IV. UN SYSTÈME EXCESSIVEMENT COMPLEXE

Votre rapporteur prend acte de la progression des crédits du budget de la ville en 2002, qui confirme la volonté du gouvernement d'afficher le caractère prioritaire de la politique de la ville. Cependant, il remarque que cet affichage n'a pas toujours les répercussions attendues sur le terrain , et que l'utilisation qui est faite des moyens consacrés à la politique de la ville n'est pas toujours satisfaisante.

A. L'INTERMINISTÉRIALITÉ, LES INSUFFISANCES DE L'ÉVALUATION DE LA POLITIQUE DE LA VILLE ET LES DÉFAUTS DE LA CONTRACTUALISATION

1. La politique de la ville, ou le trop-plein d'études et le manque d'évaluation

La mise en oeuvre de la politique de la ville se caractérise, d'une part, par le foisonnement excessif des études, tant préalables à la mise en oeuvre de procédures que générales, et, d'autre part, par une absence quasi-totale des dispositifs d'évaluation a posteriori .

La DIV a, en particulier, constaté que, dans certains territoires classés en contrats de ville, les crédits mis en oeuvre par l'ensemble des ministères -celui de la ville y compris- étaient inférieurs à ceux des territoires « de droit commun » . En effet, le fait qu'un territoire soit inscrit en contrat de ville peut conduire les autres ministères à diminuer leurs propres crédits au bénéfice des territoires de droit commun, en considérant que ces territoires bénéficient d'affectations de crédits spécifiques dans le cadre de la politique de la ville. Cet « effet d'éviction » va à l'encontre de la logique même de la politique de contractualisation. Votre rapporteur considère qu' il est très surprenant de constater l'échec de la politique de la ville sur certains quartiers presque « par hasard » . Une telle situation démontre, s'il en était encore besoin, le caractère indispensable du développement de l'évaluation des politiques menées, d'une part, et la mise en oeuvre d'un véritable suivi de la consommation des crédits, d'autre part.

Le fait que la politique de la ville s'inscrive dans une démarche transversale et donc, interministérielle, ainsi que dans une logique de contractualisation au niveau local, rend difficile le suivi et l'évaluation des projets. Or, votre rapporteur considère que cette complexité institutionnelle ne la rend que plus nécessaire.

2. L'interministérialité, facteur de complexification des financements de la politique de la ville

En dépit des réformes introduites au cours des deux dernières années (création du fonds d'intervention pour la ville -FIV- notamment), les modalités de financement de la politique de la ville demeurent insatisfaisantes.

D'une part, la complexité et la lenteur des procédures de demande de subvention demeurent un obstacle, notamment pour les associations participant à la réalisation des objectifs de la politique de la ville. La délégation des crédits déconcentrés, souvent tardive, empêche toute visibilité quant aux montants des crédits disponibles dans les départements.

D'autre part, le financement des opérations plus importantes demeure complexe, compte tenu de la dispersion des sources de financement.

Votre rapporteur souhaite que des réformes de grande ampleur soient étudiées afin de poursuivre la simplification du financement de la politique de la ville. La mutualisation des fonds en provenance des différents ministères et des collectivités au niveau local, pourrait permettre une plus grande fongibilité des crédits, et de réduire les délais liés à la disponibilité des crédits.

Cependant, une telle mesure ne pourrait être mise en oeuvre qu'accompagnée d'un dispositif d'évaluation et de suivi de l'utilisation des crédits particulièrement rigoureux, que votre rapporteur appelle de ses voeux.

3. Les effets pervers de la contractualisation généralisée

La politique de contractualisation menée par l'actuel gouvernement est sous-tendue par une logique de collaboration et de coordination entre les différents acteurs de la politique de la ville au niveau local. Elle permet ainsi de définir des objectifs, des méthodes et des répartitions de compétence entre les différentes parties prenantes.

Cependant, la logique de contractualisation « à tout va » emporte des effets pervers nombreux, liés à la superposition des contrats dont le périmètre géographique, ainsi que les parties prenantes, ne sont pas identiques. Pour un seul quartier, huit contrats différents peuvent s'appliquer, certains « s'emboitant » avec plus ou moins de succès les uns dans les autres.

Les conséquences d'un tel foisonnement de procédures contractuelles sont doubles :

- d'une part, il conduit à une multiplication des études préalables particulièrement coûteuses pour les collectivités. Or, les contrats ne conduisent pas nécessairement à un accroissement des moyens mis en oeuvre sur le territoire des collectivités parties prenantes. A cet égard, l'exemple des contrats locaux de sécurité (CLS) est édifiant : le diagnostic préalable à la conclusion de ces contrats s'est avéré un document coûteux et bien souvent, vide et inutile, et aucun moyen supplémentaire de l'Etat n'est venu concrétiser les ambitions affichées dans ces contrats.

- d'autre part, il conduit à des incohérences fâcheuses et déconcertantes, lorsque les services déconcentrés de l'Etat tiennent des discours contradictoires à l'égard des collectivités locales.

B. LES AVANCÉES EN MATIÈRE DE RENOUVELLEMENT URBAIN NE RÉPONDENT PAS AUX BLOCAGES INSTITUTIONNELS ET FINANCIERS

1. Les effets pervers des dispositions de la loi « solidarité et renouvellement urbain »

La loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU) prévoit une obligation de construire 20 % de logements sociaux sur le territoire de chaque commune. Le Sénat a proposé, à l'occasion de la discussion de cette loi, de mettre cette disposition en oeuvre au niveau de l'agglomération, afin de permettre davantage de souplesse et une meilleure prise en compte des réalités locales. En effet, une obligation de construction imposée à chaque commune peut être difficile à réaliser, compte tenu des contraintes foncières auxquelles celle-ci peut être confrontée.

Par ailleurs, cette disposition est susceptible d'emporter des effets pervers importants : les communes riches, qui vont être contraintes de construire des logements HLM neufs, vont vraisemblablement attirer les locataires les plus solvables des HLM des communes voisines plus pauvres. Par conséquent, il existe un risque réel que cette disposition provoque un accroissement de la ségrégation sociale, plutôt qu'une réduction de cette fracture .

Enfin, les sanctions prévues envers les communes ne se conformant pas aux obligations prévues par la loi apparaissent peu dissuasives au regard du coût de construction des logements.

La volonté louable de construire des logements sociaux risque donc de se retourner contre la politique de la ville.

2. Un dispositif insuffisant en matière de restructuration de l'habitat

Votre rapporteur se félicite de l'existence d'un grand programme de renouvellement urbain. Les grands projets de ville apparaissent constituer un outil adapté à la mise en oeuvre d'actions de restructuration urbaines lourdes. Cependant, la participation financière de l'Etat n'est pas à la hauteur de l'ampleur des projets envisagés par les communes, qui seront vraisemblablement confrontées à un alourdissement de leurs charges de fonctionnement .

3. Les blocages institutionnels et financiers en matière de construction-démolition

Votre rapporteur constate que les opérations de reconstruction-démolition sont davantage reconnues que par le passé comme un moyen efficace d'amélioration des conditions de vie des habitants, et, par là, comme un moyen de lutte contre la délinquance et l'insécurité. Votre rapporteur constate en effet que la dédensification de l'habitat urbain constitue une réponse primordiale au développement du sentiment d'insécurité dans les villes et les banlieues .

Des financements sont prévus, en particulier par la Caisse des dépôts et consignations, afin de mettre en oeuvre des opérations de reconstruction-démolition. Cependant, de nombreux obstacles expliquent l'insuffisance de ces opérations : localement, la réticence des directions départementales de l'équipement, entraîne souvent des délais particulièrement longs.

De récentes évaluations chiffrent entre 150.000 et 200.000 les besoins en matière de reconstruction-démolition. Près de 8.000 opérations devraient être engagées sur l'ensemble de l'année 2000, et le gouvernement prévoit 10.000 à 12.000 opérations pour l'année 2001. De tels chiffres sont largement insuffisants pour une véritable reconstruction de nos villes. Il conviendrait de mettre en oeuvre un véritable « Plan Marshall » dans les quartiers, devant permettre de franchir deux obstacles majeurs : la lourdeur des procédures administrative déjà évoquée plus haut, et le coût considérable des opérations de démolition , qui demeure un obstacle important, en dépit des prêts accordés par la Caisse des dépôts et consignations. En effet, au coût de la reconstruction-démolition proprement dit s'ajoute le manque à gagner correspondant aux loyers des logements détruits, qui sont largement amortis. En revanche, les logements nouvellement construits ne commencent en moyenne à être rentables qu'à compter d'un délai de 6 à 10 ans, et ne sont amortis qu'après 20 à 25 ans.

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En conclusion, comme son prédécesseur, notre collègue Alain Joyandet, votre rapporteur spécial considère qu'une politique de la ville ambitieuse et efficace doit nécessairement passer par des moyens d'action renforcés à la disposition du ministre de la ville, de façon à pallier les effets négatifs de l'interministérialité .

Cette réforme devrait s'accompagner d'une simplification des dispositifs et des structures existantes et d'une vraie politique du logement en faveur des quartiers sensibles, avec la mise en oeuvre à grande échelle d'opérations de reconstruction-démolition.

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