséquent être fait. Il faut que des actions de non-discrimination soient menées, comme des campagnes visant à expliquer que la maladie mentale n'est plus ce qu'elle était et qu'elle peut faire l'objet d'un traitement médical.

Les grands principes de la loi portent également sur l'égalité des chances. Un psychotique est malade et rencontre de grands problèmes avec sa propre vie. L'égalité des chances constitue un objectif, et non une réalité. La compensation pose également problème. Le travail que nous avons réalisé avec le CNCPH ou dans le cadre des rapports nous a beaucoup appris. Nous avons proposé au gouvernement d'interpréter le terme « compensation » de la manière suivante : accueillir des gens et les accompagner. Ces deux notions sont fondamentales et sont très différentes. La notion d'accompagnement fait référence au service à domicile. Compte tenu des risques inhérents à ce type de service, les personnels concernés doivent être formés et les services proposés doivent être acceptés par les bénéficiaires. Or il est dans la nature du handicap psychique de ne pas être reconnu par la personne elle-même, ni par le public. Ainsi vous ne pouvez pas dire à quelqu'un que ses facultés mentales sont totalement absentes. Ceci est humainement insupportable. A l'UNAFAM, nous ne disons jamais que quelqu'un est totalement malade. La personne ne peut pas admettre qu'elle est malade et handicapée. Lorsqu'une loi prévoit des dispositions liées un projet personnel, elle s'avère inapplicable si la personne ne dispose d'aucun projet personnel.

Il nous a été demandé de prendre un train - celui de la loi de 1975 - à une gare où le train ne s'arrêtait pas. Ainsi depuis 28 ans, les personnes handicapées psychiques n'ont pas d'accompagnement social. La situation est donc particulièrement grave, mais elle s'explique. Il reste maintenant à trouver une solution. Notre vie familiale n'est pas absente, mais nous n'avons pas le choix. Nous avons une expérience de « cope with » (faire face). L'UNAFAM représente 10.000 familles, soit plus de 50.000 personnes qui font quotidiennement face à la présence d'une personne handicapée psychique. Par ailleurs, nous sommes allés voir dans les départements et les hôpitaux pour savoir ce qui se faisait de mieux. La solution date de quarante ans : il s'agit de la thérapie institutionnelle. Les soignants s'étaient aperçus que l'hôpital devait être soigné au même titre que les malades. Pour cela, des clubs d'activités culturelles ont été créés afin que les personnes malades participent à une partie de l'activité de la structure. Il s'agit là d'une idée géniale. Dans des hôpitaux, j'ai vu des patients chargés d'accueillir les nouveaux. Certains ont amené des services entiers à Bamako au Mali pour entrer dans un cycle de réinsertion dans la cité. Nous ne savons pas pourquoi cette initiative n'a pas été généralisée.

A Bordeaux, trois clubs ont été créés depuis quinze ans avec l'équipe de Jacques Chaban-Delmas. Ces clubs accueillent les personnes au sortir de l'hôpital. Le club gère le non-abandon, les personnes handicapées ayant pour seule obligation de donner leurs nouvelles - y compris par téléphone - tous les huit, quinze ou trente jours. Ce club permet de ne pas abandonner ces gens, tout en reconnaissant qu'ils sont adultes, et donc libres. Le club offre une main tendue aux gens, en veillant à ce qu'ils donnent régulièrement de leurs nouvelles. Extraordinairement efficace, une telle organisation n'est pas coûteuse. Le club de Bordeaux compte cent adhérents - et non pas malades ou handicapés -, mais seuls vingt viennent réellement : le volume d'accompagnement correspond par conséquent à ces vingt personnes. Avec des associations de patients et d'anciens patients (la FNAPSI), nous avons proposé cette solution à des élus. Ce dispositif réunit les familles, les soignants, les élus et les travailleurs sociaux. Le Gouvernement a accepté d'inscrire dans la loi, au titre de la compensation, l'offre d'accueil et l'accompagnement. Sur ce sujet, nous avons défini un plan en six points :

- la continuité des soins

Ce principe relève du social et non du médical. L'exemple de Nanterre a montré les résultats de l'abandon de personne. Pour notre part, nous veillons à ce que le service social sache ce qu'est le handicap psychique. Le club veille au maintien des soins, mais ne les prodigue pas.

- les ressources

L'AAH est préférable au revenu minimum d'insertion (RMI), ou plus précisément au revenu minimum d'activité (RMA). Il faut que cette allocation soit donnée aux personnes qui ne peuvent pas travailler.

- l'hébergement

100.000 places d'hôpitaux ont été supprimées, mais aucun plan d'hébergement n'a été défini. Il s'agit là d'un véritable scandale puisque ces personnes ne répondent pas aux critères normaux des HLM. De plus elles font peur. En l'absence de plan spécial, il est clair qu'elles n'auront jamais accès à un logement.

- l'accueil et l'accompagnement

- la protection juridique

Il s'agit là d'un outil d'autonomie, et non pas d'une simple suppression de droits.

- la participation à des activités sportives et culturelles

Force est en effet de constater qu'une personne handicapée psychique est susceptible de participer à de telles activités, bien qu'elle ne puisse pas travailler.

Les quatre premiers points concernent toutes les personnes handicapées psychiques, y compris celles qui ne se sont pas encore déclarées auprès de la COTOREP. Nous pensons que les clubs devraient être ouverts à ceux qu'ils ne veulent pas encore accepter, mais qui le devraient. Les deux derniers points du plan sont facultatifs.

En matière d'emploi, le régime des CAT devrait être adapté, car le régime tourné vers la production est trop fatigant pour les personnes handicapées psychiques.

Par ailleurs, il faudrait que le caractère médico-social des CAT soit affirmé, car un CAT a été accusé de faute inexcusable dans le cadre d'une tentative de suicide. En appel, j'avais plaidé en disant que les tentatives de suicide étaient totalement imprévisibles. La Cour d'appel avait alors retenu qu'il ne s'agissait pas d'une faute inexcusable. Mais la Cour de cassation est revenu sur cette décision. Il faut veiller à ce que le caractère médico-social des CAT soit suffisant. A défaut, nombre de CAT pour personnes handicapées psychiques risquent de devoir fermer leurs portes.

Il existe des centres d'évaluation pour les traumatisés crâniens. Je pense que ces spécialistes devraient intervenir auprès des COTOREP pour leur indiquer s'il est pertinent ou non de mettre telle ou telle personne au travail. Par ailleurs il convient de souligner le fait qu'aujourd'hui les familles portent 100 % de la charge. Une telle situation est purement et simplement scandaleuse : ces familles sont vraiment épuisées. Dans une permanence d'une commune proche de Paris, un couple de 80 ans s'est présenté mardi dernier. Ils ont un fils malade et quatre petits-enfants. Les parents de ces enfants n'étant pas présents, ils sont pris en charge par le couple âgé. Personne ne s'occupe d'eux. Le service social ne se rend pas compte de la situation. La situation est véritablement dramatique.

Nous avons demandé un plan d'actions psychique, qui figure dans les annexes du dossier de la conférence de presse. Il faut que ce plan soit mis en place car le retard de 28 ans doit être rattrapé en toute urgence. Nous savons ce qu'il faut faire, mais il faut avoir le courage de le faire.

Je vous remercie.

M. le PRÉSIDENT - Vous ne manquerez pas de nous soumettre vos amendements et nous les travaillerons.

M. Paul BLANC, rapporteur - Estimez-vous que la protection juridique constitue un « filet de protection » pour les personnes handicapées psychiques ?

M. Jean CANNEVA - De fait, toutes les personnes handicapées psychiques sont sous protection juridique. On agit en effet à leur égard comme si elles bénéficiaient d'une protection juridique, qu'elles soient passées ou non devant le juge. Ainsi aucun bien ne leur ait donné en disposition. L'objectif est l'autonomie, et non la guérison. Le fait de dire à un malade qu'il est courageux et doit gérer son autonomie constitue une avancée considérable. En cas de problème, nous sommes obligés de passer à la curatelle, qui est plus fréquente que la tutelle. Nous souhaiterions que les entrées et sorties de ce régime soient facilitées. Très honnêtement, cela ne se passe pas bien avec les tutelles. De plus elles ont peur des personnes handicapées psychiques. Il faut donc davantage de temps pour négocier. Nous demandons que l'accompagnement d'une tutelle puisse être assurée sans se substituer à l'accompagnement d'une curatelle.

Mme Michelle DEMESSINE - Peut-on dire que ce que vous constatez est la conséquence d'une sectorisation inachevée ? Je suis originaire d'une ville où il y a un important hôpital psychiatrique. J'ai vu toute la période de sectorisation, qui était souhaitable, mais qui n'a, semble-t-il, pas été pensée jusqu'au bout. Les 600.000 personnes handicapées psychiques bénéficient à ce jour d'une prise en charge sanitaire, mais ne bénéficient d'aucune prise en charge sociale ou médico-sociale. Il est important d'être entré par la porte de la compensation. Mais les dispositions de la loi sont totalement insuffisantes, compte tenu de l'ampleur des problèmes posés et de leurs conséquences. Ces personnes n'étant pas prises en charge des points de vue social et médico-social, elles se retrouvent en pleine dérive dans la société. Il est important de dire combien de personnes sont concernées. Les personnes handicapées psychiques bénéficient-elles de la carte d'invalidité ?

M. Jean CANNEVA - Les problèmes des handicapés psychiques sont quasiment tous impossibles, puisque leur maladie est lourde et incurable. Il faut donc traiter des problèmes terriblement compliqués. Depuis vingt-huit ans, nous n'avons rien eu. Le début de commencement de reconnaissance que contient ce projet de loi doit donc être salué. Vous avez raison de dire que tout cela est insignifiant, mais il s'agit d'un début. La sectorisation a commencé il y a quarante ans, mais elle n'a eu aucun effet pratique dans la cité. Il y a trois ans, j'ai réalisé un Livre blanc avec les patients, les soignants et les familles. Nous avons présenté ce document aux élus. J'ai alors pu constater que lorsqu'un élu monte aux créneaux, les solutions apparaissent : il convoque les services sociaux et médicaux, leur « passe un savon » et leur demande pourquoi ils ne discutent pas davantage ensemble. Une situation récente m'a encore montré cette absence de dialogue. La division du médical et du social conduit notre pays à marcher sur la tête. Le club de Bordeaux est un club médico-social, composé de deux animateurs venant de l'hôpital et de deux animateurs venant du service social. Ils apportent un service totalement intégré médico-social. C'est la seule solution efficace.

La sectorisation ne sera jamais pensée jusqu'au bout. En revanche, nous estimons que les responsables politiques peuvent gérer des choses impossibles, lorsqu'ils le désirent et qu'ils ont pris la mesure des problèmes. Lorsqu'un élu monte aux créneaux, les solutions apparaissent.

M. le PRÉSIDENT - Il s'agit là d'un encouragement.

M. Paul BLANC, rapporteur - Tout à fait. Je me souviens être parfois monté aux créneaux, mais d'avoir fait chou blanc. Je retiens toutefois votre enthousiasme et essaierai de m'en inspirer à l'avenir. Ce matin, nous avons auditionné les représentants des offices HLM. Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous avez dit concernant l'absence de logements. De ce point de vue, la situation est vraiment catastrophique. Ne pensez-vous pas qu'il existe une contradiction entre le fait de vouloir intégrer les handicapés dans la cité et le fait de vouloir construire des logements qui leur sont destinés ? Les représentants des offices HLM ont expliqué qu'ils ne savaient pas gérer les situations dans lesquelles les handicapés étaient en crise alors qu'ils habitaient en HLM.

M. Jean CANNEVA - Les élus d'Armentières président, avec le docteur Rouland, les commissions spéciales d'affectations qui réunissent les accompagnements médicaux, les accompagnements sociaux, les familles et la personne handicapée. L'office ne donne un logement que s'il y a un engagement d'accompagnement. La responsabilité est donc partagée. En ce sens, l'initiative prise à Armentières constitue un modèle. Sans accompagnement, le dispositif ne peut pas marcher. J'ai fait visiter Armentières à des élus de Paris. Ils ont décidé de créer vingt clubs et entendent travailler avec les offices HLM. Si chacun travaille de son côté, nous n'arriverons à rien.

Mme Michelle DEMESSINE - L'expérience d'Armentières est exceptionnelle et tient beaucoup à la personnalité du docteur Rouland. Cette expérience a été construite à partir de l'idée visant à sortir les malades de l'hôpital et à construire un projet de vie avec eux et les partenaires locaux. Il y avait donc un pilote.

M. Jean CANNEVA - A Paris, cette expérience est reprise par le député Charzal dans le 20 ème arrondissement. Il a décidé de mener une initiative comparable à celle d'Armentières. Ce type de projet ne peut pas fonctionner si les quatre partenaires que je vous ai cités ne sont pas présents.

M. Jean-Louis LORRAIN - Nous connaissons les services d'accompagnement à la vie sociale, que nous avons développés avec les conseils généraux. Dans le cadre de ces initiatives, les personnes concernées vivent dans leur appartement et sont régulièrement suivies par un travailleur social ou par un éducateur spécialisé, en évitant de trop intervenir dans la conduite de leur vie personnelle. En cas de dérapage ou de problèmes administratifs, ces gens sont accompagnés. Cette pratique date de dix ans.

M. Jean CANNEVA - Mais elle ne concerne que les gens qui acceptent d'être accompagnés. Là est le problème, car la personne à l'origine de l'affaire de Nanterre aurait dû être accompagné.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je ne vois pas comment tout cela peut être mis dans un texte de loi.

M. Jean CANNEVA - J'ai demandé un plan en six points. Je ne vous cache pas que s'il n'est pas rapidement mis en oeuvre, je ne serai pas content. Le plan est totalement chiffré. J'ai demandé 200 clubs, 10.000 hébergements accompagnés, ainsi que l'équivalent d'un accompagnement à domicile pour 100.000 personnes.

M. Paul BLANC, rapporteur - Je suis d'accord avec vous. Mais je me permets de vous rappeler que nous sommes dans le cadre d'un projet de loi sur le problème du handicap dans sa globalité. La spécificité du handicap psychique est reconnue : il s'agit là d'une excellente avancée.

M. Jean CANNEVA - Dans l'article premier, il est indiqué que l'accueil et l'accompagnement sont spécialement faits pour ceux qui ne peuvent pas exprimés leurs besoins. Il s'agit donc là d'une porte d'entrée.

M. Paul BLANC, rapporteur - Nous sommes d'accord. Mais il faut ensuite le décliner.

M. Jean CANNEVA - Ne vous inquiétez pas : nous serons sur le terrain avec les élus.

M. Paul BLANC, rapporteur - Vous êtes donc bien d'accord avec moi que ce plan ne peut pas être décliné dans un texte de loi, mais il fera partie des décrets d'application.

M. Jean CANNEVA - Non. Il faut un plan, comparable à celui défini pour l'autisme et les traumatisés crâniens. Il faut avoir la volonté politique de ne pas abandonner ces gens-là. Il faut donc un plan.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie d'avoir accepté de présenter vos propositions sur ce délicat volet de la maladie mentale et des malades mentaux. J'espère que vous serez satisfait de notre travail.

Mes chers collègues, je vous remercie. Voilà qui clôt notre cycle d'auditions publiques.

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