I. L'ÉVOLUTION PRÉOCCUPANTE DU REVENU MINIMUM D'INSERTION (RMI)

A. UNE PRESTATION QUI ENREGISTRE UNE VIVE PROGRESSION

Le RMI, créé par la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988, permet de verser aux résidents, d'au moins 25 ans, une allocation différentielle qui complète les ressources familiales ou personnelles du demandeur à hauteur de 2.326 francs pour une personne seule, 3.488 francs pour un couple et 4.193 francs pour une famille de deux enfants.

1. Le nombre et les caractéristiques des bénéficiaires

Le nombre des foyers bénéficiaires du RMI a atteint 946.760 à la fin du mois de juin 1995, et, compte tenu des conjoints et des enfants à charge, on peut estimer à 1,9 million le nombre de personnes concernées par cette dotation.

Effectifs des titulaires du RMI (1)

(1) Effectif des titulaires de l'allocation recensé au 31 décembre de l'année sauf pour l'année 1995 ou l'estimation date du 30 juin de l'année.

La progression des bénéficiaires ralentit mais elle reste encore très élevée. Ainsi au 31 décembre 1994, les titulaires de RMI, au nombre de 908.336, faisaient apparaître une augmentation annuelle de + 14,6 % au lieu de + 18,1 % à la fin de 1993. Au 30 juin 1995, le rythme d'augmentation tendanciel sur douze mois est revenu à 9,3 % en métropole.

Il semble donc que la croissance économique en hausse sur l'année 1994 ait permis de limiter l'évolution du RMI alors que les flux d'arrivée avaient fortement augmenté en raison de la récession et de la réforme du régime d'indemnisation du chômage.

Plusieurs éléments ressortent des données publiées les 27 avril et 12 octobre derniers par la Délégation interministérielle au RMI (DIRMI) sur la population des titulaires du RMI.

S'agissant du montant de l'allocation perçue, il s'élève en moyenne à 1.863 francs par mois et par titulaire.

Sur le plan familial, selon les déclarations fournies, le RMI est versé en majorité (58,6 %) à des personnes isolées et sans enfant dont 38,5 % d'hommes. Les familles monoparentales représentent 20,4 % des foyers bénéficiaires et les couples, avec ou sans enfant, 21 % d'entre eux.

S'agissant de l'âge, il ressort des statistiques une nette majorité de jeunes adultes puisque les moins de 30 ans représentent 30,4 % des bénéficiaires. Au total, 62 % des bénéficiaires ont moins de 40 ans. Il convient toutefois de remarquer que 15,5 % des titulaires du RMI ont plus de 50 ans, ce qui n'est pas négligeable.

Il s'agit de personnes faiblement qualifiées puisque 90 % d'entre elles ont un niveau inférieur au bac ; 42,5 % des bénéficiaires ont un niveau inférieur à la classe de troisième.

La moitié des titulaires du RMI déclarent n'avoir pas de vrai logement personnel, soit qu'ils soient hébergés par un autre foyer (41,1 %), soit qu'ils soient mal logés ou sans domicile fixe (9,6 %).

Concernant la durée de passage dans le dispositif du RMI, il est à noter qu'un peu moins d'un bénéficiaire du RMI sur trois (31,9 % en juin 1995 contre 34,2 % en décembre 1994) bénéficie de la prestation depuis moins d'un an ; un peu plus d'un sur deux (54,2 %) est entré dans le dispositif depuis au moins deux ans. Enfin un sur dix (10,2 %) est au dispositif du RMI depuis sa création, soit depuis six ans, ce qui traduit, au contraire d'une réinsertion, un véritable enracinement dans la marginalité.

Géographiquement, les régions qui enregistrent les plus fortes progressions à la mi-1995 sont la région Île-de-France (+ 13,2 % sur un an), ainsi que certains départements du Sud Ouest (Gironde et Haute-Garonne) et du littoral méditerranéen. En revanche dans les départements d'outre-mer, les évolutions sont plus contrastées même si la hausse annuelle demeure modérée à la mi-1995 (+ 3,2 %) : la Guadeloupe enregistre une diminution du nombre de bénéficiaires du RMI (- 5,7 % en un an) en raison des actions d'insertion et de contrôle tandis que la Réunion (+ 6,6 %) et la Martinique font apparaître une augmentation.

2. Un financement de plus en plus tendu

La forte progression des dépenses liées au RMI soulève à terme un problème de financement.

a) Les implications budgétaires

La dotation budgétaire consacrée à l'allocation du RMI est fixée à 23 milliards de francs pour 1996, soit une augmentation de 24,18 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1995, correspondant au total à 4,5 milliards de francs de mesures nouvelles.

Ce dernier montant est la résultante de quatre facteurs d'évolution :

- l'augmentation du nombre d'allocataires constatée au cours de l'année 1995 qui a, déjà, conduit à abonder de 3,5 milliards de francs supplémentaires, dans la loi de finances rectificative du 4 août 1995, la dotation initiale fixée à 18,5 milliards de francs est consolidée. Le coût budgétaire du RMI sur 1995 s'élève en définitive, à 22 milliards de francs ;

- en second lieu, la revalorisation annuelle du montant de l'allocation prévue à 2,16 % pour 1996, entraîne une dépense nouvelle de 496 millions de francs ;

- en troisième lieu, un ajustement est prévu pour tenir compte de l'augmentation prévisionnelle de l'effectif d'allocataires, au cours de l'année 1996, fondée sur un taux de 6,2 %, en raison de l'incidence positive de la mise en oeuvre en année pleine du dispositif des contrats initiative-emploi (CIE), dont 25 % concernent les bénéficiaires du RMI ;

- enfin, une mesure d'économie est inscrite, à hauteur de 472 millions de francs, pour tenir compte du renforcement des contrôles parle croisement des fichiers informatiques dorénavant autorisé par la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL).

Il reste que les dépenses strictement budgétaires ne représentent qu'une fraction des dépenses du RMI. Le bilan financier global pour 1994 fait apparaître que les crédits budgétaires destinés au versement de l'allocation différentielle représentent 60,3 % d'une dépense estimée au total à 32,38 milliards de francs.

b) Le bilan financier global

En 1994, les départements ont été engagés dans le dispositif du RMI à hauteur de 6 milliards de francs, soit, d'une part, 3,2 milliards au titre de l'obligation légale d'inscrire chaque année à leur budget 20 % de la dépense nette d'allocation constatée au cours de l'exercice précédent et, d'autre part, 2,8 milliards de francs pour la prise en charge de la couverture maladie des bénéficiaires du RMI (cotisations d'assurance personnelle et aide médicale totale).

A cette somme, il convient d'ajouter 6,8 milliards de francs pris en charge par l'État dans le cadre des mesures d'aide à l'emploi et d'insertion professionnelle (CRE, CES, CEC et stages de formation), de la « créance de proratisation » ( ( * )2) pour les DOM, de l'allocation logement et de l'aide médicale totale.

Coût global estimé du RMI en 1994

(1) Compte non tenu de reports cumulés de l'année et des années antérieures qui dépassent 2 milliards de francs.

(2) Contrats emploi solidarité

(3) Contrats emploi consolidés

(4) A partir du montant des cotisations centralisées par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et des compléments supportés par les services d'aide sociale.

c) Un dispositif qui a changé de nature

A l'origine, le dispositif était conçu comme un « filet de sécurité » pour les plus démunis, susceptible non seulement de leur assurer un minimum de ressources et l'accès aux droits sociaux mais aussi de répondre à leurs besoins d'insertion dans tous les domaines. Le coût annuel de la seule allocation était estimé initialement à 10 milliards de francs par an.

La réalité est bien différente : les dépenses au titre de la seule allocation du RMI sont passées de 10,27 milliards de francs en 1990 à 23 milliards de francs en 1996, et le nombre des bénéficiaires de 510.000 à 946.000 sur la même période.

Sous l'effet de la crise, le dispositif a changé de nature pour devenir, pour reprendre la formule de la Cour des Comptes, « un dispositif d'accueil de jeunes adultes en attente du premier emploi ou des chômeurs qui ont épuisé leur droit à indemnisation ».

Dans le rapport réalisé en février 1995 par l'inspection générale des finances et l'inspection générale des affaires sociales, ( ( * )3) une étude comparée a été effectuée sur un échantillon de 7.200 allocataires d'octobre 1991 à mars 1994 : la mission a observé un net rajeunissement des nouveaux allocataires : les moins de 34 ans représentent les deux tiers des entrants en 1993-1994 au lieu de la moitié en 1991-1992.

Les nouveaux titulaires du RMI sont en majorité des personnes isolées mais la proportion des couples avec ou sans enfant progresse. Les nouveaux allocataires montrent souvent une meilleure insertion sociale : la part des bénéficiaires ayant un revenu extérieur a augmenté ; ils sont plus souvent logés chez leurs parents à titre gratuit ; ils disposent plus fréquemment d'une couverture santé avant d'entrer au RMI. Enfin et surtout, le niveau de formation initiale et de qualification dans le dernier emploi s'est accru.

La mission d'enquête constate par ailleurs que l'augmentation des effectifs des allocataires du RMI ne peut s'expliquer par une dérive de la prise en charge des étudiants et des travailleurs indépendants : si les régions qui comptent une population universitaire nombreuse ont observé une montée des allocataires du RMI jeunes et diplômés, il reste que la proportion de jeunes de moins de 29 ans qui possèdent au moins le bac et signataires d'un contrat d'insertion est passé de 3,3 % en 1991-1992 à 6,5 % en 1993-1994, ce qui ne permet pas d'expliquer la forte montée en régime du RMI. Par ailleurs, la progression des travailleurs indépendants qu'ils soient artisans, petits commerçants ou agriculteurs, est demeuré faible et a conduit à une diminution de cette catégorie parmi les bénéficiaires de RMI (2,6 % en 1991 et 1992 contre 2% en 1993 et 1994).

Pour la mission d'enquête, la croissance accrue du nombre des bénéficiaires du RMI est directement corrélé à l'évolution du chômage non indemnisé mesuré par les statistiques sur les demandeurs d'emploi en fin de mois (DEFM) qui frappe également des salariés plus jeunes et plus qualifiés.

La croissance du RMI en 1993 et 1994 coïncide avec les modifications apportées au régime d'indemnisation du chômage et notamment avec la suppression progressive, à compter du 1er janvier 1992, de l'allocation d'insertion initialement versée par les ASSEDIC aux jeunes de 16 ans à 25 ans (après six mois d'inscription à l'ANPE) et aux femmes seules chargées de famille n'ayant pas trouvé d'emploi.

Il faut également, selon la mission d'enquête, souligner l'incidence, depuis le 1er juillet 1992, de la réduction des durées d'indemnisation du chômage, de la dégressivité accrue de l'allocation unique dégressive (AUD) et du passage de trois mois à quatre mois de la période de travail minimale pour l'ouverture des droits.

Conçu au départ comme un dernier recours pour les personnes cumulant de nombreux facteurs d'exclusion, le RMI accueille aujourd'hui « un nombre grandissant de personnes pour qui la privation d'emploi constitue l'unique handicap ».

* (2) L'allocation du RMI étant de 20 % inférieure à la métropole dans les DOM, l'Etat compense ce moindre coût par une participation financière qui s'ajoute à celle du département pour l'insertion.

* (3) Rapport n° 95-026 de février 1995 de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des affaires sociales sur les causes de la croissance du nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion.

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