B. AUDITION DE M. MICHEL SAPIN, MINISTRE DE LA FONCTION PUBLIQUE ET DE LA RÉFORME DE L'ÉTAT

M. LAMBERT, Président .- Mes chers collègues, en votre nom à tous, je souhaite à la bienvenue à M. Michel Sapin, Ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.

Monsieur le Ministre, bienvenue dans notre commission, composée de commissaires des finances et de commissaires invités pour entrer dans un dialogue avec vous sur le grand rendez-vous qui est celui de la réforme de l'ordonnance organique de 1959.

Vous êtes le Ministre de la réforme de l'Etat et vous êtes depuis le lancement de cette initiative totalement impliqué dans le processus. Le rapport que j'ai eu l'honneur de rendre public à l'automne sur cette réforme au nom de notre commission des finances indiquait d'ailleurs dans son titre qu'elle constituait un « préalable » à celle de l'Etat.

Par ailleurs, en tant que Ministre de la fonction publique, cette réforme vous concerne au premier chef, puisque la place de la fonction publique dans les dépenses du budget de l'Etat est importante.

Aussi souhaiterez-vous peut-être, dans un exposé que je sais par avance concis, nous expliquer le rôle de votre ministère dans la conduite des réflexions sur la réforme. Nous procéderons ensuite au jeu habituel des questions et réponses.

M. SAPIN .- Merci beaucoup, Monsieur le Président, de m'avoir invité pour parler de la réforme, à laquelle pour ma part -comme vous-même et beaucoup d'entre vous ici- j'attache énormément d'importance.

Je me permettrai de parler assez librement, indépendamment de toute préparation, pour laisser ensuite le plus possible la place aux questions sur des sujets plus précis.

Vous avez déjà discuté de tout cela, mais je tiens à souligner que la réforme de l'ordonnance de 1959 contient deux aspects que l'on veut parfois séparer alors qu'ils sont inséparables.

Le premier aspect concerne le type de débat parlementaire sur le budget, selon quelle procédure, avec quelle précision et -point souvent controversé- quel droit d'amendement, et le second la réforme de la façon dont les administrations dépensent l'argent puisque -pour parler simplement- elle est impliquée par celle dont vous votez la loi de finances, une modification de la façon de voter induisant une modification de la façon de dépenser.

C'est bien entendu au titre de ce deuxième aspect que je me sens particulièrement concerné, tout en portant au premier aspect, en tant que parlementaire chevronné en d'autres temps, beaucoup d'attention. Dans la mesure où ces deux aspects ne peuvent pas être séparés, il faut essayer de raisonner sur l'ensemble.

Second élément de réflexion général : la réforme de l'ordonnance de 1959, qui doit être votée dans les semaines qui viennent, n'aura de plein et total effet que dans quatre ou cinq ans.

Elle a deux caractéristiques. La première est qu'elle laisse à chacun la perspective que ses effets bénéfiques pourront profiter à celles et ceux qui le souhaitent. En effet, d'ici quatre ou cinq ans, chacun peut avoir l'espoir d'en être le bénéficiaire en termes de bonne gestion et d'adaptation de l'Etat à ses missions.

La seconde caractéristique est que malgré tout c'est loin, trop penser précisément à un texte d'aujourd'hui à travers des débats d'hier, d'avant-hier ou même d'aujourd'hui revenant éventuellement à se priver de possibilités d'évolution et d'adaptation dans cinq ans et au-delà.

L'ordonnance de 1959 est ancienne, la nouvelle, sous forme de loi organique, étant aussi appelée à durer. Il faut donc qu'elle ait comme caractéristique de poser des principes forts, durables et pérennes, dont vous considérez au Parlement -puisqu'il s'agit d'une procédure d'initiative parlementaire- qu'ils seront encore valables dans dix ou quinze ans, tout en laissant des possibilités d'évolution au Parlement comme au Gouvernement à travers les propositions qui seront faites devant le Parlement dans les lois de finances, pour que la meilleure capacité d'adaptation aux défis du moment que nous souhaitons à l'Etat soit respectée dans ce texte fondamental pour les années qui viennent.

Il faut faire des choix forts sans pour autant faire obstacle à des évolutions possibles, y compris en matière de capacité d'adaptation de notre façon de voter et de dépenser. C'est en tout cas ce que j'ai en tête, ce que je rendrai plus précis sur quelques sujets.

Si pour moi ce texte est important, c'est parce qu'il porte en lui-même une capacité à rendre plus responsables les ministres et ceux qui travaillent sous l'autorité de ces derniers, par cascades, jusqu'à un niveau relativement faible de responsabilité administrative (chef de bureau, directeur départemental ou chef de subdivision).

C'est une réforme qui trouve sa pertinence à la tête du Parlement et qui a ses effets jusqu'aux plus bas niveaux et au plus proche du terrain, à savoir les lieux de gestion administrative et budgétaire.

La première grande caractéristique nécessaire de cette réforme est pour moi de permettre une plus grande liberté dans la gestion des crédits votés par le Parlement. C'est ce que l'on appelle la fongibilité, à savoir la possibilité de s'adapter en cours d'année et de ne pas être dépendant d'un vote ou de procédures d'affectation ou de réaffectation trop stricts.

La seconde grande caractéristique de la réforme -peut-être faudra-t-il en parler un peu plus- est d'introduire de la pluriannualité, ce qui est d'ailleurs la contrepartie de la contractualisation, à travers la capacité pour le Parlement de contractualiser avec le Gouvernement non pas pour une année, mais dans le cadre d'objectifs sur plusieurs années.

De même, cela représentera la capacité pour un ministre de contractualiser avec son administration non pas pour une année -même si le terme contractualisation n'est pas juridiquement valable en l'occurrence-, mais pour plusieurs, également dans le cadre d'objectifs. Cela signifie que la pluriannualité est nécessaire. En effet, se projeter sur une année est normal dans le cadre de l'annualité budgétaire, mais il faut le faire avec une vision pluriannuelle.

Par ailleurs -peut-être là aussi devrais-je être plus précis, mais je pense que ce sera le cas quand je répondrai à vos questions-, l'une des caractéristiques de la modernité est la capacité pour des ministres de travailler ensemble ou pour des politiques d'être interministérielles.

En effet, s'il ne faut pas faire de l'interministérialité l'alpha et l'oméga de toute action politique ou administrative, il ne faut exclure ni cette possibilité ni son caractère extensif dans les années qui viennent.

Les politiques de la ville sont souvent citées, mais on peut aussi en évoquer beaucoup d'autres. Si je me permettais de parler des politiques de sécurité, je crois que chacun serait d'accord sur le fait qu'elles ne peuvent pas être résumées à l'action de la police, beaucoup d'autres actions dépendant d'autres ministères qui doivent être menées parallèlement, de façon mêlée et intime, avec la politique de sécurité, au sens strict du terme, pour qu'elle puisse porter ses fruits.

Ce sont les raisons principales de l'intérêt que je porte au texte, et je suis persuadé que c'est l'une des plus grandes réformes que nous soyons les uns et les autres en capacité technique et politique d'adopter aujourd'hui.

De même, je suis convaincu que la préparation de la mise en oeuvre de cette réforme demande énormément de travail à nos administrations. Certes, c'est pour dans quatre ans, mais la révolution culturelle est telle, à la fois dans la façon de dépenser et de contrôler -puisque la réforme modifiera complètement celle dont nos administrations de contrôle vont devoir travailler-, qu'il faut s'y préparer dès maintenant.

Comme vous le savez, nous avions décidé l'année dernière, en octobre, la mise en place de groupes de travail, sous le pilotage conjoint du Ministère du budget et de celui la réforme de l'Etat, pour préparer point par point les réformes induites par le vote d'une nouvelle loi organique correspondant à l'ordonnance de 1959. C'est un travail très important.

Concernant le contrôle, à partir du moment où l'on fixe des objectifs et où l'on donne des moyens dont l'utilisation est plus libre, le contrôle est d'une toute autre nature. Au lieu d'être principalement un contrôle a priori , il devient ce que l'on appellerait en termes d'administration privée un contrôle de gestion, ce terme devant devenir un terme de l'action gouvernementale et administrative.

Cela signifie, y compris pour le Parlement, que le débat sur le vote des moyens affectés à des programmes et à des objectifs est bien entendu important, puisque c'est celui qui autorise la perception d'impôts et la dépense, mais surtout que le débat sur la mise en oeuvre et les résultats devient, à mon sens, le débat politique principal.

Chacun sait qu'il est discuté de la loi de règlement certainement avec beaucoup d'attention, un grand travail préparatoire étant mené, mais sans que cela corresponde à un vrai débat politique, y compris à l'extérieur.

Cependant, demain, le débat sur la loi de règlement -qu'il faudra d'ailleurs peut-être déplacer dans le temps pour qu'il soit bien articulé avec celui sur la loi de finances initiale, pour l'éclairer- deviendra un moment politique très fort, puisqu'il s'agira du rendu compte par les ministres eux-mêmes et l'administration de ce qui a été fait des autorisations qui ont été données par le Parlement.

La réforme de l'ordonnance de 1959 modifiera profondément le rapport de force entre le Parlement et le Gouvernement et l'Administration, non pas tant parce qu'elle renforcera les pouvoirs en matière d'autorisation, mais parce qu'elle le fera dans le domaine du contrôle des résultats, ce qui me paraît une façon moderne d'exercer le contrôle parlementaire.

En effet, peut-être n'est-ce pas dans le détail du vote d'une loi initiale, mais dans la capacité des pouvoirs à contrôler cette application que l'on retrouvera demain un Parlement rétabli dans ses prérogatives, adaptées au monde moderne et à une administration elle-même efficace et ayant modifié sa culture.

Voilà, Monsieur le Président, ce que je voulais vous dire en commençant cette rencontre. Je sais que beaucoup de points méritent d'être explicités dans le détail, mais je voulais vous montrer que, pour moi comme pour vous, cette réforme de l'ordonnance de 1959 est un grand moment de notre vie parlementaire et administrative .

M. LAMBERT, Président .- Merci, Monsieur le ministre, de ses propos introductifs. Je voudrais vous indiquer pour y faire écho qu'en effet la réforme a vocation à s'appliquer dans quatre ou cinq ans, ce qui nous a tous appelés ici, bien que les deux majorités ne se recoupent pas entre l'Assemblée nationale et le Sénat, à aborder cette discussion de façon très ouverte et sans aucun réflexe de nature politicienne.

Il s'agit d'élaborer un texte pour la France, afin d'améliorer sa performance, et nous veillerons donc à ce que cette discussion puisse aboutir au meilleur texte possible quelles que soient les majorités qui peuvent exister tant à l'Assemblée qu'au Sénat.

S'agissant des principes que vous avez suggérés de poser d'une façon forte, pérenne et durable, nous sommes partis de l'idée -mais elle est peut-être utopique, puisque ce n'est plus dans la nature des législateurs modernes- qu'après tout cette nouvelle loi organique pourrait avoir une durée équivalente à celle de l'ordonnance. Par conséquent, plus nous saurons la rédiger clairement, moins nous aurons besoin de la remanier souvent.

Nous appréhendons le texte qui nous est soumis d'une façon tout à fait constructive, notre assemblée n'ayant pas la volonté de critiquer celui de l'Assemblée nationale. Nous souhaitons étudier l'ouvrage tel qu'il nous est proposé pour continuer à l'améliorer et à le parfaire, comme l'Assemblée nationale devra le faire en seconde lecture.

Je souhaite mettre deux aspects en exergue (je vois en cela que nos points de vue ne sont pas opposés) : celui de la pluriannualité et celui de l'interministérialité. Il nous semble que le texte doit pouvoir encore être amélioré sur ces deux points, et j'aimerais que vous nous apportiez votre point de vue pratique sur la fongibilité accrue des crédits et la budgétisation par objectifs.

Je voudrais également, s'agissant de l'interministérialité, vous demander si vous voyez déjà quel pourrait être l'impact de la réforme des structures administratives sur les structures actuelles.

Enfin, pour que ce soit concret dans l'esprit de nos collègues, votre ministère entend-il jouer un rôle important dans la définition des missions, des programmes et des indicateurs de performance qui y seront associés ? En effet, si nous voulons donner un caractère concret à nos débats parlementaires, il faut que nous puissions avoir quelques exemples à défaut d'entrer dans le détail.

Naturellement, la discussion sera ensuite ouverte avec l'ensemble des commissaires présents. Je vous cède la parole si vous avez des précisions à nous apporter sur les trois points que je viens d'évoquer.

M. SAPIN .- Concernant la pluriannualité -dont j'ai dit un mot-, il est indispensable d'en introduire plus qu'aujourd'hui des éléments dans la loi organique.

L'idéal serait pour moi que, de même que des autorisations de programme concernent l'investissement, le fonctionnement comprenne des crédits de paiement pluriannuels qui permettent d'éviter ce que chacun connaît, à savoir des administrations qui dans les derniers mois de l'année ont le sentiment qu'elles ne vont pas pouvoir dépenser tout leur argent et qui donc le font inutilement alors que cela aurait été plus utile et plus efficace dans d'autres domaines au cours des deux premiers mois de l'année suivante.

Nous connaissons la vieille histoire du service des essences des armées, qui faisait tourner ses camions pendant les dernières semaines de l'année pour que son stock soit épuisé et que l'on évite de lui signifier l'année suivante qu'il était trop important.

L'idéal serait des crédits de paiement pluriannuels, mais cela présente un inconvénient grave, que chacun doit avoir en tête au Parlement, et pose la question suivante : quel pilotage l'Etat dans son ensemble (le Ministère des finances et celui du budget) peut-il faire de la consommation au mois le mois et même année après année ?

Nous pouvons imaginer qu'une année les dépenses de fonctionnement seront peu nombreuses -surtout au début, parce que mettre en oeuvre un programme prend du temps- et que tout à coup, au cours de la deuxième ou de la troisième année, l'on se mette à consommer non seulement les crédits de paiement de l'année en cours, mais aussi ceux de l'année précédente, dont une très grande quantité auraient été reportés.

Dans ce cas, il serait très difficile de piloter les finances de la France puisqu'une année on aurait peu dépensé alors que la seconde l'on dépenserait beaucoup, avec tous les inconvénients que cela présente en termes de financement ou d'effet sur la conjoncture globale, les revenus des ménages et l'investissement.

Il faut arriver à rendre compatible la nécessité d'une pluriannualité, avec beaucoup de liberté de la part des gestionnaires dans l'utilisation de ces crédits, et ce pilotage, qui est d'intérêt général quant à l'évolution et au rythme des dépenses de l'Etat.

La position qui figure dans le texte actuellement est la fixation d'un certain chiffre déjà déterminé de report possible sur l'année qui suit. Cependant, cette proposition, qui a ses avantages, a aussi un inconvénient : sa rigidité et surtout le fait qu'elle est considérée comme valable pour toutes sortes de crédits de paiement.

En effet, ce chiffre pourra à certains moments être plus ou moins élevé qu'il ne convient, car des types de dépenses sont plus de nature à connaître des à-coups, avec des possibilités de report d'une année sur l'autre, que d'autres.

La solution se trouve à mon avis dans une liberté laissée à la loi de finances annuelle de prévoir cette possibilité de demande de crédit, mais en lui permettant de fixer dépense par dépense ou programme par programme, dans le cadre des nouveaux mécanismes, les reports qui seraient autorisés par le Parlement d'une année sur l'autre.

Cela répondrait au principe de pluriannualité et représenterait une capacité d'adaptation à l'évolution de ces dépenses ou des besoins de l'Administration, le tout sous le contrôle du Parlement, puisque c'est lui qui voterait les reports.

La question de l'interministérialité est importante. Je ne suis pas de ceux qui considèrent qu'elle est la solution à tous nos problèmes, mais chacun d'entre nous, qui sommes issus de nos provinces profondes, nous voyons combien le renforcement de la déconcentration est un élément indispensable et parallèle à celui de la décentralisation, un rôle interministériel, en particulier pour les préfets, étant tout à fait indispensable.

Si nous voulons par exemple que la mise au point des projets territoriaux, que vous avez vus les uns et les autres dans chacun de vos départements, se concrétise, il faut permettre de l'interministérialité dans la capacité de vote, pour vous, et dans la capacité des dépenses, pour nous. Si nous ne le prévoyons pas -ce qui est le cas aujourd'hui dans le projet-, nous manquerons quelque chose.

Quelle critique peut-on objecter à une trop grande interministérialité, c'est-à-dire que vous voteriez des crédits qui seraient entre les mains de tel ou tel autre ministre ? Le fait que la responsabilité, qui est une plus grande liberté, correspond aussi à une plus grande identification. Etre responsable est savoir à qui l'on délègue sa responsabilité.

Le fait qu'il existe une relation forte entre votre vote et le ministre qui est ensuite responsable de la dépense, avec pour celui-ci la capacité de savoir qui en est responsable dans l'Administration, est très important.

Par conséquent, trop d'interministérialité floue serait contradictoire avec la responsabilité, mais bloquer toute interministérialité, comme c'est le cas aujourd'hui, me paraîtrait une mauvaise façon de préparer l'avenir. En tout cas, ce ne serait pas suffisant.

Cela signifie que, dans le concret, les lois de finances qui éventuellement mettraient en place cette interministérialité pour certains programmes, dès lors que vous l'auriez autorisé dans la loi organique, devraient également identifier un responsable principal auquel vous demanderiez des comptes en tant que parlementaires, ainsi que, pour chaque ministre, au sein de son administration.

Cependant, le texte de l'Assemblée me semble aujourd'hui trop contraint en termes d'interministérialité, même si je ne suis pas pour que les vannes soient ouvertes à tout va dans ce domaine.

Concernant les programmes et les indicateurs, le coeur de la réforme est un vote par programmes, qui consistent à la fois en des moyens, un responsable et des objectifs. En effet, c'est bien en cela que cela changera, puisque le Gouvernement proposera des objectifs qui seront débattus et adoptés par le Parlement, qui conférera des moyens en hommes et en argent.

La fixation de ces objectifs est un élément déterminant pour vérifier ensuite s'ils ont été atteints ou pas et si par exemple ils l'ont été à 50 % pour de bonnes ou de mauvaises raisons. La pertinence des objectifs est décisive pour celle de la réforme.

Il va bien entendu de soi que mon ministère y est particulièrement attentif, de même qu'à la mise en oeuvre d'un mécanisme de contrôle de gestion qui ait la capacité en cours de dépenses de vérifier que l'on va bien dans le sens des objectifs et quels sont les obstacles pour atteindre ces derniers, afin de pouvoir les surmonter ensemble. C'est d'ailleurs aussi l'un des moyens pour le Parlement de vérifier en cours de dépenses la bonne orientation de la politique des administrations et du Gouvernement.

Je suis particulièrement impliqué dans la définition des programmes, qui doivent être suffisamment précis mais pas trop, sinon nous perdrions, d'une part, à travers trop de précisions, ce que nous aurions gagné, d'autre part, de par la globalisation des crédits. Il faut que ces objectifs soient pertinents et qu'ils puissent être vérifiés, à travers des indicateurs quantitatifs, pour savoir où nous en sommes s'agissant de la capacité à les atteindre.

M. CHARASSE .- Monsieur le Président, je voudrais profiter de la présence du Ministre chargé de la fonction publique pour soulever un point. Après tout, parmi toutes les options que nous avons, c'est budgétairement le ministre qui pèse sans doute le plus lourd, soit horizontalement, soit verticalement, puisque grosso modo le bloc de la fonction publique civile et militaire de l'Etat -y compris les pensions, les anciens combattants, etc.- représente 650 milliards de francs, soit environ le tiers du budget de l'Etat.

Cette réforme, qui est évidemment importante pour l'ensemble du budget de l'Etat et des ministères, a également une importance particulière pour ce qui pèse pour un tiers dans celui-ci.

Ma question est très simple, mais je ne suis pas certain que M. Sapin pourra y répondre tout de suite. J'ai passé une partie de mes deux week-ends précédents -vous pouvez voir que j'ai des amusements !- à lire le tome 2 du rapport de la Cour des comptes sur la fonction publique de l'Etat, paru en avril dernier. Le ministre l'a d'ailleurs certainement lu puisqu'il concerne son secteur. De plus, il analyse plusieurs ministères, comme celui de la justice, de la défense, de l'économie et des finances, ainsi que quelques autres.

Ce rapport, comme ceux qui l'ont précédé, même s'il ne s'agissait pas de rapports particuliers uniquement consacrés à la fonction publique de l'Etat et à quelques ministères, reprend ce qui a déjà été écrit, mais nous constatons qu'au fond la gestion de l'Etat est tellement rigide qu'une partie des éléments contenus dans le rapport sont de véritables turpitudes, jusqu'à faire signer des faux en écriture publique par des magistrats de l'ordre judiciaire, qui n'ont pas eu de problèmes, sachant qu'ils ne seraient pas punis parce qu'ils ne sont pas des élus locaux.

Cependant, ces turpitudes sont -que l'on trouve cela bien ou mal- la respiration et la souplesse nécessaires pour la gestion quotidienne compte tenu des rigidités qui existent par ailleurs.

Ces rigidités et ces souplesses sont des éléments que l'Etat a dû introduire dans sa gestion quotidienne, officiellement ou officieusement, comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, mais cela fonctionne ainsi car, comme tout le monde le sait très bien, il n'est plus patron de la fonction publique.

Ce sont les fonctionnaires qui choisissent leur affectation, ils vont où ils veulent, il n'est pas possible de réformer un ministère, etc., cette rigidité majeure obligeant d'avoir recours à des turpitudes, et encore, nous ne les avons pas toutes vues ! L'on fait par exemple signer par les conseils généraux des accords de contribution financière avec les directions de l'équipement pour permettre de payer des vacations fictives aux cantonniers, notamment en hiver.

Soit la loi organique empêchera cela, ce qui est l'un de nos objectifs, soit ce ne sera pas le cas. Je fais partie de ceux qui pensent qu'elle pourrait l'empêcher, mais dans ce cas, Monsieur le ministre, l'Etat deviendra ingérable si vous ne reprenez pas la main et l'autorité sur les fonctionnaires.

Le passage du système actuel à un nouveau système dans le cadre duquel on ne pourra plus en principe faire ce que l'on faisait jusqu'à présent ne rendra-t-il pas l'Etat complètement ingérable, sauf si vous et vos collègues ministres redevenez des patrons, si un percepteur sortant de l'école peut être affecté là où se trouve une perception, fusse dans le dernier village perdu de France, et si l'on peut encore dire dans un département en perte de population que tel service administratif n'est plus utile, qu'il va être fermé et que le personnel sera envoyé à tel endroit ? Je ne parle pas de la fonction publique hospitalière, des hôpitaux recevant trop de malades et d'autres pas assez, etc.

Bref, si le Parlement reprend un peu de son pouvoir en matière budgétaire, ce qui est l'objectif poursuivi, cela s'accompagnera-t-il d'une reprise du pouvoir du Gouvernement sur l'Etat ?

M. SAPIN .- Je ne répondrai pas à l'amplitude de la question, même si par définition chaque ministre a plutôt intérêt à avoir autorité sur son administration. En tout cas, c'est ainsi que nous pouvons entendre le bon fonctionnement de la République. Le ministre est responsable devant le Parlement, qui lui-même l'est devant les électeurs, le ministre ayant lui-même autorité sur son administration.

C'est le lien qui peut être établi entre le fonctionnaire et le peuple. C'est par le biais de ce mécanisme que cela se passe. Ceci dit, on peut toujours regretter que tel autre principe prévu par la Constitution, comme la protection de la fonction publique contre les aléas politiques, le manque de neutralité de tel ou tel, etc., ait un effet de rigidité auquel M. Charasse a fait allusion et qui, dès lors qu'il est mis en oeuvre de façon trop brutale, peut avoir des effets négatifs sur la gestion de la fonction publique.

Je voudrais en revenir à la question très concrète de la réforme qui est devant vous. Comme chacun le sait aujourd'hui, dans le domaine du personnel, le Parlement a à la fois beaucoup et peu de pouvoir.

Il a beaucoup de pouvoir parce qu'il vote très et trop précisément les créations, les suppressions et les transformations d'emplois, ce qui signifie que dans l'application les administrations sont incapables de les respecter, raison pour laquelle il n'existe pas de vraie relation entre ce que vous avez autorisé en début d'année et ce qui est effectif à la fin de l'année.

D'ailleurs, si vous rentriez dans le détail, vous trouveriez de bonnes raisons à 90 % des cas de non-adéquation. L'Administration a eu de bonnes raisons pour surmonter cette trop grande rigidité.

En sens inverse, vous ne votez pas chaque année pour l'ensemble des emplois, puisque vous ne le faites que pour ce qui est modifié à la marge. Par conséquent, l'une des grandes questions qui se posent à l'Etat est de savoir si le nombre des fonctionnaires affectés à une tâche est conforme aux besoins, en plus ou en moins, étant entendu que vous ne procédez pas au vote du stock de ceux au service de l'Administration. Il faut le reconstituer pour vous permettre de savoir combien il existe de fonctionnaires, ce que nous savons très mal, comme la Cour des comptes l'indique.

Cependant, nous essayons d'améliorer la situation avec l'Observatoire de l'emploi public et je pourrai vous donner d'ici juin -ce sera utile au Parlement- une vision beaucoup plus précise des effectifs réels de l'Administration pour telle tâche, dans tel ministère et dans tel département.

Vous aurez ainsi la possibilité de voter programme par programme un stock d'emplois nécessaire pour leur accomplissement, en établissant une relation entre le nombre d'hommes et les objectifs et en pouvant discuter de l'adéquation entre ces deux éléments.

Ce que je viens d'indiquer -je crois que vous en avez pris conscience, Monsieur le Président- n'est pas forcément ce que souhaitent la plupart des organisations syndicales, qui sont attachées à un vote très précis, d'une part parce que cela permet d'avoir une vision opérationnelle du nombre d'emplois créés dans telle catégorie et dans telle autre, et d'autre part parce que, dans la mesure où chacun sait que cette précision ne peut pas être respectée, cela donne un certain poids dans la capacité à trouver des souplesses dans le cadre d'un dialogue avec les ministères. J'en reviens en cela à votre question, Monsieur le ministre.

Je crois pour ma part que le vote d'une part d'une masse salariale et d'autre part -je crois que c'est nécessaire aujourd'hui encore- d'un nombre d'emplois par mission est une façon pour le Parlement de récupérer un réel pouvoir de décision, tout en laissant dans l'application une marge de manoeuvre suffisante aux administrateurs et aux ministres pour fixer ensuite les catégories d'emplois et éventuellement les modifier.

Chacun sait qu'à certains moments, à la place de 2 ou 3 fonctionnaires de catégorie C, il vaudrait mieux un fonctionnaire de catégorie A, ou parfois l'inverse, mais ce n'est pas fixé une fois pour toute, administration par administration. Cela évolue en fonction des missions, des besoins et des circonstances, et il faut donner cette possibilité, mais pas à travers une masse de rémunérations, ce qui est le raisonnement d'une entreprise privée, qui décide dans son budget prévisionnel de l'année d'une masse salariale, indépendamment du nombre d'emplois. Pour nous, le nombre d'emplois est important et, en particulier pour le Parlement, contrôler et voter ce dernier me paraît très important.

Je pense, Monsieur le ministre, pour répondre à votre question, qu'à travers plus de globalisation, mais moins de précisions dans le vote sur les emplois, le Parlement concourra à une plus grande souplesse dans la gestion et à une plus grande visibilité sur le contenu des décisions prises par les ministres et les administrations, ce qui irait dans le sens du rapport de la Cour des comptes auquel vous faisiez allusion, qui est non pas le premier, mais le deuxième sur la fonction publique, le premier étant paru il y a un peu plus d'un an.

Ce sont des rapports de grande qualité, que pour ma part je considère non pas comme critiques vis-à-vis de l'Etat, mais constructifs pour ceux qui veulent le faire bouger.

M. LORIDANT .- Ma question va prolonger l'interpellation de Michel Charasse. Je voudrais demander au ministre, si la nouvelle ordonnance était votée, concrètement, dans son propre ministère, donc dans le champ de gestion des fonctionnaires d'Etat, quelles décisions il prendrait pour illustrer celle-ci. J'ai en effet compris qu'il avait commencé à y réfléchir et j'aimerais qu'il nous indique concrètement à quelle inflexion cela correspondrait dans tel domaine. Je comprends le souci de fongibilité, mais il faut que le peuple souverain sache ce qui se passe.

M. LAMBERT, Président .- S'agissant des questions relatives à l'emploi public -vous en avez déjà parlé-, j'aimerais que vous nous donniez votre sentiment de ministre sur la fongibilité -que nous appelons tous asymétrique aujourd'hui- et sur les plafonds d'autorisation d'emplois par ministère, afin de lever les différentes inquiétudes qui se seraient exprimées ici ou là.

J'aimerais également que vous nous donniez votre sentiment sur la création d'un programme de mesures générales destiné en matière de rémunérations à faire face à des dépenses de personnel dont la répartition par programmes ne pourrait être déterminée avec précision au moment du vote des crédits.

J'aimerais que vous puissiez nous éclairer sur ces deux aspects afin que nous disposions d'éléments de travail pour notre lecture.

M. SAPIN .- Mon ministère a la particularité de ne disposer que d'un très petit budget, contrairement à ce qu'a indiqué M. Charasse. En effet, le Ministère de la fonction publique peut peser entre un milliard de francs et plus de 700 milliards de francs selon la façon dont on considère la situation.

Je suis favorable au caractère asymétrique de la fongibilité pour une raison de bon sens. Quand une préfecture réalise une année des économies de chauffage parce qu'il a fait particulièrement chaud en hiver, si elle a la possibilité de transformer ces économies en emplois, l'hiver suivant, alors qu'il fera normalement froid et qu'elle aura besoin de dépenser de l'argent pour pouvoir assurer du chauffage à ses fonctionnaires, elle ne pourra pas revenir en arrière parce que des emplois auront été créés.

Si nous voulons -ce qui est nécessaire- maîtriser le nombre des emplois et leur coût, ce caractère asymétrique est absolument indispensable, même si certaines préfectures -le Ministre de l'intérieur a dû vous en parler- expérimentent des possibilités de fongibilité totale plutôt bien utilisées. Cependant, passer de l'expérimentation à la généralisation me paraîtrait dangereux pour le bon contrôle des dépenses publiques, raison pour laquelle je suis favorable à la fongibilité asymétrique telle qu'elle existe aujourd'hui dans la proposition que vous avez entre les mains.

Je suis favorable au vote des moyens et d'un plafond d'emplois, qui est, dans le texte que vous avez sous les yeux, fixé par ministères. Cependant, je me pose la question de savoir si la logique ne voudrait pas qu'il soit fixé par programmes. En effet, il est très important de savoir combien un ministère compte d'emplois, mais la logique de cette réforme est celle des objectifs et des moyens pour les atteindre, la question étant de savoir combien ils incluent de crédits de fonctionnement et d'investissement et de fonctionnaires.

Nous serions plus dans la logique de la réforme en fixant ce plafond d'emplois par programmes plutôt que par ministères, bien entendu dès lors que ces programmes garderaient un caractère général suffisant, pour ne pas arriver à une situation complètement figée au point que nous serions à nouveau obligés de mettre en place toutes les dérives possibles et inimaginables, que la Cour des comptes dénoncerait immédiatement parce que cette trop grande rigidité conduirait à faire passer des fonctionnaires d'un programme à l'autre. Il faut donc maintenir le caractère suffisamment général du programme.

Concernant le programme de mesures générales en matière de rémunérations auquel vous faisiez allusion, chacun voit bien de quoi il s'agit. Quand le Gouvernement élabore et propose et que vous votez, nous ne savons pas forcément tout de l'évolution des rémunérations au cours de l'année suivante.

Pour prendre un exemple que je connais bien, quand vous avez voté le budget pour 2001, le Gouvernement ne savait pas encore quelle serait l'évolution des salaires des fonctionnaires au cours de l'année 2001 puisque des négociations étaient en cours, étant entendu qu'elles se sont terminées par les décisions que vous savez il y a quelques semaines.

Nous ne prévoyons pas, dans chaque ministère, des masses correspondant à l'évolution prévisible, puisque les actes juridiques ou les accords qui engagent l'Etat ne sont pas conclus.

Dans ce cas, nous sommes confrontés à une masse indifférenciée, d'ailleurs souvent insuffisante -cela a été le cas pour la loi de 2001- et nous retrouvons dans une sorte de paquet général une forme d'abstraction qui me paraît contradictoire à la capacité de décision politique du Parlement et de vérification de l'utilisation des crédits.

La solution n'est pas dans l'ordonnance elle-même ; vous serez obligés de prévoir un programme de cette nature. Elle est -je me permets de parler en tant que Ministre de la fonction publique-, en tirant toutes les conséquences des échecs des négociations sur la fixation des salaires pour 2001 et 2002, dans la nécessité -je n'ose pas encore dire l'obligation- pour l'Etat de négocier -ce qui ne veut pas dire forcément d'aboutir à un accord- l'évolution des salaires de l'année N+1 au cours de l'année N et avant que le projet de loi de finances ait été élaboré.

Si cette nécessité s'impose et que cette obligation existe, le Gouvernement bâtira sa loi de finances en connaissance de cause des évolutions pour l'année concernée et le Parlement en débattra en connaissant celles de l'année suivante.

C'est par exemple ce qu'il se passera pour la loi de finances 2002, puisque nous avons pris des décisions, qui sont aujourd'hui connues, qui seront intégrées dans leur totalité dans la loi de finances 2002, ce qui ne s'est pas passé pour celle de 2001. C'est clair pour 2002 -ce qui n'était pas le cas pour 2001- et je souhaiterais que dans l'avenir que ce programme de mesures générales en matière de rémunérations soit en quelque sorte « dégonflé » par des négociations claires, suffisamment en avance, pour qu'elles soient prises en compte dans l'élaboration des documents financiers soumis à votre vote ou à votre appréciation.

Monsieur Loridant, mon ministère compte très peu de fonctionnaires et de moyens, sachant que j'en demande juste un peu plus, ne serait-ce que pour mettre en oeuvre la réforme.

Par conséquent, la question que vous m'avez posée s'agissant de mon ministère n'est pas du tout de même nature que celle que l'on pourrait poser vis-à-vis de celui de l'Equipement ou de l'Intérieur et a fortiori de l'Education Nationale.

Mon ministère se prépare à la réforme de l'ordonnance de 1959 en animant une série de groupes de travail, avec le Budget, pour y préparer les administrations ou offrir des kits à celles qui seront concernées sur la bonne façon de s'y préparer.

Nous avons dit un mot de la fixation des objectifs, la question étant de savoir comment fixer de bons objectifs qui soient valables dans le temps et permettent de savoir où nous en sommes dans notre cheminement vers ces derniers.

Le contrôle, avec tout ce que cela a souvent de contraignant pour les administrations -même si c'est nécessaire en termes de légalité- va progressivement se transformer en un contrôle de gestion.

Nos trésoriers payeurs généraux auront de plus en plus auprès d'eux des personnes capables de vérifier dans n'importe quelle administration se trouvant sur leur territoire l'adéquation des moyens aux objectifs et d'en tirer les conséquences.

De même, il faut préparer les ministères qui travaillent aujourd'hui sur les emplois de la façon que vous connaissez à le faire comme je viens de le décrire. Il faudra savoir comment les stocks d'emplois vont varier d'une année sur l'autre et de quelle façon se préparer aux conférences budgétaires que connaît bien M. Charasse.

Il faudra fixer des objectifs et prévoir les moyens en hommes nécessaires, en pratiquant une gestion prévisionnelle, pour savoir combien de personnes vont partir en retraite, combien d'embauches seront nécessaires et combien de temps il faudra pour préparer les fonctionnaires à celles-ci.

Ce sera une toute autre discussion, qui sera non plus une discussion de « marchands de tapis », mais qui se projettera dans l'avenir et même au-delà de l'année concernée, ce qui sera une transformation culturelle pour les administrations.

Je ne parlerai pas des systèmes d'information qui devront être modifiés au sein de nos administrations et dans la relation avec le Ministère des finances et en tout cas avec celui du budget et l'ensemble de ses échelons territoriaux.

Cela représente un travail considérable, que nous sommes en train de mener pour éclairer vos travaux et vous permettre de savoir où nous sommes, sachant que suis à votre disposition, Monsieur le Président, pour que nos groupes de travail puissent vous communiquer un certain nombre de documents dans ce cadre, et surtout pour rendre possible une bonne application de l'ordonnance.

L'un des risques est que dans trois ans l'administration indique : « Vous avez voté une très belle réforme, mais nous ne sommes pas prêts à l'appliquer et nous vous demandons donc d'en reporter l'application de deux ou trois ans ». Il faut donc qu'il n'existe aucun bon prétexte pour que ce soit possible. C'est une forme de contrainte qui pèse sur l'administration, mais elle est positive et poussera au changement.

M. CHARASSE .- Le calendrier de la réforme n'est-il pas incompatible avec le quinquennat ?

M. MARINI .- Ma question sera beaucoup plus modeste et porte sur un point relativement technique. J'aurais voulu connaître l'avis du ministre sur le principe d'un compte spécifique montrant la correspondance des ressources et des emplois susceptibles d'être affectés aux pensions de retraite de la fonction publique. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Etes-vous favorable, Monsieur le Ministre, à un compte séparé, par exemple un compte d'affectation spéciale montrant la correspondance entre les cotisations et les pensions et présentant à la fois le coût réel des retraites et les conditions de gestion financière de ces régimes ? Que pensez-vous de ces perspectives ? Cela ne serait-il pas une bonne pédagogie ?

M. SAPIN .- Monsieur le rapporteur général sait que sa question est à la fois pertinente et délicate, mais pas parce que ce point serait obscur. Vous disposez aujourd'hui d'un certain nombre de documents -que vous avez déjà certainement étudiés, Monsieur le rapporteur général- qui sont des annexes à la loi de finances et qui vous permettent de savoir très exactement quelles sont les ressources et les dépenses et, par exemple -ce sujet peut vous intéresser-, le taux implicite de cotisations de l'Etat patron pour le régime de retraite.

Je crois de mémoire qu'il s'agit de 39 % pour le personnel civil et de plus de 100 % pour le personnel militaire, qui part plus tôt à la retraite pour des raisons nécessaires à l'efficacité de nos armées.

Ce n'est pas une question de transparence et de contrôle politique et éventuellement de débat autour de la question de savoir si l'Etat cotise trop et si les fonctionnaires ne cotisent pas assez, qui peut exister par ailleurs, le Parlement et les commentateurs politiques ayant aujourd'hui cette information. C'est une question de principe.

S'agissant des personnels de l'Etat -ce n'est pas le cas pour ceux des collectivités territoriales ou des hôpitaux-, le statut général considère que les pensions -certains syndicats de fonctionnaires y sont très attachés- s'inscrivent dans la continuité de l'activité.

Juridiquement, il n'existe pas de différence entre ce que les personnes touchent en activité et à la retraite, ce qui implique un éclairage par des documents annexes et un vote global, qui ne permet pas en lui-même d'établir une relation entre les recettes et les dépenses des pensions. Vous ne votez pas sur ce sujet, même si vous votez sur un ensemble, éclairés par des documents annexes.

Pour ma part, j'estime que l'éclairage et l'information peuvent encore être améliorés, mais je ne pense pas qu'il faille le moment venu revenir sur le principe- auquel un certain nombre d'organisations syndicales sont très attachées- de cette forme de continuité dans la carrière d'un fonctionnaire de l'Etat entre ses revenus dans le cadre de ses activités et de sa retraite.

M. MARINI .- Nous connaissons tous l'assimilation juridique entre la rémunération de l'activité et les pensions de retraite, mais nous sommes ici en train de débattre d'une loi organique pouvant être innovante en termes de concept juridique. Sinon, je ne vois pas très bien quelle serait son utilité réelle.

Je vous demande si vous êtes favorable, Monsieur le ministre, au fait que cette évolution puisse avoir lieu et que cette modification puisse prendre place dans la loi organique, texte de principe, pour permettre à la fois aux salariés de la fonction publique, à l'opinion publique et aux parlementaires de disposer d'éléments plus clairs et plus transparents, dans la ligne de ce qui est réalisé depuis peu d'années, le jaune budgétaire que vous avez évoqué devant peut-être pour une part son existence aux demandes réitérées de la commission des finances du Sénat pendant de nombreuses années ? En effet, si je ne m'abuse, cela ne date que de la loi de finances de 1999. C'est un bon début, qui est positif, mais c'est pour nous un élément encore relativement récent et qui reste à parfaire.

M. SAPIN .- Je m'excuse, Monsieur le rapporteur général, de ne pas avoir été assez clair dans mes propos. Je suis favorable au fait de continuer à améliorer la transparence afin de permettre tous les jugements et débats politiques, car nous n'avons aucune raison d'occulter le moindre débat politique sur un tel sujet, sachant que si le jaune, qui est un élément important de progrès en la matière, paraît devoir être encore amélioré, je suis persuadé que les services du Ministère du budget qui le mettent au point seront attentifs à votre demande.

Par ailleurs, je croyais vous avoir indiqué, mais je vais le répéter, que le temps n'était pas encore venu d'en tirer une conséquence juridique au sens où vous semblez le proposer implicitement dans votre question. Pour le reste, le Parlement, s'agissant en particulier d'une proposition de loi, est maître de ses décisions.

M. LAMBERT, Président .- Merci Monsieur le Ministre.

En raison de l'importance des fonctions que vous occupez et de la maîtrise que vous avez du sujet, puisque vous avez été Ministre de l'économie et des finances,...

M. SAPIN .- Oui, mais le Ministre du budget était particulièrement efficace.

M. LAMBERT, Président .- ... je crois pouvoir indiquer à notre commission que vous restez à notre disposition pour approfondir notre réflexion dans le cadre des travaux préparatoires que nous menons d'ici la première lecture au Sénat, qui aura lieu début juin.

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