B. LE PROJET DE LOI CONSTITUE UN VÉHICULE OPPORTUN POUR AVANCER SUR LA RESTITUTION DES BIENS MAL ACQUIS

1. Le dispositif proposé permet de concrétiser une réflexion portée par le Sénat depuis 2019

En séance publique, l'Assemblée nationale a complété les dispositions de l'article 1 er du présent projet de loi en adoptant quatre amendements identiques à l'initiative du rapporteur, des députés M'jid El Guerrab 54 ( * ) , Bruno Fuchs et Jean-François Mbaye, avec un avis favorable du Gouvernement. Le XI de l'article 1 er est ainsi issu de l'adoption de ces amendements. Il vise à assurer la restitution des biens dits « mal acquis » auprès des populations concernées.

Ces dispositions ont pour objet de traduire au plan législatif une demande de longue date des organisations non gouvernementales (ONG) qui constatent qu'une part significative de la corruption transnationale est alimentée par la spoliation de populations. En France, la condamnation récente de Teodorin Obiang, confirmée en février 2020 par la Cour d'appel de Paris, a mis en lumière le patrimoine colossal que le vice-président de la République de Guinée équatoriale s'est constitué, notamment en France, grâce au blanchiment de fonds publics.

Le cadre international de la restitution des avoirs confisqués à la suite de condamnations en matière de corruption est défini par la convention des Nations Unies contre la corruption , adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 31 octobre 2003, et ratifiée par la France en 2005 55 ( * ) . Plus précisément, son article 31 prévoit que les États prennent « les mesures nécessaires pour permettra la confiscation :

a) du produit du crime provenant d'infractions établies conformément à la présente Convention ou de biens dont la valeur correspond à celle de ce produit ;

b) des biens, matériels ou autres instruments utilisés ou destinés à être utilisés pour les infractions établies conformément à la présente Convention ».

Les infractions visées sont notamment la corruption d'agents publics, le trafic d'influence, l'abus de fonction, l'enrichissement illicite, la corruption dans le secteur privé, le blanchiment du produit du crime, le recel ou l'entrave au bon fonctionnement de la justice. L'article 57 de la Convention pose le principe de la restitution des confiscations à la demande d'un État partie requérant.

Comme l'avait déjà rappelé le sénateur Antoine Lefèvre, alors rapporteur de la proposition de loi relative à l'affectation des avoirs issus de la corruption transnationale 56 ( * ) , l'exécution des confiscations prononcées à l'encontre de personnes reconnues coupables des infractions visées, et par la suite la restitution de ces avoirs, ne sont possibles, en France, qu'en application d'une décision définitive de la juridiction étrangère 57 ( * ) .

Or, dans les cas de corruption transnationale, il apparaît peu probable que certaines juridictions étrangères initient des démarches en ce sens.

Pour y remédier, le Sénat a adopté dès 2019, à l'initiative du sénateur Jean-Pierre Sueur, une proposition de loi relative à l'affectation des avoirs issus de la corruption transnationale . Le dispositif proposé visait à créer un fonds, alimenté par les recettes issues de la confiscation des biens des personnes étrangères politiquement exposées reconnues coupables en France des délits de recel ou de blanchiment du produit des biens ou de revenus provenant d'un crime ou d'un délai commis dans l'exercice de leurs fonctions.

S'inspirant de ces dispositions, le XI de l'article 1 er du projet de loi propose un mécanisme différent.

Le premier alinéa pose le principe de la restitution, au plus près de la population de l'État étranger concerné , des recettes provenant de la cession des biens confisqués aux personnes définitivement condamnées pour le blanchiment, le recel ou le blanchiment de recel de l'une des infractions suivantes :

- abus de confiance (article 314-1 du code pénal) ;

- manquements au devoir de probité , à l'exception de la concussion (articles 432-11 à 432-16 du même code) ;

- corruption active et du trafic d'influence commis par les particuliers (articles 433-1 et 433-2 du même code) ;

- soustraction et détournement de biens contenus dans un dépôt public (article 433-4 du même code) ;

- entraves à l'exercice de la justice telles que définies aux articles 434-9 et 434-9-1 du code pénal ;

- corruption et trafic d'influence passifs (article 435-1 à 435-2 du même code) et actifs (articles 435-3 à 435-4 du même code) ;

- atteintes à l'action de justice telles que définies aux articles 435-7 à 435-10 du code pénal.

L'infraction d'origine doit avoir été commise par une personne dépositaire de l'autorité publique d'un État étranger, chargée d'un mandat électif public dans un État étranger, ou d'une mission de service public d'un État étranger, dans l'exercice de ses fonctions.

Lors de son audition, le ministère de la justice a indiqué au rapporteur pour avis que la définition de ce champ infractionnel et des personnes visées a été déterminée pour cibler le détournement de biens publics et les infractions liées à probité.

De plus, ce périmètre infractionnel a été bâti à partir de l'étude des dossiers « emblématiques » de biens mal acquis identifiés par le ministère. À ce jour, 16 dossiers, incluant des condamnations déjà prononcées, pourraient correspondre au dispositif proposé.

Le second alinéa du XI de l'article 1 er est issu du sous-amendement adopté par l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement. Il précise que ces sommes donnent lieu à l'ouverture de crédits budgétaires au sein de la mission « Aide publique au développement » , placée sous la responsabilité du ministère des affaires étrangères. Elles financent des actions de coopération et de développement dans les pays concernés.

2. Le texte ne constitue qu'une première étape, une loi de finances étant nécessaire pour assurer la mise en oeuvre du dispositif

Comme l'a souligné Transparency International lors de son audition par le rapporteur pour avis, ce dispositif ne constitue toutefois qu'une première étape dans la mise en oeuvre effective de la restitution des biens mal acquis aux populations concernées.

En effet, la direction du budget a précisé qu'il conviendra de créer un nouveau programme budgétaire dans le prochain projet de loi de finances permettant de retracer ces crédits, une telle disposition relevant du domaine exclusif des lois de finances. La définition de ce nouveau programme devrait répondre à des contraintes particulières, dérogatoires du droit budgétaire commun, permettant, par exemple, de ne pas appliquer le taux de mise en réserve budgétaire sur ces avoirs qui ont vocation à être restitués.

Le rapporteur pour avis s'est interrogé sur la pertinence de l'insertion de ces dispositions dans la partie programmatique du projet de loi, d'autant que les dispositions qui y figurent n'ont vocation à s'appliquer que jusqu'en 2025.

En effet, l'insertion de ces dispositions dans la partie normative du texte aurait été pleinement justifiée en raison de leur nature. Toutefois, leur rattachement à la partie normative du texte aurait vraisemblablement été contraire aux dispositions de la loi organique relative aux lois de finances 58 ( * ) , prévoyant que l'affectation de recettes relève du domaine exclusif des lois de finances.

Ainsi, ces dispositions ne se suffiront pas à elles-mêmes pour permettre la mise en oeuvre de la restitution, par la France, des biens dits « mal acquis », même si elles constituent une première étape louable.

En tout état de cause, le dispositif proposé ne permet pas de résoudre complètement une difficulté déjà évoquée lors de l'examen par le Sénat de la proposition de loi sur le sujet en 2019 : comment pouvons-nous nous assurer que les sommes restituées ne soient pas réinjectées dans des circuits de corruption ?

À cet égard, les auditions menées par le rapporteur pour avis ne permettent pas, à l'heure actuelle, de définir une solution permettant de se prémunir d'un tel écueil . Toutefois, compte tenu du nombre relativement faible de dossiers concernés, le rapporteur pour avis estime qu'une implication spécifique du ministère des affaires étrangères permettrait de définir les modalités de restitution de ces sommes les plus adéquates , comme tenu de la grande diversité des contextes locaux. Dans cette perspective, l'Agence française de développement (AFD) pourrait ne pas systématiquement constituer le vecteur le plus approprié de cette restitution , a fortiori si l'État étranger concerné n'est pas un pays bénéficiaire de l'aide publique au développement de la France.

Par conséquent, la commission a adopté un amendement COM-145 prévoyant que le ministère définit au cas par cas les modalités de restitution les plus appropriées.


* 54 Celui-ci ayant fait l'objet d'un sous-amendement du Gouvernement, adopté par l'Assemblée nationale avec un avis favorable de la commission.

* 55 Loi n° 2005-743 du 4 juillet 2005 autorisant la ratification de la convention des Nations Unies

contre la corruption.

* 56 Pour plus d'informations, le lecteur est invité à se reporter au rapport n° 405 (2018-2019) fait au nom de la commission des finances sur la proposition de loi relative à l'affectation des avoirs issus de la corruption transnationale par M. Antoine Lefèvre.

* 57 Articles 713 et 713-38 du code de procédure pénale.

* 58 Article 34 de la loi n° 2001-692 du 1 er août relative aux lois de finances.

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