Avis n° 598 (2020-2021) de M. Jean SOL , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 18 mai 2021

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SOMMAIRE

Pages

L'ESSENTIEL 5

I. L'IRRESPONSABILITÉ PÉNALE EN DROIT FRANÇAIS 5

A. UN PRINCIPE D'IRRESPONSABILITÉ RECONNU EN DROIT PÉNAL EN CAS D'ALTÉRATION OU D'ABOLITION DU DISCERNEMENT 5

B. UNE IRRESPONSABILITÉ PRONONCÉE PAR LA JUSTICE 6

1. Un recours important à l'expertise 6

2. Une irresponsabilité prononcée dans un nombre limité de cas chaque année 7

C. LA DIFFICILE PRISE EN COMPTE DES VICTIMES DANS LES CAS D'IRRESPONSABILITÉ 7

II. LE SOUCI D'UNE MEILLEURE APPRÉCIATION MÉDICALE DE L'ÉTAT DE LA PERSONNE JUGÉE 8

A. UNE PROPOSITION DE LOI ISSUE DE TRAVAUX DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA COMMISSION DES LOIS 8

B. UNE INTERROGATION SUR L'OPPORTUNITÉ DE MODIFIER L'ARTICLE 122-1 DU CODE PÉNAL 9

C. DES MESURES SUR LES CONDITIONS DE L'EXPERTISE 9

1. Concernant l'expertise présentencielle 9

2. Concernant l'expertise post-sentencielle 10

D. UN RENFORCEMENT DES OBLIGATIONS DÉONTOLOGIQUES DES EXPERTS 11

III. UNE PRÉOCCUPATION SUR LA GARANTIE DES DROITS DES PERSONNES JUGÉES AU REGARD DE LEUR ÉTAT MENTAL 11

EXAMEN EN COMMISSION 13

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET CONTRIBUTION ÉCRITE 19

LA LOI EN CONSTRUCTION 21

L'ESSENTIEL

Réunie le mardi 18 mai sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission des affaires sociales a examiné le rapport pour avis de M. Jean Sol sur la proposition de loi n° 232 (2019-2020) tendant à revoir les conditions d'application de l'article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits et sur la proposition de loi n° 486 (2020-2021) relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale .

Sur la proposition du rapporteur pour avis, la commission a adopté trois amendements à la proposition de loi n° 486, relatifs aux conditions de l'expertise psychiatrique et aux obligations des experts .

La commission a donné un avis favorable à l'adoption du texte assorti des amendements adoptés.

I. L'IRRESPONSABILITÉ PÉNALE EN DROIT FRANÇAIS

A. UN PRINCIPE D'IRRESPONSABILITÉ RECONNU EN DROIT PÉNAL EN CAS D'ALTÉRATION OU D'ABOLITION DU DISCERNEMENT

Corollaire du principe fixé à l'article 121-3 du code pénal selon lequel « il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre », le droit français consacre à son article 122-1 un principe d'irresponsabilité pénale caractérisée par l'état mental de l'auteur des faits .

« N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »

Article 122-1 du code pénal

L'article 122-1 du code pénal distingue deux cas : les cas d'abolition du discernement, dont le droit prévoit qu'ils doivent se traduire par l'irresponsabilité pénale du commettant, et les cas d'altération du discernement, qui restent punissables mais qui contraignent la juridiction à tenir compte de cette circonstance lorsqu'elle fixe la peine.

B. UNE IRRESPONSABILITÉ PRONONCÉE PAR LA JUSTICE

1. Un recours important à l'expertise

L'expertise peut être légalement obligatoire ou seulement possible selon les cas, à différentes étapes présentencielles : garde à vue, instruction ou jugement . Cette demande d'expertise peut émaner des magistrats mais aussi des parties ou du ministère public.

L'expertise post-sentencielle est sollicitée par la juridiction chargée du suivi et de l'application des peines et peut également être obligatoire, notamment dans le cas d'aménagement de peine d'une personne condamnée à un suivi socio-judiciaire.

La mission des experts psychiatres et psychologues, auxiliaires de la justice pénale, consiste, en matière présentencielle, à éclairer le magistrat sur le discernement du commettant au moment de l'acte et, en matière post-sentencielle, à évaluer la dangerosité du détenu arrivé au terme de l'exécution de sa peine ou sollicitant un aménagement de cette dernière.

Le nombre d'expertises réalisées chaque année, sans distinguer l'étape à laquelle celles-ci sont menées, augmente de manière continue.

La demande croissante d'expertise a cependant été concomitante d'une baisse sensible du nombre d'experts inscrits sur les listes des cours d'appel, ce qui nourrit des inquiétudes sur la capacité, sur les plans qualitatif et quantitatif, des experts à mener à bien les missions qui leur seront demandées

2. Une irresponsabilité prononcée dans un nombre limité de cas chaque année

Si les magistrats peuvent recourir à l'expertise pour éclairer des faits, ils ne sont pas tenus par les conclusions des experts 1 ( * ) . Suivant le principe de l'article 427 du code de procédure pénale, c'est bien le juge qui décide.

D'un point de vue statistique, les cas de déclarations d'un classement au motif d'une irresponsabilité pénale représentent une part marginale des affaires jugées. En valeur absolue, ce chiffre n'est pour autant pas négligeable, avec, en 2018, 13 495 classements .

C. LA DIFFICILE PRISE EN COMPTE DES VICTIMES DANS LES CAS D'IRRESPONSABILITÉ

Les travaux du rapporteur, tant dans la mission d'information menée en 2020 que lors des auditions de préparation de l'examen de ces propositions de loi, ont mis en évidence l'incompréhension et la souffrance que peuvent générer pour les victimes et leurs proches la déclaration d'irresponsabilité pénale .

En effet, lorsqu'une personne accusée est reconnue irresponsable pénalement, les poursuites cessent et aucun procès n'est tenu. L'aspect potentiellement « réparateur » que peut porter un procès n'est donc pas possible dans ce cas pour les victimes ou leurs proches.

La réforme de 2008 2 ( * ) a ouvert une nouvelle possibilité dans le cas de la déclaration d'irresponsabilité pénale. La loi a ainsi permis que, dans certains cas, la chambre de l'instruction statue au cours d'une audience publique et contradictoire sur l'applicabilité de l'article 122-1 . En outre, cette réforme permet à la justice de préciser qu'il existe des charges suffisantes d'avoir commis les faits à l'encontre de la personne déclarée irresponsable : il s'agit d'une reconnaissance matérielle des faits commis, en l'absence de condamnation pénale possible . Enfin, des mesures de sûreté peuvent être décidées.

II. LE SOUCI D'UNE MEILLEURE APPRÉCIATION MÉDICALE DE L'ÉTAT DE LA PERSONNE JUGÉE

A. UNE PROPOSITION DE LOI ISSUE DE TRAVAUX DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES ET DE LA COMMISSION DES LOIS

La proposition de loi n° 486, dont le rapporteur est l'auteur, a été déposée à la suite de l'adoption d'un rapport d'information conjoint de la commission des affaires sociales et de la commission des lois 3 ( * ) relatif à l'expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale. Il s'agissait, pour les deux commissions, de mieux appréhender le rôle des experts chargés d'évaluer le discernement du commettant au moment de l'acte.

Ces travaux ont donné lieu à une série de vingt propositions visant à donner à l'expert psychiatre ou psychologue les moyens de remplir effectivement son rôle .

Si plusieurs des propositions du rapport d'information relevaient de la formation ou des moyens des experts, les recommandations d'ordre législatif ont été déclinées dans cette proposition de loi.

B. UNE INTERROGATION SUR L'OPPORTUNITÉ DE MODIFIER L'ARTICLE 122-1 DU CODE PÉNAL

L'article 1 er de la proposition de loi n° 486 comme l'article unique de la proposition de loi n° 232 proposent de modifier la rédaction de l'article 122-1 du code pénal . Ces deux articles entendent ouvrir le débat de l'irresponsabilité lorsque l'abolition du discernement est issue d'un acte fautif, notamment une exposition volontaire à une substance psychoactive . La question est particulièrement posée sur les cas où l'irresponsabilité relèverait d'une intoxication quand cette même intoxication peut, dans d'autres cas, aggraver la responsabilité de l'auteur d'un acte. C'est dans cette optique que le rapporteur proposait de compléter l'article 122-1 du code pénal par la notion d'exposition « contrainte » à une substance psychoactive .

Les auditions menées conjointement avec le rapporteur de la commission des lois et l'avis de l'avocate générale près la Cour de cassation pour l'arrêt du 14 avril 2021 4 ( * ) soulèvent plusieurs difficultés qui pourraient apparaître dans le cas d'une telle modification. En effet, c'est bien l'état
- et, en l'espèce, l'état mental de la personne -, au moment des faits qu'il appartient au juge d'apprécier
.

Aussi, si la plus grande précaution doit être retenue dans les modifications éventuelles à apporter à l'article 122-1 du code pénal, le rapporteur considère que ce débat doit intervenir au Parlement et la rédaction proposée être discutée .

C. DES MESURES SUR LES CONDITIONS DE L'EXPERTISE

1. Concernant l'expertise présentencielle

Cinq articles concernent, dans la proposition n° 486, la réalisation de l'expertise présentencielle.

L'article 2 vise à préciser les conditions de l'expertise sollicitée par le juge d'instruction en vue d'établir le discernement du commettant. Il prévoit ainsi de modifier l'article 158 du code de procédure pénale afin de préciser que, dans ce cas, l'expertise décidée doit se concentrer sur cette seule question.

L'article 3 vise à ce, que dans le cas d'une expertise mandatée afin de déterminer le discernement d'une personne, celle-ci soit nécessairement conduite dans un délai de deux mois après le placement en détention du commettant. Le délai retenu reprend celui fixé en 2019 pour la réalisation des expertises en cas de comparution à délai différé en matière correctionnelle. Ces dispositions contraignantes, parfois jugées peu réalisables compte tenu des conditions actuelles, visent également à mettre en lumière les lacunes en termes de moyens pour la justice.

L'article 4 vise à restreindre le champ de l'examen clinique de garde à vue au seul examen de la compatibilité de l'état de santé de la personne avec la mesure en en excluant les expertises psychiatriques ou psychologiques requises par l'instruction judiciaire À ce titre, la commission, sur proposition de son rapporteur, a adopté un amendement visant à mieux articuler les dispositions proposées avec les règles relatives aux obligations d'examen psychiatrique dans le cas des infractions sexuelles .

L'article 5 prévoit l'intégration du dossier médical aux scellés dans le cas d'une mission d'expertise en vue d'établir le discernement du commettant. Afin de lever certains blocages signalés dans la communication du dossier médical, la commission a adopté, sur proposition de son rapporteur, un amendement réécrivant cet article et visant à prévoir l'obligation de transmission du dossier médical des médecins à l'expert psychiatre.

L'article 6 vise à mieux encadrer la possibilité pour les parties de solliciter un complément d'expertise pénale ou une contre-expertise pénale au moment de l'ouverture de l'instruction. Il supprime en outre la prérogative du président de la chambre d'instruction de ne pas saisir la chambre d'un appel d'une demande de contre-expertise.

2. Concernant l'expertise post-sentencielle

En matière d'expertise de prévention de la récidive, la proposition de loi n° 486 porte trois articles.

L'article 7 vise également à renforcer l'information des experts. Il prévoit la communication par le juge d'application des peines, aux experts chargés de l'examen des détenus et aux conseillers des services pénitentiaires d'insertion et de probation, des résultats des expertises présentencielles et post-sentencielles.

L'article 8 précise au sein du code de procédure pénale les missions de l'équipe chargée de l'équipe pluri-disciplinaire de dangerosité et celles de l'expert post-sentencielle. Les conclusions respectives sont mutuellement transmises avant leur transmission au tribunal de l'application des peines.

L'article 9 modifie le code de la santé publique afin d' ouvrir à l'expert psychiatre chargé de l'expertise post-sentencielle les fonctions de médecin coordonnateur du détenu lors de sa sortie d'incarcération.

D. UN RENFORCEMENT DES OBLIGATIONS DÉONTOLOGIQUES DES EXPERTS

L'article 10 de la proposition de loi n° 486 entend renforcer les obligations déontologiques des experts . Tout expert psychiatre ou psychologue inscrit sur les listes agréés devra, aux termes du nouvel article créé dans la loi de 1971 5 ( * ) relatives aux experts judiciaires, transmettre une déclaration d'intérêt au premier président de la cour d'appel , et ce dans un délai de sept jours. Cette déclaration pourra, par la suite, être consultée par les parties intéressées .

Les auditions menées en commun avec la commission des lois ont soulevé la question de l'expression de certains experts dans les médias dans le cas de procès parfois en cours. Il apparaît à votre rapporteur que pour la bonne tenue des jugements comme pour la protection des experts eux-mêmes d'un point de vue juridique, une obligation de réserve pour le temps du procès est à inscrire dans la loi . C'est le sens de l'amendement adopté par la commission.

III. UNE PRÉOCCUPATION SUR LA GARANTIE DES DROITS DES PERSONNES JUGÉES AU REGARD DE LEUR ÉTAT MENTAL

Alors que les débats récents autour de la responsabilité pénale ont pu être vifs, le rapporteur estime que le législateur ne doit pas oublier, dans les révisions qu'il peut faire du code pénal et des dispositions relatives à l'irresponsabilité pénale, les raisons qui ont conduit à la rédaction actuelle de l'article 122-1 du code pénal.

D'une part, il convient de souligner que le principe de l'irresponsabilité pénale pourrait être aujourd'hui regardé comme un principe fondamental du droit pénal français . Cette appréciation s'appuie sur la persistance dans notre droit de telles dispositions et du principe souvent repris selon lequel « on ne juge pas les fous ».

Par ailleurs, si le législateur était amené à distinguer différentes situations pour encadrer la reconnaissance de l'irresponsabilité pénale, il est nécessaire de garder à l'esprit que le droit au procès équitable est un droit consacré par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme . Aussi, si des évolutions procédurales devaient être retenues, il appartiendra au législateur de veiller à garantir que les personnes amenées à être jugées soient en capacité de l'être au regard de leur état médical .

EXAMEN EN COMMISSION

___________

Réunie le mardi 18 mai 2021 sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission des affaires sociales a examiné le rapport pour avis de M. Jean Sol sur la proposition de loi tendant à revoir les conditions d'application de l'article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits, et sur la proposition de loi relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous examinons le rapport pour avis de Jean Sol sur deux propositions de loi relatives à l'irresponsabilité pénale et aux conditions de l'expertise en matière pénale.

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - Au mois de mars, notre commission a adopté, conjointement avec la commission des lois, un rapport sur l'expertise psychiatrique et psychologique. Ce rapport et les vingt préconisations formulées avec Jean-Yves Roux étaient le fruit de plus d'un an de travail sur la mission peu connue des experts psychiatres ou psychologues, entre justice et santé.

J'avais alors insisté sur les conditions de réalisation des expertises et les modalités d'exercice des experts, en soulignant un manque criant de moyens.

La proposition de loi relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale, reprend les recommandations d'ordre législatif de ce rapport.

Elle sera discutée mardi 25 mai prochain en séance publique, conjointement avec la proposition de loi tendant à revoir les conditions d'application de l'article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits, déposée en 2020, par notre collègue Nathalie Goulet, également rapporteur pour la commission des lois.

Ces deux propositions de loi ont également été pensées en réaction à certaines affaires tragiques, et je pense ici à l'assassinat de Sarah Halimi et à l'émotion que cet acte antisémite a suscitée dans tout notre pays. La décision de la Cour de cassation sur ce drame a nourri les auditions que nous avons menées avec ma collègue.

La proposition de loi dont je suis l'auteur comporte neuf articles relatifs à l'expertise pénale. Cinq concernent l'expertise présentencielle et visent à concentrer l'expertise sur les seules causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité pénale (article 2) ; prévoir un délai maximal de deux mois après l'incarcération pour la réalisation de la première expertise, mesure qui était demandée par de nombreuses personnes que nous avons auditionnées (article 3) ; préciser l'exclusion de l'expertise psychiatrique de l'examen clinique de garde à vue (article 4) ; mettre le dossier médical à disposition de l'expert (article 5) ; mieux encadrer la possibilité pour les parties de solliciter une contre-expertise (article 6).

En matière post-sentencielle, trois articles prévoient la communication systématique par le juge d'application des peines des résultats des expertises aux experts chargés de l'examen des détenus et aux conseillers des services pénitentiaires d'insertion et de probation (article 7) ; une meilleure répartition des missions entre l'équipe chargée de l'évaluation pluridisciplinaire de dangerosité et l'expert post-sentenciel (article 8) ; la possibilité pour l'expert psychiatre post-sentenciel d'assurer les fonctions de médecin coordonnateur du détenu lors de sa sortie d'incarcération (article 9).

Le dernier article, article 10, prévoit lui une déclaration d'intérêts obligatoire pour les experts.

Sur ces articles, je vous propose trois amendements, élaborés en lien avec la commission des lois. Le premier, à l'article 4, préserve l'obligation légale d'expertise psychiatrique dans le cas des infractions sexuelles. Le second vise à prévoir à l'article 5 une transmission obligatoire du dossier médical sans passer par le juge. Le dernier, à l'article 10, renforce les obligations déontologiques en inscrivant un devoir de réserve sur les affaires en cours.

Enfin, l'article unique de la proposition de loi de Mme Goulet et l'article 1 er de la proposition de loi dont je suis l'auteur visaient à modifier l'article 122-1 du code pénal, selon des modalités différentes.

L'article 122-1 du code pénal pose le principe d'irresponsabilité pénale en cas d'abolition du discernement au moment des faits en raison d'un trouble psychique ou neuropsychique. Il prévoit en outre le cas d'une altération du discernement.

Mme Goulet souhaitait lever l'application des dispositions de cet article en cas de faute de l'auteur. Je souhaitais, pour ma part, inscrire que l'abolition du discernement ne pouvait être issue que d'un état pathologique ou d'une exposition contrainte aux effets d'une substance psychoactive. J'insiste sur le mot « contrainte ».

La commission des lois jugera de la formule la plus opportune à retenir ou de la pertinence d'une autre solution juridique. Je considère que ce débat doit avoir lieu.

Cependant, je tiens également, en tant que rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires sociales, à souligner deux principes fondamentaux en matière de justice, concernant l'état de la personne jugée. Car c'est bien de l'état de la personne, mental en l'occurrence, dont nous parlons.

Le principe d'irresponsabilité pénale doit être regardé comme un principe fondamental de notre droit pénal et s'inscrit dans la tradition humaniste de notre pays et le principe selon lequel « on ne juge pas les fous ».

Enfin, je rappelle que le droit à un procès équitable est un droit garanti par la Convention européenne des droits de l'homme et que nous devons toujours avoir à l'esprit que ne doivent être amenées à comparaître et à être jugées que des personnes en capacité de l'être au regard de leur état médical.

Voici, en quelques mots, l'éclairage que je souhaitais apporter devant notre commission. Je vous propose en conséquence d'adopter les trois amendements présentés aux articles 4, 5 et 10.

Mme Brigitte Micouleau . - Le 14 avril 1998 à Montrabé, en Haute-Garonne, un homme est entré dans un salon de coiffure et a assassiné la coiffeuse et son apprentie. Cet individu a été déclaré pénalement irresponsable. Depuis, le père de la victime, M. Christian Stawoski, se bat pour modifier l'article 122-1. L'avez-vous auditionné ? Pensez-vous que cet article sera modifié ?

M. Martin Lévrier . - Vous avez dit que vous souhaitiez, pour votre part, « inscrire que l'abolition du discernement ne pouvait être issue que d'un état pathologique ou d'une exposition contrainte aux effets d'une substance psychoactive », et, également, qu'il ne fallait pas juger les fous. Faut-il comprendre que l'abus de substances psychoactives ne rend pas fou ?

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - Nous avons bien auditionné M. Christian Stawoski. La question de savoir s'il faut ou non modifier l'article 122.1 est, en effet, au coeur du débat. Les magistrats que nous avons auditionnés ne sont pas favorables à une évolution de sa rédaction. La commission des lois se prononcera.

M. Alain Milon . - Les juges ont-ils la possibilité de juger l'acte sans juger l'acteur, ou bien se prononcent-ils d'abord sur la responsabilité de l'acteur ? Dans ce cas, si l'acteur est déclaré irresponsable, l'acte est-il jugé ?

Mme Laurence Rossignol . - Le Gouvernement déposera sans doute un projet de loi sur ce sujet, mais il ne semble pas encore prêt. Il est choquant qu'un acte antisémite avéré, comme l'assassinat de Sarah Halimi, puisse se conclure par le constat d'une irresponsabilité pénale de son auteur. Un consommateur de substances psychoactives ne pourrait dès lors plus être déclaré responsable au titre de l'article 122-1 du code pénal.

Toutefois, en santé publique, on considère que les alcooliques et les toxicomanes sont avant tout des malades. Si je comprends bien votre réflexion, un consommateur régulier de substances psychoactives qui développerait, de ce fait, une psychose cannabique serait responsable de la survenue de cette psychose, car il aurait consommé délibérément ces substances. Comment concilier cette position avec les préoccupations de santé publique ? Quid des personnes qui ont développé une addiction aux opioïdes ? Les toxicomanes sont-ils responsables de ce qu'ils consomment ?

Je crois enfin que nous devrions nous interroger sur les conditions de sortie de l'internement psychiatrique des personnes qui ont été déclarées pénalement irresponsables. Il y a là un angle mort. Dispose-t-on de statistiques sur le temps qu'elles passent en hôpital psychiatrique ? Comment leur sortie s'effectue-t-elle ? Selon quelles modalités ?

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - Monsieur Lévrier, ma proposition, à l'article 1 er , visait à distinguer l'exposition volontaire de l'exposition contrainte aux substances psychoactives et de l'état pathologique. Il s'agit ainsi de modifier l'article 122-1 du code pénal, mais les magistrats semblent considérer que la modification de sa rédaction ne changerait guère les choses. Je n'en suis pas totalement convaincu.

Monsieur Milon, la réforme de 2008 a ouvert une nouvelle possibilité dans le cadre de la déclaration d'irresponsabilité : dans certains cas, la chambre de l'instruction statue au cours d'une audience publique et contradictoire. La justice peut reconnaître qu'il existe des charges suffisantes d'avoir commis les faits reprochés à l'encontre de la personne reconnue pénalement irresponsable. Il s'agit d'une reconnaissance des faits commis en l'absence d'une condamnation pénale. Des mesures de sûreté peuvent aussi être décidées.

Nous avons demandé au garde des sceaux des statistiques sur les internements psychiatriques, mais nous ne les avons pas encore reçues.

Je partage votre analyse sur les conduites addictives et la difficulté d'apprécier si les personnes sont, ou non, dans un état pathologique. Avec Mme Goulet, nous avons abordé, dans nos auditions, la question des circonstances aggravantes, avec l'idée de les préciser et de les intégrer dans le texte.

Mme Laurence Rossignol . - Mme Goulet prépare des amendements. Il est difficile d'identifier les causes des maladies mentales. Un malade qui cesse de prendre son traitement psychiatrique verra-t-il sa responsabilité engagée ?

Mme Catherine Deroche , présidente . - Ces questions sont fort complexes. Il n'est pas toujours aisé de faire la distinction entre ce qui relève d'addictions, de pathologies, etc . Nous ne devons pas légiférer en nous fondant uniquement sur l'affaire Halimi si l'on veut que notre travail soit durable.

Mme Goulet proposera un amendement en commission des lois pour rédiger ainsi l'article unique de la proposition de loi tendant à revoir les conditions d'application de l'article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits : « Lorsque le juge d'instruction, au moment du règlement de son information, estime que l'abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte, au moins partiellement, de son fait fautif, il renvoie devant la juridiction de jugement compétente qui statuera sur l'application de l'article 122-1 du code pénal et éventuellement sur la culpabilité. » C'est un compromis entre ce que souhaitaient les magistrats et l'idée des auteurs de la proposition de loi. Le garde des sceaux avait annoncé une loi, mais on ne sait pas où il en est.

Mme Catherine Procaccia . - Merci à notre rapporteur pour sa clarté, la psychiatrie est un sujet complexe. Vous avez fait part des réserves des juges face à toute modification. En tant que parlementaire, j'ai le sentiment que les juges sont toujours réticents à ce que l'on empiète sur leur pouvoir. Mais si la loi est mal interprétée, c'est qu'elle est mal faite ! Dans l'affaire Halimi, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence spectaculaire. Je comprends que les juges souhaitent conserver leur liberté, mais cela ne doit pas empêcher le législateur d'intervenir !

M. Alain Duffourg . - L'article 122-1 du code pénal est ancien, et il est bon de le maintenir. En revanche, le renvoi devant une juridiction de jugement lorsque le juge d'instruction estime que l'abolition temporaire du discernement de la personne résulte, au moins partiellement, de son fait fautif me semble une bonne mesure. Nous ne devons pas nous focaliser sur l'affaire Halimi. Les juges de la Cour de cassation ont jugé le droit, pas les faits. Évitons donc les amalgames, même si la presse s'est saisie de l'affaire.

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - Il faut rappeler la chronologie : notre mission d'information sur l'expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale a commencé ses travaux il y a plus d'un an. Arrivés à son terme, nous avons déposé cette proposition de loi, car la question de l'abolition et de l'altération du discernement nous semblait centrale. Il faut aussi se mettre à la place des victimes.

Nous voulons aussi revoir les conditions matérielles dans lesquelles les experts psychiatres travaillent : faible rémunération, effectifs peu nombreux - à peine 350 inscrits auprès de la cour d'appel -, et ils ont du mal à réaliser toutes les expertises demandées, d'autant plus que les juges demandent souvent plusieurs expertises. Notre travail n'avait initialement aucun lien avec l'affaire Halimi, mais la parution de notre rapport a été concomitante avec l'arrêt de la Cour de cassation.

M. Bernard Jomier . - Je ne suis pas convaincu de la nécessité de changer la loi. Le dernier cas qui a posé un problème remonte à l'époque où M. Sarkozy était encore Président de la République. Une loi qui n'occasionne des situations insatisfaisantes que tous les dix ans n'est pas une si mauvaise loi que cela ! Ne ravivons pas non plus un conflit entre le pouvoir législatif et « l'autorité » - et non le pouvoir ! - judiciaire. Cette question a été réglée dans la Constitution de 1958. Le sujet de l'irresponsabilité pénale est complexe. Les facteurs qui entrent en jeu sont nombreux et la loi ne peut tout prévoir. Même si l'affaire Halimi est atroce, ne dévaluons pas la loi pour en faire un outil de communication à la suite de faits divers.

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - On compte 20 000 affaires classées sans suite, avec des personnes plus ou moins suivies sur le plan médical. Il y a là un vrai enjeu et nous devons trouver des solutions.

M. Bernard Jomier . - Voilà une vraie question !

Mme Catherine Deroche , présidente . - En effet !

Examen des articles

Article 4

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - La nécessité de concentrer l'objet de l'expertise psychiatrique lors de la garde à vue compte tenu de l'état de la personne et des circonstances d'un tel examen était l'une des recommandations portées dans le rapport d'information sur l'expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale, que j'ai rédigé avec Jean-Yves Roux au nom des commissions des affaires sociales et des lois.

Une exception semble devoir être faite pour les infractions sexuelles, l'examen psychiatrique étant obligatoirement prévu aux termes de l'article 706-47-1 du code de procédure pénale, celle-ci pouvant être diligentée dès le stade de l'enquête. L'amendement COM-2 vise à intégrer ce cas.

L'amendement COM-2 est adopté.

Article 5

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - Souhaitant accroître l'information disponible à l'expert mandaté en vue d'évaluer l'état d'une personne, cet article prévoyait d'intégrer le dossier médical aux scellés. La transmission par l'intermédiaire du juge d'instruction des dossiers médicaux est source de complexité et fait l'objet d'un encadrement réglementaire destiné à réserver les droits des médecins et des établissements ayant pris en charge un malade et susceptibles d'être mis en cause. L'amendement COM-3 remplace le dispositif par un mécanisme de transmission des documents de médecin à médecin, sans passage par le juge, lequel pourra toujours recourir à la saisie des documents nécessaires à l'instruction selon les formes prévues par le code de procédure pénale. Cela correspond à une demande des médecins et des experts psychiatres, pour qui récupérer les dossiers médicaux s'apparente souvent à un parcours du combattant.

L'amendement COM-3 est adopté

Article 10

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-4 vise à compléter les obligations déontologiques des experts par un devoir de réserve en prévoyant explicitement qu'aucun expert ne peut s'exprimer sur une affaire en cours. Il s'agit d'éviter les commentaires stériles de toutes natures dans les médias, avant que la justice ne se soit prononcée.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Cela pourrait valoir pour d'autres professions !

L'amendement COM-4 est adopté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

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• Association « Delphine - Cendrine »

Christian Stawoski , président

• Association française des magistrats instructeurs (AFMI)

Marion Cackel , présidente

Lucie Delaporte , secrétaire générale de l'AFMI et vice-procureur au tribunal judiciaire de Nanterre

• Ministère de la justice - Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG)

Manuel Rubio-Gullon , sous-directeur de la négociation et de la législation pénales

Clara Dufour de Neuville , adjointe au chef du bureau de la législation pénale générale

• Association nationale des praticiens de la cour d'assises (ANAPCA)

Jean-Christophe Muller , avocat général, adjoint au chef du service des assises de la Cour d'appel de Paris

Régis de Jorna , premier président de chambre à la cour d'appel de Paris, coordonnateur de la cour d'assises de Paris

• Personnalités qualifiées

Philippe Houillon et Dominique Raimbourg , anciens députés et co-présidents de la mission responsabilité pénale

François Molins , procureur général près la Cour de Cassation

Valérie Dervieux , présidente de la chambre d'instruction près la Cour d'appel de Paris

Philippe Conte , professeur en droit privé

Ariel Goldmann , avocat à la Cour

Nathanaël Majster , avocat à la Cour

Contribution écrite

• Syndicat des psychiatres d'exercice public

Dr Jean Ferrandi , secrétaire général

LA LOI EN CONSTRUCTION

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Les dossiers législatifs des deux propositions de loi sont disponibles sur le site du Sénat aux adresses suivantes :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl19-232.html

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl20-486.html


* 1 Jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation (11 mars 1958, n° 78-92.860).

* 2 Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

* 3 Rapport d'information de MM. Jean SOL et Jean-Yves ROUX, fait au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales, n° 432 (2020-2021) - 10 mars 2021.

* 4 Cour de cassation, arrêt n° 404 du 14 avril 2021 - Pourvoi n° 20-80.135. Avis de Mme Zientara, avocate générale.

* 5 Loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires.

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